remuneration du capital en islam

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16 FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - AUTUMN 2003 Les systèmes financiers islamiques se fondent sur l’interdiction absolue de toute forme de rentabilité prédéter- minée. L’interdiction de l’usure se trouve au cœur de ces systèmes. Néanmoins, et tout en étant la carac- téristique principale, cette interdic- tion n’est pas la seule particularité de la finance islamique. Celle-ci s’ap- puie sur d’autres principes tels que le partage des risques, le droit de pro- priété, le caractère sacré des contrats, et le respect non seulement des droits, mais également des devoirs des particuliers. Et l’interdiction de l’usure vise à encourager l’investisse- ment et à assurer une circulation saine des signes monétaires et des capitaux ; car elle a pour corollaire une lutte sans faille contre la thésau- risation. De plus, l’Islam n’est pas la seule croyance qui a proscrit l’usure. Le prix Nobel d’économie, Maurice Allais, nous rappelle ainsi que « sous des formes diverses, le prélèvement de l’intérêt a toujours été combattu par les réformateurs sociaux : par l’église catholique jusqu’à la Renais- sance, par les socialistes libéraux comme Proudhon, par les marxistes, et dans des temps plus récents et sous une forme plus habile, par des hommes comme Silvio Gesell et John Maynard Keynes ». Dans sa Théorie générale, Keynes écrit : « Il se peut que les méthodes des pionniers de la pensée économique des seizième et dix-septième siècle aient abouti à certains fragments de sagesse pra- tique. Il y avait de la sagesse dans leur extrême préoccupation de main- tenir un faible taux d’intérêt par les lois contre l’usure » (Allais 1977, 61). Pour l’examen de la rémunération du capital dans l’optique islamique, le présent article se propose de présen- ter les objectifs de la finance isla- mique avant de situer cette dernière dans une rétrospective historique. Les formes de rémunération du capi- tal en Islam seront ensuite présen- tées pour en saisir la spécificité. Puis il sera procédé à la présentation des banques islamiques, car c’est essen- tiellement dans le cadre de ces banques que la finance islamique se pratique aujourd’hui. L'article tente de conclure par un essai d’évaluation de l’expérience de ces banques et de réflexion sur les perspectives de leur évolution. La finance islamique: des objectifs séculaires L’Islam soumet les activités écono- miques en général, et financières en particulier, à des restrictions prévues par le Coran, livre saint qui est placé, Lahsen Sbai El Idrissi Chef de Division à la Trésorerie Générale du Royaume, Ministère des Finances, Rabat, Maroc L L a rémunération du capital en Islam Islamic financial systems are based on the absolute interdiction of all forms of predetermined gain. The ban on usury is at the heart of these systems. Under Islam, economic activities in general and financial activities in particular are subject to the restrictions set out in the Koran. In Islamic States, the holy book takes precedence over all other judicial norms.

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FINANCE & THE COMMON GOOD/BIEN COMMUN - AUTUMN 2003

Les systèmes financiers islamiques sefondent sur l’interdiction absolue detoute forme de rentabilité prédéter-minée. L’interdiction de l’usure setrouve au cœur de ces systèmes.Néanmoins, et tout en étant la carac-téristique principale, cette interdic-tion n’est pas la seule particularité dela finance islamique. Celle-ci s’ap-puie sur d’autres principes tels que lepartage des risques, le droit de pro-priété, le caractère sacré des contrats,et le respect non seulement desdroits, mais également des devoirsdes particuliers. Et l’interdiction del’usure vise à encourager l’investisse-ment et à assurer une circulationsaine des signes monétaires et descapitaux ; car elle a pour corollaireune lutte sans faille contre la thésau-risation.

De plus, l’Islam n’est pas la seulecroyance qui a proscrit l’usure. Leprix Nobel d’économie, MauriceAllais, nous rappelle ainsi que « sousdes formes diverses, le prélèvementde l’intérêt a toujours été combattupar les réformateurs sociaux : parl’église catholique jusqu’à la Renais-sance, par les socialistes libérauxcomme Proudhon, par les marxistes,et dans des temps plus récents etsous une forme plus habile, par deshommes comme Silvio Gesell et JohnMaynard Keynes ». Dans sa Théorie

générale, Keynes écrit : « Il se peutque les méthodes des pionniers de lapensée économique des seizième etdix-septième siècle aient abouti àcertains fragments de sagesse pra-tique. Il y avait de la sagesse dansleur extrême préoccupation de main-tenir un faible taux d’intérêt par leslois contre l’usure » (Allais 1977,61).

Pour l’examen de la rémunération ducapital dans l’optique islamique, leprésent article se propose de présen-ter les objectifs de la finance isla-mique avant de situer cette dernièredans une rétrospective historique.Les formes de rémunération du capi-tal en Islam seront ensuite présen-tées pour en saisir la spécificité. Puisil sera procédé à la présentation desbanques islamiques, car c’est essen-tiellement dans le cadre de cesbanques que la finance islamique sepratique aujourd’hui. L'article tentede conclure par un essai d’évaluationde l’expérience de ces banques et deréflexion sur les perspectives de leurévolution.

La finance islamique: des objectifs séculaires

L’Islam soumet les activités écono-miques en général, et financières enparticulier, à des restrictions prévuespar le Coran, livre saint qui est placé,

Lahsen Sbai El Idrissi

Chef de Division à laTrésorerie Générale duRoyaume, Ministère desFinances, Rabat, Maroc

LLa rémunération du capital en Islam

Islamic financialsystems are based onthe absoluteinterdiction of allforms of predeterminedgain. The ban on usuryis at the heart of thesesystems.

Under Islam, economicactivities in general andfinancial activities inparticular are subject tothe restrictions set outin the Koran. InIslamic States, the holybook takes precedenceover all other judicialnorms.

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dans les Etats musulmans, au som-met de la hiérarchie des normes juri-diques. Et s’il en est ainsi, c’est parceque cette religion contient à la foisune méthode de réalisation spirituel-le et un corpus de règles applicablesaux sociétés musulmanes, règlesdont l’observance n’est toutefois pasantinomique de l’ouverture sur l’ex-térieur et de l’intégration des innova-tions de nature à améliorer le niveaude développement desdites sociétés,comme ce fut le cas lors de l’apogéedu monde musulman. Les Oulémas,jurisconsultes de l’Islam, par leureffort d’interprétation et leur ouver-ture d’esprit, avaient accompagné,voire impulsé l’élan qui permit aumonde musulman d’atteindre desniveaux de civilisation inégalés avantson avènement.

La finance islamique, pratiquée àl’époque, est constituée de l’en-semble des modes de financement etd’investissement qui ont été adoptésalors par les musulmans, dans le res-pect des prescriptions du Coran et dela Tradition du Prophète.

L'apport du CoranToutefois, et comme le souligne, Vol-ker Nienhaus (1997), « le Corann’est pas un code civil, mais une col-lection de principes moraux,éthiques et religieux qui -tout enréclamant une validité éternelle- nedeviennent le droit applicable qu’enconsidérant les circonstancesconcrètes d’un lieu et d’un tempsprécis » (Nienhaus 1998, 27). Il fautsouligner, cependant, que le Coran aérigé certains de ces principes en

règles claires, autorisant ou interdi-sant tel ou tel acte ou activité. Ainsien est-il de l’interdiction du Riba,usure, assimilé par certains auteurs àl’intérêt, et du paiement de la Zakat,ou aumône légale. Celle-ci constituel’un des cinq piliers de l’Islam, lesquatre autres piliers étant : (a) la pro-fession de foi, consistant à attesterqu’il n’y a d’autre Dieu qu’Allah etque Mohammed est son Prophète etEnvoyé; (b) les cinq prières quoti-diennes, espacées tout au long de lajournée, afin que le croyant se sou-vienne tout le temps du Créateur; (c)le jeûne pendant le mois du Rama-dan, consistant à s’abstenir de man-ger, de boire, et d’avoir un rapportsexuel, c'est-à-dire de se priver detoutes les activités « animales » del’être humain, et ce du lever jusqu’aucoucher du soleil ; (d) le pèlerinage àla Mecque, lorsque l’on dispose desmoyens de se payer le voyage vers leslieux saints de l’Islam.

Le paiement de la Zakat, qui portesur les biens du musulman, a lamême connotation spirituelle queces quatre piliers, lesquels visent lapurification de l‘individu, dans sapersonne, dans son être ; la Zakatassurant sa purification dans sonavoir.

La Zakat frappe aussi bien le capitalcirculant que l’argent thésaurisé, detelle sorte que ce dernier, s’il demeu-re sans emploi, risque d’être complè-tement absorbé par son prélèvement.L’emploi en question ne peut être faitque sous des formes excluant la réa-lisation de tout revenu fixe, garanti àl’avance. Le Coran est très clair là-

Islamic financeincludes all the modesof finance andinvestment practicedby Muslims thatrespect the strictures ofthe Koran and theTradition of theProphet.

However, the Koran isnot a civil code; it is acollection of moral,ethical and religiousprinciples. The Koranestablished some of theprinciples as clearrules, authorising orforbidding specific actsand activities. This istrue of the ban on Riba- usury - that someauthors equate withinterest, and of thepayment of Zakat, theIslamic wealth tax.This constitutes one ofthe five pillars of Islam.

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Le Riba est littéralement toutaccroissement du capital par le paie-ment d’un revenu fixé à l’avance.Ainsi, tout taux de rémunérationpréétabli, fixe et positif, lié àl’échéance du montant du principal,et garanti quel que soit le résultat del’investissement, est assimilable auRiba ; et donc interdit. Cette inter-diction est édictée, sans équivoque,par le Coran : « Ceux qui mangentl’argent de l’usure ne se trouvent quedans le cas où se trouvent ceux quisont touchés par le diable. Ils ontprétendu que l’usure est comme lecommerce. Dieu a autorisé le com-merce et a interdit l’usure. Celui quise rétracte sera rétribué et sa destinée

est à Dieu, et celui qui récidive ferapartie des compagnons de l’enfer,pour l’éternité » (Al-Baqara, 275).

Il ressort de ce verset coranique quel’Islam interdit le Riba, mais qu’ilencourage le commerce et les béné-fices, lesquels rémunèrent la réussitede l’entrepreneur et la création derichesses supplémentaires. Et le pré-lèvement annuel de l’aumône légalepayable sur le capital, incite lemusulman à employer son argent quiserait, dans le cas contraire, complè-tement consommé, comme mention-né plus haut, par la Zakat.Etymologiquement, celle-ci signified’ailleurs tout à la fois purification etaccroissement.

dessus : « Ce que vous prêtez à usure(Riba) pour accroître vos biens audétriment du prochain ne vous serade nul profit auprès de Dieu. Ce quevous donnez en aumônes (Zakat), enquête de la grâce de Dieu, voilà quivous sera porté plusieurs fois savaleur. » (Al-Roum, 39).

La base de calcul de la Zakat estconstituée du capital détenu, desinvestissements, des animaux quel’on possède, des revenus de l’agri-culture, du commerce et des affaires ;son taux varie selon le type d’activitééconomique (Traimond 1995, 62 etss.).

Islam forbids Riba butencourages trade andprofit, which rewardthe entrepreneur’ssuccess and thecreation of additionalwealth. In addition, theannual levying of theIslamic wealth tax,payable on capital,incites Muslims to puttheir money to use.

Taux indicatifs de la ZAKAT

Type d’activité économique Taux en %

- Capital détenu (Or, argent, papier monnaie) 2.5

- Produits des terres non irriguées (pour le paysan) 10

- Produits des terres irriguées (pour le paysan) 5

- Actifs totaux de l’industriel ou de l’homme d’affaires 2.5

- Richesses minières 20

- Elevage d’animaux Variable

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Le paiement d’intérêts a, par contre,des effets nocifs. Il peut ainsi décou-rager l’opération même d’investisse-ment, notamment lorsque le taux deprofit escompté est peu élevé. Dansce cas, « même les capitaux propressont détournés de l’investissementpour produire des intérêts... C’est làaussi une raison de l’interdiction carl’économie islamique est une écono-mie productiviste où la valorisationdu capital doit se faire par l’investis-sement et non par le prêt » (Daoudi1991, 38).

Le paiement à intérêts:des effets nocifs

De plus, la multiplication de créditsassortis de Riba entretient les pres-sions inflationnistes, les charges quien résultent étant répercutées sur lesprix. Il en résulte que certainescouches sociales, en l’occurrence lesrentiers et les spéculateurs, mènentune vie parasitaire. Elles peuventalors gagner des sommes colossales,sans prendre de risque, voire en encréant pour les autres ; ce que l’onconstate d’ailleurs aujourd’hui avecl’importance prise par les spécula-tions sur les marchés des capitaux etla volatilité qui en résulte, sans par-ler des grands déséquilibres dontcontinuent de souffrir les pays lour-dement endettés. Or, la justice veutqu’emprunteurs et préteurs parta-gent équitablement les avantagesaussi bien que les pertes ; et que l’ac-cumulation et la répartition desrichesses soient conformes à la pro-ductivité véritable.

L’interdiction du Riba fut, toutefois,

contournée par le recours à desastuces et ruses. La plus subversiveparmi elles étant une vente à créditconnue sous le nom de Bay al-innan,double vente ou Moukhatara. L’astu-ce consistait à ne faire jouer au bienéchangé qu’un rôle fictif. Le prêteurvendait à l’emprunteur une mar-chandise donnée, à un montantsupérieur à celui dont avait besoinl’emprunteur, 215 Francs parexemple contre 180. Les 215 Fétaient payables à terme, et le prêteurrachetait la marchandise immédiate-ment à l’emprunteur, à 180. Au sensstrict, il n’y avait donc pas eu prêt àintérêt, mais vente et rachat d’unemarchandise. Mais il s’agissait, enfait, de prêts à intérêts à peine dégui-sés. L’interdiction du Riba fut mêmeviolée, par certains musulmans, àtitre personnel, mais sans toutefoisengager, officiellement, la commu-nauté islamique.

Pour les autres religions mono-théistes, et comme le rappelle AndréMartens (2001), « la prohibition dutarbit juif tomba rapidement endésuétude, avec la multiplication declauses échappatoires. Dans la chré-tienté, des polémiques interminablestournèrent autour de la pratique del’intérêt et de la sévérité avec laquel-le il fallait appliquer son interdictionentre, d’une part, les thomistes et lesjésuites de tendance rigoriste etd’autre part, les jansénistes, aux vuesplus modérées ; entre les catholiquesromains, dans l’ensemble favorablesà l’interdiction de l’intérêt, et les pro-testants, en général ouverts à sa pra-tique. Moralistes et économistesintervinrent dans le débat. En 1787,

Conversely, thepayment of interest hasharmful effects. It canthus discourage thepractice of makinginvestments, notably incases where theanticipated profit issmall.

Furthermore, anincrease in loanscoupled with Ribaleads to inflationarypressures, since theresulting costs arepassed on in higherprices. This results incertain social strata,specifically speculatorsand those with privatemeans, leading the lifeof a parasite.

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Jérémie Bentham publia un texte autitre évocateur, « Defence of Usury »,s’opposant à Adam Smith qui, bienque père du laisser-faire, était enfaveur d’un plafonnement des tauxd’intérêt. L’interdiction du prêt àintérêt fut finalement abolie du droitcanon en 1830 » (Martens 2001, 7).

Un vif débat dès le XIe siècle

Dans le monde musulman, etcontrairement à l’idée reçue, ce débata également été très vif, non seule-ment depuis la généralisation dumodèle de la banque conventionnel-le moderne, mais très tôt, dès les pre-miers siècles de l’Islam. Ainsi, auXIème déjà de l’ère chrétienne, undébat houleux eut lieu sur la ques-tion entre les Oulémas (Al-Nabhane1978 et 1989). Il ressort de ce débat,et de ceux qui eurent lieu dans lessiècles qui suivirent : (a) qu’en Islam,le capital argent ne peut produire derémunération préétablie, sous formed’intérêt, mais qu’il peut produire unbénéfice ; (b) que pour cela, sondétenteur doit assumer le risque, carle cas échéant, ce serait à celui quisera appelé à le faire fructifier, l’en-trepreneur investisseur dans notreterminologie actuelle, d’assumer,seul, ce risque, ce qui serait injuste ;et (c) que si la rémunération perçueen contrepartie du temps d’utilisa-tion de l’argent est illicite s’agissantde l’investissement, elle est accep-table en cas de vente différée.

Certains Oulémas se sont alors poséla question de savoir si l’on ne pou-vait pas dire que l’on est, dans le casde la vente différée, en face d’un Riba

licite, chose que d’autres ont catégo-riquement rejeté. Or, les premiers sebasent sur des interprétations d’uncompagnon du Prophète Moham-med (Ibn Abbas) et de successeurs(Ikrimah et Dahak) (Al-Missry et Al-Abrach 1999, 22). Les exégèses deMawardi (mort en 1072), de Qortobi(mort en 1293), Siyoutti (mort en1533), Al-Aloussy (mort en 1892), etd’autres (Al-Missry et Al-Abrach1999, 22), reprennent égalementcette distinction.

On trouve même la première utilisa-tion du terme intérêt, pour signifierRiba, chez d’illustres Oulémas duXIVème siècle de l’ère chrétienne telsque Ibn Taymiyah, Assoubky, et AlAssdy (Al-Missry et Al-Abrach 1999,18), alors que de nos jours certainsauteurs ont défendu la nécessité defaire la distinction entre intérêt etusure.

C’est donc une question qui a inté-ressé les penseurs musulmans depuisdes siècles. Ils ont cherché, lorsquele monde musulman était à son apo-gée, à ce que l’activité du musulmanrespecte les règles édictées par sareligion tout en participant active-ment à l’activité économique et com-merciale de tous les jours, activitéqui a toujours requis innovation,labeur et persévérance.

Ces exigences sont amplifiées par lefait que le niveau de développementde la plupart des pays musulmansrequiert, aujourd’hui, une élévationcontinue des taux d’investissement,et donc un relèvement du niveau del’épargne et sa canalisation vers desemplois productifs.

The debate in theMuslim world on theban on interest-bearinglending has been veryintense, not justsubsequent to thespread of theconventional bankingmodel, but indeedsince the very earlycenturies of Islam, inthe XIth century of theChristian era.

From very early times,Muslim thinkerssought to ensure thatMuslims respected therules laid down bytheir religion whilststill participatingactively in everydayeconomic andcommercial activity.

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LA RÉMUNÉRATION DU CAPITAL EN ISLAM

Toutefois, la question se pose dansdes termes différents que par lepassé. Un rapide survol de l’évolu-tion historique qui donna naissanceà la situation actuelle permettraitd’éclairer davantage l’approche decette question.

Décadence du mondemusulman et essor du

monde occidentalEn partant des « Mille et Une Nuits »,livre qui n’a apparemment pas derapport avec l’analyse économique,Omar Akalay, banquier marocain,souligne que les échanges commer-ciaux et les opérations d’investisse-ment nécessitaient, à l’époque où cerecueil de contes fut rédigé, c'est-à-dire au Xème siècle de l’ère chrétien-ne, des instruments de paiement quine seront utilisés dans le reste dumonde que quelques siècles plustard.

« Toutes les formes de crédit sontutilisées, écrit Omar Akalay, la lettrede change est connue… le crédit à laconsommation est également utili-sé….(tout comme ) l’achat et lavente à terme…. On pratique la com-pensation des créances. Cette fois-ci,c’est à Damas que ça se passe, à lamort du père, son fils lui succède, ildevient marchand. C’est sa mère quilui enseigne les pratiques commer-ciales de son père : Mon fils, ton père…avait des correspondants (à Bag-dad) ; ils échangeaient des ordres denégoce et donc des produits. » (Aka-lay 1991, 18-19).

Au fur et à mesure que la religiositéet la ferveur de la foi déclinaient, le

monde musulman entra dans unelongue traversée du désert, qui freinal’élan des sociétés concernées. Aulieu de s’attacher à l’essence du mes-sage coranique, à son esprit, lesmusulmans, y compris certains pen-seurs et Oulémas, commencèrentalors à s’attacher à la lettre des textes,voire à tolérer des pratiques quiétaient parfois franchementcontraires aux enseignements de l’Is-lam, et que celui-ci avait très tôtcombattu. Cela fut décrit de manièremagistrale par le grand Ibn Khal-doun (1332-1406), dans sa « Muqad-dima », « Les Prolégomènes », ou«Discours sur l’histoire universelle »(Khaldoun 1968).

Roger Garaudy n’a pas manqué, poursa part, de relever cette corrélationentre la décadence de l’Islam et ladiminution de la ferveur religieuse,« l’Islam, écrit-il, a été grand etrayonnant lorsqu’il a été fidèle à l’es-prit du Coran et à l’exemple du Pro-phète Mohammed, c’est-à-direlorsqu’il a réalisé à la fois une libéra-tion religieuse, une ouverture à tousles hommes de foi contre tous lessectarismes et une révolution socialecontre la conception romaine de lapropriété avec son droit d’user etd’abuser auquel il opposait le princi-pe coranique : Dieu seul possède etl’homme n’est que le gérant respon-sable de la propriété de Dieu »(Garaudy 1996).

Mais pendant que le monde musul-man sombrait dans une période dedécadence, le monde occidentalconnut de grandes mutations quigénérèrent de profondes mutations

By the Xth century ofthe Christian era, tradeand investmentoperations required theuse of paymentinstruments that therest of the world wasnot to adopt for severalcenturies.

As religiosity and faith-based fervour began todecline, so the Muslimworld slipped into along period in thewilderness, which inturn limited thedynamism of theirsocieties. Muslims, andMuslim thinkers, beganto tolerate practicesthat were at timescontrary to theteachings of Islam,practices discouragedby Islam from veryearly on.

At the same time thewestern world wasundergoing profoundchanges that were totransform westernsociety.

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sociétales. L’essor du commerce, deséchanges et de la production a néces-sité l’intégration de techniques nou-velles de paiement et d’instrumentsfinanciers nouveaux. La décadenceet le recul du monde musulman ont,par contre, donné lieu à un blocagedu développement des forces pro-ductives et, subséquemment, decelui des techniques d’échange, depaiement et des mécanismes et cir-cuits financiers.

Les effets de la colonisation en Islam

La colonisation d’une grande partiedes terres de l’Islam, et la chute del’empire ottoman entraînèrent nonseulement l’ouverture, voire le régi-me de la porte ouverte, comme ce futle cas au Maroc après l’acte d’Algeri-sas de 1906, mais aussi l’installation,clés en mains, d’institutions nou-velles. De nouveaux types d’organi-sation sociale, de nouvellesméthodes de production desrichesses et de prestations des ser-vices furent mises en place.

Cette superstructure, selon la termi-nologie marxiste, qui fut le produitd’une longue évolution historiquedans les pays occidentaux, a été gref-fée dans les pays musulmans. Elle n’apas été la résultante d’une matura-tion de l’évolution de ces sociétés quifurent, au contraire, appelées à s’yadapter, au prix de changementsbrutaux dans les mœurs, dans lesrapports de production et d’échange,et jusque dans le système desvaleurs.

Néanmoins, il faut bien souligner

que si le façonnement des sociétéscolonisées a été quasi total dans plu-sieurs contrées, il n’en fut pas demême dans le monde musulman, etnotamment dans les régions quiconnurent, très tôt, l’existence d’uneorganisation sociale avancée, et dontcertaines, comme le Maroc, l’Egypte,la Syrie et l’Irak s’étaient constitué,très tôt, en Etats - nations.

Dans ces pays, on assista au début del’ère coloniale, à la coexistence dedeux secteurs d’activité économique,moderne et traditionnel. Plus tard, lesecteur moderne sera lui-même tra-versé par un secteur informel créatifcertes, mais qui échappait aux règleset aux contrôles auxquels le secteurmoderne était soumis. Sur le planjuridique, deux systèmes devaientdès lors coexister: un systèmemoderne, régi par les règles de droitpositif, et un système traditionneldont les normes demeuraient cellesédictées par la Charria et le Fikh,droit musulman, qui en est tiré.

Après l'accès à l'indépendance

Après les indépendances, les codesjuridiques durent être révisés dans lebut de permettre la prise en chargedes exigences nouvelles. Et dansbeaucoup de pays musulmans, ce futégalement l’occasion de s’assurer dela prise en compte des commande-ments de l’Islam.

S’agissant du secteur bancaire etfinancier, la réglementation estdemeurée, pour l’essentiel, la mêmeque celles des anciennes puissancescolonisatrices. Et l’intégration des

The colonisation ofmuch of the Islamicworld and the fall ofthe Ottoman empireled to the installationof new turnkeyinstitutions. New typesof societal structuresand new methods forproducing wealth andproviding services wereput in place.

At the inception of thecolonial era thesecountries were witnessto the coexistence oftwo sectors ofeconomic activity:modern andtraditional. Similarly,two judicial systemsalso coexisted: amodern system,governed by positivelaws, and a traditionalsystem whose rulesremained those set bythe Charia and theFikh, the Muslim lawderived from it.

Post-independence, thelegal codes needed tobe revised in order totake account of thenew realities. In manyMuslim countries thiswas also the occasionto incorporate thecommandments ofIslam.

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pays musulmans dans le marchémondial a nécessité le recours auxmêmes techniques de paiement queles pays tiers, partenaires et concur-rents.

Les banques de la plupart de ces payssont restées dépendantes de cellesdes anciens colonisateurs, et ce d’au-tant plus, faut-il le rappeler, qu’ellesfurent, à l’origine, créées par desbanquiers desdits pays. Leurs capi-taux étaient détenus par des investis-seurs originaires de ces pays. Aussi,les épargnants ont-ils longtempsboudé ce système qui leur semblaitcontraire à leur croyance, sansoublier les pratiques d’épargne déve-loppées au sein de ces sociétés, et quin’empruntaient pas toujours la voiede la bancarisation, voire de lamonétisation.

Les politiques de mobilisation del’épargne, mises en œuvre depuislors, dans les pays concernés, ontcertes permis la mobilisation d’unegrande partie de l’épargne potentiel-le, mais le lancement de produitsfinanciers conformes à la Charriaaurait permis de mobiliser davantagede ressources, comme il ressort d’uneétude empirique portant sur Bahreïn,entreprise en 1988. Cette étude aconclu que l’observance de la reli-gion avait été le facteur déterminantde l’augmentation des fonds déposésdans les banques islamiques de cepays (Martens 2001). Aussi, est-ildésormais nécessaire de connaître lesspécificités des produits financiersislamiques dont le lancement et ledéveloppement permettraient derépondre à un objectif double : assu-

rer des placements conformes auxcroyances des épargnants et per-mettre, ce faisant, une élévation destaux d’épargne dans les pays musul-mans.

L’argent ne devient capital en Islamqu’à partir du moment où son asso-ciation avec d’autres ressources per-met une activité productive (Al-Haq1988). Cette association s’effectue aumoyen d’instruments financiers dontcertains sont d’ailleurs tout à faitidentiques aux instruments financiersconventionnels. Ces instrumentsassurent des emplois à court, moyenet long terme (Iqbal 1997, 40).

Les formes de rémunération

du capital en IslamLe financement à long terme estassuré essentiellement par les tech-niques de partage des bénéfices(Mudarabah), et de prise de partici-pation (Musharaka).

La Mudarabah consiste dans le finan-cement de projets d’investissementssur la base d’une entente entre lepropriétaire, bailleur de fonds, et lebénéficiaire, lequel contribue uni-quement par son travail. Cette for-mule est identique à celle dessociétés d’investissement. Elles’adapte particulièrement pour lefinancement de projets d’artisanat,d’ateliers de confection et de petitscommerces. Elle peut égalementconcerner toutes les formes de socié-té de capitaux et s’adapte aux formesmultiples de gestion.

La technique de la Musharakah est

The regulationsgoverning the bankingand finance sectorremained essentiallyunchanged, identical tothose imposed by theformer colonialpowers. In addition,the incorporation ofMuslim countries intothe world tradingsystem demanded thatthe same paymentsystems be used asthose employed bythird countries, bothpartners andcompetitors.

Banks in most of thesecountries remaineddependent on theformer coloniser’sbanks. For this reason,for a long period saversspurned a system thatthey felt to be contraryto their beliefs.

Under Islam, moneyonly becomes capitalonce combining it withother resources resultsin a productive activity.This combination isachieved usingfinancial instruments,some of which arewholly identical totheir conventionalcounterparts. Theseinstruments covershort-, medium- andlong-term uses.

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analogue à celle des coentreprisesclassiques. L’entrepreneur et l’inves-tisseur contribuent tous deux, à desdegrés variables, au capital (actifs,savoir-faire en matière de techniqueet de gestion, fonds de roulement,etc.). Ils s’accordent sur le partagedes bénéfices (et des risques) dansdes proportions convenues à l’avan-ce. C'est une technique utilisée tradi-tionnellement pour le financementde biens fixes et de fonds de roule-ment.

Le financement à moyen terme estassuré essentiellement par l’Ijara(crédit-bail) et l’Istisna’a.

La vente de l’usufruit L’Ijara correspond, du point de vuejuridique, à une vente de l’usufruit(Manfàa). Cette technique permet lefinancement de l’équipement, del’agro industrie, des machines, desinfrastructures, des véhicules et dumatériel de transport. Le bailleur defonds finance normalement le coûttotal des machines et des équipe-ments et les fournit à bail pour unepériode donnée, contre paiement deloyers fixes périodiques, suivant deséchéances convenues à l’avance.L’Ijara peut prendre différentesformes, et notamment prévoir queles acomptes seront en partie déduitsdu prix d’achat final (lorsqu’il y atransfert de la propriété au preneur).Le bailleur de fonds demeure pro-priétaire des biens donnés à baildurant toute la période du bail. Lesloyers sont calculés sur la base d’untaux de rendement annuel, le bénéfi-ciaire pouvant obtenir des remisessur les loyers, s’il effectue les paie-

ments à temps et s’il respectel’échéancier convenu.

L’Istisna’a est un contrat en vertuduquel une partie s’engage à produi-re un bien spécifique à un délai, à unprix et selon des spécificationsconvenues. Ce contrat couvre toutprocessus de fabrication, construc-tion, assemblage ou emballage. Enmatière d’Istisna’a, le travail n’est pasnécessairement accompli par la par-tie au contrat et peut être confié entout ou en partie à d’autres exécu-tants sous le contrôle et la responsa-bilité de ladite personne.

Le financement à court terme estassuré par les contrats de vente et laMurabaha (marge bénéficiaire oucoût majoré).

Les contrats de vente sont des ventesavec paiement différé (Bay’mu’ajjal)ou avec livraison différée (Bay’salam). Dans la vente avec paiementdifféré, la livraison du produit estimmédiate, mais le paiement s’effec-tue à une date ultérieure convenue.Le paiement peut se faire en une foisou en plusieurs versements, sanspour autant qu’il n’entraîne de com-mission supplémentaire. La venteavec livraison différée est analogueaux contrats à terme, prévoyant lalivraison ultérieure et le règlementimmédiat.

La Murabaha est la notion tradition-nelle de financement de l’achat àtempérament. L’investisseur s’engageà fournir des biens ou des produitsde base déterminés, l’opération s’ac-compagnant d’un contrat de gré à gréprévoyant la revente au client ainsiqu’une marge négociée. Cette opéra-

According to thedefinition formulatedduring the 1979International Congressof Islamic Banks: ‘TheIslamic Bank is abanking institutionthat collects funds anduses them inaccordance withIslamic Charia law,with the purpose ofbuilding a societyfounded on solidarityand achieving ameasure of justice inthe distribution ofwealth.’

In order to ensureconformity with therequirements of theCharia, Islamic bankssubmit all theiroperations for approvalby an in-housereligious advisoryboard.

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tion peut également se faire soit aucomptant, ou à terme, entre les par-ties concernées.

La banque islamique aucœur des systèmes

financiers modernesSelon la définition formulée lors duCongrès international des banquesislamiques en 1979 : « La banqueislamique est une institution bancai-re qui collecte des fonds et les utilisesur la base de la Charria islamique,dans le but de fonder une sociétésolidaire et de réaliser une certainejustice dans la répartition desrichesses ».

Pour assurer la conformité de leursopérations avec la Charria, lesbanques islamiques soumettenttoutes leurs opérations à l’approba-tion d’un conseil religieux, intégré àl’établissement.

Ces banques n’ont cessé, selon l’En-cyclopédie Universalis, « d’intriguerles financiers internationaux, carelles respectent à la lettre ce qu’inter-dit l’islam sous le terme générique deRiba, à savoir la combinaison de troiséléments : l’engagement à terme, lacondition aléatoire et la rémunéra-tion prédéterminée du capital, com-binaison que le mot intérêt netraduit qu’imparfaitement ».

Dès 1930, un savant religieux syrien,du nom de Marouf al-Doulabi,recommande de limiter l’interdictionde l’intérêt aux prêts à la consomma-tion. Plus tard, et inspiré par leréseau d’épargne qu’il avait vu enAllemagne fédérale pendant ses

études, Ahmed Al Najjar implanteles premières caisses d’épargne isla-miques qui, d’emblée, remportent ungrand succès. Cela facilita la créa-tion, en 1963, en Egypte, de la pre-mière banque islamique. Dedimension modeste, cette premièreexpérience a été relayée, à partir de1975, par les premières banques pri-vées islamiques.

Le Pakistan fut le premier pays àfranchir le pas de la généralisation dela législation inspirée de l’Islam àl’ensemble de son système financier.En 1977, une commission d’écono-mistes et de religieux pakistanaisconclut à la nécessité de supprimerprogressivement l’intérêt. Et à partirde 1979, les banques pakistanaisesfurent tenues d’ouvrir des comptessans intérêt, mais sans pour autantsupprimer les anciens comptes. EnIran, une loi interdisant de verser oude percevoir des intérêts a été votéeen 1983. Elle a été appliquée aprèsun délai de transition de trois ans.

Depuis les années 80 les pratiquesbancaires islamiques ont été inté-grées, dans d’autres pays, à savoirl’Arabie saoudite, le Bahreïn, le Ban-gladesh, l’Egypte, les Emirat ArabesUnis, la Jordanie, la Malaisie, leKoweït, le Sénégal, le Soudan, laTunisie, la Turquie et le Yémen. Danstous ces pays musulmans, et à l’ex-ception de l’Iran et du Pakistan, labanque islamique cohabite avec lafinance conventionnelle.

Des institutions financières isla-miques ont également fait leur appa-rition dans des pays non musulmans,où réside une minorité musulmane

The first Islamic bankwas established inEgypt in 1963. Thisinitial experiment wasfollowed, from 1975onwards, by theemergence of the firstprivate Islamic banks.

Pakistan was the firstcountry to movetowards the generalapplication of Islamic-inspired legislationacross its entirefinancial system.

Islamic financialinstitutions have alsobegun to appear innon-Muslim countriesthat have a residentMuslim population.Western banks havealso begun to offerIslamic services inMuslim countries.

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tels que le Danemark, les Etats Unis,la Grande Bretagne, l’Allemagne et leCanada. Et des guichets islamiquesont été ouverts, par des banquesoccidentales, dans des pays musul-mans.

Actuellement, la valeur des actifs desinstitutions de financement islamiqueest de quelque 120 milliards de $.Cette valeur n’a été que de 5 milliardsde $ en 1985.

Outre leur capital et leurs fondspropres, ces banques trouvent leursprincipales sources de fonds dansdeux formes de dépôts, les et lesdépôts à des fins d’investissement(Khan et Mirakhor 1986, 33).

Les dépôts à des fins de transactionsont directement liés à des transac-tions et à des paiements. Ils sont assi-milables aux dépôts à vue dessystèmes bancaires modernes. Lesfonds mobilisés par ce biais ne peu-vent être employés en investissementspar les banques islamiques. Celles-cipeuvent même faire payer des frais defonctionnement aux déposants pourcouvrir le coût de gestion de ce typede dépôts.

Les dépôts à des fins d’investisse-ments constituent la principale sour-ce de fonds pour les banquesislamiques, et s’apparentent davanta-ge à des actions d’une entreprisequ’aux dépôts à terme ou d’épargnedes autres banques. Aucune garantiequant à leur valeur nominale ou à leurrendement n’est donnée aux dépo-sants, lesquels sont traités comme devéritables actionnaires. Et ils ontdroit, à ce titre, à une part des profits.Tout comme ils sont appelés à subir

les pertes essuyées par la banque isla-mique. Le seul engagement contrac-tuel passé entre le déposant et laditebanque porte sur la proportion danslaquelle les profits et les pertes doi-vent être répartis. Ainsi, « le ratio departage des profits ou des pertes doitêtre convenu avant la transactionentre la banque et les déposants, et nepeut être modifié au cours de la duréede vie du contrat, sauf par consente-ment mutuel » (Khan et Mirakhor1986, 33).

Les banques islamiques appliquentces mêmes principes de partage desprofits et des pertes dans leurs opéra-tions de prêts. Les deux méthodes quirépondent pleinement aux exigencesde la loi islamique dans ce domainesont les contrats, présentés plus haut,de Mudarabah et Musharakah.

Evaluation et perspectivesd’évolution de la finance

islamiqueEn dépit de la masse, de plus en plusgrande, de fonds drainés et gérés parles banques islamiques, celles-ci nemobilisent encore qu’une faible partdes dépôts gérés dans les paysmusulmans ; sans parler des sommescolossales placées à l’étranger,notamment par les pays pétroliers.

De plus, faute d’unification des inter-prétations des différents rites, iln’existe pas de code unique indi-quant quelles opérations bancairessont licites ou non. Aussi, « chaquebanque établit sa propre déontologieavec l’aide de son conseil religieux.Certaines sont très strictes, d’autresn’hésitent pas à facturer des commis-

At the time of writing,the value of Islamicfinance institutions’assets amounts toapproximately $120billion; in 1985 thisfigure was a mere $5billion.

In addition to theirown funds and equitycapital, the primarysource of these banks’funds lies in two formsof deposit: depositsmade for transactionalpurposes and thosemade for investmentreasons.

Notwithstanding theever larger flows offunds towards Islamicbanks, they currentlyonly account for asmall proportion ofdeposits managed inMuslim countries, notto mention the colossalsums deposited abroad,notably by the oil-producing nations.

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sions, fixes ou en pourcentage, surles prêts, ou à rémunérer leurs épar-gnants avec des cadeaux qui sontautant d’intérêts déguisés » (Piquard1988, 34).

D’autre part, les chercheurs ne sontpas tous d’accord sur l’assimilationdes intérêts versés par les banquesconventionnelles au Riba, et ce d’au-tant plus qu’il est nécessaire de diffé-rencier les intérêts nominaux desintérêts réels. Cette différenciationest, en effet, essentielle, car elle per-met de sauvegarder la valeur réelledes dettes et créances, et donc d’évi-ter de faire perdre à l’épargnant unepartie de son épargne, celle qui estérodée par l’inflation, quelque soit leniveau de cette dernière.

S’adressant à ceux qui sont prêts à serepentir de la pratique du Riba, lelivre saint de l’Islam souligne avecforce qu’ils ne doivent pas subir deperte, et qu’ils doivent recevoir leurcapital dans sa totalité, sans diminu-tion ni ajout. « Et si vous vousrepentez, alors à vous vos capitaux :et point ne léserez, ni ne serez lésés »(Al-Baqara, 279).

Le capital doit donc être automati-quement augmenté d’un taux nomi-nal constituant la limite danslaquelle le taux d’intérêt réel est nul.La justice veut que l’on ne considèredonc comme Riba que le taux d’inté-rêt réel positif.

Les spécialistes musulmans avaientaffronté ce problème dans un contex-te différent. L’ouverture du mondemusulman et l’islamisation decontrées nouvelles avaient alorsentraîné la circulation de monnaies

différentes, dont les unes étaientfrappées en or, les autres en argentou en bronze. Le dénouement deséchanges et le règlement des detteset créances nécessitant une monnaiede référence, les Oulémas avaientalors recommandé d’exprimer lesmontants concernés en quantité deblé, ou de toute autre denrée conve-nue entre les parties, de sorte que lavaleur réelle des créances soitconservée.

Les défis de la financeislamique

Hormis cet épineux problème de l’in-dexation, la finance islamique doitaffronter d’autres défis, dont en par-ticulier ceux (Iqbal 1997) :

(a) de l’instrument de politique ducrédit, en l’occurrence le taux d’inté-rêt, jusqu’à quelle limite la banquecentrale islamique pourrait-elle yrecourir ? Et comment pourrait-elle,le cas échéant, discipliner le système? La conduite de la politique moné-taire pourrait-elle se suffire des coef-ficients de réserve et de la persuasionmorale ?

(b) de la nécessité d’un marchésecondaire : les titres islamiquesétant essentiellement des titres pri-maires, liés à une entreprise ou à uneactivité particulière, l’existence d’untel marché, dont les produits et lesmodes de fonctionnement devraient,naturellement, respecter l’obligationd’interdiction de l’usure, encourage-rait grandement les placements àlong terme. De plus, l’épargnantmusulman, comme la plupart desépargnants du monde, est réticent au

Furthermore, in theabsence of any unifiedinterpretation of thevarious texts, there isno one code to indicatewhether any particularbanking operation is,or is not, permissible.

Nor do all academicsagree that the interestpaid by conventionalbanks can be classed asRiba, all the more so asa distinction has to bedrawn betweennominal interest andactual interest.

There are challenges tobe faced by the Islamicfinance sector,especially indexation,credit policy as aninstrument, thenecessity of secondarymarkets, and theexistence of the moneymarket, with aninterbank portion.

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risque. Il a une préférence pour laliquidité. D’où la nécessité de luidonner la possibilité de vendre rapi-dement, quand il le désire, les titresqu’il possède (Iqbal et Mirakhor1987). Or, pour ne pas rémunérerles transactions à un intérêt fixe, lesintervenants sur ce marché sontappelés à réaliser l’évaluation précisedes profits et pertes consécutifs auxtitres à échanger. Cette évaluationpose déjà problème au niveau desbanques islamiques dont la faibletechnicité ne facilite pas toujoursl’évaluation précise des risquesencourus dans les projets financés(Iqbal et Mirakhor 1987). En effet,l’évaluation et l’appréciation des pro-jets, la détermination des ratios departage des profits et la création d’uncadre de procédure pour l’exécution,la surveillance, le pilotage et la véri-fication de divers projets font peserdes exigences nouvelles sur lesbanques islamiques. Le manque detransparence des entreprises despays dans lesquels ces banques exer-cent leur activité amplifiant le pro-blème, comment ce dernierpourrait-il trouver sa solution à unéchelon plus élevé, celui du marchédans son ensemble ?

(c) de l’existence d’un marché moné-taire, avec un compartiment inter-bancaire. La nécessité de ce marchén’est pas à démontrer. Les mêmesdifficultés quant aux bases de rému-nération soulevées ci-dessus, s’agis-sant du marché secondaire,rejoignent celles du marché monétai-re. Et, d’une manière plus générale,la finance islamique est appelée àtrouver des solutions appropriées au

financement de la trésorerie desentreprises, des banques et de l’Etat.Comment seront rémunérés les cré-dits nécessaires à cette fin ? Le gou-vernement peut-il tolérer l’existenced’un déficit budgétaire ? Et jusqu’àquel niveau ? Bien plus, même ensituation d’équilibre budgétaire,quels seraient les modes de couver-ture des besoins intra-annuels duTrésor, résultant des différencesentre les cycles et rythmes d’exécu-tion des recettes et des dépenses ?

Vers une meilleure intégration de la financeislamique dans la finance

internationaleLa finance islamique ne pourra pasêtre pratiquée en autarcie. D’où lanécessité d’étudier ses modes d’inser-tion dans la finance internationale, etde définir les normes devant être res-pectées dans ce cadre, normes qu’iln’est, naturellement, ni possible, ninormal, d’imposer aux partenairesnon musulmans.

Le respect des exigences de la finan-ce islamique ne posait guère de pro-blèmes dans le passé, lorsque lesmusulmans étaient parmi les acteursprincipaux du commerce lointain, etil en pose à plus forte raison aujour-d’hui, où les moyens de communica-tion facilitent les contacts, et où lesesprits sont plus réceptifs aux idéeset aux pratiques de l’autre. Plus quepar le passé, et n’en déplaise aux pro-tagonistes du prétendu choc des civi-lisations, les hommes sont plusouverts à la concertation, dans le res-pect des croyances et des intérêts,

Islamic finance cannotbe practiced inisolation. For thisreason, it is importantto study ways andmeans of interactingwith internationalfinance and define thestandards to follow inthis domain.

Internally, theconstruction of Islamicfinancial systemsrequires far-reachingreforms not merely ofthe financialinstitutions, but also,and most importantly,at the legislative,judicial and regulatorylevels.

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des uns et des autres.

Sur le plan interne, l’édification desystèmes financiers islamiquesrequiert de profondes réformes nonseulement dans les institutionsfinancières, mais également et sur-tout aux niveaux législatif, judiciaireet réglementaire ; réformes touchantégalement les modes de gestion desentreprises et de production desinformations relatives à leurs opéra-tions.

Une action sur le longterme à entreprendre

très rapidementIl s’agit, en somme, d’actions de gran-de envergure, qui ne peuvent doncêtre entreprises que dans le longterme. Cela est normal, l’édificationde systèmes nouveaux, pour êtredurable, doit être basée sur une visionclaire de la situation désirée, et sur lamobilisation des acteurs et des res-sources nécessaires à cette fin.

Mais, comme disait John M. Keynes,« dans le long terme, on sera tousmorts ! ». Aussi est-il de la plus hauteurgence de commencer déjà parl’amélioration des produits financiersislamiques actuellement offerts, et desinstitutions qui en assurent la com-mercialisation et la gestion.

Le bon sens, l’esprit d’ouverture, et lerespect de la volonté des épargnantsmilitent en faveur de la mise en placede tels produits là où une demandeexiste. Et, ce faisant, les instruments

financiers islamiques ne devraientplus être l’apanage des seules banquesislamiques, mais également des autresbanques conventionnelles, où l’ouver-ture de guichets islamiques devraitêtre généralisée.

Par ailleurs, les actions de promotionet la politique de commercialisationde ces instruments ne doit désormaisplus viser la seule clientèle islamique,mais également les épargnants nonmusulmans qui seraient intéressés parces produits, soit parce qu’ils sont à larecherche de placements éthiques, ouqu’ils veulent être associés aux résul-tats de projets donnés. Mais, une tellepolitique ne peut être mise en œuvresans l’amélioration de la compétitivitédes banques islamiques qui devraientêtre outillées, et qui sont appelées àdévelopper leurs capacités d’évalua-tion, de choix et de gestion des pro-jets.

Dans le contexte actuel de financiari-sation accrue des sociétés modernes,de complexification des instrumentsfinanciers, la frontière entre monnaieet finance n’est plus aussi tranchéeque par le passé, d’où les risques decrises systémiques et de désordremonétaire. En offrant des produits oùcette frontière est on ne peut plus clai-re, et en assurant leur « connexion »à l’économie réelle, la finance isla-mique peut également participer àl’effort de rapprochement des centresde décision financière avec les exi-gences de l’économie réelle.

It is of the utmosturgency that workbegins now onimproving the currentrange of Islamicfinancial products onoffer as well as theinstitutions responsiblefor their sale andmanagement.

Islamic finance also hasa role to play in closingthe gap between thecentres of financialdecision-making andthe demands of theeconomy in the realworld.

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CONTENTS/SOMMAIRE

Editorial/ÉditorialInterest Rate: a Moral and Technical Issue

Le taux d’intérêt, une question de morale et de technique

News MonitorPortrait robot du cupide vu d’Antioche au IVe siècle

Nicoleta Acatrinei

Banana Skins Survey 2003/04Andrew Hilton

‘Catastrophes Bond’ - The Cirio Finanziaria DefaultAlessandro Pietrogiacomi and Fernando Paganelli

Building 360° Financial Services Initiatives for the PoorVenkataraman Satyamurti

Feature: Interest Rates and Moral - Religious PerspectivesLa rémunération du capital en Islam

Lahsen Sbai el Idrissi

Islamic Finance’s Glossary of Terms / Glossaire de la finance islamique

Interview with Waleed Abdulla RashdanBahrain, a Center of Islamic Finance in the Gulf

Calvin et le prêt à intérêtEdouard Dommen

Antonin des conseils, un théologien de l’usure au XV° siècleJean-Claude Lavigne

La prohibition de l’usure et la naissance de l’assuranceJean Halpérin

Book Reviews/Comptes rendus de lectureDiana Wood - Medieval Economic Thought

Michel Aglietta, André Orléan - La monnaie entre violence et confiance

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Past Issues / Anciens numéros

1998 1 Finance & the Common Good / What are the issues?1999 2 Why Common Good Matters?2000 3 Ethical Issues in Financial Activities 4 The Break-up of Money2001 5 Financial Exclusion 6/7 International Meeting “Finance & the Common Good” 8 Socially Responsible Investment2002 9 Will the Euro Shape Europe? 10/11 Economic and Financial Globalization. What the Numbers Say? 12 Ethics of Taxation and Banking Secrecy2003 13/14 Conflicts of Interest and the Structures of Trust 15 Globalization in Crossfire 16 Interest Rates and Moral, Religious Perspectives2004 17 Capital Remuneration, Contemporary Practices 18/19 Enron and the World of Finance: A Case Study in Ethics 20 Solidarity-based Economy and Finance: Mirage or Challenge?2005 21 From Bretton Woods to Basel II 22 “Homo Oeconomicus”, Le mal-compris et le mal-aimé 23 The Enterprise. Matter and Form(s)2006 24 Ethical Underpinnings of Financial Theory 25 Europe: la microfinance se fait une place 26 La finance joue avec le sport

¤ Ordinary Subscription (3 issues) : 75 €, 110 CHF ¤ 1 issue for : 26 €, 40 CHF

Finance & the Common Good/Bien Commun(Financial Ethics Review - Revue d’éthique financière)

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ISSN 1422-4658