raspa vol 2 n 1 mars 2004 vf · 75 • article original « mon lait est pur et ne peut pas rendre...

12
75 A A R R TICLE TICLE ORIGINAL ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local au Mali G. FOKOU 1 , B.V. KONE 1,2 et B. BONFOH 1 1 Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS), Abidjan, Côte d’Ivoire. 2 Institut d’Ethno-Sociologie, Université de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire. Correspondance et tirés à part , e-mail : [email protected] ou [email protected] Résumé A un moment où de nombreux peuples à travers le monde font face à de graves difficultés pour satisfaire leurs besoins alimentaires, le secteur de l’élevage offre une alternative intéressante en proposant aux consommateurs une gamme variée de produits laitiers. En Afrique au sud du Sahara, cette production est faite de manière informelle et même si elle permet aux petits producteurs de sécuriser leurs revenus, elle n’obéit généralement pas aux normes de qualité internationalement reconnues. En s’appuyant sur l’exemple de la filière laitière du Mali, la question débattue est celle de savoir si les produits laitiers proposés au consommateur malien sont sains et de bonne qualité. Après une analyse des données socio-anthropologiques qualitatives collectées dans la commune de Cinzana au Mali, il revient que la définition de la qualité du lait repose à la fois sur des motivations extrinsèques et intrinsèques des acteurs. Le risque peut être évalué à la fois en termes absolus (nombre de malades après avoir consommé un produit, gravité du danger), mais également en termes relatifs (du fait des représentations). Cette conception de la qualité qui intègre les valeurs sociétales permet de mettre le consommateur et les interactions qu’il entretient avec les autres acteurs autour de lui au centre d’une analyse du risque qui se veut participative. (RASPA, 8 (S) : 75-86). Mots-clés : Lait - Acteurs - Risque - Qualité - Motivation - Cinzana - Mali. Abstract ”My milk is pure and can not make sick”: motivations of actors of the informal sector and quality of local milk in Mali. At a time when many people around the world face serious difficulties in meeting their food needs, the livestock sector offers an interesting alternative by offering consumers a variety of dairy products. In sub-Saharan Africa, these products are proposed by the informal sector and even if their production allows smallholders to secure their income, they do not match the internationally recognized quality standards. Based on the example of the dairy sector in Mali, the question under discussion in this paper is whether dairy products offered to consumers in Mali are safe and of good quality. After an analysis of qualitative socio-anthropological data collected in the municipality of Cinzana, It appears that the definition of milk quality is based on both intrinsic and extrinsic motivations of the actors. Risk can be assessed both in absolute terms (number of reported cases after consuming the product, degree of danger), but also in relative terms (as a result of representations).This conception of quality that integrates societal values can put the consumer and the interactions he has with other actors around him, at the center of participatory risk analysis. Key – Words: Milk - Actors - Risk - Quality - Motivation - Cinzana - Mali. Introduction Pour de nombreux groupes humains dans les pays du sahel, l’élevage constitue la principale activité de subsistance. Les animaux qu’ils élèvent constituent un moyen d’existence important et remplissent les fonctions les plus diverses : fournisseurs d’aliments et d’engrais, source de revenus et force de travail, compte en banque et assurance [34]. Les activités d’élevage se sont de plus en plus développées d’une part du fait de la capacité d’adaptation plus élevée des populations pastorales qui sont plus flexibles et mobiles [3]. D’autre part le développement pastoral s’explique par la hausse de la demande en aliments d’origine animale dans de nombreux pays en développement, entraînant une réorientation de la production agricole dans son ensemble. Cette dynamique s’apparente à une ‘’révolution de l’élevage’’, provoquée par la montée en force d’une classe moyenne urbaine qui, de plus en plus,complète son alimentation par des produits carnés [16], [19], [20]. Même si cette tendance se confine encore essentiellement dans des pays émergents tels que l’Inde, la Chine ou le Brésil ainsi que dans certains pays en développement, il convient de reconnaitre que même en Afrique subsaharienne, la production pastorale tend à s’organiser autour des pôles urbains de consommation qui sont déjà parfaitement arrimés au marché global [3], [14]. Revue Africaine de Santé et de Productions Animales © 2010 E.I.S.M.V. de Dakar RASPA Vol.8 N 0 S, 2010

Upload: others

Post on 08-Jun-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

75

¥ AARRTICLETICLE ORIGINALORIGINAL

« Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » :motivations des acteurs du secteur informel et qualité dulait local au MaliG. FOKOU1*, B.V. KONE 1,2 et B. BONFOH1

1 Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS), Abidjan, Côte d’Ivoire.2 Institut d’Ethno-Sociologie, Université de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire.

* Correspondance et tirés à part , e-mail : [email protected] ou [email protected]

RRééssuummééA un moment où de nombreux peuples à travers le monde font face à de graves difficultés pour satisfaire leurs besoins alimentaires, le secteur del’élevage offre une alternative intéressante en proposant aux consommateurs une gamme variée de produits laitiers. En Afrique au sud du Sahara, cetteproduction est faite de manière informelle et même si elle permet aux petits producteurs de sécuriser leurs revenus, elle n’obéit généralement pas auxnormes de qualité internationalement reconnues. En s’appuyant sur l’exemple de la filière laitière du Mali, la question débattue est celle de savoir si lesproduits laitiers proposés au consommateur malien sont sains et de bonne qualité. Après une analyse des données socio-anthropologiques qualitativescollectées dans la commune de Cinzana au Mali, il revient que la définition de la qualité du lait repose à la fois sur des motivations extrinsèques etintrinsèques des acteurs. Le risque peut être évalué à la fois en termes absolus (nombre de malades après avoir consommé un produit, gravité dudanger), mais également en termes relatifs (du fait des représentations). Cette conception de la qualité qui intègre les valeurs sociétales permet de mettrele consommateur et les interactions qu’il entretient avec les autres acteurs autour de lui au centre d’une analyse du risque qui se veut participative.(RRAASSPPAA,, 88 (S) : 75-86).

MMoottss--ccllééss :: LLaaiitt -- AAcctteeuurrss -- RRiissqquuee -- QQuuaalliittéé -- MMoottiivvaattiioonn -- CCiinnzzaannaa -- MMaallii..

AAbbssttrraacctt

””MMyy mmiillkk iiss ppuurree aanndd ccaann nnoott mmaakkee ssiicckk””:: mmoottiivvaattiioonnss ooff aaccttoorrss ooff tthhee iinnffoorrmmaall sseeccttoorr aanndd qquuaalliittyy ooff llooccaall mmiillkk iinn MMaallii..At a time when many people around the world face serious difficulties in meeting their food needs, the livestock sector offers an interesting alternative byoffering consumers a variety of dairy products. In sub-Saharan Africa, these products are proposed by the informal sector and even if their productionallows smallholders to secure their income, they do not match the internationally recognized quality standards. Based on the example of the dairy sectorin Mali, the question under discussion in this paper is whether dairy products offered to consumers in Mali are safe and of good quality. After an analysisof qualitative socio-anthropological data collected in the municipality of Cinzana, It appears that the definition of milk quality is based on both intrinsic andextrinsic motivations of the actors. Risk can be assessed both in absolute terms (number of reported cases after consuming the product, degree ofdanger), but also in relative terms (as a result of representations).This conception of quality that integrates societal values can put the consumer and theinteractions he has with other actors around him, at the center of participatory risk analysis.

KKeeyy –– WWoorrddss: MMiillkk -- AAccttoorrss -- RRiisskk -- QQuuaalliittyy -- MMoottiivvaattiioonn -- CCiinnzzaannaa -- MMaallii..

IntroductionPour de nombreux groupes humains dans les pays dusahel, l’élevage constitue la principale activité desubsistance. Les animaux qu’ils élèvent constituent unmoyen d’existence important et remplissent les fonctionsles plus diverses : fournisseurs d’aliments et d’engrais,source de revenus et force de travail, compte en banqueet assurance [34]. Les activités d’élevage se sont de plusen plus développées d’une part du fait de la capacitéd’adaptation plus élevée des populations pastorales quisont plus flexibles et mobiles [3]. D’autre part ledéveloppement pastoral s’explique par la hausse dela demande en aliments d’origine animale dans de

nombreux pays en développement, entraînant uneréorientation de la production agricole dans sonensemble. Cette dynamique s’apparente à une‘’révolution de l’élevage’’, provoquée par la montée enforce d’une classe moyenne urbaine qui, de plus enplus,complète son alimentation par des produits carnés[16], [19], [20]. Même si cette tendance se confineencore essentiellement dans des pays émergents telsque l’Inde, la Chine ou le Brésil ainsi que dans certainspays en développement, il convient de reconnaitre quemême en Afrique subsaharienne, la production pastoraletend à s’organiser autour des pôles urbains deconsommation qui sont déjà parfaitement arrimés aumarché global [3], [14].

Revue Africaine de Santé et de Productions Animales© 2010 E.I.S.M.V. de Dakar

RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 2: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

G. FOKOU et al

Cependant, les études récentes tendent à démontrerque l’élevage a de nombreux impacts directs surl’environnement [39], mais aussi sur les structuressociales et la santé humaine. Même s’il convientd’adopter un point de vue nuancé, sur l’impact desdivers types l’élevage (intensif/extensif), il est de plus enplus reconnu que la production pastorale cause denombreux problèmes : les émissions de gaz chargentl’environnement, la densité d’animaux accroît les risquesde surpâturage et de maladies, et la diversité génétiquedes animaux de rente tend à diminuer. La forte extensionde la production fourragère peut détruire des zonesnaturelles comme les forêts et entrer en concurrenceavec la production pour l’alimentation humaine. Denombreux changements sociaux résultent de la mise encommun de diverses traditions culturelles en matièred’élevage ainsi que les changements de l’économieglobale dont la rapidité et la complexité ont contribué àtransformer les manières de produire les protéinesd’origine animales à travers l’intensification (inséminationartificielle, complémentation). La mondialisation a permisde réaliser de nombreux bénéfices (accès à un marchéplus large). Mais elle a aussi ouvert la voie à unedispersion rapide des espèces et des maladies et à lamondialisation des risques sanitaires [38]. Depuisquelques décennies, et ce malgré d'importants progrèsaccomplis en matière de gestion et de prévention descrises alimentaires, les pays d'Afrique de l'Ouestrencontrent de nombreuses difficultés pour se nourrir etles origines sont à la fois conjoncturelles et structurelles.Cette situation met ces pays sous la dépendance del’extérieur qui fournit de nombreux produits industriels,parfois de qualité douteuse. Ainsi, l’Afrique a étémenacée depuis quelques décennies par des dangersdus aux aliments en provenance d’autres continentstelles que maladie de la vache folle, le poulet contaminéà la dioxine, la grippe aviaire (H5N1), le lait contaminé à lamélamine, la grippe porcine (H5N5). Toutes ces crisesmajeures ne sont pas d’origine africaine, mais ellesconstituent pourtant un risque réel pour les populationsdes régions les plus reculées d’Afrique du fait de laglobalisation des échanges commerciaux qui induisentune mondialisation du risque sanitaire. Au Mali, les événements récents tels que la polémiqueautour d’une boisson sucrée dite “Dassoumayala” trèsprisée lors des cérémonies sociales (baptême, mariage,etc.), les soupçons de bromate de potassium dans dupain ont largement indiqué à l’opinion nationale que laproduction, la préparation, la commercialisation et laconsommation des produits alimentaires sont desactivités économiques de plus en plus problématiques[27]. A ces problèmes, s’ajoutent ceux des datespéremption des produits alimentaires manufacturés ou

importés. Ces constats recommandent que laproblématique de l’hygiène et de la qualité des alimentsdevienne une question de veille permanente etrégulièrement analysée en impliquant divers acteursconcernés (producteurs, industries de transformation,réseaux de distributions, consommateurs). Cesmécanismes permettraient de surveiller la qualité desaliments produits ou importés en vue de protéger lespopulations et les animaux des risques d’intoxication. Pourtant au Mali, la production des denrées alimentairesd’origine animale telles que le lait reste encore largementl’activité des petits producteurs, ce qui veut dire uneproduction informelle. Cette production ne représenteque 10 % de la consommation de lait en milieu urbain auMali [31], [32]. De nos jours, le lait local est de plus enplus apprécié des consommateurs [4], [9]. Cet intérêtpour le lait local a été renforcé par le développement desprojets d’appui aux producteurs ayant permis d’améliorerde manière substantielle la qualité et la quantité desproduits mis sur le marché [5], [6], [26]. Toutefois, ledéveloppement du marché laitier local au Mali soulèvedeux inquiétudes pour ce qui est de la sécurité sanitairedes produits. Premièrement, la vulnérabilité économiquedes petits producteurs accroit le risque sanitaire à traversdes pratiques douteuses [3], [7]. La réticence desproducteurs à se débarrasser du lait de mauvaise qualitérefusé par la laiterie montre clairement que dans uncontexte où le lait constitue l’essentiel des sources desubsistance, l’application des règles de qualité pourraitmenacer les bases de survie de la famille toute entière[3], [36]. Deuxièmement, l’expérience du Mali montre queles produits laitiers et d’autres denrées alimentaires sontsoumis à une double norme. En s’inspirant d’autresfilières telles que la mangue malienne, il apparait àl’observation que les produits consommés sont différentsen qualité de ceux vendus. De même, les produitsrefusés par la laiterie du fait de leur qualité douteuse sontrepris par les transformatrices artisanales et remis dansle circuit de commercialisation aux mêmes prix [28]. Onpourrait en déduire que pour les producteurs, il existedes normes pour la communauté et les normes pour lesautres, les normes pour les éleveurs et les normes pourles ‘’gens du marché’’, les normes endogènes et lesnormes exogènes [17]. Ces deux inquiétudes invitent à s’interroger sur lesnormes qui définissent la qualité des produits laitierslocaux consommés au Mali. Autrement dit, les produitslaitiers proposés au consommateur malien sont-ils debonne qualité ? Quels sont les déterminants de la qualité ?Le lait est-il bon pour tout le monde ? Pour répondre à cesquestions, cet article se propose d’analyser lesreprésentations sociales de la qualité du lait et laperception du risque lié à sa consommation, en s’appuyant

76 RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 3: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

« Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local au Mali

sur des études socio-anthropologiques menées sur lesfilières laitières locales du Mali. L’objectif est de montrerque la qualité du lait dépend des motivations des acteursdans la production, la transformation et la distributiondes produits. Ces motivations pour la qualité du laitdépendraient des croyances et de la vision du mondedes acteurs impliqués.

Matériel et MéthodesCet article est bâti sur des études pluridisciplinaires sur le lait auMali et plus précisément sur la filière laitière rurale informelle.Les données de base utilisées ici sont celles d’une étude socio-anthropologique sur la représentation de la qualité des denréesalimentaires d’origine animale (lait et viande) au Mali. Cetteétude s’est déroulée à Cinzana, une commune rurale de larégion de Ségou, au centre du pays. Cette commune quicouvre une superficie de 1100 km2 a pour chef-lieu Cinzana-Gare situé à 37 km de Ségou. C’est un nouveau pôle dedéveloppement laitier avec le lancement du projet d’Appui à lafilière laitière de Cinzana (PAFLACIN) en 2008. L’étude qui s’estdéroulée entre Mai et Septembre 2009, a consisté en lacollecte des données qualitatives et quantitatives dans 12villages de la commune, choisis sur la base de leur implicationou non dans le projet, mais aussi compte tenu de leurreprésentativité dans les six secteurs que compte cettecommune (Zambougou, Cinzana, Fambougou, Berthela,Tongo, N’Gola). Cependant, cet article concerne uniquement levolet qualitatif de l’étude et s’appuie sur les données collectéesauprès des acteurs clés du système de production-transformation de la filière laitière locale de Cinzana à l’aide desentretiens semi-structurés, des « Focus Group Discussion »ainsi que des observations in situ. En partant de l’hypothèseque les manières de penser, les habitudes, les comportementset les relations qui existent entre les acteurs situés en amont dela filière laitière locale peuvent influencer la sécurité sanitaire desproduits, l’accent à été mis sur les perceptions et les pratiquesde trois catégories d’acteurs (producteurs, femmestransformatrices et les collecteurs livreurs). L’amont dessystèmes de production semble jouer un rôle prépondérantdans la réponse à la nouvelle demande de qualité [21]. Il existeplusieurs niveaux dans le cheminement du lait de la ferme à latable. Mais l’intérêt pour les acteurs en amont de la filière sejustifie par le fait que l’analyse de leurs comportements et leursreprésentations pourrait contribuer au processus d’évaluationet de gestion du risque sanitaire en aval (chez lec o n s o m m a t e u r ) .Trente (30) entretiens semi-directifs ont été réalisés avec lescatégories d’acteurs cités plus haut, mais aussi avec lesacteurs institutionnels tels que les autorités administratives etmunicipales, les vétérinaires et le personnel médical. Le butétait non seulement de relever les pratiques et les habitudesalimentaires des populations dans les villages, mais aussid’analyser les éléments d’évaluation et de la gestion desrisques. De plus, douze (12) « Focus Group Discussion » ontété organisés avec les éleveurs de chacun des 12 villages del’étude, le but étant de caractériser les habitudes alimentaires,le mode de production et de gestion des produits laitiers, lesinterdits alimentaires et les perceptions des populations sur lasécurité sanitaire des aliments d’origine animale.

Les données collectées ont été analysées à travers une analysede contenu thématique. Pour ce faire des variables clés ont étéidentifiées afin de construire une grille d’analyse permettant dedonner un sens aux discours, points de vue et positions desdiverses catégories d’informateurs rencontrées. Ces variablesclés comprenaient : les habitudes de consommation, lesfacteurs sociaux et économiques liés à la sécurité sanitaire desaliments, les comportements à risque et la gestionsocioculturelle de ces risques, les solutions potentielles pour lasécurisation des produits laitiers destinés aussi bien pour lacommercialisation (en ville) que pour la consommation desménages ruraux. Cette analyse s’est appuyée sur le conceptde motivation qui permet de dévoiler le sens que lespopulations donnent à leurs actions et comportements et à laqualité des produits qu’elles consomment [33], [35]. En fait, lerisque et la qualité se révèlent comme des constructionssociales puisqu’étant des notions autour desquelles se tissentun ensemble de relations, d’enjeux et d’idéologies. L’approcheconceptuelle adoptée s’inspire de la recherche sur le risque etla qualité des aliments qui s’est depuis peu détournée de ladescription «objective» des experts et « subjective » desconsommateurs pour s’intéresser à la perception qu'ont lescitoyens. Elle se focalise maintenant sur une conception durisque et de la qualité comme des constructions sociales.L’entreprise scientifique a consisté à confronter les savoirs quisont au coeur des processus de construction sociale du risqueet de la qualité [23], ces savoirs pouvant varier suivant lesmilieux et les cultures. Pour comprendre les représentations de la qualité du lait localpar les populations, cette étude examine donc les motivationsintrinsèques et extrinsèques qui orientent la production ou larecherche de la qualité. La motivation intrinsèque ici est cellequi développe le locus de causalité interne perçu. Il s’agit desdéterminants structurels d’une action ou d’un comportement.La motivation extrinsèque quant à elle est une action motivéepar des mobiles instrumentaux. Ce sont des déterminantsconjoncturels ou situationnels.

Résultats et Discussion

1. PRATIQUES DES ACTEURS DANS LA FILIÈRELAITIÈRE LOCALE

La filière laitière locale du Mali se structure autour desactivités de production, de collecte, de pré-transformation, de transformation et de consommation.Ces activités impliquent à divers paliers, de nombreuxacteurs (producteurs, collecteurs, femmestransformatrices, laiteries, distributeurs) qui manipulent lelait entre la ferme et la table et peuvent influencer saqualité. Sur la plan biologique et ce dans le contexte ruralmalien où la chaine de froid fait défaut, la qualité du laitpeut s’altérer à tous les niveaux de la chaine alimentaire.Cependant, il convient de reconnaître que l’hygiène de latraite, les conditions de transformation et deconditionnement en amont, c’est-à dire au niveau desfermes et des ménages, constituent des facteursimportants dans la réduction des risques sanitaires et de

77RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 4: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

la détermination de la qualité du lait. Ce constat conduità examiner les comportements des éleveurs-producteurs, des femmes transformatrices, descollecteurs intermédiaires et vendeurs indépendants.

Au Mali, même si la spécialisation ethno-professionnellemarque un net recul, l’élevage laitier bovin reste uneactivité à dominance peulh. Ces populations pour quil’élevage est bien plus qu’une simple activité desubsistance produisent du lait quelles offrent à laconsommation à travers plusieurs circuits de distribution.A Cinzana, le lait produit dans les fermes transitepar la mini-laiterie, ou remis aux femmes transformatricesartisanales ou encore aux vendeurs indépendants qui lefont remonter vers les pôles de consommation. Lesproducteurs de lait présentent des comportements quipeuvent menacer la sécurité sanitaire des produitsproposés. Vu sous l’angle hygiéniste, les comportementsde traite et de consommation sont considérés commeétant à risque. Ainsi, lors des traites, le lavage des mainsn’est pas systématique pour le trayeur qui, pour mieuxlubrifier les trayons trempe de temps en temps ses mainsdans le lait déjà recueilli. De même à l’observation, lesustensiles de traite ne bénéficient pas d’une hygièneparticulière. Ils sont le plus souvent sommairement lavéssans désinfectant et exposés aux intempéries.

Par ailleurs, les comportements de consommation deces populations montrent une forte consommation de laitcru. A Cinzana, cette consommation varie en fonctiondes ethnies. Chez les populations à culture d’élevagecomme les Peuls, on note une réticence claire pour lechauffage, le lait cru étant plus prisé puisque pouvantsubir la meilleure fermentation. Le lait chauffé est celuidestiné à la commercialisation. Le chauffage est souventle fait des collecteurs-livreurs ou des femmestransformatrices puisqu’il permet d’éviter la dénaturationdu produit. Les femmes transformatrices artisanales de laitconstituent une catégorie dont les activités marquent unnet recul, mais qui initient plusieurs stratégies pourcontinuer à exister dans la filière laitière locale [28], [36].Dans un système laitier où la création des mini-laiteriesles pousse à la périphérie, leurs stratégies demaximisation du profit les amènent à mettre sur lemarché des produits reconstitués en ajoutant du lait enpoudre comme il a été relevé à Kasséla dans lapériphérie de Bamako. Par ailleurs, le lait présenté à laconsommation est très souvent de qualité microbiologique

Ces acteurs sont ceux qui se situent en amont ducomplexe de production-transformation-distributiondes produits laitiers dans la filière laitière locale duMali (Fig. 1).

Figure1 : Acteurs de la production-transformation-distribution du lait local au Mali

G. FOKOU et al

78 RASPA Vol.8 N0S, 2010

Eleveurs

Agent intermédiaire

Coopérative laitière

SupermarchéDétaillant

Consommateur

Transformatrice Artisane Vendeur indépendant

Prod

uctio

nPr

é-tr

ansf

orm

atio

nTr

ansf

orm

atio

nve

nte

Con

som

mat

ion

Page 5: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

médiocre [6]. Aucun test de qualité n’est au préalableeffectué, l’unique critère d’appréciation étant sensoriel(goût, couleur, odeur). Des analyses effectuées à Kassélaprès de Bamako [28] montrent que 50% du lait traité parles femmes est de mauvaise qualité (mouillé ou acide).Ces résultats ne suffisent pas pour conclure que le laitproposé par ces femmes à Cinzana est de mauvaisequalité, surtout qu’il est soit chauffé, soit transformé enfènè (lait fermenté) avant la vente. Cependant, lesconditions de transformation et de commercialisation, lestypes de lait traités posent de réels problèmes de qualité.A Kasséla, les femmes achètent souvent du lait rejeté parla laiterie auquel elles ajoutent de la potasse au momentdu chauffage pour atténuer la coagulation du lait acide.Par contre à Cinzana, les femmes transformatrices sontde plus en plus intégrées au système de la laiterie. Dansles villages, elles ont la charge de préchauffer le laitcollecté par les membres des coopératives avant del’acheminer vers la laiterie à Cinzana. Cependant cettetâche incombe davantage aux collecteurs-livreurs. Cetacteur est né à la faveur de la création des laiteries.Même si les femmes s’y investissent de plus en plus, cesont le plus souvent des hommes qui parcourent delongues distances à moto, à vélo ou à pied sur despistes rurales pour faire remontrer le lait vers les laiteriesou les villes. Les collecteurs sont généralement desbergers en activité dans des élevages, les agentsintermédiaires affiliés à la coopérative ou des collecteursindépendants. Cet acteur est responsable de la qualitédu lait pendant le transport et de sa pré-transformation.Les collecteurs-livreurs qui couvrent souvent un largeterritoire avec des moyens de locomotion rudimentaireschauffent du lait en campagne avant de l’acheminer enville pour éviter que la qualité se détériore pendant letransport sous l’effet de la chaleur. Le collecteur-livreur apour principale motivation la recherche du profit etpourrait être conduit comme les femmestransformatrices à recourir à de pratiques frauduleusesou tout au moins non conformes aux règlestraditionnelles de transformation (ex. lait reconstitué àbase de poudre).La présentation des acteurs du système de production etde pré-transformation du lait à Cinzana montre que lesdifférents acteurs adoptent des comportements àrisques pour ce qui est des produits laitiers qu’ilsconsomment ou qu’ils commercialisent. Mais au delà dela gamme variée des produits laitiers disponibles dans cesecteur, il semble se dégager deux types de lait dans lafilière locale: le lait de consommation dans les ménageset le lait de vente aux consommateurs lointains. Cestypes de lait induisent chez les acteurs du secteurinformel l’application des normes de qualité différentes.

2. LAIT DE CONSOMMATION ET LAIT DE VENTE :PRINCIPE DE LA DOUBLE NORME

La norme vise à définir et à qualifier le produit, ou plutôtses caractéristiques. Même si la qualité d’un produit serévèle subjective, elle obéit toujours à des standards ou àdes normes qui peuvent être locales, nationales ouinternationales. Ces normes peuvent être endogènes ouexogènes. Cette différence d’échelle dans la définition dela qualité montre qu’elle est après tout une constructionsociale à partir du vécu de chaque communauté. Si l’onpeut aisément comprendre l’existence de plusieursnormes du fait de la diversité des techniques évaluativesde la qualité dans la société moderne dominée par leprocessus de globalisation et de dynamique culturelle,on peut s’interroger sur leur superposition et même leuremboîtement dans une même communauté. Commentcomprendre que la qualité d’un produit destiné à laconsommation soit différente de celle du produit destinéà la vente ? C’est à cette logique qu’obéissent lesproduits laitiers que les producteurs de Cinzanaproposent à la consommation. Il existerait un lait pour leménage et un lait pour la laiterie, un lait pour laconsommation personnelle et un lait pour la vente. Ainsi,l’évaluation de la qualité dépend à la fois des normesévaluatives endogènes et exogènes. Aujourd'hui, lecommerce laitier africain se caractérise par une grandediversité de formes d'entreprises: les industries, les mini-laiteries, les entreprises artisanales et les entreprisesfermières. Les formes industrielles sont aux yeux desexperts, les seules garantes de la bonne « qualitésanitaire » du lait distribué aux populations urbaines [17].Au Mali, les projets de développement laitier on favorisél'émergence du marché du lait pasteurisé qui devaitprogressivement remplacer la vente de lait cru ou de laitcaillé. Avec l’implantation du projet PAFLACIN, lesproducteurs de Cinzana ont été formés aux bonnespratiques d’hygiène qui se caractérisent par desprécautions dans la production d’un lait sain pour lalaiterie et la consommation urbaine. Ces pratiquesconcernent la propreté du lieu de traite et des ustensiles,les précautions dans la manipulation du lait tout au longde son cheminement, mais aussi la pasteurisationsusceptible d’éliminer tous les éléments nocifs à la santé.Si ces populations qui sont constituées en coopérativesde producteurs adhèrent à ces normes pour ce qui estdu lait livré à la laiterie, il n’en est pas de même desproduits consommés dans les ménages. La vente du laitoffre de bonnes opportunités financières aux ménagesde Cinzana à travers la garantie que la laiterie leur offreen collectant toute leur production à un prix fixe qui varie

« Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local au Mali

79RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 6: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

certes en fonction des saisons, mais qui sécurise le gain.Cependant, une partie de lait (variable suivant lesobjectifs de production du ménage) est destinée à laconsommation familiale ou offerte aux autres membresde la communauté sous forme de dons ou de sacrifices.C’est avec du lait que le chef de ménage (surtout peul)reçoit des visiteurs et ne pas offrir du lait à ses convivesest le signe de déshonneur. De ce fait, le lait est nonseulement un aliment important, mais il remplit aussi unrôle social. Par manque de chaine de froid, il est souventconsommé sous sa forme fermentée, caillée ou frais. Ilressort des discussions avec les informateurs dans lesvillages que la préférence pour le lait cru est trèsmarquée au détriment du lait pasteurisé vendu à lalaiterie.Au delà d’une préférence, la consommation du lait cruapparait comme une norme sociétale pour cespopulations. Elles sont convaincues que sous cetteforme, le lait est de bonne qualité et ne peut rendremalade. Cet attachement au lait cru comme étant dequalité incontestable, s’appuie sur la conviction que c’estsous cette forme qu’elle garde au mieux sa bonne valeurnutritive, mais aussi l’assurance de respecter lestraditions ancestrales. Les éleveurs peuls pour la pluparttrouvent que le « faire bouillir » est une énorme perte caril perd tous ses éléments nutritifs importants pourl’homme. Mais au-delà de la conviction que le chauffagedétruit les qualités nutritives du lait, ces populations sontaussi convaincues que cette pratique agit sur laproduction elle-même dans la mesure elles pensent que« les mamelles tarissent du fait du chauffage ». Cesconceptions héritées de la tradition ancestrale attribuentau lait cru non seulement une valeur nutritionnelle, maisaussi une valeur symbolique.Ainsi, les populations de Cinzana construisent desnormes endogènes de qualité basées sur la culture et lesidéologies. Dans ce cas, le bon lait est cru, c'est-à-direcelui qui vient directement de la vache ou de la chèvresans avoir subi de transformation préalable. Cette normerésiste au changement dans la mesure où elle estrenforcée par une prescription des ancêtres : préserverla culture du lait authentique en le consommant sous saforme originale, mais aussi un danger, celui de perdre laproduction du lait en cas de chauffage. Le lait pur dansce cas est celui qui est débarrassé de ses impuretésvisibles (débris de végétaux, insectes, poils, etc.). Cesnormes s’opposent ainsi aux normes exogènesvéhiculées par la laiterie qui exige du lait chauffé. Dansles villages de Cinzana, le chauffage du lait est plus le faitdes collecteurs-livreurs qui l’achètent aux producteurs etle livrent soit à la laiterie, soit le revendent directement

aux consommateurs. Dans ce cas, ils suivent les normesfixées par la laiterie et préchauffent le lait, et le filtrentpour le débarrasser de ses impuretés visibles.Cependant le chauffage est plus conditionné par lanécessité d’amener un lait de qualité acceptable etconforme (tests de densité et d’acidité) à la laiterie pourgarantir son paiement que d’une volonté d’assurer lasécurité sanitaire des aliments consommés soi-même.Cela se justifie par le fait que les entretiens avec lesinformateurs n’ont pas permis de déceler une différencede comportements ou de représentations chez cesacteurs aussi bien dans les villages impliqués dans leprojet PAFLACIN (exposés au discours sur la qualité dupoint de vue des experts) que les villages non impliqués.On pourrait en conclure que dans cette région, il existedes normes de consommation et les normes decommercialisation, des normes communautaires etcelles des acteurs du développement, les normes del’en-groupe et celles de l’hors-groupe.

3. PERCEPTION DE LA QUALITÉ ET DES RISQUESPAR LES COMMUNAUTÉS

Pour les populations de Cinzana, le lait est l’un desaliments à grande valeur nutritive. Elles évaluent saqualité par l’absence de maladie après saconsommation. Le bon lait pour elles est celui qui estdépourvu de toute impureté visible (poils, feuilles, pailles,insectes). Ainsi le filtrage suffit pour considérer le laitcomme étant ‘’sain’’. De l’avis des informateursrencontrés à Cinzana, la consommation du lait ne peutpas rendre malade, à moins d’être consommé en excès.Pour elles, les cas de maladies dues à la consommationdu lait ne devraient pas être attribués à cette denréealimentaire elle-même, mais à d’autres pathologiespréexistantes chez le consommateur. Les cas où le laitpeut constituer un risque sont des moments deconsommation du lait déjà en décomposition ouprovenant d’animaux porteuses d’une maladietransmissible. Même si ces éleveurs citent la diarrhée etles vomissements comme des effets de laconsommation du lait de mauvaise qualité, ils pensentaussi que « la consommation du lait avec les poils peuttransmettre la tuberculose parce que ce sont les poils quiprovoquent la tuberculose ». Même si le mode detransmission de la tuberculose à l’homme n’est pasclairement décrit ici, il apparait que la tuberculose ainsique la brucellose sont des zoonoses auxquels sontexposés les consommateurs de lait local [6], [40], [43].D’autres interprétations du risque encouru après laconsommation du lait pour ces populations est le

80 RASPA Vol.8 N0S, 2010

G. FOKOU et al

Page 7: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

paludisme. Les causes du paludisme sont attribuées à laconsommation du lait surtout en saison pluvieuse. Ainsi,celui qui consommerait beaucoup de lait en hivernageest susceptible de souffrir de paludisme. Pour cespopulations, en plus des causes médicales du paludismeque sont les piqûres d’anophèles, il y aurait aussi laconsommation excessive du lait ou d’un lait de mauvaisequalité (lait d’animaux malades). Cette interprétation deseffets négatifs du lait qui s’écarte des évidencesscientifiques, trouve sa justification dans le moded’explication du mal que ces populations ont adopté :explication de la maladie par ses manifestationssymptomatiques. Les personnes qui tombent maladesaprès la consommation du lait souffrent généralement defièvre, qui est un des symptômes du paludisme. Maisdans un contexte socioculturel où les signes extérieursne sont pas toujours les indicateurs du paludisme [25],les crises de fièvre chez les consommateurs de laitpourraient à l’évidence être attribuées à des maladiestelles que la brucellose [40]. La consommation du lait cruexpose les populations aux principales zoonosespotentielles telles que la tuberculose et la brucellose. Cesprincipales zoonoses sont transmises entre autres par laconsommation du lait cru provenant d’une vache oud’une chèvre infectée respectivement parMycobacterium sp ou Brucella sp [8]. Il ressort de ces explications que les conceptions desmaladies liées à la consommation du lait sont différentesdes explications biomédicales, ce qui traduit la différencedes manières de percevoir la qualité et surtout le risquedans ces communautés. Si les populations sontconscientes que la « consommation du lait de mauvaisequalité peut donner la diarrhée ou des maux de ventre »,elles pensent aussi que « lorsque l’on trait une vache quisouffre d’une maladie transmissible on peut aussiattraper cette maladie ». Mais les différences deperception du danger montrent que l’évaluation de laqualité intègre la prise en compte des systèmes derelations sociales (par exemple les statuts sociaux oupositions sociales des individus qui influencent ladéfinition de la qualité), les idéologies, les représentationssociales et l’ensemble des croyances qui sont associéesà la qualité des aliments ou aux risques sanitaires.

4. GESTION DES RISQUES

Avec la prise de conscience que les alimentsconsommés (lait) peuvent les rendre malade, lespopulations de Cinzana ont initié des stratégies pouratténuer le danger. Ces stratégies passent par lafermentation du lait pour leur propreconsommation ou le

« Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local au Mali

chauffage pour la laiterie. En contexte rural où lesprocédés de réfrigération font encore défaut, le lait estconservé sous les formes « traditionnelles » comme leslaits caillés ou fermentés (y compris le fènè consomméau Mali), le beurre ou le fromage [17]. A Cinzana, la formela plus consommée dans les ménages en dehors du laitcru est le « nono nkoumou » qui est le lait fermenténaturellement dans les villages par les femmes. Cetteforme s’oppose au fènè qui est proposé uniquement parla laiterie. La particularité du fènè est qu’il s’obtient suiteà la fermentation spontanée du lait chauffé la veille. C’estun lait fermenté partiellement acide [36]. Le fènè estperçu comme un aliment de prestige parce que saconsommation est limitée socialement à ceux quipeuvent s’en procurer à laiterie, mais aussigéographiquement car disponible particulièrement àCinzana-Gare (laiterie) ou dans les villes voisines deSégou ou Bla où une partie de lait est acheminée. Le «nono nkoumou » par contre est plus consommé dansles villages par les ménages, ou lors des cérémoniespopulaires. La particularité de ces deux produits quipermettent aux populations de conserver leur laitpendant longtemps est que la fermentation permetl’acidification du milieu qui résulte de la transformation dulactose en acide lactique par les ferments naturels[17].Ainsi, la fermentation du lait contribue à réduire la florepathogène et à atténuer le risque que pourrait présenterla consommation du lait cru [8].L’une des stratégies de gestion des risques les pluscourantes en milieu rural est le chauffage du lait. Même siles éleveurs (surtout les Peuls) sont encore réticents àchauffer le lait avant la consommation, les innovationstechnico-organisationnelles telles que la création descoopératives de producteurs et des mini-laiteries, ontcontribué à changer les comportements des producteurset même des consommateurs par la sensibilisation et laformation. Avec l’assurance de trouver un marché sûr etdes prix intéressants si le lait produit respecte lesstandards demandés, les producteurs ruraux changentprogressivement leurs positions, pratiques et idéologiessur le lait. L’initiation aux bonnes pratiques qui consistentà améliorer la production par l’amélioration de la santédes animaux, l’insémination artificielle et lacomplémentation, les éleveurs comprennent que lechauffage du lait n’est pas forcément la cause de la pertede la production des animaux mais un facteur importantd’accès au marché. Cet exemple montre que la gestion des risques devraits’inscrire dans une dynamique communicationnelle bienmaitrisée aussi bien pour les acteurs de la laiterie que les

81RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 8: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

82

consommateurs des ménages. Ainsi, les stratégies decommunication sur les risques étaient initialementstructurées de haut en bas : le législateur ou l’agent dedéveloppement s’adressant au public ou auconsommateur. Cependant, pour être plus participative,la communication sur les risques devrait se faire sous laforme de dialogue qui encourage le public et lespersonnes concernées à participer activement auprocessus d’évaluation, de gestion et de communicationsur les risques.

5. DYNAMIQUES DE LA PERCEPTION DELA QUALITÉ : COMMUNICATION

L’évaluation de la qualité chez les populations deCinzana n’est pas une donnée immuable. La qualité ou lerisque en tant que construits sociaux sontessentiellement dynamiques. Les pratiques etcomportements des consommateurs ruraux sont de plusen plus empreintes de « modernité » et les conceptionsdécoulant de la tradition tendent à changer. La raison deces changements est à rechercher dans l’exposition àl’extérieur grâce à l’implantation de la laiterie et dessavoirs et savoir-faire véhiculés par les projets dedéveloppement laitiers et en l’occurrence le PAFLACIN. Ily existe comme une volonté « moderne » de prendre encompte le point de vue des citoyens. La forte implicationdes populations dans le système de production à traversleur constitution en coopératives de producteurs est unmoyen de changement des comportements autrefoisancrés dans les traditions. Le lait destiné au marchérespecte les conditions évaluatives de la laiterie. Mais leshabitudes de consommation aussi tendent à changer.Les éleveurs de Cinzana reconnaissent que la définitiondu bon lait comme étant celui respectant les exigencessocioculturelles a déjà changé pour certaines personnes.Ce changement est dû non seulement à l’impact desprojets de développement laitiers, mais aussi à un accèsaccru à l’information et une ouverture sur l’extérieur.Même dans les villages, certains informateursreconnaissent consommer de plus en plus du lait bouilli.Cette forme est de plus en plus demandée par les jeunesrevenant des centres urbains où ils sont exposés à lapublicité et la sensibilisation sur les conséquences du laitde mauvaise qualité. Les sources d’information sontdiverses et variées et vont des campagnes desensibilisation des projets aux documentaires à latélévision et à la radio en passant par les affiches, lesarticles de journaux ou encore le bouche à oreille. S’il n’apas encore été possible d’apprécier l’impact de chacunde ces canaux de communication, il convient néanmoinsde reconnaître que les médias constituent un important

catalyseur du changement de comportement. Cechangement de comportement chez les consommateursruraux montre que les goûts évoluent, et certainsconsommateurs, notamment la frange jeune établie dansles villes, ne savent plus apprécier la spécificité de laculture laitière locale et le goût du lait local [15].

6. DE LA CONSTRUCTION DE LA QUALITÉDES PRODUITS LAITIERS

En essayant de comparer les catégories du cru et du cuitchez les peuplades ne connaissant pas la cuisson, LEVI-STRAUSS [29] est arrivé à la conclusion que pouratteindre le réel, il faut au préalable pouvoir faireabstraction du vécu. Les consommateurs restent ainsiprisonniers des catégories construites par l’habitude etles valeurs culturelles. Une préoccupation commune desconsommateurs est d’acquérir, sur le marché, desproduits présentant des garanties de qualité sanitaire oude conformité à des normes de fabrication. Toutefois,dans les pays en développement, les populationsrecherchent l’un des principaux aspects de la qualitéperçue des aliments : l’aspect social. Ainsi, si la sécuritésanitaire des aliments est le principal objectif desautorités sanitaires, il n’en est pas toujours de mêmepour les consommateurs individuels [21]. L'essor actueldes filières industrielles en Afrique est intimement lié àl'émergence de nouvelles pratiques de consommationdu lait frais en ville : café au lait, boissons lactéesrafraîchissantes, glaces. Si les exigences sanitaires dansces segments font références aux normes européennes,elles ne sauraient être la panacée pour toutes les formesd'entreprises fermières et artisanales pour lesquelles lesnormes restent encore largement à inventer [17]. Commele démontrent les produits laitiers consommés au Mali, lamajorité des produits locaux provient du secteur artisanalet informel. Cette tendance se justifie par le fait que ledéveloppement de nouvelles exigences desconsommateurs sur les liens entre alimentation et santé ;la montée de revendications nouvelles sur la«souveraineté alimentaire» portées par les organisationsprofessionnelles agricoles et les organisations de lasociété civile, invitent de plus en plus au recours auxaliments « locaux » [18]. Cependant, les produits locauxne font pas très souvent l’objet de contrôles ou decertifications par des procédures normalisées, c'est-à-dire la confiance dans une norme, établie et contrôléepar des critères objectivement mesurables [11] par lesacteurs.Comme le montre l’exemple de Cinzana au Mali, lesconsommateurs définissent la qualité de leurs produitspar les critères sensoriels mais aussi par la confiance et

G. FOKOU et al

RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 9: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

« Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local au Mali

les relations qui existent entre les livreurs de ces produitset les populations. De ce fait ces relations sociales(fraternelle, amicale etc.) qui existent entre eux influentsur le mode de représentation de la qualité de cesproduits. Quelques soit la qualité de leurs produits, àpartir du moment où il provient d’une personne connueou d’une personne avec laquelle ils ont de bonnesrelations, il peut être considéré comme bon. Certainséleveurs soutiennent cette idée en témoignant qu’ilsn’avaient jamais été malades ou que leurs maladies n’ontjamais été dues à la consommation de ces produits. Cespopulations sont encore plus confiantes qu’ellesconsomment le lait qu’elles produisent elles-mêmes.C’est ce que reconnaissent Bricas et Cheyns [11] qui, ens’appuyant sur le cas burkinabé, préviennent que laconfiance établie par des relations interpersonnelles estun moyen fréquent pour réduire l'incertitude sur la qualitédes aliments. Cependant, la confiance ne suffit plus encas de diversification du marché caractérisée parexemple par l’implantation d’une laiterie ou l’ouverture duproduit vers les consommateurs urbains avec commeconséquence la distanciation des relations entre lesacteurs. L’urbanisation se traduit par un allongement desfilières, une multiplication des intermédiaires et un plusgrand anonymat dans les relations. Que le produit soitreversé dans un circuit industriel et semi-industriel(laiterie) ou de consommation urbaine, la traçabilité estdifficile à établir. Dans ce cas, les consommateurscombinent des procédures de qualification directe,faisant appel à leurs propres compétences sensorielleset des procédures de qualification indirectes, faisantappel à un tiers : confiance dans la vendeuse établie parune relation interpersonnelle ou par sa réputation.L’utilisation d’une telle typologie des procédures dequalification permet de comprendre l’hétérogénéité desattentes des citadins selon les produits, selon leur usageet selon les consommateurs [12]. Cependant, lafidélisation des relations entre vendeurs et clients agitcomme un antidote à l’anonymat des relations quefavorise la ville et aux risques d’opportunisme. Lespopulations recherchent parfois des produitsauthentiques. Mais l'authenticité porte en elle-même uneinterprétation culturelle quasi sacrée qui exprime de lavaleur [42].Le principe de la double norme en vigueur chez lesconsommateurs de Cinzana invite à postuler que lesnormes de qualité mises en oeuvre dans les pays endéveloppement où une grande partie des denréesalimentaires d’origine animale proviennent du secteurinformel, sont de nature bien différente de celleshabituellement en vigueur dans les pays développés.

L’utilisation des produits s’appuie sur de nouvellesnormes locales ou pratiques d'autogestion [17]. Dans lafilière laitière, les attentes du consommateur en termesde qualité du lait et des produits laitiers varient d’unendroit à l’autre du monde. Ainsi, les produits deconsommation obéissent à des règles de qualitégénérique, mais aussi à un cadre de régulation et derèglement de la qualité pouvant être qualifié despécifique et de sociétale [21]. Les dynamiquesinstitutionnelles autour de l’industrie laitière ont contribuéde manière très efficace à établir les standards de qualitégénérique à savoir sécurité sanitaire, composition,propriétés technologiques du lait, pour garantir desbases loyales de commerce international et uneinformation fiable aux clients et consommateurs. Ainsi,même si les règles de la qualité générique sontpartagées internationalement, les qualités spécifiques etsociétales sont celles qui font maintenant l’essentiel dela demande du consommateur [21].L’analyse des représentations des populations deCinzana vis-à-vis du lait donne à constater qu’il existe unécart entre les descriptions réalisées par les experts etcelles des populations locales ou des « profanes ». Cetécart peut être analysé sous l’angle d’une oppositionentre, d’une part le travail objectif et conceptuel desexperts et, d’autre part, l’activité perceptuelle desprofanes, productrice de subjectivité [23]. D’aprèsl’analyse de CORBEAU [13], ces niveaux d’analyserenvoient à la distinction entre socialité et sociabilité. Lasocialité est un ensemble de déterminants sociaux quiinfluent sur le comportement du consommateur, lemettant dans une situation porteuse de hiérarchieséconomiques, sociales, de rapports sociaux de sexes,d’accès à la connaissance et aux modes de savoir-faire.Cette socialité est comparable à un ‘’marqueur’’ ou un‘’tatouage’’ dont le consommateur ne peut se défaire,qu’il soit rejeté, assumé ou valorisé. La sociabilité aucontraire constitue la manière dont les individus vont à unmoment donné, au moyen de diverses stratégies,chercher à s’en extraire ou à en tirer bénéfice. Lasociabilité s’affirme comme un processus interactif danslequel des individus choisissent une forme decommunication, d’échanges qui les lie aux autres. Ilspeuvent alors soit afficher une volonté de reproductionsociale en acceptant d’être un simple objet ou produit dela socialité, soit développer des dynamiques créatives àtravers des interactions qu’ils cherchent à provoquer[13]. Ainsi, à travers les diverses influences endogènes etexogènes, les consommateurs de Cinzana, réinvententdes règles d’évaluation de la qualité qui s’appuient à lafois sur les normes exogènes et endogènes en fonction

83RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 10: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

de leurs motivations.

7. QUALITÉ DU LAIT ET MOTIVATION DES ACTEURS

La motivation est un construit hypothétique, un type decomportement que tout individu est supposé pouvoirdévelopper. Il s’agit d’un processus qui est déclenché àl’origine par l’action d’une force motivationnelle intérieurequi dépend des caractéristiques personnelles comme lesbesoins, les pulsions, l'instinct et les traits depersonnalité. Le niveau de motivation peut être soit faiblesoit fort, variant à la fois entre les individus à desmoments déterminés, et chez une même personne àdifférents moments, et selon les circonstances [33]. La dynamique de l’industrie de transformation laitièrelocale du Mali montre que la qualité du lait dépend desmotivations des acteurs dans la production,transformation et la distribution des produits. Cettemotivation peut être à la fois intrinsèque et extrinsèque[35]. La qualité de l’objet ou du produit ne s’appréciepas seulement par rapport à ses caractéristiquesintrinsèques, mais aussi sous le regard d’un sujet (sesperceptions, ses attentes). Le sujet n’est plus considérécomme un sujet passif recevant des informationsincomplètes et déformées par le filtre des perceptions.La motivation de production des populations de Cinzanaest d’abord économique. Avec la diversification de lafilière, d’autres groupes ethniques vivant naguèred’agriculture sont de plus en plus tournés vers l’élevagelaitier. Ce changement d’activité est motivé parl’implantation de la laiterie qui offre de bonnesopportunités commerciales. La production de lait pour lepaysan Bambara ou Bobo obéit plus à un besoinéconomique. En fait la dynamique de la filière laitièrepermet aux producteurs de réaliser de nombreux profitsà travers un système organisé de collecte et de mise surle marché des produits laitiers divers et à des prixgarantis par la coopérative [3, 37]. Cette motivationextrinsèque n’influence pas seulement la production delait mais aussi la qualité des produits. Les populations deCinzana définissent le bon lait comme étant celui quirespecte les exigences du consommateur urbain ou dela mini-laiterie. Le lait étant devenu une importantesource de revenu pour les éleveurs, ils livrent à la laiterieun produit respectant les normes de cette dernière pourgagner de l’argent. Il doit être du lait de vache (pas demélange avec du lait en poudre ou du lait d’une autreespèce, chèvre, brebis etc.). Le bon lait est aussi celuiqui est dépourvu de toutes impuretés physiques tellesque les poils, la paille ou les feuilles d’arbres. C’est aussicelui qui ne contient pas de l’eau c'est-à-dire qu’il ne doitpas être mouillé et ne doit pas être acide.

Toutefois, même si l’émergence d’entrepreneurs privésou d’organisations de producteurs appuyés par desprojets conduit progressivement à la structuration dusecteur en associations ou en interprofession permettantde porter ce débat sur la légitimité des normesinternationales [17], il convient de reconnaitre que lesproduits artisanaux sont souvent de mauvaise qualitémicrobiologique [6]. La qualité est très souvent altéréepar la recherche du profit économique qui pousse lesacteurs à adopter des fraudes pour maximiser le profit,ce qui déteint sur la qualité de consommation du produit[28, 36]. Dans de nombreuses cultures, la consommation de laitrevigore et permet de conserver la bonne santé. Cettetendance a aussi été relevée chez les Touaregs où le laita une palette d’attributs : il nourrit, désaltère et guérit [2].Mais au-delà de sa fonction nutritionnelle etthérapeutique, le lait joue un rôle symbolique. Pour lesgroupes ethniques à longue tradition d’élevage commeles peuls du Mali, le lait ne sert pas uniquement à lasatisfaction d’un besoin biologique mais aussi d’unbesoin social. Pour eux le lait n’est plus un simple alimentmais une source de vie. Les études sur les populationspeules du Niger [22], [41] ou du lac Tchad [10], [24]évoquent l’institution du dilaay, qui consiste au prêt devache laitière aux familles nécessiteuses pour desbesoins d’alimentation. BAROIN [1] y voit ainsi un besoinde consolider le groupe couplé de l’envie de se montrerplus généreux avec ses proches, d’élargir par seslargesses le cercle de ses obligés. Ces motivationsculturelles et idéologiques orientent les consommateursvers un type de lait particulier : le lait cru qui gardeencore toutes ses propriétés et présente la nature à l’étatpur et sans influence extérieure qui pourrait dégrader sesqualités. Le double statut de producteur-consommateurconduit à inscrire le lait cru dans un double registre. Il estconsommé parce qu’il est considéré comme la sourcede vie pour l’homme et de ce fait il doit être pris quandil garde encore tous ses éléments nutritifs, c’est-à-direcru. Mais les populations comprennent aussi de nosjours le danger de la consommation d’un lait demauvaise qualité et les catégoriesintrinsèque/extrinsèque, bon/mauvais, pur/souillé ne sontpas exclusivement antagonistes [30]. Elles sontconstruites à travers les besoins, les enjeux, et lesidéologies dans lesquels l’individu ou le corps socials’inscrit. Le consommateur local devient une sorte de‘’mangeur pluriel’’ [13] qui adapte et actualise soncomportement face aux risques en fonction descontextes sociaux de la prise alimentaire, ce qui permetde comprendre la diversité des rationalités.

G. FOKOU et al

84 RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 11: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

ConclusionEn Afrique comme dans le reste du monde, le lait allietradition et modernité. À l’origine d’une multitude deproduits, il est à la fois l’héritier d’une longue histoire et lesymbole pur de l’industrialisation et la mondialisation.Cette dualité du produit « lait » a très profondémentmarqué les discours sur la qualité et, partant, de sonapproche au sein des politiques de développementlaitier. Du côté de la tradition, les consommateurs onttoujours montré un intérêt pour les produits laitiersfermiers ou artisanaux qui possèdent descaractéristiques spécifiques. Il ressort de l’étude sur lesacteurs de la filière laitière locale à Cinzana au Mali queles catégories telles que bon, mauvais, pur, sain, etc., nesont pas exclusivement dichotomiques, mais elles varienten fonction des motivations des acteurs. Le bon lait peutêtre celui qui permet de gagner plus d’argent même s’ilest mouillé ; le lait pur est celui qui n’a subi aucunetransformation même s’il contient des résidusd’antibiotique ou des germes de Brucella. Il ressort decette étude que pour les acteurs de la filière laitière localeau Mali, la qualité du lait dépend des croyances et de lavision du monde et la définition des bonnes pratiquesd’hygiène passe par la prise en compte des motivationsdes diverses catégories d’acteurs. Ainsi, la confiance etles croyances, sont des logiques sociales dans le choixdes produits et dans l’évaluation de la qualité et de lasécurité sanitaire des denrées alimentaires d’origineanimale, chez les acteurs du secteur informel. Le risquepeut être évalué à la fois en termes absolus (nombre demalades après avoir consommé un produit, gravité dudanger), mais également en termes relatifs (du fait desreprésentations, un produit apprécié différemment enfonction des personnes). Ainsi, pour atteindre la sécuritésanitaire des aliments en contexte rural africain, il importede ne pas focaliser l’attention uniquement sur lessecteurs en aval (consommateur, laiterie) mais aussi enamont de la chaine (producteurs, pré-transformateurs).Contrairement aux pratiques courantes (comme àCinzana), les projets de développement laitier et lespouvoirs publics devraient contribuer à améliorer aussibien la qualité des produits de commercialisation quedes produits de consommation dans les ménages, cequi fait encore défaut.

RemerciementsLe présent article est basé sur les résultats du projet‘’Safe Food Fair Food’’ financé par BMZ/ILRI et conduitau Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côted’Ivoire par le groupe de recherche sur l’AnalyseParticipative des Risques. L’article a été préparé avec

l’appui du Pôle de partenariat suisse de recherche Nord-Sud (NCCR-North-South) : Partenariat de recherchepour l’atténuation des syndromes du changement global(RP4/RP10). Le NCCR-North- South est cofinancé par laDirection pour le développement de la coopérationSuisse (DDC) et le Fond national suisse de recherchescientifique (FNS).

Bibliographie

11.. BBAARROOIINN CC..,, 22001100.. -- Lait de chamelle, lait de vache : qualités etusages chez les Toubou (Tchad, Niger). Colloque Ocha "Culturedes Laits du monde", à Paris les 6 et 7 mai 2010. Consulté en lignele 05 juillet 2010 sur : http://www.lemangeur-ocha.com/fileadmin/images/dossiers/Laits-du-monde-S2-CB.pdf

22.. BBEERRNNUUSS EE..,, 22000022.. -- Laits Touaregs. Usages et symboles. MEGATCHAD 2002.

33.. BBOONNFFOOHH BB..,, FFOOKKOOUU GG..,, OOUULLDD TTAALLEEBB MM..,, FFAANNEE AA..,, WWOOIIRRIINN DD..,,LLAAIIMMAAIIBBAAOO NN..,, ZZIINNSSSSTTAAGG JJ..,, 22000077..-- Dynamiques des systèmesde production laitière, risques et transformations socio-économiques au Mali. Revue Élev. Méd. vét. Pays trop., 2007, 60(1-4) : 67-76.

44.. BBOONNFFOOHH BB..,, AANNKKEERRSS PPHH..,, SSAALLLL AA..,, DDIIAABBAATTEE MM..,, TTEEMMBBEELLYY SS..,,FFAARRAAHH ZZ..,, AALLFFAARROOUUKKHH II..OO..,, ZZIINNSSSSTTAAGG JJ..,, 22000066..-- Schémafonctionnel de services aux petits producteurs laitiers périurbainsde Bamako (Mali). Revue Etudes et Recherches Sahéliennes, 12:7-25.

55.. BBOONNFFOOHH BB..,, ZZIINNSSSSTTAAGG JJ..,, FFAARRAAHH ZZ..,, SSIIMMBBEE CC..FF..,, AALLFFAARROOUUKKHHII..OO..,, AAEEBBII RR..,, BBAADDEERRTTSSCCHHEERR RR..,, CCOOLLLLOOMMBB MM..,, MMEEYYEERR JJ..,,RREEHHBBEERRGGEERR BB..,, 22000055..-- Raw milk composition of Malian Zebucows (Bos indicus) raised under traditional system. Foodcomposition & analysis, 18:29-38.

66.. BBOONNFFOOHH BB..,, WWAASSEEMM AA..,, RROOTTHH CC..,, FFAANNEE AA..,, TTRRAAOORREE AA..NN..,,SSIIMMBBEE CC..FF..,, AALLFFAARROOUUKKHH II..OO..,, NNIICCOOLLEETT JJ..,, FFAARRAAHH ZZ..,, ZZIINNSSSSTTAAGGJJ..,, 22000033aa..-- Les sources de contamination du lait du lait local et lesméthodes d’amélioration de sa qualité microbiologique à Bamako(Mali). Revue Etudes et Recherches Sahéliennes, (8-9): 29-37.

77.. BBOONNFFOOHH BB..,, SSAALLLL AA..,, DDIIAABBAATTEE MM..,, DDIIAARRRRAA AA..,, NNEETTOOYYOO LL..,,MMBBAAYYEE YY..,, SSIIMMBBEE CC..FF..,, AALLFFAARROOUUKKHH OO..II..,, FFAARRAAHH ZZ..,, ZZIINNSSSSTTAAGGJJ..,, 22000033bb.. -- Viabilité technico-économique du système extensif deproduction et de collecte de lait à Bamako. Revue Etud. Rech.sahél., 8-9 : 173-184.

88.. BBOONNFFOOHH BB..,, WWAASSEEMM AA..,, RROOTTHH CC..,, HHEETTZZEELL MM..,, SSTTEEIINNMMAANNNN PP..,,ZZIINNSSSSTTAAGG JJ.. -- L’hygiène et la qualité sanitaire du lait et desproduits laitiers: implications en santé publique. Dakar, Sénégal,Isra. (Notes méthodologiques n° 8)h t t p : / / w w w . r e p o l . i n f o / I M G / p d f / N o t e _ m e t h o d o _securite_sanitaire.pdf

99.. BBOONNFFOOHH BB..,, FFAANNEE AA.. TTRRAAOORREE NN.. AA..,, CCOOUULLIIBBAALLYY ZZ.. SSIIMMBBEE CC.. FF..,,AALLFFAARROOUUKKHH OO.. II..,, NNIICCOOLLEETT JJ.. FFAARRAAHH ZZ..,, ZZIINNSSSSTTAAGG JJ..,, 22000022..--Qualité microbiologique du lait et des produits laitiers vendus ensaison chaude dans le District de Bamako au Mali. Bioterre, Rev.Inter. Sci. de la vie et de la terre, N° spécial : 242-250.

1100.. BBOOUUTTRRAAIISS JJ..,, 22001100.. -- Usages économiques et symboliques du laitchez les Peuls (Niger, Cameroun et Burkina Faso). Colloque Ocha"Culture des Laits du monde", à Paris les 6 et 7 mai 2010.Consulté en ligne le 05 juillet 2010 sur : http://www.lemangeur-ocha.com/fileadmin/images/dossiers/Laits-du-monde-S2-JB.pdf

1111.. BBRRIICCAASS BB,, CCHHEEYYNNSS EE..,, 22000033.. -- Introduction. In : Cheyns & Bricas.La construction de la qualité des produits alimentaires. Le cas dusoumbala, des céréales et des viandes sur le marché deOuagadougou au Burkina Faso. Montpellier : Cirad, pp 7-11.

85RASPA Vol.8 N0S, 2010

Page 12: RASPA Vol 2 n 1 Mars 2004 VF · 75 • ARTICLE ORIGINAL « Mon lait est pur et ne peut pas rendre malade » : motivations des acteurs du secteur informel et qualité du lait local

1122.. CCHHEEYYNNSS EE,, BBRRIICCAASS NN..,, 22000033.. -- La construction de la qualité desproduits alimentaires. Le cas du soumbala, des céréales et desviandes sur le marché de Ouagadougou au Burkina Faso.Montpelier : CIRAD, 82p.

1133.. CCOORRBBEEAAUU JJ..--PP..,, 11999977.. -- Pour une représentation sociologique dumangeur. Economies et Sociétés, Développement agro-alimentaire,23 : 147-162..

1144.. CCOORRNNIIAAUUXX CC..,, DDUUTTEEUURRTTRREE,, GG.. DDIIEEYYEE PP..NN..,, PPOOCCCCAARRDD--CCHHAAPPUUIISS RR..,, 22000055.. -- Les mini-laiteries comme modèled’organisation des filières laitières en Afrique de l’Ouest : succès etlimites. Revue Élev. Méd. vét. Pays trop., 2005, 58 (4) : 237-243.

1155.. DDIIAA DD..,, Le Sénégal, terre de laits : du lait local au lait en poudre. Laréinvention d’une culture laitière urbaine. Colloque Ocha "Culturedes Laits du monde", à Paris les 6 et 7 mai 2010. Consulté en lignele 05 juillet 2010 sur : http://www.lemangeur-ocha.com/fileadmin/images/dossiers/Laits-du-monde-S4-DD.pdf

1166.. DDIIEEYYEE PP..NN..,, DDUUTTEEUURRTTRREE GG..,, SSIISSSSOOKKHHOO MM..MM..,, SSAALLLL MM..,, DDIIAA DD..,,22000033.. -- La production laitière périurbaine au sud du Sénégal.Saisonnalité de l’offre et performances économiques. Tropicultura,21 (3) :142-48.

1177.. DDUUTTEEUURRTTRREE,, GG..,, 22000044.. -- Normes exogènes et traditions locales :la problématique de la qualité dans les filières laitières africaines.Afrique Agriculture, 9 p.

1188.. DDUUTTEEUURRTTRREE GG,, BBLLEEIINN RR..,, 22000099.. -- Afrique de l’Ouest : la révolutionde l’élevage aura-t-elle lieu ? Grain de Sel, 46-47 : 12-15.

1199.. DDUUTTEEUURRTTRREE GG..,, DDIIEEYYEE PP..NN..,, BBOONNFFOOHH BB..,, PPOOCCCCAARRDD--CCHHAAPPUUIISSRR..,, BBRROOUUTTIINN CC..,, 22000055aa.. -- Filières laitières et territoires : lesespaces agricoles de l’UEMOA face à l’ouverture des marchés. In :Symposium international sur le Développement des filièresagropastorales en Afrique. 1ère édition. Niamey, (Niger), 21-27février 2005.

2200.. DDUUTTEEUURRTTRREE GG..,, DDIIEEYYEE PP..NN..,, DDIIAA DD..,, 22000055bb.. -- L’impact desimportations de volailles et de produits laitiers sur la productionlocale au Sénégal. Etudes et documents, ISRA 8 (1), p78.

2211.. DDUUHHEEMM KK,, BBEENNDDAALLII FF..,, 22000066.. -- Quality requirements for milkproduction at the farm level. Paper presented at the World BuiatricsCongress 2006 - NICE, France.

2222.. DDUUPPIIRREE MM..,, 11996622..-- Peuls nomades : Etude descriptive desWodaabe du Sahel nigérien.- Paris: Karthala.- 537p.

2233.. FFIIGGUUIIEE MM,, BBRRIICCAASS NN..,, 22000022.. -- Risque et qualité des aliments : à lacroisée de deux domaines de recherche. 14e Rencontresscientifiques et Technologiques des Industries Alimentaires, Agoral2002, Prévision, analyse et gestion du risque alimentaire, Nancy, 26et 27 mars 2002, 9p.

2244.. FFOOKKOOUU GG..,, 22000088.. -- Gestion communautaire des ressourcesnaturelles et relations de pouvoir. Etude anthropologique deschangements institutionnels dans les plaines du Logone et du lacTchad. Thèse de doctorat en anthropologie. Université de Yaoundé,Yaoundé (Cameroun), -579p.

2255.. GGRRAANNAADDOO SS..,, 22000077.. -- ‘’C’est le palu qui me fatigue’’. Etude enanthropologie de la santé sur les conceptions et les pratiqueslocales face au paludisme à Abidjan, Côte d’Ivoire (Thèse dedoctorat). Bâle : Université de Bâle.

2266.. HHEETTZZEELL MM..WW..,, BBOONNFFOOHH BB..,, FFAARRAAHH ZZ..,, SSIIMMBBEE CC..FF..,, AALLFFAARROOUUKKHHOO..II..,, ZZIINNSSSSTTAAGG JJ..,, 22000055..-- Milk consumption pattern in an area with

traditional milk production: data from a case control study in peri-urban Bamako, Mali. RASPA, 3 (3-4) : 174-177.

2277.. KKAAKKOOUU PP..,, 22000055.. -- Améliorer la qualité des aliments et de laproduction locale. Le Journal Indépendant N° 1120 du 12 – 04 – 05.

2288.. KKOOUUYYAATTEE HH..,, 22000077..-- Evaluation de l’organisation de la collecte, dela transformation et de la commercialisation du lait au Mali : casd’un groupe de femmes à Kasséla. Mémoire Ing. Zootech.,IPR/IFRA, Bamako.

2299.. LLEEVVII--SSTTRRAAUUSSSS CC.. 11996644.. -- Mythologiques (T1). Le Cru et le cuit.Paris : Plon.

3300.. PPEEAANN VV,, CCOORRBBEEAAUU JJ..PP..,, 22000099.. -- Entre pureté et souillure, lesdualités du lait. L'Intégrale de "Ça ne mange pas de pain !",octobre 2009. Publication de la Mission Agrobiosciences :www.agrobiosciences.org.

3311.. PPIINNAAUUDD SS..,, 22000077.. -- Etude du réseau de distribution des produitslaitiers à base de poudre de lait à Bamako, mémoire de Master 2,Université Paris X Nanterre, Dir. : CORNIAUD et VATIN, -105 p.

3322.. PPIINNAAUUDD SS..,, CCOORRNNIIAAUUXX CC..,, 22000099.. -- Impact de la volatilité des prixmondiaux des produits agroalimentaires sur les prix au détail : lecas des produits laitiers à Bamako. Renc. Rech. Ruminants 16 :220.

3333.. PPIINNDDEERR,, CC..CC..,,11998844.. -- Work motivation/theory, issues, andapplications, Glenview, Ill., Scott, Foresman.

3344.. RREEIISSTT SS..,, HHIINNTTEERRMMAANNNN FF..,, SSOOMMMMEERR RR..,, 22000077.. -- La révolution del’élevage. Une chance pour les paysans pauvres ? InfoResourcesFocus No 1/07.-16p.

3355.. RROOUUSSSSEELL PP..,, 22000000.. -- La motivation au travail - concept etthéories. In : Louart P (Ed). Les grands auteurs en GRH. Paris :Editions EMS, collection Références, pp. 3-20.

3366.. SSCCHHNNEEIIDDEERR MM..,, KKOOUUYYAATTEE HH..,, FFOOKKOOUU GG..,, ZZIINNSSSSTTAAGG JJ..,,TTRRAAOORREE AA..,, AAMMAADDOOUU MM..,, BBOONNFFOOHH BB..,, 22000077..-- Dynamiquesd’adaptation des femmes aux transformations des systèmes laitierspériurbains en Afrique de l’Ouest. Revue Élev. Méd. vét. Pays trop.,2007, 60 (1-4) : 121-131.

3377.. SSEERRYY AA..,, 22000066.. -- Impacts des mini-laiteries sur les transformationssocioéconomiques et culturelles au Mali. Rapport d’évaluation:VSF-Suisse/STI, Bamako.

3388.. SSTTEEIINNFFEELLDD HH,, MMOOOONNEEYY HH..AA,, SSCCHHEENNEEIIDDEERR FF,, aanndd NNEEVVIILLLLEE LL..EE((EEddss)),, 22001100.. -- Livestock in a Changing Landscape. Drivers,Consequences, and Responses (vol 1).Washington/Covelo/London: Islanderpress /.

3399.. SSTTEEIINNFFEELLDD HH,, GGEERRBBEERR PP,, WWAASSSSEENNAAAARR TT,, CCAASSTTEELL VV,, RROOSSAALLEESSMM,, DDEE HHAAAANN CC..,, 22000066.. -- Livestock’s Long Shadow: EnvironmentalIssues and Options. Rome: Food and Agricultural Organization.

4400.. SSTTEEIINNMMAANNNN PP..,, 22000033.. -- Brucellosis and Q-fever in Mali: Casedetection, role of milk contamination and other risk factors. PhDthesis in Biology, University of Basel, Switzerland, -77 p.

4411.. TTHHEEBBAAUUDD BB..,, 11998888.. -- Elevage et développement au Niger, quelavenir pour les éleveurs sahéliens? enève: Bureau International duTravail.-147p.

4422.. TTHHOOMMPPSSOONN PP..,, HHAARRRRIISS CC..,, HHOOLLTT DD..,, AANNDD PPAAJJOORR EE.. AA..,, 22000077.. --Livestock welfare product claims: The emerging social context. JAnim Sci 85:2354-2360.

4433.. ZZIINNSSSSTTAAGG JJ,, RROOTTHH FF,, OORRKKHHOONN DD,, CCHHIIMMEEDD--OOCCHHIIRR GG,,NNAANNSSAALLMMAAAA MM,, KKOOLLAARR JJ,, VVOOUUNNAATTSSOOUU PP..,, 22000055.. -- A model ofanimal-human brucellosis transmission in Mongolia. Prev Vet Med.,69 (1-2):77-95.

G. FOKOU et al

²²²

86 RASPA Vol.8 N0S, 2010