réflexions pédagogiques et notes de lecture

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Réflexions pédagogiques et notes de lecture Divers textes écrits entre 2011 et 2014 par R. Rusé-Tasnady, ASEA spécialité Formation Musicale au Conservatoire de Nancy Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 1

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Divers textes de réflexions pédagogiques et notes de lectures concernant différents ouvrages de pédagogie, musicale ou non

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Page 1: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Réflexions pédagogiques et notes

de lecture

Divers textes écrits entre 2011 et 2014

par R. Rusé-Tasnady,

ASEA spécialité Formation Musicale

au Conservatoire de Nancy

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 1

Page 2: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 2

Page 3: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Sommaire

Introduction P4

Vous avez dit solfège ? P6

Un texte écrit en accompagnement à la compilation de recueils de chansons traditionnelles

destinés à un partage de répertoire au sein du conservatoire de Nancy

Comment peut-on éduquer l'oreille ? 14

Qu'est-ce que la tonalité ? 14

Attraction et hiérarchie harmonique 18

Attraction et hiérarchie mélodique 21

Attraction et hiérarchie rythmique 24

Orientation sensible de l'analyse harmonique 31

Des outils pédagogiques de la Formation Musicale 35Utilisation de la solmisation 35

Mémoire et oreille intérieure 38

Comment différencier l'enseignement en FM 40

Différents stades de conscience en musique 43

Musique savante, musique de l'oralité 43

Écoute flottante, conscience flottante 44

La partition et la dépendance à l'écrit 47

Conscience et mobilisation corporelle 49

Critique des outils d'éducation de l'oreille habituellement

proposés dans les manuels français. 51

à propos des notions Conjoint/disjoint, Ascendant-descendant, et étude des intervalles,

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 3

Page 4: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Solfège instrumental 57

Quels objectifs ? 57

Quelques exemples 59

Les conditions matérielles, la mise en œuvre 66

Notes de lecture 67

à propos du livre « objectif musique » de Christine Culioli (1993)

Un été à Kecskemét 71Compte rendu à l'issue de l'université d'été et du symposium consacré à la pédagogie

Kodaly

Bibliographie 81

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 4

Page 5: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Introduction

La réforme dite de « la formation musicale » aura bientôt 40 ans (1977). La

naissance et l'essor des méthodes actives a débuté il y a maintenant un siècle, à l'instar

des sciences de l'éducation. Pourtant, l'enseignement du solfège se vit encore souvent

comme une matière en crise, et les différents réformateurs ne sont pas parvenus à faire

l'unanimité sur la voie à suivre dans ce domaine. La recherche du sens, du rôle, des

objectifs précis de cette discipline est toujours ouverte et polémique, les réformateurs sont

toujours en proie aux critiques des tenants de la « tradition » et du « c'était mieux avant ».

Si l'on résume à l'extrême les messages délivrés par ces trois courants :

• Méthodes actives (Dalcroze, Martenot, Marie-Jaël, Willems, Kodaly, Orff) Le savoir-

faire et le vécu sont placés avant le savoir, on aspire à donner une valeur humaine

à l'éducation musicale.

• Réforme de la formation musicale.

Replacer l'enseignement des notions du solfège dans la globalité et la réalité de la

« vraie » musique. Volonté d'intégrer le bénéfice des méthodes actives. Élargir le

répertoire.

• Sciences de l'éducation (en lien avec les évolutions inéluctables de notre société) :

Construire l'enseignement en partant de l'enfant, et plus uniquement de manière

« verticale », construire la motivation sur le projet personnel, pédagogie

différenciée, pédagogie par objectifs, réflexion sur l'évaluation....

Les critiques à l'égard des propositions des sciences de l'éducation ont surtout été

rendues publiques à propos de l'éducation nationale, mais ont aussi trouvé leurs partisans

dans notre discipline : accusation de démagogie, dérive libertaire et pédagogiste, perte de

rigueur, baisse du niveau...

Les critiques fréquemment entendues à l'égard des dérives des méthodes actives sont

assez joliment exprimées dans cette phrase issue de la réforme de 1977 :

Enfin, il apparaissait nécessaire de faire cesser les querelles concernant l'utilisation des

méthodes actives, car si nous savons que des abus ont permis à des incompétents

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 5

Page 6: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

d'utiliser une pédagogie « riante » mais ne comportant aucun prolongement sérieux, cela

ne saurait remettre en cause la valeur réelle technique et philosophique de ce nouvel

esprit pédagogique.

La critique de la réforme de la formation musicale est difficile à réaliser, car, à la suite de

ce texte fondateur de 1977, et du dispositif des schémas directeurs successivement mis

en place, la mise en œuvre en a été très diverse. Là aussi les interprétations et les

réalisations ne sont pas toujours aussi inspirées que l'on aurait pu l'espérer. Si ceux qui

expriment ouvertement la volonté de faire machine arrière sont minoritaires, il est

néanmoins difficile de faire un bilan univoque.

En conséquent, cette discipline reste largement ouverte au questionnement ; la recherche

du sens, des objectifs, de la définition même de la matière demeure, à la lumière des

exemples, des réflexions, expérimentations, des œuvres de tous ces précurseurs, dont la

portée et les réussites nous appellent à la modestie, et à la lumière de tous les

égarements et tous les dogmatismes de leurs exégètes, qui nous appellent eux aussi à la

plus grande modestie.

Voici rassemblés quelques textes témoignant de réflexions pédagogiques diverses sur le

sujet de l'enseignement de la Formation musicale. Ayant été écrits à différents moment et

sous diverses motivations, certaines redites pourront apparaître. Il reste encore bien des

insuffisances, des faiblesses tant dans la réflexion que dans la rédaction, dans ce travail

qui m'a permis de mesurer ma petitesse face à l'immensité de la tâche : comment devenir

un enseignant de FM acceptable ? 1

1 En paraphrasant le titre du livre de Bruno Bettelheim « pour être des parents acceptables ».

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 6

Page 7: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Vous avez dit solfège ?

Un texte écrit en accompagnement à la compilation de recueils de chansons traditionnelles

destinés à un partage de répertoire au sein du conservatoire de Nancy

Le problème de l'enseignement du solfège est multiple et complexe, il est au centre de

nombreuses querelles, même entre spécialistes. Il semble difficile actuellement de pouvoir

satisfaire à la fois les élèves, les parents, et les acteurs de l'enseignement spécialisé. La nouvelle

nomenclature du solfège (Formation Musicale) n'a pas vraiment éclairci les choses, à l'instar des

cantines, qui ne comblent guère plus leurs usagers depuis qu'elles se nomment « restaurant

scolaire ».

La question de la dénomination n'est pas anodine, elle est révélatrice d'un des malaises de

cette discipline. En effet, le terme de solfège, si il est aujourd'hui très fortement connoté, avait pour

avantage de faire référence à la mission dévolue à cet enseignement, en quelque sorte un

équivalent à l'alphabétisation dans le domaine scolaire. Si nous suivons ce parallèle,

l'alphabétisation apparaît également comme la première mission des enseignants de l'école

primaire, mais les programmes scolaires ne s'arrêtent pas là. Il en est de même pour notre

matière, et c'est sans doute en grande partie ce qu'ont voulu signifier les artisans de la réforme de

la formation musicale. Cependant, les contours de ce terme sont très vagues, et posent la

difficile question de la mission de la discipline, de ses limites.

Chacun des acteurs de l'enseignement spécialisé a sa vision de ce que doit être le solfège.

Le même mot (qu'il s'agisse de solfège ou de formation musicale) désigne un contenu différent.

Les conflits sont inévitables, les solutions des uns ne pouvant combler les problèmes des autres.2

Un des grands idéaux de la réforme de la formation musicale est de placer la musique vraie

et vivante au cœur de l'enseignement, en substitution à la littérature d'exercices didactiques.

Intellectuellement, ce principe paraît très satisfaisant: Chaque musicien a déjà expérimenté

comment le premier geste reste en mémoire : par exemple, l'erreur du premier déchiffrage, ou

encore la mauvaise position, le mauvais geste, auront tendance à resurgir à moins d'un effort

2 Ce questionnement à propos du solfège est à rapprocher au débat maintenant séculaire qui anime l'éducation nationale entre d'une part partisans d'un enseignement délivrant un savoir pratique et directement utilisable (instruction), et d'autre part pédagogues soucieux de construire une éducation au sens humaniste du terme, selon l'héritage de Rousseau. Meirieu rappelle l'historique de cette querelle, la fait remonter à la controverse entre Condorcet (instruction) et Rabaut St Etienne (éducation). Philippe Meirieu « la pédagogie entre le dire et le faire »

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 7

Page 8: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

conscient pour le contrecarrer. La première trace inscrite demeure. Par conséquent, paraît-il

contradictoire de désirer former des musiciens sensibles et guidés par la préoccupation du beau

au moyen de la répétition d'exercices mécaniques dénués de sens et de sensibilité, coupés de la

réalité musicale ?

Néanmoins l'apprentissage musical nécessite la répétition et la systématisation, afin de

créer des réflexes. C'est là un des dilemmes auquel nous ne saurions donner de réponse

univoque : l'enseignant s'efforce à construire au quotidien un équilibre entre ces besoins

apparemment contradictoires.

Un parallèle peut être fait avec l'enseignement des langues vivantes. Faut-il enseigner les

langues en se basant sur des cours de grammaire analytique à la progression rationnelle, afin

d'aboutir à une expression sans faute, ou plutôt privilégier une expression orale forgée plus

empiriquement, efficace bien qu'imparfaite ? L'enseignement musical auprès des débutants a

souvent la volonté louable d'éliminer tout « mauvais » geste dès le début de l'apprentissage. Ne

serait-il pas souhaitable, à l'instar de certaine pédagogies d'enseignement des langues, de laisser

place à la « pédagogie de l'erreur », en laissant l'élève « construire lui même son savoir », comme

l'évoquent les théoriciens de la pédagogie et des sciences de l'éducation? Cette voie est-elle

adaptée aux spécificités de l'enseignement musical ?

L'un des points du débat entre enseignants est la construction de la progression

pédagogique. Il est très satisfaisant de pouvoir concevoir une progression logique et rationnelle,

qui aurait fait ses preuves au fil des générations et qu'il serait possible de reproduire, de

transmettre.

A propos du solfège, ce débat se retrouve dans l'opposition entre enseignement globalisé

ou dissocié. Faut-il proposer des exercices adaptés traitant séparément de chaque difficulté à

surmonter ? Ou laisser l'élève se confronter à la diversité, la complexité du langage musical qu'il

devra de toute façon intégrer, comme l'ont proposé des démarches pédagogiques innovantes

récentes ? Les deux points de vue ne sont pas aussi inconciliables qu'il paraît.

L'exercice didactique et fonctionnel permet à l'élève et à l'enseignant de consacrer toute

leur attention consciente à une difficulté circonscrite.

Un matériel pédagogique intéressant, complet, et judicieusement choisi offre la même

attention consciente à une difficulté circonscrite, mais présentée dans un contexte riche. Ce

contexte, si il n'est pas la préoccupation du moment, aborde cependant un grand nombre

d'informations qui sont traitées de manière passive, inconsciente, permettant notamment à

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 8

Page 9: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

l'apprenant de s'imprégner dans un « bain » culturel, de forger son goût esthétique, d'accéder à

des fonctionnement stylistiques idiomatiques qui échappent au rationnel. Ainsi, ces notions de

goûts, qui sont plus souvent rattachées à l'idée de don, de talent, pourraient également faire l'objet

d'une transmission efficace. Ce mécanisme met le doigt sur l'importance du choix du répertoire, de

la qualité de la littérature musicale dont nous nourrissons les élèves et de l'exemple qui en est

donné, de la qualité de la « trace » que nous allons laisser en eux.

Cette considération met l'accent sur la valeur pédagogique de la phase d'imitation. Depuis

leur plus jeune âge, c'est par l'imitation que les enfants ont réalisé un (le plus) grand nombre

d'acquisitions. Ce fonctionnement leur est très naturel, à la base de nombreux jeux. Par l'imitation

du geste du professeur, du son, de son attitude générale dans la situation musicale, etc... l'élève

reçoit un grand nombre d'informations qu'il est capable de traiter sans recours à la conscientisation

et à la verbalisation. Ce type de transmission très « instinctive » correspond bien aux jeunes et très

jeunes enfants. Cette phase ne contredit pas la volonté de rationalisation, de théorisation,

elle la prépare. Là encore, la qualité de l'exemple donné conditionne la qualité de la « trace ». On

peut noter logiquement que l'imitation peut être encore plus efficace lorsque les yeux aussi sont

disponibles: c'est à dire, donner une place équilibrée à la transmission orale.

Une construction prématurément rationalisée et analytique de l'enseignement nuit à la

naissance d'une musique vivante, vécue, et recréée, au profit d'une musique apprise. Si elle se

base toujours sur de louables intentions, elle correspond la plupart du temps à une démarche

"adulto-centriste": nous sommes difficilement capables d'imaginer comment se construisent les

schémas mentaux des enfants, et nous nous référons plutôt aux nôtres. Pourtant, à y prêter

attention, les adultes eux-mêmes ne construisent pas toujours leur savoir de manière logique et

progressive.3

Au regard de ces remarques, depuis plus d'un siècle, les pédagogies actives ont proposé

des alternatives crédibles, prônant la transmission du savoir-faire avant le savoir . Pourquoi leur

influence se limite-elle aujourd'hui à des cercles restreints de « fidèles » ? La constitution de la

plupart d'entre elles en « écoles » très exclusives peut en être la cause. Cependant, pour avoir les

3 « La culture propre à l'enfance est de nature orale, car si la plupart des enfants à travers le monde entier apprend à lire et à écrire (...) pendant une bonne partie de la période de l'enfance, leur mode de communication favori a toujours été la communication orale, souvent accompagnée par l'observation et l'imitation de comportements et de techniques. C'est ainsi que l'on peut remarquer que les traditions des enfants sont basés sur la répétition et l'utilisation de formules ritualisées » Carole H. Carpentier « les universaux de la culture enfantine » Dans le même ouvrage l'auteur recense les caractéristiques universellement reconnues dans les cultures enfantines à travers le monde. en voici quelques uns qui nous concernent plus particulièrement. Besoin d'enchantement/Grande activité, dépense physique/Espièglerie/échanges interpersonnels de forte valeur affective/gaieté, humour/Curiosité/inventivité/Imagination/Conservatisme : besoin de stabilité, de sécurité face aux incertitudes de la vie.

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Page 10: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

premières posé les questions essentielles de la transmission de la musique dans une optique

résolument humaniste, elles restent à la base de nombreuses réflexions pédagogiques. 4

Certaines évolutions et décisions ne nous appartiennent pas. En effet, les bouleversements

de notre société initiés par la modernité ont profondément transformé en quelques décennies le

bagage culturel et musical de nos élèves, et avant eux de leurs parents, grands-parents,

enseignants...

Dans une société traditionnelle, les individus partagent une « langue maternelle

musicale » 5. En ce qui concerne les enfants, un répertoire de chansons, de jeux chantés, de

comptines, de jeux impliquant des acquisitions de psychomotricité essentiels pour l'éducation,

générale comme musicale. Ces pratiques comblent également des besoins psycho-affectifs,

procurent un grand sentiment de sécurité affective. Plusieurs corpus musicaux cohabitent,

spécifiquement « enfantin » ou « adulte », mais souvent, le répertoire est commun, et permet

différent niveaux de compréhension.6

Qu'en est-il aujourd'hui ? Il est difficile de généraliser, car dans le monde moderne

occidentale, la société est très hétérogène, l'héritage culturel de chaque individu est très

différencié, les contextes familiaux sont extrêmement disparates 7. Les élèves sont très rarement

imprégnés d'un fond culturel commun permettant le partage. Si l'on se réfère à la définition

énoncée par l'UNESCO, la culture serait « l'ensemble de connaissances et de valeurs qui ne fait

l'objet d'aucun enseignement et que pourtant tout membre d'une communauté sait »8. Selon cette

définition, que reste-t-il à partager dans notre société en terme de culture musicale ?

Zoltan Kodaly a construit une pédagogie musicale cohérente sur la base des chansons

traditionnelles hongroises. Bien loin de cette œuvre magnifique, nécessitant une formation globale

4 « En effet, m'étant décidé en conséquence à faire précéder les leçons de notation harmonique, d'expériences particulières d'ordre physiologique tendant à développer les fonctions auditives, je m'aperçus bien vite que chez les plus âgés de mes étudiants, les sensations acoustiques étaient retardées par des raisonnements anticipés et inutiles, tandis que chez les enfants elles se révélaient d'une façon toute spontanée, et engendraient tout naturellement l'analyse. Je me mis dès lors à éduquer l'oreille de mes élèves dès l'âge le plus tendre et constatais ainsi que non seulement les facultés d'audition se développent très vite à une époque où toute sensation neuve captive l'enfant et l'anime d'une curiosité joyeuse,_mais encore qu'une fois l'oreille entraînée aux enchaînements naturels de sons et d'accords, son esprit n'a plus aucune peine à s'habituer aux divers procédés de lecture et d'écriture » Emile Jacques Dalcroze, « le rythme, la musique et l'éducation »5 Selon le concept développé par Kodaly.6 (à l'exemple du conte de fée, dont la symbolique revêt plusieurs réalités, cf la psychanalyse des contes de fée, Bruno Bettelheim).7C'est là, selon les sociologues une des principale mise en danger de la cohésion de notre société. Cf Hugues Lagrange « le Déni des cultures »8 Cité par Alain Finkielkraut dans « la défaite de la pensée »

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 10

Page 11: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

de l'enseignant, nous proposons en toute simplicité néanmoins de baser notre enseignement pour

les premières années sur le répertoire des chants traditionnels, populaires et enfantins. Le petit

recueil présente un répertoire destiné à l'éducation musicale des jeunes enfants.

– Proposer un répertoire musical adapté aux besoins affectifs des enfants, véhicule d'un

contenu culturel et identitaire (cet aspect de transmission d'un socle culturel à partager

fait parfois défaut dans les manuels de solfège)

– Fonder l'apprentissage sur un répertoire musical de qualité, plutôt que sur une littérature

d'exercices didactiques, conformément aux idéaux de la réforme de la formation musicale.

– En l'absence partielle (ou complète) de vécu musical enfantin antérieur, construire avec

eux un premier répertoire commun à partager, fondateur de bases et d'acquisitions

techniques fortement ancrées, sur une pratique vivante.

– Apporter un matériel pédagogique à la mesure de leur pensée musicale naissante.

L'utilisation, le type de pédagogie qui peuvent en être faite, reste ouvert. L'exploitation

instrumentale paraît assez directe, au moyen de quelques adaptations aux spécificités de chaque

instrument.

Un certain de nombre de chansons d'origines variées sont rassemblées.

Si certaines d'entre elles appartiennent à un fond culturel traditionnel collecté, étudié, ce recueil

n'a pas de vocation ethnomusicologique. La transcription de chansons issues de l'oralité est un

exercice difficile et peut prêter à discussion. Les modestes arrangements sont avant tout destinés

à répondre à des besoins pédagogiques (imprégnation aux fonctions harmoniques, à la

polyphonie).

D'autres chansons, de facture beaucoup plus récentes, et parfois de valeur esthétique plus

discutable, sont légitimées par le succès qu'elles rencontrent depuis quelques générations dans le

public enfantin, et auprès des adultes qui les véhiculent. (souris verte, facteur etc...).

Les choix ont souvent été guidés par la possibilité du jeu chanté, des rondes chantées.

Ce type de répertoire est très documenté chez les hongrois, sous l'influence de l'école

d'ethnomusicologie et de pédagogie musicale fondée par Kodaly. Sans doute le répertoire a-t-il été

aussi abondant en France9, mais la prise de conscience de la valeur pédagogique de ces

pratiques est plus récente. Nous nous sommes permis quelques adaptations françaises de jeux

chantés hongrois, l'expérience prouve déjà leur efficacité auprès des enfants.

9 Chants à danser de la période de la Renaissance et postérieur. Cf « chansons pour mener la danse », Sophie Rousseau

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 11

Page 12: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Ces jeux et rondes chantées peuvent servir de support de travail avec les enfants dès l'âge

de 4 ans, et ensuite bien au-delà (les adultes aussi peuvent parfois se prendre au jeu). Véritable

premier objet de joie, et de plaisir musical partagé, ces répertoires peuvent rendre évidente la

finalité du travail entrepris, alors que les objectifs qui sont offerts au jeune débutant peuvent

paraître obscures ou lointains. L'implication du ressenti corporel, notamment dans la

construction du sentiment rythmique, n'est plus à démontrer. Pulsation, mesure, phrase et

carrure sont matérialisés, souvent conjointement, la musique est mouvement.

Les bénéfices et les travers d'une pédagogie « ludique » sont maintenant suffisamment

identifiés pour que l'on puisse trouver un équilibre, et proposer une intégration du jeu au travail,

canalisée par l'enseignant, en évitant l'écueil de la démagogie10. Il n'est pas anodin de noter que

dans la plupart des langues, on « joue » de la musique. Les jeux musicaux, les jeux chantés sont

universels et ancestraux, témoignant ainsi de l'efficacité avec laquelle ils répondent aux besoins du

jeune être en devenir. Ils sont néanmoins patrimoine menacé dans notre société moderne. Ils

peuvent être une base précieuse pour notre enseignement musical. On peut même imaginer

réintroduire les jeux chantés dans la vie des enfants, pour le plus grand bénéfice de chacun. [ à

l'écart de toute intervention des adultes, certains jeux que nous proposions en cours de musique

se sont parfois intégrés à la « tradition orale enfantine » des cours de récréation, y compris des

jeux issus de transcriptions hongroises ]

Cette démarche répond également à la nécessité de réagir à la disparition progressive du chant

« domestique » . En dehors du contexte artistique, le chant a accompagné les étapes de la vie des

êtres humains à toutes les époques et dans toutes les cultures, leur apportant un grand nombre de

bénéfices, plaisir esthétique, lien social, rôle culturel, extériorisation des émotions, vertus

10 Montaigne « le jeu devrait être considéré comme l'activité la plus sérieuse des enfants. » A ce propos, un texte de Bruno Bettelheim tiré de l'ouvrage « Pour être des parents acceptables, une psychanalyse du jeu » :

Il est évident que les enfants jouent avant tout pour s'amuser ; mais il faut noter ici que le plaisir de bien fonctionner est l'un des plus purs et des plus importants que puisse éprouver un individu. Chacun aime sentir que son corps est en bon état de marche. Pavlov parle à ce sujet de la « joie musculaire » et, avant lui, Harvey évoquait la « musique silencieuse du corps »[…]Cet extrait à mon sens, exprime bien ce que l'on entend par « jouer » de la musique.

Beaucoup d'enfants qui ont peu d'occasions de jouer, seuls ou avec des partenaires, souffrent de graves arrêts ou régressions intellectuels. Sans exercices, leur pensée risque de rester superficielle et sous développée. […]

Le jeu est également très important parce que, sans que l'enfant en ai conscience, il développe chez lui des qualités indispensables au progrès intellectuel, telles que la persévérance, condition première de la réussite scolaire.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 12

Page 13: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

« musicothérapiques » induites, structuration et éducation... Or, dans notre société moderne, le

chant se retire de plus en plus de la vie quotidienne, cette évolution est déjà en marche depuis

plusieurs générations dans notre pays. Le chant a perdu sa fonction dans la vie des individus, il

perdure encore un peu chez les enfants, mais est presque entièrement absent de la vie des

adultes. La globalisation culturelle nous éloigne d'un socle culturel stable. Dans ces conditions, il

n'est pas étonnant de constater le déclin du degré d'éducation musicale moyen, et les difficultés

croissantes que rencontrent les enseignants en musique. Le répertoire proposé ici vise à recréer

auprès des enfants l'évidence du chant.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 13

Page 14: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Comment peut-on éduquer l'oreille ?

Qu'est-ce que la tonalité ?

Avant de réfléchir à la manière de transmettre le sentiment de tonalité, il est essentiel de

délimiter et de préciser sa définition. Voici quelques extraits de l'article "tonalité" du

dictionnaire de la musique des éditions Larousse.

1. Dans le sens le plus général, caractère propre à toute musique fondée, dans le maniement des hauteurs,

sur le principe d'une hiérarchie entre les différents degrés de hauteur, donnant à certains d'entre eux, et

surtout à l'un, la tonique, le statut privilégié de notes attractives vers lesquelles tendent les autres degrés , et

sur lesquelles on se repose. Dans certains cas, comme celui de la musique occidentale classique, la tonalité

obéit à des lois complexes et à un système très raffiné ; dans d'autres cas (certaines musiques

contemporaines, par exemple) la répétition obstinée d'une note suffit à créer un « sentiment tonal » très

diffus, mais néanmoins très perceptible : par exemple dans les Métaboles d'Henri Dutilleux, par la répétition

ou la tenue en « pédale » de la note mi, dans un contexte pourtant très chromatique.

Il est bien connu qu'il suffit de répéter un degré de hauteur plus souvent que les autres pour lui donner ce

magnétisme « attractif », en faire une espèce de repère, de pivot, de plaque tournante… D'où

l'intransigeance et la complexité des règles proposées par Schönberg pour organiser l'atonalité, c'est-à-dire

pour créer de toutes pièces une musique sans degrés privilégiés. Il en ressort que la musique dans ses

états élémentaires, les moins savants et les plus spontanés, est toujours plus ou moins « tonale »,

même s'il s'agit d'une tonalité « sauvage », ce que démontrent les expériences d'improvisation libres (dans

le free jazz, la musique contemporaine) qui retrouvent très vite des centres d'attraction tonale. L'atonalité est

un caractère réservé à certaines musiques savantes, elle doit être voulue et entretenue en permanence, par

des procédés d'écriture très rigides, pour barrer la route à tout retour de la tonalité refoulée.

2. Plus spécifiquement, on parle de tonalité par opposition à la modalité, quand il s'agit du système tonal

occidental qui ne conserve plus que deux modes, le majeur et le mineur. Tout autre musique non atonale est

alors, par opposition, déclarée « modale » alors que dans un certain sens, la musique occidentale tonale

l'est elle-même par l'emploi des modes mineur et majeur.

La tonalité occidentale se définit donc par la limitation à deux modes, le majeur et le mineur, celui-ci étant

posé comme « relatif » de celui-là ; par un système harmonique spécifique basé sur l'accord parfait, sur des

règles d'enchaînements et d'attractions entre accords dissonants et consonants, « notes sensibles » et

« notes toniques », selon le schème « tension-détente » qui caractérise la cadence classique ;

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 14

Page 15: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

On a vu par ailleurs des emprunts très fréquents aux modes anciens, ou à des modes nouvellement créés

autres que le majeur et le mineur (Debussy, Messiaen, Stravinski), mais, comme le dit très bien Serge Gut,

« une véritable modalité posttonale est presque impossible à réaliser, car elle absorbe toujours des éléments

et des réflexes de l'époque tonale ». La plus grande partie de la musique actuelle, depuis le domaine des

variétés jusqu'à une bonne proportion de la musique contemporaine savante, y compris certaines musiques

électroacoustiques, baigne dans une sorte de tonalité généralisée réduite parfois à sa plus simple, mais non

moins efficace, définition, c'est-à-dire à l'existence d'une note prédominante.

Quelques notions essentielles à retenir de ce texte dans l'optique d'une mise en œuvre

pédagogique :

• Tonalité signifie dans tous les cas hiérarchie des sons autour d'une tonique.

• Cette hiérarchie peut prendre différentes formes selon les époques et les systèmes

musicaux.

• Elle découle naturellement de la plus grande présence, répétition d'un son par

rapport aux autres.

• Quelques mots clés sur les rapports des sons entre eux au sein de cette

hiérarchie :

◦ Attraction, « magnétisme »

◦ Dissonance-consonance actionne les sensations de tension-détente

Dans une grande ambiguïté, le même terme de tonalité peut désigner des réalités

différentes : Soit il fait uniquement référence au système tonal majeur/mineur en usage à

partir du 17ème siècle en opposition aux autres systèmes, soit il inclut toute forme de

hiérarchie autour d'un pôle tonique (parfois plusieurs), qu'il soit modal ou composite. Selon

cette terminologie, la seule antinomie qui demeure est le système d'écriture sérielle, qui

structurellement cherche à abolir toute hiérarchie entre les sons.

Tonal music in this sense includes music based on, among other theoritical structures, the eight

ecclesiastical modes of medieval and Renaissance liturgical, the sléndro and pélog collections of indonesian

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 15

Page 16: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

gamelan music, the modal nuclei of Arabic maqam, the scalar prergrinations of Indian Raga, the

constellation of tonic, dominant, and subdominant harmonies in the theories of Rameau, the paired major

and minor scales in the theories of Gottfried Weber, or the 144 basic transformations of the 12-note row.

Article « tonality » du new grove dictionnary of music and musicians

La tonalité, le sentiment de tonique, est facilement accessible, que l'on soit ou non doué

de l'oreille absolue. C'est une sensation instinctive, presque « naturelle »11. Par ailleurs, et

dans une moindre mesure, chaque degré, au sein de la hiérarchie de la gamme,

s'organise selon un jeu d'attractions, donnant à chacun une valeur propre, à laquelle se

rattache la notion de fonction tonale. Dans la solmisation, ce sont ces fonctions que l'on

nomme « do, ré, mi, fa, sol, la, si » et non pas des hauteurs.

Orienter, construire la progression pédagogique sur cette hiérarchie paraît logique.

Chacun, même musicien non formé, a assimilé le fonctionnement du discours musical,

structuré généralement autour des pôles tonique/dominante. Si le fonctionnement de

chaque système tonal spécifique est éminemment culturel, la présence d'un centre tonal

(un au moins) reste un trait commun à toutes les cultures12 . Distinguer et conscientiser

l'ensemble des différentes fonctions tonales relève d'un travail spécialisé d'éducation de

l'oreille. Ainsi est construit l'enseignement musical par la solmisation, éduquant à des

fonctions tonales plutôt qu'à des hauteurs de sons. Ces sensations sont également

porteuses de sens musical, de valeur affective, elles sont par conséquent musicalement

bénéfiques à tous, y compris à ceux dotés d'une oreille absolue.

Extrait de l'article « tonalité » issu de wikipédia

Ce [premier] degré remplit la « fonction tonale de tonique ». Il est donc le degré le plus important d'une

11 Le phénomène de la résonance naturelle, quelle que soit sa part d'intervention-part inconnue et certainement variable-dans la formation d'un système, implique la possibilité, sinon la nécessité, d'une organisation hiérarchique des sons. Tout système musical-le système sériel éventuellement mis à part-engendre des structures hiérarchiques aux niveaux morphologique et syntaxique. (le système sériel, en principe, semble avoir refusé une organisation hiérarchique au niveau morphologique) Celestin Deliège « les fondements de la musique tonale »12 La tonalité correspond à une hiérarchie entre les tons d'un morceau. Cette hiérarchie n'est pas absolue : elle n'existe que dans notre esprit, en fonction de notre expérience d'un style ou d'un langage musical et de schémas mentaux que nous développons tous pour comprendre la musiqueDaniel Levitin, entre la note et le cerveau

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 16

Page 17: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

tonalité. La tonique et la dominante sont considérées comme deux pôles dont la force d'opposition/attraction

constitue la « pierre angulaire de l'harmonie tonale ».

Les autres degrés d'une tonalité dépendent de la tonique et se définissent par rapport à elle . Ainsi, la

tonique peut être considérée comme le centre de gravité d'une tonalité donnée, puisqu'on la trouve au début

et à la fin de la plupart des pièces musicales écrites durant la période allant du XVIe au XIXe siècle.

Extrait du dictionnaire de la musique de Gérard Pernon

Tonalité: ensemble des caractères d'un système musical fondé sur une hiérarchie établie entre les notes et

sur l'importance particulière de l'une d'elles, dite tonique-note attractive (M.F. Bukofzer fait remarquer que la

"tonalité et la gravitation ont été découvertes simultanément")

Tonique: Premier degré de la gamme dans l'harmonie classique. La tonique est dans le système tonal, le

centre de gravité de la tonalité, la note déterminante. Elle donne son nom à la tonalité.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 17

Page 18: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Attraction et hiérarchie harmonique

Cette image de la gravitation illustre bien l'attraction entre les pôles de la tonalité. La

tonalité peut être assimilée à un univers constitué de pôles mélodico-harmoniques dont la

force gravitationnelle est variable, et entraîne des attractions, à l'image du « système

solaire ». Depuis les plus anciennes « théories musicales » connues remontant à

l'antiquité égyptienne, des symboliques ont rattaché les notes (ou les différents modes)

aux planètes13.

• Classification par ordre d'importance des degrés harmoniques14

Tonique I

Dominante V

Sous-dominante (désigne soit IV soit IV et II selon les conceptions)

médiante sus-dominante sus tonique II III VI

Plus les pôles d'attraction sont fort, plus ils vont avoir tendance à attirer à eux les autres

degrés (emprunts, tonalités secondaires). Cette logique fonctionne en deux dimensions

(mélodiquement) ou en trois dimensions (harmonico-mélodique), elle se retrouve dans

presque tous les styles musicaux. Les spécificités de certains styles (musique modale,

monodique, systèmes extra-européens...) varient éventuellement dans les détails, mais la

logique fondamentale demeure.

13 Cf Max Méreaux symboliques des systèmes musicaux 14 Ce qui est valable pour une conception harmonique (celle que l'on rencontre le plus fréquemment dans les ouvrages) est parfois en adéquation, d'autre fois en interférence par rapport à la hiérarchie des degrés selon une conception mélodique.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 18

Page 19: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

• Tentative de représentation graphique de la hiérarchie des degrés

• Classification des degrés communément admise en jazz

I Tonique

II Préparation à la dominante/substitut à la sous-dominante

III Substitut de tonique

IV Sous dominante ou préparation à la dominante

V Dominante

VI Substitut de tonique

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 19

Tonique

III

VI

IVDominante

II

Page 20: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

• Tableau de classification extrait de « le langage musical de l’Europe occidentale »

tome 2 Louis-Marc Suter15

Fonction Degré Remarques

Tonique I À l'exclusion de tout autre accord

Dominante V

VII

III

Principalement

Forme avant tout ancienne

Rare

V et VII sont très souvent utilisés simultanément dans V7

Sous-dominante IV

II

Principalement

Très fréquemment (II peut être considéré comme l'alter ego de IV)

IV et II sont souvent utilisés simultanément dans II7

Moins définie VI Se substitue à I dans la cadence rompue, mais ne le remplace pas

Peut aussi avoir une teinte de fonction de sous-dominante

Doit également sa situation quelque peu à part parce que accord de

tonique du relatif mineur

Cette conception de la tonalité est dynamique : certains degrés sont dotés d'une tension

intrinsèque, impliquant résolution. En reprenant l'image précédente de la gravitation, on

pourrait parler d'« énergie potentielle » attachée au différents degrés de la gamme.

Du point de vue physique, l'énergie potentielle est l’énergie stockée dans les objets immobiles. Elle

dépend de la position de ces derniers. Comme son nom l’indique, elle existe potentiellement, c’est-à-dire

qu’elle ne se manifeste que lorsqu’elle est convertie en énergie cinétique. Par exemple, une balle acquiert,

quand on la soulève, une énergie potentielle dite de pesanteur, qui n’est apparente que lorsqu’on la laisse

tomber. (wikipédia)

Dans ce sens, l'usage des degrés mélodiques ou harmoniques devient dynamique.

15 Le tableau reproduit ci-dessus est accompagné de la remarque suivante : La notion de fonction harmonique est avant tout définie par le mode majeur. L'auteur fait vraisemblablement référence au « trucage » opéré sur l'accord de dominante au moyen de l'altération de la note sensible afin de le rendre aussi puissant que la dominante du majeur. Cependant, il me semble que les degrés de l'échelle mineure peuvent être dotés de fonctions originales dont l'utilisation est distincte de celle du majeur, pour exemple, les fonctions II et IV en mineur.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 20

Page 21: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Chaque hauteur ou accord (à l'exception peut-être de la tonique) étant tendu vers un pôle

attractif, induit le mouvement, la vie de la phrase musicale. Le compositeur, l'improvisateur

joue subtilement avec notre désir de résolution rythmique, mélodique ou/et harmonique, le

diffère, le trompe, avant de le satisfaire. Cette perspective permet d'espérer échapper à

cette musique statique, inerte, parfois rencontrée dans les classes d'enseignement

musical : Lorsque la musique a un sens (direction) elle est dotée de sens (signification)

Les compositeurs parviennent à communiquer des émotions, car ils connaissent nos attentes et choisissent

délibérément de les satisfaire ou non. Les frissons ou les larmes que nous procure la musique sont le

résultat d'une manipulation ingénieuse de nos attentes par le compositeur et les musiciens. // la création

d'attentes puis leur manipulation est au cœur de la musique.

Daniel Levitin De la note au cerveau

Éduquer l'oreille harmonique, c'est d'abord construire des repères sensoriels et affectifs

sur un univers régi par des attractions très hiérarchisées, avant de pouvoir

progressivement rendre conscient la connaissance des mécanismes et les dénominations

qui s'y rattachent. Comme le reste des disciplines concernées par l'éducation musicale,

l'éveil sensoriel et affectif doit être préalable à la théorisation, dans ce cas cette stimulation

peut intervenir très tôt.

Attraction et hiérarchie mélodique

Mélodiquement, le phénomène des attractions comporte de nombreuses implications. Le

système d'attraction harmonique, correspondant aux fonctions tonales, et le système

d'attraction mélodique, correspondant aux degrés de l'échelle hors de la logique

harmonique, se recoupent, s'entre-influencent, mais cela ne prive pas le système

mélodique de sa vie propre : historiquement, il est premier.

Nos oreilles occidentales sont tellement profondément baignées de logique harmonique,

que dans la plupart des mélodies, nous percevons consciemment ou non les attractions

harmoniques sous-jacentes. Elles dirigent, orientent les mouvements, nourrissent le

phrasé musical. Les pôles mélodiques conservent néanmoins leur force de gravité propre,

comme en témoigne par exemple le jeu des appogiatures, broderies, présent chez Mozart

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 21

Page 22: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

aussi bien que dans une mélodie grégorienne : là encore, comme précédemment cité, l'art

du compositeur consiste à susciter nos attentes, afin de pouvoir « jouer » avec, en

différant ou trompant notre désir de résolution avant l'assouvissement final. Dans les

styles purement mélodiques, très souvent prédomine une logique de juxtaposition des

tétracordes ou pentacordes, sans que la reproduction du modèle à l'octave soit

systématique : makam de la musique classique orientale, « modes » de l'antiquité

grecque, modes grégoriens, musique traditionnelle européenne proto-harmonique... Cette

caractéristique est représentative d'un autre type de fonctionnement de la pensée

musicale, totalement différent, pédagogiquement très précieux au niveau de la formation

de l'oreille, également imprégné de la logique de la « gravitation ». Notons que cette

pensée musicale, extrêmement étrange à concevoir pour nous (autant que devoir imaginer

des mathématiques construite en base 7 plutôt qu'en base 10) coïncide avec l'ancien

système de solmisation sur l'hexacorde Do-la nécessitant mutation pour boucler la

gamme.

Éduquer l'oreille mélodique, en ce sens, peut consister à construire la perception des

degrés de l'échelle mélodique dans leur rapport hiérarchique à la tonique. Si la primauté

d'une éducation mélodique sensorielle avant la conscientisation paraît évidente, dans les

faits elle devient réellement problématique face à la disparition déjà amorcée du chant

domestique16.

Au delà de sa composante purement sonore, un son commence incontestablement à devenir musical en

devenant relation mélodique à d'autres sons, notamment à une Tonique, relation harmonique à une

fondamentale ainsi qu'à ses partenaires harmoniques, et subséquemment, relation à des fonctions tonales.

Examinons précisément cette hiérarchie d'organisation musicale. Aussi étrange que cela puisse paraître, un

son tout seul est déjà une relation : relation à ses harmoniques ou relation au son son fondamental dont il

est l'un des harmoniques

François Bovey L'écoute harmonique subjective p 59

La mesure est crée par notre cerveau qui l'extrait de signaux rythmiques et de volume.

La tonalité correspond à une hiérarchie entre les tons d'un morceau. Cette hiérarchie n'est pas absolue : elle

16 voir l'article vous avez dit solfège ? à propos de la notion de chant domestique.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 22

Page 23: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

n'existe que dans notre esprit, en fonction de notre expérience d'un style ou d'un langage musical et de

schémas mentaux que nous développons tous pour comprendre la musique

Daniel Levitin de la note au cerveau

Le phénomène d'attraction joue un rôle majeur dans la notion de justesse. Les attractions

mélodiques sont si puissantes qu'elles peuvent faire « bouger » la hauteur fréquentielle

des sons, ce que l'on peut nommer de manière générique le « tempérament ». La encore,

l'idée d'oreille absolue, de mémoire absolue de la hauteur tonale d'un son, devient toute

relative. Dans la tradition de la musique classique, notamment c'est ce que l'on nomme

« justesse expressive ». Très judicieusement, Edgar Willems, qui a poussé ses recherches

dans l'univers « intratonal », distingue trois types de justesses : justesse naturelle

(acoustique), justesse expressive, qui prend en compte l'attractivité des pôles

gravitationnels mélodiques, et justesse tempérée. Dès lors, la légitimité du travail habituel

des intervalles en tant que maîtrise de la distance « métrique » entre les notes montre ses

limites, tant les possibles sont démultipliés.

Selon la justesse expressive, un mi bémol, par exemple, dans l'accord do-mib-sol, n'est pas le même que

dans la suite des sons : do-mib-ré, où la tendance résolutive du mib joue pleinement. Tous les vrai artistes,

parmi les violonistes et les violoncellistes, par exemple, pratiquent cette justesse, parfois même

inconsciemment. En quoi la justesse expressive diffère-t-elle de la justesse naturelle, au point de vue du

nombre des vibrations ? Prenons un sonomètre (…).Plaçons des chevalets de manière à obtenir, sur

différentes cordes, le fa dièse et le sol bémol. Ces deux sons, d 'après la justesse naturelle, sont distants

l'un de l'autre d'un neuvième de ton. Déplaçons le fa dièse vers le haut et le sol bémol vers le bas, en

doublant l'écart entre les deux. Nous obtenons ainsi un beau fa dièse, dont la tendance résolutive vers le

haut est plus caractérisée que le fa dièse naturel, tout en satisfaisant l'oreille.

Edgar Willems « les bases psychologiques de la pédagogie musicale »

On accorde communément à la solmisation la propriété de favoriser la justesse. La

considération précédente met en évidence une des explications : en rapportant tout

exemple musical au modèle simple de l'échelle diatonique première, la solmisation facilite

notre justesse expressive en rendant plus évidente et plus sensible la compréhension des

attractions, parfois embrouillées par un contexte tonal chargé en altérations.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 23

Page 24: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Attraction et hiérarchie rythmique

Le jeu des attractions qui a été précédemment décrit pour les hauteurs tonales et les pôles

harmoniques peut donner lieu à une lecture similaire des phénomènes rythmiques. La

hiérarchie décrite autour de la tonique se construit rythmiquement à différentes échelles,

autour de la perception de la pulsation, de la mesure, de la carrure, et de la construction

formelle (d'essence rythmique, elle aussi). Éléments rythmiques, mélodiques et

harmoniques ne peuvent d'ailleurs pas se penser séparément, ces phénomènes jouant

conjointement sur les attentes de l'auditeur, leur création puis leur assouvissement. Mon

professeur d'écriture avait l'habitude de répéter que la plupart des règles d'harmonie sont

d'ordre rythmique.

Relation rythmique

Le rythme fonctionne autant que les hauteurs de manière relative : un rythme n'est rien en

temps que tel, c'est dans la relation aux autres rythmes qu'il se définit. Cette

interdépendance est comparable au phénomène de relation mélodique à l'origine de la

notion de mélodie.

Pédagogiquement, cette constatation comporte une implication de premier ordre : nous ne

travaillons pas les rythmes en temps que tels, mais en relation avec leur environnement.

Après avoir abondamment étudié une figure de rythme, le professeur peut réaliser que la

classe est en échec devant le même rythme présenté dans un contexte différent. Le travail

rythmique demeure peu efficace si il n'est pas construit dans la relation.

Par exemple

• Travailler la blanche prend sens par rapport à la noire.

• Affermir la perception du temps par contraste avec le contre-temps.

• Pour l'étude du rythme « deux croches », selon la place et l'environnement, chaque

situation donne une autre perception de « deux croches » qui doit être travaillée

spécifiquement avant de pouvoir espérer atteindre une autonomie et une confiance

suffisante pour être capable s'adapter à toute nouvelle situation. Quel rythme avant,

après, quel tempo, quel dynamique, quel timbre, quel accompagnement.... ? Quel

type de compétence est attendue : lire, imiter, reconnaître, déchiffrer, inventer ?

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 24

Page 25: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

• Se positionner dans les relations, les rapports entre les « 5 étages » de la

construction rythmique : 1) rythme formelle, 2) carrure, 3) mesure, 4) pulsation, 5)

rythme.

Le travail rythmique est encore souvent assimilé à un exercice métrique et arithmétique.

Tant que la hiérarchie entre temps fort et temps faible n'est pas perçue (conception élargie

aux différents « étages » : rythme, pulsation, mesure, etc...), l'élève peut se trouver

rythmiquement dans la même situation que celle décrite précédemment à propos des

hauteurs :

aussi totalement perdus que si il s'était égaré dans une ville étrangère dont ils ignorent la

langue.

Attractions

En rythme comme au niveau des hauteurs mélodiques ou des degrés harmoniques, les

attractions peuvent « altérer » les éléments, les rendre non conformes à la métrique

rationnelle de l'écriture : Le rubato à l'interprétation d'un Chopin, la délicieuse « irrégularité

régulière » d'une valse viennoise ou d'une sardane catalane, les croches irrégulières (en

jazz, en musique ancienne, musique traditionnelle, les croches sont susceptibles de

devenir inégales, voir irrégulièrement inégales), les rythmes asymétriques.... Cette non

conformité rythmique est émotionnellement très forte, c'est une qualité majeure que l'on

apprécie dans une interprétation. Au contraire, une musique très régulière est vite perçue

comme ennuyeuse. Intérieurement, ces « irrégularités » semblent elles aussi fonctionner

selon un phénomène d'attraction : les temps forts (concept qui inclut les différents degrés

de temps fort) ne sont pas altérés, ils attirent les valeurs plus faibles, par anticipation ou

précipitation.17

En musique traditionnelle, plusieurs théoriciens conçoivent certaines mesures jusqu'alors

considérées comme « asymétriques » comme l'expression de mesures « régulières » sur

lesquelles le rebond, le poids du corps dans la danse a influé. Après avoir épuisé les

17 Cette vision n'est pas « historique », il ne s'agit pas de la « dégradation » progressive d'un modèle premier conforme aux règles de l'écriture. En revanche, notre cerveau semble généralement se construire inconsciemment une norme, un étalon auquel notre perception est comparée. Cf Levitin et Jean During. Certaines cultures musicales semblent néanmoins échapper à ce fonctionnement .

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 25

Page 26: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

différents modèles métriques de l'écriture musicale, ou même des mathématiques, la

référence aux modèles de la prosodie grecque : dactyle, spondée, iambe, trochée,

anapeste, offre parfois la solution la plus signifiante, le rapport précis de proportion entre

les différentes valeurs étant caractéristique à chaque terroir musical. A ce sujet, les

réflexions de Jean During à propos de la musique baloutche dans « rythmes ovoïdes et

quadrature du cycle » sont intéressantes.

Exemple :

En Transylvanie, le rythme « dactyle » est très largement représenté ; selon les

terroirs, les contextes , on le note en 4/4, 9/8, 10/16, 7/8 … (ou encore on ne le

note pas du tout, ce qui simplifie !) Malgré des transcriptions très diverses, l'énergie,

les appuis, et le rapport long-court-court, constitue l'essentiel d'une idée rythmique

commune.

Csárdás 4/4 h q q

Gyimesi lassu csárdás 9/8 h q q .

Invirtita 10/16 q e. e.

7/8 q . q q…...........

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 26

Page 27: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Ces constations relativisent la valeur et la vérité de l'écriture musicale rythmique, qui ne

rend que très peu compte des appuis, de la circulation de l'énergie, et des nombreuses

surprises que peuvent nous réserver les musiciens de talent.

Les musiciens conviennent que le groove fonctionne mieux quand il ne se conforme pas strictement au

métronome-c'est à dire quand il n'est pas mécanique

Levitin p 216

Dans la mesure où la musique reflète la dynamique de notre vie émotionnelle et de nos interactions, elle doit

se dilater et se contracter, accélérer et ralentir, s'arrêter et réfléchir. Si nous percevons ces variations, c'est

parce qu'un système d'analyse dans notre cerveau extrait les informations rythmiques et nous dit quand le

prochain temps doit tomber. Le cerveau a besoin de créer un modèle rythmique stable (un schéma) pour

déterminer à quel moment les musiciens ne s'y conforment pas. Il en va de même pour les variations d'une

mélodie : nous devons nous faire une représentation mentale d'une mélodie afin de savoir (et d'apprécier)

quand le musicien prend des libertés avec elle.

Levitin P 217

En rythme aussi, la sensation peut être comparée à la dissonance et consonance : Tous

les effets de syncope (syncope sur un temps, sur une mesure, syncope d'harmonie, de

carrure...) constituent une sorte de « dissonance » rythmique qui aspire à la résolution de

la même manière. Plus les attractions sont fortes, plus les tergiversations sont possibles

avant la résolution finale, dans la mesure où le point d'arrivée est désormais perçu comme

certain : Ce moment clé de l'attraction qui tend vers la résolution est celui qui va être

souvent le plus orné et le plus enrichi (rythme, mélodie, harmonie).

Sur un pas de Pavane Renaissance

Simple Simple Double

La plupart des tensions sont portées par le double : dissonances, syncope, avant

résolution sur l'équilibre final du dernier posé du double. Cette partie porte la partie la plus

riche de l'élan chorégraphique, rythmique, mélodique .

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 27

Page 28: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Tension et détente.

Cette notion, basée sur la sensation corporelle et physique d'équilibre et de déséquilibre,

irradie le discours musical dans tous ses aspects. Comme une danse, le « jeu » musical

est une exploration ludique entre tension et détente, entre équilibre et déséquilibre. Ce jeu

est dynamique. Tout blocage, arrêt, est préjudiciable. Cette conception est opposée à la

conception métrique du travail rythmique, qui opère des division d'ordre mathématique

entre des valeurs. De même, une conception mélodique générée par l'écrit se prive

beaucoup de ce sens dynamique: cette représentation graphique sous forme de points est

très imparfaite, et ne rend pas du tout compte de cette tension (attraction

« gravitationnelle ») qui nous mène d'un son à l'autre.

Reflux/Thésis Équilibre Flux/arsis

Inhibition stabilité incitation

Détente Neutre Tension

Sous-dominante Tonique dominante

Résolution après la

dissonance

Consonance vers la dissonance

Résolution de la syncope Temps Syncope

Modulation « négative »

vers les bémols

Ton initial Modulation « positive »

vers les dièses

Inhibition et incitation sont deux notions essentielles dans la pensée de la pédagogie

Dalcroze. Ces deux compétences sont développées en lien étroit avec les sensations

corporelles. L'inhibition est souvent la plus difficile à gérer : savoir ralentir, freiner l'élan du

corps, terminer l'énergie qui a été impulsée. De manière totalement prégnante mais plutôt

non didactique, cette gestion du flux de l'énergie est transmise également dans

l'enseignement de nombreuses danses.

Le tableau précédent aurait gagné à être représenté sous forme de cercle :

Entre les différentes étapes, pas de solution de continuité, depuis la levée jusqu'au

silence final, la circulation de l'énergie -mélodique, harmonique, rythmique- est continue,

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 28

Page 29: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

arsis et thésis cohabitent souvent sous forme de tuilage.

Climax

Arsis Thésis

Équilibre

Rares sont les pensées pédagogiques qui forment à cette gestion pourtant essentielle de

la musique, on laisse souvent la vie et ses aléas faire la différence entre les élèves

« doués de talent » et ceux qui ne le sont pas. Le langage corporel nous parle des

mouvements intérieurs de la musique (à moins que ce ne soit le contraire) : rythme,

mélodie et harmonie ; il est le plus efficace, lorsque les mots sont insuffisants.

Nous rencontrons parfois avec beaucoup de tristesse, dans le métier d'enseignant de la

musique, des élèves chez qui le mouvement musical, le flux et le reflux, semblent

irrémédiablement bloqués, peut-être dû à un état psychologique ou émotionnel, peut-être

suite à un choc ou à un traumatisme... Sans en arriver à ces extrémités, certains élèves

sont freinés simplement par la peur du jugement, un rapport anxiogène à l'évaluation. Un

climat de confiance et une attention empathique sont les premières réponses que nous

puissions leur offrir.18

18 Question à laquelle j'ai été sensibilisé par Yves Klein, ou encore par Natacha Pétin, accompagnatrice au conservatoire de Nancy ayant entre autre poussé beaucoup sa réflexion du côté du trac, du rapport au corps en musique.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 29

Page 30: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

L'habituelle « lecture rythmique » de nos cours de formation musicale, effectuée sur le

nom des notes, dénote souvent d'une grande inertie, d'un tempo inadéquat (rendu

nécessaire par la maîtrise du nom des notes) ; elle ne témoigne que de manière

incomplète de la réalité d'une musique, d'autant plus si elle est effectuée sur un exercice

dénuée de réalité musicale : les attractions mélodiques et harmoniques sous-jacentes

doivent transparaître dans une lecture rythmique réaliste.

Savoir lire une musique, c'est en avoir décrypté son énergie, savoir la « deviner » à

travers la notation.

Comment « ça coule », quel type d'engagement, de tempo, quel phrasé, quel qualité de

pulsation, quel poids, quelle carrure, quels points d'appuis, de visée etc.... Il s'agit de

savoir entendre les flux et les reflux, les attractions mélodiques, harmoniques et

rythmiques. La musique prend du sens (signification) lorsqu'elle a un sens (direction).

Il est possible de centrer l'attention des élèves sur ces informations lors d'une lecture sur

onomatopées, encadrée par la perception de pulsation, de mesure et de carrure, qui rend

mieux compte de la manière dont la musique va sonner. Cela n'exclue pas ensuite une

lecture ultérieure sur le nom des notes, à laquelle chacun trouve alors un plaisir et un

intérêt musical décuplé.

La question de la battue de mesure est un serpent de mer des réunions pédagogiques.

Sans s'aventurer à donner une réponse définitive à ce débat, il semble pourtant que cette

solution n'est pas suffisante pour développer le sentiment de mesure, de temps fort, et la

dynamique inhérente à la hiérarchie au sein de la mesure. Les outils peuvent et doivent

être diversifiés : jeu de tape main pour les petits, pas de danse, expression corporelle,

percussions, onomatopées, etc... en mettant l'accent sur la dynamique cyclique de la

mesure, l'élan. Le recours aux répertoires de musiques traditionnelle (Usul de la musique

turque ; clave de la musique cubaine...p.ex), du jazz, des musiques actuelles (musiques à

« pattern rythmique », à « tourne ») peut être une bonne ressource.

L'objectif final : savoir réaliser une mélodie profondément imprégnée de son cycle

rythmique, qui peut en faire sentir la présence alors même qu'il n'est pas exprimé, à

l'image d'une bien interprétation qui sait faire sentir le discours harmonique sous-jacent

(partita de violon J.S. Bach)

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 30

Page 31: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Orientation sensible de l'analyse harmonique

Les hiérarchies décrites au chapitre précédent permettent de développer une analyse et

une compréhension sensible du discours musical. En exprimant plus clairement les

déplacements au sein des fonctions tonales, (un nom pour une fonction) la solmisation

rattache l'analyse directement aux sensations harmonico-mélodiques. L'ouvrage de

François Bovey Intitulé « l'écoute harmonique subjective » propose d'intégrer pleinement

l'affectivité, la sensorialité, la subjectivité au cœur du discours théorique.

Le « déplacement » harmonique le plus fréquemment utilisé par les compositeurs comme

moyen de manipulation de nos attentes musicales, est le déplacement sur le cycle des

quintes. Les musicologues et pédagogues hongrois, dont la pensée musicale est

« solmisante », ont développé un outil d'analyse extrêmement intéressant, dans la mesure

où cette interprétation s'applique avec beaucoup de sens à des répertoires très divers,

depuis les polyphonies de la Renaissance jusqu'aux harmonies du jazz.

Se déplacer vers les bémols implique une détente, un relâchement, ou même un

assombrissement, une dépression. L'effet en est très physique, la « bémolisation »

implique ce « ramollissement » présent déjà dans l'appellation et la notation du

phénomène : bémol signifie « b mou ». Cela correspond à un lâcher d'énergie, à une

décharge d'énergie potentielle. Ce sentiment peut connaître différentes nuances,

déclinaisons, représenté par exemple de manière ténue par l'utilisation d'un accord de

sous dominante, plus prononcé par une modulation au ton de sous-dominante, encore

plus dans le cas d'un passage au ton mineur homonyme, ou d'une sixte napolitaine.

Nommons le de manière générique « charge tonale négative ».

Se déplacer vers les dièses implique un éclaircissement, allant jusqu'à la une tension.

Cela nécessite un surplus d'énergie, afin de se charger en énergie potentielle. Là aussi, la

nuance dépend de l'importance du déplacement, depuis le positionnement sur un accord

de dominante simple, jusqu'à la modulation au ton de la dominante, plus encore le

passage au ton majeur homonyme. Nommons-la « charge tonal positive ».

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 31

Page 32: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Ces deux sensations sont éminemment physiques, elles sont utilisées dans des cultures

musicales très diverses, mélodiquement, harmoniquement, ou structurellement. Elles

coïncident très étroitement avec les notions d'Arsis et Thésis développées précédemment.

"a propos de cette force de retour de la dominante vers la tonique, et plus généralement de la tendance d'un

accord parfait à retourner à sa sous-dominante, on peut parler d'une énergie tonale initiale. celle ci fait partie

du jeu des forces tonales et harmoniques et existe à côté de l'énergie mélodique initiale, quoiqu'elle en

découle à l'origine. "

Ernst Kurth 1913 cité par Dalhaus Die Voraussetzungen der theorischen Harmonik und der tonalen

Darstellungsystem19

Lors du séminaire Kodaly de kecskemét en 2013 Kiss katalin présente un extrait de

« super flumina Babylonis » de Palestrina Les paroles « et flevimus » (nous pleurions)

sont marquées par une charge tonale négative moins 5. Les exemples d'illustration

figuralistes de ce procédé abondent dans la littérature musicale.

Voici la « charge » tonale de chacun des accords de la gamme par rapport à la tonique.

Les (déplacements sont rapportés aux places respectives sur le cycle des quintes)

Gamme majeure

C Dm Em F G Am B 5dim

0 moins 1 plus 1 moins 1 plus 1 0 plus1

Gamme mineure

Cm D 5dim Eb Fm G Ab B 5dim

0 (plus 1) 0 moins 1 plus 4 moins 1 plus 4

(Les accords de quintes diminuée peuvent amener diverses interprétation selon le

contexte.)

19 Kurth inverse le propos habituel, en considérant l'attraction sensible-tonique comme cause de l'attraction accord de dominante/accord de tonique plutôt que comme conséquence. Il considère les deux demi-tons de la gamme comme deux sensibles potentielles: attraction mi-fa et si-do.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 32

Page 33: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Quelques exemples d'utilisations fréquentes et significatives

• Blues : utilisation modale du IVème degré en place de dominante , et

« bémolisation » expressive de la (des) « blue note »

• Jazz coloration des accords de manière positive ou négative par l'ajout de

superstructures aux accords (b9 ; #11 ; b 13...).

• La sixte napolitaine, charge négative -2 à -5 selon l'environnement, la sensation

d'assombrissement est très forte, en utilisant pourtant paradoxalement un accord

majeur.

• Emprunts harmoniques, modulation au mineur dans un contexte majeur, ou au

majeur dans un contexte mineur en musique classique. Schubert apprécie et utilise

souvent ce type d'effet (Gute Nacht, der Wegweiser)

• Rôle de la partie « trio » attachée par exemple au menuet, très fréquemment au ton

de la Sous-dominante, créant une sensation de détente, de relâchement de la

tension.

• Construction de la structure générale selon un plan articulé autour de la carte des

tonalités ( forme sonate, forme binaire) dans la musique « classique »

• Présence d'une apaisante modulation au ton de la sous-dominante lors de la coda,

lorsque tout est dit et que les tensions précédentes ont été résolues.

• Construction mélodique selon le même type de structure : par exemple le « style

nouveau » très présent dans les musiques traditionnelles d'Europe centrale,

hongroises notamment, selon le plan A A5 A5' A

Historiquement, la modulation a été un événement considérable, auquel les auditeurs du

18ème siècle devaient vraisemblablement être plus sensibles que nous. Sensibles

également au « sens » dans lequel on module : positif ou négatif. L'avènement du

tempérament égal, le développement de la facture des instruments d'une part, et les

développements de l'écriture musicale depuis le 19ème siècle d'autre part, ont affaibli nos

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 33

Page 34: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

repères et émoussé notre perception. Néanmoins, éveiller nos sens à cette utilisation de

l 'énergie en musique semble une évidence et une nécessité quelque soit le répertoire. La

construction tonale est un(le) moyen essentiel utilisé par les compositeurs pour la

construction formelle de leurs pièces au moins depuis le XVIIème siècle. Cet état de fait

ne doit pas être seulement l'objet de considérations théoriques et cérébrales, il est avant

cela sensible. Cette optique en facilité la transmission à nos élèves, il s'agit alors

d'éduquer, d'affiner, de nommer des sensations. Ainsi, une forme sonate peut être perçue

comme le véritable « drame » qu'elle constitue. En outre, cette analyse est plus

dynamique : se déplacer, c'est en quelque sorte acquérir de « l'énergie potentielle ».

Autrement dit, la musique est plus dans la tension induite par les événements que dans

les événements eux-mêmes.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 34

Page 35: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Des outils pédagogiques en Formation Musicale

Utilisation de la solmisation

Pourquoi la solmisation permettrait-elle mieux que le solfège en « do fixe » la structuration

de l'oreille ? Car quelque soit la tonalité, elle permet de situer les sons dans le cadre

hiérarchique et de mettre un nom unique sur une fonction unique. C'est une sorte de sens

de l'orientation dans la carte des sons qu'il s'agit de développer : de quel côté est le soleil

(la tonique) ? Dans ce cadre, l'éducation harmonique est logiquement parallèle, et peut se

développer simultanément au sens mélodique, et non plus reléguée aux études

spécialisées du troisième cycle. Compréhension harmonique et mélodique en

interdépendance.

Pourquoi l'intégration totale de la solmisation pose-telle problème en France ? Dans

l'enseignement non spécialisé, elle est un formidable outil pédagogique, et rien ne la

limite, en dehors de son manque de diffusion. Son efficacité est extraordinaire en

comparaison aux autres moyens de construction de l'oreille : aboutir par exemple à de

réelles capacités de déchiffrage chanté pour des enfants non musiciens est parfaitement

réalisable.

Dans l'enseignement spécialisé, en revanche, nos élèves français sont forcément

confrontés au do fixe (souvent d'une année à l'autre, à l'occasion d'un changement de

professeur, ou même par divergence de méthode entre le professeur de formation

musicale et d'instrument). En l'absence d'utilisation de A B C D E F G comme dans les

pays anglo-saxons, nous ne disposons que d'un appareil de syllabes (do ré mi fa sol la si

do) pour solmiser comme pour solfier. L'apparente contradiction des systèmes dans la

langue française peut être lissée, ou mieux encore assumée, au moyen de quelques

aménagements, la cohabitation des deux systèmes est possible.

Sur cette question, je renvoie encore une fois au livre de François Bovey, qui présente

admirablement les intérêts et les enjeux de la solmisation. (p 109 à 132)

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 35

Page 36: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Quelques exemples concrets de mise en œuvre.

Surmonter l'apparente contradiction entre do fixe et do mobile dans l'enseignement

spécialisé en France.

Phonomimie et solmisation dans la première année.

Utiliser dans un premier temps la phonomimie et le do mobile dans toutes les activités de

jeu musical, rondes etc... et le do fixe dans le travail « sur table » (en fa Majeur en ce qui

concerne ma progression). Au bout de quelques mois seulement, il devient très facile

d'expliquer à des enfants de 7 ans ce que signifie changer de tonalité, et de pratiquer la

transposition (les chansons connues peuvent alors être indifféremment exprimées en fa

ou do Majeur, dans l'exemple précédemment cité) On peut alors introduire la phonomimie

« relative ». Rien n'empêche en revanche de continuer à utiliser couramment dans le

travail oral la solmisation relative.

Phonomimie relative :

Utiliser les gestes de la phonomimie solmisante en do fixe. Le poing fermé, signifiant

« do », signifie alors « tonique », et s'adapte à la nouvelle tonalité, il peut être

alternativement nommé fa, sol, etc... Chaque nouvelle tonalité introduite doit alors être

patiemment éduquée : entendre le do comme dominante et non plus comme tonique

prend au moins le temps nécessaire à fixer le geste sur la nouvelle note. Ainsi s'installe

également dans le système « do fixe » la sensation de fonction tonale.

L'expérience menée avec plusieurs classes différentes a prouvé que cette utilisation est

parfaitement « digérable » en quelques mois par des enfants en premier et en deuxième

cycle qui n'avaient eu aucun contact préalable avec la solmisation, sans les mettre en

danger au cas où l'année suivante ils devraient travailler autrement avec un autre

professeur. Le bénéfice en déchiffrage chanté et en dictée (les pratiques d'évaluation

considérées comme les plus probantes pour tester l'oreille) sont indéniables, notamment

auprès des élèves jusqu'alors en échec.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 36

Page 37: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Solmisation en mémorisation

Dans tous les cycles, la mémorisation peut se faire en do mobile, en s'appuyant ou non

sur la phonomimie ; Tant que le son est uniquement vocal (pas d'utilisation du piano), les

élèves gênés par le conflit avec leur oreille absolue sont une très petite minorité. Ils sont

en général de très bons élèves, à qui il est possible d'expliquer que ce petit exercice de

« transposition » ne peut tout du moins pas leur nuire. En revanche, dès que le son du

piano est entendu, les effets du conditionnement mis en œuvre par les habitudes de dictée

au piano se font sentir.

Le plus tôt possible (en deuxième ou troisième année), cette mémorisation peut inclure

une dimension polyphonique ou harmonique (accompagner le chant réel par le chant

intérieur matérialisé par le geste phonomimique) afin de construire l'interdépendance

mélodico-harmonique.

Quelques propositions pour une construction sensorielle de la sensation de degré dès le

premier cycle.

• Dans un premier temps les chansons construites sur le balancement tonique-

dominante. Les berceuses sont très nombreuses, (dodo l'enfant do, berceuse de

Schubert) citons encore « trois jeunes tambours », « chère élise », « coucou

hibou »...

• Dans un deuxième temps des chansons intégrant le IVème degré également, à

l'exemple de la berceuse de Brahms : « à la pêche aux moules », « il court il court,

le furet », « aux marches du palais »...

• Puis vient la construction lente et patiente des sensation de IIème degré (« mon

petit oiseau », « auprès de ma blonde ») et de VIème degré, lié au passage au

relatif majeur (« que ne suis-je la fougère », « la p'tite hirondelle », répertoire de

musique traditionnelle hongroise, russe)...

La mise en œuvre instrumentale est l'occasion de la « traduction » en do fixe. Des

exercices tels que le « sing and play » sont praticables dès la 1ère année, y compris pour

les non pianistes. (p. ex. jouer les do et sol qui accompagnent la mélodie)

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 37

Page 38: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Mémoire et oreille intérieure

L'audition intérieure est une compétence essentielle chez les musiciens. Pour certains

élèves, elle semble parfois inaccessible, irréelle.

L'audition intérieure, absolue et relative , est un phénomène de mémoire.

P78 Edgar Willems les bases psychologiques de l'éducation musicale.

J'ai été surpris de constater qu'il était pratiquement impossible de distinguer la courbe [de l''activité

cérébrale] des sujets qui imaginaient la musique. Cela laissait supposer qu'on utilise la même zone du

cerveau pour se souvenir et pour percevoir

D. Levitin P 195

Ces citations éclairent la question : entendre intérieurement, c'est comme se souvenir. Si

la quantité et la variété des expériences est suffisante, l'esprit devient capable de

construire un « faux souvenir », sur la base de l'écrit, ou de l'invention. La mémoire

fonctionne comme une simulation de perception : entendre intérieurement se distingue à

peine d'entendre réellement.

Mémoire musicale et oreille intérieure sont étroitement liées

The most important task of solfege is probably the development of inner hearing.

Inner hearing has a dual significance : firstly, it gives a « programme » ( the pupil

imagines what he wants to play, sing, clap, and so on), secondly, it has a controlling

role (the pupil subsequently checks what he has heard or produced himself).

Whithout inner hearing, there is not established in the pupil's imagination the melody

he plays or sings, on the other hand he isn't able to chek what he played or sang.

Dobszay László Hangja Világa, « the world of tones » introduction au IIème volume.

Les différentes approches convergent : la mémoire est d'autant plus efficace lorsque :

-les pistes, les entrées permettant d'actionner le souvenir sont variées (auditif,

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 38

Page 39: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

kinesthésique, visuel)

-le souvenir est assimilé dans un contexte de forte valeur affective, émotionnelle.

Par exemple, une mélodie est plus facilement mémorisée si elle est associée au texte de

la chanson, surtout si nous réussissons à le doter d'une valeur affective et émotionnelle

propre. La gestuelle, la danse ou le petit jeu associé à la mélodie facilite également

considérablement l'apprentissage.

Du point de vue didactique, la variété des outils est une nécessité pour le travail de

l'oreille, principalement en Ier cycle : des représentations graphiques variées (schémas,

escalier, notation Curwenn, portée, « solmiplot20 ») le recours à la phonomimie (lexique de

geste associé à chaque fonction en solmisation)....Dans l'enseignement Kodaly, on insiste

sur la nécessité de rattacher la présentation d'une chanson à un contenu affectif de

grande valeur ; ce moment est particulièrement soigné. Le texte de la chanson est le

premier vecteur. La plupart du temps, l'enseignant de « formation musicale » ou solfège a

tellement à cœur de développer l'oreille qu'il pourrait avoir tendance à déconsidérer le

texte, à le reléguer au rang d'alibi dont on se débarrasse rapidement pour aller à

« l'essentiel », ou dont on se passe tout à fait. (tant de chansons transcrites sans leurs

paroles dans les manuels, ou avec des paroles incomplètes, qui perdent leur sens).

Pourtant, du point de vue de l'enfant, ce texte constitue l'essentiel, c'est par ce texte qu'il

peut pénétrer dans l'univers mélodique, que naît l'envie de musique.

Beaucoup d'étudiants en musique, à quelque niveau qu'ils soient, n'ont pas eu le privilège de participer, dans leur jeune âge, à ce genre d'activités. Ils n'ont pas bénéficié de la la chance immense d'intégrer ces paramètres musicaux au cœur d'un processus purement affectif, processus aidé en cela par un contexte généralement ludique. Toute cette phase durant laquelle les sons auraient pu être affectivement intégrés dans leurs relations mutuelles, et en conséquence, dans leur identité propre, leur a complètement échappé. Dès lors, entendre une quinte sur le « paroles » do-la ne leur pose aucun problème, alors que cela devrait leur faire mal au ventre. Et, conséquence naturelle de ce non-investissement affectif, les sons d'une gamme ou d'un mode ne seront parfois pour eux, que des paramètres solfègiques ennuyeux, certes beaux dans l'interprétation future d'une messe de W.A. Mozart, mais bien fastidieux avant. Les professeurs de solfège ne pourraient donc qu'y gagner à faire aimer les sept notes de la gamme, leurs sept prénoms respectifs et l'ensemble du réseau et des relations indissociables entre noms et notes. François Bovey P 126

20 Invention du pédagogue et musicologue Edouard Garo, qui permet de matérialiser les déplacements sonores

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 39

Page 40: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Comment différencier l'enseignement en FM ?

L'éducation nationale a franchi le pas depuis longtemps, et les enseignants disposent déjà

d'une importante expérience dans la différenciation des apprentissages afin de l'adapter

au mieux au besoin de chaque élève. En classe de formation musicale, les expériences

menées dans cette direction sont encore relativement rares, pour une raison technique

évidente : en musique, on travaille avec le son, il est difficile de ne pas se gêner en

proposant des tâches différentes au même moment.

Cependant, les élèves d'une classe ont des capacités et des besoins très divers, et

quelques solutions existent pour pouvoir simultanément les stimuler sur différents

registres. La solution la plus gérable jusqu'alors m'a semblé être de proposer un travail

différencié en autonomie plutôt aux élèves les plus avancés : ils sont plus à même de

travailler seuls, il faut s'efforcer d'éviter qu'ils s'ennuient alors que l'enseignant prend le

temps d'aider les élèves en difficulté.

• La consigne différenciée

Nous travaillons tous et écoutons tous la même musique, mais la recherche à effectuer

n'est pas la même pour chacun. Certains en sont encore à noter la mélodie, alors que

d'autres en sont déjà à la basse... Éventuellement, des fiches d'élève distinctes peuvent

être préparées en conséquence. Le travail par mémorisation facilite également les

choses : chacun travaille à son rythme, Les priorités peuvent être différemment orientées :

par exemple, tel élève a beaucoup de soucis méthodologiques pour organiser et structurer

ses partitions, il devra concentrer sur cet objectif, quitte à avoir peu écrit...

• La « fiche d'autonomie »

Les moyens informatiques permettent de se construire petit à petit un répertoire de fiches

de travail à proposer aux élèves ayant fini avant tout le monde, ou ayant une difficulté

particulière à surmonter. Les exercices théoriques paraissent évidents, les manuels du

commerce peuvent fournir des propositions. Voici encore quelques idées , à faire réaliser

par le chant intérieur.

Le puzzle une chanson est découpée en petit fragments dont il faut reconstruire l'ordre

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 40

Page 41: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Les devinettes une liste de fragments de chansons précédemment étudiées dont il faut

restituer les titres. Les fragments peuvent être dans la tonalité originale, ou dans une autre

La transcription une chanson ou un texte musical à réécrire ou compléter dans une autre

tonalité (éventuellement du majeur au mineur si les élèves ont été habitués oralement à ce

procédé) , ou un autre mode rythmique (écriture à la croche à transformer à la noire, à la

blanche, voir passer du binaire au ternaire)

• La « situation problème »

La « situation problème » est une réflexion emblématique des sciences de l'éducation,

représentative d'une démarche pédagogique où l'enseignant, idéalement, après avoir

proposé la situation initiale, n'a plus qu'à guider les élèves dans leurs recherches. Chacun

peut, idéalement, suivre le chemin qui lui convient le mieux pour construire son savoir. Ce

type de dispositif a été très décrié par les tenants de la tradition, de la rigueur en

enseignement, l'accusant de démagogie, de laxisme, de pédagogisme, et le tenant pour

une des causes de la « baisse du niveau ». Comme en toute chose, certains excès leur

ont donné raison.

Musicalement, comment peut-il être possible, en cours collectif, d'envisager une telle

démarche ? Cela peut en réalité être relativement simple et naturel, dans la mesure où le

climat relationnel de la classe est bon et la confiance mutuelle préalable est établie entre

enseignant et enseignés. On peut construire occasionnellement le cours autour d'une

mise en situation musicale, permettant à chacun de s'orienter vers les solutions qui lui

sont judicieuses (voir le chapitre « Formation Musicale instrumentale »). Cette démarche

est particulièrement adaptée au IIème et IIIème cycle, même si elle reste possible en Ier

cycle. Quelques exemples concrets ;

-Proposer une partition et en projeter la réalisation alors même qu'elle n'est pas adaptée et

ne peut pas être jouée/chantée en l'état : clés différentes, instrument transpositeur, les

accords ne sont pas réalisés, ou même pas du tout indiqués....

-Proposer la réalisation d'une musique alors même qu'on ne dispose pas de sa partition,

mais seulement d'un enregistrement. (si la musique en question a été proposée par les

élèves-sous le contrôle de faisabilité du professeur-l'enjeu est encore plus motivant).

-Proposer la réalisation d'une musique alors que sa partition est incomplète (par exemple,

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 41

Page 42: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

les ritournelles entre chaque couplet ont été effacées, ou la photocopieuse a

« malencontreusement » refusé d'imprimer la fin du texte...)

-Le professeur joue une musique, tous les moyens sont acceptés pour arriver au but final :

être capable de la rejouer/rechanter.

• L'entraide

Cette disposition plaît énormément aux élèves, elle doit néanmoins toujours être très

encadrée du point de vue relationnel : éviter le jugement, le sentiment de supériorité ou

d'infériorité. Celui qui a terminé en avance peut aider (sur suggestion du professeur) un

élève qui peine à trouver les solutions, à s'organiser. L'aidant est sensibilisé à la méthode :

il doit poser les questions, guider, mais pas donner les réponses. Les bénéfices sont

partagés, il est notoire qu'expliquer aide à comprendre.

• L'outil informatique

Les logiciels d'aide en Formation Musicale facilitent énormément l'individualisation du

travail, permet au professeur de cibler les exercices par rapport aux besoins, et de se

rendre disponible pour d'autres. en revanche, l'ordinateur ne rend pas musicien, c'est là

une limite à ne pas sous-estimer.

• Travail autonome.

Proposer un temps de travail autonome à un ou plusieurs élèves, si l'on dispose d'un

endroit où ils puissent se préparer (salle supplémentaire, studio) sur un projet précis (un

déchiffrage polyphonique, une recherche d'accords, etc...). Ce n'est possible qu'avec des

élèves en qui on a toute confiance, et peut être l'occasion de parler de méthodologie ;

apprendre à savoir travailler sans l'encadrement du professeur est indispensable aux

musiciens (savoir travailler à la maison)

Les classes paraissent de nos jours de plus en plus hétéroclites : si l'on parle souvent de

la « baisse du niveau », il faut aussi évoquer la multiplication des « enfants précoces »,

qu'il est indispensable de stimuler selon leurs besoins. La différenciation de

l'enseignement de la Formation Musicale est de plus en plus nécessaire.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 42

Page 43: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Différents stades de conscience dans la pratique musicale.

Musique savante, musique de l'oralité

La tradition de l'enseignement de la musique « savante », comme son nom le suggère, se

base essentiellement sur la conscientisation des notions musicales. La rationalité, l'esprit

d'analyse, le contrôle, l'esprit de synthèse sont des compétences présentées comme

primordiales. La lecture et l'écriture musicale sont généralement à la base de l'édifice. En

revanche, il est communément admis que cette démarche peut priver ceux qui l'ont

connue d'une certaine spontanéité, d'un accès au « lâcher prise », à l'improvisation....

Dans les musiques de transmission orale, l'état de conscience du musicien en action est

différent, de nature plus intuitive. La part de rationalité est plus restreinte. Les choses qui

se passent en lui lors du jeu musical sont le résultat de l'accumulation puis de la

recombinaison des expériences passées. L'expression « ça joue » paraît plus adéquate

que « je joue ». Selon ce fonctionnement, l'interprétation d'une pièce peut varier

considérablement d'une fois à l'autre, et diffère du « par cœur » pratiqué pour la musique

savante. Le sens de la synthèse, de la créativité, basé sur la recombinaison et

l'extrapolation des expériences passées est plus libre car il n'est pas censuré par la

directivité des expériences passées et l'existence d'une vérité univoque notamment fixée

par l'écriture. La musique qui en découle est de nature organique, elle est mouvante,

vivante, la variation est un état permanent et naturel. La fixation à une forme unique est

une anomalie (qui signifie généralement la fin de sa condition de musique de tradition

orale).

Par exemple le musicien à qui on le demande est incapable de rejouer deux fois de

manière identique (sans variation), il sait difficilement reprendre le morceau à un endroit

arbitrairement fixé, il n'est pas capable de ralentir sa musique (tout du moins, la musique

en est notablement altérée). Le caractère de vérité et d'authenticité attribué à un morceau

ou a une interprétation obéit à des critères précis mais différents de ceux de la musique

savante (exactitude, respect de la partition), notamment plus attachés au rôle fonctionnel

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 43

Page 44: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

de la musique (est-ce bon pour la danse?).

Ce type de conscience musicale est en voie de disparition, dans la mesure où la

démarche occidentale de la musique savante jouit d'un tel prestige social que les

musiciens de la tradition orale aspirent très fortement à en intégrer les codes et les

modèles. Il correspond néanmoins beaucoup plus à la manière dont on s'exprime

verbalement chaque jour ; même si l'on raconte deux fois la même chose, il est peu

probable que notre discours soit identique. Cette question de l'état de conscience dans

lequel nous vivons la musique me semble être à la source de nombreuses interrogations

de notre système d'enseignement. Pourquoi les autodidactes qui jouent du rock dans un

garage ont-ils parfois plus d'accès au plaisir musical que les élèves méticuleusement

enseignés ?

Il importe beaucoup que l'enfant vive les faits musicaux avant d'en prendre conscience. Nous dirions

volontiers que le « drame » de l'éducation musicale, et en tout cas sa difficulté majeure, se trouve dans le

passage de la vie naturelle, instinctive, à la vie consciente, maîtrisée. Cette transition, qui se situe à tous les

échelons de l'éducation musicale, devrait pouvoir s'accomplir sans porter atteinte à la réalisation naturelle

des trois stades qu'implique l'évolution : Vie inconsciente, prise de conscience, vie consciente ; ou si l'on

veut : synthèse inconsciente (syncrèse), analyse et synthèse consciente.

Edgar Willems les bases psychologiques de l'éducation musicale P 9-10

Le musicien « classique » donne lui aussi toute la mesure de son talent lorsqu'il parvient à

sublimer les contraintes, à intégrer suffisamment le langage musical d'un répertoire au

point de parvenir à une liberté de discours tout aussi « organique » que celle de la tradition

orale.

Écoute flottante, conscience flottante

Le terme d'écoute, censé signifier une certaine attention auditive, une certaine vigilance de l'oreille, gagnera

énormément à s'ouvrir désormais à une autre sphère plus vaste et d'ordre plus immatériel, et à être dès lors

associé au qualificatif de flottante. Ce terme ; signifiant quant à lui une perception quelque peu vague, libre

de toute contrainte et de toute volonté, nous permettra de mesurer combien ce mode de perception s'avère

propice ) l'établissement d'une nécessaire distance par rapport à la matérialité de certains paramètres

musicaux. // Que signifie donc le concept d'écoute flottante ? En réalité, c'est une écoute qui pourrait être

qualifiée de vague et de précise en même temps, et qui paradoxalement, saurait tirer profit de son côté flou

pour en accroître la précision. C'est une écoute qui (…) est à la limite de l'activité et de la passivité.

François Bovey P 255

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 44

Page 45: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Ce concept d'écoute flottante développé par F. Bovey paraît extrêmement intéressant du

point de vue de la perception ; le musicien ayant vécu le rapport à la musique de tradition

orale (ainsi qu'un bon nombre de musiciens de l'écrit, peut-être mauvais élèves en

analyse, mais en connexion constante avec leur sensibilité) y adjoindra la conscience

flottante de la situation musicale, une conscience qui elle aussi reste à la limite de

l'activité et de la passivité.

C'est dans cet état que notre capacité de réaction musicale est la plus optimale : Tant que

notre volonté est consciemment tendue vers un but défini, nous ne pouvons accepter avec

souplesse de réagir aux stimuli extérieurs que génère toute situation musicale : interaction

avec les autres musiciens, les auditeurs, les danseurs... Sans cesse, nous devons

adapter notre justesse, notre nuance, notre pulsation, etc... en fonction de ces

perceptions, et nous le faisons la plupart du temps sans passer par la conscience, fort

heureusement, de la même manière que nos main se tendent pour amortir le choc en cas

de chute. Les neurologues parlent de « circuit court » opposé au « circuit long » qui

concerne le cortex.

Les habitués de la musique improvisée, de la danse contemporaine, du théâtre travaillent

aussi dans ce sens à développer une attention, une sensibilité de groupe : par lâcher prise

et abandon de la conscience individuelle, l'ensemble finit par réagir en temps réel, sans

avoir eu le sentiment que la décision aie été portée par une volonté individuelle définie :

comme un vol d'étourneaux, ou un banc de poisson !

L'interaction musicien-danseur semble fonctionner sur le même type de canal : une

« infra » communication modifie continuellement la prestation de l'un et de l'autre en aller-

retour.

Cette considération met l'accent sur la valeur pédagogique de la phase d'imitation.

Depuis leur plus jeune âge, c'est par l'imitation que les enfants ont réalisé un (le plus)

grand nombre d'acquisitions. Ce fonctionnement leur est très naturel, à la base de

nombreux jeux. Par l'imitation du geste du professeur, du son, de son attitude générale

dans la situation musicale (grande puissance de la communication non verbale), etc...

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 45

Page 46: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

l'élève reçoit un grand nombre d'informations qu'il est capable de traiter sans recours à la

conscientisation et à la verbalisation. Ce type de transmission très « instinctive »

correspond bien aux jeunes et très jeunes enfants. Cette phase ne contredit pas la

volonté de rationalisation, de théorisation, elle la prépare. Là encore, la qualité de

l'exemple donné conditionne la qualité de la « trace ».

Une des principales erreurs de la pédagogie du passé a été de vouloir résoudre tous les problèmes de

l'éducation par la conscience humaine réfléchie seule. C'est surtout dans l'éducation artistique que cette

erreur a été faite.

Edgar Willems p 75

Une construction prématurément rationalisée et analytique de l'enseignement nuit à

la naissance d'une musique vivante, vécue, et recréée, au profit d'une musique

« apprise ». Si elle se base toujours sur de louables intentions, elle correspond la plupart

du temps à une démarche "adulto-centriste": nous sommes difficilement capables

d'imaginer comment se construisent les schémas mentaux des enfants, et nous nous

référons plutôt aux nôtres. Pourtant, à y prêter attention, les adultes eux-mêmes ne

construisent pas toujours leur savoir de manière logique et progressive.21

La linéarité exposive n'est, le plus souvent, qu'une illusion a posteriori, l'illusion de celui qui a déjà trouvé,

par des cheminements infiniment plus étranges et complexes qu'il ne le croit lui même, et qui a déjà remis

en ordre ce qu'il a trouvé, organisant les concepts et les exemples, cherchant à combler les vides et à

écarter les éléments utiles ou redondants.

Philippe Meirieu, la pédagogie entre le dire et le faire P 142

Au regard de ces remarques, depuis plus d'un siècle, les pédagogies actives ont

proposé des alternatives crédibles, prônant la transmission du savoir-faire avant le savoir,

et replaçant au centre le sensoriel, le corporel. Là aussi, cependant, certaines démarches

21 « La culture propre à l'enfance est de nature orale, car si la plupart des enfants à travers le monde entier apprend à lire et à écrire (...) pendant une bonne partie de la période de l'enfance, leur mode de communication favori a toujours été la communication orale, souvent accompagnée par l'observation et l'imitation de comportements et de techniques. C'est ainsi que l'on peut remarquer que les traditions des enfants sont basés sur la répétition et l'utilisation de formules ritualisées » Carole H. Carpentier « les universaux de la culture enfantine » Dans le même ouvrage l'auteur recense les caractéristiques universellement reconnues dans les cultures enfantines à travers le monde. en voici quelques uns qui nous concernent plus particulièrement. Besoin d'enchantement/Grande activité, dépense physique/Espièglerie/échanges interpersonnels de forte valeur affective/gaieté, humour/Curiosité/inventivité/Imagination/Conservatisme : besoin de stabilité, de sécurité face aux incertitudes de la vie.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 46

Page 47: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

ont tendance à pêcher par excès de rationalisation. Ces dérives sont d'ailleurs plus

souvent le fait des « suiveurs », au moment où une « méthode » se construit et se

pérennise à la suite de l'enseignement d'un grand maître. Les grands initiateurs se sont

d'ailleurs très largement méfiés, réfutant pour la plupart le terme de « méthode » qui leur a

été attribué parfois contre leur volonté (Kodaly, Dalcroze)

« En effet, m'étant décidé en conséquence à faire précéder les leçons de notation harmonique,

d'expériences particulières d'ordre physiologique tendant à développer les fonctions auditives, je m'aperçus

bien vite que chez les plus âgés de mes étudiants, les sensations acoustiques étaient retardées par des

raisonnements anticipés et inutiles, tandis que chez les enfants elles se révélaient d'une façon toute

spontanée, et engendraient tout naturellement l'analyse. Je me mis dès lors à éduquer l'oreille de mes

élèves dès l'âge le plus tendre et constatais ainsi que non seulement les facultés d'audition se développent

très vite à une époque où toute sensation neuve captive l'enfant et l'anime d'une curiosité joyeuse,_mais

encore qu'une fois l'oreille entraînée aux enchaînements naturels de sons et d'accords, son esprit n'a plus

aucune peine à s'habituer aux divers procédés de lecture et d'écriture »

Emile Jacques Dalcroze, le rythme, la musique et l'éducation

La partition et la dépendance à l'écrit

« la partition est une drogue dure » énonce Noémie Robidas, sous forme de boutade, lors

de son exposé sur la place de l'improvisation dans l'éducation musicale.

Effectivement, une formation trop prématurément analytique, et exclusivement fondée sur

l'écrit rétrécit les « possibles » de la pensée musicale. On finit par ne plus être capable de

concevoir, d'entendre, ou même simplement d'imiter un geste musical qui échapperait aux

codes de l'écriture. La perception même de la musique passe à travers le « filtre » des

codes de l'écriture musicale, on entend ce que qu'on connaît, ce qui n'est pas connu est

réduit à la forme connue la plus proche. Si cette remarque concerne tous les domaines

musicaux (hauteur tonale, tempérament, timbre, attaque, phrasé...), c'est dans le domaine

rythmique que l'exemple est plus évident : imaginez un musicien classique, élevé dans

l'écrit, qui lit une partition de jazz, quelque soit la précision du relevé qui lui a été donné à

exécuter.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 47

Page 48: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Dès l'âge de 5 ans ; la plupart des enfants ont intégré les progressions propres à la musique de leur culture :

ils savent détecter les écarts par rapport aux séquences standard aussi facilement qu'ils repèrent une

phrase anormale, par exemple : « la pizza était trop chaude pour dormir ».// Notre cerveau est le plus

réceptif quand nous sommes jeunes : il absorbe avidement (presque comme une éponge) tous les sons qui

passent à portée d'oreille et les incorpore dans la structure même de notre câblage neuronal. En vieillissant,

les circuits neuronaux perdent de leur souplesse et il devient difficile d'intégrer profondément de nouveaux

systèmes musicaux ou linguistiques.

Levitin p 58

Notre cerveau apprend une sorte de grammaire propre à la musique de notre culture, de la même manière

que nous apprenons à parler la langue de notre pays. // Notre cerveau ayant évolué de pair avec le langage

naturel, toutes les langues du monde partagent certains principes fondamentaux. Ainsi, notre cerveau a la

capacité d'intégrer n'importe quelle langue presque sans effort par simple exposition au cours d'une phase

cruciale de développement neuronal. De même, je pense que nous possédons tous la capacité innée

d'apprendre toutes les musiques du monde, bien qu'elles différent sensiblement les unes des autres.

Levitin P 140

Choisir de manière exclusive l'écrit comme support à l'éducation musicale n'est pas

anodin : cela modèle définitivement notre pensée musicale, « pour le meilleur et pour le

pire ». Ceci relève la question de la signification et de la représentativité de la partition, et

ouvre à toutes les réflexions menées à ce sujet depuis le XXème siècle. Savoir penser la

musique non écrite, c'est mettre en œuvre un tout autre circuit mental, c'est comme

penser en une autre langue. Pédagogiquement, et de manière plus globale, alors même

que la conscientisation, la rationalisation aura été mise en œuvre, ce rapport à la musique

demeure très intéressant :

• il nécessite une grande maîtrise du langage musical, de sa grammaire, afin d'être

capable de construire ou reconstruire ses propres phrases. Cette maîtrise doit être

intuitive et spontanée, et ne peut s'accommoder de « recettes » guidées par la

pensée rationnelle.

• Il nous invite à un véritable lâcher prise, pour une musique très vivante.

• Il laisse une très grande place à l'interconnexion avec les autre (musiciens,

danseurs, auditeurs...)

• Il nécessite des compétences solides d'anticipation, de responsabilité, d'aptitude à

la prise de décision.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 48

Page 49: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

• Il laisse ouverte la porte à une infinité de possibles musicaux.

Combien y a-t-il de placement possible entre deux pulsations, ou entre deux

notes? : théoriquement, une infinité. De combien l'écriture musicale sait-elle rendre

compte de manière efficace ?

Est-il envisageable de pouvoir bénéficier des avantages des deux systèmes ? L'écriture

musicale est une invention extraordinaire, et le propos n'est pas d'y renoncer. Les outils de

la rationalisation et de l'analyse sont une ressource essentielle en musique. Il faudrait

pouvoir imaginer une formation musicale « bilingue », qui transmette les mécanismes des

deux univers. On dit généralement que le cerveau humain est capable d'assimiler 7

langues, plus encore pour les cas exceptionnels, pourquoi ne pourrait-il pas assimiler deux

systèmes de pensée musicale ? des exemples existent. Réussir à élaborer une démarche

pédagogique construite, cohérente, basée sur les traditions d'enseignement les plus

abouties, ne risquant pas d'exposer les élèves à des expérimentations hasardeuses tout

en bénéficiant des intérêts des uns et des autres, voici le défi.

Conscience et mobilisation corporelle

L'état de conscience dans lequel nous abordons l'acte musical se se limite pas au mental,

il est couplé avec un état de disponibilité corporelle intense, et de connexion étroite entre

la conscience et le corps, c'est tout l'enjeu du travail fondamental entrepris par la

pédagogie Dalcroze, mais qui peut parfaitement être intégré _de manière didactique ou

non_ par de nombreuses autres voies d'accès. Le corps comme l'esprit sont prêt, en éveil,

parfaitement détendus, mais pouvant être sollicités à tout moment.

Ceci a été conceptualisé par Gerda Alexander sous le terme d' « eutonie » :

tonicité harmonieusement équilibrée et en adaptation constante, en rapport juste avec la situation ou l'action à vivre.// L'Eutonie propose une recherche adaptée au monde occidental, pour aider l'homme de notre temps à atteindre une conscience approfondie de sa propre réalité corporelle et spirituelle dans une véritable unité.

Gerda Alexander le corps retrouvé par l'eutonie edition Tchou 1977

D'où la nécessité de prendre le temps de reconnecter notre corps et notre esprit, d'où

l'intense bien-être physique que peut procurer la pratique du chant, de la danse, de la

musique, qui permettent de nous rééquilibrer là où notre monde moderne nous stimule

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 49

Page 50: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

essentiellement d'un point de vue cérébral.

(Ce point fondamental méritait beaucoup plus que ces quelques lignes)

Un enseignement musical trop majoritairement, et surtout trop précocement cérébral peut

nuire énormément à cet équilibre, à l'accès que nous pouvons avoir à nos émotions, nos

sensations, parfois de manière irrémédiable. C'est souvent dans le domaine rythmique

que ce type de blocage est constaté en premier lieu.

L'instinct rythmique, (…) qui a ses racines dans le corps humain, existe chez tout enfant. Il faut donc dès le

début établir des liens naturels entre le rythme musical et cet instinct. Celui-ci est de nature plutôt plastique

que musical ; il est, ou devrait toujours être, de nature corporelle. Nous opposons cet instinct au calcul

métrique, qui n'est qu'un moyen pour le canaliser, pour en prendre conscience et le traduire en valeurs

musicales graphiques ; ce qui est indispensable à l'écriture et la lecture musicales.

Edgar Willems Les bases psychologiques de l'éducation musicale

Pour les jeunes élèves, il est si simple, si bénéfique de commencer le travail avec une

simple ronde chantée, pour le plaisir musical et corporel partagé, pour se connecter au

sein d'un groupe, rééquilibrer corps et esprit, dans un monde où les enfants sont si

souvent et littéralement à côté de leurs pompes, fatigués, stressés, surmenés, préoccupés

(au sens étymologique), et par conséquent pas accessible à notre enseignement.

En somme, le grand défi de l'éducation musicale du 21ème siècle serait de parvenir à

concilier les apports de la musique savante, de conscience rationnelle et maîtrisée avec

les bénéfices de la musique de tradition orale, de conscience « flottante » replacée dans

un corps en éveil. La démarche pédagogique kodalyienne a le formidable intérêt d'avoir

pris la mesure de l'importance de l'intégration de la musique traditionnelle, de se baser sur

une langue maternelle musicale. En revanche, elle a peu pris en compte les spécificités de

fonctionnement de cette musique. De nouveaux chemins pédagogiques restent à inventer,

avec le défi de réussir la « quadrature du cercle ».

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 50

Page 51: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Critique des outils d'éducation de l'oreille

habituellement proposés dans les manuels français.

Les élèves en échec en ce qui concerne le développement de l'oreille constituent 40 à

70 % des élèves selon les classes (pour ceux qui me sont confiés dans mon

établissement). Ils ont le sentiment, en intonation comme en dictée, d'être aussi

totalement perdus que si ils s'étaient égarés dans une ville étrangère dont ils ignorent la

langue. Les efforts consentis semblent vains. Le découragement, la démotivation ou

parfois même le dégoût s'ensuivent. Il est toujours illusoire d'espérer faire le bilan d'une

pédagogie, car nous ne sommes jamais en mesure de pouvoir comparer

« scientifiquement » les avantages ou les inconvénients de différents « protocoles » dans

les mêmes conditions « expérimentales ». Pourtant, il semble que les outils habituellement

utilisés comme base de la formation de l'oreille en France manquent une partie de leurs

buts. Dans le texte de la réforme de 1977, dans les propositions des méthodes actives

(Willems notamment), dans un grand nombre de manuels, la formation de l'oreille se base

essentiellement sur les compétences suivantes :

• reconnaissance des mouvements (ascendants-descendants), association aigu/haut

grave/bas.

• identification des mouvements conjoints-disjoints

• Identification des intervalles (seconde, tierce, majeure/mineure)22

• Mémorisation des sons de type « oreille absolue »

• Certains proposent une éducation de l'oreille systématique par tonalité.

22 En fait, ces pistes de travail pour la formation de l'oreille sont les seules explicitement proposées par le texte de la réforme de la formation musicale de 1977. Cela ne signifie pas que ce sont les seules disponibles, ou même les seules auxquelles les auteurs de la réforme ont pensé. Peut-être a-t-il s'agit alors d'un « plus petit dénominateur commun » entre différentes tendances ? Cette offre restreinte est malgré tout restée la référence, et souvent la seule proposition pour beaucoup.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 51

Page 52: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Si ces bases ne sont pas les seules proposées, elles constituent le « socle » sur lequel

l'édifice est construit. Une majorité des manuels proposés du commerce s'articule ainsi,

les différentes nouveautés des éditeurs ne le démentent pas. A la suite du chapitre

précédent sur les attractions, notons que ce procédé omet de s'appuyer sur la hiérarchie

entre les sons, ou tout du moins ne la retient pas pour fondement, ce qui pourrait en partie

expliquer cet important pourcentage d'échec. Cette remarque ne concerne pas la petite

proportion d'élèves dotés de bonnes dispositions pour la musique, qui de toute façon,

réussirons quelque soit la « méthode », elle distingue en revanche la démarche initiée par

Kodaly, dont l'édifice pédagogique a été constitué à destination des écoles primaires et

secondaires, et dont le but annoncé est une alphabétisation musicale de masse :

Que chacun sache lire et écrire la musique comme il peut lire et écrire sa langue. Si les

résultats obtenus en Hongrie ne parviennent pas tout à fait à combler cet idéal utopique,

ils représentent un exemple mondialement reconnu de démocratisation de l'éducation

musicale.

Revenons sur quelques inconvénients du dispositif français « FM » : reconnaître les

mouvements sonores, les intervalles, distinguer conjoint/disjoint... Ces notions sont

basées sur une intellectualisation, une abstraction, elles invitent l'élève à «calculer » pour

pallier l'absence d'oreille absolue. Cela conduit fatalement à des mécanismes de contrôle

conscient, là où la formation de l'oreille par la hiérarchie tonale peut être basée sur un

engrammage sensoriel et émotionnel. (voir chapitre précédent sur le type de conscience

dont nous usons en musique). Définitivement, en musique, comme par exemple lorsque

l'on conduit un véhicule, dans la majorité des cas, si l'on doit réfléchir, « on est mort » ! En

situation de déchiffrage, devoir compter sur ses doigts ou évoquer le début de la

Marseillaise pour pouvoir surmonter la difficulté d'une quarte ne représente pas une

solution fiable.

Il faut rendre justice aux auteurs de la réforme de 1977 : en proposant explicitement

l'intervalle comme l'alpha et l'omega du travail de l'oreille, ils poursuivaient un but très

louable, celui de voir enfin la musique contemporaine (atonale) pénétrer dans les cours de

solfège. Dans ces répertoires, le travail intervallique est effectivement incontournable,

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 52

Page 53: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

mais ne peut pas pour autant constituer le fondement de la formation de l'oreille, les

« lois » acoustiques et physiques, l'héritage culturel, les fonctionnement neurologiques s'y

opposent. Si rien ne nous empêche d'aborder la musique atonale avec les enfants, de leur

faire bénéficier par exemple de cette grande richesse de timbre, d'imaginaire musical

apportée par les répertoires du XXème et XXIème siècle, il est illusoire d'espérer former

leur oreille de cette manière pour la majorité d'entre eux du moins.

Dans une gamme, le degré le plus stable est le premier (la tonique). Toutes les autres notes de la gamme

semblent converger vers la tonique, mais avec une énergie différente. //La théorie musicale précise cette

hiérarchie. Carol Krumhansl et ses collègues ont établi que le cerveau des auditeurs ordinaires a intégré

cette hiérarchie grâce à l'exposition passive à la musique et aux normes culturelles.

Levitin P 56

De nombreuses recherches ont été menées afin de comprendre pourquoi nous trouvons certains intervalles

consonants et pas d'autres, mais les scientifiques n'ont pas tous le même point de vue sur cette question. A

l'heure actuelle, il a été établi que le tronc cérébral et le noyau cochléaire dorsal-des structures tellement

primitives que tous les vertébrés en disposent- font la distinction entre consonance et dissonance avant que

la région plus haute, la plus humaine du cerveau (le cortex) entre en jeu.

Levitin P97

Le travail des intervalles constitue une bonne idée pédagogique dont la pertinence a été

surestimée. Bovey décrit avec intelligence combien cette référence de « mesure » est peu

à même de rendre compte de la réalité complexe et éminemment affective que peut

représenter la relation mélodique. (p 68 à 70, l'intervalle : une relation plus qu'une

distance)

Les intervalles constituent la base de la mélodie, bien plus que la hauteur réelle des notes. Une mélodie est

avant tout relationnelle, pas absolue, c'est à dire qu'on définit une mélodie par ses intervalles, pas par les

notes qui la composent.

Levitin p47

Une mélodie n'a cependant d’intérêt que par les relations qui unissent les sons les uns aux autres, dégagée

de tout contingence liée à une quelconque référence rigide. Ainsi ne perd-elle en aucun cas son essence

dès lors que l'ensemble des sons qui la constituent sont uniformément décalés que l'échelle fréquentielle

des hauteurs, l'important étant que le sons gardent les espaces mutuels les unissant les uns aux autres .

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 53

Page 54: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

François Bovey P71

Une conception métrique des mouvements sonores (mesurer l'intervalle) prive de la

dimension dynamique initiée par les mouvements sonores, cette caractéristique propre à

donner accès au phrasé, à la musicalité. Plus encore, le phénomène de relation

mélodique et harmonique influe tellement sur l'intervalle qu'il en trouble la perception :

Bovey décrit comment une tierce mineure « passive » peut être perçue comme majeure.

En d'autres termes, et selon une logique différente mais comparable, Willems distingue les

intervalles positifs et négatifs relevant lui aussi le caractère équivoque de la perception de

l'intervalle. Il a été pourtant un grand promoteur des « chansons d'intervalle » que Bovey a

su rationnellement et définitivement reléguer au musée des fausses bonnes idées

pédagogiques.

La notion de son conjoint ou disjoint, est théorique, et discutable. Par exemple, du

point de vue hiérarchique, mais aussi acoustique, le Vème degré est plus proche de la

tonique que le IIème. Une progression concevant le mouvement conjoint comme plus

facile et premier par rapport au mouvement disjoint n'est pas une évidence. Au niveau de

la dictée et du déchiffrage chanté même, où cette proposition est souvent mise en avant

pour réussir à « calculer la note suivante », il est évident qu'il peut être plus facile de

distinguer, de différencier des sons éloignés, comme c'est le cas dans une échelle

pentatonique.

L'idée des mouvement ascendants-descendants La représentation communément

admise qui associe l'aigu à quelque chose d'élevé et « fin » et le grave à quelque chose

de bas et « gros » n'a rien de naturel, immuable et indiscutable. Par exemple, dans

l'antiquité Grecque ainsi que dans un certaines cultures traditionnelles de l'Asie (chez les

csuvas et les Udmurt, par exemple23), la représentation est opposée. Vocalement,

instrumentalement, il apparaît fréquemment que l'utilisation de cette représentation n'est

pas sans effets pervers : On rencontre chez certains d'élèves, principalement lorsque

l'oreille est insuffisamment formée, une tendance préjudiciable à « tirer sur le cou » à la

recherche de ces notes supposées « hautes », ou à accentuer des crispations ou des

23 Décrit par Lüko Gabor qui étudie les symboliques attachées à la musique dans « Zenei Anyanyelvünk »

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 54

Page 55: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

gestes instrumentaux parasites à la recherche de leur intonation défaillante (instruments à

vent)

Nous avons vu des élèves chanteurs de plus de 25 ans qui n'avaient pas la moindre notion de la hauteur

sonore. Cela les avait empêchés, évidemment, d'apprendre la lecture musicale. // Cette grave lacune

provient du fait que le professeur de chant-et cela se passe aussi dans l'étude d'un instrument- ne s'est pas

occupé de l'oreille musicale. Or d'après la plupart des méthodes, il faut placer le son entre les yeux et

toujours à la même « hauteur »

Edgar Willems les bases psychologiques de l'éducation musicale

Au final, comme le décrit Yves Klein, la sensation instrumentale ou vocale la plus musicale

est l'impression de placer toutes les notes à la même hauteur, comme les pinces sur

la corde à linge. Il est nécessaire bien sûr, de travailler à l'identification des « hauteurs »

et des « mouvements mélodiques », mais il faut être prudent et équilibrer cette conception

par d'autres approches (la transmission orale par exemple). C'est dans le chant que les

dégâts peuvent être les plus importants, privant de l'accès au legato, au cantabile, à un

sens mélodique naturel. Plusieurs professeurs (de chant de styles différents24) m'ont fait

part de manière convergente de cette impression : le solfège25 tue le « vrai chant », le

cantabile.

Voici comment Zoltan Kodaly évoque ce type de procédé en comparaison à la solmisation,

et à son rattachement indispensable à un fondement acoustique.

Seul celui qui a à l'oreille la réalité de la quinte d-s sonnant harmoniquement peut correctement intoner

l'intervalle mélodique d-s. Si l'on ressent la justesse précise de la quinte d-s chantée à deux voix (et on ne

peut la ressentir que si le piano tempéré se tait), alors l'intervalle monodique d-s sera juste lui aussi (d'abord

une partie chante d l'autre s puis l'une chante d-s, l'autre s-d). Chanter parfaitement juste la relation d-r

nécessite d'être capable d'imaginer en dessous la voix d'accompagnement d-s // Ainsi on peut trouver

l'assurance d'une intonation sûre, bien mieux qu'en suivant la méthode qui consiste à se cramponner aux

degrés d'une échelle: en cherchant le 5ème ou 6ème degré, on aura probablement déjà oublié le premier, et

l'incertitude des secondes intercalées aura ébranlé la justesse du résultat final. La « méthode de l'escalier

de do majeur » est l'ennemi du chant juste. Chaque « saut » doit être ancré pour lui même, dans sa

spécificité et selon sa fonction tonale, plutôt que calculé par empilement des degrés de l'échelle. Celui qui

24 Merci à mes professeurs !25 à entendre cette fois avec toute la connotation péjorative qui lui est souvent attribuée.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 55

Page 56: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

cherche les grands intervalles par le procédé de l'empilement ne les trouve que lentement et de manière

imprécise. C'est la raison pour laquelle beaucoup de nos professeurs de musique semblent lire en

« trébuchant ».

Zoltán Kodály, préface de Énekeljünk tisztán edition EMB 1942

Relation mélodique selon le concept de la solmisation, voici l'explication qu'en donne

Jacquotte Ribière Raverlat dans son ouvrage « l'éducation musicale en Hongrie » :

Ceux qui ne pratiquent pas cette méthode de solmisation relative pourraient rapidement comprendre le mot

« relation »en lui donnant un synonyme, et dire que « en somme, une relation, c'est un intervalle ». Mais, en

fait, il y a une différence importante. Prenons un exemple : l'intervalle placé entre «sol » et « mi » est une

tierce mineure. A l'intérieur d'une gamme majeure, il y a d'autres tierces mineure, mais il n'y a qu'une seule

RELATION « sol-mi » placée et entendue d'une manière unique, à l'intérieur de cette tonalité. Et c'est

justement à cause de ce lien étroit entre « relation » et « sens de la tonalité » que l'on pourrait dire qu'une

relation est une fonction mélodique à l'intérieur de la tonalité.

Toutes les indications dans le texte de Kodály faisant allusion à ce mode de pensée sont

reportées selon la notation héritée de John Curwenn en usage dans la pédagogie Kodaly :

d ,r, m, f, s, l, t, désignent une fonction et une place dans la hiérarchie de la tonalité plutôt

qu'un son unique.

Beaucoup de matériel pédagogique kodalyien est rédigé en utilisant ce type de notation,

sans portée. En se passant de la portée et de la représentation graphique aigu/haut

grave/bas, ce type de notation sollicite l'oreille, l'imagination mélodique avec profit. Il en

est de même avec la notation musicale de Rousseau, toujours utilisée en Chine26.

En somme, les trois idées précédemment évoquées constituent de bons outils

pédagogiques, qu'il n'est pas question d'évincer. Le problème réside dans le fait qu'elles

ont été érigées au rang de « méthode » de formation de l'oreille, au point même de figurer

parfois parmi les objectifs de fin d'année ou les programmes d'examen. Que l'on soit ou

non convaincu du besoin de reconsidérer ces priorités, il paraît nécessaire dans tous les

cas de diversifier et d'élargir notre « boîte à outil » pédagogique, tout en gardant à l'esprit

qu'un outil n'est qu'un outil.

26 Système d'écriture (en boustrophédon !) dérivé du système avec chiffres initié par Rousseau.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 56

Page 57: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Solfège instrumental

Le solfège (formation musicale) a pour objectifs essentiels d'enseigner la lecture et

l'écriture, et de délivrer une éducation musicale complète, notamment en développant

une pensée musicale. Une utilisation équilibrée de l'instrument en cours de solfège

évoque le sens premier du mot: « instrument » de la pensée musicale. L'intégration de

l'instrument au cours de solfège ne doit cependant pas nous écarter des objectifs

essentiels inhérents à la discipline.

Quels objectifs ?

• Faire le lien entre les acquisitions du cours de solfège et la pratique instrumentale.

Bénéficier du vécu instrumental des élèves en cours de solfège, et vice-versa.

• Donner au cours de solfège, d'aspect parfois théorique, la dimension pratique d'une

mise en situation autre que vocale.

• Aider les élèves pratiquant un instrument transpositeur ;

les élèves clarinettistes, saxophonistes..., ont souvent des difficultés dans le

travail de l'oreille, car ils sont gênés par cette « double oreille » à former. Le

travail instrumental impose par la situation de résoudre la question. En cours

collectif, les autres élèves en sont bien sûr partie prenante.

• Mise en situation, confrontation à la continuité de la lecture.

Développer une lecture en écoutant et en jouant. C'est plus difficile, plus

stimulant et plus complet que la lecture sur table, cela correspond plus à la vie

musicale. La continuité de la lecture est imposée par la situation musicale

collective,il faut accepter les imperfections pour avancer.

• Améliorer la connexion directe oreille-geste instrumental

Mêler régulièrement chant et jeu instrumental : Je pense ce que je joue

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 57

Page 58: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

(chante), je peux jouer(chanter) ce que je pense.

• Proposer des situations musicales faisant appel à plus d'initiative et de

connaissance du langage musical.

la simple interprétation d'une partition préparée spécialement stimule peu la

compréhension de la « mécanique » ; travailler sur une partition « inadaptée »

nécessite une compréhension plus globale du langage musical, stimule des

savoirs faire comme transposer, réaliser un accompagnement à partir d'accords

chiffrés, savoir s'intégrer dans un accompagnement harmonique, polyphonique,

adapter à son instrument une musique qui ne lui était pas destinée.... Une

adaptation écrite est toujours envisageable, il est profitable dans ce cas qu'elle

soit réalisée par les élèves.

• Travailler d'oreille, de mémoire. Pouvoir accéder au domaines musicaux

généralement écartés par une pratique basée sur la pensée musicale forgée

exclusivement par l'écrit.

• Faire des connexions entre les différentes manières de vivre la musique propre à

chaque instrument.

Selon leur instrument, les élèves développent plus ou moins certaines

aptitudes : mélodiques, harmoniques, rythmiques, polyphoniques.... Le cours

de solfège instrumental rend plus visibles ces déséquilibres, et permet de

compléter au mieux la perception musicale de chacun.

• Développer une pédagogie « de projet ».

C'est la situation musicale initiale (le texte, l'enregistrement...) qui devient le

support de l'apprentissage, plutôt que l'exercice. Face à ce but concret, les

élèves trouvent plus d'indépendance, d'autonomie, de motivation, et de plaisir

de l'aboutissement. Le chemin pédagogique est moins dicté par le professeur

de manière verticale, il est plus individualisé. Par exemple, la différenciation des

rôles musicaux (mélodie, accompagnement...) permet d'adapter aux capacités

de chaque élève.

• Améliorer l'écoute, indispensable à toute situation musicale. Écoute intérieure,

écoute collective et individuelle doivent constamment coexister.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 58

Page 59: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Quelques exemples

Mémorisations à jouer.

Le travail proposé ici est fondé sur l'imprégnation. Il implique un grand nombre de

répétition, les morceaux sont destinés à tourner longtemps, sous diverses formes et

variantes. La mémorisation vient finalement presque sans l'avoir désirée.

• Mélodie

De préférence à réaliser à partir de textes sélectionnés pour pouvoir être chantés.

On alterne chant et jeu instrumental. S'écouter, être ensemble, confronter les phrasés....

Transposer (avec ou sans lecture). Savoir suivre des modifications, des variations initiées

par le professeur (variations de tempo, de nuance, binaire-ternaire, majeur-mineur, 2 tps-3

tps...) L'exploitation écrite peut se placer à différents moments : au début, comme

préalable, ou tout à la fin, après avoir beaucoup joué/chanté ; Pour les classes de premier

cycle, les chansons populaires constituent un bon répertoire. On y adjoint

progressivement une dimension polyphonique harmonique.

• Mélodie à deux voix :

Le travail polyphonique en IIème cycle est souvent délicat pour les

instrumentistes monodiques. On peut travailler sur de court textes à 2 voix, à

utiliser comme dans le point précédent, mais en alternant régulièrement les

voix.

Quelques exemples :

Beethoven, symphonie°5 IIème mvt. Trio op 15 n°2.

Schubert andante de l'octuor D 803.

Mozart

Nombreux airs de danse de la période baroque, petits menuets, tambourin, etc... de

Rameau

Rondeau de la suite pour orchestre en sim de JS Bach.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 59

Page 60: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

...

• Mélodie accompagnée.

L'écoute harmonique est peu stimulée dans l'enseignement de la musique

« classique » ; pour la plupart des instrumentistes, elle ne correspond pas à

un besoin. Sur un extrait de musique particulièrement « verticale », tout le

monde participe au travail harmonique, y compris pour les instruments

monodiques. Réalisation de « voicing » préparé à l'écrit ou improvisé.

Aboutissement sur de petits travaux de composition, d'invention, variations...

Brahms Op 18 sextuor Mvt II

Les « standards » de la Renaissance : Follia, passe mezzo, Fortune,

Greensleeves...Voir à ce propos l'ouvrage « 50 standards de la Renaissance » aux

éditions Fuzeau.

La grille de blues et sa multitude de déclinaison.

Beethoven Symphonie n°7 IIème Mvt

Schubert, la jeune fille et la mort

Etc...

• Les répertoires autres que classiques offrent encore la possibilité de mélodie avec

« pattern » rythmique.

Ce type de répertoire permet d'intégrer des percussions. Il offre aussi à

chacun d'expérimenter ce fait musical très particulier qu'est la « tourne »

rythmique

La fiesta, Chick Corea.

Musiques traditionnelles diverses

Musique latine, bossa nova, samba...

Le boléro de Ravel, la Habanera ou l'entracte de Carmen...

Mise en situation de lecture.

La mise en situation a lieu sur tous types de partitions, sans les adapter spécialement. Les

instruments transpositeurs doivent apprendre à transposer couramment, afin de pouvoir

développer progressivement cette « double oreille » indispensable.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 60

Page 61: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

• Accéder à des partitions où la partie harmonique doit être réalisée : musiques

anciennes (basse continue), jazz, chanson...

• Travailler sur des partitions vocales polyphoniques, en aller-retour chant-instrument.

• Travailler sur des conducteurs, des partitions de piano, de quatuor à cordes etc...

où chacun doit trouver son chemin instrumental, dans l'écoute et la compréhension

des autres parties.

• Savoir simplifier une partition qu'on ne peut pas jouer en l'état, pour en donner un

rendu fonctionnel. Par exemple, comprendre des accords à partir d'une écriture en

batterie de doubles croches, la restituer en noires....

• Savoir décrypter les harmonies sous-jacentes à une mélodie

• ….

Généralement, pour la plupart des instruments, les autres parties de l'ensemble ne

sont pas apparentes sur la partition.

Toute nouvelle partition est à vivre comme une nouvelle « énigme » :

Quelle « musique » est cachée derrière ? (musique s'entend dans son sens le plus

global). Le décryptage de la partition, de tous ses signes musicaux et informations

diverses (titre, compositeur, époque, etc...) est d'abord l'objet d'un questionnement, afin

d'arriver le plus près possible de la « vérité » de la partition. Les remarques des élèves

sont généralement très pertinentes. Le professeur complète.

La première lecture peut être silencieuse. (lecture intérieure, supportée par le geste

instrumental « à la muette)

Jeux d'oreille

Ces jeux sont basés sur l'intégration de règles qui s'installent progressivement d'une

séance à l'autre, du plus simple au plus élaboré, du plus encadré vers le plus autonome.

Ils peuvent être alternativement ou conjointement joués et chantés. Bien menés, ils

stimulent les élèves par l'aiguillon du défi.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 61

Page 62: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

• La phrase à compléter :

Le professeur commence une phrase qui s'arrête sur la dominante, à l'élève

d'en inventer la fin : Chant spontané ( le plus facile), sur le nom des notes, à

l'instrument.

• Le « perroquet » : (source C Crousier, D Varennes)

◦ Le professeur joue une phrase, qui doit être répétée instrumentalement ou

vocalement par la classe.

◦ Un élève prend le rôle du professeur

◦ On peut adjoindre d'autres consignes : tonalité, modulation, cadence... Respect

d'une carrure.

◦ Il est préférable de travailler à partir du contexte musical d'un morceau (réutiliser

les rythmes, les tournures de phrase, le caractère, les articulations... ) pour

éviter de tomber dans un exercice gratuit.

• Le rondeau

◦ à partir d'un refrain mémorisé, le plan suivant est réalisé : refrain/couplet1

(professeur) reprise du couplet1 (élèves) refrain couplet2 etc...

◦ Les couplets peuvent varier leur tonalité, leur cadence, leur carrure....

Éventuellement, la modulation du couplet peut entraîner une transposition du

refrain.

◦ La substitution du rôle du professeur est délicate tout d'abord, elle peut venir

plus tard avec l'habitude. Dans un premier temps, les élèves peuvent composer

des couplets.

◦ Le rondeau peut être réalisé en ronde, par exemple sur un pas de branle

double, qui permet d'intégrer le sentiment de carrure, et facilite le passage à

l'invention. Dans ce cas, il est bien évidemment chanté. Les mélodies de

l'Orchésographie de Arbeau se prêtent très bien au jeu.

◦ Il est facile et enrichissant de s'appuyer pour cela sur un texte de la littérature

musicale.

Travail d'intervalle

Travail conjoint vocal/instrumental sur la justesse de l'intervalle mélodique et/ou

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 62

Page 63: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

harmonique. Par exemple, sur une pièce médiévale où la polyphonie est essentiellement

constituée de 5te ou 4te juste, qui peut être la base d'un travail sur l'accordage des

instruments, la recherche de la 5te juste « pure » vocalement et instrumentalement.

(Répertoire Médiéval et Renaissance des recueils Schola cantorum des éditions EMB)

Jeux d'intervalles diatoniques, à réaliser alternativement à l'instrument ou vocalement.

Dans une gamme donnée, chaque intervalle peut être « déroulé » au moyen d'un code

rythmique (p.ex. Quinte se déroule avec quatre double noire). Au déroulé, on répond par

l'intervalle, puis à l'intervalle, on répond par le déroulé.

Travail mélodique sous forme de schéma d'intervalles pour une exploitation instrumentale,

transposition, dans des contextes où la mélodie sort des chemins battus de la tonalité.

Exemple : yardbird suite ou Steeeplechase de C Parker.

Les spécificités techniques

La question des difficultés techniques propres à chaque instrument : tessitures, phrasé,

coup d'archet, les pédales de la harpe, les doigtés, les accords de guitare (tablature),

l'accordage, le doigté des violons....

Cette question nécessite de la part de l’enseignant une connaissance relativement

précise du fonctionnement de chaque instrument, voir une certaine expérimentation

personnelle dans les différentes familles instrumentales. Ce type de compétence est peu

délivré par l'enseignement traditionnel. La classe de solfège instrumental apporte

beaucoup à la connaissance mutuelle des instrumentistes.

Illustration : Fort/faible.

Certaines problématiques musicales se retrouvent de manière transversale d'un

instrument à l'autre.

Par exemple, il y a similarité entre les « doigtés » d'un percussionniste, les coups d'archet,

et les coups de plectre : l'alternance de geste fort et faible détermine le phrasé.

• Gauche/droite pour les percussions, avec forcément un côté fort et un côté faible ;

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 63

Page 64: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

• Tirer/pousser pour les archet. Le fort et le faible peuvent se répartir de manière

similaire (ou en tout cas selon la même problématique)

• Pour les instruments à plectre (guitare rythmique par exemple), la même logique

se retrouve.

Par exemple, la mise en œuvre d'une rythmique satisfaisante sur la chanson « about a

girl » de nirvana a nécessité de soulever le problème avec toute la classe. Le geste des

instrumentistes les plus concernés a aidé les autres à trouver le bon phrasé, la mélodie

intégrant au final une art de l'accentuation de la rythmique.

Autre exemple : trouver des positions d'accords sur les cordes (tablature), sur le clavier (la

main ne se déplace pas). Dans le phrasé, confronter le geste correspondant sur chaque

instrument pour une articulation donnée.

expérience avec les instrumentistes

Instruments à vent

• Les saxophones, hautbois, ont des graves difficiles à contrôler, souvent

hypertrophiés, à utiliser avec prudence ;

• Le grave de la flûte traversière sonne très faiblement dans un ensemble, on peut

souvent les faire jouer à l'octave.

• Les débutants en flûte traversière ont souvent du mal à gérer leur débit d'air, ils ne

peuvent pas soutenir de phrase longue, et doivent respirer souvent. La justesse

fluctue énormément selon le moment du cycle respiratoire.

• Les flûtes à bec en bois commercialisées sont généralement accordées à 440Hz,

alors que les autres instruments sont plus généralement à 442 (y compris les

pianos des salles). Il est possible de trouver des flûtes accordées plus haut parmi

des instruments meilleur marché (résine).

• Le do# (mi en ut) du saxophone est toujours trop bas. Les élèves l'ignorent

souvent. Une petite clé sur le côté permet de corriger les choses.

• Les nuances ont des effets variables sur la justesse selon les instrument : les

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 64

Page 65: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

anches baissent en jouant plus fort, et monte en jouant moins fort, c'est le contraire

pour les flûtes de toute sorte.

• Le ré, do, do# grave des trompettes sont trop hauts, ils se corrigent avec une petite

coulisse. Les élèves le savent, mais n'y pensent pas toujours.

• Les clarinettes ont un registre très, très faux, de sol à sib médium (fa-lab en ut). Il

est possible de corriger ces notes en bouchant la main droite simultanément. Les

élèves l'ignorent parfois

• Les cornistes sont de deux espèces, selon les professeurs, ceux qui pensent leur

instrument en fa, et ceux qui le pensent en ut, lisant dès lors toutes leurs partitions

en clé d'ut 2.

• …......

Les cordes

• Pour tous les archets, le rythme de l'archet, et sa correspondance non

systématique avec le rythme musical pose un problème rythmique très important,

principalement en ternaire. Évoquer la question des coups d'archet avec les élèves

de toute la classe permet d'éclaircir des questions de phrasés et d'appuis ; On peut

aussi un temps, poser l'archet et jouer pizzicato.

• Peu de professeurs enseignent à leurs élèves à s'accorder eux même avant le

IIème cycle. Nous pouvons le faire nous même ou l'enseigner aux élèves, d'autant

plus facilement si leur instrument dispose de tendeurs. A voir toujours en

communication avec les professeurs concernés, pour éviter de froisser des

susceptibilités.

• Les harpes : le système des altérations réalisées par les pédales nécessitent une

vraie anticipation. A préparer avec l'élève avant la lecture : repérer les changements

de pédales, les noter. Cela peut être l'occasion d'un éclaircissement avec

l'ensemble de la classe sur les différentes tonalités et modulations. En ce qui

concerne l'accordage, si un professionnel peut retoucher un accord en 5 mn, il est

difficile de s'y aventurer...

• Les guitaristes n'apprennent généralement pas les accords (tablature) au

conservatoire ; c'est pourtant simple, rapide à maîtriser, et ouvre la porte à de

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 65

Page 66: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

nombreuses possibilités musicales (proche des goûts musicaux des adolescents) ;

il est possible d'inciter les élèves à se débrouiller pour acquérir cette compétence.

Parfois, le professeur veut bien s'y prêter. Cependant, la question du type de jeu

demeure : les guitares « rythmiques » se jouent avec un médiator, qu'il est semble-

t-il exclu d'utiliser avec les guitares classiques. On peut trouver des

accommodations avec des jeux aux doigts. L'accordage des guitares est aussi

souvent à prendre en charge tout le premier cycle, parfois au delà.

Les pianistes

Les pianistes ayant l'habitude de pratiquer seul jouent souvent trop fort, sans attention au

timbre et au toucher, ils écoutent peu ce qui se passe autour d'eux. Ils ont fréquemment

des difficultés en déchiffrage, peu d'autonomie, et lisent mal à deux voix, du fait de

l'habitude d'effectuer le travail préparatoire « main séparées ». Il faut souvent leur faire

pratiquer la lecture silencieuse tandis que l'ensemble joue en amont d'une réalisation. Leur

rappeler qu'il est préférable de s'abstenir de jouer sur une mesure plutôt que de la rater et

de gêner l'ensemble. Faire appel à leur toucher, à une sensibilité d’émission de son, de

phrasé, les rendre très actifs et responsable lors de l'accordage de la classe...

Les conditions matérielles, la mise en œuvre

Comment concrètement organiser les séances avec une classe, comment s'adapter aux

contraintes « logistiques » ?

Les limites

Le solfège instrumental est chronophage. Il nécessite au démarrage un grand

« investissement » de temps avant de parvenir à des habitudes (d'autant plus si les élèves

ont beaucoup d'efforts à faire pour s'extraire de repères de travail antérieurs très

prégnants). Une fois mis en route, le travail est très efficace, mais il est nécessaire de

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 66

Page 67: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

pouvoir le suivre sur plusieurs années pour en apprécier les fruits.

Ne pas perdre de vue les missions du cours de solfège, éviter la confusion des genres (ce

n'est pas un cours d'ensemble, nous ne devons pas empiéter sur le terrain des collègues

d'instruments). Il est primordial d'établir préalablement des objectifs clairement délimités,

et de s'y référer régulièrement. En général ce type de démarche nécessite et favorise le

dialogue avec les collèges d’instrument. Il est utile de communiquer avec eux sur les

enjeux, les limites du travail pour éviter qu'ils aient l'impression que l'on empiète sur leur

terrain d'expertise en « apprenti sorcier ».

Les contraintes extérieures : programme, examen... comment garder de la place pour

l'écrit ? Personnellement, je choisis d'alterner des séances instrumentales avec des

séances « sur table ».

Certaines dispositions pratiques sont indispensables : une salle de cours adaptée, un

effectif intelligemment composé (difficile de gérer plus de 4 clavièristes dans une classe.

Quel jour les élèves peuvent-ils apporter leur instrument ?

Le chant est le premier outil de formation du musicien, et doit demeurer parmi nos

premières préoccupations.

Notes de lecture à propos du livre « objectif musique » de

Christine Culioli (1993)

Ce livre très intéressant quoique non exhaustif présente le travail d'une classe

expérimentale menée par Claude Crousier et Dominique Varennes de 1986 à 1989 au

conservatoire de Nice. Il pose de manière plus globale un bilan du solfège et de la

Formation Musicale, et soulève des questions de pédagogie générale.

Le dispositif est le suivant : les élèves sont constitués en groupe de niveau hétérogènes

(suivant l'exemple du « tutoring » qui fonctionne dans les maîtrises anglaises) ; Les

élèves ont deux séances par semaine : un cours de Formation Musicale à proprement

parlé, et une séance d'ensemble instrumental, à partir d’œuvres arrangées selon les

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 67

Page 68: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

niveaux instrumentaux de chacun.

Les techniques de travail

• La pratique collective

• Le groupe est source d'enrichissement

◦ le groupe du cours de solfège est parfois vécu comme une somme

individualités, au lieu de s'appuyer sur la force du groupe.

• Une attitude positive est facteur de réussite

◦ « les enseignants s'attachent à obtenir un résultat de groupe satisfaisant, en ne

prêtant que modérément attention au niveau individuel des enfants. Le produit

musical obtenu et les performances moyennes du groupe sont seuls considérés

comme importants à court terme. L'enfant a, de ce fait, le droit de ne pas tout

réussir, d'évoluer à son rythme sans que cela soit sanctionné. Cela découle

d'un parti pris psycho-pédagogique : les enseignants font confiance à l'enfant et

à sa capacité de progresser. Ils sortent ainsi d'une attitude pédagogique trop

courante qui s'attache généralement à noter ce que l'enfant ne réussit pas, à

contrôler des aptitudes plutôt qu'à les former, et qui s'apparente à une véritable

pédagogie de la négation.

• Une pédagogie de la musique est communication

• L'imprégnation

• Ouverture d'oreille et d'esprit

• Élaboration d'une culture musicale

• Écoute affinée

• Le tâtonnement expérimental

« Osons penser que pour comprendre la musique, il faut en fabriquer, et non se contenter

de jouer ou d'entendre celle que d'autres ont composé. J'ai pu constater que ceux qui sont

ainsi initiés comprennent mieux Bach ou Mozart parce qu'ils sont confrontés à la

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 68

Page 69: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

problématique de l'invention »

Guy Maneveau colloque à Gennevilliers en 1979 « de la musique contemporaine à

la rénovation de la pédagogie ».

Du fractionnement de l'enseignement

De la question de la progressivité, de la différenciation de la pédagogie....

Traditionnellement, les difficultés sont séparées pour être traitées individuellement, les

musiques et les concepts musicaux classés dans une progression logique. Il semble de

plus en plus que cette conception rationnelle ne corresponde pas à la réalité du

mécanisme d'apprentissage. Questionnement très intéressant, qui se rapproche de

l'évolution de l'enseignement des langues.

[Ce fractionnement correspond également à la division interprète-exécutant au service du

compositeur et du chef d'orchestre. Il semblerait que cette conception relativement récente

ait dépossédé les interprètes de leur prise de responsabilité créatrice au bénéfice d'une

très grande spécialisation et d'un très grand respect de la pensée du créateur

(compositeur, chef). Ce n'est par exemple pas du tout le cas dans d'autres répertoires

comme le jazz.]

« La pseudo-rationalité de l'esprit adulte amène donc le fractionnement de la formation

solfègique: pour que l'enfant maîtrise la réalité musicale dans sa complexité et qu'il puisse

en dominer les différents paramètres, on les lui fait travailler séparément, puis on évalue

l'une après l'autre les acquisitions. Etc... »

Une grille d'objectifs diversifiée, élargie:

L'auteure rappelle la distinction qui est faite entre les différents objectifs mis en œuvre

dans une situation pédagogique. Elle rappelle néanmoins que si cette distinction permet

une bonne compréhension des mécanismes en jeu, elle reste théorique, la réalité est plus

globale.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 69

Page 70: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Les séances de cours ensuite commentées semblent combler de manière plus complète

l'ensemble de ces objectifs.

• Objectifs cognitifs

acquisition de connaissances, mais aussi d'un savoir-faire intellectuel.

• Objectifs socio-affectifs

Ce qui a trait aux sentiments, émotions, convictions, vie affective, aptitude

relationnelle, rapport au groupe, confiance en soi... L'auteure insiste beaucoup sur

cet aspect qui est un point fort des motivations de l'expérimentation.

• Objectifs psychomoteurs

Ce qui touche au mouvement, capacités apprise ou réflexes ( voir, entendre,

utiliser son corps....

Les capacités poursuivies

• Maîtrise d'un savoir faire

• Transfert. Être capable de transférer un savoir faire maîtriser dans une situation

nouvelle

• L'expression, dépasser les deux niveaux précédents pour la créativité.

Où il est déploré qu'en général l'enseignement traditionnel se borne à la première étape,

dans le meilleur des cas à la deuxième.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 70

Page 71: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

Un été à Kecskemét

Ce 21ème séminaire a été pour moi une (presque) première véritable rencontre

avec la pédagogie Kodaly. J'ai été stupéfait et fasciné par la compétence et la maîtrise des

enseignants de Kecskemét, par la qualité et la profondeur de leur démarche

pédagogique, d'un niveau que je n'ai rencontré que très rarement en France. Voici en

quelques points les réflexions que m'ont suscité ces rencontres.

La question la plus dérangeante, pour un français, est celle de la solmisation. Do

fixe, ou do mobile ?

Jusqu'alors, je n'en avais vu que les inconvénients, j'ai pu en expérimenter les bénéfices :

• Qualité et facilité du déchiffrage chanté.

• Rapport immédiat à une compréhension analytique, que ce soit d'un point de

vue mélodique ou harmonique, de manière consciente ou sous-jacente.

• Justesse qui fait « sonner » les accords, le chœur, l'orchestre...

Par exemple ; nommer un son « mi » signifie lui attribuer une fonction -tierce de

l'accord de tonique si on est en majeur, dominante si on est en mineur- et ajuster

pour ainsi dire inconsciemment sa « justesse expressive ».

• L'oreille est construite par l'éducation aux différentes relations mélodiques,

selon une progression rationnellement construite.

« Ceux qui ne pratiquent pas cette méthode de solmisation relative pourraient rapidement

comprendre le mot « relation »en lui donnant un synonyme, et dire que « en somme, une

relation, c'est un intervalle ». Mais, en fait, il y a une différence importante.

Prenons un exemple : l'intervalle placé entre «sol » et « mi » est une tierce mineure.

A l'intérieur d'une gamme majeure, il y a d'autres tierces mineure, mais il n'y a qu'une seule

RELATION « sol-mi » placée et entendue d'une manière unique, à l'intérieur de cette

tonalité. Et c'est justement à cause de ce lien étroit entre « relation » et « sens de la

tonalité » que l'on pourrait dire qu »une relation est une fonction mélodique à l'intérieur de la

tonalité.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 71

Page 72: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

//

« Pour chacune d'elle, il y a plusieurs chants. Et, si le lecteur prend la peine de chantonner à

la suite ne serais-ce que toutes les formules citées à la première page [du Corpus Musicae

Hungaricae], il comprendra mieux ce qu'est une « relation » mélodique, et comment elle

peut-être entendue intérieurement par ces enfants qui chantent tant de chansons. » 27

• Par conséquent, l'intervalle est différemment perçu selon la place qu'il occupe

dans la tonalité. 28 On compte alors d'une certaine façon plus d'intervalles que les

12 habituellement recensés, chacun étant « démultiplié » selon les fonctions

différentes qu'il peut occuper. Avoir éduqué l'oreille à la relation sol-mi ne signifie

pas que l'intervalle de tierce mineure est acquis pour toutes les situations.

• Pour les petits niveaux, qui sont éduqués dans ce système dès le plus jeune âge, la

question de l'adaptation ne se pose pas, le do mobile est une évidence. Au bout de

quelques années de pratique, changer de do en cours de morceau suite à une

modulation est une évidence, même en déchiffrage. Il est plus difficile en revanche

de s'adapter alors que l'oreille fonctionne autrement depuis des années ou des

décennies :

• Solmiser, ce n'est pas seulement « transposer », il s'agit d'un autre fonctionnement

de la pensée musicale, mélodique comme harmonique, qui donne un accès aisé et

sensoriel aux concepts de l'analyse musicale (fonctions). En cours de solfège, avec

Kis Katalin, nous avons pu apprécier combien cette pensée « solmisante » influe

sur tout le développement de l'analyse musicale en Hongrie, de la musique

ancienne jusqu'aux limites du système tonal.

• Ce système de solmisation, sous la réserve d'une mise en œuvre bien maîtrisée,

semble être à la portée d'une grande majorité d'enfants, et ne laisserait pas tant

à l'écart du travail de l'oreille autant d'enfants que notre système du « do fixe ». Il a

d'ailleurs été conçu pour être accessible aux enfants des écoles primaires, et non

pas réservé à l'enseignement spécialisé.

• Les noms des notes ne sont presque jamais prononcés autrement que par le chant.

Nous sommes loin de nos sempiternelles et monotones séances de « lecture de

27 Extraits de « l'éducation musicale en Hongrie » de Jacquotte Ribière Raverlat, 28 Par exemple, une tierce mineure du IIème degrés n'a pas du tout le même « goût » qu'une tierce mineure du IIIème

degrés. Outre les implications analytiques, cette différenciation s'expliquerait peut-être par une persistance du tempérament inégal. malgré les siècles de tempérament égal, il semblerait que la tierce ré-fa n'ait pas tout à fait la même valeur que la tierce mi-sol, pour reprendre l'exemple précédent.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 72

Page 73: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

note », auxquelles la réforme de la formation musicale s'efforce de donner du

sens...

Finalement, une comparaison objective mériterait d'être faite : un système très

efficace sur la « mécanique » de la lecture, une oreille de type absolu, l'autre extrêmement

performant sur le développement de l'oreille relative et de la lecture chantée ; Je pose

honnêtement la question, faisons un jour un bilan. Le tableau ci dessous n'est pas

« sérieux », basé sur des expériences personnelles (j'ai entendu chanter les élèves de

mon conservatoires, et ceux de Hongrie!), il faudrait pouvoir mener une enquête sérieuse.

Solmisation Solfège français

Avantages Justesse

Lecture musicale très efficace (la lecture

« qui entend »)

Expressivité

Accès au plus grand nombre

Technicité,

Rapidité,

Efficacité

Développement de l'oreille absolue

Inconvénients Difficultés et lenteurs, notamment lors de la

mise en œuvre instrumentale.

La prise de dictée m'a paru aussi plus

lente, plus faible, chez mes collègues

« solmisants » lors de notre cours de

solfège.

Manque de musicalité dans la formation de

l'oreille.

« Élitisme », un grand nombre d'élève en

réelle situation d'échec, surtout pour

l'oreille et le chant.

Même avec une bonne oreille, la justesse

du chant reste souvent un problème.

Quoiqu'il en soit, cette question de la solmisation restera encore longtemps une

entrave à la pénétration de la pédagogie kodalyenne29 en France : habitudes, obstacles

structurels30, et différence des priorités31. Au delà de cette question de la solmisation, la

29 A juste titre, Kodaly lui même et ses héritiers réfutent le terme de « méthode Kodaly », comme simplificateur et réducteur. Il en est de même à propos de la « méthode » Dalcroze. C'est deux démarches sont à concevoir comme une réflexion, une pensée construite et complexe, et non pas comme une « panacée universelle ».30 La manière dont sont conçues les études dans les établissements d'enseignement spécialisé de la musique implique la plupart du temps un changement fréquent de professeur de formation musicale, il n'est donc pas envisageable de passer à la solmisation autrement que par la décision unanime d'une l'équipe pédagogique.31 la solmisation m'a semblé une véritable réussite, voir même une évidence en ce qui concerne le travail vocal. La France me semble encore privilégier généralement les études instrumentales. Le chant reste souvent « parent pauvre » de l'enseignement spécialisé, ou en tout cas chasse gardée des spécialistes.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 73

Page 74: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

pédagogie musicale comme nous la présentent les pédagogues kodalyens (hongrois pour

la majorité d'entre eux, mais aussi anglais, australiens) offre une diversité, une inventivité

rafraîchissante et stimulante. J'ai pu pour ma part suivre le cours de pédagogie de

Szirányi Borbála consacré à l'école primaire. Il s'agit d'enseigner aux enfants de 6 ans à

10 ans. Selon le modèle hongrois (qui est hélas actuellement en perte de vitesse pour

des raisons institutionnelles) cet enseignement est délivré à l'école pour l'ensemble des

enfants, considérant que la lecture et l'écriture musicale doit faire partie de l'éducation

générale. Voici les points les plus frappants qui ont retenus mon attention.

• Extrême attention portée aux enfants, afin de mener la progression dans un

sentiment de sécurité et de tranquillité affective, en évitant les situations d'échec.

Les nouvelles notions sont toujours si habillement préparées que le moment de la

conscientisation devient évident.

• Le jeu est le premier outil de sensibilisation, de préparation. Dans ce domaine,

l'imagination n'a pas de limites. Jeux chantés, jeux de rondes, de rythmes... La

situation ludique n'est pas gratuite, mais orientée par le travail en cours.

• Le travail préparatoire est déterminant. Les premières années (la maternelle, et

encore l'année des 6 ans) permettent de poser des bases musicales sensorielles,

de construire un répertoire commun qui sert ensuite de matériel

pédagogique, et de poser les préalables de l'accès à l'écrit et à la lecture. Si l'on

fait le parallèle avec ce qu'on connaît souvent en France : ces premières années

sont facultatives, une petite portion de nos élèves seulement fréquente les cours

d'éveil, initiation, etc... le contenu de ces enseignements est disparates, rarement

associé à la progression pédagogique mise en œuvre ensuite en solfège, il est

difficilement possible de s'appuyer dessus pour commencer les apprentissages en

1ère année. De plus, ces cours sont fréquemment confiés à des professeurs

insuffisamment formés, suivant l'opinion communément admise qu'ils seraient plus

faciles à assurer, et ne nécessiterait donc pas de grande compétence. Ils sont par

ailleurs fréquemment dévolus à la mission presque exclusive, et présentée comme

primordiale du choix de l'instrument.

• Développement du déchiffrage chanté dès la première année. C'est bien cela que

recouvre l'expression « lecture de la musique ». Les enfants sont habillement et

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 74

Page 75: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

progressivement guidés depuis le matériel familier vers le matériel inconnu, de

manière à lire toujours dans un climat de sécurité, dans la joie de la découverte

musicale. 32

• Omniprésence de la notion d'oreille intérieure. Elle est nécessaire et préalable à la

lecture et à l'écriture musicale. Elle représente également un des buts décisifs

d'une éducation musicale : La naissance d'une pensée musicale

The most important task of solfege is probably the development of inner

hearing. Inner hearing has a dual significance : firstly, it gives a

« programme » ( the pupil imagines what he wants to play, sing, clap, and so

on), secondly, it has a controlling role (the pupil subsequently checks what

he has heard or produced himself). Whithout inner hearing, ther is not

established in the pupil's imagination the melody he plays or sings, on the

other hand he isn't able to chek what he played or sang.33

Cette citation donne un éclairage intéressant à une question redondante de

l'enseignement musical : pourquoi le solfège ? Pourquoi le travail de l'oreille est-il

incontournable, alors que d'un point de vue mécanique, il est possible de jouer des

musiques qui dépassent les capacités de la pensée musicale.

• Le travail polyphonique est intégré le plus tôt possible, initié dès la1ère année (et

même privilégié par rapport à l'accompagnement harmonique au piano plus

souvent en usage chez nous). Selon Kodaly, la justesse mélodique ne peut se

préciser que dans le contexte polyphonique. Dans le domaine du développement

de la compétence polyphonique, la variété des outils et la maîtrise pédagogique

des kodalyens est impressionnante.

Il est difficile d'évaluer combien sa valeur pédagogique est appréciable dans

toutes les directions, pas seulement dans l'écoute polyphonique, mais aussi

du point de vue de la justesse du chant monodique. Nous pouvons dire : il ne

sait pas chanter juste, celui qui n'a jamais chanté qu'à une voix. Il n'est

possible de maîtriser totalement la justesse du chant monodique qu'à travers

32 En France, on relègue encore souvent le déchiffrage au rôle d'épreuve d'examen. Sa maîtrise nécessite un entraînement quasi quotidien. Le stress de la situation d'évaluation nuit à la sécurité, tranquillité nécessaire.33 Dobszay László Hangja Világa, « the world of tones » introduction au IIème volume.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 75

Page 76: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

le chant à deux voix. Les deux voix s'ajustent l'une l'autre, s'équilibrent.34

• Le développement de l'écriture est également construit avec méthode,

patiemment, toujours en respectant le sentiment de sécurité de l'enfant, partant du

matériel familier avant de s'élargir au matériel non familier. Les outils pédagogiques

propres à la pédagogie Kodály sont habiles et nombreux : phonomimie, notation

bâton... 35

• La créativité des élèves est développée tout au long de l'apprentissage, utile en soi

même, et en temps que moyen de consolidation des acquisitions : invention,

variation, improvisation... Là aussi, les clés proposées par les pédagogues

kodalyiens sont formidablement habiles, variées, et progressives.

________________________________________

Même si je n'ai pas les capacités pour me permettre de critiquer un édifice aussi

admirable que la pédagogie Kodály, et surtout d'imaginer quelques propositions plus

satisfaisantes, il semble que quelques questions méritent néanmoins d'être soulevées.

La progression pédagogique de Kodály est bâtie de manière systématique sur le

répertoire de la musique traditionnelle hongroise36. J'ai trouvé assez dérangeant de

découvrir une certaine forme de musique traditionnelle euphémisée, mise au service de la

pédagogie, un véritable « folklore kodályien ». La musique traditionnelle ne semble pas

considérée comme digne d’intérêt en tant que telle, mais simplement utile à la

formation d'élèves destinés à terme à pratiquer la « grande musique ». La musique

traditionnelle, quand elle est considérée entièrement, remet en question plusieurs valeurs

de la musique savante occidentale : invariabilité du texte, rapport à l'écriture musicale, au

34 Kodály Zoltán, „énekeljünk Tisztan » . Traduction RRT . Ceci dit, ce point de vue peut aussi amener à discussion...35 Les pédagogues que nous avons pu observer à Kecskemét ont souvent soulevé la question d'une utilisation excessive et trop « gadget » de ces outils. Ce serait apparemment une dérive « pédagogiste » assez courante dont il faut se méfier. L'outil doit rester un outil, et ne constituer une fin en soi. A vrai dire, je n'ai pas encore compris le fonctionnement de la notation bâton, le pourquoi, le fonctionnement, en revanche, j'ai pu constater son efficacité.

36 On peut noter que la distinction entre musique « folklorique » et musique « traditionnelle », et la différence de connatation est propre à la France et son évolution historique par rapport aux musiques « autochtones ». Cependant, cette différence lexicale peut être appliquée ailleurs.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 76

Page 77: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

rythme, au tempérament, à la danse et au corps, mode de transmission, rôle de la

musique, du musicien, etc... des questions proprement musicales, mais aussi plus larges,

suscitant une autre forme de pensée musicale.

En raccourci, et à titre de comparaison, on peut évoquer l'interprétation d'une

musique baroque par un musicien qui, quelque soit sa valeur, n'a aucune idée de toute

l'évolution dans le domaine de la reconstitution des répertoires anciens, ou encore d'un

parfait musicien classique qui interpréterait une partition de jazz sans connaître les codes

propres à cette musique. Fréquemment, les pédagogues que nous avons entendus

mettent l'accent sur l'importance de la haute qualité des exemples musicaux dont nous

nourrissons les élèves. Cette musique traditionnelle cultivée « hors sol », privée de son

bagage affectif, culturel, sensoriel originel, et/ou dotée d'un nouvel ethos fabriqué pour

l'occasion, développe quelque chose d'artificiel qui ne correspond pas à cet idéal. Les

hongrois eux-même expriment des réserves importantes à ce sujet, fréquemment à

l'extérieur de la « méthode », plus minoritairement et à mi-voix, mais néanmoins

fermement à l'intérieur même.

Depuis 1967 (date du décès de Kodály), la place de la musique traditionnelle a

considérablement évolué en Hongrie. A la suite de l’œuvre de ces précurseurs de

l'ethnomusicologie mondiale qu'ont été les hongrois Bartók, Kodály, Lajtha, la musique

traditionnelle a pris une place unique dans la société hongroise moderne. Le renouveau

« folk » initié dans les années 70 aux USA a eu des répercussions dans toute l'Europe.

En Hongrie, ce mouvement revivaliste a pris une importance sans comparaison, car il a pu

se baser sur les travaux de ces grands chercheurs. Aujourd'hui, la musique et la danse

traditionnelle hongroise se perpétuent à très haut niveau de manière très riche et variée,

en lien étroit avec les travaux des chercheurs actuels (ethnomusicologie,

ethnographie,...) , dans un grand souci d'authenticité et de qualité, comparable au travail

effectué dans le domaine de la musique ancienne.37

Or, alors que cette dynamique pourrait très logiquement nourrir l'évolution de la

pédagogie Kodály, il m'a semblé au contraire qu'elle restait plutôt en grande partie

imperméable à ces évolutions (mais il reste possible que je n'ai perçu qu'une image

37 Les musiciens et pédagogues formés en Hongrie dans la « Obubai népzeneiskola »

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 77

Page 78: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

partielle de la réalité). Il serait très intéressant, par exemple, d'imaginer quelles pourraient

être les répercussions pédagogiques : comment donner une place à une vraie démarche

de musique traditionnelle, quelles implications dans le travail, comment inclure par

exemple cette grande liberté et variabilité du texte et de la pensée musicale, etc...38

À l'initiative de Kodály lui même, puis ensuite en partie sous l'influence de la

pédagogie Dalcroze, les pédagogues kodalyiens ont souhaité développer une dimension

corporelle au travail de la musique. Dans ce domaine, la plupart des exemples que j'ai pu

croiser se cantonnaient soit au divertissement, soit à un travail très didactique (beaucoup

centré sur les questions de dissociation) sans fondement culturel: musique et utilisation

corporelle simpliste, sans source musicale réelle et documentée, sans profondeur39.

Pourquoi se contenter de si peu, alors qu'il serait très vraisemblablement possible de

construire sur un répertoire réel de danses et de musiques traditionnelles (dans la

continuité de la philosophie de Kodály), alors que les pédagogues de la danse

traditionnelle sont nombreux en Hongrie, et qu'ils sont à même de fournir un travail

conciliant les considérations didactiques et techniques avec un répertoire authentique,

vivant, et fort de sens ?40

Ceci dit, ces considérations ne remettent pas en cause mon admiration à l'égard de

la pédagogie Kodaly. Il est important de reconsidérer le projet initial de cette pédagogie :

Offrir un enseignement musical à la masse, à l'ensemble des enfants de l'école générale.

Donner accès à tout le monde à la lecture de la musique. Ces réserves précédemment

exprimées sont celles d'un « privilégié » de l'enseignement spécialisé de la musique, qui a

les moyens de faire « la fine bouche ».

__________________________________

38 Plus dérangeant, il nous est arrivé de croiser des propositions pédagogiques se référant prétendument à la musique traditionnelle véritablement indignes, comme par exemple une danse de Moldavie (mal dansée) accompagnée par un air de musique « klezmer » sans aucun rapport, et encore quelques autres exemples de « vache espagnole » révélatrice d'un manque de respect et de connaissance.39 Pour exemple, la version « chorégraphiée » du célébre canon « epo e ta taie », déjà popularisé en France aussi, dont

personne ne se soucie de connaître la signification, la provenance, et dont la musique comme les paroles ont vraisemblablement été euphémisée. La satisfaction immédiate procurée par un exotisme facile compense le manque de culture.

40 J'ai eu par exemple la chance de suivre de formidables cours de danse traditionnelle menés par Szabo Szillard et Németh Ildiko conciliant admirablement dimensions didactique, patrimoniale et artistique. Il existe également en Hongrie une faculté dédiée à la danse traditionnelle, qui forme des pédagogues complets et cultivés.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 78

Page 79: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

La question de la pertinence du répertoire utilisé pour éduquer musicalement les

enfants n'est pas anodine, elle nous concerne directement, si notre projet est d'imaginer

une application de cet admirable pédagogie à notre enseignement musical français.

Comment et pourquoi choisir le répertoire de notre enseignement ? Cette question

comporte de nombreuses implications.

En se basant sur un répertoire traditionnel original français, nous ne pouvons que

faiblement espérer bénéficier d'une éventuelle imprégnation préalable. La société

française actuelle est culturellement extrêmement hétérogène, d'origines ethniques ou de

milieu familial et social ; Le patrimoine musical commun, véhiculé par l'école, la famille, ou

transmis d'enfant à enfant sans intervention des adultes, s'éloigne indéniablement et

inéluctablement du fond culturel traditionnel « français », sous les influences de la vie

moderne, de la disparition progressive du chant « domestique » dans la société au profit

des modèles éphémères apportés par la musique commerciale.

Si l'on se réfère à la philosophie de Kodaly, les chansons populaires seraient

cependant le mieux à même de correspondre aux spécificités linguistiques et musicales

de chaque culture : donnons pour exemple ces rythmes iambiques typiques à la prosodie

hongroise, rendant l'adaptation française des chansons quasi impossible ; Le rythme

ternaire est en revanche une composante très forte du chant traditionnel français, qui est

souvent reléguée en seconde place par les besoins de la construction pédagogique

« progressive », réminiscence de l'ancien concept parfois encore en usage de rythme

« complexe ».

L'utilisation du folklore français pose d'autres problématiques :

Les chansons des collectages ont souvent été adaptées, transformées, euphémisées,

harmonisés, selon des considérations souvent discutables.

-L'oreille moderne est tellement imprégnée d'harmonie tonale, qu'elle conçoit difficilement

la monodie. Le premier travail de la plupart des spécialistes de la chanson traditionnelle

française, est l'arrangement, l'harmonisation, l'adaptation, comme devant une véritable

peur du vide. Les critères qui guident cette démarche mériteraient d'être discutés. À titre

de comparaison, on peut rappeler les efforts des musiciens du 19ème pour harmoniser à

tout prix le chant grégorien.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 79

Page 80: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

- Les adaptateurs, transcripteurs citent rarement leurs sources, et ne jugent pas souvent

utile de distinguer la part traditionnelle de la part d'adaptation. Le respect quasi religieux

de l'intégrité du texte original en usage dans la musique savante ne semble pas devoir

s'appliquer pas à ces répertoires, puisque cette musique est à tout le monde, c'est à dire à

personne...

-Ces chansons correspondent souvent à un monde disparu, de patois, langues régionales,

métiers, coutumes, champs lexicaux....Là aussi, l'adaptation pose des questions qui ne

sont pas toujours soulevées. Dans l'optique d'une utilisation pédagogique, elle paraît

toutefois difficilement contournable.

Est-il alors, plutôt temps d'ouvrir très large le répertoire de nos cours à toute sorte

d'influences diverses : musique du monde, musique actuelle (essentiellement imprégnée

des musiques traditionnelles américaine), création... ? Il n'est évidemment pas possible de

fermer ces portes en vivant en 2013, j'ai tendance cependant à croire que la constitution

d'une langue musicale maternelle, et par là même d'une identité culturelle commune

française devrait rester un préalable. On voit fleurir en France les ensembles amateurs ou

professionnels dévolus aux traditions les plus diverses, comme si le fait d'être exogène

leur donnait d’emblée une plus grande valeur, et cependant la chanson traditionnelle

française est largement sous-estimée et ignorée. « C'est un devoir civique de tout

musicien cultivé que de connaître à fond sa langue maternelle musicale » citation de

Kodaly reprise par Jacquotte Ribère Raverlat dans son ouvrage intitulé « l'education

musicale en Hongrie »

Ne m'estimant pas capable de proposer des solutions et des alternatives aux questions

qui sont ici soulevées, je crois cependant nécessaire d'ouvrir le débat, de poursuivre la

recherche et la curiosité, ainsi que le dialogue avec les spécialistes et les chercheurs de la

musique et de la danse traditionnelle. Des solutions peuvent très vraisemblablement

éclore de la confrontation des disciplines. C'est sans doute le manque de communication

entre les différentes branches qui explique les contradictions soulevées ci dessus au sein

de la pédagogie des hongrois.

Renaud Rusé-Tasnady, réflexions pédagogiques et notes de lecture 80

Page 81: Réflexions pédagogiques et notes de lecture

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