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8 La lettre de l'Itésé Numéro 16 Eté 2012 Dossier Quel mix énergétique pour demain ? par JeanGuy DEVEZEAUX DE LAVERGNE Directeur de l'tésé L a question de l’évolution du MIX énergétique national et européen est posée depuis des décennies et est historiquement un sujet d’importance qui a donné lieu a de très nombreux débats au plan national (8 depuis 1981) et des lois et directives destinées à l’orienter. Son importance n’a pas décrue au cours du temps. Cet état de fait devrait s’accentuer encore dans le futur, à tout le moins pour les raisons suivantes : les menaces sur l’évolution du climat, dont la réalité ne fait plus aucun doute, la crise économique qui perdure et qui a notamment pesé très fortement sur le déficit de la balance commerciale française, la pénurie en ressources financières qui induit une mise au second plan des problématiques climatiques, les difficultés de financement jouant un rôle important sur les choix d’investissements, le changement majeur de politique énergétique en Allemagne, la demande énergétique mondiale qui continue de croître, le changement des rapports de force mondiaux (au profit de l’Asie)… Cette situation a notamment induit en France, mais pas seulement, la création de très nombreux groupes de travail sur ces questions, dont la grande majorité a rendu ses travaux dans les 6 derniers mois. Citons tout particulièrement : la commission «Trajectoires 20202050» du Centre d’Analyses Stratégiques (CAS), la commission « Energies 2050 » du CAS, la mission de la Cour des Comptes : «Coûts de la filière électronucléaire», la commission «Prospective technologique» du CAS. Parallèlement, le paysage change, avec une montée des incertitudes (et des risques associés) et la prise de conscience que les moyens et processus d’élaboration des choix énergétiques doivent progresser : les études disponibles de prospectives des MIX énergétiques qui sont généralement «pauvres technologiquement», c’estàdire qu’elles se basent assez fortement sur des technologies existantes, même pour des horizons temporels éloignés (quid alors de l’innovation, des évolutions des modes de vie, des transformations de notre relation au temps et à l’espace ?), la recherche amont reste souvent peu questionnée, des champs importants de recherche et d’action s’ouvrent à nous dans des domaines bien peu explorés : potentiel de complémentarité et synergie entre nucléaire et Nouvelles Technologies de l’Energie, évaluation du gisement de long terme lié aux actions de Sobriété et Efficacité énergétique... et enfin, des analyses et visions sur les énergies fossiles assez optimistes en termes de quantités accessibles et de coûts. Un changement d’époque et de paradigme, dans un environnement de plus en plus risqué Mais il y a plus que cela. Nous sommes en effet confrontés à un changement graduel mais profond de « paradigme » énergétique. La nature des grands enjeux a évolué en profondeur depuis une vingtaine d’années, les angles de vue se sont transformés, de nouveaux acteurs sont apparu, les performances des systèmes ont fait en certains cas des progrès majeurs. Dans son discours reproduit dans ce numéro de la lettre, Bernard Bigot focalise son attention sur certains changements profonds en cours (synergies entre nucléaire et EnR, équilibrage offre et demande, approche de l’ensemble du système énergétique donnant toute sa place à l’efficacité) et appelle de ses vœux des (r)évolutions conceptuelles. Une autre des grandes évolutions de ces dernières années est la prise de conscience de l’augmentation des incertitudes et donc des risques encourus par nos sociétés. En effet, la situation nouvelle actuelle se caractérise par une forte montée des incertitudes, notamment énergétiques. Cellesci ont cru de façon très vive ces dernières années et concernent des sujets aussi divers que le comportement des prix mondiaux des

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  • 8 La lettre de l'Itésé Numéro 16 Eté 2012

    Dossier

    Quel mix énergétique pour demain ?par JeanGuy DEVEZEAUX DE LAVERGNEDirecteur de l'tésé

    Depuis maintenant quelques années, un constat s’impose à nous : le monde de l’énergie a changé !

    Les enjeux à relever sont de taille : la sécurité d’approvisionnement en énergie, la lutte contre le

    changement climatique, et l’accès à l’énergie pour tous à un coût abordable. Ceci, dans un contexte

    de croissance démographique très importante amplifié par une crise financière et économique

    mondiale de grande ampleur, avec des incertitudes économiques qui n’ont jamais été aussi fortes.

    La question de l’évolution du MIX énergétiquenational et européen est posée depuis des décennieset est historiquement un sujet d’importance qui a donnélieu a de très nombreux débats au plan national (8 depuis1981) et des lois et directives destinées à l’orienter.Son importance n’a pas décrue au cours du temps. Cetétat de fait devrait s’accentuer encore dans le futur, à toutle moins pour les raisons suivantes : les menaces sur l’évolution du climat, dont la réalité nefait plus aucun doute, la crise économique qui perdure et qui a notammentpesé très fortement sur le déficit de la balancecommerciale française, la pénurie en ressources financières qui induit une miseau second plan des problématiques climatiques, lesdifficultés de financement jouant un rôle important sur leschoix d’investissements, le changement majeur de politique énergétique enAllemagne, la demande énergétique mondiale qui continue decroître, le changement des rapports de force mondiaux (auprofit de l’Asie)…Cette situation a notamment induit en France, mais passeulement, la création de très nombreux groupes detravail sur ces questions, dont la grande majorité a renduses travaux dans les 6 derniers mois. Citons toutparticulièrement : la commission «Trajectoires 20202050» du Centred’Analyses Stratégiques (CAS), la commission « Energies 2050 » du CAS, la mission de la Cour des Comptes : «Coûts de la filièreélectronucléaire», la commission «Prospective technologique» du CAS.Parallèlement, le paysage change, avec une montée desincertitudes (et des risques associés) et la prise deconscience que les moyens et processus d’élaboration deschoix énergétiques doivent progresser : les études disponibles de prospectives des MIX

    énergétiques qui sont généralement «pauvrestechnologiquement», c’estàdire qu’elles se basent assezfortement sur des technologies existantes, même pour deshorizons temporels éloignés (quid alors de l’innovation,des évolutions des modes de vie, des transformations denotre relation au temps et à l’espace ?), la recherche amont reste souvent peu questionnée, des champs importants de recherche et d’actions’ouvrent à nous dans des domaines bien peu explorés :potentiel de complémentarité et synergie entre nucléaireet Nouvelles Technologies de l’Energie, évaluation dugisement de long terme lié aux actions de Sobriété etEfficacité énergétique... et enfin, des analyses et visions sur les énergies fossilesassez optimistes en termes de quantités accessibles et decoûts.Un changement d’époque et de paradigme, dans unenvironnement de plus en plus risquéMais il y a plus que cela. Nous sommes en effetconfrontés à un changement graduel mais profond de «paradigme » énergétique. La nature des grands enjeux aévolué en profondeur depuis une vingtaine d’années, lesangles de vue se sont transformés, de nouveaux acteurssont apparu, les performances des systèmes ont fait encertains cas des progrès majeurs. Dans son discoursreproduit dans ce numéro de la lettre, Bernard Bigotfocalise son attention sur certains changements profondsen cours (synergies entre nucléaire et EnR, équilibrageoffre et demande, approche de l’ensemble du systèmeénergétique donnant toute sa place à l’efficacité) etappelle de ses vœux des (r)évolutions conceptuelles.Une autre des grandes évolutions de ces dernières annéesest la prise de conscience de l’augmentation desincertitudes et donc des risques encourus par nossociétés. En effet, la situation nouvelle actuelle secaractérise par une forte montée des incertitudes,notamment énergétiques. Cellesci ont cru de façon trèsvive ces dernières années et concernent des sujets aussidivers que le comportement des prix mondiaux des

  • 9Eté 2012 Numéro 16 La lettre de l'Itésé

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    énergies, la conjoncture économique mondiale, lesaccidents énergétiques (pétrole, gaz, charbon,hydraulique, nucléaire, conséquences du changementclimatique…), les évolutions des technologies (gaz etpétrole de schistes, stockage, CCS…), les évolutions desopinions publiques en regard des questionsénergétiques...On assiste enfin depuis une dizaine d'années à des misesen œuvre des stratégies énergétiques en rupture parrapport aux décennies passées (Japon, Allemagne...).Cette augmentation sans précédent des incertitudesinduit des risques nouveaux dans les décisionsénergétiques et pousse les acteurs à développer desparades, en particulier en choisissant en priorité desstratégies qui soient flexibles, c'estàdire graduellementmodifiables pour diminuer les conséquences adverses dechangement d’environnement, et/ou robustes, c'estàdire que les changements d’environnement affectent peuleur niveau de performance. L’assurance d’une bonnerésistance aux chocs, parfois appelée résilience, est aussiun paramètre recherché par les politiques énergétiques.

    Figure 1 : Approvisionnement total en énergie primaire duRoyaume Uni en 2010 Total 1654,5 Mtep (hors chaleur etéchanges électriques) Source AIE, 2011, par énergieLors de la réflexion sur la constitution des MIXénergétiques du futur, les démarches de la plupart desétudes disponibles sont souvent peu détaillées sur cesaspects. Pourtant, les parades existent et les plusemployées sont les suivantes :• diversification des énergies au sein du Mix,• développement des énergies avec des ressourcesd’origine locale ou proche,• diminution de la demande («demand sidemanagement», politique de prix et taxes, normalisation,efficacité...),• flexibilisation de la demande (vers le multiénergie),• diversification des approvisionnements et sécurisationpar des alliances, des contrats de long terme, desparticipations directes dans des compagnies extractives,• constitution de stocks stratégiques (éventuellement en

    commun comme au sein de l’Agence Internationale del’Energie pour le pétrole),• duplication ou redondance des maillons stratégiquesdes systèmes énergétiques (par exemple les marges decapacité des systèmes),• diversité des sources d’approvisionnement, destechnologies des systèmes énergétiques, mais aussi desprogrammes de R&D, de façon à disposer, le momentvenu, de technologies et de compétences diversifiées.• des politiques d’assurances.Ces risques doivent donc être pris en compte. Le recoursaux outils présentés cidessus permet certainement de lesréduire. Toutefois, les analyses mériteraient d'êtremenées plus en profondeur. Un exemple particulier estcelui de la prospective énergétique établie par legouvernement britannique en 2011. Le RoyaumeUni estconfronté à un double défi : d’une part, celui derenouveler massivement des centrales vétustes aucharbon ou nucléaire d’ici 2020, d’autre part celui demettre en place une économie bas carbone. Logiquement,ce gouvernement va évaluer comment recourir à des MIXdivers de technologies éprouvées (nucléaire, capture etséquestration du carbone, éolien offshore,…).Le gouvernement britannique s’est engagé, dans le cadredu Paquet Energie Climat, à fournir 15 % de l’énergiefinale à partir d’EnR à 2020. Il a choisi de privilégierl’éolien, principalement en mer. Audelà, des objectifssont fixés en matière de réduction des gaz à effet de serre,mais la manière d’y parvenir n’est pas spécifiée de façonunique, en raison principalement d’incertitudes fortes surles technologies. Au lieu de se fixer des objectifs précisdans les secteurs ou pour les technologies énergétiques àutiliser, le gouvernement préfère explorer différents MIXaux hypothèses contrastées.

    Figure 1 : Approvisionnement total en énergie primaire del'Allemagne en 2010 Total 1654,5 Mtep (hors chaleur etéchanges électriques) Source AIE, 2011, par énergieLa démarche « Pathways to 2050» britannique consiste àdécrire l’impact de différents MIX électriques (selon lalogique dite «What if») à horizon 2050. Le scénario de

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    référence (de «laissezfaire») décrit une factureénergétique de près de 4700 £ par personne et par an,alors qu’aujourd’hui celleci est de 3700 £ (si l’on compteles taxes et les factures liées à l’achat et à l’utilisationd’une voiture, le chauffage, la génération de l’électricité etl’énergie utilisée par l’industrie).

    Figure 1 : Approvisionnement total en énergie primaire de laFrance en 2010 Total 1654,5 Mtep (hors chaleur et échangesélectriques) Source AIE, 2011, par énergie

    Figure 1 : Approvisionnement total en énergie primaire de laPologne en 2010 Total 1654,5 Mtep (hors chaleur et échangesélectriques) Source AIE, 2011, par énergieLe scénario «optimal» est celui d’une réduction de lademande énergétique par habitant atteignant jusqu’à50%, grâce notamment à des innovations technologiques,mais aussi grâce à des actions sur la demande, et autransfert modal notamment dans les transports. D’autresscénarios ont été définis avec plus de renouvelables,moins de nucléaire, moins de CCS et plus d’efficacitéénergétique, alors (avec en outre 54 % de réduction de lademande d’électricité par habitant via une efficacitésupérieure) on obtiendrait un surcout de 370 £ environpar rapport au scénario de référence. Un scénario avecplus de nucléaire, peu de renouvelables, et peu deréduction de la demande par habitant serait encore pluscoûteux (près de 500 £ de surcoût par personne et par an).

    Cette démarche est différente de celles habituellementpratiquées en Europe continentale car elle est peunormative : elle laisse le futur ouverte et laisse au marchéle soin de décider quelles seront les meilleures trajectoirestout en illustrant les résultats possibles. Elle possède doncune forte flexibilité politique, en supposant toutefois deschoix du gouvernement pour orienter les décisions desindustriels ou des ménages.On constate bien que la démarche envisage des futursouverts, mais que l’accent est en pratique peu mis surl’influence des variations des grands paramètresd’environnement économique et technologique.Au total, les MIX énergétiques européens présentés enfigure 1 illustrent la grande diversité de leur composition.Celleci est assez étonnante si l’on considère que les prixrelatifs des technologies sont plutôt proches entre lespays, ce qui aurait dû conduire à une certaineconvergence. On doit nuancer cette approche par ladisponibilité de ressources domestiques dans certainspays et pas dans d’autres. Il faut considérer à ce titre quele choix d’y recourir localement est souvent le résultatd’une politique de minimisation de risque (celui desvariation des cours internationaux), car des exportationsaccrues de ressources énergétiques domestiques,combinées à des importations d’autres ressourcespourraient en bon nombre de cas apparaître plusrémunératrices. Des choix en termes de nature desinvestissements (par exemple les centrales électriques àproduits pétroliers italiennes) peuvent se justifier par lesfaibles investissements et leurs temps de retour espérésinitialement courts. Ainsi, ces très fortes disparitéss’expliquent aussi largement par les comportements despouvoirs publics et des investisseurs privés, face aurisque... ou à une faible perception du risque dans despériodes antérieures.Au total, les « symptômes » sont nombreux mais peud’exercices nationaux évaluent statistiquement lesprobabilités d’états du monde futurs pour en déduire lesorientations des choix énergétiques les plus robustes.Les méthodes existent néanmoins. Une difficulté danscette voie est qu’il faudrait en pratique simuler lesréactions des gouvernements et des agents économiquespour réorienter les politiques en fonction de l’évolutiondes paramètres externes... Mais les méthodes changeront.Une autre question forte est celle de l’impact de cettehausse des incertitudes sur le financement deséquipements énergétiques, à la fois longs à mettre enœuvre, de longue durée d’exploitation, souvent chers(car de grande taille... ou très nombreux). C’est un deschallenges auxquels il nous faudra nous atteler, via parexemple le labex ECODEC regroupant les principalesforces économiques du Plateau de Saclay.

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    Comment évaluer les MIX possibles pour demain ?Les critères et les méthodesLe premier critère relatif à l’évaluation d’un Mixénergétique, est la durabilité, qui ellemême se décline àson tour.La problématique de l’économie des ressources estévidemment primordiale. En effet, les envolées du prixdu baril de brut soulèvent la question épineuse del’épuisement des ressources. En amont de celleci, laquestion de la dépendance énergétique et de la gestiondes relations géopolitiques est loin d’être triviale. Le CEAs’attache ainsi à accroître les rendements énergétiques desprocédés qu’il développe – cas des recherches surl’électrolyse à haute température pour la productiond’hydrogène, à améliorer l’économie de matière – cas dela filière photovoltaïque, ou encore à perfectionner l’écoconception et le recyclage – cas des batteries.La durabilité se décline également du point de vueenvironnemental, en considérant les émissionspolluantes, et plus particulièrement aujourd’hui ens’intéressant aux émissions de carbone engendrées, laréduction de ces dernières structurant fortement l’actionpolitique comme cela a été préconisée via la CommissionQuinet relative à la valeur tutélaire du carbone. Pardurabilité, on comprend aussi l’objectif d’un coûtsuffisamment bas pour être accepté à tous les niveaux dela société, que ce soit en minimisant les coûts pour lesagents économiques ou en contribuant à la maîtrise de labalance commerciale.L’exemple anglais cidessus montre l’importance ducritère de coût total, qui est primordial pour prétendreatteindre un degré suffisant de durabilité. Le critère deflexibilité a été aussi commenté ciavant. Enfin, ladurabilité doit également s’appréhender sous un anglesocial, en se posant les questions d’acceptabilité, parmilesquelles on retrouve les aspects environnementaux,mais également des problématiques de plus court termetelles que les impacts des choix de MIX sur l’emploi et lepouvoir d’achat. Mais ce numéro de notre lettre est riched’un article de Jaques Percebois sur ce thème. Rien ne sertde le paraphraser.Précisons toutefois que l’évaluation de scénariosénergétique est encore aujourd’hui nettement perfectibleet que des progrès seront nécessaires dans l’art actuel dela modélisation et de la prospective, pour quantifier lescritères de choix. Ces nécessaires progrès ont étéidentifiés, notamment par le Groupe Programmatique 9de l’ANCRE (en charge de ces sujets). Les besoins dedéveloppements nouveaux portent sur des sujets denatures très diverses. Citons par exemple : la prise en compte de l’intermittence dans les réseaux, les changements énergétiques au niveau des territoires, le stockage,

    l’effet de la R&D sur le progrès technique, la modélisation du parc de logements et sa dynamique, la pauvreté/précarité énergétique.Il est particulièrement intéressant de noter que les deuxpremiers points présentés ici portent sur les thématiquesde la gestion du temps à un pas fin (horaire, voire moins)au sein de systèmes dans lesquelles l’énergie reste malstockable et sur la thématique de la prise en compte del’espace. Ainsi, l’évaluation des critères semble biendéfinie en fixant un horizon temporel et une zonegéographique. Mais il apparaît de plus en plus que laqualité du résultat dépendra de la capacité à modéliserdes phénomènes de court terme (gestion des réseauxélectrique et de l’intermittence, surtout) et de localisationdes équilibres offre et demande (qui détermineront lesinvestissements, les contraintes de transport et lesvecteurs énergétiques adaptés, les types de production etde stockage : technologie, taille...).La question de l’intermittence est ellemême difficile,comme l’ont fortement illustrée les discussions et débatsde la première table ronde de notre journée du 11 juin.Les études manquent fortement de sorte que si les ordresde grandeur des coûts induits par l’intermittence del’éolien ou du solaire se trouvent actuellement dans unefourchette de 5 à 25 €/MWh (selon l’AIE), cettefourchette apparaît bien large... et beaucoup trop pourpermettre des calculs de parcs optimaux précis. De plus,les seuils d’intermittence audelà desquels les réseauxactuels et futurs seraient placés dans des zones délicatesdu point de vue notamment de l’équilibre des réseaux nesont pas bien connus. Il nous faut absolument progresserdans cette voie. L’équipement graduel de l’Europe vabon train, mais les contraintes se reportent de pays à payssans règle du jeu acceptée par tous et avec un certaindésordre. On sait aussi que les mécanismes de marchésactuels sont insuffisants pour garantir dans la durée unéquipement de pointe jugé suffisant par les autorités oules parlementaires : des évolutions sont en coursconcernant les marchés de capacité qui joueront aussi surles MIX électriques du futur. De même, les capacités enstockage deviennent de plus en plus précieuses pourassurer un bon fonctionnement des réseaux : leurrémunération doit être clarifiée pour faciliter ledéveloppement de nouvelles capacités.Améliorer l’efficacité énergétiqueTous les scenarios énergétiques d’évolution des MIX fontdes hypothèses sur l’efficacité énergétique future.Schématiquement, les représentations qui permettent deprendre en compte les gains en efficacité énergétiquedans les modèles et exercices prospectifs sont lessuivants :1. Courbes de performance techniques dans le temps(ellesmêmes modélisées parfois en prenant en compte

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    des effets d’apprentissage (taille des marchés) etd’accumulation de la connaissance (stocks de brevets parexemple),2. Effets du passage d’une technologie à une autre par lebiais des effets des prix (hausses des marchés, taxes,marchés de quotas...),3. Représentation à un instant donné des gisementsd’efficacité, quantifiés en fonction des coûts consentispour y accéder (souvent ces approches sont assorties de «fonctions de retard » qui figurent le fait que les marchésne sont pas pleinement efficaces).La figure 2 ciaprès décrit un exemple stylisé de courbeutilisée dans des études et modèles décrivant lesgisements d’efficacité énergétique. Ce type de courbeexplicite les quantités qu’il est possible d’économiser (icien tonnes d’émissions de CO2 évitées), via des mesuresd’efficacité, en fonction du coût de des mesures. Onconstate qu’une partie des coûts est négative, ce quisignifie que des gisements rentables existent en quantitésignificative. La difficulté est bien entendu d’exploiter cesgisements. »

    Figure 2 : Exemple type de courbe d'efficacité énergétique(type secteur logement pour un pays européen).Un des enjeux importants des techniques de prospectiveconsiste à harmoniser ces différentes approches, àexpliquer pourquoi des gisements ne sont pas déjàmobilisés, à vérifier que les coûts annoncés sont corrects,à préciser les dynamiques de décision des acteurséconomiques (par exemple, pour les logements anciens,une forte majorité des mesures d’efficacité énergétique estincluse dans des approches plus globales, visant parexemple à améliorer le confort, à créer de l’espace...Des analyses et prospectives qui laissent un futurtrès ouvertL’exemple anglais décrit cidessus est propre à un état,qui a donc décidé de ne pas orienter les choix des acteursnationaux de façon prescriptive. Les scénarios illustrésdans ce cadre ont été fortement contrastés.Si l’on s’intéresse aux évaluations faites pour la France à

    ce même horizon de 2050, non pas (uniquement) par legouvernement mais par des équipes de prospective et demodélisation, la figure 3 ciaprès montre avec clarté lalarge étendue des possibilités envisagées. Les choix sontdonc très ouverts à cet horizon (et beaucoup moins àl’horizon 2030, généralement perçu comme uneextrapolation des tendances amorcées pour 2020). Lesréférences précises des sources peuvent être consultées àl’adresse du site du Cired indiquée en référence (1).Un tel exercice montre deux constats simples :• les niveaux de consommations prévues sont très divers,allant d’une quasi diminution par 2 (scénario deNégaWatt) à une augmentation de près de 50% (celui dela Commission présidée par J. Syrota),• la composition est extrêmement variable, en particulieren ce qui concerne le nucléaire, mais aussi les EnR ou lecharbon (l’hypothèse d’un CSC efficace ou non est dansce cas déterminante).Le futur est donc encore largement ouvert à long terme.C’est d’abord le progrès technique, via la recherche, quipermettra à ces horizons de déplacer trèssignificativement les situations actuelles.

    Figure 3 : Le Mix français en 2050 selon diverses études, avecdes contraintes de type "facteur 4", celle produite par Enerdataillustre une trajectoire "post Grenelle" (source :CIREDhttp://www.imaclim.centrecired.fr/IMG/pdf/20110924MatthyFinkBibasRoleF4ScenariosinPublicDecisionMaking.pdf)La place de la recherche dans l’évolution des MIXUn des objectifs majeurs pour construire le MIX le plusefficace des prochaines décennies est de disposer vers2030 d’une palette la plus large possible d’énergies àfaible émission de carbone, dans des plages de coûtcomparables (pour la production électrique,significativement en dessous de 100 €/MWh, en valeuréconomique équivalente actuelle). Cet objectif vise àdisposer de marges de choix les plus importantespossibles à cet horizon.

  • 13Eté 2012 Numéro 16 La lettre de l'Itésé

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    En France, c’est à cette date notamment que le parcnucléaire exploité pendant 40 à 50 ans commencerait àdevoir être remplacé à forte cadence, selon la part que l’onsouhaitera accorder au nucléaire à l’horizon 2050. À cethorizon, le but est que les choix soient les plus ouvertspossibles.Un des autres enjeux, compatible avec le souhait delimitation des émissions de GES, est de valoriser aumieux les ressources domestiques. Ainsi, la biomassevégétale sous toutes ses formes (plantes sucrières etamylacées, oléagineux, lignocellulose, algues) constitueune importante réserve d'énergie. Le développement defilières énergétiques «exbiomasse», qui ne soit pas enconcurrence avec les usages alimentaires, contribuera àdécarboner le MIX énergétique d'ici 2050.La figure 4 cidessous propose une synthèse del’importance et de la réciprocité des liens entre toutes les«briques» menant des procédés technologiques auxscénarios énergétiques.

    Figure 4 : Lien entre recherche et pénétrations des nouvellestechnologies énergétiques Source : ItéséUne technologie qui occupe une certaine part de marchédu fait des normes, de la fiscalité, de l’état de la filièreindustrielle et de la concurrence, va générer, du fait decette pénétration économique du marché, une certainecroissance et contribuer au MIX énergétique mondial, entermes d’émissions de GES, de coûts, etc.La croissance induite générant des revenus pour l’Etat,celuici va pouvoir, en fonction des ses objectifs(notamment en termes de MIX), financer la R&D (de laplus fondamentale à la plus appliquée, «de la recherche àl’industrie»), cette dernière devant à plus ou moins longterme permettre des améliorations aussi bientechnologiques qu’économiques (design, rendement,coûts, etc.), permettant d’économiser les ressourcesénergétiques et les matériaux de construction, notammentles métaux stratégiques, et ainsi contribuant àl’augmenter de l’indépendance énergétique de l’Etat(amélioration de la balance commerciale) et rendant sonMIX énergétique plus vertueux.

    Ce schéma conceptuel permet notamment de mieuxappréhender les nécessaires réflexions sur : liens entre MIX et la recherche (en France, en Europe,dans le monde), l’apport de la R&D et sa dynamique propre, l’analyse des technologies clés et de leur roadmap, la prospective maturité/coût qui règle les vitesses dedéveloppement des techniques (sachant que les étatsinterviennent régulièrement dans ces champs), Les critères de choix des procédés à développer selon letissu économique (quels champions?).

    La recherche dans les technologies de l’énergie (et dansles technologies «de base» qui les soutiennent), estorientée selon deux finalités principales :1. Contribuer à atteindre nos objectifs en termes destructure de MIX et d’efficacité (coûts, rendements,impacts environnementaux…)2. Conserver ou acquérir une place de premier plan auniveau international dans plusieurs technologiesénergétiques clés pour nos entreprises dans leur conquêtedes marchés nationaux et internationaux ; la créationd’emplois durables et à forte valeur ajoutée en dépend defaçon cruciale.Le second objectif est d’une grande importance. L’Étatdevra, en appui à l’effort des entreprises, maintenir uneforte contribution au financement des recherches pourl’énergie, domaine de plus en plus stratégique dans lesdécennies à venir. L’objectif de réindustrialisation que legouvernement s’est assigné est bien entendu au cœur decette seconde finalité de la recherche. Ainsi, tous les

  • La lettre de l'Itésé Numéro 16 Eté 201214

    Dossierprogrès techniques dont la France bénéficiera dans lesprochaines décennies ne seront bien évidemment pasissus (exclusivement) de la R&D nationale, qui ycontribuera cependant. Il faudra faire des choix difficiles,en fonction largement des effets attendus sur notre tissuindustriel.Enfin, un autre point est le niveau de l’effort de recherche.L’Itésé a déjà publié plusieurs articles sur ce sujet,notamment celui de Nathalie Popiolek dans la lettre dede l’Itésé n° 13, qui expose que la R&D énergétique estinsuffisante en Europe pour faire face aux enjeux dufacteur 4 (baisse des émissions de GES d’un facteur 4 en2050, par rapport à celles de 1990) et pour pouvoirprétendre conserver un rang appréciable au sein desentreprises du secteur. Cette tendance pourrait d’ailleursêtre planétaire, ce qui renchérirait l’obtention de l’objectifdu facteur 4... ou justifierait les efforts annoncés parquelques pays (l’Allemagne surtout) pour se positionneren leader mondial sur ce créneau d’avenir.Au niveau français, l’ANCRE a proposé qu’une partimportante des montants des mises aux enchères desfuturs marchés de quotas d’émissions de GES (3e phase)soit investie dans la R&D énergétique. Il s’agira dès 2013de montants qui devraient se situer annuellement entre500 millions et 1,5 milliards d’euros. En utiliser de l’ordredu tiers pour renforcer la R&D énergétique serait demesure pour mieux orienter nos MIX futurs, tout endynamisant à terme notre tissu industriel. Actuellement,aucune décision en ce sens n’a été encore prise.Pour une meilleure organisation de la discussioncontradictoire et du partage des informations et desrésultats des travaux techniques (recherchetechnologique) et économiqueLes lignes qui précèdent commentent les grands enjeux etles moyens techniques pour mieux les préciser etproposer les meilleures solutions dans le futur. Mais unedimension indispensable dans la recherche des meilleursMIX est celle de l’organisation des acteurs, de la mise endébat et des modalités d’élaboration d’un consensus, sipossible.Un groupe de travail sur les MIX a été initié par Itésé, àla demande du Comité de Coordination de la technicoéconomie au CEA(2). Ce groupe, qui rendraprochainement ses résultats, a notamment insisté surdeux points : Le premier est la nécessité de construire un lieu publicde concertation et de discussion, avec l’ensemble desparties prenantes (élus, gouvernement, spécialistes,organisations syndicales, ONG, industriels, organismesde R&D…) qui aborde de façon pérenne et contradictoireles sujets énergétiques. En particulier, il apparaît quecréer des commissions gouvernementales permet d’initierdes débats utiles et d’une grande richesse, mais que lesdélais courts qui les caractérisent empêchent

    d’approfondir les sujets et parfois rendent impossible lasynthèse (par exemple dans le cas des liens entrestratégies énergétiques et emploi dans la commission «Energies 2050 »). Il faut traiter ces sujets dans la durée etassurer une large transparence des débats et informationsqui concernent nos concitoyens.L’autre sujet porte sur le besoin de progresser sur lesbases de données des technologies énergétiques, sur lanécessité de faire progresser les méthodes(3) (notammenten ce qui concerne la modélisation de l’intermittenceélectrique et celle de la diffusion des nouvellestechnologies), ainsi que sur l’importance d’organiser desbenchmarks des approches économiques quantitativesdans le domaine de l’énergie et des modèles par unestructure technique et ouverte ad’hoc (un forum demodélisation et d’études sur l’énergie). Un lieu adéquatpourrait être le Plateau de Saclay, qui dispose d’une forteexpertise (CEA, ECP, Supelec, X, ENSAE/Crest, HEC,INRA, EDF/R&D…) et de liens directs avec l’IFPEN etle CIRED (via le Club de l’Orme et des Chairescommunes). Cette structure produirait notamment desscénarios énergétiques de long terme, en garantissant unaccès total aux hypothèses.Dans une démarche voisine, l’ANCRE a proposé sonappui pour renforcer la communication vers les publics,au cas où cette action serait structurée ou renforcée. Saproposition est argumentée selon un angle social, cettedémarche visant à ce que les progrès rendus possiblespar la technologie soient perçus, lors de débats organisés(du type des débats publics sous l’égide de la CNDP)aussi comme de potentielles opportunités, et nonprincipalement comme des menaces.

    Références :(1 ) "Quel rôle pour les scénarios Facteur 4 dans la construction de la

    décision publique ?" - Source CIRED http://www.imaclim.centre-

    cired.fr/IM/pdf/20110924-MathyFinkBibas-

    RoleF4ScénarioinPublicDecisionMaking.pdf.(2) Ce groupe est constitué de Sophie Avril, Franck Carré, Bernard David,

    Jean-Guy Devezeaux de Lavergne, Alain Gauthier et Carole Hohwiller.(3) La dernière lettre de l'I-tésé proposait un article de Nathalie Popiolek où

    elle examinait l'état actuel de la démarche prospective, laquelle est un des

    outils principaux à même de nous aider à orienter nos choix pour le futur.

    Des pistes de progrès en la matière étaient proposées.