quelle place faire à l’élève - cache.media.education...

24
Enseigner pour faire apprendre. Quelle place faire à l’élève ? Viviane BOUYSSE Inspectrice générale de l’Education nationale Académie de Montpellier, 20 octobre 2015

Upload: letuyen

Post on 15-Sep-2018

221 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

Enseigner pour faire apprendre.

Quelle place faire à l’élève ?

Viviane BOUYSSE

Inspectrice générale de l’Education nationale

Académie de Montpellier, 20 octobre 2015

2

Plan du propos

1. Des modèles du fonctionnement de l’élève

2. Un modèle de l’enseignement efficace ?

3. L’activité de l’élève au coeur du problème

3

Une précaution : il convient de ne pas faire dire plus qu’il ne faudrait aux « concepts », descriptifs ou explicatifs, issus de recherches. Ils n’ont pas de portée prescriptive.

Un regret : s’en tenir à une approche techniciste.

Si l’enseignement est à la fois instruction et éducation, s’il concourt à l’humanisation des élèves et à l’individuation de chacun, alors il faudrait réfléchir aussi sur une éthique de l’enseignant/ de l’enseignement, sur le sens de ce que l’on fait quand on enseigne, sur l’engagement (et comment le faire durer…) pour éviter de « faire machinalement » .

4

1. Des modèles du fonctionnement de l’élève

Modèle piagétien

Accent mis sur les opérations mentales comme actions intériorisées ; penser, c’est exécuter sur le plan symbolique une action/ une transformation sur des objets.

Le problème pour l’enseignant est de faire reconstruire sur le plan symbolique ce qui a été réussi en pratique : cf. notions de reconfiguration, « secondarisation » (décontextualisation ; accès à une autre finalité : ce que l’action vise au-delà de sa mise en œuvre) chez E. Bautier

Importance de

la dialectique Réussir // Comprendre

la primauté de l’action à laquelle la conceptualisation est subordonnée chez les jeunes enfants (cf. du perçu au conçu ; du perceptif au représentatif).

Modèle dépassé par de nombreux aspects.

5

1. Des modèles du fonctionnement de l’élève

Modèles issus du courant « culturaliste » (Vygotsky, Bruner) La formation de l’individu est dépendante des interactions avec

les outils matériels et symboliques inventés par l’Homme.

(critique du modèle piagétien qui néglige ces aspects)

Importance du langage, du contact avec les « œuvres ».

Importance des médiations, des interactions avec un « plus

expert » (apprendre = intérioriser, faire sien).

6

1. Des modèles du fonctionnement de l’élève

Modèles issus des courants cognitivistes Apprendre = intégrer des informations nouvelles en mémoire

permanente ; d’où l’importance accordée au « cadre assimilateur », c’est-à-dire au fonctionnement du sujet.

Description empruntée à O. Houdé, Le raisonnement, PUF, 2014

Deux systèmes en conflit potentiel : des stratégies heuristiques, rapides, relativement automatiques, c’est-à-dire sans contrôle délibéré ( INNEES ou ACQUISES) // des stratégies analytiques, plus lentes, contrôlées, « attentionnelles » (APPRISES). Cf. D. Kahneman

L’arbitre : un troisième système mobilisant l’inhibition (contrôle inhibiteur). Au niveau cérébral, maturation tardive.

7

1. Des modèles du fonctionnement de l’élève

Modèles issus des courants cognitivistes / suite : … « le

réchauffement de la cognition » : relations avec l’affectivité

Développement de l’intelligence perçu comme à l’interface

entre affectivité et cognition : importance des interactions

initiales entre le bébé et son environnement (accordage

affectif; co-construction des capacités d’attention dans les

situations d’attention conjointe).

Plus largement, liens entre l’émotion, l’affectivité et la

cognition (cf. Damasio) : relations entre le système limbique

(centre des émotions) et la structure impliquée dans les

fonctions exécutives (mémoire de travail, gestion de

l’attention, planification, « inhibition »).

Importance de l’expérience métacognitive et affective.

8

1. Des modèles du fonctionnement de l’élève

Et la variété des « profils cognitifs » ?

Les « intelligences multiples » (H. Gardner)

Quels fondements ?... Débats très anciens sur le caractère

unidimensionnel ou multidimensionnel de l’intelligence ; pas de

résultat empirique solide étayant l’hypothèse d’une indépendance

de formes différentes de l’intelligence.

Les « visuels » et les « auditifs »

Etudes (cf. Lieury) qui mettent en évidence la très courte durée

(max. 3 s) des mémoires sensorielles ; les informations visuelles

ou auditives sont ré-élaborées sous des formes plus abstraites,

fondamentales, notamment la mémoire lexicale (morphologie des

mots) et la mémoire sémantique (sens des mots), plus la mémoire

iconique (images virtuelles, de synthèse, et non « photographies »).

9

2. Un modèle de l’enseignement efficace ?

Contexte des recherches : débats sur l’efficacité comparée des approches centrées sur l’enseignement et des approches centrées sur l’élève (approches dites constructivistes).

Travaux aux USA (vaste méta-analyse) ayant mis en évidence les résultats supérieurs des modèles dits de « direct instruction », notamment pour les élèves issus de milieux défavorisés mais aussi pour les autres, moyens ou performants.

Modèles que l’on pourrait dire d’enseignement explicite et systématique qui se caractérisent par trois phases (ordre) dites « cognitive » (ou « modelage ») puis « associative » (ou « pratique dirigée ») puis « autonome » (ou « pratique autonome), la première en collectif et les deux autres en groupes ou individuellement.

10

2. Un modèle de l’enseignement efficace ?

« Instruction directe » (enseignement explicite et systématique) et…

… explicitation dans l’enseignement

Faire de la clarté sur les objectifs et les procédures (lutter contre la « pédagogie invisible ») ne signifie pas nécessairement pratiquer comme dans l’instruction directe (cf. place des « démonstrations », de l’exposé des bonnes démarches vs recherches).

… enseignement traditionnel de type magistral

Ce dernier se limite en général à la transmission des contenus et à une phase d’exercisation au terme de laquelle intervient la vérification des acquis. Il ne propose pas ce qui semble faire la supériorité de l’autre modèle : la deuxième phase, avec les interactions et guidages personnalisés de l’enseignant pour favoriser l’appropriation.

11

2. Un modèle de l’enseignement efficace ?

Les critiques adressées aux approches constructivistes

Toute pédagogie de découverte est coûteuse en temps ; le temps qui dure affaiblit souvent la motivation initiale.

Ces approches qui sont valables pour les « apprentissages adaptatifs », dits « naturels » (qui visent des « habiletés cognitives primaires » qui peuvent être acquises par essais et erreurs, observation – imitation de pairs…) ne le sont plus (plus autant ?) pour des apprentissages scolaires qui visent des « habiletés cognitives secondaires » (compréhension de concepts ; maîtrise de procédures, de démarches et de « connaissances conditionnelles »). Ces acquisitions supposent des efforts soutenus et un guidage expert qui permette le traitement profond exigé.

Ces approches ne sont pas réalistes compte tenu du faisceau de contraintes propres aux situations scolaires : temps contraint, programmes imposés, résultats à atteindre, groupe à gérer…

12

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Articulation possible entre ces « connaissances » : l’activité du

sujet

Ce qu’il importe de parvenir à mobiliser, c’est l’engagement

actif de l’élève dans les processus de construction de ses

connaissances. Activité cognitive, non limitée à un « agir », non

limitée à une exécution de consignes dans des situations sans

finalité.

« Il [l’enfant] a sa part à faire dans l’acquisition de ce qu’il

reçoit. » C. Fleury, Les irremplaçables. Gallimard, 2015.

13

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Articulation possible entre ces « connaissances » : l’activité du sujet / suite

Importance de mécanismes cognitifs clés dont la gestion suppose la coopération d’un enseignant vigilant avec l’élève :

l’attention intentionnelle et réflexive : présence à soi et à son environnement (// attention automatique…) ; classe comme « écosystème attentionnel » (Y. Citton).

Attention = ressource rare (capacités limitées)

la structuration : problématique de l’organisation en mémoire (cartes sémantiques, réseaux conceptuels, plans…) ;

le contrôle métacognitif : apprendre à appliquer / procéduraliser, apprendre à transférer ; apprendre à inhiber (transformation du statut des connaissances + constitution de séquences d’action conditionnelles) .

14

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Illustration : zoom sur cinq processus d’apprentissage fondamentaux

Compréhension : processus d’élaboration d’une représentation mentale (d’un texte, d’un fait, d’un objet…) ; toujours fondée sur les connaissances antérieures.

Facteur favorisant (FF) : multiplicité de l’encodage

Conceptualisation : processus d’élaboration d’une connaissance - relativement stable - d’un aspect du monde appréhendé d’abord sous des formes variées. En jeu: repérer des traits communs (catégoriser), intégrer l’étiquette de la catégorie, établir des relations avec d’autres concepts.

FF : multiplicité des liens, profondeur de l’encodage

Prise de conscience : élaboration d’une représentation de quelque chose que l’on sait / sait faire (ou pas) et de son explicitation.

FF : analyse et comparaison explicites ; confrontation avec autrui

15

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Illustration / suite

Procéduralisation : processus de transformation de ce que l’on comprend en quelque chose que l’on sait faire : phase associative de l’apprentissage, moment clé (lent et coûteux cognitivement). En jeu : établir une association entre situation et connaissance(s), associer situation et solution, créer des règles d’appariement (pour une possible automatisation).

FF : équilibre entre recherche et guidage ; travail sur situations nombreuses de transfert ; importance du temps

Automatisation : processus de transformation d’une méthode en un automatisme (quelque chose que l’on peut mettre en œuvre sans y penser, donc sans coût attentionnel).

FF : fréquence, répétition ; importance du temps

16

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Le problème le plus résistant : faire que l’activité cognitive soit réelle pour chaque élève -----> place du « travail personnel »

Deux traditions fortes en France auxquelles on se heurte :

Le cours magistral : le groupe-classe comme sujet épistémique idéal, la « bonne » didactique vs les modalités et stratégies de diversification / différenciation. Ecole inclusive ?

Mais importance de la classe et du « faire classe » : co-production de soi et co-construction des savoirs avec d’autres.

Le travail personnel : l’affaire de chacun hors du « cours » (depuis longtemps dans le second degré ; de plus en plus fréquent en école élémentaire).

Evolutions attendues pour faire exister

l’accompagnement pédagogique.

17

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Variation --- Flexibilité Adaptation --- Modification

Classe ; sous-groupes Elève(s) avec besoins précisés

Formules didactiques et

pédagogiques variées

Formules didactiques et

pédagogiques « sur mesure »

Niveaux d’exigence standards

(programmes)

Niveaux d’exigence

temporairement aménagés

Matériel varié Matériel varié voire adapté

Formalisation : projet personnel,

plan d’intervention

Diversification : de la variation à l’adaptation

18

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Faire apprendre = savoir mettre en œuvre une relation d’aide

Importance d’entretiens qui se distinguent nettement du dialogue didactique traditionnel. Objectifs = permettre aux élèves de prendre de la distance, de prendre conscience de leurs succès comme de leurs échecs, d’en percevoir certaines causes pour les reproduire ou, au contraire, éviter de le faire.

Un échange qui aide est un échange qui, progressivement, conduit l’élève à ré-exercer du contrôle sur son travail, à lier effort, stratégies et résultats.

Objectif = construire, en situation scolaire, une relation de confiance et d’encouragement afin de redonner sens à l’effort de l’élève ; l’ordinaire de la classe ne doit pas être discordant par rapport aux moments d’aide.

19

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Savoir étayer (guider)

Composantes de l’étayage (cf. Bruner pour cadre théorique précis) :

enrôlement : soutenir l’intérêt de l’élève face aux tâches scolaires ;

orientation : s’assurer que l’élève ne s’écarte pas du but ;

réduction des degrés de liberté : simplifier, prendre en charge certains aspects du travail ;

mise en évidence des caractéristiques critiques de la tâche : attirer l’attention sur des aspects particulièrement importants ;

contrôle de la frustration : éviter la démotivation ;

présentation de modèles : démontrer, détailler les étapes.

Et savoir « desétayer » : la réussite assistée n’est pas la réussite ; phase clé = réduction progressive des aides pour aboutir à la réussite autonome.

20

Processus d’étayage (source : M. CRAHAY, 1999, page 330)

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Bruner Cognitivisme

Enrôlement ; maintien de

l’orientation vers le but

Valoriser les buts d’apprentissage

Signalisation des caractéristiques

déterminantes

Donner des indices de structuration préalable

Réduction des degrés de liberté Eviter la surcharge cognitive

Proposer des modèles à mi-chemin entre la

représentation du novice et celle de l’expert

Contrôle de la frustration Eviter les phénomènes de résignation apprise

Démonstration / Présentation de

modèles

Expliquer les quoi, pourquoi, quand et

comment des stratégies à construire

21

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Des conditions de mise en œuvre : trois variables en jeu

La mise en groupes / L’encadrement

Les espaces de travail dans l’école ou l’établissement et

l’accès à des ressources pour apprendre

L’organisation du temps favorable (problème différent

dans le premier et le second degrés)

******

Un aspect essentiel dès la fin du cycle 2 pour le « travail

personnel » : une maîtrise suffisante de son langage et de

la langue

22

3. L’activité de l’élève au cœur du problème

Les dispositifs à mobiliser, actuellement en œuvre ou à venir

« Plus de maîtres que de classes » et ressources à disposition

en éducation prioritaire

Activités pédagogiques complémentaires (en primaire) –

Accompagnement personnalisé Enseignements pratiques interdisciplinaires

et aussi la « classe inversée », ….

23

Pour conclure

Penser l’enseignement comme le « déploiement de stratégies cognitives ciblées sur la gestion intelligente et délibérée des contextes d’apprentissage » (M. Crahay)

Travailler avec des équipes de chercheurs ; réduire la place de l’idéologie dans les choix que l’on effectue, dans ceux que l’on offre. Faut-il des « références opposables* » et/ou des « recommandations de pratiques pédagogiques* » pour limiter - et nourrir - la « liberté pédagogique » ?

(*) : dans le monde de la médecine, règles de l’art consensuelles, formalisées en vue d’améliorer la qualité et l’efficience du système de soins. A rapporter à quatre principes : bienfaisance, non malfaisance, respect de l’autonomie, équité.

24

Quelques références bibliographiques

Beautier E., Goigoux R. Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation

et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle. Revue française de

pédagogie, N°148, 2004, pp. 89-100

Bissonnette S., Richard M., Gauthier C. Interventions pédagogiques efficaces et

réussite scolaire des élèves provenant de milieux défavorisés. Revue française de

pédagogie, N°150, 2005, pp. 87-141

Citton Y., Pour une écologie de l’attention. Seuil, 2014

Crahay M., Psychologie de l’éducation. PUF, 1999

Damasio A., L’erreur de Descartes. O. Jacob, 1995

Damasio A., L’autre moi-même : les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience

et des émotions. O. Jacob, 2010

Houdé O., La psychologie de l’enfant. PUF, Que sais-je ? 2004

Houdé O, Le raisonnement. PUF, Que sais-je ? 2014

Lieury A., Mémoire et réussite scolaire. Dunod, 1997