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Il y a l’islam. Il y a le judaïsme. Il y a ce boud- dhisme venu de l’Asie. Et plus près de nous, quand il est question de foi, il y a ce christia- nisme qui se conjugue maintenant sous plus d’une appellation, en ce temps où émergent de nouvelles Églises. Et, au nom de la foi, cer- tains agissent, étant plus que de simples ac- teurs d’un prosélytisme de bon ton : les extré- mismes religieux expliquent des catastrophes qui ne sont en rien naturelles. NORMAND THÉRIAULT L’ Église catholique s’est donné un nouveau pape. Et ce François, même s’il est issu de cette confré- rie jésuite qui a longtemps prêché la gloire de Dieu, faisant même éta- lage dans le passé, par ses monuments gran- dioses, d’une ferveur baroque, comme se vou- lant aussi les « soldats du Christ », ce François, donc, voilà qu’il se rallie à la branche humble de l’Église, s’associant à la pratique francis- caine, là où pauvreté, simplicité et générosité se veulent des valeurs premières. Et ses premiers gestes posés vont dans ce sens : pas d’étalages rutilants, mais tenue d’un discours à saveur populaire qui s’inscrit dans le langage d’une autre Église, celle que plus d’un a, dans des temps encore récents, dénoncée car dite à gauche, quand les prélats de l’Amé- rique latine tenaient un tel discours. Et ce pape arrive au moment où plus d’un parle d’un déclin de l’Église, même sur le conti- nent qu’on dit souvent le plus catholique du monde : « On compterait de 60 à 65 % de catho- liques en Amérique latine, mais, dans les faits, ceux qui pratiquent sont beaucoup moins nom- breux» , rappelle ainsi André Corten, de l’UQAM, qui souligne aussi que les « fois paral- lèles » sont en nette progression, le pentecô- tisme étant l’une d’elles. Extrémismes Pourtant, depuis longtemps, et en Occident depuis presque l’Inquisition, jamais les reli- gions n’ont joué un aussi grand rôle dans le paysage géopolitique mondial. Et plus d’une guerre voit des extrémistes agir au nom de la foi, pendant que ces mêmes extrémistes dénon- cent, souvent par des actions brutales, ces va- leurs qu’on dit « progressistes » : il n’y a pas que dans le monde arabe où les droits des femmes sont remis en question — il y a plus d’un Har- per qui cause la crainte — et c’est à Paris que le statut homosexuel est prétexte à de vastes ras- semblements populaires. Même un Mathieu Boisvert, fondateur du Centre d’études et de recherches sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora, veut qu’on rééva- lue notre jugement sur la foi bouddhique, car, parlant des Québécois, ne dit-il pas que «le bouddhisme, on n’y touche pas, car il est syno- nyme de paix et de non-violence. Mais, en son nom, à travers le monde, il y a des violences qui se perpétuent. » Civilisations En arriverons-nous ainsi à oublier que les « Églises », de toutes dénominations, de l’or- thodoxe à la judaïque, ont été causes de grandes civilisations et aussi créatrices et dis- pensatrices de connaissances : on visite tou- jours les grands temples et on lit toujours des écrits qui, s’ils parlent d’œcuménisme et de va- leurs, ont aussi été des sources de la connais- sance de notre monde. Mais, au fait d’un « impérialisme » reli- gieux, certains se sentent encore obligés d’agir, des scandales à répétition les autori- sant à le faire, et alors foi et excès de toutes natures sont associés. Et les Églises, même celles s’affichant de li- bération, souffrent de ces erreurs que des écrits, faits au nom d’une foi simple, pourtant jamais ne pouvaient les permettre, encore moins les cautionner. Et qu’un pape veuille prendre ses distances avec le faste de sa propre Église suffira-t-il à faire inverser cette percep- tion qui établit que le fait de croire entraînerait une soumission aux divers pouvoirs en place ? D’autres questions encore : comment aussi admettre que les fidèles d’un même Dieu, eux dont la croyance fait appel à un li- vre premier, même entre eux ne peuvent pas s’entendre ? Et si la foi déplace les mon- tagnes, peut-elle aussi facilement rappro- cher les gens ? Cela étant, tous constatent que, si longtemps on a parlé d’un déclin des Églises, force est maintenant d’admettre qu’il y a un retour vers les valeurs qu’elles défendent, cela étant aussi visible par le nombre de ceux et celles qui se réclament maintenant d’une foi, d’une croyance hier encore souvent remise en question. Qui eût d’ailleurs cru qu’un Poutine aurait un jour agi sous prétexte de protéger contre l’insulte un lieu saint orthodoxe ? Le Devoir Au nom de la foi Il y a longtemps que les religions n’avaient joué un aussi grand rôle dans le paysage géopolitique mondial Le monde chrétien est pluriel en Europe Page 2 RELIGION LA FOI DANS LE MONDE « Il y a naissance d’un nouveau christianisme africain » Page 3 Le Québec affiche son caractère distinct en matière religieuse Page 5 CAHIER THÉMATIQUE H › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 3 0 E T D I M A N C H E 31 M A R S 2 01 3 TRA BRANCHÉ . CERTIFICAT À DISTANCE EN THÉOLOGIE Formation fondamentale en théologie Adapté aux besoins personnels et professionnels Branché sur les besoins de la société ftsr.ulaval.ca 418 656-2764, poste 5025 1 877 893-7444, poste 5025 CERTIFICAT À DISTANCE EN SCIENCES DES RELIGIONS JACQUES NADEAU LE DEVOIR Une croix dans un cimetière en Gaspésie FRANÇOIS PESANT LE DEVOIR La mosquée Bait’ul à Toronto NEWSCOM Le rouleau de Torah est le manuscrit le plus saint et le plus révéré du judaïsme. COLLECTION CITÉ DU VATICAN Le Thanka représente habituellement des mandalas ou des divinités du bouddhisme tibétain.

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Page 1: RELIGION - Le Devoir...RELIGION H 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 30 ET DIMANCHE 31 MARS 2013 FLORENCE SARA G. FERRARIS Il y a des personnalités qui pensent. Il en est d’autres qui ont

Il y a l’islam. Il y a le judaïsme. Il y a ce boud-dhisme venu de l’Asie. Et plus près de nous,quand il est question de foi, il y a ce christia-nisme qui se conjugue maintenant sous plusd’une appellation, en ce temps où émergentde nouvelles Églises. Et, au nom de la foi, cer-tains agissent, étant plus que de simples ac-teurs d’un prosélytisme de bon ton : les extré-mismes religieux expliquent des catastrophesqui ne sont en rien naturelles.

N O R M A N D T H É R I A U L T

L’ Église catholique s’est donné unnouveau pape. Et ce François,même s’il est issu de cette confré-rie jésuite qui a longtemps prêchéla gloire de Dieu, faisant même éta-

lage dans le passé, par ses monuments gran-dioses, d’une ferveur baroque, comme se vou-lant aussi les « soldats du Christ », ce François,donc, voilà qu’il se rallie à la branche humblede l’Église, s’associant à la pratique francis-caine, là où pauvreté, simplicité et générositése veulent des valeurs premières.

Et ses premiers gestes posés vont dans cesens : pas d’étalages rutilants, mais tenue d’undiscours à saveur populaire qui s’inscrit dans lelangage d’une autre Église, celle que plus d’una, dans des temps encore récents, dénoncéecar dite à gauche, quand les prélats de l’Amé-rique latine tenaient un tel discours.

Et ce pape arrive au moment où plus d’unparle d’un déclin de l’Église, même sur le conti-nent qu’on dit souvent le plus catholique dumonde : « On compterait de 60 à 65% de catho-

liques en Amérique latine, mais, dans les faits,ceux qui pratiquent sont beaucoup moins nom-breux » , rappelle ainsi André Cor ten, del’UQAM, qui souligne aussi que les « fois paral-lèles » sont en nette progression, le pentecô-tisme étant l’une d’elles.

ExtrémismesPourtant, depuis longtemps, et en Occident

depuis presque l’Inquisition, jamais les reli-gions n’ont joué un aussi grand rôle dans lepaysage géopolitique mondial. Et plus d’uneguerre voit des extrémistes agir au nom de lafoi, pendant que ces mêmes extrémistes dénon-cent, souvent par des actions brutales, ces va-leurs qu’on dit «progressistes» : il n’y a pas quedans le monde arabe où les droits des femmes

sont remis en question — il y a plus d’un Har-per qui cause la crainte — et c’est à Paris que lestatut homosexuel est prétexte à de vastes ras-semblements populaires.

Même un Mathieu Boisvert, fondateur duCentre d’études et de recherches sur l’Inde,l’Asie du Sud et sa diaspora, veut qu’on rééva-lue notre jugement sur la foi bouddhique, car,parlant des Québécois, ne dit-il pas que « lebouddhisme, on n’y touche pas, car il est syno-nyme de paix et de non-violence. Mais, en sonnom, à travers le monde, il y a des violences quise perpétuent. »

CivilisationsEn arriverons-nous ainsi à oublier que les

« Églises », de toutes dénominations, de l’or-

thodoxe à la judaïque, ont été causes degrandes civilisations et aussi créatrices et dis-pensatrices de connaissances : on visite tou-jours les grands temples et on lit toujours desécrits qui, s’ils parlent d’œcuménisme et de va-leurs, ont aussi été des sources de la connais-sance de notre monde.

Mais, au fait d’un « impérialisme » reli -gieux, cer tains se sentent encore obligésd’agir, des scandales à répétition les autori-sant à le faire, et alors foi et excès de toutesnatures sont associés.

Et les Églises, même celles s’affichant de li-bération, souf frent de ces erreurs que desécrits, faits au nom d’une foi simple, pourtantjamais ne pouvaient les permettre, encoremoins les cautionner. Et qu’un pape veuilleprendre ses distances avec le faste de sa propreÉglise suffira-t-il à faire inverser cette percep-tion qui établit que le fait de croire entraîneraitune soumission aux divers pouvoirs en place?

D’autres quest ions encore : commentaussi admettre que les fidèles d’un mêmeDieu, eux dont la croyance fait appel à un li-vre premier, même entre eux ne peuvent pass’entendre ? Et si la foi déplace les mon-tagnes, peut-elle aussi facilement rappro-cher les gens ?

Cela étant, tous constatent que, si longtempson a parlé d’un déclin des Églises, force estmaintenant d’admettre qu’il y a un retour versles valeurs qu’elles défendent, cela étant aussivisible par le nombre de ceux et celles qui seréclament maintenant d’une foi, d’une croyancehier encore souvent remise en question. Quieût d’ailleurs cru qu’un Poutine aurait un jouragi sous prétexte de protéger contre l’insulteun lieu saint orthodoxe?

Le Devoir

Au nom de la foiIl y a longtemps que les religions n’avaient joué un aussi grand rôle dans le paysage géopolitique mondial

Le mondechrétien estpluriel en EuropePage 2

RELIGIONLA FOI DANS LE MONDE

«Il y a naissanced’un nouveauchristianismeafricain» Page 3

Le Québec afficheson caractèredistinct en matièrereligieuse Page 5

C A H I E R T H É M A T I Q U E H › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 0 E T D I M A N C H E 3 1 M A R S 2 0 1 3

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CERTIFICAT À DISTANCEEN SCIENCES DES RELIGIONS

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Une croix dans un cimetière en GaspésieFRANÇOIS PESANT LE DEVOIR

La mosquée Bait’ul à TorontoNEWSCOM

Le rouleau de Torah est le manuscrit le plus saintet le plus révéré du judaïsme.

COLLECTION CITÉ DU VATICAN

Le Thanka représente habituellement des mandalasou des divinités du bouddhisme tibétain.

Page 2: RELIGION - Le Devoir...RELIGION H 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 30 ET DIMANCHE 31 MARS 2013 FLORENCE SARA G. FERRARIS Il y a des personnalités qui pensent. Il en est d’autres qui ont

R E L I G I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 0 E T D I M A N C H E 3 1 M A R S 2 0 1 3H 2

F L O R E N C E S A R A G . F E R R A R I S

I l y a des personnalités quipensent. Il en est d’autres

qui ont marqué leur temps ettraversé les siècles . Et tous ettoutes sont cependant confron-tés à cette simple question,mais aux réponses multiples :fo i e t r e l ig ion son t - e l l es facilement conciliables?

Pour parler de DieuÉcrit sous la forme de brefs

entretiens, cet ouvrage pré-sente le rapport qu’entretien-nent une vingtaine de person-nalités avec Dieu. Athées,croyants, pratiquants ou non,tous se sont prêtés au jeu deBertrand Révillion, philosophe,journaliste et diacre catholique.Les rencontres choisies ont eulieu de 2003 à 2010, rassem-blées sous une seule couver-ture, et sont celles qui ont leplus marqué ou touché l’auteur.On retrouve, entre autres,l ’écr ivain Éric -EmmanuelSchmitt, le moine Jean-PierreLongeat et le journaliste PatrickDe Carolis. Autant de dialoguesqui ont permis à l’auteur de sequestionner lui-même sur sapropre relation avec Dieu.

CONVERSATIONSSPIRITUELLESBertrand RévillionMédiaspaulMontréal, 2012, 237 pages

Il était une fois...Plus près du roman histo-

rique que de la biographie, cetouvrage se veut tout de mêmeune présentation — voire unereconstruction — de la vied’Hildegarde de Bingen. Qua-trième femme à avoir reçu le ti-tre de docteur de l’Église, elleest considérée comme une

« mystique étonnante ». Sa vie,rassemblée par la moniale Adé-laïde, qui vécut à ses côtés unebonne partie de sa vie, est pré-sentée comme une histoire. Lelecteur est ainsi invité à se plon-ger dans la vie d’Hildegarde,qui fut, ainsi apparaît-elle, l’amiedes reines et des empereurs deson époque et une femmeconsidérablement en avancesur son temps.

HILDEGARDE DE BINGENLA PUISSANCE ET LA GRÂCELucia TancrediNouvelle CitéDomaine d’Arny, 2012, 220 pages

Le choc des idéesSi les réponses se fracassent

par leur dif férence, les ques-tions qui sous-tendent la reli-gion et la science sont siproches que la ligne entre lesdeux semble parfois difficile àtracer. C’est à cet exercice quele biologiste Cyrille Barrette etle jésuite Jean-Guy Saint-Ar-naud se sont prêtés au coursd e l a d e r n i è r e a n n é e .Construite autour des grandesquestions philosophiques, lacorrespondance qui en a ré-sulté est présentée dans cetouvrage. Les deux hommesn’arrivent pas à un consensus,mais leurs réponses respec-tives, scientifiques ou théolo-giques, plongent le lecteurdans un débat qui perdure de-puis des siècles.

LETTRES OUVERTESCORRESPONDANCE ENTREUN ATHÉE ET UN CROYANTCyrille Barrette et Jean-Guy Saint-ArnaudMédiaspaulMontréal, 2013, 276 pages

Le Devoir

ÉDITION

Concilier foi et religion

Comment se por te la chré-tienté en Europe occiden-tale à travers ses multiples al-légeances ? Quels change-ments a-t-elle subis au fil dutemps ? Et de quelle manièrele message du nouveau souverain pontife sera-t-il entendu par les Occidentauxdu Vieux Continent ? La pa-role est donnée au doyen dela Faculté de théologie et desciences religieuses de l’Uni-versité Laval, Gilles Routhier.

T H I E R R Y H A R O U N

«On parle de l’Europe occi-dentale comme s’il s’agis-

sait d’un ensemble homogènequand on pense à l’Union euro-péenne. Alors que, du point devue religieux, les histoires sont as-sez différenciées», lance d’entréede jeu Gilles Routhier, qui divisecette partie du Vieux Continenten trois blocs: le nord, le centre(ou ce qu’il nomme «mixte») etle sud, pour ne pas dire la partieméditerranéenne.

Du sud au nordCommençons par le sud. « Il

y a un pays comme l’Italie, parexemple, qui a déjà été régi parun concordat, qui reconnaissaitun statut spécial à la religioncatholique et qui, avec le temps,a été touché par les mouve-ments de la Réforme auXVIe siècle. L’Espagne et le Por-tugal sont deux autres pays oùil y avait un concordat jusquedans les années 1960 et où

aussi la religion catholique bé-néficiait d’un statut spécial et aété relativement peu touchéepar la Réforme.»

On rappellera que la Réformeest un mouvement religieux qui,au XVIe siècle, a donné nais-sance en Europe aux Églisesprotestantes, les trois grandesfamilles étant les Églises angli-canes, calvinistes et luthé-riennes. On poursuit avec le pro-fesseur Routhier. «Puis, il y al’Europe mixte. C’est-à-dire que laFrance a aussi été touchée par laRéforme et par d’autres change-ments aux XVIIIe et XIXe siècles;je pense ici à la séparation del’Église et de l’État ainsi qu’aumouvement de la laïcité, qui n’apas la même histoire que dansd’autres pays. À la France, il fautajouter l’Allemagne, où les parti-sans de la Réforme se sont bienétablis dans les régions du nord etde l’est. Pour ce qui est de la Belgique, elle est un peu commela France à ce titre, mais avecquelques différences.»

Et, plus dans le nord de l’Eu-rope, « la Réforme luthériennea été la religion of ficiellejusqu’à tout récemment dansdes pays comme le Danemark,

la Suède et la Norvège ». Celaétant dit, si le statut des reli-gions était « assez dif férencié »en Europe occidentale, fait re-marquer Gilles Routhier, « lagrande nouveauté au XXe siè-cle, c’est que ce qui divisait

l’Europe sur le plan religieuxs’est beaucoup apaisé grâce aumouvement œcuménique, par-ticulièrement lors de la secondemoitié du XXe siècle».

En d’autres mots, malgré lesnombreuses allégeances qu’onretrouve au sein de la chré-tienté encore aujourd’hui, noteM. Routhier, ces dif férences«ne conduisent plus à l’opposi-tion et au développement séparéqu’on a connus à par tir duXVIe siècle jusqu’au milieu duXXe siècle. Par exemple, les Vau-

dois n’étaient pas beaucoup tolé-rés en Italie. Les protestantsn’étaient pas tolérés en Espagnejusque dans les années 1950.»

Des différences qui doiventêtre vues comme une ri-chesse ? « Oui, tout à fait. Jevous dirais qu’elles ne sont pasmoins [prononcées], sauf queça compte moins dans la défini-tion de l’identité des personnes»,affirme Gilles Routhier.

L’Église et l’ÉtatQu’en est-il de la séparation

de l’Église et de l’État dans lespays de l’Europe occidentale ?«Je pense qu’on vit partout dansdes régimes de séparation del’État et de l’Église, ce qui n’em-pêche pas, par contre, quel’Église ait une influence sur lasociété, que ce soit en Alle-magne, en Italie, dans les paysdu Nord et diversement enFrance suivant les régions», faitvaloir M. Routhier, qui donneen exemple la région de l’Al-sace-Lorraine. «Là, les facultésde théologie sont dans les uni-versités d’État, ce qu’on ne re-trouve pas ailleurs en France,en Belgique, en Suisse ou enItalie. Si vous allez à l’Univer-sité de Strasbourg, vous y re-trouverez une faculté de théolo-gie catholique et une faculté dethéologie protestante qui sontsubventionnées par l’État !»

Un nouveau papeUn mot sur l’élection du nou-

veau pape François s’imposait.En cela, de quelle manière sonmessage sera-t-il entendu enEurope occidentale ? « Il seraentendu à partir de préoccupa-tions dif férentes. Par exemple,pour les anglicans, le dialogueavec les catholiques est quelquechose d’impor tant. » Par ail-leurs, selon Gilles Routhier, le

message du papeFrançois pourraitmême plaire aux indi-gnés, à cette jeunessepor tugaise, espa-gnole, grecque et ita-lienne qui est auxprises avec un tauxde chômage de 25 % :«Quand il était en Ar-gentine, le pape étaitun indigné. Pas un in-

digné qui a pris la rue, maisqui a transformé son indigna-tion en solidarité en visitant lesbanlieues pauvres. Son expé-rience et son parcours sontproches de ces indignés.»

Dans une perspective pluslarge, Gilles Routhier penseque le pape François donneraà l’Église de l’Europe occiden-tale « une crédibilité qui est entrain de lui manquer».

CollaborateurLe Devoir

EUROPE

Le monde chrétien affiche sa pluralité« Ce qui divisait l’Europe s’est beaucoup apaisé grâce au mouvement œcuménique »

CRISTINA QUICLER AGENCE FRANCE-PRESSE

Une procession lors de la Semaine sainte à Séville, le 24 marsdernier. En Espagne, la religion catholique a longtemps bénéficiéd’un statut spécial.

Malgré les nombreuses allégeancesque l’on retrouve au sein de la chrétienté encore aujourd’hui,ces différences «ne conduisentplus à l’opposition»

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R E L I G I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 0 E T D I M A N C H E 3 1 M A R S 2 0 1 3 H 3

L’Afrique, en matière de religions, c’est beau-coup plus que le christianisme dans un axegéographique circonscrit et l’islam dans l’au-tre. Ces deux grandes confessions évoluentsur le même terrain en maints endroits et il ya aussi les diverses factions concurrentiellesqui se retrouvent au sein de ces deux grandspôles religieux. Il y a, de surcroît, les reli-gions traditionnelles qui perdurent, dontl’existence est menacée, mais qui donnentnaissance à d’autres Églises. Et quoi encoredans cette fourmilière des croyances ?

R É G I N A L D H A R V E Y

«C’ est sûrement le continent le plus intéres-sant à l’heure actuelle, du point de vue

de la géographie des religions, parce que c’estl’endroit où ça bouge le plus dans le monde »,lance Frédéric Castel, docteur en sciences desreligions et chargé de cours aux Départementsde sciences des religions et de géographie del’UQAM. Et pour quelles raisons? «Ailleurs surla planète, cette géographie ne bouge à peu prèsplus ; il est vrai qu’il y a plus de pentecôtistes enAmérique, mais, les chrétiens étant des chrétiens,la situation demeure stable de ce côté ; onconnaît aussi celle de l’Europe et de l’Asie, quiest similaire. En Afrique, il y a du mouvement,parce que c’est là qu’on retrouve le plus grandnombre de gens qui pratiquent encore des religions traditionnelles. »

Ils sont environ 10 % à adhérer à celles-ci :« Comme il ne s’agit pas de religions hégémo-niques, les missionnaires musulmans qui descen-dent vers le sud grugent sur ces religions-là etceux d’obédience chrétienne qui montent vers lenord grugent dans l’espace de transition entre lesdeux, dans celui qui existe entre musulmans etchrétiens. » Il en découle cette réalité crue : «Cesreligions traditionnelles sont en perte de vitesseet c’est comme une peau de chagrin qui fondcomme du beurre au soleil. »

Il apporte cet éclairage sur la mouvance ac-tuelle des courants religieux : «Dans les quatrebranches du christianisme en présence, catho-lique, protestante traditionnelle, évangélique etafricaine, il y a de la concurrence entre elles enallant vers le nord ; à la longue, elles se nuisent.On observe la même chose du côté musulman :l’islam traditionnel, les confréries soufies, leschiites et les wahhabites forment des groupes in-compatibles qui se font la guerre entre eux. Enfait, ce sont les missionnaires chrétiens qui s’af-frontent entre eux et il en va de même chez lesmusulmans ; imaginez sur quel terrain de jeufascinant ils évoluent, pour cette raison. »

D’une sous-région à l’autreReligions chrétienne, musulmane et tradi-

tionnelle cohabitent donc en Afrique : « C’estl’un des rares endroits dans le monde où il y atrois joueurs », soutient Frédéric Castel, avantde ser vir de guide sur le terrain pour voir comment ceux-ci y évoluent : « Dans presquetous les pays de l’Afrique du Nord, l’islam est pré-

sent à plus de 90%; ça ne bouge plus parce qu’iln’y a plus grand monde à convertir, même s’ilreste une poche de coptes et de chrétiens enÉgypte. Du côté du Maghreb subsistent quelquespetites missions chrétiennes qui sont en progres-sion, mais c’est plutôt minime.»

Il se produit tout de même un brassage idéolo-gique en ces lieux: «On assiste à un débat de so-ciété, à savoir si on va mettre la charia dans laConstitution ou si, au contraire, on va aller du côtéde la laïcité; c’est un enjeu politique qui fait l’objetd’échanges qui durent depuis plusieurs années; cephénomène s’est cristallisé et est devenu connu enOccident avec le printemps arabe. Plus on avancedans le temps, plus ce débat-là est exacerbé au mo-ment où les extrêmes se rencontrent; il est politiqueet ne relève pas des conversions religieuses.»

L’islam est également présent ailleurs : « Onle rencontre surtout en Afrique de l’Ouest, soit auSénégal, au Mali, au Sahel, dans la corne del’Afrique et sur la côte longeant l’océan Indien.En fait, dans l’Afrique qu’on appelle subsaha-rienne, il y a autour de 60 % de chrétiens, 30 %de musulmans et 10% de gens adhérant à des re-ligions traditionnelles. » Il y a là une nette crois-sance du christianisme depuis une centained’années : «Dans le contexte de l’élection du nou-veau pape, on se rend compte que l’Église catho-lique n’est pas très for te en Occident mais, enAfrique, détrompons-nous, tout va très bien et, enl’espace de 20 ans, elle a vu ses effectifs croître de150 %, ce qui représente sa meilleure per for-

mance à travers le monde ; il y a des conversionsen progression de mois en mois, on assiste à l’ouverture de nouvelles paroisses et des voca-tions de prêtre se manifestent. »

Un triangle plutôt harmonieuxLes autres églises chrétiennes ne sont pas en

reste : «De telle sorte qu’il y avait seulement unfaible pourcentage de chrétiens en Afrique subsa-harienne il y a un siècle et que maintenant on enest rendu à 60%, ce qui illustre une progressionhyperrapide. » Et qu’en est-il de la coexistencepacifique entre les religions dans cet ensembleafricain? «La mixité a donné deux résultats : il ya plutôt une cohésion sociale malgré tout et le climat est plutôt serein. Par contre, dans d’autrespays, comme le Nigeria et le Soudan, cette mixitéa produit l’ef fet contraire, sous l’influence degroupes islamistes militants ; il en a résulté dessociétés qui se sont fracturées, de sorte qu’on peutparler d’un Nigeria du nord musulman et d’unNigeria du sud chrétien. Il en va de même auSoudan, où le clivage a pris des propor tions tellement grandes qu’il a donné naissance, il y a environ un an, à un nouveau pays, qui est leSoudan du Sud.»

Il résume : « La mixité a produit deux résul-tats : soit il existe une cohésion très sereine destrois groupes religieux, en vertu de laquelle lesgens n’éprouvent pas trop de problèmes à vivredans la pluralité, surtout dans l’ouest ; soit il s’estproduit un ef fet contraire dans les deux cas que

j’ai déjà mentionnés. Je dirais que, dans la mesure où les religions se sont africanisées aussibien du côté de l’islam que du christianisme, lesforces locales font en sorte que ça se passe bien.En d’autres termes, la pluralité va très bien, àcondition qu’il n’y ait pas trop d’ingérence internationale et que les politiciens locaux n’instrumentalisent pas les religions. »

Pour autant, l’Afrique est-elle rongée par lefanatisme ? Frédéric Castel est convaincu quenon : « Au contraire. Si on trace un paysage global, la pluralité religieuse laissée à elle-mêmese porte très bien en général. Dans les endroitsspécifiques où les missionnaires internationauxjouent à fond les missions, il y a une dégradationde la situation, comme on l’a vu au Nigeria, auSoudan et, ces derniers temps, au Mali ; on assiste à l’ef fet de l’international et de groupesqui veulent gagner des conversions à tout prix. »

Et, pour couronner le sujet d’un monde religieux déjà complexe, il mentionne quel’Afrique est présentement témoin de l’émer-gence de plusieurs Églises qui ne sont ni catho-liques ni protestantes, mais qui sont africaines :« Il y a la naissance d’un nouveau christianismequ’on pourrait appeler “ africain ”. S’il est vraijusqu’à un certain point que l’Occident a chris-tianisé l’Afrique, celle-ci africanise maintenantbeaucoup le christianisme.»

CollaborateurLe Devoir

AFRIQUE

Entre islam et chrétienté, les religions traditionnelles subsistent« Il y a la naissance d’un nouveau christianisme qu’on pourrait appeler “ africain ”»

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Religions chrétienne, musulmane et traditionnelle cohabitent en Afrique. Cette mixité a eu des ef fets de cohésion sociale dans certains pays, tandis quedans d’autres cela a contribué à la fracturation de la société.

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Le bouddhisme a plus d’un visageLa recherche du bonheur national au Bhoutan passe par un « nettoyage ethnique »

B E N O I T R O S E

«M oi, j’ai l’impressionque le Bhoutan s’est

grandement inspiré de l’histoiredu Népal», nous dit d’entrée dejeu Mathieu Boisvert, profes-seur au Dépar tement desciences des religions del’UQAM. Il est aussi le fonda-teur du Centre d’études et derecherches sur l’Inde, l’Asie duSud et sa diaspora (CERIAS).« La politique du bonheur national brut (BNB), mise del’avant of ficiellement à partirdes années 1990, s’appuie surun genre de devise qui dit “Onenation, one people ”. Ce mêmeslogan avait été utilisé au Né-pal, au début du XXe siècle,pour créer une cer taine unitédans un pays himalayen extrê-mement diversifié en matière degroupes ethnoreligieux.»

Nobles principesEn principe, les quatre piliers

à la base de ce BNB sont no-bles: ce sont le développementdurable, la préservation de laculture, la conservation de la na-ture et la bonne gouvernance.Or en quoi peut consister exac-tement cette «culture» à proté-ger dans un pays aussi diversifiéque le Bhoutan? En effet, plusd’une vingtaine de groupes eth-niques distincts peuplent leroyaume, dont les frontièressont historiquement poreuses.S’ils sont, dans leur grande ma-jorité, d’allégeance bouddhistesous dif férentes formes,

quelques-uns ont une orienta-tion religieuse pouvant être qua-lifiée de « chamanique », ex-plique le professeur. «Ni boud-dhistes, ni hindoues, ce sont desreligions autonomes et autoch-tones himalayennes.»

Il y avait aussi jusqu’à récem-ment les nombreux habitantsnépalophones et hindouistes duTeraï, cette région humide etchaude au sud, que le gouver-nement a dénommés l es Lhotsampas à partir de 1985.C’est cette même année que futadoptée au pays la loi sur la na-tionalité, qui a redéfini les cri-tères d’obtention du statut decitoyen et provoqué une reclas-sification des résidants. Cettelégislation a pu transformer lestatut d’un citoyen en celui d’unnon-ci toyen, soul ignaientM. Boisvert et sa collègue Béa-trice Halsouet, étudiante audoctorat, dans un article paruen septembre 2011 dans le sitedu quotidien français Le Monde.Dès lors, ne sera plus nécessai-rement bhoutanais qui l’était.

Et c’est la culture des Bho-tias, l’ethnie bouddhiste au pou-voir depuis l’installation de lamonarchie en 1907, qui sera im-posée comme culture nationaleau tournant des années 1990,explique le professeur. Une ma-nœuvre drastique qui se tradui-sit notamment par l’interdictionde pratiques hindoues dans leslieux publics, la destruction detemples hindous et la ferme-ture d’écoles népalophones. Onira jusqu’à brûler des livres

écrits en népali et à imposer dumême coup le dzonkha commelangue nationale. Des manifes-tations furent durement répri-mées et près de 100 000 Lhot-sampas se retrouvèrent rapide-ment dans des camps de réfugiés au sud-est du Népal.

M. Boisvert qualifie cet épi-sode de «nettoyage ethnique» dela part du gouvernement. Mais,souligne-t-il, dans des conflitsreposant sur des identités col-lectives, la religion est souventutilisée comme carburant pourmobiliser ou polariser. «Dans cecas-ci, le pouvoir l’utilise en affir-mant [fermement] que le Bhou-tan est un pays bouddhiste, etc’est bien entendu l’école à la-quelle appartient la monarchiequi est mise de l’avant. Et, si on

regarde la mise en marché del’image du pays à l’échelle inter-nationale, c’est toujours uneimage bouddhiste. En fait, leBNB est intimement lié à cettereligion, et ça nous rejoint parti-culièrement en Occident.»

La réalité de cette violencepolitique, peu médiatisée,ébranle la perception quelquepeu idéalisée d’un cer tain bouddhisme himalayen, véhicu-lée aujourd’hui par des autori-tés bhoutanaises soucieuses defaire rêver les étrangers. «Pournous, le bouddhisme, ce n’est pasune religion, observe le profes-seur. C’est une philosophie. C’estle dalaï-lama. Je ne veux pasparler contre lui, simplement, onse fait une image du personnagequi n’est pas représentative duTibet. C’est un individu à une

époque bien donnée qui génèreune image généralisée sur unpays, qui, à l’intérieur de son histoire, a eu des phases extrême-ment barbares ou belligérantes.»

L’autre bouddhismePour celui qui s’intéresse par-

ticulièrement à l’articulation dureligieux sud-asiatique avec lessphères politiques et sociales,nous tombons, en Occident,dans la production d’une imageinadéquate du bouddhisme.Alors que, au Québec, nousnous montrons très fiers denous être affranchis du catholi-cisme, « le bouddhisme, on n’ytouche pas, car il est synonymede paix et de non-violence, dit-ilen caricaturant le commun desmortels. Mais, en son nom, à

travers le monde, il y ades violences qui seperpétuent.»

Il évoque le conflitau Sri Lanka entre lesCinghalais, majoritai-rement bouddhistes,et les Tamouls, princi-palement hindouistes.Mais il raconte égale-

ment comment l’hindouismed’extrême droite en Inde peutaussi manipuler la religioncontre les musulmans, commeen a témoigné la destruction dela mosquée d’Ayodhya il y a 20ans. «On va mobiliser les gensavec des histoires à coucher de-hors, qui ne tiennent pas debout.On s’approprie des éléments mythologiques en leur donnantune réalité historique, et tout çaes t u t i l i sé comme vec teur politique et identitaire pour mobiliser des populations.»

Le pouvoir bhoutanais nesemble pas en reste. « Il y a cepersonnage fondateur mythiquedu moine Shabdrung NgawangNamgyal, qui aurait été chassédu Tibet avant d’arriver auBhoutan au XVIIe siècle. C’est àpartir de lui qu’on fait émaner

cette fameuse culture bhouta-naise, qu’il aurait jadis codifiée.C’est comme si les autorités envenaient à légitimer ces bases-làen af firmant : “ Voyez, ça vientdu grand sage qui avait déjàsongé le Bhoutan. ” Si on ob-serve aujourd’hui les manuelsscolaires, c’est ce qu’apprennentles enfants. Ça fait des décen-nies que la monarchie œuvreainsi à la formation d’une iden-tité nationale.»

Depuis le triste chapitre desannées 1990, les choses se se-raient beaucoup améliorées auBhoutan, nous dit MathieuBoisvert. « La femme du nou-

veau roi serait très favorable àl’hindouisme, dit-on. » Mais,pour celui qui a visité lescamps de réfugiés au Népal, letor t est déjà fait. Après être demeurés pas moins de 20 ansdans ces camps, les 100 000Lhotsampas sont aujourd’huimajoritairement « relocalisés »ailleurs sur la planète. Certainsse retrouvent même à Saint-Jé-rôme, à Joliette, à Sherbrookeet à Québec, où ils commen-cent une nouvelle vie loin du«bonheur national brut».

CollaborateurLe Devoir

Situé à cheval entre l’Inde et la Chine (Tibet), le petit royaumedu Bhoutan étonne l’Occident par sa politique du bonheur national brut, mise de l’avant au début des années 1990.Mais, au-delà de notre image d’un bouddhisme himalayen prô-nant la paix et la non-violence, se trouve un pouvoir bhouta-nais qui a su jouer avec la religion et la mythologie à des finspolitiques. Non sans violence.

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La réalité de cette violence politique,peu médiatisée, ébranle laperception quelque peu idéaliséed’un certain bouddhisme himalayen

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L’Amérique du Nord demeure dans son ensemble une contrée fondamentalement reli-gieuse et essentiellement chrétienne. Portraitdes religions de l’Amérique du Nord et survolde leur évolution avec David Koussens, professeur en sociologie des religions à la Faculté de théologie et études religieuses del’Université de Sherbrooke.

P I E R R E V A L L É E

Quelques chiffres d’abord pour brosser le ta-bleau. «Le Canada est essentiellement chré-

tien, puisqu’on y dénombre environ 13 millions decatholiques et 10 millions de chrétiens d’autres ap-partenances, comme les différentes religions pro-testantes.» Fait à noter, environ cinq millions deCanadiens déclarent n’avoir aucune apparte-nance religieuse.

On remarque le même phénomène aux États-Unis, dont environ 75 % de la population est deconfession chrétienne. La religion catholiquereprésente l’Église la plus importante avec sesquelque 65 millions de fidèles, mais la vaste ma-jorité des Américains sont protestants. «Commeil n’y a pas de religion d’État, aucune ne peut do-miner. C’est ce qui a mené à un protestantismetrès diversifié et très décentralisé. Il n’y a pas dehiérarchie dans le protestantisme et l’institutionde référence est souvent le temple local.»

Quant au Mexique, c’est la religion catholiquequi domine largement, puisque c’est le choix deplus de 80% des Mexicains. «Mais le protestan-tisme y fait des gains, comme il en fait présente-ment dans certains pays d’Amérique latine.»

La société distincteAu Québec, ce sont six millions de personnes

qui s’identifient toujours à la religion catho-lique. Malgré ce nombre, force est de constaterque la pratique religieuse catholique est forte-ment en déclin. «Les Québécois s’identifient tou-jours en aussi grand nombre à la religion catho-lique, parce qu’elle fait partie du patrimoine cul-turel du Québec, mais la pratique dominicale aconsidérablement baissé. Par contre, certainespratiques religieuses demeurent, comme le bap-tême, le mariage et les funérailles. De plus, l’af-fluence à l’église augmente à Pâques et à Noël. »

Cette situation s’explique essentiellement par lasécularisation de la société québécoise. «La sécu-larisation, amorcée avec la Révolution tranquille,a fait en sorte que la religion catholique ne pouvaitplus régir les comportements de la vie privée despersonnes comme elle l’avait fait auparavant.»

Ce recul de la présence du catholicisme dansla vie des personnes s’est traduit par une baissede la pratique religieuse. Un fait unique au Qué-bec. «Toutes les sociétés occidentales ont connuun degré de sécularisation, mais ici, au Québec,cela s’est fait de façon soudaine et rapide, en unedizaine d’années. Aucune autre société en Amé-rique du Nord n’a vécu cela. Par exemple, au Ca-nada anglais, où la sécularisation s’est produitede façon plus progressive, la pratique religieusedemeure aujourd’hui plus élevée qu’au Québec.»

Cette sécularisation propre au Québec

explique en partie, selon David Koussens, la dif-ficulté qu’éprouvent certains Québécois enversles religions dont l’expression est plus ortho-doxe. «Ce sont souvent des groupes religieux issusde l’immigration qui expriment leur apparte-nance religieuse de façon plus appuyée. C’est lecas par exemple du voile islamique. Les Québé-cois sont méfiants devant pareil phénomène, maiscette méfiance repose sur leur propre rapport aureligieux. Qu’une religion puisse encore régir lescomportements leur est incompréhensible.»

Le point de basculeMalgré les différences entre les sociétés qui

composent l’Amérique du Nord, un fait de-meure. « La très grande majorité des personnesont la foi, dans le sens où elles croient à un Dieude quelque sorte. C’est ce que démontrent les en-quêtes. Mais cette foi ne se traduit pas nécessaire-ment en religieux, elle relève plutôt du spirituel. »

C’est qu’il s’est produit un point de basculeen Amérique du Nord. «Auparavant, la valida-tion du croire était institutionnelle. Les véritésauxquelles il fallait adhérer étaient dictées uni-quement par les différentes religions. Le bascule-ment est survenu lorsque cette validation est pas-sée de l’institutionnel au mutuel. Aujourd’hui,c’est plutôt l’individu qui valide le croire. Les religions proposent des vérités, mais l’individuest libre de choisir lesquelles de ces vérités ont dusens dans sa vie. Et, pour l’individu, il n’y a paslà de contradiction, là où le dogme en verrait.Par exemple , on peut ê tre chrét ien touten fréquentant un centre de yoga, où on se fami-

liarisera avec cer tains des principes de l’hin-douisme. Aujourd’hui, l’individu choisit la véritéqui est bonne pour lui. »

Religion à la carteCe qui mène aujourd’hui les Nord-Américains

de plus en plus vers une religion à la car te.« Vous pouvez vous identifier à une religion enpar ticulier tout en réfutant cer taines vérités proposées par cette dernière parce qu’elles ne vousconviennent pas. Tout comme vous pouvez puiserdans une autre religion des vérités qui ont un senspour vous. Aujourd’hui, de plus en plus de per-sonnes construisent ainsi leur propre spiritualité.»

Ce qui entraîne un corollaire. « Les religionssont donc mises en concurrence et il existe main-tenant un marché du religieux. Les religions sonttenues d’of frir des vérités dont le sens est appro-prié et ciblé selon la clientèle recherchée. Et lesreligions les plus performantes seront celles dontl’of fre est en adéquation avec le plus grand nombre de gens et qui ainsi peuvent attirer da-vantage de fidèles. C’est le cas du protestantisme,qui fait maintenant des adeptes dans des pays oùle catholicisme a toujours dominé. C’est que leprotestantisme est moins austère et s’adapte davantage à la modernité. Par exemple, il esttrès présent dans les médias, notamment à la télévision. Il organise des concerts de rock, bref,il est en mesure de mettre en place des pratiquescapables d’attirer à lui de nouveaux fidèles. »

CollaborateurLe Devoir

AMÉRIQUE DU NORD

Le Québec affiche son caractère distincten matière religieuse« Aujourd’hui, l’individu choisit la vérité qui est bonne pour lui »

F L O R E N C E S A R A G . F E R R A R I S

Plus d’un débat anime l’Église catholique. Etcelui qui, hier encore, était pape fut d’abord

un théologien qui professait l’œcuménismecomme une vertu. Mais il y a plus que cela qui intervient dans l’univers théologique. S’il y a tou-jours des valeurs chrétiennes à présenter, commeà défendre, d’autres enjeux demeurent d’actua-lité: la place des femmes est l’un de ceux-là.

La place des femmesLa place des femmes au sein de l’Église ali-

mente de plus en plus les débats — autantpar mi les ecc lés iast iques que chez les néophytes religieux. Dans son quatrième ouvrage, la bibliste Anne Soupa invite le lecteurà faire une incursion spirituelle et à se penchersur cette épineuse question en faisant un survoldes présences féminines dans la Bible, voiredans l’histoire chrétienne. Égalité devant Dieu,remise en question du rôle traditionnel desfemmes, sexualité et maternité sont autant desujets abordés par l’auteure, qui tente de comprendre l’urgence du débat actuel.

DIEU AIME-T-IL LES FEMMES?Anne SoupaMédiaspaulParis, 2012, 141 pages

Mémoire de papeUtiliser ce qui nous sépare pour nous unir.

C’est le chemin que Benoît XVI désire voir emprunté par les civilisations modernes. Ainsi,selon l’ancien pape, le lent déclin de l’Occident,le choc des cultures et la montée technologiquedevraient servir à favoriser le rapprochementdes peuples — toutes religions confondues. Cetouvrage présente une synthèse de la vision dumonde de Benoît XVI construite par StéphaneBürgi, professeur d’études religieuses à l’Université de Sherbrooke. Un survol qui tentede mettre en perspective la perception du papeau crépuscule de son règne papal.

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À la rencontre de l’archevêque de Montréal

Aimer son prochain, tendre la main au suivant… Les assises de la pensée et de la viechrétiennes, maintes fois galvaudées, sont re-présentées dans cet ouvrage par Mgr ChristianLépine. Le successeur de Mgr Turcotte, qui aaccédé au poste il y a un an, présente sa visionde l’Église et des valeurs chrétiennes sous laforme de courtes chroniques «dans un langageà la fois accessible et personnel ». Les thé-mat iques , b ien que dé jà abor dées à de nombreuses reprises par d’autres, demeurentsurtout des prétextes pour faire connaissanceavec le nouvel archevêque de Montréal.

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Malgré que six millions de Québécois s’identifient encore à la religion catholique, une baisse de lapratique religieuse au Québec a entraîné la fermeture de plusieurs églises, comme l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus dans Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, en 2009.

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R E L I G I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 0 E T D I M A N C H E 3 1 M A R S 2 0 1 3

Après l’élection du cardinalargentin Jorge Mario Bergo-glio comme nouveau pape,tous les yeux se sont tournésvers l’Amérique latine. Car ilest de moins en moins évi-dent que le catholicisme re-présente réellement la reli-gion de la région. Le papeFrançois ramènera-t-il la fer-veur catholique dans uncontinent qui s’évangélise ?

S A R A H P O U L I N -C H A R T R A N D

L’Amérique latine demeuretoujours la région du globe

comportant la plus forte pro-portion de catholiques: elle re-groupe environ 40 % des tousles fidèles catholiques dans lemonde. De Cuba au Pérou, enpassant par le Honduras, lapropor tion des catholiquestourne en moyenne autour de65%, avec des pays oùjusqu’à 95 % de la po-pulation se dit catho-lique. Mais, souligneAndré Corten, profes-seur de sciences poli-tiques, ces chif fresdoivent être interpré-tés avec sensiblementla même prudenceque lorsqu’on parled e s c a t h o l i q u e s québécois.

« On compterait de60 à 65 % de catho-liques en Amériquelatine, mais, dans lesfaits, ceux qui pratiquent sontbeaucoup moins nombreux »,dit le professeur titulaire auDépartement de sciences po-litiques de l’UQAM et direc-teur du Groupe de recherchesur les imaginaires politiquesen Amérique latine (le GRI-

PAL). Alors qu’ils représen-taient environ 85 % de la popu-lation latino-américaine dansles années 70 et 80, les catholiques pour raient necompter que pour 30 ou 40 %de la population d’ici 30 ans,selon André Corten.

Vers quoi ces fidèles se tour-nent-ils donc ? L’athéismemonte-t-il en flèche au mêmerythme que le catholicisme estdéserté ? Il semble que les La-tino-Américains embrasse-raient plutôt la foi évangélique,et en par ticulier le pentecô-tisme. Au Brésil seulement,les évangéliques sont passésde 15% en 2000 à 22% en 2010.C’est une augmentation de 7 %en à peine une décennie, dansune région qui était pourtantfortement catholique jusqu’àtout récemment.

Quel est exactement ce cou-rant évangélique en Amériquelatine ? Il s’y divise en deuxbranches: le pentecôtisme et leprotestantisme traditionnel issude Luther et Calvin, lors de la

Réforme au XVIe siè-cle. Les pentecôtistesreprésentent les deuxtiers de ce mouve-ment religieux enAmérique latine. Leprotestantisme tradi-tionnel (souvent ap-porté par l’immigra-tion) est beaucoupmoins populaire, ral-liant le tiers descroyants. Le pentecô-tisme, ou mouvementde Pentecôte, est néau début du XXe siècleet s’est différencié du

protestantisme traditionnel enmettant l’accent sur les actionsdivines, qui se manifestent parles miracles, les guérisons et leparler en langues (ou glossola-lie, qui consiste à parler unelangue étrangère lorsque lecroyant est en prière).

Catholicisme etcolonialisme

L’élection d’un pape sud-américain serait-elle une tenta-tive de raviver la fer veur ca-tholique en perte de vitesse enAmérique latine? Plusieurs ob-ser vateurs n’hésitent pas àavancer cette hypothèse. An-dré Cor ten croit égalementl’idée fort plausible. «L’électiond’un pape argentin indique cer-tainement une préoccupationde l’Église romaine. Les catho-liques ne sont pas encore of fi-ciellement minoritaires enAmérique latine, mais, dans lapratique, ils le sont presque. »

Pour comprendre les rai-sons de cette désaffection ducontinent sud-américain en-vers la religion catholique, ilfaut savoir que son héritagevient directement de l’ère co-loniale, la religion ayant étéimportée de l’Espagne et duPortugal au XVIe siècle. « Du-rant toute la période des colo-nies, la religion catholique estassociée à la domination», sou-ligne André Corten.

Mais, avec les mouvementsd’indépendance que connaîtl’Amérique latine au début duXIXe siècle, les Églises latino-américaines deviennent trèsautonomes par rapport au Vati-can. Rome perd le contactavec l’Amérique latine. On as-siste alors au développementd’une religion plus populaire,plus près des gens, qui installe

AMÉRIQUE LATINE

Les Églisesévangéliques ont le vent dans les voilesL’élection de François ne peut qu’aider àmaintenir une foi qui soit catholique

FOI ORTHODOXE

Les fois chrétiennes se rejoignent par l’eucharistie

GRAND SÉMINAIRE DE MONTRÉAL1840 ~ 2015

175e anniversaire de sa fondation

Le Grand Séminaire de Montréal, œuvre des Sulpiciens, témoin de l’histoire deMontréal depuis 1840. Une institution toujours vivante de l’Église catholique,lieu de la vie évangélique et de la formation des futurs prêtres. En cette année2013, une heureuse communauté de 33 séminaristes.

C L A U D E L A F L E U R

C e qui distingue le plus cesdeux institutions reli-

gieuses, l’orthodoxe et la ca-tholique, c’est le fait quel’Église catholique considèreque seules sont légitimes lescommunautés chrétiennes quise soumettent à l’autorité dupape. « Tandis que nous, nousconsidérons que, chaque foisque la liturgie est célébrée parun prêtre qui est en commu-nion avec les évêques del’Église, celle-ci se trouve alorsdans toute sa plénitude, in-dique le père Kutash. Pournous, l’Église, c’est l’union detoutes ces Églises, et ce qui nousunit, c’est l’eucharistie. »

Pour le reste, les célébrationset les traditions religieuses sontassez semblables, dit-il.

Nuances de croyancesIhor Kutash est né de pa-

rents ukrainiens qui se sontinstallés en Alberta en 1924.« Ma famille est très liée àl’Église orthodoxe, dit-il, et c’està l’âge de 15 ans que j’ai décidéque j’étudierais la théologie. »Ayant complété sa formation à22 ans, au Collège Saint-Andréà Winnipeg, il a été ordonnéprêtre. Il est ensuite venu s’ins-taller à Montréal en 1969, où ilœuvre à la paroisse St. Marythe Protectress, dans le quar-tier Rosemont. « J’ai déménagéà Montréal parce que j’ai ren-contré une Montréalaise, dit-il.Nous nous sommes mariés, nousavons eu un fils et avons main-tenant trois petits-enfants ! C’estdonc par amour que je suis venuvivre dans une ville quej’adore ! » Notons au passageque le père Kutash parle parfai-tement trois langues : l’ukrai-nien, l’anglais et le français.

Il précise que l’Église ortho-doxe ukrainienne est dirigéepar un primat — le métropo-lite Yuri, qui réside à Winni-peg — et qu’elle est liée à lacommunauté orthodoxe inter-nationale par son appar te-n a n c e a u p a t r i a r c h e d eConstantinople.

Le père Kutash souligneque, s’ i l y a peu de dif fé-rences entre les fêtes catho-liques et or thodoxes, il y anéanmoins quelques nuancesà apporter, notamment à pro-pos de la Vierge Marie. « Nousvouons une grande vénérationà Marie, mère du Christ, dit-il,mais on ne dit pas souvent“Vierge Marie” parce que,pour nous, ce n’est pas sa virgi-nité qui impor te avant tout.Nous croyons que, oui, Marieétait vierge, mais, pour nous,elle était avant tout la mère deJésus. On parle donc de Mariemère du Christ. »

Autre différence : l’Église ca-tholique insiste sur la concep-tion immaculée de Marie,c’est-à-dire qu’elle serait néeen ayant été « surnaturellementprotégée contre le péché origi-nel » commis par Adam et Ève(avoir croqué la pomme du sa-voir). « C’est ce péché originelqui fait que nous mourronstous, rappelle Ihor Kutash.Mais nous, nous disons queMarie est née avec le péché ori-ginel et c’est pourquoi elle estdécédée. Toutefois, elle a été res-suscitée par son fils Jésus — elleest la première à l’avoir étéaprès lui — de sorte qu’elle ré-side désormais aux côtés de sonfils, de Dieu le père et de tousles saints. »

Outre ces nuances, la pra-tique du rituel dominical dif-fère légèrement. C’est ainsique ceux qui communient re-

çoivent les « deux espèces » ,c’est-à-dire le pain et le vin…même les jeunes enfants.

«Au moment du baptême desenfants, indique le père Ku-tash, nous procédons égalementà leur confirmation et à leurpremière communion, dit-il.Nous donnons en ef fet une pe-tite goutte de vin au bébé. » Parla suite, chaque fois que l’en-fant se rend à l’église, il peutcommunier. Ce n’est qu’à par-tir de l’âge de sept ans quetout enfant doit commencer àse confesser, car, « avant cela,nous les considérons comme in-nocents », explique le père.

Pour la communion, onn’utilise pas des hosties, maisun pain avec levure préparéspécialement à cette fin.

Église et modernitéParmi les grandes dif fé-

rences entre les deux institu-tions, il y a le fait que l’Égliseorthodoxe a conservé la tradi-tion d’avoir un clergé marié,comme l’est le père Kutash.En outre, on accepte de rema-rier les personnes divorcées.

« Ce n’est pas que nous ap-prouvons le divorce, s’empresse-t-il de préciser. Nous considé-rons le divorce comme quelquechose de pas bien, mais, pour nepas laisser les fidèles vivre sansla bénédiction de l’Église, nouspouvons procéder au remariagedes divorcés. Nous considéronsque ce n’est pas à nous de les ju-ger, mais que cela revient àDieu», dit-il sagement.

De même, l’Église orthodoxese montre ouverte aux connais-sances scientifiques. C’est ainsiqu’elle considère les récits de lacréation du monde et du séjourd’Adam et Ève au paradis ter-restre comme des allégories.«Nous considérons que c’est làun récit symbolique que nous nedevons pas prendre au pied de lalettre», indique Ihor Kutash.

« Nous n’avons donc aucunproblème avec les concepts cos-mologiques de la science, pour-suit-il, puisque ce qui nous im-porte avant tout, c’est de consi-dérer que l’Univers a été créé

par Dieu, Dieu étant la sourcede toute vie, de tout ce qui est.Nous n’avons donc aucun pro-blème avec le fait que la sciencecherche à comprendre l’œuvremerveilleuse de Dieu !»

Il ajoute que c’est parce quel’Église orthodoxe a la convic-tion que Dieu est éternel queles principes qu’obser ve lascience se retrouvent juste-ment partout à travers l’Uni-vers. « S’il n’y avait pas unDieu éternel, déclare le pèreKutash, les lois de la science neseraient pas stables et partoutpareilles. La science ne pour-rait donc pas progresser. »

« Nous n’avons aucun pro-blème avec l’avancement dessciences, poursuit-il, sauf qu’il ya des enjeux éthiques, commepar exemple le clonage humain.Qu’est-ce que nous pouvons etne pouvons pas faire par l’entre-mise des sciences?, demande-t-il. Et c’est pourquoi nous nousintéressons énormément aux en-jeux éthiques et tout particuliè-rement à la bioéthique.»

CollaborateurLe Devoir

Les dif férences entre l’Église orthodoxe et l’Église catholiquesont minimes, rapporte le père Ihor Kutash, de l’Église ortho-doxe ukrainienne. À preuve, celui-ci enseigne depuis quinzeans à des catholiques, à l’Université Saint-Paul d’Ottawa. «C’estdire que la foi que nous partageons est suffisamment semblablepour que nous puissions nous comprendre sans problème.»

FRANCOIS GUILLOT AFP

L’Église orthodoxe, ouverte à lascience, considère les récits dela création du monde et d’Adamet Ève comme des allégories.

VOIR PAGE H 7 : AMÉRIQUE

Il semble queles Latino-Américainsembrasseraientplutôt la foiévangélique, eten particulierle pentecôtisme

Page 7: RELIGION - Le Devoir...RELIGION H 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 30 ET DIMANCHE 31 MARS 2013 FLORENCE SARA G. FERRARIS Il y a des personnalités qui pensent. Il en est d’autres qui ont

R E L I G I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 0 E T D I M A N C H E 3 1 M A R S 2 0 1 3 H 7

ISLAM

Le passage à la modernité ne se fait pas sans heurts

C L A U D E L A F L E U R

C e qu’on voit de l’islam n’estque la pointe visible de

l’iceberg que forme un ensem-ble complexe et beaucoup plusvaste, la religion musulmaneétant en pleine mutation. «Lespays à majorité musulmanesont des États-nations moderneset ils vivent des tensions et descontradictions en relation avecle fonctionnement de l’État-na-tion moderne, explique M. Bro-deur. Il y a une vaste diversitéque nous, nous ne percevons pasnécessairement.»

Patrice Brodeur donne d’ail-leurs un cours de cycle supé-rieur à l’université qui s’inti-tule « Islam/s et modernités » :« Je mets une barre oblique etun “s” à “Islam” pour signifierqu’il y a à la fois un islam basésur le Coran — la révélation deDieu — ainsi que de nom-breuses façons d’interpréter ce-lui-ci. Et je mets le mot “moder-nité” au pluriel, puisqu’il y aplusieurs façons de concevoircelle-ci, et pas uniquement unemodernité laïque, comme cer-tains le voudraient. »

Ce cours fait donc le survolde différents courants d’inter-prétation de l’islam. « N’ou-blions pas que l’islam n’a ja-mais évolué en vase clos, dit-il,cette religion ayant toujours étéen relation avec dif férentescommunautés [religieuses etidéologiques] ainsi qu’avec lamodernité. Toutes ces dyna-miques de rencontre font doncpar tie de la façon suivant la-quelle se sont construites les dif-férentes interprétations de l’is-lam, de même que les dyna-miques entre musulmans etnon-musulmans. »

C’est ainsi que les pays à ma-jorité musulmane ont été forte-

ment dominés par l’Occidentet qu’on assiste présentementà une certaine révolte et à unequête d’identité. « Il y a,me semble-t-il, une cer taine autosuf fisance de notre par tlorsqu’on omet le fait que l’Occi-dent a longtemps été au centredu pouvoir mondial, soulignele chercheur. On ne devraitdonc pas trop s’étonner que despeuples, quels qu’ils soient, cher-chent à acquérir leur liberté.»

Comprendre l’islamPatrice Brodeur estime que le

meilleur parallèle qu’on puissetracer pour comprendre ce quise passe aujourd’hui dans lespays à majorité musulmane, cesont les transformations qui onteu lieu à l’intérieur de l’Église ca-tholique (et d’autres communau-tés chrétiennes). «Ces transfor-mations se sont étalées sur plu-sieurs centaines d’années, fait-ilremarquer, et il faut donc donnerdu t emps aux musu lmansconfrontés à la modernité.»

«N’oublions pas non plus quel’Église catholique a longtempsé t é en oppo s i t i on avec la démocratie, les droits de la per-sonne, etc., rappelle-t-il, des ten-sions et des transformations qu’avécues l’Église chrétienne face àla modernité et au développe-ment de l’État-nation moderne.Ce sont des tensions qu’on voit

aujourd’hui dans les États à ma-jorité musulmane.»

Il ne faut pas non plus consi-dérer que l’islam traverse unesor te de Moyen-Âge. « Ohnon !, tranche M. Brodeur. Ilfaut comprendre que l’Église ca-tholique n’a pas accepté la mo-dernité avant le début duXXe siècle. Il faut donc faire trèsattention… Il y a, en fait, unedivers i té intramusulmanequant aux questions et aux rela-tions entre la religion et l’État-nation, selon les endroits. »

C’est ainsi qu’il y a des socié-tés musulmanes beaucoup plustraditionnelles — telles quel’Arabie saoudite et les États duGolfe — alors que des payscomme la Turquie, la Tunisie etsurtout l’Indonésie, pays quicompte le plus grand nombre demusulmans, vivent très bien lamodernité. «Il y a une transfor-mation rapide des choses», ob-serve le titulaire de la Chaire derecherche sur l’islam, le plura-lisme et la globalisation.

Islam et islamismeVoilà pourquoi le chercheur

nous invite à ne pas ranger tousles musulmans dans la même caté-gorie et à ne pas tout rejeter enbloc. Par contre, il admet sanspeine que, dans certains cas, ledéfi lancé à la modernité suscitechez certains musulmans descomportements violents.

C’est ainsi qu’on assiste audéploiement d’un courant poli-tique et idéologique qu’on ap-pelle l’islamisme, qu’il convientde distinguer de l’islam. Et il nefaut surtout pas réduire ce cou-rant idéologique plus extrêmeà une guerre contre l’Occident.«Il y a, bien sûr, l’héritage du co-

lonialisme de l’Occident sur lespays musulmans qui joue, dit-il,mais il ne faut pas tout réduireà une dynamique faite de noir etb lanc assez s implis te » , ce fameux « nous et eux » deGeorge Bush fils, par exemple.

«Je crois que ce serait une très,très grave erreur que de réduiretous les islamismes à al-Qaïda,poursuit M. Brodeur. Al-Qaïda,c’est une frange très minime desislamismes.» Il souligne en outreque la violence qui secoue ac-tuellement le monde musulmanfait davantage de victimes mu-sulmanes que non musulmanes.

Il estime ainsi que, en ne fai-sant guère de distinctions, on re-pousse les musulmans modérésvers les extrémismes et qu’onfait justement le jeu de ces der-niers. «Souvent, nos perceptionsstéréotypées sont non seulement

fausses — étant donné la diver-sité af fichée dans la réalité —mais surtout elles sont éminem-ment dangereuses, parce qu’ellesne font que renforcer précisémentce dont on a peur. Et certains ex-ploitent nos peurs pour… aug-menter les budgets militaires!»

Dans les faits, on constatemême un cer tain essouf fle-ment des mouvements extré-mistes musulmans. Certainsanalystes voient même venir lafin des intégrismes islamiquesd’ici les années 2030. «Vous sa-vez, toutes les idéologies — lecommunisme, le libéralisme, lenéolibéralisme même, etc. — fi-nissent par passer, relate Pa-trice Brodeur. Il ne faut doncpas jeter de l’huile sur le feu.»

CollaborateurLe Devoir

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D’après ce que nous rapporte l’actualité, on peut avoir l’im-pression que l’islam est en guerre contre l’Occident, si ce n’estmême entre diverses factions religieuses. Or tel n’est pas lecas, selon Patrice Brodeur, titulaire de la Chaire de recherchedu Canada, Islam, pluralisme et globalisation, à l’Université deMontréal : «Je dirais qu’une telle perception est à la mesure denotre ignorance, nous, les non-musulmans en Occident.»

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Ce n’est pas parce qu’il y a des sociétés musulmanes plus traditionnelles, comme l’Arabie Saoudite, que l’islam n’évolue pas en faisant face à la modernité.

des rituels différents. Les cu-rés et le bas clergé prennenttout à coup plus de place quedurant l’époque coloniale, oùla religion est l’affaire du hautclergé et des évêques.

Malgré une tentative de ra-mener de l’ordre au sein del’Église, à l’époque du pape Pie IX et de la romanisation,vers le milieu du XIXe siècle, desÉglises réformées commencentà voir le jour un peu partout enAmérique latine. Au Brésil, en1911, est créée l’Assemblée deDieu. Elle compte aujourd’huienviron neuf millions de fidèles.

ÉvangélismeL’Église catholique, avec ses

messes silencieuses et sonpouvoir monopolisé par le seulprêtre, est aussi confrontée auxrites plus festifs de l’évangé-lisme. Dans ces nouvellesÉglises, on chante, on y joue dela musique, on y parle à voixhaute (le parler en langues) enlançant librement des alléluias !On est à des années-lumièredes messes catholiques figéeset austères.

C’est un mouvement reli-gieux, mais également un mou-vement dissident devant les dif-ficultés de la vie. «Les gens sesentent pris en entier dans leurvie personnelle et se mettent à or-ganiser leur quotidien autour dela pratique du culte, dans unesorte de néocommunauté. On ydénonce aussi les forces considé-rées comme démoniaques dans lemonde, qu’il s’agisse de la pau-vreté ou du chômage», expliqueAndré Corten.

À partir des années 1980, il seproduit un véritable boom ducourant évangélique, avec l’ap-parition notamment de chaînesde télévision calquées sur lemodèle des chaînes évangé-liques américaines. On y voitdes conversions et des guéri-sons miraculeuses. La troisièmechaîne de télévision du Brésil,Rede Record, appar tient àl’Église universelle du Royaumede Dieu, une église néopentecô-tiste. «Le pentecôtisme est une re-ligion de conversions, rappelleAndré Corten. C’est une des rai-sons pour lesquelles il se répandsi rapidement.»

Le pape François ramènera-t-il un peu de vigueur au sein del’Église catholique sur le conti-nent sud-américain ? À l’aubedes Journées mondiales de lajeunesse, un grand rassemble-ment de catholiques qui auralieu à Rio de Janeiro en juilletprochain, le choix du cardinalargentin tombe à point.

CollaboratriceLe Devoir

SUITE DE LA PAGE H 6

AMÉRIQUE

FILIPPO MONTEFORTE AFP

Le pape François

Page 8: RELIGION - Le Devoir...RELIGION H 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 30 ET DIMANCHE 31 MARS 2013 FLORENCE SARA G. FERRARIS Il y a des personnalités qui pensent. Il en est d’autres qui ont

L E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 0 E T D I M A N C H E 3 1 M A R S 2 0 1 3H 8

R E L I G I O NJUDAÏSME

«Clarifier, sur le plan théologique, la nature des relations entre catholiques et juifs »L’ancien archevêque de Buenos Aires a entretenu de bonnes relations avec la communauté juive de l’Argentine

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

A près le pontificat de Be-noît XVI, ponctué de

quelques bévues diploma-tiques, « le nouveau pape Fran-çois a beaucoup d’ambiguïtés àlever dans le rapport avec lesjuifs », juge Pierre Anctil, pro-fesseur d’histoire à l’Univer-sité d’Ottawa. «Le dernier papea brouillé beaucoup de choses.Et la chose la plus importantepour l’Église, sous la forme deson leadership papal, est de te-nir un discours qui s’harmoniseavec les comportements. »

M. Anctil relève que l’Égliseet Benoît XVI, dans les der-nières années, ont plutôtblessé « la sensibilité juive» parleurs comportements, qui onttransmis « des signaux contra-dictoires. L’Église n’a pas fonda-mentalement changé sa doc-trine autour du rappor t avecles autres grandes religions, enparticulier le judaïsme, maiselle a envoyé des signaux, sur leterrain, de compromission etd’indécision. »

Les relations entre les juifset l’Église catholique, souventarticulées autour d’« une sériede sensibilités », comme l’in-dique M. Anctil, demeurentencore jeunes, fragiles et tou-jours marquées par les cica-trices de l’Holocauste, devantlequel le Vatican était demeurésilencieux. Une vingtaine d’an-nées après les horreurs de laShoah, le concile Vatican IIavait revu en profondeur lerapport et les liens de l’Églisecatholique avec le judaïsme,pour ouvrir un dialogue.

Le pape Jean-Paul II, origi-naire d’une Pologne qui avaitaussi subi les violences de l’Alle-magne nazie, a favorisé ce rap-prochement avec ses éclatantesvisites à Auschwitz et à lagrande synagogue de Rome. SiBenoît XVI a poursuivi dans lavoie diplomatique tracée par sonprédécesseur, il a, en contrepar-tie, commis de nombreux im-pairs qui ont froissé et choquéles communautés juives.

En 2007, il a autorisé le re-tour de la prière préconciliairedu Vendredi saint, qui avait été

abandonnée après Vatican II,dans laquelle est prônée laconversion des juifs. «Ce gestea fait grincer des dents, parcequ’on se demandait s’il n’yavait pas un double discoursdans l’Église, souligne Jean Du-haime, professeur à la Facultéde théologie et de sciencesdes religions de l’Universitéde Montréal. Un des fonde-ments du dialogue entre juifs etchrétiens, c’est de s’abstenird’un prosélytisme dans un sensou dans un autre. »

Controverses sous Benoît XVI

Et les gaffes ne s’arrêtèrentpas là. En 2009, Benoît XVI alevé l’excommunication dequatre évêques associés à laFraternité Saint-Pie X, quicontestaient toujours les ré-formes de Vatican II. L’un deces réhabilités, Richard Wil-liamson, était un négationnistenotoire. Quelques mois plustard, le pape a scellé la béatifi-cation du pape Pie XII, dontl’Histoire se souvient surtoutdu mutisme devant la Shoah,alors que le Saint-Siège étaitbien informé des persécutions.Ces gestes ont soulevé lacontroverse.

« Je pense que, pour les catho-liques, le dialogue avec les juifsn’est pas un enjeu dominant,observe M. Anctil. Mais, pourles juifs, le dialogue avecl’Église en est un. » Il relèveque, bien que la communautéjuive soit composée d’une mul-titude de factions et d’ap-proches, presque tout l’ensem-ble accorde une importancecertaine et décisive aux rela-tions avec l’Église catholique.Plusieurs d’entre elles voientdans le Vatican « une des clésde la paix mondiale ». Histori-quement, les juifs ont fait lesfrais de persécutions à conno-tation religieuse, comme lorsde la première croisade auXIe siècle ou de l’Inquisitionespagnole au XVe siècle. « Il ya comme une asymétrie de rap-ports et de sentiments très nettedans ce domaine, que le papeBenoît XVI ou ses conseillersn’ont pas comprise » , croitM. Anctil.

Nouveau départMais le nouveau pape Fran-

çois, élu le 13 mars dernier,suscite des espoirs au sujet dudialogue interreligieux. Nom-breux sont les organismes juifsqui ont salué publiquement sanomination dans les dernièressemaines. «Que le pape soit unjésuite, ça change la donne,note Pierre Anctil. En général,les jésuites ont été plus pragma-tiques dans leur dialogue avec ledomaine extrachrétien, entre au-tres à travers de nombreusesmissions, mais aussi parce qu’ilsont souvent tenu un discoursmoins doctrinal, moins rigide,que d’autres communautés.»

Mais sa bonne réputation,l’ancien archevêque de BuenosAires la doit sur tout à sesbonnes relations entretenuesavec la communauté juive del’Argentine, la plus nombreusede l’Amérique latine avecquelque 250000 personnes. Lacommémoration de la Nuit decristal qu’il a organisée toutcomme les célébrations d’Han-noukah auxquelles il a déjà par-ticipé sont fréquemment citéescomme de bons présages. Deplus, ses discussions avec lerabbin Abraham Skorka ontété publiées dans un livre inti-tulé Sobre el cielo y la tierra.

Le 20 mars, lors d’une allocu-tion à laquelle avaient été invitésdifférents représentants des au-tres Églises chrétiennes et desautres grandes traditions reli-gieuses, le pape François a misl’accent, en abordant le dialogueavec la communauté juive, surla consolidation des «liens dansl’esprit du concile Vatican II. Iln’y a aucune ambiguïté là-des-sus», constate M. Duhaime.

N’empêche, ce dialoguepourrait réserver quelques dé-fis au nouveau pape. M. Du-haime revient sur les questionsde la conversion et du prosély-tisme, au cœur de la contro-verse qui a entouré la prière duVendredi saint. Si le Vatican amis fin à toute mission d’évan-gélisation organisée, l’inci-dence d’une telle approche surdes questions d’ordre théolo-gique demeure «non résolue»,indique-t-il, entre autres en cequi concerne la christologie etla mission de l’Église. SelonM. Duhaime, il reste donc unchantier de réflexion à menerau sein de l’Église pour «clari-fier, sur le plan théologique, lanature des relations entre catho-liques et juifs», signale-t-il.

Le conflit israélo-palestinien,en toile de fond, teinte aussi cedialogue et fait l’objet de discus-

sions dans les différents comi-tés réunissant juifs et chrétiens,assure M. Duhaime. Il donneen exemple le fait que leConseil international des juifset chrétiens (CIJC) vient « deproduire un compte rendu là-des-sus, pour essayer de voir non seu-lement comment il peut atténuerl’impact de ces tensions-là sur ledialogue entre juifs et chrétiens,mais aussi comment les groupes

d’amitié judéo-chrétienne peu-vent avoir un effet positif sur larésolution du conflit ou y contri-buer d’une certaine façon». Toutça dans un contexte où le Vati-can tente simultanément d’amé-liorer le dialogue interreligieux,tout aussi délicat, avec les musulmans.

CollaborateurLe Devoir

Les communautés juives ont bon espoir de voir le pape Fran-çois consolider les relations entre elles et le Vatican. La tâchen’en demeure pas moins délicate pour le nouveau pape. Sonprédécesseur, Benoît XVI, a commis quelques impairs qui ontrendu plus tendu ce dialogue interreligieux.

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Spécialiste de l’histoire des religions, l’auteur associe sa connaissance scientifique à un sou!e romanesque hors du commun.

Appuyée exclusivement sur des textes historiques jusque-là inexploités pour le grand public et écrite à la manière d’un roman, cette biographie révèle pour la première fois la vie

« censurée » de l’enfant qui devint Dieu.

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PATRICK HERTZOG AGENCE FRANCE-PRESSE

Pendant son pontificat, Benoît XVI a tenté d’emprunter la voie de la diplomatie dans les relations entre l’Église catholique et les juifs,mais il a commis quelques impairs qui ont choqué les communautés juives.

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