"que veulent les destouriens" article paru le 21 nov 2013 sur réalités. hajer ajroudi

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Page 1: "Que veulent les Destouriens" article paru le 21 nov 2013 sur Réalités. Hajer AJROUDI

8 - RéAlités - N°1456 - du 21 au 27/11/2013

Actuel

Que s’est-il passé depuis la mi-jan-vier 2011 ? Que peut apporter leurretour ? Quels sont les facteurs de

ce retour ? Que veulent-ils ?

Aux originesLe 2 mars 1934 naissait le Néo Destour,fondé par l’ancien président Habib Bour-guiba. Il émanait d’un mouvement de

jeunes tunisiens dont l’objectif était de li-bérer la Tunisie de la colonisation françaiseet a rassemblé de nombreux courants et plu-sieurs orientations dont le point communétait le patriotisme. Rebaptisé en 1964 en«Le Parti socialiste destourien» (PSD), ildevint le parti unique en Tunisie jusqu’à1981 et continua à être dirigé par Bour-guiba, alors président de la République. En1988 et suite au coup d’État de 1987, lePSD devient le Rassemblement constitu-tionnel démocratique, le RCD. Parti militant, ensuite parti unique et puisjusqu’à 1986 « majoritaire » avec la légali-sation d’autres partis, les destouriens ont,malgré la dérive totalitaire, réalisé un projetde société moderne et progressiste. Nombred’entre eux sont entrés en conflit avec l’an-cien président pour avoir souhaité la démo-cratisation du système. Ensuite, au sein duRCD et même avec un népotisme de plus

en plus ancré et une corruption rongeant leparti, beaucoup de personnalités ont vu leuradhésion gelée pour s’être opposé ou pouravoir critiqué l’ancien président Ben Ali.Le parti fut certes une machine puissante,surtout durant les dernières décennies. Il en-racinait le régime, organisait les élections etles campagnes de soutien et les bains defoule, participait à la vie associative, es-pionnait la population… Mais on ne peuten juger en bloc. La responsabilité indivi-duelle est très importante. Ce ne seront pasles procès collectifs qui pourront trancher,autrement, une injustice face à un ancienadhérent dont les mains sont propres peuttrès bien être commise. Certes, tout individuayant abusé de son pouvoir devrait en payerle prix, mais est-ce au juge ou à une loid’exclusion générale d’en décider ? En at-tendant, les destouriens ne s’avouent pasvaincus, ni évincés…

Avenue Mohamed V, mi-janvier2011, l’imposant local duRassemblement Constitutionneldémocratique, RCD, est attaquépar une foule en colère. L’un dessymboles de l’ancien régimes’effondrait. Lors desmanifestations précédant lachute, la population scandait,entre autres «À bat le partidestour !» (yaskout hezbeddestour). Ensuite, le RCD a étédissous par décision du tribunalet personne à cette époquen’imaginait un jour qu’un retourdes personnalités les plusconnues du parti ne seraitpossible. Personne, hormisquelques-uns de ses dirigeantspour qui cette sortie de scèneconstituait une injustice…Aujourd’hui, de nombreusespersonnalités ont fait ou font leurretour et, loin d’être un retourtimide, c’est un retour presquetriomphal. La porte du retourn’est d’ailleurs pas celle du RCD,mais plutôt du Destour, unhéritage national de presqu’unsiècle… En effet, certainesd’entre elles n’ont fait qu’un courtchemin avec le parti de l’ancienrégime et étaient là depuis bienavant 1987, d’autres, par contre,occupaient des postes clésjusqu’à la veille de la chute…

Que veulent les Destouriens ?

Échiquier politique

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du 21 au 27/11/2013- N°1456 - RéAlités - 9

ActuelEN COUVERTURE

Le retourOn est en mesure de se demander avant deparler d’un retour en bonne et due forme siles destouriens, anciens militants du PSDou membres du RCD, avaient vraiment dis-paru de la scène politique. Au lendemain de la Révolution et jusqu’auxélections du 23 octobre et la montée, sur-prise, d’Al Aridha Chaâbia, ils étaient fortsprésents dans les analyses politiques du Tu-nisien. On les accusait de tous les maux :incendies, attaques de postes de police, volsd’armes, magouilles politiques, politique dela terre brûlée, faire monter Al Aridha… Onne peut faire la part du vrai et du faux danstoutes ces théories, on ne peut trancherquant à leur responsabilité, mais on constateque le Tunisien refusait en quelque sorte de«laisser partir» le spectre de celui qu’ilconsidère comme l’origine de la déchéancede ses conditions socioéconomiques et desa frustration politique. Présents par ailleurs à l’ANC depuis lesélections du 23 octobre au sein du parti AlMoubadara, on ne peut alors parler d’ab-sence totale des destouriens de la scène po-litique. Des personnalités comme KamelMorjane et Baji Caïd Essebsi se sont vitedéclarées prêtes à continuer à servir leurpays et n’avoir aucune raison de se retirer.Néanmoins, il semblerait que la stratégiepolitique des quelques destouriens présentsdepuis plus de deux ans sur la scène ait plu-tôt été la position de la «non position».Jusque-là, ils ont travaillé dans le pragma-tisme et la discrétion, loin de la polémiqueet des déclarations médiatiques pouvantfaire des vagues. Une autre personnalité a toujours suscitél’intérêt : Hamed Karoui. On lui prête unrapprochement avec Ennahdha. Certainesinterprétations vont jusqu’à lui prêter lamission de détruire le camp destourien.Cela reste du domaine de la spéculation.Mais, ayant un fils islamiste, l’ancien pre-mier conseiller de Ben Ali, qui s’est vuévincer dans les années 90 avec l’ascensiond’Abdelaziz Ben Dhia et de Kamel Ltaief,a déjà eu des soucis avec l’ancien régime à

cause del ’ a p p a r t e -nance de sonfils à la mou-vance isla-miste. Mais la po-pularité deHamed Ka-roui, commeleader poli-tique, vientsurtout dusecteur dufootball. Avec lui,l’Étoile spor-

tive du Sahel a remporté plusieurs titres eten Tunisie ce sport «peut tenir les gens enliesse». Aujourd’hui, des politiciens commeSlim Riahi suivent la même stratégie poli-tique en ajoutant les médias au football…Aujourd’hui, il fait un réel retour en décla-rant constituer un parti et de destouriens. Leconflit qui s’annonce est qu’il «puise» sespotentiels militants chez les autres partisdestouriens. Cela dit, on ne peut trancher,malgré le rapprochement apparent, d’uneéventuelle coalition entre Ennahdha etHamed Karoui. Il est ainsi évident que le retour d’un grandnombre de destouriens ne se fait pas d’unefaçon homogène et en un seul clan ou parti.D’un côté, la naissance du parti NidaaTounes fondé par Béji Caïd Essebsi a étéconsidéré comme le retour en force des des-touriens. Or, et même si l’on compte parmises rangs de nombreuses personnalités et denombreux leaders ayant appartenu au PSDet au RCD, Nidaa Tounes, n’est nullementle parti destourien par excellence puisqu’ilcompte également des non destouriens etqu’il se déclare comme étant un mouve-ment ouvert à tous. Notons ici que le Néodestour a été depuis sa naissance un mou-vement plus qu’il n’a été un parti et qu’ilavait aussi rassemblé des militants de toutesles écoles et nuances politiques, de lagauche à la droite en passant par le panara-bisme. Aujourd’hui, outre le fait que Nidaa Tounesse déclare ouvert à tous, il est considérécomme le parti des leaders tunisois. Il estcertes difficile en théorie de concevoir leschoses ainsi, mais dans un pays comme lenôtre où régionalisme et clanisme sont an-crés, l’appartenance à une région influencefortement le choix du leader et du parti au-quel on adhère. Au sein de Nidaa Tounes,on parle déjà de conflits entre les différentscourants qui le constituent, notammententre militants de gauche, syndicalistes etdestouriens. Il existerait alors, selon le témoignage d’unmilitant dans un parti destourien sous cou-vert d’anonymat, un conflit entre destou-

riens sahéliens et sfaxiens qui, pour la pre-mière fois dans notre histoire «politico-ré-gionaliste», travailleraient ensemble. Ilsemblerait également que c’est la créationde Nidaa Tounes, parti des «Baldya» quiaurait suscité cette coalition. D’un autre côté, on a vu se réaliser le 1erseptembre passé une fusion entre quatrepartis destouriens : la Patrie libre, présidépar Mohamed Jegham, Al Moubadara, deKamel Morjane, le Parti de l’Unité et de laRéforme, d’Ezzedine Bouafia et Zarkaa AlYamama, de Taoufik Hamza. La fusion adonné naissance à «l’Initiative nationaledestourienne». C’est le plus grand rassem-blement de destouriens sur la scène poli-tique actuelle. On peut alors parler d’unretour «dans les règles de l’art»… D’ail-leurs, le front essaye aujourd’hui «d’attirerles destouriens de Nidaa Tounes.» Est-ce le phénix qui renaît de ses cendres ?Quel envol prendra-t-il et quels horizonscompte-t-il «conquérir ?» Nous avons contacté deux des leaders del’Initiative nationale destourienne : Mes-sieurs Mohamed Jegham et Kamal Mor-jane. Éventuelles alliances, potentiel,objectifs… Entretiens.

Mohamed Jegham Ministre du Tourisme et de l’artisanat en1988, de l’Intérieur en 95, ministre-direc-teur du cabinet présidentiel en 97 et minis-tre de la Défense nationale en 1999, il aintégré le gouvernement depuis l’ère Bour-guiba et est par ailleurs tombé en disgrâceà l’époque de Ben Ali, connaissant une tra-versée du désert ayant duré dix ans. Il futtout d’abord nommé ambassadeur à Rome,puis à Pékin en 2001, nomination qu’ilconsidéra comme un exil. Ayant demandé à l’ancien président de fixerdes limites à sa famille, Mohamed Jeghama ensuite «critiqué», devant témoins, les ré-sultats des élections et leurs taux de 99%.Sa présence au sein du parti le RCD futalors, depuis sa nomination à Rome,presque fictive, jusqu’aux élections de 2003où il quitte définitivement le bureau.«Suite au 14 janvier et à la dissolution duRCD, il fut regrettable que les destouriensse soient terrés et éloignés de la scène. J’aipensé qu’il fallait rester présent, avoir lecourage de reprendre les rênes, pas du pou-voir, car les choses ont changé, certes, maisil fallait rester dans la politique», explique-t-il.Mohamed Jegham nous parle des senti-ments d’injustice et de frustration ressentisau lendemain du 14 janvier et aux accusa-tions à l’encontre des destouriens. «Après tout, les destouriens, qui sont aunombre de centaines de milliers ont réaliséune œuvre. Cette réalisation a commencéavant Bourguiba et englobe l’Indépen-dance, la place de la femme, le planning fa-

Hamed Karoui

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Actuel

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milial, les principes d’ouverture de Bour-guiba. Toute cette œuvre pouvait se perdrepetit à petit», souligne Mohamed Jeghamavant de parler de « la famille destou-rienne» et de son rôle : «Il existe une grande famille. Les hommeset les femmes qui ont construit l’État de-vraient continuer à le faire et il serait dom-mage qu’ils ne soient pas là. Ce sont desbâtisseurs, ils savent construire. Ne pas pro-fiter de leur expérience dans la constructionde l’État serait une perte.»Mais qui dit famille, dit cohésion, apparte-nance, alliances et éclatements… À cela, ilrépond : «la coalition n’a pas tout à faitréussi avec quelques petits partis destou-riens. Néanmoins, il existe une tentative decoalition avec le parti de Hamed Karouid’un côté et nous essayons d’attirer la partiedestourienne de Nidâa Tounes. Il est proba-ble que nous soyons ensemble sur les listesélectorales.»Il nous explique par ailleurs que «la diffé-rence entre Hamed Karoui et Béji Caîd Es-sebsi est que le premier se concentre sur lerassemblement des destouriens dans sonparti, alors que Béji Caïd Essebsi se voit leleader de destouriens et de non destouriens.Et tant qu’il est là avec son charisme, il n’yaura pas de problème de cohérence, mais jene sais ce qui va se passer. On est intéressépar la partie destourienne du Nidâa, ils sontvenus nous voir et on pourrait être ensem-ble le moment venu, sur des listes com-munes par exemple.»Les choses ne semblent pas être simplesavec les non destouriens, puisque selonMohamed Jegham, les choses sont beau-coup plus faciles avec Hamed Karoui quine compte avec lui que des destouriens. Lacause en est que dans Nidâa Tounes il y aceux qui «ne veulent pas apparaître au côtédes destouriens». Et il insiste «J’espère quele moment venu nous serons tous ensemble,car l’esprit de famille est là.» Concernant les éventuelles alliances et sioui ou non ils pourraient s’allier à Ennah-dha, il nous répond «Je construis maconception de la coalition sur le modèle desociété beaucoup plus que sur l’apparte-

nance à des régions.Il ne pourrait y avoirde coalition avecEnnahdha vu la di-vergence de nosprojets sociaux.Quant au parti deHamed Karoui, il ya certes eu des tenta-tives de rapproche-ment, mais cela n’arien donné. Nous luiavons proposé laprésidence du parti,mais des personneslui ont conseillé de

fonder un nouveau parti. Nous savons néanmoins qu’il est unhomme sage et qu’il ne compte pas établird’alliance avec Ennahdha, les pourparlerscontinuent avec lui. Au bout du compte, lesdestouriens se retrouverons et des effortssont à déployer à partir de maintenant poureffectuer notre retour sur le devant de lascène. Il faut évidement que les nuages sedissipent, nous avons construit plus qu’unÉtat. Il est nécessaire que nous soyons ensembleau moment des élections. Pour cela, il fautbeaucoup de travail et la constitution desbureaux régionaux, il faut également del’argent et de la communication.»Quant aux priorités et aux projets une foisle retour accompli, Mohamed Jegham nousexplique que la première chose à faire estde sauver le pays et de trouver une solutionà cette période difficile sur les plans sécuri-taire, environnemental, économique et so-cial. «Il faut un projet de la société. Où on va ?Qu’est-ce qu’on construit ? Une société ou-verte et laborieuse plus proche de l’Occi-dent!», précise-t-il. Concernant le dialogueil souligne «Il existe un espoir minime dansle dialogue national. Depuis le début il y ades différends dans chaque détail. La chosela plus importante aujourd’hui est d’arriveraux élections ; fixer la date, constituerl’ISIE, finir la Constitution, instaurer la loiélectorale. Le deuxième point consiste enles personnes qui sont au pouvoir mainte-nant : ce qu’ils font est antidémocratique.Dans les pays démocratiques, ceux qui sontdans l’administration sont neutres. Ce quise fait maintenant est très grave ; nomina-tions de délégués, de gouverneurs,«d’omda». Ils vont être au service du partiau pouvoir.»«Et quelles sont les ambitions politiques,comment se déroule le retour ? » « Au débutc’était le désert. Les destouriens avaientpeur après le 14 janvier. Aujourd’hui nousvoulons revenir sur le devant de la scènepolitique. Il faut que les nuages se dissipent,car ils ont mis tous les destouriens dans lemême sac et on nous a accusés de tous les

torts. Seulement il faut bien regarder lepassé avant de s’en couper. Nous avonsconstruit ce pays et il ne faut pas couper labranche sur laquelle on est assis. Il n’y aplus d’État et la situation va achever de dé-truire le pays. Beaucoup d’efforts sont à dé-ployer à partir de maintenant. Ce n’est pasgrave qu’on soit éparpillé en plusieurs par-tis. Le plus important est d’être ensemble lemoment venu, d’ici à la date des élections,il nous faut beaucoup de travail, constituerles bureaux régionaux, il nous faut de lacommunication, de l’argent – qui est le nerfde la guerre. Aujourd’hui, les choses ne sontpas faciles mais on est prêts pour cela.» Et de conclure «Il y a des gens qui se de-mandent où est-ce qu’on va. Ma réponse estmitigée. On ne peut pas à court terme êtreoptimiste, on ne peut pas changer la situa-tion en quelques semaines, mais je reste op-timiste à moyen et à long termes : on nepeut rester longtemps dans cette situation.»

Kamal Morjane Destourien depuis son adolescence, iladhère au Néo-Destour alors âgé de qua-torze ans. À la faculté de droit, il est prési-dent de la cellule du Parti socialistedestourien et Secrétaire général du Bureaunational des étudiants destouriens. KamalMorjane a également été élu membre de lacommission administrative de l'Union gé-nérale des étudiants de Tunisie, UGET.En 1996, il est nommé ambassadeur et re-présentant permanent de la Tunisie auprèsde l'Office des Nations unies à Genève. En2005, il a été ministre de la Défense et aprèsle 14 janvier, il est nommé, pour une courtepériode, chef de la diplomatie tunisienne. Concernant le positionnement des destou-riens aujourd’hui, Kamel Morjane nous ré-pond «on a été parmi les premiers partis àannoncer dès le départ notre référencementet appartenance destourienne. Avec Moha-med Jegham et Mohamed Friâa, nous avonsété le deuxième parti à apparaître sur lascène en réclamant la référence bourgui-bienne destourienne. Ce parti ne doit néan-moins pas être seulement constitué dedestouriens ou d’anciens. Aujourd’hui, la situation est différente dansla mesure où entre-temps il y a une ving-taine de partis qui se proclament destou-riens.Les Tunisiens, même ceux qui n’étaient pasdestouriens, s’identifient inconsciemmentaujourd’hui au passé, surtout en comparantle choix sociétal. La famille destourienne est un peu commetoutes les autres familles. Elle est certaine-ment en train de connaître des changementset elle se développe, même si elle reste trèsdivisée. Si ceux qui sont censé être des lea-ders historiques avaient pu se mettre d’ac-cord pour réunir cette famille… À monavis, on ne peut imaginer la scène politique

Mohamed Jegham

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EN COUVERTURE Actuel

tunisienne sans une présence de la sensibi-lité destourienne quelle que soit l’évalua-tion qu’on doit faire d’au moins 70 ansd’existence. On peut même aller avant1920, date de la création du néo-destour, enremontant jusqu’à 1908 avec les jeunes tu-nisiens, car Abdelaziz Thâalbi appartenaità ce groupe avant de créer son parti. C’estune école réformiste, moderniste pourl’époque, même si Bourguiba avait donnéun ton nouveau au modernisme, maisc’était une continuité, une formation, unautre apport européen qui n’existait pas en1920. Cette évolution s’est faite en fonctionde la scène internationale ; les années 60,avec l’expérience des coopératives, nousavons eu une adaptation tunisienne d’un so-cialisme national. Le parti aurait pu continuer même avec lemême nom, mais après 87, il aurait pu opterpour autre chose tout en gardant cette réfé-rence destourienne y compris dans sonnom.» Kamal Morjane nous fait alors une lectureet une évaluation de plus de 70 ans d’exis-tence: «Les destouriens doivent faire leur lecturede ce qui s’est passé, y compris l’autocri-tique, ça n’a pas été fait d’une façon métho-dique.La grande réalisation ; la lutte nationale etl’Indépendance, personne ne peut contesterque le rôle principal a été joué par le Néo-déstour, même s’il y avait d’autres forcesqui y ont contribué.La coopérative était une façon de voir l’éco-nomie tunisienne et a été ensuite corrigée,comme partout dans le monde. S’il y a unedistinction à faire entre destourien et autre,bien qu’on ne soit pas les seuls détenteursdu nationalisme, un destourien se réfère es-sentiellement à la Tunisie, il existe ceux quise réfèrent au nationalisme arabe. Lagauche à l’époque avait une référence inter-nationale qui va au-delà de la référence tu-nisienne. La spécificité des destouriens estleur référence exclusivement tunisienne etcette école existe toujours. Chez ceux quiont milité avec Bourguiba et qui sont encoreen vie et aussi avec les nouvelles généra-tions.Au moment de l’Indépendance, la popula-tion tunisienne était au même niveau démo-graphique que la Syrie, aujourd’hui, ils sont23 millions d’habitants, nous en sommes à11. Si ce n’était cette initiative courageusedu planning familial.» Quant aux erreurs commises, il nous répond«On peut parler de démocratie et de liberté,mais, là aussi, il faudra se baser sur lecontexte mondial et le contexte local quandon fait une lecture de l’histoire. Dans les années 50 et 60 le problème étaitun problème d’indépendance, d’autonomiedans le monde arabe, en Afrique ou mêmeen Asie. Le problème de la démocratie

n’était pas posé. En-suite ce fut le déve-loppement, pourconstruire un État, ilfallait lui donner lesmoyens.»«Et depuis les années80 ?» « Oui, j’essayede voir les choses parétapes, mais il estclair que les chosesauraient dû aller au-trement depuis unevingtaine ou une di-zaine d’années. Ondoit faire l’effortd’une lecture cri-tique.» Kamal Morjane nousexplique égalementles raisons de l’éclatement de la famille des-tourienne aujourd’hui et de l’éparpillementde ses adhérents : «Les faiblesses qu’a connues le Destoursont dues au fait d’être resté longtemps aupouvoir. On assume alors tout et on en payele prix. La personnalisation du pouvoir crée au seindu parti une sorte d’allégeance. On devientun peu comme une armée qui répond auxordres du général et il n’y a plus de possi-bilité d’ouverture pour le leadership. Après le 14 janvier, les destouriens se sonttrouvés en quelque sorte orphelins, mêmeceux qui pouvaient jouer le rôle du leadern’étaient pas préparés. Ce n’était pas facile en février 2011 de dire: je crée un parti et je reste fidèle à mes prin-cipes. Il ne faut pas être pressé, on aurait vouluque cela se passe autrement, d’une façonplus facile pour le citoyen. Je ne crois pasqu’il y aurait seulement 4 ou 5 partis si l’ontenait les élections l’année prochaine. Il fauts’attendre à une réforme concernant la for-mation d’alliances, mais non pas comme lesdémocraties anciennes. Il faudra du temps.» Quant à la responsabilité du régionalismedans l’éclatement des destouriens, auxpourparlers avec Hamed Karoui et la partiedestourienne de Nidaa Tounes et aux éven-tuelles alliances, Kamel Morjane nous ré-vèle :«L’élément régional existe, il ne faut pas lenier, il existe partout et c’est dommage, caril ne doit pas être un facteur clé dans lascène politique en Tunisie. Il ne l’est d’ail-leurs pas dans mon parti. Nous avons tou-ché d’autres régions que le Sahel lors desélections. Peut-être que le nom a joué auSahel à cette période et c’est normal, car lafamille est connue là-bas. Si nous avonsquelque chose à éviter c’est bien le régio-nalisme, il faut que les partis politiques sebasent sur leur programmes et non sur lesrégions.

Nous avons toujours dit qu’on se situait aucentre entre Ennahdha, parti de droite et lagauche avec toutes ses composantes. LeDestour a toujours été de centre et s’il aréussi, c’est parce qu’il a toujours rassembléplusieurs tendances même idéologiques, ca-pitalistes, socialistes, communistes… Il esttout à fait normal qu’on soit au centre etqu’on essaye d’avoir de bonnes relationsdes deux côtés.On était en contact avec Hamed Karoui, oncroyait qu’il allait jouer un rôle au sein duparti ; il n’y a néanmoins aucun contact for-mel et officiel pour constituer une alliance.Cela reste possible, les relations existent,elles sont bonnes et on verra selon l’évolu-tion de la situation. Cela n’est pas exclu,mais il n’y a pas de négociations pour allerjusqu’aux alliances. Aujourd’hui, ce qui nous intéresse, ce nesont pas les alliances, mais comment fairesortir le pays de la crise et on est prêt à col-laborer avec ceux qui ont la même attitudeposée de réconciliation nationale que nous.Si on peut jouer le rôle de conciliateur, onle fera.Nous pensons nécessairement à arriver à unpacte national, à un programme écono-mique et social commun. Il faut voir un peu plus loin, même très loinet si l’on veut sauver le pays c’est avec unprogramme d’au moins une décennie. Nousne sommes pas une démocratie établie.Nous sommes un pays qui ne peut pas êtredirigé avec 51% des voix. Il faudra qu’il yait une majorité qualifiée et substantiellepour que le gouvernement puisse gouver-ner.«Y a-t-il une possibilité d’alliance avec En-nahdha?», «Je ne fuis pas la question, maisce n’est pas le moment. Le premier objectifest de rassembler la famille destouriennequi doit se retrouver avec son expérience,ses compétences, sa lecture critique de cequi s’est passé.Notre alliance doit se faire avec ceux qui

Kamel Morjane

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Actuel

12 - RéAlités - N°1456 - du 21 au 27/11/2013

EN COUVERTURE

partagent avec nous le modèle social deBourguiba. Nous restons ouverts, sur lagauche ou la droite. Je ne suis pas de ceuxqui croient que la Tunisie va être partagéeen deux surtout pas en destouriens et isla-mistes, la gauche sera toujours là et repré-sentative d’une philosophie qui a toujoursexisté.»À cause de sa longue expérience dans lesconflits internationaux, nous lui avons de-mandé si l’on était à la veille d’un conflitinterne ? Il nous répond :«On n’en est pas encore là, ma position estposée, car j’ai vécu des conflits réels, monévaluation reste optimiste même si je suisinquiet. L’État tunisien existe toujours et jepense que c’est grâce à ce que Bourguiba et

les destouriens ont fait. On a un État fort,j’espère que ceux qui sont aujourd’hui aupouvoir arrivent à sauver l’État. J’ai vécul’Afghanistan, le Rwanda, la Somalie… jene pense pas qu’on soit aujourd’hui danscette situation et on en est très loin s’il y aune prise de conscience de la part de ceuxqui veulent aider ce pays et arriver à une ré-conciliation nationale. Je reste optimiste, l’optimisme de la vo-lonté. On n’a pas le choix, on doit vivre en-semble, sans exclusion, et je ne parle pas del’exclusion des destouriens. La réconcilia-tion doit se faire sur une base solide, sur lerespect de l’autre en laissant la justice faireson travail. Je vous cite l’expérience française de la IVe

république : les gouvernements se faisaientet défaisaient tous les jours. C’est unegrande instabilité pour un pays comme lenôtre et ce n’est pas le même environne-ment qu’a vécu la France au lendemain dela guerre mondiale, mais on doit toujours secomparer à des pays ayant une démocratie. Les problèmes de démocratie et de liberténe se poseront plus si on s’effondre écono-miquement. Merkel va constituer un gou-vernement de coalition avec le SPD, c’estun exemple qu’on doit considérer.Les destouriens qu’on attaque ont au moinspréparé le peuple à être démocrate, mêmes’ils n’ont pas préparé la démocratie.»

Hajer Ajroudi

Le RCD est une erreur historiqueUn aperçu historique de l’évolution et du rendement du partidestourien ?

Il faut distinguer deux volets d’un point de vue épistémologique :celui des structures et des personnes d’une part et le volet des pro-grammes et du contenu, d’autre part. Il existe les idées politiqueset les faits politiques. Je préfère parler de ce courant politique dans la situation actuelleet dans les possibilités d’avenir. Il est inutile de rappeler que le partidestourien de Bourguiba - je ne parle pas du comité exécutif anté-rieur à 1934 - a créé l’unité du peuple tunisien. Il a inculqué la no-tion de l’État, en atténuant autant que possible l’appartenanceclanique. Il a donné à la jeunesse tunisienne un avenir, il a agi selon une vi-sion d’avenir et d’un programme d’actions pour la réaliser. Au-jourd’hui, le peuple a un État, donc on n’a pas besoin d’en créerun, mais de le consolider. Le peuple tunisien, par contre, traverse une période d’incertitude,d’opacité et de manque de visibilité par rapport à l’avenir et je croisque le rôle fondamental d’un parti politique qu’on veut ressusciterou dont on veut assurer la continuité est de donner à la générationactuelle de Tunisiens un projet d’avenir. Ce projet doit se caracté-riser par deux facteurs essentiels, de rupture et de continuité. La rupture doit s’opérer sur le plan politique, concernant le modede gouvernance et le modèle de société, c’est-à-dire le modèle devie. La continuité répond à l’exigence logique qu’aucun avenirn’est vivable sans un passé sur lequel il s’appuie et dans lequel ilpuise les valeurs fondamentales de son identité. L’identité s’appuiesur les trois facteurs classiques : la religion (la foi), la croyance, lalangue et l’histoire. Monroe a ajouté un quatrième facteur : la vo-lonté de vivre ensemble, de bâtir un avenir commun. La continuitédu projet destourien réside justement dans l’attachement qu’il fautmaintenir avec ces valeurs d’identité. Amine Maalouf, a écrit Les identités meurtrières, un ouvrage trèsréfléchi dans lequel il évoque une certaine conception de l’appar-tenance religieuse dans les sociétés arabes modernes. Je crois queles peuples tunisien, égyptien, syrien et autres, sont en train de re-vivre la tragédie de l’identité meurtrière, car les fruits des révolu-tions opérées depuis 2011 s’avèrent dans un certain sens être desfruits amers. La conception que le parti à tendance salafiste se faitde l’État et du modèle de société est une conception atemporellesituée en dehors de l’histoire, en contresens de la logique fonda-mentale de l’évolution et de la loi de l’évolution culturelle, écono-mique et sociale de toute société.Leur expérience a, de ce fait, échoué dans la responsabilité assuméeà la tête des États tunisiens et égyptiens.La philosophie du Destour, depuis ses origines jusqu’à la dispari-tion de sa présence politique, réside dans une attitude rationnelle

et rationnalisante à l’égard desattributs de l’identité.Ceci doit être considéré commedes leviers et non comme desfreins, comme une provision derationalité et de spiritualité etnon comme une déification ousacralisation d’un salafisme at-tardé. Quelles sont les erreurs commises par le Destour ?

Le RCD n’est pas une continuité du Néo-destour, c’est une erreurhistorique, voyez-vous. La politique, n’est jamais séparable de lamorale et dans l’introduction d’Ibn Khaldoun, il y a des pages per-tinentes sur le lien fonctionnel entre morale et politique. Le partidestourien était un parti à connotation morale parce qu’à sa tête trô-nait un homme doué d’une profonde moralité, Habib Bourguiba,mais le RCD est un parti d’aventures, d’aventuriers politiques etéconomiques. Si les destouriens se mêlent aujourd’hui dans la ba-taille politique qui se joue dans notre pays, ils doivent se conformerà la loi de la moralité de ses anciens dirigeants. Je crois que dansl’arêne politique où se joue la bataille du pouvoir, le succès sera ducôté de ceux qui sauront faire valoir à l’opinion des Tunisiens etdes Tunisiennes des valeurs morales plus que des compétences po-litiques. Or la rumeur persiste dans l’opinion publique, aujourd’hui,de la perversité d’un nombre considérable de dirigeants politiquesappartenant à des partis prédateurs qui considèrent que l’activitépolitique est une bonne occasion pour faire fructifier les avantagespersonnels ou familiaux. Ensuite et c’est l’essentiel, il importe deprésenter à l’opinion un programme, une vision d’avenir qui puisseêtre mobilisatrice des énergies de la jeunesse tunisienne, car la po-litique, autant que la nature, a horreur du vide, et je crois que notrepays traverse une période de vide aussi bien politique que culturel(dans le sens le plus large de ce mot.) Chacun peut jouer un rôle à la mesure de son énergie, mais le rôleest voué à avoir une permanence et une durée dans l’avenir. Il y ades rôles éphémères même s’ils durent 20 ans et il y a des rôleschargés de fruits et d’espoirs d’avenir même si l’expérience a étédécevante. Parmi la génération des destouriens, ceux qui se récla-ment du Destour dans sa forme initiale ou dans sa continuité duRCD, ne sont pas à pied d’égalité. Il y a les promus au succès et ily a les retardataires. Je crois que seule l’authenticité saura sauverun être qui a des intentions sincères et authentiques et qui a la ca-pacité d’être humble et de s’effacer devant la tâche et la consciencepublique. Seul celui-là peut sauver ou apporter quelque chose, lesretardataires qui prennent le train à la dernière minute sont desatomes éphémères et seront condamnés à l’oubli.

H.A

Mustapha Filali