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INSTITUT SUPÉRIEUR DE RÉÉDUCATION PSYCHOMOTRICE 9 bis, rue du Bouquet de Longchamp 75116 PARIS PSYCHOMOTRICITÉ AU CAMEROUN: QUELQUES SPÉCIFICITÉS Mémoire présenté par : CHATOT Lauriane En vue de l’obtention du diplôme d’état de psychomotricité Maître de Mémoire : Emilie Baudet, Philippe Scialom Juin 2011

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INSTITUT SUPÉRIEUR DE RÉÉDUCATION PSYCHOMOTRICE 9 bis, rue du Bouquet de Longchamp – 75116 PARIS

PSYCHOMOTRICITÉ AU CAMEROUN:

QUELQUES SPÉCIFICITÉS

Mémoire présenté par :

CHATOT Lauriane

En vue de l’obtention du diplôme d’état de psychomotricité

Maître de Mémoire : Emilie Baudet, Philippe Scialom Juin 2011

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REMERCIEMENTS

A Emilie BAUDET, maître de mémoire et de stage qui m’a guidée et m’a fait

partager sa rigueur, ce qui s’est avéré extrêmement utile tout au long de l’élaboration

de ce mémoire.

A Philippe SCIALOM, maître de mémoire et tuteur du projet extra-académique au

Cameroun, qui m’a encouragé et soutenu dans ce travail, malgré son emploi du temps

chargé.

A Françoise SELMI pour toutes ses connaissances et références bibliographiques.

J’espère que nous aurons d’autres occasions de discuter de la psychomotricité à

travers nos voyages.

A Sœur Catherine Dominique NGO NGUE, directrice de l’IPPR, sans qui ce projet

n’aurait peut être jamais vu le jour. Sa ténacité et son courage permettent à cette

école de vivre et de se développer. Merci à son accueil chaleureux.

A Sophie LIMOUZIN, mon binôme et amie avec qui j’ai découvert le Cameroun pour

la première fois.

A Delphine, Adeline et François pour ce séjour au Cameroun, pour ces aventures

animalières et leur soutien.

A Gaëlle, pour sa relecture pertinente et son aide.

A toute l’équipe pédagogique de l’IPPR et les psychomotriciens camerounais pour

leur accueil, leur hospitalité et leur participation à ce projet.

Et bien sûr, ceux sans qui tout ce travail n’aurait eut aucun sens, tous les étudiants

de l’IPPR qui m’ont communiqué l’amour de leur pays et de leur culture. Ils m’ont fait

découvrir leur psychomotricité. Merci pour tous ces bons moments, en espérant qu’il y

en aura d’autres.

A tous mes proches pour leur soutien inconditionnel et indispensable. Merci de

m’avoir soutenue cette année.

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RESUMÉ

La psychomotricité se développe à travers le monde, c’est un fait incontestable.

Peut-on pour autant parler d’ethno-psychomotricité ?

En retraçant les sept ans d’histoire de cette discipline naissante au Cameroun,

nous interrogeons les intérêts de son implantation dans un pays encore fortement

attaché à des traditions et à une culture qui diffèrent tant de ce que nous connaissons

en France. Les particularités africaines de la relation au corps, de la perception du

temps ou de l’espace, de la conception du soin influencent-elles fondamentalement la

pratique professionnelle ? Les interactions entre les étudiants français intervenant au

Cameroun et les Camerounais, étudiants ou professionnels ont-elles du sens compte

tenu de ces différences ? Contribuent-elles à développer « LA » psychomotricité ou

« des » psychomotricités ?

MOT CLÉS : Ethno-psychomotricité – Cameroun – corps et culture – recherche – temps –

espace – médiations – indications – pluridisciplinarité – enseignement

ABSTRACT

It is a widely acknowledged fact that psychomotricity is developing on a

worldwide scale, but can we really describe this trend in terms of ethno-

psychomotricity?

Looking back on the brief history of a field that emerged only seven years ago in

Cameroon, we can question the relevance of its setting up in a country that is still so

strongly tied up to tradition and within a culture that so greatly differs from ours in

France. Do the African specificities, in terms of people’s relationship, to their body,

their perception of time and space, and their approach to care have an impact on

professional practice? Taking those cultural differences into account, how does it make

sense to have French students interact with students and professionals from

Cameroon? Does it contribute to developing psychomotricity as a whole or rather

various “psychomotricities”?

KEYWORDS: Ethno-psychomotricity – Cameroon – body & culture – research –

time – space – mediation – indication – interdisciplinarity – teaching

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I

Avant-propos

Je propose ici, quelques pistes qui expliquent le choix de ce thème de travail et la façon

dont il a été écrit. En effet, certains éléments de ma vie personnelle entrent en jeu dans ce

travail mais n’ont pas lieu d’être cités dans le protocole de rechercher ni même au sein du

texte.

Au début de la formation en psychomotricité, j’ai, tout comme l’ensemble des

étudiants, adhéré à un Projet Extra-Académique (PEA)1. Dès la première année, nous avait

été présenté ce fameux « PEA Cameroun ». Etant une amoureuse inconditionnelle de

l’Afrique, il m’était impossible de manquer une telle occasion… C’était décidé, je ferais partie

du PEA Cameroun ! J’ai passé toute mon enfance et une partie de mon adolescence, soit

douze années, en Côte d’Ivoire. Rentrée en France suite aux évènements politiques de 2004,

je n’attendais qu’un prétexte pour retourner à Abidjan (capitale économique de la Côte

d’Ivoire), voire en Afrique centrale ou en Afrique de l’ouest. En outre, j’ai toujours eu à cœur

de m’engager dans une mission humanitaire. Ce PEA me permettait donc de répondre à mes

envies tout en restant proche d’une activité préprofessionnelle relative à la psychomotricité.

C’est lors de mon premier voyage à Douala, en février 2010, et de ma toute première

intervention auprès des étudiants de première année à l’Institut Panafricain de

Psychomotricité et de Relaxation (IPPR) que j’ai saisi toute l’importance de la culture

traditionnelle dans la pratique psychomotrice. En effet, ma collègue et moi proposions aux

étudiants de faire passer les épreuves de ballant et d’extensibilité par deux, quand nous

avons observé de surprenantes réactions de leur part. Nous avons alors compris que la place

du corps au Cameroun n’était visiblement pas la même qu’en France. Puis très vite, nous

nous sommes aperçues qu’il en était de même pour les rapports homme/femme et le

toucher. Le dépaysement et la confrontation à cette nouvelle culture se sont prolongés tout

au long du séjour.

Malgré toute notre bonne volonté et mon expérience personnelle de l’Afrique, nous

avons compris que nous étions arrivées avec de nombreux préjugés sur les relations

humaines, professionnelles ou non, qui tout au long du séjour sont tombés les uns après les

1 PEA : projet extra académique. Projet déjà existant ou à créer auquel chaque étudiants est tenu d’adhérer en début

d’année scolaire. Les thèmes sont variés : recherche, promotion de la psychomotricité ou projet d’aide national ou international. Chaque PEA est coordonné par un psychomotricien professionnel. Les étudiants sont évalués sur un dossier écrit ainsi qu’une soutenance oral en fin d’année scolaire.

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II

autres. En effet, après douze ans de vie en Côte d’Ivoire, j’avais inconsciemment fait un

raccourci en considérant que le Cameroun et la Côte d’Ivoire ne devaient pas être bien

différents. Après tout, cela restait l’Afrique…

Pendant la mission, nous étions hébergées au sein même du bâtiment administratif de

l’IPPR. L’école fait partie d’une congrégation de religieuses qui accueille dans son enceinte

un « collège » (en réalité, un collège et un lycée, donc des jeunes de la 6e à la terminale). Ces

jeunes sont en classe toute la semaine et assistent à la messe le samedi et/ou le dimanche. Il

y a donc en permanence du passage, du bruit et du monde autour du bâtiment dans lequel

nous dormions. Après quelques jours difficiles, nous nous sommes pleinement adaptées à

cette vie en collectivité. Ayant grandi dans une culture africaine, j’ai rarement été seule et

suis donc habituée à me déplacer pour provoquer la rencontre et la discussion avec les gens.

A Douala, il en est allé de même : les étudiants restaient discuter jusqu’à tard avec nous. Au

cours de ces voyages, j’ai tissé des liens amicaux avec certains d’entre eux. Il a fallu faire un

effort commun afin de rétablir une distance de chercheur pour ne pas créer de conflit

d’intérêt pendant le travail de recherche.

Lors de mes séjours à Douala, j’ai essentiellement côtoyé des étudiants et des

professeurs, jeunes adultes ayant tous au minimum le baccalauréat. Lors de mon premier

séjour, mon binôme et moi-même échangions avec les étudiants de l’IPPR autour des cours

de psychomotricité qui nous étaient dispensés à Paris. J’ai été impressionnée par les facultés

d’adaptation dont devaient faire preuve ces étudiants face à ce que nous leur apportions.

Lors de cet échange, à l’occasion du PEA et de l’association, j’ai réellement pris conscience

qu’il nous était impossible d’apporter une psychomotricité directement adaptée à la culture

camerounaise. C’est précisément ce travail d’adaptation de la part des étudiants et des

nouveaux professionnels qui a éveillé mon intérêt. Pour Moi, cela a été je pense, l’élément

déclencheur de ce travail.

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SOMMAIRE

Introduction …………………………………………………………………………………p.1

Bases théoriques et culturelles

I°) LA PSYCHOMOTRICITÉ EN France…………………………………………………………….…. P.2

1) Bases historiques ……………………………………………………………………………………….p.2

a. Qu’est-ce que la psychomotricité ?........................................................p. 2

b. Histoire du concept de psychomotricité……………………………………………. p. 3

2) Quelques points importants de la psychomotricité occidentale……………..…….p. 6

a. Le temps…………………………………………………………………………………………… p. 6

b. L’espace…………………………………………………………………………………………….. p.8

c. Les différents types de médiations ……………………………………………………p.11

d. Les différentes indications, population et pathologies …………………….p. 14

e. L’équipe pluridisciplinaire………………………………………………………………… p.16

II°) LA PSYCHOMOTRICITÉ AU Cameroun……………………………………………………… p. 18

1) Présentation du Cameroun………………………………………………………………………… p.18

2) Quelques points importants de la psychomotricité au Cameroun……………… p. 19

a. Le temps………………………………………………………………………………………… p. 19

b. L’espace …………………………………………………………………………………………..p.20

c. Les différents types de médiations………………………………………………… p. 21

d. Les différentes indications, population et pathologies ……………………p. 22

e. L’équipe pluridisciplinaire………………………………………………………………. p. 22

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3) Histoire et développement de la psychomotricité au Cameroun……………….. p. 22

a. Création de l’IPPR………………………………………………………………………….. p. 22

b. Le partenariat avec l’ISRP et l’OIPR depuis quatre ans …………………….p. 23

c. Reconnaissance ministérielle p. 26

Recherches sur le terrain

I°) DONNÉES OBSERVÉES……………………………………………………………………………… p. 28

1) Observations générales ……………………………………………………………………………..p. 28

a. Attitude générale…………………………………………………………………………… p. 28

b. La relation au corps……………………………………………………………………….. p. 29

c. Un exemple de parcours typique et confus……………………………………. p. 31

d. L’enseignement de la psychomotricité au Cameroun…………………….. p. 34

e. Terrain de stage……………………………………………………………………………… p.37

2) Implantation de la psychomotricité…………………………………………………………… p. 39

3) Difficultés, embûches, problèmes rencontrés…………………………………………….. p.40

II°) DONNÉES ISSUES DES QUESTIONNAIRES, étude réalisée à Douala…………. p. 41

1) Méthodologie…………………………………………………………………………………………… p. 41

2) Outils : questionnaire………………………………………………………………………………… p. 42

3) Protocole…………………………………………………………………………………………………… p. 43

4) L’exposé des résultats……………………………………………………………………………….. p. 44

a. Les étudiants français…………………………………………………………………….. p. 44

b. Les professionnels camerounais…………………………………………………….. p. 49

c. Les étudiants camerounais…………………………………………………………….. p. 52

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Analyse des résultats et discussion

I°) ANNALYSE DES RÉSULTATS Comparaison entre le cadre de la pratique

des étudiants français, camerounais et professionnels camerounais p. 56

1) Le temps……………………………………………………………………………………………………. p. 56

a. Le temps et les horaires…………………………………………………………………. p. 56

b. Le découpage des séances……………………………………………………………… p. 58

c. La durée et la fréquence des séances…………………………………………….. p. 59

d. Le bilan psychomoteur…………………………………………………………………… p. 59

2) L’espace……………………………………………………………………………………………………… p.60

3) Les indications et population……………………………………………………………………… p.62

4) Les outils…………………………………………………………………………………………………… p. 63

a. Le matériel…………………………………………………………………………………….. p. 63

b. Le transport du matériel………………………………………………………………… p. 63

c. L’achat du matériel………………………………………………………………………… p. 64

d. L’utilisation des médiations……………………………………………………………. p. 64

5) Le psychomotricien et l’équipe pluridisciplinaire………………………………………. p. 66

6) L’utilisation de prescription médicale………………………………………………………… p. 67

II°) QUESTIONS A DEBATRE SUR L’AVENIR DE LA PSYCHOMOTRICITÉ AU

Cameroun…………………………………………………………………………………………………………. p. 68

1) Questions et proposition de réponses ……………………………………………………….p. 68

2) Contexte de la centralisation des résultats, problèmes rencontrés …………….p. 71

3) Le devenir du partenariat ISRP/IPPR………………………………………………………….. p. 73

4) Système de santé camerounais : Est ce que l'état est prêt à laisser une place à

la psychomotricité ?...................................................................................... p. 75

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Conclusion………………………………………………………………………………… p. 78

Bibliographie

Annexes

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1

INTRODUCTION L’université d’été de l’ISRP et les fréquents congrès de psychomotricité mondiaux

montrent que celle-ci tend aujourd’hui vers un développement international. Il n’est

donc pas étonnant d’entendre parler de psychomotricité au Brésil, en Argentine ou au

Cameroun. Cependant, nous savons qu’en psychomotricité, l’individu comme le

thérapeute s’engage psychiquement et corporellement dans la cure. Les variables

interpersonnelles sont importantes. C’est pourquoi la psychomotricité est une

méthode adaptative et modulable en fonction de chaque patient et de chaque

thérapeute. Les différences culturelles ne sont plus à démontrer, nombre d’individus

vont en vacances à l’étranger pour se « dépayser », découvrir un nouvel

environnement, l’étudier, ou l’observer. Les ethnologues ont ramené des écrits du

monde entier décrivant chaque culture. Mais, si l’on ajoute les différences culturelles

aux variables interpersonnelles, il est légitime de se demander comment mêler

psychomotricité, culture et individualité. Ici, je choisis comme exemple le cas du

Cameroun, pays d’Afrique peuplé de plus de 250 ethnies avec néanmoins une identité

culturelle nationale marquée.

Au Cameroun, la psychomotricité a évolué au fil du temps, très rapidement

d’ailleurs. Quelle direction a-t-elle prise ? Tend-elle à se rapprocher de la pratique

occidentale ou au contraire à se spécifier par rapport à la culture locale ?

Je me suis demandé comment adapter l’enseignement d’une discipline occidentale

à une culture africaine camerounaise. Quelles spécificités peut avoir la psychomotricité

dans un pays d’Afrique encore fidèle aux médecines traditionnelles et à la religion ?

Comment les Camerounais s’approprient-ils cette nouvelle pratique ? Quelles sont les

spécificités de la psychomotricité camerounaise? Spécificités par rapport à quoi, à qui ?

Sans faire une étude comparative de la France et du Cameroun, deux pays si

différents, car ce n’est pas là l’objet de mon propos, je vais exposer les points

spécifiques qui m’ont interpellée lors de mes séjours au Cameroun par rapport à ce

que j’apprends de la psychomotricité en France. Ces spécificités vont s’orienter autour

de trois grands axes, la psychomotricité au niveau ministériel, au niveau de

l’enseignement et dans le cadre de la pratique professionnelle.

Aujourd’hui, les étudiants camerounais tendent-ils à se rapprocher des

pratiques occidentales ou au contraire intériorisent-ils les concepts psychomoteurs

pour les adapter à leur culture ?

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2

BASES THÉORIQUES ET CULTURELLES

I°) LA PSYCHOMOTRICITÉ EN FRANCE

Afin de mieux comprendre en quoi diffère la psychomotricité camerounaise de la

psychomotricité occidentale, je propose de redéfinir les bases de la psychomotricité

telles qu’elles sont conçues en Occident. En effet, si l’on veut savoir quelles sont les

spécificités camerounaises, il faut savoir à quoi les rapporter.

1) Les bases historiques

a. Qu’est-ce que la psychomotricité ?2

Il faut distinguer le concept de psychomotricité, qui a certes évolué dans le temps

mais qui reste stable, et la pratique psychomotrice telle qu’exercée par les

professionnels. Cette pratique peut être éducative, rééducative ou thérapeutique en

fonction du type de patient. Le travail des psychomotriciens se définit donc

différemment selon le champ d’intervention qu’ils ont choisi ou, tout du moins, selon

le terrain qu’ils ont trouvé pour exercer. C’est toujours par rapport au patient qu’ils

adaptent leur pratique. La médiation utilisée, toujours corporelle, varie aussi en

fonction du psychomotricien mais aussi de la personne dont il assure le suivi.

Le terme de psychomotricité est issu de plusieurs courants de pensées : la

psychologie et la psychanalyse, la neurologie et la psychiatrie, la philosophie et la

pédagogie. La profession est paramédicale. Elle s’engage sur trois grands axes :

l’éducation, la rééducation et la thérapie psychomotrice. On pourrait rajouter un

quatrième axe : l’évaluation et le bilan psychomoteur. C’est une profession à l’écoute

des manifestations psychocorporelles, traduisant une souffrance à la fois psychique et

corporelle. La spécificité du psychomotricien est qu’il intervient surtout dans les cas où

les patients utilisent peu ou pas le langage verbal. Il décrypte le langage corporel,

qu’on appelle communication non verbale, en observant attentivement la globalité du

sujet dans une relation ludique. La thérapie psychomotrice a pour objet de prévenir ou

de traiter l’altération du développement psychomoteur et de l’organisation

psychomotrice d’un patient à tous les âges de la vie. Le concept de psychomotricité,

bien qu’ayant évolué au cours de l’histoire, représente l’interaction permanente

existant entre le fonctionnement corporel et le fonctionnement psychique de la

personne.

2 Références au cours de Michel CROSNIER, 2009 à l’ISRP, non publié à ce jour.

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3

La spécificité de la psychomotricité est l’approche du vécu corporel et de la façon

dont le sujet l’utilise pour entrer en relation avec l’autre. Cette discipline manie les

concepts de schéma corporel, d’image du corps, d’émotion, de tonus, de perception,

de structuration du temps et de l’espace, mais aussi du développement neurologique,

de la maturation et de la relation à l’autre. L’approche globale de l’individu est une des

caractéristiques principales de la psychomotricité.

Le concept de psychomotricité insiste sur l’unité et la globalité du sujet. Il s’agit

d’aider le patient à reprendre petit à petit possession de son corps au moyen

d’exercices psychomoteurs spécifiques visant une meilleure harmonie du couple

corps/psyché. « La visée première de la thérapie psychomotrice est de donner une

place au corps, une présence » selon Jean Bergès (1980). La spécificité du

psychomotricien réside dans l’attention qu’il porte aux manifestations corporelles et à

leurs significations, ainsi que dans l’établissement d’un dialogue corporel. Par son

intervention, le psychomotricien va chercher à modifier la conscience du patient de

son propre corps, pour tenter d’établir ou de rétablir, de maintenir et d’enrichir les

relations qu’il entretien avec lui-même, avec autrui et avec son environnement.

Le domaine du psychomotricien est donc celui de la vie psychique, à travers et par

la mise en œuvre du corps en mouvement, en expression et en relation.

b. Histoire du concept de psychomotricité3

« Les histoires de la psychomotricité sont plurielles » (Fauché, 1993, p11, In.

Psychomotricité par A.Calza, M.Contant, 2007).

Afin de faire ressortir l’extrême jeunesse de la psychomotricité camerounaise et de

mieux comprendre la réalité actuelle, je vais revenir sur le long cheminement et

l’évolution des idées qui ont conduit à l’émergence de la psychomotricité en Occident.

Platon parlait déjà de la dualité du corps et de l’âme. Chez les grecs, si le corps était

largement mis en avant, l’intellect n’était pas négligé pour autant. Il valorisait l’âme au

détriment du corps, « le corps est le tombeau de l’âme » disait-il dans le Mythe de la

Caverne. Descartes aussi met en avant la dichotomie du corps et de l’esprit à travers

les termes de substances pensante et de substance étendue, au sens d’une substance

qui utilise une portion d’espace. Aristote avait une vision d’un monde fini. Il s’est

intéressé à la matière et à la forme. Pour lui, l’âme est la forme du corps, ce qui fait

3 Psychomotricité du concept à la pratique, Françoise SELMI, (2006), non publié. Cours de Michel CROSNIER (2009),

non publié. J.C. CARRRIC (2001).

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4

que le corps est vivant. Spinoza quant à lui, promoteur du monisme, le corps et l’esprit

ne font qu’un.

Beaucoup de travaux en neurologie, notamment après les guerres, ont porté sur le

lien entre le corps et la pensée. Mais la découverte de la psychomotricité va de paire

avec celle des troubles psychomoteurs au XXème siècle.

En 1909, Emile Dupré marque le début des travaux sur l’enfant en décrivant le

syndrome de débilité motrice, la maladresse gestuelle. Avant, les enfants étaient

placés en hôpital psychiatrique dès qu’ils étaient considérés comme asociaux, sans que

l’on ne fasse de différence entre troubles psychiatriques et troubles moteurs.

Sigmund Freud a, quant à lui, apporté une dimension psychanalytique avec ses

recherches sur l’hystérie.

Tous ces courants de pensées philosophique, psychologique et neurologique

interagissent entre eux. La neurologie prédomine et s’oriente vers trois pôles, un pôle

physiologique, un pôle de recherche autour des pathologies corticales et un pôle

psychiatrique.

Henri Wallon amène la notion de dialogue tonique. Le tonus est un support

nécessaire aux mouvements et une base fondamentale en psychomotricité. Il

développe aussi beaucoup les différentes notions de la relation mère/enfant.

Jean Piaget considère, quant à lui, l’intelligence comme le moyen d’adaptation

fondamentale. Il insiste sur la notion de stade de développement et met en avant les

notions d’assimilation, d’accommodation et d’adaptation au milieu.

En parallèle de ces avancées médicales et psychologiques, apparaissent de

nouvelles pratiques. En 1936, Guillemain instaure les classes de perfectionnement et

travaille principalement avec des enfants instables. Il va surtout commencer à faire des

différences dans les difficultés des enfants scolarisés. La même année, Pierre Petat,

professeur d’éducation physique et sportive, dispense une pratique sportive médicale

dont les buts sont multiples. Le schéma rééducatif est certes très important, mais il

met aussi en lien cette gymnastique médicale avec le bien être.

Sur le plan scolaire, on trouve des éducateurs spécialisés, des psychologues

scolaires. Le suivi de l’enfant se spécialise et s’adapte à son rythme. L’enfant est enfin

reconnu comme enfant et non comme un « mini adulte ».

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5

Sur le plan médical, les pédopsychiatres font émerger de nouvelles questions

autour de l’enfant comme l’instabilité, les troubles caractériels, l’arriération mentale,

la dysorthographie… sans qu’elle ne soit nommée, la psychomotricité commence à

émerger par l’intermédiaire des consultations médico-psychologiques et la création de

centres de rééducation sportive.

En 1947, le professeur Juan De Ajuriaguerra, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à

Paris, met en place une équipe médicale qui, pendant quinze ans, va s’appliquer à

inscrire dans sa pratique une dimension psychocorporelle. Cette équipe va être divisée

en trois secteurs de recherche, le premier dirigé par le psychologue René ZAZZO, le

deuxième, sur le langage, dirigé par Suzanne Borel-Maisonny, et le troisième sur le

domaine de la motricité dirigé par Geneviève Soubiran. Cette dernière a mis au point

un bilan neuro-psychomoteur. A l’époque, on sent encore l’importance du courant

neurologique, elle prend donc en compte le niveau de maturation neurologique de

l’enfant dans son développement et l’acquisition de ses compétences ; ce qui évite

ainsi de proposer à l’enfant des exercices qu’il n’est pas capable de réussir d’un point

de vue neurologique et développemental. Les liens avec les notions d’espace, de

temps et de tonicité sont faits grâce au travail conjoint de ces trois équipes. On parle

d’écriture spatialisée, par exemple, d’où naîtra la graphomotricité. L’état tonique

influence les relations humaines, le développement et le contrôle de l’état tonique

permettent d’accéder à la relaxation. L’état tonique du psychomotricien peut agir sur

la détente de son patient.

Entre 1960 et 1970, l’éducation nationale forme des rééducateurs en psycho-

motricité (RPM). La faculté de médecine forme, elle aussi, des rééducateurs de la

psycho-motricité. La première école de psychomotricité est créée en 1959, à Genève,

par le Dr Julian De Ajuriaguerra. Le premier enseignement est donné à Paris, à la Pitié-

Salpêtrière, en 1963, sous la direction du Dr Suzanne Masson. La création du premier

diplôme instauré par Julian de Ajuriaguerra, considéré comme le père fondateur de la

psychomotricité, est un certificat de capacité en rééducation psychomotrice. Suite à

l’ouverture de la première école de psychomotricité à la Salpêtrière, à Paris, une

deuxième école va s’ouvrir en 1967, sous l’impulsion de Geneviève Soubiran

(Actuellement « I.S.R.P : Institut Supérieur de Rééducation Psychomotrice).

En 1967, Jean Le Boulch met au point sa méthode sur l’ajustement moteur,

l’adaptation, l’harmonisation et l’affinement du geste par de meilleures coordinations

et un meilleur équilibre. Il explique que pour offrir une réponse adaptée il est

nécessaire d’assimiler et d’intégrer correctement ses perceptions sensorielles.

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6

En 1970, toute la dimension relationnelle du corps entre en jeu au milieu de cet

aspect neurologique si prépondérant à l’époque. La politique de sectorisation

psychiatrique et la création de services de pédopsychiatrie ont donné une large place à

la psychomotricité, comme mode d’approche soignante auprès des patients.

En 1980, la psychomotricité est née, entre la kinésithérapie et la psychologie. Elle

trouve petit à petit sa place dans l’équipe pluridisciplinaire et le corps paramédical.

Aujourd’hui encore, elle développe son champ d’activité et ses propres spécificités.

Ce processus d’enrichissement et de développement de la psychomotricité fait

aussi partie d’une évolution politique, sociale, économique, philosophique, et

religieuse, au centre de laquelle se trouve la question de l’être humain et de sa

souffrance. Tous ces domaines influencent le développement de la psychomotricité.

Au Cameroun, la politique, la religion, l’économie, la société et ses courants

philosophiques sont différents. Est-ce que ces différences se ressentent sur le

développement de la psychomotricité ?

2) Quelques grands points importants de la psychomotricité

occidentale

Afin de mettre en évidence les spécificités camerounaises, je vais redéfinir

quelques grands points théoriques du cadre d’exercice de la psychomotricité en

Occident. J’ai choisi de développer ces notions afin de montrer la disparité importante

entre les théories françaises et camerounaises. Ces différences témoignent de la

réalité sur le terrain, ce qui est entièrement normal aux vues de l’extrême nouveauté

de cette discipline et de l’évolution fulgurante qu’elle a connue en si peu d’années. Je

commencerai donc par présenter les théories à la base de la psychomotricité française.

a. Le temps4

Le temps est une durée marquée par la succession des évènements, en particulier

celle des jours, des nuits et des saisons. Le temps est à la fois durée et intervalle : c’est

son aspect cardinal. L’ordre et la succession représentent son aspect ordinal.

L’intégration de ces deux aspects est nécessaire à la structuration temporelle du sujet.

Le temps est aussi une période caractérisée par une succession d’évènements externes

et/ou internes à l’organisme. C’est est une variable indépendante et continue. La

structuration temporelle se compose de l’orientation temporelle, qui est la capacité à

se situer ou à situer un évènement dans le temps et à s’orienter en percevant ce qui

4 Cours de Mme AOUES (2009), à l’ISPR, non publié

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c’est passé avant ou après un évènement temporellement repéré, et de l’organisation

temporelle qui dépend des connaissances du sujet dans le domaine des notions

temporelles et de sa capacité à les associer en vue d’un but défini.

Les différentes composantes du temps sont l’ordre, la succession, la durée,

l’intervalle, la vitesse, l’irréversibilité, la périodicité ou le rythme.

Notion de Jean Piaget : organisation temporelle dans le développement de l’individu

Dès les premières semaines de la vie, on retrouve des traces de mécanismes

d’appréhension de la durée. On repère, dès la naissance, des séquences de

mouvements selon un ordre temporel déterminé. Le nourrisson, que l’on prend dans

ses bras, tourne la tête vers le sein et cherche à téter. Plus tard, il y aura orientation de

la tête et du regard puis mouvement du bras et tentative de préhension du sein.

Jean Piaget décrit trois stades. Au cours du premier, qui ne prend pas en compte la

vitesse, les notions spatiales et temporelles sont confondues. Au deuxième stade,

l’enfant commence à différencier le temps et l’espace, il dit souvent que ce qui va plus

vite est égal à ce qui met le plus de temps. Enfin, au troisième stade, l’enfant

appréhende l’ordre des évènements, l’emboîtement des durées et l’abstraction de la

durée. Il n’existe pas officiellement d’étalonnage scientifique des âges de

développement des notions temporelles des enfants camerounais mais il semblerait

que ces âges d’acquisition soient différents. Jean Piaget décrit également des repères

en fonction des âges :

- L’acquisition du temps présent se fait avant 3 ans

- Vers 3 ans : distinction rudimentaire du passé / présent/ avenir

- 3-4ans : distinction matin, midi, soir et nuit

- 5ans : date du jour

- 5-6ans : connaissance des saisons

- 7-8 ans : repérage du rythme de l’année (Noël, grandes et petites vacances)

- 8-9ans : le point de départ de la semaine peut être envisagé un autre jour que le lundi.

- 10-12ans : notion de temps historique, siècle…

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La notion de rythme, carrefour entre espace et temps

Elle est habituellement associée au registre musical mais elle existe aussi au niveau

du corps. Le rythme prend alors deux sens. De façon subjective, il correspond à la

personnalité et à la manière d’être et d’aborder le mouvement pour le sujet. Moins

naturel, il est plus corticalisé et considère chaque temps comme une unité. La

répétition de cette unité à une certaine cadence crée un contexte sonore extérieur sur

lequel le corps peut régler son mouvement. Ce rythme imposé peut agir comme un

facteur d’harmonie sur le corps de l’individu. Le terme de structuration spatiale

implique une dynamique spatio-temporelle qui accompagne le développement. Le

temps est donc pris en compte dans l’appréhension de l’espace.

b. L’espace5

L’espace est un concept que je développerai particulièrement car il diffère

beaucoup au Cameroun. Il fut au cœur de mes recherches. J’exposerai différents

points de vue d’auteurs afin de couvrir toutes les notions qui gravitent autour de

l’espace, tant dans le développement psychomoteur de l’individu, que psycho-affectif

ou cognitif.

On retrouve deux grands aspects de l’espace à la fois quantitatif et qualitatif.

L’aspect quantitatif correspond aux notions de mesure, de cartographie. C’est un

espace concret, mesurable. L’aspect qualitatif étudié en psychologie sociale reprend

les notions d’espace propre, de territoire, de proxémie (E.T.Hall, 1966).

Edward T. Hall

Dans la dimension cachée, E.T Hall (1966), explique que ce sont les organes des

sens qui entrent en jeu dans la localisation. Les récepteurs à distance, d’une part, vont

permettre d’évaluer l’espace visuel, auditif et olfactif, d’autre part, les récepteurs

immédiats vont servir à évaluer un espace tactile, thermique, et kinesthésique. Il parle

de proxémie pour tout ce qui concerne les distances entre les personnes. Il décrit

différentes distances dans les relations : la distance intime, personnelle, publique ou

sociale.

5 Cours de Mme AOUES (2009), à l’ISRP, non publié.

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Geneviève B. Soubiran

Selon Mme Soubiran, l’adaptation spatiale se définit surtout par la qualité de

l’orientation du corps propre en tant qu’élément constitutif de l’espace. L’organisation

spatiale se structure à partir du schéma corporel et des repères fondamentaux comme

la notion de corps propre. C’est un système unificateur qui sert de référence

primordiale dans la structuration spatiale de l’enfant. Il y a une appréhension

psychologique de l’espace qui joue sur l’investissement et les déplacements dans

l’espace. L’axe corporel est un axe de symétrie autour duquel s’installe les notions de

droite et gauche dans un processus dynamique. De même les notions de haut / bas

ainsi que de devant / derrière se construisent autour des différents axes corporels,

transversal, sagittal, frontal, dans les trois dimensions de l’espace.

Donald W. Winnicott

Au départ, le bébé se repère par rapport à l’espace de l’autre (sa mère). Cet espace

est restreint car il ne différencie pas ce qui lui appartient de ce qui est à autrui. Dans

cette indifférenciation moi/non moi, le corps est vécu comme morcelé. C’est grâce aux

soins maternels, le « Holding » et le « Handling » présentés par Donald Winnicott, que

l’enfant unifie ses perceptions corporelles, rendant ainsi possible le processus

d’individuation. L’enfant crée son espace propre, différent de celui de sa mère. Grâce à

la création de cet espace corporel l’enfant peut construire son espace psychique.

Donald Winnicott parle d’espace transitionnel entre la proximité de la relation à la

mère et l’ouverture au monde.

L’espace s’organise progressivement à partir de données multiples notamment

grâce à l’intégrité de l’appareil sensoriel :

- La vue : évalue les distances, les orientations, les formes, les dimensions, les

reliefs, etc. On note donc l’importance, à ce stade, du contrôle oculomoteur et

des coordinations de plus en plus précises.

- Le toucher : les récepteurs proprioceptifs sont très importants car ils nous

informent sur la position de notre corps et sur ses différentes parties les unes

par rapport aux autres. Ils interviennent dans toute l’information tactile,

lorsque l’on sent un obstacle, un volume, une surface, etc.

- L’audition : contribue à la construction de l’espace car elle permet un certain

repérage spatial selon l’intensité du bruit qui augmente ou diminue en fonction

de l’éloignement ou du rapprochement.

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Jean Piaget

Pour lui, le mouvement est à la source des représentations spatiales. Le sujet

élabore successivement un espace d’action puis un espace de représentation. Cette

élaboration suivrait les étapes du développement de l’intelligence.

Il évoque ainsi trois rapports spatiaux :

L’espace topologique (espace vécu) ou espace perceptif, qui correspond à la

période 4-12 mois chez l’enfant. Il s’élabore à partir des notions de constance

perceptive, de la forme et de la grandeur grâce à la manipulation et l’exploration. Les

relations entre les objets sont de l’ordre du voisinage, de l’enveloppement

(intériorité/extériorité), de la continuité ou de la séparation (ordre/succession) et des

rapports de frontière (ouverture/fermeture).

L’espace projectif (espace perçu) permet à l’enfant de situer les objets en fonction

de différents points de vue possibles.

L’espace métrique ou euclidien (espace représenté) : à partir de 7 ans, se

développent les notions de droite et de parallélisme, ce qui marque la coordination

des directions. Sont également acquises à ce stade les notions opératoires d’angle et

de distance. De là, découlent les de coordonnées spatiales d’un objet et la géométrie.

Les rapports spatiaux euclidiens concernent à la fois les rapports entre les objets et

entre les figures (par exemple, les proportions, les systèmes des coordonnées

verticales/horizontales mais aussi le schéma topographique et le plan, ainsi que la

notion d’abstraction d’espace).

Il énonce une deuxième hypothèse dans laquelle il distingue, le plan perceptif ou

sensorimoteur et le plan représentatif ou intellectuel.

Le plan perceptif (2-12 ans) se construit dès le début de la vie, il est lié au progrès

de la perception et de la motricité. Il permet l’accès au langage et à la fonction

symbolique. Il est nécessaire de passer par l’acquisition de la construction de l’objet

puis de son invariance (permanence de l’objet). Tout ce qui est caché n’est pas

inexistant. La perception de l’espace se construit progressivement, elle n’est pas innée.

La construction de l’objet naît avec la préhension lorsque la coordination oculo-

manuelle acquière une certaine assurance.

Le plan représentatif (à partir de 10-12 ans) est le cadre de la pensée dans lequel

s’insèrent les données de l’expérience ; c’est pour cela qu’il devient représentatif. Dans

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ce nouvel espace, les actions virtuelles sont intériorisées et peuvent être appliquées à

des objets absents, représentés, aussi bien qu’à des objets perçus.

La maîtrise de l’espace permet au sujet d’être conscient qu’il transporte en lui et

sur lui des rapports spatiaux à partir de sa configuration corporelle et de l’espace

environnant qui est matérialisé spatialement par des objets. Cette construction de

l’espace englobe des données liées au traitement des informations et au

développement psycho-affectif. Les activités d’exploration sont liées aux désirs. La

communication, l’expérience intentionnelle de découverte et de maîtrise des objets

encouragent l’enfant à s’engager dans la relation au monde. Se déplacer, c’est pouvoir

quitter un lien, une personne, en sachant qu’on va pouvoir la retrouver.

Les connaissances des notions spatiales s’utilisent pour un objet ou une personne

et sont d’abord employées par rapport au « moi » chez le jeune enfant puis se

décentrent petit à petit pour concevoir également les objets les uns par rapport aux

autres. Ce transfert des repères spatiaux s’appelle la réversibilité. Une fois l’espace

structuré, et l’enfant sécurisé, il peut devenir un espace de relation. Quand la relation

est impossible, on utilise un médiateur dans la relation.

c. Les différents types de médiations

Aujourd’hui, en France, la quantité et la diversité des médiations utilisées dans le

cadre de la pratique psychomotrice sont importantes et reconnues. Je vous en

présenterai une liste conséquente mais non exhaustive, pour vous aider à mieux

comprendre le travail qui se fait actuellement à Douala.

La psychomotricité est une thérapie à médiation corporelle, ainsi tout ce qui met

en jeu le corps peut être utilisé au cours de la thérapie. L’intérêt de la médiation est de

pouvoir trianguler la relation pour mieux l’articuler. Ce concept est non sans rappeler

les notions de transitionnalité de Donald W. Winnicott (1971). L’enfant crée une zone

de compromis entre la réalité extérieure et sa réalité intérieure. C’est un intermédiaire

entre l’illusion et la réalité, support des premières symbolisations. (Gabbaï. P, 2006).

Outre l’engagement corporel du psychomotricien dans le jeu spontané avec

l’enfant, il existe aujourd’hui des médiations de plus en plus spécialisées, dont je ne

peux faire une liste exhaustive. Je vais néanmoins tenter de les regrouper sous trois

catégories : les médiations expressives, sensorielles ou motrices.

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L’expressivité corporelle :

- L’expression graphique

- La peinture sur soie ou sur tout autre support, la mosaïque, etc.

- L’expression scénique (théâtre, jeu de rôle)

- Le mime : travail autour des articulations, utilisation du mouvement comme

représentation d’un acte (opposition au passage à l’acte). On pense un acte

qu’on réalise ensuite, il y a un projet moteur réfléchi. C’est un exercice

particulièrement pertinent pour les patients très apragmatiques puisqu’il n’y a

pas de mise en mot.

- La musicothérapie (rythme et percussion). Les percussions sont très appréciées

des adultes car elles ne sont pas infantilisantes. Travail sur la régulation tonique

et la constance. Exercice des émotions : choisir une émotion, la traduire

rythmiquement et faire deviner l’émotion choisie au reste du groupe, ou travail

sur la transmission d’un message par le biais de l’instrument.

- Le chant : sentir d’où viennent et où raisonnent les sons que nous produisons.

Aller à la recherche du son. Rôle de la respiration et du souffle. Articulation,

respiration.

- La danse : rapport au corps, au temps et à l’espace. Temps d’improvisation qui

permet d’aborder la spontanéité chez les patients puis travail d’imitation.

- Le cirque : funambulisme, équilibre, jonglage, marche sur le ballon, etc.

Le bien être et la sensorialité :

- La relaxation est un travail qui porte sur l’ensemble du corps, l’analyse des

perceptions corporelles et le lâcher prise psychique et physique.

- La balnéothérapie ou travail dans l’eau.

- La salle Snoezelen ou salle multi-sensorielles.

o Temps de relaxation.

o Installation : le patient choisit sa position, quel que soit son choix, ce

sera le bon. Attention à certaines positions anxiogènes (le décubitus par

exemple) ou à certaines positions antalgiques pour des patients

polyhandicapés, en fauteuil, la majeure partie du temps et peu de

verbalisation.

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o Importance de la concentration : rattacher le patient à l’ici et au

maintenant.

o La respiration. Après la prise de conscience de la respiration, on travaille

sur le rythme respiratoire qui se veut apaisant.

o Image mentale : pas systématique.

o La reprise : remise en mouvement progressive, étirement, frottement

du visage.

o La verbalisation : échange autour du ressenti de la séance, des exercices

dynamiques et de la relaxation.

- Le toucher thérapeutique :

o Toucher enveloppant : les mains se déplacent sur le patient. Percussions

corporelles sur les contours du corps qui entraînent une résonance à

l’intérieur du corps par l’intermédiaire des os. Quand on déplace ses

mains sur le corps de l’autre, il faut que ce soit un toucher franc et

profond, pas de caresse ou d’effleurement.

o Toucher contenant : ressentir les limites corporelles. Le psychomotricien

pose ses mains sur le patient et par le dialogue tonico-émotionnel, son

état tonique suggère l’état de détente chez le patient.

La motricité :

- L’équithérapie ou thérapie avec le cheval privilégiant la relation à l’animal.

- Les parcours psychomoteurs

- Le sport (athlétisme, escalade…)

- Le Taï-chi-chuan : équilibre, transfert d’appuis, axe du corps, déplacement dans

l’espace, en groupe travail de la distance à l’autre, travail d’imitation.

Ces médiations variées sont aujourd’hui très utilisées en France et ont été pensées

en tant qu’outils thérapeutiques de plus en plus spécialisés. En effet, les

psychomotriciens font en sorte de les adapter le plus possible en fonction des âges ou

des pathologies. Le champ d’action de la psychomotricité s’est développé, tout comme

les médiations utilisées.

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d. Les différentes indications, population et pathologies

« La psychomotricité est un dispositif de soin thérapeutique qui s’intéresse, en tout

premier lieu, aux fondations d’une construction de la plus haute importance, un sujet

humain. » selon Catherine Potel, (2010, p111).

Tout comme les médiations, les indications en psychomotricité se multiplient et

s’étendent à l’ensemble de la population. En effet, du bébé né prématurément en

service de néonatologie à la personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer en

service de gériatrie, en passant par les enfants et les adultes, la psychiatrie et la

rééducation, le psychomotricien travaille sur tous les fronts. Du moins, il s’y essaie. La

discipline étant jeune, il n’est pas simple de se faire une place dans tous ces domaines.

Il n’y a pas de contre-indications majeures au suivi en psychomotricité mais le

contact physique et le rapport au toucher peuvent parfois être source d’érotisation

pour certains patients notamment lors de troubles hystériformes. Avec le toucher, il

faut toujours rester prudent et « à l’écoute » du patient ainsi qu’à l’écoute de soi. Il

s’agit d’un contact direct par lequel peuvent passer nos « états d’âme ».

Les séances peuvent être individuelles ou groupales. Comme le dit Sylvie Gouel-

Barbulesco dans « Psychomotricité : entre théorie et pratique » (2010, p202) sous la

direction de Catherine Potel, les psychomotriciens peuvent « être amenés à répondre à

de nouvelles demandes et à innover des modes de prises en charge originaux, que ce

soit pour des suivis individuels ou collectifs ».

Lorsque l’on ouvre le sommaire de cet ouvrage, on découvre des titres évoquant la

néonatalogie, la pédiatrie, l’adolescence ou la personne âgée. Ceci, montre bien

l’étendue de la population concernée par la psychomotricité et l‘ampleur des

indications. La psychomotricité est applicable à quasiment toutes les situations

pathogènes sauf cas particuliers. S’il nous arrive de douter sur les frontières de notre

profession, nous pouvons toujours nous reporter à une valeur sûre, la prescription du

médecin et le décret légal de compétence du psychomotricien.

Il s’agit du décret n° 88-659 du 6 mai 1988 relatif à l'accomplissement de certains

actes de rééducation psychomotrice, il décrit les actes suivants :

- Bilan psychomoteur

- Stimulation psychomotrice

- Education psychomotrice précoce

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- Rééducation des troubles psychomoteurs tels que : les troubles de la

maturation et de la régulation tonique, du schéma corporel, de la latéralité,

des apprentissages scolaires, de l’organisation spatio-temporelle, les troubles

tonico-émotionnels, les troubles de la graphomotricité, les maladresses

motrices et gestuelles, l’instabilité et l’inhibition psychomotrices, les troubles

praxiques, les dysharmonies et retards psychomoteurs et la débilité motrice

J.C. Carric (2001, p15) cite Juan De Ajuriaguerra lorsqu’il décrit les troubles

psychomoteurs comme étant sans lésion neurologique, sans dérèglement d’un

système défini et sans manifestation liée aux afférences et aux situations.

La psychomotricité se découpe en quatre axes selon Grégory Auer-Martin,

psychomotricien libéral à Nantes6 :

L’éducation psychomotrice ou stimulation du développement psychomoteur chez

des sujets au cours de leur évolution. Par exemple, en crèche ou en école maternelle,

on retrouve des psychomotriciens qui agissent tant en soutien de l’équipe qu’en

soutien du jeune enfant dont le développement ne se fait pas spontanément. Il a alors

besoin d’aide pour passer d’un stade à l’autre. Pour l’enfant dont le développement se

fait de lui même, on parle d’éveil psychomoteur.

Le bilan psychomoteur évalue spécifiquement les troubles psychomoteurs et une

pathologie à un instant « T », témoignant des capacités ou difficultés du sujet.

La rééducation psychomotrice s’occupe des troubles de l’écriture, de la latéralité

et de l’organisation spatio-temporelle, les retards de développement psychomoteur,

les maladresses motrices et gestuelles, les troubles neurologiques, de la maturation et

de la régulation tonique, ainsi que les troubles du schéma corporel et de la

représentation du corps. Il s’agit de restaurer ou du moins d’améliorer une fonction

précédemment acquise, mais qui a été perdue.

La thérapie psychomotrice prend en compte le soin et le suivi de pathologies

psychiques et/ou motrices telles que l’instabilité ou l’inhibition psychomotrice, les

troubles du comportement ou de la personnalité ou des dysharmonies évolutives.

Mais, elle peut aussi intervenir dans les difficultés d’accès à la symbolisation et à

l’abstraction, les difficultés d’apprentissage scolaire, des troubles de l’attention et de la

concentration ou encore des troubles de régulation tonico-émotionnelle et

6 , www.psychomotricite-nantes.com

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relationnelle, des déficiences intellectuelles, des troubles psychosomatiques en lien

avec le stress, l’angoisse ou l’anxiété.

Le choix de la psychomotricité est parfois justifié pour des patients avec lesquels la

communication verbale n’est pas ou peu accessible. En effet, lorsque le corps est

directement mis en jeu, le psychomotricien devient un interlocuteur privilégié. Cette

approche corporelle peut se faire grâce à de nombreuses médiations qui sont décrites

plus haut dans le chapitre « médiations ». L’objectif principal est l’aspect relationnel et

ludique, sans pour autant mettre de coté le professionnalisme du psychomotricien.

En conclusion, l’une des spécificités de la psychomotricité se situe au niveau de ses

indications, que ce soit par la multitude des âges ou dans la diversité des pathologies.

L’autre grande spécificité de la psychomotricité est sa place et l’importance du travail

effectué au sein d’une équipe pluridisciplinaire.

e. L’équipe pluridisciplinaire 7

Il a fallu de nombreuses années pour que la psychomotricité trouve sa place au

sein de la scène paramédicale française. Le travail d’intégration de la profession dans

l’équipe pluridisciplinaire n’est pas achevé. Il faut sans cesse redéfinir le champ

d’action du psychomotricien, se présenter à l’équipe, exposer les spécificités du métier

afin de travailler en collaboration au bien être des patients. C’est pourquoi, il me

semble important de présenter le travail d’équipe tel que je le concevais en partant au

Cameroun, ainsi il sera plus simple de comprendre ma surprise en découvrant le travail

du psychomotricien camerounais.

L’équipe pluridisciplinaire, aussi appelée multidisciplinaire, réunit des

professionnels de formations différentes, dont l’objectif principal et commun est la

continuité des soins pour viser l’intérêt du patient dans sa globalité.

Dans les hôpitaux, elle est généralement constituée de :

- L’équipe médicale composée de médecins diplômés qui peuvent être : des

généralistes, des spécialistes, des internes

- L’équipe psychologique composée de psychologues diplômés de la faculté de

psychologie dont les investigations sont : l’évaluation (tests, entretiens), la

psychothérapie (individuelle ou en groupe), l’entretien de soutien (permettant

7Véronique DEFIOLLES (2009), à l’ISRP, non publiée à ce jour.

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au patient de se confier suite à un traumatisme particulier, sans élaborer

forcément un travail analytique). Son rôle institutionnel est spécifique, elle doit

être à l’écoute du reste de l’équipe et l’aider à réfléchir sur son fonctionnement

et vis-à-vis des soins apportés au patient. C’est un médiateur. Aussi, doit-elle

être extérieure à l’institution.

- L’équipe paramédicale composée de :

o La filière de soin, qui rassemble : l’infirmier, l’infirmier en bloc

opératoire, l’infirmier spécialité anesthésiste, la puéricultrice et

auxiliaire de puériculture, l’aide soignant

o La filière de rééducation, qui rassemble : le psychomotricien,

l’ergothérapeute, l’orthophoniste, le kinésithérapeute, l’orthoptiste, le

diététicien, le pédicure podologue

o La filière médico-technique, qui rassemble : l’audioprothésiste,

l’opticien, l’ambulancier, les techniciens de laboratoire, le manipulateur

radio

- L’équipe socio-éducative composée de : l’assistante sociale, l’enseignant

(éducation nationale), l’éducateur (spécialisé/de jeunes enfants/moniteur-

éducateur/sportif), l’animateur socioculturel

- Les nouvelles professions : le danse-thérapeute, le musicothérapeute, l’art-

thérapeute, le relaxologue, le sophrologue

Selon la Loi de février 2005,

« L’équipe pluridisciplinaire réunit des professionnels ayant des compétences

médicales, paramédicales, des compétences dans le domaine de la psychologie, du travail

social, de la formation scolaire et universitaire, de l’emploi et de la formation professionnelle.

Sa composition doit permettre l’évaluation des besoins de compensation du handicap quelle

que soit la nature de la demande et le type du ou des handicaps ; cette composition peut varier

en fonction des particularités de la situation de la personne handicapée ». (Décret 2005-1587

relatif à la Maison Départementale des Personnes Handicapées - Art R 146-27).

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18

II°) LA PSYCHOMOTRICITÉ AU CAMEROUN

1) Présentation du Cameroun

La république du Cameroun ou Cameroon est un pays d’Afrique centrale. C’est une

ancienne colonie allemande qui a été placée sous protectorat à la fois français et

britannique. C’est pourquoi ses deux langues officielles sont le français et l’anglais. Sa

capitale politique est Yaoundé mais la plus grande ville et la capitale économique est

Douala. Malgré la présence d’un président de la République et d’un pouvoir

institutionnel, les chefs traditionnels ont conservé un rôle très important. En outre, le

système juridique local s’appuie sur le droit coutumier et permet ainsi aux cultures

camerounaises de perdurer. On recense plus de 250 dialectes assimilés aux langues

nationales. La culture camerounaise est réputée pour être extrêmement riche étant

donné la multiplicité des groupes ethniques et son histoire à la fois française et

anglaise. Bien avant cela, le pays a vu arriver Portugais, Allemands et bien d’autres. Le

Cameroun compte plus d’une centaine de royaumes traditionnels. Ces entités tribales

occupent une place fondamentale dans la vie culturelle, politique et sociale du pays.

Elles soutiennent les populations locales pour les créations d'activités et contre la

pauvreté, la maladie, le chômage.

Quelques chiffres : 8

- Population totale : 18 175 000

- Revenu national brut par habitant ($ internationaux PPA) :2,060

- Espérance de vie à la naissance : 50 ans pour les hommes et 52 ans et pour les

femmes.

- Espérance de vie en bonne santé à la naissance (chiffres 2003) : 41 ans pour les

hommes, 42 ans pour les femmes.

- Quotient de mortalité infanto-juvénile pour 1 000 naissances vivantes : 149

- Quotient de mortalité 15-16 ans (pour 1 000) : hommes : 451 et femmes : 422

- Dépenses totales consacrées à la santé par habitant ($ internationaux, chiffre

2006) : 80 par an

- Dépenses totales consacrées à la santé en % du PIB (chiffre 2006) : 5,2

8 Sauf indication contraire, les chiffres concernent l’année 2006, selon les statistique sanitaires mondiales 2008.

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19

2) Quelques grands points importants de la psychomotricité au

Cameroun

Le peu de données théoriques sur la psychomotricité au Cameroun témoigne de la

récente implantation de la profession sur le territoire et du manque de travaux de

recherche. Il me paraissait important que cet écart se reflète également dans mon

travail. On observe concrètement l’inégale répartition des paragraphes. Ces différents

points nécessitent des travaux de recherche scientifique sur le terrain. J’ai commencé

ces recherches que j’exposerai ultérieurement.

a. Le temps

Le philosophe John Mbiti cité par Ferdinand Ezembé (2009), a parlé d’une notion

subjective du temps en Afrique. Pour lui, le temps est appréhendé grâce à des repères

naturels mais sans être mesuré objectivement. Le futur ou le passé sont certes

évoqués mais en des termes très flous. On parle souvent en Afrique du cycle de la vie

qui donne alors une notion d’immuabilité aux choses. Il est possible de différencier le

temps social du temps productif selon Ferdinand Ezembé (2009), ainsi on retrouve

cette spécificité africaine surtout dans le temps social mais aucunement dans le temps

productif. Lorsqu’ils travaillent à l’usine les africains sont tout à fait respectueux des

horaires.

Les repères naturels constituent en effet un élément important de l’organisation

temporelle au Cameroun. Le fait qu’il fasse nuit à partir de 18 heures d’un coté et de

surcroît, l’insécurité ambiante limitent énormément les déplacements dans la ville la

nuit, surtout pour les « blancs ». La journée commence plus tôt le matin et finit plus

tôt qu’en France, sauf dans le cadre de l’enseignement à l’IPPR où il nous arrivait

d’avoir cours avec les étudiants jusqu’à 22 heures.

Suite à un constat flagrant, j’ai questionné les Camerounais sur leur rapport au

temps car lors de rendez-vous, professionnels ou non, les camerounais ne sont jamais

à l’heure ! Les horaires sont très difficilement tenus, que ce soit par les professeurs ou

les étudiants, ou encore qu’il s’agisse de consultations ou de rendez-vous entre amis.

Dans le cadre de leur suivi au centre de l’IPPR, les patients arrivent rarement à l’heure,

ils sont soit en avance soit en retard. Dans la rue, il n’est pas inhabituel de discuter

avec des gens qui attendent un rendez-vous depuis une heure. A l’hôpital général de

Laquintinie, à Douala, les patients peuvent attendre deux heures avant une

consultation. Le plus frappant est la patience avec laquelle ils attendent. Quand on leur

demande si cela ne les embête pas d’attendre sans cesse dans la journée, ils

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répondent « C’est comme ça ici »9. Lorsque je leur demande si ce ne serait pas plus

simple de respecter les horaires donnés, pour une meilleure organisation de la

journée, ils me répondent que « le temps n’est pas leur problème » et qu’ils « s’en

fichent ». Le temps au Cameroun n’a pas du tout la même valeur métrique et

matérialisée qu’en France. La plupart des Camerounais n’ont pas de montre, la journée

est rythmée par l’ordre des priorités. Ce qui nous surprend, nous occidentaux, c’est

que nous n’avons pas les mêmes priorités. Un enfant, par exemple, peut arriver 30

minutes en retard sur une prise en charge de 45minutes parce que sa mère faisait la

vaisselle. Cependant, personne ne semble s’énerver, se plaindre ou se scandaliser

d’une telle situation, cela fait partie de la vie quotidienne. On peut sentir un certain

fatalisme dans l’appréhension de la vie au Cameroun. En occident, nous avons une

frise chronologique déterminée sur laquelle nous plaçons des éléments de vie, au

Cameroun, ce sont les éléments de vie qui constituent la frise chronologique.

b. L’espace

Je n’ai trouvé que peu de références décrivant la perception de la notion

d’espace dans la culture camerounaise et encore moins appliquée à la

psychomotricité. Néanmoins Claude Tardit (1985), parle de l’influence du lignage dans

l’occupation spatiale d’un territoire. L’implantation, la taille varie selon le statut du

chef de famille chez les Bamoums par exemple. On retrouve l’importance de

l’organisation spatiale décrite par Eric de Rosny (1981, p16) lorsqu’il part en visite

nocturne afin d’observer les rituels des « nganga »10.

En me basant sur mes observations lors des voyages, je peux uniquement

communiquer ma surprise face aux contrastes présents au Cameroun : entre la ville et

la brousse premièrement et au sein de la ville elle-même. Effectivement, la ville de

Douala est surpeuplée par rapport à d’autres villages de campagne. C’est un amalgame

de nombreux quartiers quasiment indépendants les uns des autres. Indubitablement,

Douala n’est pas organisée comme les villes européennes avec un centre ville et une

répartition en couronne. Elle s’est plutôt construite par quartiers : des affaires,

résidentiel, commercial … Une répartition qui ne se ressent pas toujours dans cette

ville fourmilière.

9 Je retranscris les témoignages en langage oral.

10 L’organisation mondiale de la santé propose « tardipraticien », Eric de Rosny, préfère garder le mot doula de

« nganga » car il n’a pas trouvé de not français qui puisse retranscrire réellement cette pratique de « guérisseur ».

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Suite à l’arrivée des sociétés multinationales à Douala, les notions d’espace

sont devenues totalement paradoxales. Les expatriés et les entreprises sont protégés

derrière de grands portails, des murs incroyablement hauts et recouverts de tessons

de bouteilles ou de piques en fer. Face à ces prisons dorées, les quartiers les plus

défavorisés sont faits de petites maisons adossées les unes aux autres, avec parfois en

guise de porte un tissu. Les fenêtres sont souvent ouvertes à cause de la chaleur, les

enfants jouent et grandissent ensemble, les adultes discutent entre eux dehors, dans la

cours. Les notions de propriété personnelle sur-défendue d’un côté et de vie

communautaire de l’autre côté cohabitent dans Douala.

Sur la route, il n’y pas non plus d’espace propre et défini. Le code de la route,

pourtant existant et connu de tous, n’est absolument pas respecté. Les adresses ne

sont pas définies par des noms de rue ou des numéros mais par la description de

l’espace environnant et le nom du quartier. Par exemple, l’IPPR se situe à Douala –

Bassa dans le collège Chevreul, à côté de l’usine de chocolat. On retrouve parfois des

indications telles que « société à coté du grand portail vert ». Nous pouvons nous

demander ce qu’il en est si le propriétaire décide de repeindre son portail en rouge.

L’espace ne semble pas très structuré mais il en ressort néanmoins une certaine

organisation. Le Dr Vailloux (1959, p18) dit même, en cherchant l’impact du milieu

traditionnel sur le développement psychomoteur des jeunes enfants, l’« absence de

structuration peut expliquer les difficultés de spatialisation géométrique reconnues

dans l'enseignement technique ».

c. Les différents types de médiations

Je n’ai pas d’information théorique, pas de trace écrite des médiations, spécifique,

ou non, utilisées au Cameroun. La psychomotricienne Françoise SELMI est venue

donner une formation d’une semaine sur la relaxation, intitulée « initiation à la

relaxation thérapeutique », ma collègue et moi-même avions présenté lors de ce

séminaire la méthode de relaxation psychosomatique G.B. SOUBIRAN. Suite à sa visite

au Cameroun, Philippe SCIALOM11 a mentionné dans son compte rendu la nécessité

d’accentuer l’entraînement inter et intra promotions à la verbalisation des objectifs

des projets thérapeutiques, à diversifier les contenus des prises en charges de façon

plus créative, variée et adaptée à la culture camerounaise. Il faut apporter dans

11

Compte rendu de la mission du 16 au 22 février, rédigé par Philippe Scialom, Psychologue-Psychomotricien,

délégué par l’ISRP (Institut Supérieur de Rééducation Psychomotrice à Paris) et l’OIPR (Organisation Internationale

de Psychomotricité et de Relaxation)

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l’enseignement plus de médiations thérapeutiques que la simple relaxation : danse-

thérapie, musicothérapie, médiation par l’eau, art-thérapie (peinture et sculpture), etc.

d. Les différentes indications, population et pathologies

Mes hypothèses intuitives de départ, d’après ce que j’ai pu entendre en arrivant à

Douala, sont que la psychomotricité est essentiellement pensée pour les rhumatismes

des personnes âgées et les enfants, qu’ils soient gravement atteints d’un point de vue

neurologique et psychologique, ou qu’ils soient concernés par des troubles

d’apprentissage.

Voila ce que j’ai pu lire dans un article camerounais qui présentait la

psychomotricité et l’IPPR de Douala :

« L’Ippr apporte à la médecine moderne une technique de soin complémentaire et jusque là

inconnue. Notamment pour les cas des maladies désespérées, qu’on met très souvent en Afrique sous le

compte de la sorcellerie (autistes, asthme, transe, hyperactifs, dyspraxie, les personnes âgées,

adolescents, prématurés, les victimes des séquelles de méningite, d’accidents vasculaires cérébraux…). La

psychomotricité est une discipline scientifique et thérapeutique qui offre une nouvelle opportunité pour

un bon encadrement physique, psychologique et psychique d’un individu »12 Mathieu Nathanaël

NJOG (2008).

e. L’équipe pluridisciplinaire

Je dispose, là encore de peu d’écrits théoriques sur la formation et le travail

pluridisciplinaire au Cameroun, je me base donc sur mes observations personnelles.

J’ai pu lire dans un article camerounais que «les psychomotriciens sont des produits

prisés par les centres hospitaliers, les structures sanitaires scolaires et les entreprises »

Mathieu Nathanaël NJOG (2008). Ce seront les réponses données dans l’exposition des

résultats qui nous en apprendrons plus sur l’équipe pluridisciplinaire.

3) Histoire et développement de la psychomotricité au Cameroun

a. Création de l’IPPR13

L’Institut Panafricain de Psychomotricité et Relaxation (IPPR)14 a vu le jour à Douala

en 2003 grâce à Monsieur Kassaï Mburling Boniface, initié à la psychomotricité au

12 Mathieu Nathanaël NJOG, (2008), in Le Messager, (5-11-2008). http://njognath.over-blog.org/article-

24493153.html 13

Cf. Annexe 2. Récapitulatif chronologique.

14 Cf. Annexe 1. Organigramme de l’IPPR.

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Congo par une psychomotricienne belge et en lien avec des psychomotriciens

européens. Il est, à l’époque, directeur de l’« institut des enfants sourds-muets et

retardés mentaux » à Douala. Puis, M. Kassaï s’associe avec Sœur Catherine-

Dominique Ngo Ngue, qui est alors supérieure générale de la congrégation des sœurs

servantes de Marie de Douala (CSSMD) et ils mettent en place le premier « séminaire

de psychomotricité et de relaxation » à Douala. Suite au départ de M. Kassaï, Sœur

Catherine-Dominique, fait appel Gérard Hermant, secrétaire général de L’organisation

internationale de psychomotricité et relaxation (OIPR) et directeur général de l’institut

supérieur de rééducation psychomotrice (ISRP) de Paris pour la création et la

reconnaissance de l’IPPR. Enfin M. Scialom intervient à la demande de M. Hermand en

tant que coordinateur du projet extra académique (PEA) de l’ISRP.

Sœur Catherine-Dominique, restant seule directrice de l’IPPR suite au départ en

Angleterre de M. Kasaï, et initiatrice de ce projet, rencontre le coordinateur de la santé

de l’archidiocèse de Douala qui l’oriente vers le ministère des affaires sociales.

En 2005, une demande de reconnaissance est déposée auprès de la délégation

régionale des affaires sociales. L’actuel délégué régional apporte son soutien immédiat

au projet et à l’école en venant régulièrement assister aux séminaires annuels et aux

journées portes ouvertes.

Mais, nous sommes au Cameroun où tout est lent, coûteux et compliqué. Sœur

Catherine-Dominique, seule face aux autorités et à la direction de l’école, demande en

2006 la création d’un partenariat avec l’ISRP et l’OIPR.

b. Le partenariat avec l’ISRP et l’OIPR depuis 4 ans

Sœur Catherine-Dominique responsable de l’école en 2006 dans un contexte

difficile, s’adresse à M. Hermant afin de mettre sur pied une structure pédagogique

valable et reconnue par l’Etat camerounais.

Plusieurs points sont alors abordés et les différents objectifs sont désormais

énoncés. Les soutenances de mémoire doivent avoir lieu au Cameroun afin de créer un

diplôme d’Etat camerounais de psychomotricien dans le but d’éviter l’installation de

charlatans à Douala. Il faut trouver des personnes capables d’assurer l’enseignement

de la psychomotricité et de former des camerounais à cette compétence, car

jusqu’alors il était prématuré de trouver des psychomotriciens diplômés et capables

d’enseigner. Enfin, il faut s’atteler à l’organisation pédagogique de l’école.

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24

Création d’un Projet Extra Académique PEA en 2007

En Avril 2007, le partenariat entre l’OIPR/ISRP et l’IPPR se concrétise avec la

nomination par M. Hermant, secrétaire général de l’OIPR, de Monsieur Philippe

Scialom au poste de délégué pour l’organisation pédagogique et académique de

l’enseignement de la Psychomotricité à l’IPPR. Ce dernier, venu au Cameroun en

octobre-novembre 2007, prendra des décisions importantes pour l’école. La

psychomotricité faisant partie du champ du paramédical, la demande de

reconnaissance a été déposée au ministère des affaires sociales puis, au ministère de

la santé publique. Un tutorat a été mis en place entre les étudiants de l’IPPR Douala et

les étudiants de l’ISRP Paris, grâce à Internet. L’extranet créé sur le site de l’ISRP a

permis aux étudiants camerounais, surtout les anciens élèves de M. Kassaï, de

télécharger les cours de psychomotricité afin de se remettre à niveau.

Le PEA Cameroun à l’ISRP a pour vocation d’envoyer pendant trois ans des

professionnels et des étudiants en psychomotricité pour dispenser des cours à l’IPPR

avec quatre objectifs clairs :

- Viser l’autonomie de l’IPPR en formant des futurs enseignants camerounais et

africains.

- Aider à la mise en place du programme et de l’organisation pédagogique.

- Délivrer des certificats de fin de formation correspondant aux exigences de

l’OIPR (programme d’enseignement, niveaux d’étude et validations

d’examens).

- Enfin, reconnaître l’IPPR au sein de l’OIPR.

Cependant, malgré ces évènements positifs qui ont jalonné la période 2007-2009,

l’école a dû faire face, dès ses débuts, à des situations difficiles.

En effet, certains étudiants s’inscrivaient car la soutenance était prévue à Paris et

voyaient l’école comme un moyen de s’expatrier en France. Manquant de sérieux, ils

finissaient par se désinvestir de la formation. Les divers cursus suivis par les étudiants

avant d’intégrer l’école (BEPC, CAP, Probatoire15, Baccalauréat) ne facilitaient pas non

plus le travail des professeurs. Par ailleurs, des limites des étudiants n’ayant pas le

niveau baccalauréat, n’ont pas tardé à se manifester avec l’arrivée des

psychomotriciens français et les programmes de formation en vigueur. Malgré la

15

Correspond à la classe de Première en France, les camerounais passent en fin d’année un examen qui leur permet l’accès en classe de terminal pour passer le baccalauréat.

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possibilité donnée par le délégué de l’OIPR d’achever sa formation selon son rythme et

son niveau, l’hétérogénéité des classes et le faible niveau scolaire ont créé de

nombreux problèmes. Plusieurs étudiants ont organisé une rébellion, s’opposant aux

examens de validation des modules, au règlement des frais de scolarité, au respect du

règlement intérieur, etc. Le mouvement s’est soldé par leur renvoi de l’école.

La nouveauté de la discipline scolaire et professionnelle, ainsi que sa

méconnaissance du grand public ont rendu difficile le recrutement des étudiants. Les

étudiants représentent justement la seule source de financement de l’école, ce qui

entraîne de lourdes difficultés financières face à des dépenses telles que, les

honoraires des enseignants, l’accueil des étudiants et des psychomotriciens français,

la confection des plans architecturaux pour la construction des futurs locaux, l’achat

du matériel didactique indispensable, les différents loyers des classes, des bâtiments

administratifs ou du centre d’accueil pour enfants, etc.

Malgré ces contraintes, l’école se développe et le partenariat porte ses fruits petit

à petit.

Création de l'association en juin 2009 : action et objectifs:

L’année 2009 a été marquée par la création d’une association baptisée association

pour la diffusion de la psychomotricité panafricaine, née des efforts conjoints de Sœur

Catherine-Dominique et de l’ensemble du PEA. Cette association va permettre aux

prochains étudiants du PEA de trouver plus facilement des sponsors. Il a fallu élire le

bureau de cette nouvelle association et la future présidente s’est rendue à la

préfecture pour constituer le dossier, phase qui s’est avérée plus longue que prévu

mais qui a néanmoins abouti. Puis, il a fallu démarcher les banques pour ouvrir un

compte au nom de l’association (il s’agissait de pouvoir déposer les dons ou l’argent

récolté par les étudiants auprès des différents sponsors ainsi que les cinq euros de

cotisation des membres). Les trésorières ont obtenu les papiers nécessaires à

l’ouverture du compte qui, malgré les lenteurs administratives, est aujourd’hui actif.

Les vagues successives d’étudiants ayant rejoint l’association mènent des actions

variées, telles que des ventes de gâteaux, des trophées de l’étudiant, des recherches

de sponsors, etc. Enfin, en février 2010, un concert organisé par les étudiants de l’ISRP

permet de récolter suffisamment de fonds pour accueillir deux Camerounais lors de

l’Université d’Eté à Paris et acheter du matériel pour le centre de l’IPPR (matériel

informatique, livres pour la bibliothèque de l’IPPR, etc.).

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26

c. Reconnaissance ministérielle

Au cours de la journée portes ouvertes organisée par Monsieur Scialom en

Novembre 2007, le délégué régional des affaires sociales décide d’ouvrir les portes des

autres ministères à l’IPPR, vœu qu’il exprime dans sa correspondance du 03 avril 2008

adressée à la promotrice : «… Eu égard au caractère transversal de cette discipline, une

concertation doit être engagée avec les secteurs apparentés notamment ceux de la

Santé et de l’Education Physique, en vue de donner une orientation pertinente à cette

initiative qui vise un meilleur suivi de certaines cibles du Ministère des Affaires Sociales

(petite enfance, handicapés, personnes âgées). …».

Une première rencontre a lieu le 16 avril 2008 dans les locaux du délégué régional

des affaires sociales. Cette réunion de concertation réunissait les délégués : du

ministère des affaires sociales, du ministère de la santé publique, du ministère de

l’éducation physique et du ministère de l’emploi et de la formation professionnelle

ainsi que la promotrice et les psychomotriciens venus de Paris.

Une visite sur le terrain de cette même équipe, renforcée par la Brigade de

Contrôle eut lieu le 24 avril 2008 dans les locaux de l’IPPR au collège Chevreul.

L’appartenance au ministère de la santé publique fut unanimement reconnue au cours

de cette rencontre, après analyse des compétences du psychomotricien. Toutefois, le

partenariat avec les autres ministères a été recommandé.

Le 13 mai 2008, un nouveau dossier est déposé à la délégation régionale de la

santé à Douala. Le 11 mars 2009, une mission d’expertise technique est envoyée par le

ministre de la santé publique comme ultime étape avant toute décision ministérielle.

Le 24 avril 2009, le ministre de la santé publique signe l’autorisation d’ouverture d’un

cycle de formation des techniciens médico-sanitaires16, option psychomotricité et

relaxation, à Douala. Il place cette école au même niveau que les autres écoles

paramédicales formant des techniciens médico-sanitaires et organise le concours

officiel pour la formation, prévoyant 30 places pour l’année académique 2009-2010.

Depuis la reconnaissance officielle de la formation par le ministère de la santé

publique du Cameroun, en juillet 2009, les étudiants sont en partie recrutés par

concours national et recevront donc les premiers diplômes d’Etat camerounais de

psychomotriciens en juin 2012. Les autres étudiants ayant suivi la même formation

sans avoir passé les concours devraient néanmoins obtenir en équivalence ce diplôme.

16

Le découpage de l’équipe soignante n’est pas le même qu’en France, les techniciens médico-sanitaires sont en quelque sorte l’équivalent de la filière paramédicale.

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27

La reconnaissance du partenariat entre l’IPPR d’une part et l’ISRP/OIPR d’autre part

vient d’être encouragée par un courrier du ministre de la santé du Cameroun. Le

dossier déposé en 2008 pour obtenir une aide financière auprès de la banque

islamique de développement est suivi par le ministère de l’économie et une inspection

de la banque doit avoir lieu prochainement. L’issue favorable serait la construction de

locaux neufs pour l’IPPR et son centre thérapeutique. Un dossier est en cours de

constitution au ministère de l’enseignement supérieur, de façon à élargir l’éventail de

formations possibles à l’IPPR.

En Septembre 2009, le ministre de la santé publique signe sur la demande de

l’IPPR et son équipe, la lettre d’accord de collaboration. De même, un accord de

financement est signifié par le ministre de l’économie, de la planification et de

l’aménagement du territoire, pour les constructions et les équipements de l’IPPR.

Malheureusement, ce financement reste bloqué au ministère depuis plus d’un an. La

corruption est un problème majeur en Afrique et surtout au Cameroun. En mars 2011,

la directrice de l’IPPR m’a dit avoir « bousculé » le ministère et la subvention qui leur

était promise depuis trois ans leur a été attribuée. Cela a permis de lancer les travaux

de construction de deux nouveaux bureaux et l'aménagement du centre de l’IPPR

(peinture et travaux de sécurisation des locaux).

Création du concours d’entrée à l’IPPR reconnu et organisé par le ministère de la santé

publique. 17

Les modalités du concours sont les suivantes :

Pour s’inscrire, les candidats au concours d’entrée dans les écoles de formation des

techniciens médico-sanitaire en analyses médicales, psychomotricité et relaxation, il

faut être titulaire soit du Baccalauréat C ou D (équivalant BAC S), ou de tout autre

diplôme reconnu équivalent. Les épreuves tirées des programmes officiels porteront

sur les matières suivantes : culture générale, mathématiques, biologie, physique-

chimie et langue. Elles sont présentées sous forme de documents composés de

questions à choix multiples et à réponses courtes et ouvertes. Les résultats de ces

concours seront publiés par une décision du ministre de la santé publique.

17

Informations tirées du site internet www.culturevive.com communiqué de Monsieur André MAMA FOUDA,

Ministre de la Santé Publique fait à Yaoundé, le 30 avril 2010

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28

RECHERCHES SUR LE TERRAIN

Mes recherches au Cameroun portent autant sur mon observation que sur les

résultats du questionnaire de recherche que j’ai utilisé. Afin de remettre ce travail dans

son contexte, il me semble important de préciser comment il a été élaboré. En effet,

l’histoire commence en février 2010 lors de mon premier voyage au Cameroun. Suite à

cette expérience, j’ai décidé de baser mon mémoire de fin d’étude sur la

psychomotricité dans ce pays. Ma problématique était encore floue et, bien qu’ayant

une vague idée de l‘approche que je souhaitais donner à ce travail, j’étais consciente

qu’il y avait encore beaucoup à découvrir et à raconter. Quel sujet choisir

précisément ? Le Cameroun d’un coté la psychomotricité de l’autre et au milieu, moi,

surprise, admirative, en colère, déçue. Il se passait visiblement quelque chose entre

mes attentes, ma connaissance de la psychomotricité et ce pays. Alors j’ai décidé d’y

retourner afin de répondre à toutes ces questions. Mon choix était fait, mon mémoire

porterait sur le Cameroun et la psychomotricité. Sans plus de détails, il m’a donc fallu

ouvrir un œil attentif afin d’utiliser ces observations une fois ma pensée mieux

structurée. Je reconnais que l’exercice n’était pas simple : comment « observer »

lorsque l’on n’a pas encore un objet précis à étudier ? Le travail d’exploitation et de tri

des données observées s’est fait à mon retour à Paris, lorsque j’ai pu prendre du recul.

Mes observations portes donc sur le tonus postural et le tonus d’action, sur la place du

corps dans la société camerounaise. Je présente ensuite, le cas clinique d’un enfant de

17 mois et son parcours de santé, mes expériences durant les cours à l’IPPR… Toutes

ces informations permettent de comprendre pourquoi et comment s’installe la

psychomotricité au Cameroun et surtout si elle ressemble à la psychomotricité que

nous connaissons en France.

I°) DONNÉES OBSERVÉES

1) Observations générales :

a. Attitude générale

Le Camerounais est globalement hypotonique, la démarche est lente et

nonchalante. On observe un ballant des bras assez prononcé. Les Doualas, les

Bamilékés et les Bassas, qui sont les trois ethnies que j’ai rencontrées à Douala, sont

de taille moyenne. Les filles, en général plus petites, ont les traits du visage plus ronds

que les garçons, qui ont le visage plus anguleux. En fonction des situations sociales et

des émotions qu’ils ressentent, on observe un changement très brusque du tonus,

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29

marqué par une attitude à l’extrême inverse de l’attitude hypotonique décrite ci-

dessus. En effet, ils se révèlent très hypertoniques lors des « palabres »18 par exemple.

Tout le corps est alors mis en mouvement. Ils parlent avec tout le corps (les bras, le

dos, etc.), et sautent, tapent du pied, tapent des mains, etc. j’ai constaté que ces geste,

véritable dialogue tonique, illustrent le dialogue. Effectivement, le vocabulaire étant

souvent imprécis, les gestes, intonations et mimiques deviennent un réel étayage à la

communication verbale. On peut donc observer une certaine capacité naturelle de

dissociation, surtout dans les danses traditionnelles, et à l’inverse, on peut remarquer

une raideur corporelle extrême.

On note une grande capacité d’adaptation rythmique, que l’on retrouve dans les

percussions opérées dès le plus jeune âge quelque soit le support (instrument, table

ou chaise…). Il y a, au centre de l’IPPR, un petit garçon de sept ans prénommé Modeste

dont le diagnostic n’est pas encore posé. Il est né en état de mort apparente avec un

APGAR19 à 0 pendant prés d’une semaine puis, au bout de sept jours, il a poussé son

premier cri. Aujourd’hui, Modeste a un retard intellectuel sévère, il ne parle pas, il est

très difficile de communiquer avec lui. Il souffre également de lourds troubles du

comportement et d’une hyperactivité motrice empêchant sa scolarisation. Comme il

n’existe pas ou peu de structures d’accueil pour ces enfants à Douala, Modeste est

arrivé au centre de l’IPPR. Malgré ses difficultés, il a un sens du rythme et de la

musicalité impressionnants. Il tape et joue de la musique sur tout ce qu’il trouve : c’est

son mode d’expression privilégié.

b. La place du corps

« Le corps est partout dans la culture Africaine » (Norbert Le Guerinel, 1980)

La question de la punition et du châtiment corporel au Cameroun

J’évoque ici la question du châtiment corporel car j’ai assisté au centre de l’IPPR, à

la punition d’un enfant, Modeste. On observe chez lui un syndrome polymorphe avec

une lourde problématique t. Modeste, ne tenant pas en place pendant le temps calme

et essayant de sortir par la porte a été puni. La punition était de rester assis sur une

18

Assemblée coutumière, généralement réservée aux hommes, où s'échangent les nouvelles, se discutent les

affaires en cours, se prennent les décisions importantes` selon le Centre National de Ressources Textuelles et

Lexicales. Aujourd’hui, l’art de la palabre ne se limite pas aux hommes, il s’agit de discussions oisives et

interminables autour de thèmes variés.

19 L’APGAR est un test évaluant la santé du nouveau né sous forme de score. Ce score se base sur l’observation de

certains facteurs comme, la couleur de la peau, la fréquence respiratoire, la fréquence cardiaque, le tonus et la réactivité aux stimuli.

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chaise. Modeste n’ayant pas respecté la punition, le stagiaire de troisième année, seul

homme et donc représentant de l’autorité au centre, l’a menacé de rester assis avec

une corde. La vision de l’enfant à genoux, mains sur la tête, me choque encore.

D’autant qu’au vue de la problématique de l’enfant, je ne comprends pas le sens que

cela peut avoir pour lui. L’étudiant dit ne jamais avoir tapé d’enfant, il réutilise juste la

menace des parents car c’est leur seul mode éducatif de référence. En discutant

autour de moi à Douala j’ai entendu des témoignages extrêmement controversés par

rapport à la question du châtiment corporel. C’est pourquoi je choisis ici d’exposer

quelques unes de mes recherches et interviews auprès de la population camerounaise

afin de mieux comprendre quelle est la place du corps et au sein de la sphère

éducative et sociale.

«La peur du gendarme est le début de la sagesse » (Maxime populaire)

Le châtiment corporel, « chicotte20 », fait partie de la culture éducative du

Cameroun. C’est une question d’autorité et l’outil principal utilisé par les parents pour

faire respecter le cadre aux enfants. Cette pratique est non seulement reprise par les

parents mais aussi par la majorité des adultes envers les enfants. Le rapport

adulte/enfant est essentiellement vertical et descendant. Néanmoins, les mentalités

sont aujourd’hui en pleine mutation, les exemples occidentaux et les accidents suite à

des « tabassages 21» influencent de plus en plus le pays. En effet, depuis quelques

années, suite au décès d’un lycéen frappé à la nuque par son professeur, une loi est

passée, interdisant aux enseignants de frapper leurs élèves. Cependant, même si cette

loi n’est pas toujours respectée, il semble difficile aujourd’hui de faire des généralités

quant à la position des Camerounais sur cette pratique.

La question que l’on peut se poser dans le cadre thérapeutique d’une prise en

charge en psychomotricité tourne autour du rapport au corps. Il est certes possible

qu’avec notre culture occidentale nous soyons choqués par cette pratique, néanmoins

elle constitue pour les enfants un cadre de référence réel que nous, psychomotriciens,

n’avons pas à juger.

20

La chicotte vient du portugais et signifie « fouet ». Historiquement, c’est un fouet à lanière épaisse, en cuir d’hippopotame utilisé pendant la colonisation, elle existe encore beaucoup en Centre Afrique et Afrique de l’Ouest pour l’éducation des enfants. L’objet n’est plus forcément un fouet, il peut s’agir d’une corde, d’un bâton, d’un journal…http://fr.allafrica.com/stories/200906170633.html Cameroun: La chicotte, « Arme d'éducation » massive, Eric Elouga, 17 Juin 2009

21 En utilisant ce terme, je réemplois, le mot utilisé par la population camerounaise, quelque soit les personnes que

j’ai interrogé à ce sujet. c’est un mot fort, qui peut choquer, c’est pourquoi je chois de le retranscrire ici.

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Lors d’une discussion avec le préfet des études22 de l’IPPR, qui a suivi la formation

de psychomotricien, ce dernier m’a confié qu’il n’était pas d’accord avec ces méthodes

qui lui semblent vouées à l’échec. En effet, selon lui, le jour où les enfants grandissent

et acquièrent la capacité physique de rendre les coups, il ne reste plus aux parents

« que leurs yeux pour pleurer ». Il lui paraît donc important pour ne pas perdre le

respect pour ne pas se retrouver démuni face à ces jeunes adultes23 et de développer

d’autres modes de communication et d’éducation avec les enfants. Lui a choisi de

passer par le dialogue avec ses propres enfants. Mais il m’a confié tout bas qu’il était

très mal perçu par sa communauté, qui le juge faible et irresponsable.

c. Un exemple de parcours de santé typique et confus.

Afin de concrétiser mon exposé, je choisis de vous présenter un cas clinique. Il me

permet de présenter quelques notions éducatives et socioculturelles camerounaises

face au handicap. Vanessa, la maman, nous confie sa perception du système de santé

camerounais, entre tradition et médecine occidentale, sur l’empreinte du magico-

religieux dans la société, sur l’impact de la famille et sur l’importance qu’a pris pour

elle la psychomotricité dans la prise en charge de son fils Maël.

L’histoire de Maël et de ses parents est celle d’une famille démunie face au

handicap d’un enfant. Vanessa, est une Camerounaise de Douala, son papa est

Français. Maël est un petit garçon de 17 mois qui a convulsé à la naissance. Sa dernière

convulsion remonte à 8 mois. Aujourd’hui, aucun diagnostic n’a été posé. Il y a

toutefois une suspicion d’AVC24 anténatal.

Dès le lendemain de sa naissance, il convulse pour la première fois. On observe

alors de légères myoclonies au niveau du pied et de la main gauche, dans un premier

temps. On lui injecte alors du Gardénal®25 et du Valium26®. Mais, à l’hôpital de Douala

il y a eu une erreur sur le poids de l’enfant qui a reçu des doses beaucoup trop fortes

et a « dormi » pendant plusieurs jours. A son réveil, il présente une paralysie de

22

Responsable pédagogique qui fait le lien entre les étudiants les professeurs et la direction.

23 Le terme d’adolescent est très peu ou pas utilisé au Cameroun. Il existe des rituels de passage de l’enfance à l’âge

adulte donc c’est une période qui n’existe quasiment pas.

24 Accident vasculaire cérébral.

25 Gardénal® : anticonvulsivant qui appartient à la famille des barbituriques.

Il est utilisé dans le traitement de certaines formes d'épilepsie. http://www.eurekasante.fr/medicaments/vidal-famille/medicament-mgarde01-GARDENAL.html 26

Valium® : anxiolytique de la famille des benzodiazépines. Il possède également des propriétés anticonvulsivantes. http://www.eurekasante.fr/medicaments/vidal-famille/medicament-ovaliu01-VALIUM-ROCHE.html

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l’hémicorps gauche. Les examens ne révèlent aucunes anomalies. Afin d’éviter de

nouvelles convulsions, on place l’enfant sous Dépakine®27 et on lui prescrit de l’éveil et

des stimulations psychomotrices. Maël est aussi suivi pour des séances d’ostéopathie,

d’acupuncture et d’ergothérapie. A quatre mois, il refait une convulsion hypotonique à

32° C. On lui injecte du Valium® et il est alors hospitalisé quatre jours dans une clinique

privée de Douala. La semaine suivante, il fait une convulsion hyperthermique. À 5

mois, Maël est rapatrié à l’hôpital Necker à Paris.

Vanessa, me racontait lors de notre entretien combien le handicap représente une

véritable malédiction au Cameroun. Pour beaucoup de parents, c’est donc une honte

d’avoir un enfant handicapé. Le handicap, associé à la malédiction renvoi à la faute. On

peut facilement imaginer la culpabilité que représente le handicap de cet enfant dit

« maudit ». Au village, on considérait Maël comme un enfant « boa28 » qu’il fallait

déposer prés de la rivière pour qu’il redevienne un serpent29. D’autres parle

« d’enfant-cordon » pour parler de l’autisme. Eric de Rosny (1996, p132) parle des

traitements par cordelettes attachées autour des reins pour qu’il reste « avec nous ».

Outre les soins médicaux qu’il a pu recevoir, en France ou au Cameroun, Maël a

également bénéficié de la médecine traditionnelle. En effet, Vanessa, reste très

attachée aux traditions. Elle pratique matin et soir des rituels de purification de la

maison à l’encens, afin de refouler les ondes négatives et de chasser les mauvais

esprits. Elle m’explique que dans sa culture, l’enfant vient d’un autre monde. On le

place dans le ventre de sa future mère. Ainsi lorsqu’il naît et qu’il arrive sur Terre, il se

peut que viennent avec lui ces petits njounjous30, ou esprits invisibles. Lorsque l’enfant

gazouille, elle suppose qu’en réalité il s’adresse à ces esprits qui peuvent être amis ou

maléfiques. Ce sont eux que Vanessa tente de chasser par l’encens. Afin que le bébé

veuille bien rester dans ce nouveau monde, on attache à l’enfant des bracelets, des

colliers et des lacets autour des chevilles ou de la taille. Une façon de matérialiser le

lien avec ses parents et faciliter la transition entre ces deux mondes. Ce lien doit l’aider

27 Dépakine® : appartient à la famille des anticonvulsivants non barbituriques. Il est utilisé dans le traitement de l'épilepsie, seul ou en association avec un autre antiépileptique et le traitement préventif des convulsions liées à la fièvre chez l'enfant. http://www.eurekasante.fr/medicaments/vidal-famille/medicament-mdepak01-DEPAKINE.html 28

Le concept de l’enfant « boa » renvoi à l’infirmité motrice cérébrale (IMC), en effet puisque l’enfant présente une phase de flasticité la population considère qu’il s’agit en réalité d’un serpent qui s’est métamorphosé en enfant.

29 Il faut souligner que la pauvreté au Cameroun limite grandement l’accès au soin, ou alors au prix de lourds

sacrifices qui engagent toute la famille.

30 « Les jins sont ainsi compris comme des êtres spirituels crées par Allah à partir du feu de la Fournaise Ardente. Ils

sont doués d’intelligence mais restent invisibles aux yeux des humains » E WEBER (1996) cité par Marion James dans Culture et psychomotricité, vers une ethno psychomotricité l’exemple de l’enfant maghrébin. Issu du monde musulman ils ont intégré la culture camerounaise. Ils sont souvent « mauvais » et responsables des maladies.

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à ne pas se laisser mourir et à accepter de rester sur Terre. Elle m’explique avoir

emmené Maël dans le Nord Cameroun chez les Bamilékés, qui ne vont jamais à

l’hôpital car ils ne légitiment pas à cette « médecine de blanc » qui selon eux n’a pas

encore fait ses preuves face à la médecine traditionnelle. Lorsqu’ils se présentent à

l’hôpital il est souvent déjà trop tard. Le médecin ne peut plus rien faire, cela les

conforte donc dans l’idée qu’il ne sert à rien d’aller à l’hôpital. Les accouchements se

font encore à domicile et les soins sont prodigués dans le village. Leurs méthodes, à la

grande surprise des plus réticents, montrent des résultats satisfaisants surtout au

niveau de l’utilisation de plantes médicinales et d’épices. J’ai noté que les camerounais

se tournent vers les personnes compétentes en fonction des problèmes auxquels ils

sont confrontés. Tantôt ils se retourneront vers les guérisseurs traditionnels, tantôt

vers les médecins, selon le type de pathologie. Un jeune Camerounais m’a confié qu’il

souffrait d’un ulcère à l’estomac. Dans un premier temps, il comptait se rendre au

village voir le guérisseur pour prendre des plantes faisant office de pansement

gastrique, ensuite si le problème n’était pas réglé il se rendrait à l’hôpital.

Vanessa me confie le soulagement qu’elle a ressenti face aux réactions de sa

famille concernant le handicap de Maël. En effet, certains ont pensé qu’il était maudit,

d’autres ont supposé qu’il avait été envoûté par une personne du village qui en voulait

à sa famille, ou encore que c’était une maladie à soigner. Cependant, tous se sont

mobilisés pour aider Maël. Que ce soit en le désenvoûtant, en le soignant, en le

massant ou en le protégeant, ils ont manifesté le désir de soutenir Vanessa dans ses

démarches. Ce n’est malheureusement pas le cas de toutes les familles. Le plus

souvent, on assiste à un rejet du handicap, de l’enfant et parfois de ses parents. Dans

le pire des cas, on observe des abandons ou des meurtres.

Pour Vanessa, il est beaucoup plus difficile de soigner un enfant, car un adulte peut

verbaliser sa souffrance et exposer sa problématique. Avec son enfant, elle a dû

apprendre à décrypter ses pleurs et son langage corporel par l’observation. Cette

maman pense que la psychomotricité pourrait se développer s’il y avait plus

d’informations. Elle a peiné à obtenir des informations sur ce métier qu’elle ne

connaissait pas. C’est par l’intermédiaire de l’ostéopathe qu’elle a été redirigée auprès

d’une psychomotricienne. Elle ne pense pas que la psychomotricité soit une

concurrente de la médecine traditionnelle mais elle comprend que certains tradi-

praticiens la considèrent comme telle. Vanessa a emmené Maël chez une masseuse

spécialisée dans la « maladie des fontanelles » car à 8 mois, il ne tenait toujours pas sa

tête. Au bout de quelques séances seulement, Maël a commencé à essayer de tenir sa

tête. C’est pourquoi elle m’avoue que le travail en psychomotricité est long et qu’il est

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parfois difficile de faire confiance quand on n’observe pas de résultat. En plus, compte

tenu du prix de la séance, cette thérapie n’est pas accessible à la plus part des

Camerounais.

Ce propos traduit bien l’importance de la demande formulée par ces familles

terrifiées par une maladie qu’elles ne s’expliquent pas. L’influence, toujours très

prononcée, du magico-religieux au Cameroun perturbe encore plus ces familles

désorientées. La psychomotricité pourrait prendre tout son sens si elle faisait office de

lien entre la médecine occidentale et la médecine traditionnelle. En effet, cette

discipline qui associe le corps et l’esprit peut arriver à se faire une place dans un pays

et une culture où le corps occupe une position centrale. En outre, dans le cas du petit

Maël qui bénéficie pourtant d’une prise en charge pluridisciplinaire, on constate que

les différents membres de l’équipe ne dialoguent pas entre eux. Il paraît difficile de

faire un travail efficace et optimal pour Maël et sa famille.

d. L’enseignement de la psychomotricité au Cameroun

Mon premier contact avec l’IPPR

Lors de ce premier voyage, nous étions deux à nous présenter en classe devant les

étudiants. Nous avions mis l’accent sur le fait que nous étions nous même étudiantes

et en aucun cas des « profs ». Nos compétences avaient donc des limites et nous

étions là pour leur proposer la psychomotricité telle qu’elle nous avait été transmise à

Paris. D’entrée de jeu, nous avons compris que nous n’avions pas les connaissances

suffisantes sur le Cameroun pour leur apporter une psychomotricité déjà adaptée à

leur culture. Nous avons donc choisi de leur montrer une psychomotricité

« française », à eux de se l’approprier pour en faire une discipline camerounaise.

Lorsque j’ai compris l’importance de ce travail d’appropriation et d’intériorisation de

ces concepts propres à la psychomotricité et à l’Occident, j’ai décidé d’en faire le sujet

de mon mémoire dessus.

Dans le cadre de cet échange, j’ai été confrontée aux premières spécificités

camerounaises. Lors d’un exercice par deux, avec les premières années, j’ai été très

surprise par la réaction d’une étudiante devenue extrêmement hypertonique à l’idée

d’être touchée. Et comme son binôme était un homme, elle a catégoriquement refusé

l’exercice.

Lors de notre première intervention, mon binôme et moi-même, avons travaillé

autour d’éléments différents tels que la relaxation psychosomatique de G.B.

Soubiran®, la méthode Jacobson autour la contraction/détente ou de la sophrologie

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ludique. Nous avons également abordé le tonus, l’espace, la prise de conscience du

corps ou l’image du corps. Cependant les étudiants nous ont réclamé des cours de

sémiologie en psychomotricité. Nous avons dû nous résigner à donner des cours quasi

magistraux. C’est face à des étudiants très demandeurs que nous nous sommes

retrouvées. Paradoxalement, nous étions toujours confrontées à ce blocage, ce

malaise, surgissant au moment de toucher le corps de l’autre. Lors du séminaire

international de psychomotricité de Douala, nous devions animer des ateliers de

relaxation en fin de journée, après les conférences. Nous avions décidé de guider

verbalement les séances mais de faire pratiquer les étudiants sur les volontaires de

l’assistance. Il a suffit d’une coupure d’électricité (comme il y en a fréquemment à

Douala) pour que tous les étudiants s’en aillent discrètement de la salle. Suite à cet

incident, ils ont justifié leur réaction par la fatigue, d’autres sont entrés dans une

longue litanie de plaintes car ils pensaient pouvoir partir plus tôt, jusqu’à ce qu’un

petit groupe reconnaisse qu’ils n’avaient tout simplement « pas envie ». « Pas envie »

de se salir car il faut savoir que la relaxation qu’elle soit en position décubitus ou en

position pro cubitus se fait sur une natte à même le sol, or le sol du gymnase du

collège Chevreul est en béton recouvert de terre et de poussière rouge. Nous avons

rediscuté de cet évènement avec eux et les avons à nouveau questionnés sur leurs

motivations. Puis après s’être excusés de leur comportement, le séminaire a pu

reprendre dans des conditions optimales.

En plus des conditions pratiques et de la motivation, des influences culturelles se

sont surajoutées. En effet, une jeune femme ayant participé en début de semaine aux

séances de relaxation à soudainement exprimé son refus le troisième jour. Lorsque je

lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu qu’elle « saignait » et donc qu’elle ne

pouvait pas. Elle faisait référence à ses menstruations qui renvoient au Cameroun à

une certaine notion d’impureté. Les filles se privent de beaucoup d’activités,

notamment tout ce qui concerne la mise en mouvement du corps, sport, etc.

Nous nous sommes adaptées aux conditions du travail en pratique à l’IPPR.

Contrairement à Paris, là-bas, pas de tatamis, de tapis et de sol plat et propre. Cela a

rendu les exercices au sol assez difficile. De plus les filles, souvent en robe ou en jupe,

sont rarement habillées en conséquence ce qui rend la pratique un peu compliquée

2e voyage et évolution de l’enseignement :

L’enseignement théorique de la psychomotricité aujourd’hui est assuré par quatre

professeurs : Guy et Adolf, qui sont des psychomotriciens diplômés de l’IPPR, et

Adeline et Delphine, deux psychomotriciennes françaises installées pour l’année

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scolaire à Douala. Ils prennent également en charge la pratique des tests et épreuves

du bilan psychomoteur. Depuis quatre ans, les étudiants de l’ISRP se relaient à Douala

afin d’échanger autour des cours de psychomotricité théoriques et pratiques, en

particulier. C’est d’ailleurs, cette année (2010-2011) la mission principale des

étudiantes qui partent en échange au Cameroun. En effet, l’enseignement théorique

est assuré en continu et les étudiants de l’ISRP interviennent sous formes de «stage »

de deux semaines pour initier les étudiants de l’IPPR à une médiation, telle que le

cirque, le théâtre ou la danse.

Cours de pratique IPPR 1, 2, 3 autour de la médiation théâtre et expression corporelle :

C’est lors de mon deuxième séjour, seule, en novembre 2010 que j’ai proposé aux

étudiants une initiation à la médiation théâtre et expression scénique autour de

l’expression corporelle. Nous avons étalé les nattes dehors dans l’herbe en évitant les

racines et les cailloux. Je me suis vite retrouvée face à trois épineux problèmes.

Premièrement l’absence du cadre contenant de la salle, les étudiants étaient

surexcités. Je me faisais difficilement entendre compte tenu du bruit de la ville.

Deuxièmement, l’obscurité, à partir de 17h45, il fait nuit à Douala or le cours finissait à

20 heures. Enfin troisièmement et non des moindre, les moustiques. Nous avons

malgré tout réussi à faire les trois heures de cours prévues, les trois promotions

d’élèves confondues. Il a fallu s’adapter aux conditions extérieures, c’était d’ailleurs

un très bon exercice personnel. Je leur ai demandé de parler de leur vécu et des items

psychomoteurs travaillés par les exercices proposés, ainsi que la population cible ou

les différentes variantes de l’exercice.

J’ai pu observer une forte dynamique de groupe surtout entre les deuxièmes et

troisièmes années. Beaucoup de confiance et de complicité qui ont favorisé la prise

d’initiative. J’ai été agréablement surprise par l’évolution de leurs réactions face aux

médiations, comparée à l’année précédente, lors de mon premier séjour. Même si

l’intérêt et l’utilisation de ces pratiques en psychomotricité leur semblent encore flous,

ils arrivent à faire de nombreux liens théorico-cliniques. Le rapport entre ces

médiations et la psychomotricité, perçue comme soin strict, n’est pas évident, cela

découle plus pour eux de l’ordre de l’épanouissement et du développement personnel.

Je pense vraiment qu’il faut désormais mettre l’accent sur la diversité de ces

médiations dans la formation à l’IPPR.

Lors de mon intervention avec les étudiants de deuxièmes année autour de la

médiation théâtre et expression corporelle, un des étudiants m’a révélé ne pouvoir

réutiliser ces exercices avec des adultes qui jugeraient ceux-ci trop infantilisants. Il y a

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indubitablement une frontière franche entre l’enfance et l’âge adulte. Une fois adulte,

il n’est pas commun de régresser à l’enfance. Ainsi, le lâcher prise par le jeu est difficile

à aborder. Cela pose la question de l’utilisation de médiation pour les patients

Camerounais telle que l’on peut la concevoir en France.

Malgré les appréhensions premières, lors des verbalisations de fin d’exercices

scéniques, certaines étudiantes ont dit avoir pris plaisir à ne plus penser aux soucis

quotidiens, à « se lâcher » et rire aux éclats. Elles disaient que cela leur rappelait leur

enfance. C’était une réelle prise de conscience de l’intérêt thérapeutique de ces

moments de régression. Il apparaît que ces moments de régression sont plus

difficilement accessible pour les hommes.

Notre approche française surtout au sein de notre formation à l’ISRP est très

phénoménologique. Nous passons essentiellement par l’expérience corporelle avant

d’en tirer la théorie. Il semble qu’au Cameroun, il soit nécessaire de théoriser,

d’intellectualiser les sensations et les exercices avant de les mettre en pratique. De

plus, la place de l’adulte est très idéalisée, l’adulte est « fort », il est en recherche de

performance. Il est donc d’autant plus difficile pour les étudiants d’échapper à la peur

du jugement pour se lancer dans des exercices qui engagent directement le corps et la

personne dans sa globalité.

e. Terrain de stage

Je présente « le centre » et le FEDEME qui ne sont pas les seuls terrains de stages mais

qui sont ceux que j’ai visités.

Le centre d’accueil pour enfant de l’IPPR

Sur le trottoir face à l’école, l’IPPR a créé un centre de consultation et d’accueil

pour enfants, que tout le monde appelle « le centre ». Il s’agit également d’un lieu de

stage pour les étudiants de l’IPPR. Je vais décrire ici une journée type du centre de

l’IPPR telle que je l’ai vécue, afin de voir comment s’organise la psychomotricité au

Cameroun. En effet, j’ai dans un premier temps défini quelques grands points de la

psychomotricité en Occident, puis j’ai démontré le manque de théorie au Cameroun

sur ces mêmes sujets. J’ai prévu par le biais de questionnaires de demander aux

principaux concernés leur avis sur ces questions, afin d’avoir une vision à la fois

théorique et pratique de la psychomotricité camerounaise.

La journée commence par un temps d’accueil de 8 heures à 9 heures avec un

stagiaire de troisième année à l’IPPR et Adeline (psychomotricienne française installée

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à Douala pour six mois). Les enfants arrivent petit à petit et sont accueillis par

Thérèse31 ou un étudiant de l’IPPR en stage. Les enfants sont en « temps libre », ils ont

des jeux à disposition tels que des Lego, un tamtam, des cubes ou de quoi dessiner.

Les psychomotriciens jouent plus ou moins un rôle d’éducateur pendant ces temps

pas encore bien définis. Ceci pose la question de la relation thérapeutique puisqu’en

dehors de la salle de psychomotricité, le psychomotricien doit s’occuper de la vie

quotidienne du centre. Il propose des activités occupationnelles, fait respecter les

règles, surveille le goûter, les toilettes, etc. Comment se déroule la séance individuelle

et la relation thérapeutique quand le psychomotricien passe la matinée à se fâcher

dans la salle commune et à donner des punitions voire à taper ? Le châtiment corporel

fait partie de l’éducation camerounaise et les psychomotriciens camerounais ne font

pas toujours exception à la règle (ce point théorique a été développé précédemment

dans le questionnement de la place du corps). Selon les psychomotriciens présents, les

séances se déroulent individuelles dans une des deux salles de psychomotricité ou

dehors dans la cours du centre. La plupart des enfants viennent toute la semaine de 8

heures à 13h30 mais d’autres ne viennent que pour leur séance d’une heure environ.

Chaque enfant a son psychomotricien référent avec qui il est en séance individuelle

Le découpage temporel théorique de la journée est très difficile à respecter et faire

respecter à Douala. Les psychomotriciens de l’équipe et les stagiaires n’étant pas les

mêmes toute la semaine, ils prennent du temps pour écrire dans un cahier de

transmissions les événements de la matinée. Puis, ils consignent le compte rendu de la

séance pour chaque enfant, s’il y a eut une séance individuelle, sinon ils rapportent les

évènements particuliers, l’apparition de nouveaux comportements ou les bagarres.

L’objectif principal est de réorganiser l’espace et les temps pour créer un cadre

rassurant et contenant pour les enfants, sans trop de distraction. Ceci a été fait

pendant mon séjour de novembre 2010. Nous avons organisé le centre en trois salles.

Une salle avec un bureau pour les entretiens et les activités de motricités fines dans

laquelle le matériel et les jeux sont rangés. Une deuxième salle qui est la salle de

motricité globale dans laquelle se trouvent les tapis, les ballons et le matériel de

relaxation. Enfin, la plus grande pièce, la salle commune.

Comme nous l’avons vu, les camerounais ont beaucoup de difficultés à respecter

les horaires, tant les thérapeutes que les patients ou leur famille. Il est donc difficile

31

Cf. Annexe 1 organigramme de l’IPPR.

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d’organiser précisément la matinée, des activités et séances individuelles quand il n’y a

pas d’horaire fixe. Toutefois, ceci est très formateur pour les stagiaires et jeunes

professionnels qui se trouvent confrontés au problème du cadre thérapeutique. On

comprend ainsi toute son importance pour la cure.

L’objectif de ce « centre » est de devenir un centre de consultation. En effet,

l’espace commence à devenir insuffisant pour accueillir tous les enfants et s’ils restent

toute la matinée, il faudrait alors embaucher des éducatrices. Il prendrait ainsi l’allure

d’un accueil de jour. Sœur Catherine souhaiterait pouvoir accueillir les enfants à la

journée voire en internat. Cela nécessiterait un déménagement et un budget qu’elle

ne possède pas pour l’instant.

Caméléon, FEDEME, centre d’accueil pour déficients mentaux et pour auditifs

L’association, fondée il y a dix ans par une Allemande, est un terrain de stage pour

les étudiants de l’IPPR. Soigneusement organisée et brassant une population variée,

elle offre un contexte de stage particulièrement intéressant pour les étudiants.

Malheureusement ces stages ne débouchent pas sur des embauches, faute de budget,

alors que la demande en psychomotriciens est réelle sur le terrain.

2) Implantation de la psychomotricité

Aujourd’hui, les psychomotriciens parviennent à trouver du travail, mais

globalement, ils peinent à en vivre réellement. Pour la plupart, il s’agit de séances à

domicile, ici et là. Les autres, plus chanceux, ont réussi à trouver un emploi stable avec

un cabinet dans une clinique privée ou dans des associations.

Le séminaire international de psychomotricité de Douala a lieu une fois par an dans

le gymnase du collège Chevreul. Il a pour objectif de sensibiliser un large public à

l’approche psychomotrice mais aussi d’apporter des éléments théorico-cliniques sur

des questions touchant les différentes indications en psychomotricité. Enfin, il permet

de favoriser les échanges entre les différents professionnels de la santé, de l’éducation

afin d’initier et d’améliorer un réel travail en équipe pluridisciplinaire. Il est ouvert à

tous, les médecins, les instituteurs, les enseignants dans le supérieur ou les parents

d’enfants malades. Les étudiants de l’IPPR, toutes promotions confondues, assistent

également aux conférences. Ils aident à installer la salle, accueillent les conférenciers,

comme le public, et peuvent aussi être amenés à contribuer aux ateliers en fin de

journée. Lors de notre participation au séminaire de 2010, ma collègue et moi-même

devions animer des ateliers de relaxation en fin de journée. Ce sont donc, les étudiants

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40

de l’IPPR qui pratiquaient sur des volontaires de l’assistance pendant que nous les

guidions verbalement.

A la SWAA, premier psychomotricien salarié de Douala

Je vais présenter le premier lieu d’exercice de la psychomotricité à Douala. Adolf

fait partie de la première promotion de diplômé de l’IPPR et a trouvé un emploi dans

une association de Douala. Cela fut le premier pas de l’implantation professionnelle de

la psychomotricité au Cameroun.

La SWAA, Society for Women and Aids in Africa, est une association de soutien aux

femmes africaines touchées par le Sida, fondée 1988. Son objectif est de créer un

forum où les femmes peuvent mener des actions collectives de lutte contre le SIDA. La

branche camerounaise a vu le jour en 1990. Elle est subdivisée en six branches

régionales. La SWAA littorale a ouvert ses portes en 1991, avec pour vocation de

freiner la propagation du virus d’immunodéficience humaine (VIH) par des activités de

prévention qui tiennent compte des habitudes socioculturelles. Elle s’engage aussi à

assurer le suivi psycho-social, nutritionnel et médical des patients et de leurs familles.

Enfin elle vise à réduire l’impact de l’infection dans les familles et les communautés. Il

y a eu 2 910 consultations en 200932. L’association compte 1 438 inscrits, dont 85 % de

femmes dans le centre et 547 personnes sous anti rétro viraux (ARV), dont 30 enfants.

L’équipe est constituée de 15 permanents (un médecin généraliste, un chargé de

programme, une assistante sociale, deux infirmières, deux aides soignantes, trois

conseillers psycho sociaux, un psychomotricien, un secrétaire, un comptable). Elle est

renforcée par une équipe de vacataires (gastroentérologues, dermatologues,

gynécologues, pédiatres, psychologues, diététiciens et travailleurs sociaux) et une

équipe de bénévoles membres de l’association (médecins, juristes, journalistes, AS,

infirmières et ingénieurs, pharmaciens).

3) Difficultés, embûches, problèmes rencontrés.

L’exemple de l’IPPR montre bien toute la difficulté d’évoluer et de s’installer à

Douala et en Afrique en général.

Aujourd’hui l’IPPR dépend du ministère de la santé. Pour que les étudiants

bénéficient d’équivalences de diplômes ou que l’école reçoive des budgets qui

contribueraient au développement de l’école et du centre, il faudrait qu’ils soient

reconnus par le ministère de l’enseignement supérieur. Cependant, pour être reconnu

32

Référence obtenue par la SWAA directement lors de ma visite en Novembre 2010.

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41

par ce ministère, il faut remplir des conditions bien précises ; la principale étant de

posséder ses propres locaux… Pour l’instant les bâtiments sont prêtés et, en théorie,

loués par la congrégation des religieuses. Or, pour avoir ses propres locaux l’école a

besoin d’un budget qui « dort » au ministère. La subvention a visiblement été bloquée.

Comme mentionné précédemment, la corruption est un véritable fléau au Cameroun.

Selon une étude de 2004, publiée par l’ONG33 SOS Corruption, la santé et

l’enseignement supérieur font partie des vingt administrations les plus corrompues…

un mal qui gangrène malheureusement de nombreuses administrations au Cameroun

et globalement en Afrique. Dans le cas présent, elle pose un frein au développement

de l’école. Néanmoins, nous espérons que la situation sera prochainement débloquée,

grâce aux efforts de l’école et de Sœur Catherine-Dominique, mais aussi au soutien

sans faille de MM. Hermand et Scialom. Avec le concours du délégué du Ministère de

la Santé, l’IPPR se verra peut-être enfin attribuer la subvention promise…

Afin de faire un état des lieux du développement et de l’implantation de la

psychomotricité au Cameroun j’ai proposé un protocole de recherche qui nous

renseignera sur la pratique des camerounais à un instant « T ». En effet la pratique

récente est en plein essor et on évoque les changements de terme de mois voire de

semaines.

II°) DONNEÉS ISSUES DES QUESTIONNAIRES

1) Méthodologie

Cette recherche a une double action, elle évalue d'un point de vue quantitatif

l'évolution de la psychomotricité, en recensant le nombre de psychomotriciens

agissant de telle ou telle façon, avec intervention ou non de spécificités culturelles. Elle

permet également la mise en évidence, d'un point de vue qualitatif, des spécificités

culturelles en question. C’est pourquoi le questionnaire propose des questions assez

ouvertes pour permettre aux participants des réponses élargies.

Selon le professeur Alex Mucchielli (2007), il existe cinq grandes méthodes de

recherches qualitatives, à savoir l'induction analytique, la théorisation ancrée,

l'approche phénoménologique, l'analyse structurale et la systémique des relations.

Pour la théorisation ancrée, les spécialistes nous informent qu'il faut

impérativement prendre en compte « la perspective dans laquelle se situent les acteurs

sociaux ». Il faut donc chercher des relations entre les personnes interrogées. D’après

33

Organisation non gouvernementale.

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42

Howard Becker et Blanche Geer (1960), il faut résumer les notes de terrain sous forme

« d'incidents » qui sont « l'expression verbale complète d'une attitude ou des actes

complets, individuels ou collectifs ». Cependant, toutes les notes ne seront pas utiles à

la recherche. Il convient donc de procéder à l'exploitation de ces données afin de

s’assurer qu'elles sont bien en lien avec le thème de la recherche.

Pour l'approche phénoménologique, on suppose que l'interrogé nous expose sa

façon de voir un objet du monde, ici la psychomotricité. Il ne doit pas décrire l'objet

mais bel et bien la façon dont il le voit avec ses yeux et sa relation à l'objet. C’est dans

ce cas la relation sujet-objet qui motive la recherche.

L’analyse structurale repose sur le travail de Claude Lévi-Strauss, c’est à dire

l'analyse des mythes d'Œdipe, Cadamos et Antigone. Le but est de repérer les points

communs à ces trois mythes. Ici, il s’agit de repérer les points communs entre les

pratiques psychomotrices françaises et camerounaises pour mieux faire ressortir leurs

différences.

La systémique qualitative des relations a pour objectif premier le « cadrage », c'est-

à-dire de délimiter le champ d'observation.

L’induction analytique observe de nombreux faits et tente d'en tirer des

généralités.

Je me suis inspirée de ces différentes théories pour mettre au point mon

questionnaire. En effet, je le souhaitais suffisamment ouvert pour récolter un

maximum d’informations sur les perceptions des psychomotriciens ou des étudiants au

sujet de leurs pratiques.

2) Outils :

Afin de recueillir les informations nécessaires, j'ai construit des guides d'entretien

composés de questions ouvertes autour de cinq grands thèmes :

- Le temps

o Comment travaillez-vous avec le temps ? Notamment le respect des horaires ?

o Comment découpez-vous une séance ?

o Quelle est la durée et la fréquence des séances dans la prise en charge ?

o En combien de séances faites-vous un bilan ?

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43

- L’espace

o Où travaillez-vous ? Hôpital, clinique, association, à domicile … ?

o Avez-vous un espace propre à vous ?

o Décrivez la salle dans laquelle vous travaillez ?

o Comment est agencé l’espace ? Comment est rangé le matériel, où et pourquoi ?

- La population

o Avec quel type de population travaillez-vous ?

- Les outils

o Quel matériel utilisez-vous ?

o Qui achète le matériel ?

o Comment le transportez-vous à domicile ?

o Quelle médiation utilisez-vous ?

- L’interdisciplinarité

o Avec qui travaillez-vous ? médecin, autres psychomotriciens…De qui se constitue l’équipe pluridisciplinaire ?

o Travaillez-vous uniquement sur prescription médicale ?

3) Protocole :

J’ai constitué trois groupes : un groupe d’étudiants camerounais de troisième

année, un groupe de professionnels camerounais et un groupe d’étudiant français de

troisième année. En fonction du nombre de professionnels et d’étudiants

Camerounais, j’ai sélectionné de façon aléatoire le même nombre d’étudiants français.

Afin de ne pas orienter les résultats, j’ai proposé les enquêtes à des étudiants dont

j’ignorais tout du lieu de stage. Ces formulaires sont tous anonymes. Ils sont basés sur

quelques points importants de la psychomotricité comme l’espace, le temps, les outils

(matériels et médiations), les indications et le travail en équipe pluridisciplinaire. J’ai

envoyé des séries de questionnaires identiques par mail, avec la même consigne, aux

français ou aux camerounais.

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44

Cette consigne était la suivante : « Je vous rappelle que ce questionnaire est

anonyme, je vous demande d’y répondre de façon claire et synthétique et de me le

retourner dès que possible ».

Pour les professionnels camerounais, le protocole d’interrogation diffère quelque

peu puisque j’étais, à l’époque, sur le terrain. La population sondée est composée de

neuf psychomotriciens. Le groupe compte trois hommes et cinq femmes. Les huit

psychomotriciens sont assis avec moi, dans une même salle. J'expose le thème général,

par exemple le temps, et je cite les sous-questions qui s'y rapportent. Ainsi, tout le

monde reçoit les mêmes consignes et les mêmes informations avant de répondre aux

questions. J’ai recensé les réponses sous formes de tableaux récapitulatifs.

L’objectif de mon travail de recherche est d’observer la tendance générale de

l’évolution de la psychomotricité au Cameroun. A savoir : si malgré un enseignement

français, les étudiants camerounais restent fidèles à leur culture au sein de leur

pratique. Je fais une analyse comparative entre les professionnels camerounais sortis

de l’école depuis quelques années et les étudiants en cours de formation, pour tenter

de déterminer si, au fil du temps, les Camerounais intériorisent les concepts

psychomoteurs enseignés par des Français puis, s’en détachent pour faire ressortir leur

spécificité culturelle.

4) Exposé des résultats.

Après avoir récolté les réponses aux questionnaires, je les ai rassemblées dans un

premier tableau récapitulatif qu’il n’est pas pertinent de communiquer dans ce

mémoire pour en comprendre explicitement les résultats. J’ai donc refait des tableaux

par réponses, de manière à proposer la présentation la plus claire possible. Je vais

exposer les résultats des questionnaires sous forme de tableaux récapitulatifs. Dans un

premier temps, je présenterai et détaillerai les réponses des étudiants français, puis

j’exposerai les résultats des professionnels camerounais et enfin je révèlerai les

réponses des étudiants camerounais.

a. Etudiants français : 10

En France, les horaires sont majoritairement respectés par les stagiaires. Pour une

étudiante néanmoins, le respect des horaires est difficile, elle est toujours en retard

dans sa vie personnelle et exprime ses difficultés à être « dans les temps ».

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45

Quasiment tous les participants ont des rituels de début et de fin de séance. Le

découpage, quant à lui, varie et s’adapte en fonction du patient ou du groupe. Pour

tous, il fait partie du cadre de la séance et s’établit suite au bilan.

Tableau a.1 : Utilisation du temps par les étudiants français

Etud1 Etud2 Etud3 Etud4 Etud5 Etud6 Etud7 Etud8 Etud9

Durée des séances

45min-1h

30min 30-45min

30-45min

30-45min

30-45min

45min 30min 10min-1h

fréquence des séances

1/sem 2/sem 1-2/sem

1/sem 1-2/sem

1-2/sem

1/sem 1/sem 1/sem

Bilan

2x 45min

1 ou 2x 30min

2 x 45 min

2 ou 3x 3045 min

3 x 30-45 min

2 ou 3x 40 min

1 ou 2x 45 min

3 x 45 min

2 ou 4x 10min à 1h.

Presque à l’unanimité, les étudiants français prévoient des séances de 30 à 45

minutes une à deux fois par semaine. J’ai pu distinguer un écart important dans le

secteur de la gériatrie compte tenu de la fatigabilité des patients. Les séances peuvent

varier de 10 minutes à 1 heure une fois par semaine.

Le bilan est étalé sur 2 ou 3 séances de 30 – 45 minutes en moyenne. Il s’effectue

sur 1h30 en moyenne sans compter le temps de cotation. Les remarques, dans le cas

d’un bilan d’observation, peuvent s'étendre sur un mois, avec des observations de

10 minutes à 1 heure, une ou deux fois par semaine, soit en contact direct avec la

personne soit en retrait.

Tableau a. 2 : Utilisation de l’espace chez les étudiants français

Espace propre : Oui 7

Non 5

Se déplace 1

Description : Adaptées : 9 Peu adaptées : 3

Douze lieux de stages recensés : centre pour enfants déficients auditifs, hôpital

psychiatrique intra-extra (3), centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP),

établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (2) (EHPAD), institut

médico-éducatif (IME), service de soins et d’éducation spéciale à domicile (SSESAD),

libéral (3), centre médico-psychologique (CMP).

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46

La plupart des répondants ont un espace propre, mais certains doivent partager

leur salle avec d’autres psychomotriciens ou professionnels paramédicaux. Une

minorité se déplace jusqu’au lit du patient, ou est contrainte d’utiliser une salle

d’activité ou le salon de l’institution.

La majorité des étudiants dispose de salles spacieuses et lumineuses. L’espace est

adapté. Des éléments comme les miroirs, les tapis, des petites chaises ou des ballons

semblent constituer les indispensables car on les retrouve dans toute les salles de

psychomotricité.

Les placards, armoires, étagères, caisses ou salles de rangement sont utilisés pour

de ne pas créer de sur-stimulations et aider le patient à rester concentré quelque soit

son âge et sa pathologie. Le matériel est le plus souvent caché et rangé par thème

(motricité fine, graphomotricité, jeux de constructions, etc.) en fonction de chaque

psychomotricien.

Tableau a. 3 : La population et les indications rencontrées en stage par les étudiants français

POPULATION INDICATIONS

Nouveaux nés : 1

Troubles psychiatriques : 8 Troubles moteurs : 4

Enfants : 7

Adolescents : 2

Adultes : 5

Personnes âgées : 2

Tous les âges de la vie bénéficient de suivi en psychomotricité avec une

majorité de psychomotriciens auprès d’enfants. Dans l’échantillon choisi, il y a deux

fois plus de thérapies auprès de troubles psychiques qu’auprès de troubles moteurs.

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47

Tableau a. 4 : Les principaux outils utilisés par les stagiaires français

Motricité globale Stimulation sensorielle

Dessin Motricité fine Jeux de société

Ballon (7), tapis (9), cerceaux (5), balles multiples (9), trampolines (2), échasses (2), structures en mousses (4), rubans (2), plots (2), bâtons (3), briques (3), cordes…

Balles à picot, dalles sensorielles, plumes, couvertures, draps, coussins, musiques (CD ou instruments).

Feutres, crayons, feuilles (4)

Boutons, billes, quilles, toupies,

(1)

Il y a ici beaucoup de matériel utilisé au service de la motricité globale et de la

stimulation sensorielle, au détriment de la motricité fine peu évoquée dans les

questionnaires. Ce tableau montre qu’il existe une certaine standardisation du

matériel du psychomotricien. En effet, les tapis, ballons ou balles sont cités quasi

unanimement.

Tableau a. 5 : Transport et achat du matériel psychomoteur en France

Transport du matériel Pas de transport (3), sac + voiture de fonction (2), ne sait pas (3), question ignorée (2).

Achat du matériel Par le psychomotricien (3), par l’établissement (4), ne sait pas (2), question ignorée (1).

Le matériel est rarement transporté. Lorsque c’est le cas, il l’est au moyen de

grands sacs et d’une voiture de fonction mise à disposition par l’institution, pour des

questions d’assurance. Le nombre de sondés ayant ignoré cette partie ou ayant

répondu par « ne sait pas » montre bien que la psychomotricité à domicile est

relativement méconnue des étudiants en France. En effet, à Paris notamment, il y a

peu de lieux de stage impliquant des déplacements à domicile. Il y aurait donc une

influence de la région sur l’exercice de la psychomotricité.

Le matériel est principalement acheté par l’établissement, mais il arrive que le

psychomotricien en achète ponctuellement.

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Tableau a. 6 : Utilisation de médiations par les étudiants français en psychomotricité

Expressivité Sensorialité Autres

Théâtre (1), mime (1), danse (1)

Relaxation (5), toucher thérapeutique (1), Snoezelen (1), balnéothérapie (1), stimulation basale (1)

Jeu (4), parcours psychomoteurs (2), le corps (1), brushing (1), graphisme et dessin (2)

La liste des médiations utilisées n’est pas exhaustive. J’ai demandé aux

étudiants les principales médiations qu’ils utilisaient sur leur terrain de stage à raison

de deux journées par semaine. Elles se révèlent néanmoins variées et assez globales.

Certains étudiants ont évoqué des mots très larges comme « le corps » ou « le jeu ».

Tableau a.7 : La psychomotricité et l’équipe pluridisciplinaire en France

Médicale Paramédicale Socio éducative Bureau Autres professions

Médecins (psychiatres) Diététiciens (1) Infirmiers (6), auxiliaires de puériculture (1), sages-femmes (1), aides soignants (1), agent des services hospitaliers (ASH) (1), aide médico-psychologique (AMP) (1)

Orthophonistes (5), kinésithérapeutes (5), ergothérapeutes (5), podologues (1), orthoptistes (1), autres psychomotriciens (6)

Assistantes sociales (5), éducateurs (5), instituteurs (3), enseignants activités physiques adaptées (APA) (1)

Direction, cadre, comptable, secrétaire.

Art thérapeutes (1), psychologues (6)

La psychomotricité a aujourd’hui sa place au sein de l’équipe pluridisciplinaire qui

est très importante, riche et variée. Elle travaille en lien avec une équipe médicale,

paramédicale et socio-éducative, mais aussi avec les nouvelles professions et les

membres du bureau.

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b. Les professionnels camerounais : 8

La question du travail autour du temps et du respect des horaires a été largement

perçue par les répondants qui décrivent leurs difficultés à respecter les horaires.

Certains précisent l’importance de les respecter sur le lieu de travail.

Tous les professionnels découpent leurs séances en trois temps. Un temps d’accueil

est matérialisé par un « bonjour », le fait d’enlever les chaussures ou un « échange ».

Ensuite, intervient un temps de séance à proprement parler, avec des exercices

psychomoteurs ou une phase de relaxation. Enfin, la conclusion de la séance est définie

par un temps de verbalisation, le fait de remettre les chaussures ou de dire « au

revoir ».

Tableau b.1 : Utilisation du temps par les psychomotriciens au Cameroun

Pro1 Pro2 Pro3 Pro4 Pro5 Pro6

Durée des séances

35min-1h 1h 30-45 min 45min 1h30

30min-1h 45min-1h

Fréquence des séances

3/sem 2 /sem 1/sem 1/sem 1/sem 1/sem

Bilan

2 2 Non communiqué

3 Non communiqué

2

Les séances durent en moyenne de 45 minutes à 1 heure, une à deux fois par

semaine. Le bilan se fait sur deux séances, soit environ en 2 heures.

Tableau b. 2 : Utilisation de l’espace par les psychomotriciens au Cameroun

Espace propre : Oui 5

Non 3

Se déplace 3

Description : Petite et peu adaptée : 4 Adaptée : 2

J’ai pu recenser neuf lieux d’exercices professionnels : un hôpital, deux cliniques

privées, une association, trois suivis à domicile et le centre de l’IPPR.

Une majorité de psychomotriciens dispose d’un espace propre, même s’il n’est pas

forcément adapté. Les rangements ne sont pas souvent décrits car, en réalité, le peu

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de matériel acheté, faute de moyens, ne nécessite pas ou peu de rangement. Le

rangement n’est pas systématiquement pensé ou justifié.

Tableau b. 3 : La population et les indications rencontrées au Cameroun

POPULATION INDICATIONS

Nouveaux nés : 1

Psychiatriques : 4 Moteurs : 4

Enfants : 5

Adolescents : 0

Adultes : 3

Personnes âgées : 4

Il n’y a pas de suivi auprès d’adolescents mais toutes les autres périodes de la

vie et les secteurs du handicap sont couverts par la psychomotricité, qu’il s’agisse

d’handicap moteur ou mental.

Tableau b. 4 : Les principaux outils utilisés en psychomotricité au Cameroun

Motricité globale

Stimulation Sensorielle

Dessin Motricité fine Jeux de société

Ballons (3), briques, cerceaux

Matelas (2), musique (3), coussins (2), draps, balles (2),

Coloriage (4), feutres (4), crayons (4), feuilles (4)

Pâte à modeler (4),

Jeux de construction (4)

Les professionnels camerounais utilisent peu leur matériel (faute de moyen

celui-ci est de toute façon peu varié). Pour beaucoup, la motricité fine ne se travaille

qu’autour de la pâte à modeler. La stimulation sensorielle s’utilise majoritairement à

travers la relaxation. Cette liste est non exhaustive car les professionnels n’ont pas fait

l’inventaire de leur matériel. Je leur ai demandé de me citer les outils les plus

fréquemment utilisés dans leur pratique, ceux qui leur venaient le plus facilement à

l’esprit.

Tableau b. 5 : Transport et achat du matériel psychomoteur au Cameroun

Transport du matériel Voiture personnelle/taxi (2), aucun (1), non communiqué (3)

Achat du matériel Par le psychomotricien (2), par l’établissement (3), par les parents (2), non communiqué (1)

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Le transport du matériel n’est pas standardisé. Il se fait soit avec la voiture

personnelle soit en taxi-voiture ou taxi-moto. Ils ne sont ni payés ni assurés pendant

leurs déplacements. Le matériel est fourni par l’établissement dans trois cas

seulement, sinon le psychomotricien achète lui-même son matériel. Parfois même, il

demande aux parents ou au patient de se procurer le matériel nécessaire.

Tableau b. 6 : Les principales médiations utilisées en psychomotricité au Cameroun

Expressivité Sensorialité Autres

Jeu dramatique, mime (2), danse africaine, danse.

Relaxation (4), stretching, toucher thérapeutique (3).

Parcours psychomoteurs, graphisme (2), jeux

Le nombre de médiations utilisées est extrêmement faible, elles sont peu

variées. Même si, là encore, il s’agit d’une liste non exhaustive, la pauvreté des

médiations utilisées est constatable.

Tableau b. 7 : Le psychomotricien et l’équipe pluridisciplinaire au Cameroun

Médicale Paramédicale Socio-éducative Travaille seul

Bénévole

médecins (3), infirmières (2)

D’autres psychomotriciens

Educateur spécialisé (1), instituteurs (2)

4 1

Les professionnels camerounais travaillent souvent seuls ou, dans le meilleur

des cas, au sein d’une équipe restreinte. Une psychomotricienne travaille même toute

seule et bénévolement. Un seul psychomotricien évolue réellement au sein d’une

équipe pluridisciplinaire, à laquelle il est pleinement intégré. Pour les autres, le travail

en équipe se cantonne à des comptes rendus aux supérieurs hiérarchiques.

Tableau b. 8 : L’utilisation des prescriptions médicales en psychomotricité au Cameroun

PRESCRIPTION MEDICALE

Oui : aucun Non : 4 Non communiqué : 4

Aucun psychomotricien Camerounais ne travaille sur prescription médicale. Pour

quatre des psychomotriciens interrogés la réponse n’a pas été donnée.

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c. Etudiants Camerounais : 8

Le respect des horaires est déclaré très difficile, à l’unanimité. Ils sont souvent

obligés de s’adapter au patient. Les horaires sont variables et proportionnels à la

gravité du trouble suite au bilan.

La moitié des étudiants découpe les séances en trois temps : un temps d’accueil, le

plus souvent un entretien, puis un temps de séance avec des exercices psychomoteurs,

enfin un temps de départ et de verbalisation. L’autre moitié des étudiants découpe la

séance en fonction des axes de travail fixés par le projet thérapeutique, la fatigue et la

pathologie du patient. La subdivision de la séance en trois temps n’est pas

systématique.

Tableau c. 1 : Utilisation du temps par les étudiants au Cameroun

Etud1 Etud2 Etud3 Etud4 Etud5 Etud6 Etud7

Durée des séances 45min-1h 45min-1h 45min-1h 45min-1h 30-45min 45min 30-45min

Fréquence des séances

3/sem 2-3/sem 1/sem 1/sem 1/sem 3/sem 2/sem

Bilan 3 2 ou 3 2 ou plus

pour bilan d’observation

1 1 entre la 3e et la 4e

séance

1 2

La durée et la fréquence des séances varient en fonction des axes de travail et

s’adaptent donc au patient, à sa fatigabilité, à sa disponibilité et à sa pathologie. La

fréquence change en fonction de la structure ou du stagiaire (de une à trois fois par

semaine). La durée de la séance est en moyenne de 45 minutes.

Globalement, le bilan se déroule en deux séances, suivant la pathologie du

patient. Une étudiante précise qu’elle fait passer le bilan à la troisième ou quatrième

séance, mais elle ne développe pas les raisons de son choix. Une autre, qui travaille

avec des enfants, pose un bilan dès la première séance, puis en refait un tous les mois

pour évaluer l’évolution de l’enfant.

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Tableau c. 2 : Utilisation de l’espace par les psychomotriciens au Cameroun

Espace propre : Oui 2

Non 4

Se déplace 2

Description : Peu adaptée : 3 Adaptée : 4

J’ai noté treize lieux de stages pour les étudiants camerounais : deux en hôpital,

trois en clinique privée, deux en association, trois au centre de l’IPPR et trois à

domicile. Certains étudiants effectuent leur stage sur plusieurs lieux différents.

Les étudiants assurant un suivi à domicile ne disposent pas d’un espace très adapté

et sont obligés de l’agencer à chaque début de séance. Pour les autres, faute de moyen

financier, les salles de travail sont souvent relativement dépourvues de matériel.

Lorsqu’il y en a, il est rangé le long des murs de façon à laisser un espace vide au

centre pour les exercices de motricité. Il y a parfois des miroirs, des dessins aux murs,

des tables de massages (lorsqu’ils utilisent les salles de kinésithérapie) ou un lit et deux

chaises (lorsqu’ils utilisent des chambres d’hospitalisation). Une étudiante sollicite la

salle de mécanothérapie du physiothérapeute.

Tableau c. 3 : La population et les indications rencontrées au Cameroun par les étudiants

POPULATION INDICATIONS

Nouveaux nés : 1

Psychiatriques : 4 Moteurs : 5

Enfants : 5

Adolescents : 1

Adultes : 1

Personnes âgées : 2

Les étudiants camerounais ont trouvé des stages dans tous les domaines et les

âges de la vie, du nouveau né à la personne âgée. On observe une relative équité entre

le domaine psychiatrique et le domaine des troubles moteurs. Ils sont très sollicités

dans les cas d’autisme, d’accidents vasculaire cérébraux, d’hémiplégie ou autres

troubles neurologiques (déficience mentale, trisomie 21, hyperactivité, inhibition ou

encore schizophrénie). La liste n’est pas exhaustive mais elle reprend les réponses des

étudiants interrogés qui parfois retrouvent toutes ces problématiques dans un seul

centre.

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Tableau c. 4 : Les principaux outils utilisés par les stagiaires au Cameroun

Motricité globale

Stimulation Sensorielle

Dessin Motricité fine Jeux de société

Tricycles, tunnel, ballon (4), matelas(3),

Tissus(2), balles à picot(4), tables de massages(2), nattes (6), tam-tam, huile d’olive

Tableau, craie, crayons de couleur, gomme,

Lego, pâte à modeler, cailloux, hochet

Jeux, puzzles

Ces résultats montrent bien qu’il y a peu de matériel à disposition et surtout

qu’il n’y en a pas dans toutes les institutions. Sur sept étudiants interrogés (qui parfois

ont plusieurs lieux de stage), quatre utilisent le ballon. Cela traduit une faible

utilisation du matériel. Les étudiants disposent également, comme outils, de jeux

divers trouvés dans le commerce ou du matériel disponible à la maison lors des visites

à domicile. Ils bénéficient également des différentes épreuves de bilan qu’ils ont pu

étudier pendant leur formation ou emploie le matériel qu’ils ont fabriqué pour la

passation des bilans

Tableau c. 5 : Transport et achat du matériel psychomoteur au Cameroun Transport du matériel sac + taxi (2) Pas de transport (5)

Achat du matériel Etablissements (3), stagiaires (3), les parents des patients(2) non communiqué (1)

Le matériel est peu ou pas transporté par les stagiaires qui,, pour la majorité ne

sont pas véhiculés et doivent payer les transports en communs. Le matériel reste dans

la structure ou au domicile du patient (d’autant qu’il est fréquemment acheté par les

parents). Les étudiants qui transportent du matériel emportent le minimum (ballon de

baudruche, balle à picots ou pâte à modeler, par exemple).

Tableau c. 6 : Les principales médiations utilisées par les stagiaires camerounais

sensorialité autres

Enveloppement, relaxation (2), toucher thérapeutique

Le jeu (2)

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Il y a très peu de médiations utilisées. Les médiations s’adaptent au matériel à

disposition et au patient, ainsi qu’à sa pathologie. Aussi, sont-ils restés très évasifs sur

les méthodes utilisées.

Tableau c. 7 : les stagiaires camerounais et l’équipe pluridisciplinaire

EQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE

Equipe paramédicale Equipe médicale Equipe éducative

Kinésithérapeutes (2), ergothérapeutes (2), orthophonistes, psychomotricienne en supervision

Médecin, psychiatre, neuro psychiatre, physiothérapeute, neuro pédiatre

éducatrices

Les équipes comptent peu de professionnels, les stagiaires se retrouvent souvent

seuls face à des patients qu’ils ne connaissent pas. Ils bénéficient d’une supervision par

une psychomotricienne diplômée depuis plus de trois ans, une fois par mois sur leurs

lieux de stage. Néanmoins, les collaborations interdisciplinaires établies, si elles sont

peu nombreuses, semblent bien fonctionner.

Tableau c. 8 : L’utilisation des prescriptions médicales en psychomotricité au Cameroun

Oui : 6 Non : 3

Les stagiaires psychomotriciens travaillent majoritairement sur prescription

médicale.

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ANALYSE DES RESULTATS ET DISCUSSION

I°) ANALYSE DES RÉSULTATS : Comparaison entre le cadre de la pratique

des étudiants français et camerounais et des professionnels

camerounais

Afin d’évaluer la progression temporelle de la psychomotricité au Cameroun et

d’observer l’emprunt de la culture locale sur la discipline, je vais confronter les

réponses des trois groupes, étudiants de troisième année français et camerounais et

professionnels camerounais.

Je vais reprendre les items et comparer les réponses données tant sur le fond que

sur la forme. C’était la liberté que je voulais garder en proposant un questionnaire

ouvert.

1) Le temps34

a. La perception du temps et le respect des horaires

Le respect des horaires est sans doute ce qui diffère le plus entre la France et le

Cameroun. Alors que la question a été largement ignorée ou non comprise par les

étudiants français, les professionnels camerounais ont perçus la question de façon

globale. Ils évoquent autant les horaires que l’évolution de la pathologie dans le

temps, l’impatience des malades à guérir, l’influence du temps sur le corps et le

rapport à la mort.

Commençons par aborder la problématique de l’influence du temps sur le corps.

Dans son travail à la SWAA35 , Adolf me dit avoir remarqué qu’il y avait de moins en

moins de retard moteur chez les enfants infectés par le VIH, grâce au progrès des

traitements anti-rétro viraux (ARV). Par contre, il constate un retard au niveau des

apprentissages et de l’accès au symbolisme. Il suit des enfants de 9 à 13 ans deux fois

par mois. Il travaille sur la préparation de l’annonce de la maladie, évalue les patients

avant puis après. Il est également encadrant d’un groupe de parole avec des adultes

infectés. On voit bien ici, la prise en compte du temps en psychomotricité et dans la

culture. En effet, la problématique corporelle et temporelle n’est pas abordée de la

même manière en France et au Cameroun, même si nous sommes tous égaux face à la

maladie. La constante recherche du jeunisme en France est une conception du temps

34

Cf. Annexe 3, tableau 1

35 Cf. page 40

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tout à fait opposée à celle du Cameroun où l’âge est synonyme d’expérience et où le

respect se mesure en années. Les camerounais ne courent pas après le temps,

contrairement à nous, Occidentaux, dont la journée est rythmée par le tic tac des

aiguilles, l’agenda et ses rendez-vous, les échéances. On cherche à maîtriser, à

apprivoiser le temps. On lui a donné une valeur métrique. Le temps fait référence à la

mort surtout dans la maladie, mais la mort n’a pas la même signification dans nos deux

cultures, ce qui change la problématique temporelle. Les enterrements sont plutôt des

moments festifs au Cameroun, même si les rituels varient en fonction des traditions

ethniques.

Pour les étudiants français, le respect des horaires est une marque de

professionnalisme qui délimite le cadre thérapeutique de la séance. Un réel effort est

réalisé par les étudiants camerounais pour tenir les horaires. Ils veulent montrer

l’exemple par la fermeté du respect des règles. Certains reconnaissent tout de même

que c’est difficile. Les patients aussi sont régulièrement en retard de 15 à 20 minutes

environ. Certains psychomotriciens camerounais banalisent les retards lorsqu’ils sont

inférieurs à 15 minutes car c’est une réalité tellement présente qu’ils n’ont pas tous le

courage de se battre contre. Il faut prendre les rendez-vous en fonction de la

disponibilité du patient ou de ses parents, s’il n’est pas autonome, et, bien

évidemment, de celle du psychomotricien. Certains étudiants justifient ce manque de

considération vis-à-vis des horaires par une faute de moyen financier (payer le

transport et la séance, ne pas aller travailler pour conduire son enfant en séance). Il

faut savoir qu’au Cameroun, peu de personne dispose d’un compte bancaire et le

compte courant n’existe pas. Tout se règle en argent liquide. Beaucoup d’emplois ne

sont pas déclarés et sont payés au jour le jour ou au mois. Ce qui explique la

fluctuation financière des familles qui peuvent payer les séances pendant un certain

temps, puis une certaine semaine ne peuvent pas mais peuvent à nouveau la semaine

suivante.

Un stagiaire travaillant à domicile est donc assez libre et organise ses rendez-vous

en fonction des disponibilités du patient et des siennes. Il travaille parfois en journée

continue, parfois avec une pause le midi (midi – 14 heures) ou à mi-temps. En France,

pour des raisons pédagogiques, mais aussi de responsabilité institutionnelle, le

stagiaire est suivi par son maître de stage et n’a pas autant de liberté qu’au Cameroun.

Le stagiaire français bénéficie du cadre contenant et rassurant de la structure, de

l’équipe et surtout de l’appui de son maître de stage. Néanmoins, les stagiaires

camerounais semblent satisfait de la situation. Ils apprécient cette liberté d’action. En

réalité, ce n’est pas vraiment un statut de stagiaire, puisque l’étudiant est déjà

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catapulté dans le monde professionnel, au sein d’une équipe qui ne connaît pas trop

son champ d’action et le sollicite donc, trop ou pas assez.

Concernant les horaires, il semble tout de même que les professionnels soient un

peu plus rigoureux que les étudiants camerounais car ils dénoncent ces retards et se

sont imposés une certaine rigueur. Ils reconnaissent bien la difficulté que représente

l’adaptation aux multiples retards, les conséquences que cela représente sur une

journée de travail. Certains psychomotriciens annulent le rendez vous si le patient est

en retard. A force d’insister sur les horaires et l’importance que cela revêt dans le cadre

de la thérapeutique, ils arrivent à des résultats plutôt concluants. Néanmoins, des

retards sont encore observables. Ils sont parfois catégoriques, « un patient en retard

ne sera pas accepté en séance ! » disait une psychomotricienne interviewée.

Néanmoins son directeur de clinique l’obligeait de temps en temps à prendre quand

même les patients pour des raisons financières. Visiblement, on perd la dimension

thérapeutique au prix de celle du rendement. Puisque l’on attend un rendement de ce

patient il devient en réalité un client. A la clinique, le patient paye et le client est roi. Le

plus souvent, le patient en retard paye et rate sa séance, il ne reviendra donc que la

semaine suivante. Cela pose la question de l’investissement du patient dans sa cure, de

la place du soin dans la culture, mais aussi de l’investissement financier. En outre, la

clinique cible volontairement une certaine catégorie socioprofessionnelle, ayant les

moyens financiers nécessaires au paiement des séances. Cela témoigne bien de

l’inégalité d’accès au soin. C’est une question éthique qui malheureusement ne se pose

pas uniquement pour la psychomotricité et ne se pose pas seulement au Cameroun.

Ces éléments soulèvent l’importance du cadre temporel en psychomotricité et tout

simplement de l’organisation logistique. En effet, comment organiser un emploi du

temps quand aucun patient n’arrive à l’heure prévue ? Les professionnels se

rapprochent des pratiques françaises considérant le temps et les horaires comme

faisant partie intégrante de la thérapeutique en psychomotricité. Néanmoins, les

habitudes culturelles camerounaises représentent un obstacle majeur.

b. Le découpage des séances

Si le découpage de la séance de psychomotricité en trois temps est quasiment

omniprésent dans les réponses des étudiants français et des professionnels

camerounais, il n’en est pas de même chez les étudiants camerounais. En effet, la

première moitié seulement reprend ce découpage, l’autre moitié, quant à elle, reste

très floue, disant se baser sur le patient, ses troubles et le projet thérapeutique.

Quelques soient les rituels utilisés, il y a un début, un milieu et une fin. Chacun utilise

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son « bonjour » (rituels des chaussures, échauffement corporel ou entretien) pour

marquer le début de la séance. Puis, se déroule la phase des exercices, jeux et

médiations. Enfin, arrivent les moments de verbalisation, des chaussures, des

étirements ou autres rituels de départ pour marquer la fin de la séance, l’heure de se

dire « au revoir ». Peut-être que les étudiants camerounais, qui n’ont pas de maître de

stage sur place, ont besoin de plus de temps pour apprendre à structurer leur séance.

Ou alors, il s’agit d’une volonté affirmée de construire les séances différemment ou du

moins d’expérimenter de nouvelles choses. Cela montre bien à quel point les étudiants

camerounais sont dans un processus dynamique de réflexion par rapport à leur

pratique.

c. La durée et la fréquence des séances

La durée de la séance est plus longue au Cameroun, en moyenne 45 minutes à une

heure. J’imagine qu’ils prennent en compte, les retards habituels de leurs patients de

15 ou 20 minutes. Toutefois, celles des étudiants sont un peu plus courtes que celles

des professionnels, se rapprochant des durées françaises. En France, nous privilégions

des séances de courtes durée : 30 minutes voire 10 minutes (prenant en compte la

fatigabilité et le nombre de rendez-vous également pour certaines institutions).

La fréquence des rendez-vous est légèrement plus importante chez les étudiants

français, une à deux fois par semaine, contre une fois par semaine chez les étudiants

de l’IPPR. Certains professionnels, qui ont une activité réduite compte tenu de la

méconnaissance de la discipline, peuvent se permettre de voir plusieurs fois le même

patient dans la semaine. D’autres en revanche, ayant trop de demandes, ne peuvent

assurer qu’une consultation ou deux par mois.

d. Le bilan psychomoteur

Le bilan se fait en deux heures au Cameroun et en une heure et demie en France,

sans compter le temps de cotation et de rédaction de bilan. Je ne pense pas que cette

différence soit réellement significative. Visiblement, en ce qui concerne le « format »

des séances de psychomotricité, les deux écoles s’organisent de façon similaire. Les

différences trouvées relèvent plus de variables interpersonnelles que de réels courants

de pensée. En revanche, les professionnels camerounais n’évoquent pas du tout le

temps de cotation et de rédaction du bilan. Les bilans réalisés sont essentiellement des

bilans d’observation. Dans les structures que j’ai visitées, les bilans étaient rédigés soit

dans un cahier propre à chaque enfant, soit dans le cahier du psychomotricien. Dans ce

cahier, on pouvait retrouver tous les bilans et compte rendus de séances des enfants

ayant un même psychomoteur référent. Pour l’instant ils n’ont pas l’obligation de

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communiquer leurs conclusions et informations au reste de l’équipe car ils travaillent

peu avec les autres soignants. Mais s’ils veulent inciter les médecins à leur indiquer des

patients pour initier un travail d’équipe, il leur faudra également leur renvoyer un

compte rendu.

Les tests qu’ils pratiquent leur sont donnés avec les étalonnages français. Or, en ce

qui concerne le développement psychomoteur du jeune enfant, on a pu remarquer

que les âges d’acquisition ne sont pas tout à fait les mêmes. Le développement

comprend bien les mêmes étapes que le développement d’un enfant français mais les

paliers ne se passent pas dans le même ordre. Ceci explique que pour les acquisitions

motrices, notamment la marche, un enfant camerounais est en avance de quelques

mois par rapport à un enfant français. Il prononcera en revanche ses premiers mots un

peu plus tard. Seulement pour l’instant, il n’existe pas de référence scientifique ni

d’étalonnage coté. Les étudiants camerounais utilisent les cotations dans l’optique du

test/re-test uniquement. Ils ne comparent pas les résultats de l’enfant avec sa

moyenne d’âge mais avec son résultat précédent. C’est d’ailleurs un futur projet de

l’IPPR que de lancer la recherche sur le développement, pour qu’ils puissent créer leur

propre outil.

2) L’espace 36

La majorité des structures citées par les étudiants français n’existent pas au

Cameroun, surtout les structures médico ou socio-éducatives telle que les IME ou les

SSESD37. J’ai remarqué qu’au Cameroun les institutions publiques sont corrompues,

comme expliqué plus haut. Elles ont peu de budget pour embaucher du personnel ou

proposer des stages, ce qui explique le peu de stagiaires à l’hôpital. L’hôpital général

demande également que l’IPPR paye une assurance responsabilité civile pour couvrir

ses étudiants en cas d’accident, ce que l’école n’est malheureusement pas en mesure

de faire. Beaucoup d’étudiants et de professionnels espèrent travailler en clinique

privée car elles disposent de plus de moyens financiers et leur assurent un minimum

de matériel et un meilleur salaire.

Si les conditions de stage des étudiants camerounais ne sont pas catastrophiques,

elles ne sont pas non plus idéales. En effet, peu d’étudiants bénéficient d’une salle de

psychomotricité et ils doivent généralement se contenter des chambres

d’hospitalisation, des salles partagées avec d’autres professionnels ou de la chambre du

36

Cf. Annexe 4, tableau 2

37 Cf. page 45

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patient lors des visites à domicile. Lorsqu’ils disposent d’une salle, elle est assez petite

et dépourvue de matériel. En France, les conditions sont beaucoup plus variables. Si les

salles de psychomotricité sont partagées avec d’autres psychomotriciens, elles sont

néanmoins relativement adaptées, ou adaptable avec du matériel. On retrouve des

objets quasiment incontournables pour le psychomotricien, comme le miroir, les tapis,

les chaises et le gros ballon. Les psychomotriciens camerounais qui se déplacent à

domicile verbalisent leur agacement par rapport au manque de considération de leur

travail par les familles. Elles entrent et sortent de la chambre pendant la séance ou

alors, continuent leur tâches domestiques en cours jusqu’à retarder le rendez-vous

d’une heure. Les étudiants camerounais, étant en stage dans des locaux sans

psychomotriciens, n’ont pour la plupart pas d’espace adapté, encore moins de salle de

psychomotricité. Pour les professionnels installés ou salariés, des salles sont mises à

disposition, bien qu’elles ne soient pas toujours adaptées. Malgré tout, ils disposent

d’un espace à eux.

Faute de moyens financiers, les psychomotriciens camerounais disposent de peu

de rangements et de matériel. En France, le matériel est rangé dans des salles,

placards, caisses, armoires ou tout autre rangement. Le matériel est ainsi classé par

thèmes ou même par items psychomoteurs et souvent caché pour éviter la sur-

stimulation chez les enfants. Les praticiens, se déplaçant à domicile, n’ont pas de

rangement puisqu’ils utilisent le matériel disponible sur place ou en transportent un

minimum. Les stagiaires et professionnels camerounais, bénéficiant de locaux adaptés,

ont à leur disposition du matériel et surtout des rangements. Ceux-ci sont surtout

utilisés pour protéger le matériel rare et coûteux des enfants qui pourraient l’abîmer.

Certains évoquent tout de même la question de la sur-stimulation chez le patient. Il

faut donc filtrer l’environnement pour qu’il ne soit pas trop intrusif.

Je m’interroge quant à la façon dont la psychomotricité va pouvoir s’intégrer dans

le paysage camerounais. Mais surtout, comment les psychomotriciens pourront faire

leur propre choix dans leur pratique ? En effet, comment savoir si les positions pour

lesquelles ils optent sont des choix ou des obligations budgétaires ?

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3) Les indications et la population ciblée

Je ne remarque pas de différence significative au niveau des âges des

populations reçues entre le Cameroun et la France. Il y a peu d’adultes cités par les

étudiants camerounais. Nous pouvons nous demander s‘il s’agit d’un manque de

structures existant pour ces patients, s’il y a peu de patients adultes requérant des

soins ou si cette promotion d’étudiants est bien sensibilisée à cette population. Après

les avoir questionné, il se trouve qu’en cours d’année certains ont trouvé des stages en

neurologie ou à l’hôpital militaire auprès d’adultes. Néanmoins, lors de mes voyages,

j’ai vu peu de structures accueillant des adultes. J’ai entendu parler de la maternité que

certaines de mes collègues ont visitée. J’ai moi-même visité un centre d’accueil pour

des religieuses âgées. Il faut savoir qu’au Cameroun la plupart des personnes âgées

sont accueillies dans leur famille. Enfin, j’ai vu des centres d’accueil pour enfants mais

pas pour adultes. A priori, tout comme les personnes âgées, les adultes handicapés

sont confiés aux familles, surtout lorsque le handicap est mental et ne nécessite pas de

soins somatiques. Les étudiants camerounais souhaitent visiblement développer leurs

compétences auprès d’enfants et de personnes âgées. Etonnamment, la

psychomotricité s’est développée extrêmement rapidement dans le milieu gériatrique

alors qu’il a fallu presque 40 ans pour que cela s’installe en France. Les étudiants

français qui sont venus au Cameroun étaient très influencés par le plan Alzheimer mis

en place récemment en France. Ils ont, je pense, influencé le développement de la

psychomotricité camerounaise.

La psychomotricité s’étend et se développe. Les étudiants, aujourd’hui, suivent

toutes les catégories d’âges. Mais, comme les professionnels camerounais, ils sont

sollicités pour des cas pathologiques lourds : affections neurologiques, maladies

génétiques, infirmités motrices ou pathologies psychiatriques telles que l’autisme ou

des psychoses graves. On retrouve très peu de suivi auprès de troubles des

apprentissages ou de l’orientation spatiale, s’ils ne sont pas associés à un trouble plus

grave par exemple. Il faut du temps pour que la psychomotricité se développe, qu’elle

soit connue des populations et des équipes soignantes. En France, aujourd’hui encore, nous découvrons de nouveaux champs d’application de la psychomotricité, comme la

prise en charge de la douleur, la psychomotricité en entreprise ou encore en unité pour

malade difficile (UMD) par exemple.

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4) Les outils 38

a. Le matériel

La question des outils est difficile à cerner. Manque de budget, pratique culturelle

ou choix personnel ? J’ai constaté que peu de matériel était utilisé en séance que ce

soit par les professionnels ou les étudiants. Néanmoins, dans les deux cas, tous les

domaines sont couverts, tous les items psychomoteurs sont travaillés. S’il y a peu de

matériel au Cameroun, il y a néanmoins l’essentiel. On ressent l’empreinte des

étudiants de l’ISRP qui sont venus échanger autour des outils psychomoteurs. Les

étudiants de l’ISRP, comme ceux de l’IPPR, semblent beaucoup plus sensibilisés à la

stimulation sensorielle et donc à l’utilisation de balles à picots, de tissus, de coussins ou

de la musique.

On observe une nette différence dans la quantité et la diversité du matériel par

rapport à la France. Pour les professionnels camerounais disposant de très peu de

matériel, il y a parfois un outil pour travailler un item. Par exemple, la pâte à modeler

pour travailler la motricité fine ou le ballon pour la motricité globale. Leur utilisation

du matériel est assez sectorisée. Les étudiants disposent d’un peu plus de matériel et,

surtout, ont développé grâce à leur formation une capacité à adapter le matériel pour

qu’il devienne du matériel psychomoteur. Néanmoins, qu’il soit camerounais ou

français, l’outil principal du psychomotricien reste avant tout le corps. Les camerounais

semblent d’ailleurs bien s’accommoder de cette situation. Pour la motricité fine, ils

utilisent une bouteille en plastique coupée en deux et des petits cailloux pour faire des

transvasements, travailler la pince fine et la régulation tonique. Ils montrent une

grande capacité d’adaptation.

b. Le transport du matériel

La question sur le transport du matériel est peu traitée par les étudiants français

qui y ont peu recours dans leurs stages. Lorsqu’il y a un déplacement, il se fait avec une

voiture de fonction, prise en charge et assurée par l’employeur en cas d’accident. Le

matériel est transporté au moyen de grands sacs. Les psychomotriciens camerounais,

faute de structures existantes, exercent beaucoup à domicile. Le transport du matériel

est là encore dicté par la loi de l’argent car il est aux frais des stagiaires et

professionnels. De plus, transporter un sac plein de matériel dans les rues de Douala

n’est pas très discret. Cela pourrait inciter les voleurs à se servir et donc être le motif

d’agressions. En effet, n’oublions pas la situation parfois peu sécuritaire de Douala.

38

Cf. Annexe 5, tableau 3

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64

Enfin, pour des raisons simples, transporter un sac de matériel sur un taxi moto39 n’est

pas pratique, le matériel pourrait tomber, s’abîmer et la quantité est forcément

limitée.

c. L’achat du matériel

En France, le matériel est principalement acheté par la structure et de temps en

temps par le psychomotricien. Si certains Camerounais travaillent au sein de cliniques

privées qui fournissent du matériel, ils achètent, pour la plupart, leur matériel eux-

mêmes. Ce matériel est difficile à se procurer à Douala. En effet, si les magasins de jeux

ne sont pas rares, les jeux coûtent chers ou sont de mauvaise qualité. Il n’y a pas de

commerciaux qui démarchent les institutions pour leur proposer du matériel

psychomoteur. Au mieux, les commandes doivent se faire sur Internet et sont livrées

en France. Lorsque quelqu’un fait le voyage, il ramène la commande. Ils leur arrivent

même de solliciter les parents et les familles pour l’achat du matériel nécessaire au

suivi du patient; ce que l’on ne retrouve pas en France, du moins dans les réponses des

étudiants.

d. L’utilisation des médiations

En France, les médiations font partie de l’enseignement pratique de la

psychomotricité. Nous avons des intervenants, psychomotriciens ou non, professeurs

de Taï-chi-chuan, de danse, de cirque, de musique ou de théâtre, par exemple, qui

nous donnent des pistes de travail dans leur domaine, à adapter à la psychomotricité.

C’est vraiment ce qui manque à Douala : des intervenants compétents dans leur

domaine, assez intéressés par la psychomotricité pour proposer un travail en lien avec

la thérapeutique psychomotrice. C’est en train d’être mis en place, notamment car les

étudiants de deuxième année de l’ISRP n’ont pas le niveau pour enseigner la théorie.

Ils peuvent en revanche apporter leur expérience pratique des médiations. En France,

beaucoup participent à des activités sportives ou artistiques extrascolaires, ce que l’on

retrouve peu au Cameroun. Les étudiants camerounais, souvent déjà parents ou avec

une famille à charge et habitant loin de l’IPPR, n’ont pas le temps de s’investir dans des

activités extrascolaires. En France, nos expériences artistiques ou sportives

enrichissent et influencent notre pratique professionnelle. Les camerounais manquent

sûrement d’éprouver corporel sain qui participe à la construction et à la finesse de la

représentation corporelle. Une représentation interne de soi sert de ressource. Les

camerounais manquent de créativité dans l’invention de nouveaux jeux. Ou alors, ils

39

Compte tenu des embouteillages et du prix du taxi voiture, le taxi moto est largement utilisé à Douala, davantage

que le taxi voiture.

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65

ont ces ressources mais ne pensent pas ou n’osent pas puiser dedans.

En France, il a fallu de nombreuses années pour que les médiations soient pensées

comme de véritables outils en psychomotricité. Au Cameroun, pour l’instant, les

médiations sont peu utilisées ou de façon très stéréotypée, mais je pense qu’il faut

leur laisser le temps de construire leurs propres médiations, leurs propres outils en

prenant ce qui peut être intéressant et en adéquation avec leur fonctionnement et

leur culture, tout comme nous avons pu le faire en France avec les médecines

traditionnelles chinoises. Pendant longtemps en France, n’ont été utilisés comme

médiation en psychiatrie adulte que la relaxation, la gymnastique douce et le tai chi

chuan. Mais, les médiations pour l’adulte commencent à se penser et à trouver leur

place dans l’univers de la psychiatrie adulte. On pensait que l’utilisation de médiations

pouvait être trop infantilisante mais nous savons aujourd’hui que l’engagement du

corps dans le suivi des adultes réunifie le corps et constitue un encrage solide. En

outre, la médiation thérapeutique, aussi multiple qu’elle puisse être, est un outil choisi

en fonction des aptitudes du psychomotricien et du patient. Plus le patient aime la

médiation et plus il adhère au soin.

On retrouve, dans la pratique camerounaise, ce que j’ai pu observer avec les

étudiants, c'est-à-dire une certaine difficulté à lâcher prise et à proposer des activités

expressives telles que le théâtre ou la danse en séance, surtout avec des adultes. Les

professionnels ont mis en place quelques médiations comme la danse ou les

percussions ainsi que le mime avec des patients. Cependant, ils décrivent leur

difficulté à proposer des activités qui parfois leur paraissent infantilisantes et surtout

qui semblent s’éloigner du soin. J’ai rencontré un psychomotricien camerounais

exerçant à Douala : il a remarqué que plus de la moitié des patients qu’il a reçu l’année

dernière et pour qui il a fait le bilan en même temps que l’entretien lors de la première

séance, ne sont jamais revenus. Il a compris que les patients venaient en réalité avec

une demande masquée et lorsque le rendez-vous les décevaient en ne répondant pas

directement à leur problématique, ils ne revenenaient pas. En outre, il est difficile de

mettre le corps en mouvement chez un adulte ; c’est jugé comme trop infantilisant

même lorsque le corps est dénigré. Mettre le corps tout de suite au centre de la séance

est trop violent pour eux. Il a donc décidé de commencer par quelques entretiens où il

« applique l’empathie et la congruence. » Il recentre la problématique du patient sur le

corps, un peu plus tard dans le suivi. Cela marque le début de l’alliance thérapeutique.

Il suit actuellement une vingtaine de patients régulièrement depuis deux ans. C’est en

utilisant l’essai / erreur que les professionnels camerounais trouvent un mode de

fonctionnement qui leur convient et qui convient à leurs patients. Les étudiants

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camerounais, quant à eux, semblent un peu plus perdus entre toutes ces nouvelles

choses apportées par l’ISRP et les pratiques possibles au Cameroun. Néanmoins, il leur

faudra peut être plus de temps pour intérioriser toutes ses informations et fonctionner

par essai / erreur. Ils sont dans un processus de remise en question et de réflexion et

non pas dans un système d’application linéaire de ce que l’on peut leur apporter.

En ce qui concerne les médiations employées au Cameroun, elles sont peu

nombreuses et peu exploitées. Mais elles sont néanmoins citées dans les réponses des

questionnaires. En outre, si les étudiants ont un bon niveau théorique, ils sont en

difficulté dans le domaine créatif. Ce qui est en train de changer car c’est évidement en

lien étroit avec la formation de l’IPPR. En effet, dans un premier temps l’accent a été

mis sur le niveau théorique, puis le bilan et l’évaluation psychomotrice, les tests et les

principales médiations ont été énoncés. L’équipe pédagogique de l’IPPR et l’ISRP s’est

vite rendue compte du peu de médiations utilisées, outre la relaxation

psychosomatique de G.B. SOUBIRAN©, la pâte à modeler, le toucher thérapeutique et

les jeux de ballons. Nous avons tous compris qu’il était fondamental de s’adapter aux

moyens matériels avec lesquels ils allaient travailler. J’ai donc été surprise de ne pas les

voir utiliser la danse africaine, la peinture, la nature… qu’ils ont a disposition. Notre

matériel en salle de psychomotricité n’est que la reproduction en plastique d’éléments

naturels.

5) Le psychomotricien et l’équipe pluridisciplinaire 40

Le travail en équipe, comme expliqué ci-dessus, est peu instauré encore au

Cameroun alors qu’en France, la psychomotricité semble avoir trouvé sa place au sein

de l’équipe pluridisciplinaire.

Ce travail en équipe n’est pas très développé étant donné l’extrême jeunesse de la

profession dans le paysage soignant au Cameroun. Les premiers psychomotriciens

camerounais ont été peu nombreux à travailler en institutions et pratiquaient donc

seuls. De plus en plus, ils trouvent des emplois en clinique ou en milieu associatif. Les

étudiants camerounais, de part leurs stages dans les différents secteurs du soin,

commencent à sensibiliser quelques praticiens à la discipline. Néanmoins, pour

l’instant, le travail en équipe se résume aux comptes rendus au supérieur hiérarchique

ou à l’organisation de séances en fonction des salles disponibles et de l’emploi du

temps des autres soignants. On ressent encore peu le travail d’élaboration de toute une

équipe aux formations multiples autour d’un patient. Dans sa structure, un des

40

Cf. Annexe 6, tableau 4

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psychomotriciens camerounais m’expliquait qu’il était amené à être extrêmement

polyvalent. Il disait avoir parfois du mal à maintenir le cadre de son champ de

compétence face aux demandes des patients et des membres de l’équipe. Cela soulève

la question des frontières de la psychomotricité. La discipline étant nouvelle à Douala,

elle est relativement méconnue de l’équipe soignante qui l’entoure et notamment du

médecin chef de service. C’est lui qui indique les patients au psychomotricien ; il est

donc nécessaire qu’il connaisse son champ de compétence. Il exprime le besoin de

marquer des frontières plus franches afin de ne pas être débordé par l’immense

demande que l’on retrouve à Douala. Face à la douleur physique des patients, il doit

faire un choix dans l’ordre de ses priorités et je pense qu’il pose un cadre un peu strict

au début mais qui pourra s’assouplir par la suite.

Il est fondamental de faire connaître le métier de psychomotricien et les

compétences requises. Mais aussi, d’échanger avec ses collègues sur ses propres

capacités et ses objectifs de travail. Un vrai travail d’élaboration est nécessaire tant

pour le psychomotricien, que ses patients et l’équipe entière. Aujourd’hui c’est là que le

Cameroun se situe. Il reste encore du chemin à parcourir.

6) La prescription médicale41 :

Au Cameroun, on observe une grande progression au niveau des prescriptions

médicales. Lorsque j’ai interrogé les professionnels camerounais au mois de novembre

2010, aucun d’entre eux ne travaillaient sur prescription médicale. Aujourd’hui, une

grande partie des étudiants camerounais travaillent sur prescriptions médicales mais

ce n’est pas encore systématique. La méconnaissance de la discipline par le reste du

corps soignant permet aussi aux psychomotriciens comme aux étudiants de prendre

plus de liberté. En effet, certains m’ont dit ne pas hésiter à intervenir auprès d’un

patient lorsqu’ils le jugeaient nécessaire. C'est-à-dire sans diagnostic posé, sans l’aval

d’un médecin, donc sans prescription médicale. En France, en théorie, le

psychomotricien travaille sur prescription médicale. Dans les faits, il peut en aller

différemment. On constate en effet, dans les questionnaires des étudiants, que tous

n’ont pas répondus oui.

La reconnaissance ministérielle est très récente au Cameroun. Je me demande si le

cadre est existant, auquel cas il s’agit d’une défaillance du système d’application de la

loi, ou si la pratique n’est pas encore tout à fait légiférée. En effet, je n’ai pas trouvé les

textes de loi concernant la pratique de la psychomotricité au Cameroun. Ceci dit, la

41

Cf. Annexe 7, tableau 5

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constitution n’est pas aussi transparente qu’en France et les textes de loi ne sont pas

informatisés et donc beaucoup plus difficiles à se procurer. À l’avenir, il faudra

sûrement rester vigilant sur l’application de la psychomotricité au Cameroun.

II°) QUESTIONS A DEBATRE SUR L’AVENIR DE LA PSYCHOMOTRICITÉ

CAMEROUNAISE

1) Questions et propositions de réponses

A la lumière de ces résultats, l’évolution de la psychomotricité au Cameroun

apparaît incontestable. Il est cependant un peu prématuré de repérer une identité

camerounaise dans la pratique. On note toutefois quelques points spécifiques qui

diffèrent de notre pratique française. Que ces spécificités soient observées faute de

moyens financiers, par méconnaissance de la profession ou par des choix affirmés afin

d’être en adéquation avec la culture camerounaise, elles sont remarquables.

L’espace et le temps, des composantes standard de la psychomotricité ?

Les horaires sont difficiles à respecter mais face aux difficultés d’organisation, il

faudra trouver des solutions. Au niveau formel, le découpage et la durée des séances

sont adaptés aux patients. Il faut leur laisser le temps nécessaire pour effectuer les

ajustements optimaux de l’organisation des séances et mettre en place un suivi à long

terme en trouvant la meilleure adéquation entre pratique, culture et prix de la cure.

Les lieux de pratique se diversifient et la psychomotricité s’étend sur le pays dans

les différents domaines de soins. Il serait intéressant de développer la discipline dans

le domaine social et éducatif. Nous verrons tout à l’heure, en étudiant le système de

santé camerounais, s’il est possible d’y développer la psychomotricité. L’espace des

salles de psychomotricité se construit petit à petit, en fonction des moyens et du

matériel à disposition. En attendant, il est fondamental que les camerounais

s’adaptent. Cela leur permettra d’ailleurs de développer un sens de l’adaptabilité très

pointu, qualité remarquable chez un psychomotricien.

Le matériel est-il indispensable ?

Les camerounais ont peu de matériel, mais ils en ont suffisamment pour un suivi

minimum de leurs patients. Il faudrait néanmoins varier un peu plus le matériel et

surtout l’utilisation de médiations et jouer davantage sur la créativité. En prenant du

recul et face à la quantité de matériel utilisé en France, je me demande si l’on ne

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risque pas de s’enfermer avec le matériel. N’y a-t-il pas un risque de baser la séance

uniquement sur le médiateur, en perdant finalement la dimension relationnelle avec le

patient ? Je n’ai pas forcément connu le manque de matériel ou son inverse au cours

de ma formation, mais lors de mes séjours au Cameroun, j’ai eu le sentiment d’un

retour aux sources. Mais les sources de la psychomotricité sont-elles vraiment en

marge du matériel ? Cette discipline étant jeune, il me semble qu’elle a toujours

bénéficié du matériel de base, comme les miroirs, tissus, tapis, ballons et salles

disponibles. Les camerounais ont à leur disposition un environnement riche à exploiter

mais, malheureusement, ayant grandi dedans, ils ne s’en rendent pas toujours compte.

Ils étaient épatés lorsque je leur ai annoncé que nous allions travailler les parcours

psychomoteurs dans la cours, en passant sous les branches des arbres, en enjambant

les racines, en marchant dans le sable, sur la dalle de béton, en sautant dans l’herbe,

en triant les cailloux… Les étudiants se plaignent du manque de financement et de

matériel en se comparant à la France mais ils n’ont pas conscience de la richesse de

leur pays. La capacité innée et culturelle de percevoir le rythme de toute mélodie, par

exemple. Les fenêtres sont toujours ouvertes, on peut entendre la musique d’un bar à

côté de l’école, les oiseaux qui chantent dans les arbres tout autour des salles de

classes…

Je me suis dis qu’en France il ne serait pas impossible d’avoir aussi une

psychomotricité sans matériel, qui s’adapte à l’environnement. Mais alors le matériel

est-il nécessaire ou n’est-ce qu’un confort ?

Les moyens financiers ont-ils une influence sur le type de la pratique ?

Pour les questions matérielles, telles que l’espace ou les outils, je me suis

retrouvée un peu ennuyée pour déterminer si leurs conditions de travail étaient

guidées par le manque de moyens ou par des choix assumés…

La médiation la plus utilisée (elle l’était presque exclusivement) était donc la

relaxation. Puis, est venu le toucher thérapeutique, car la psychomotricité était très

sollicitée pour soulager les rhumatismes et la douleur et des pathologies lourdes. J’ai lu

le mémoire d’une étudiante camerounaise qui portait sur la drépanocytose et la prise

en charge de la douleur chez ces patients. Le psychomotricien de l’association contre

le Sida utilise beaucoup la relaxation pour travailler sur l’image du corps ou les plaintes

somatiques multiples liées à la maladie. Le développement de l’utilisation des

médiations répond aux demandes qui émanent des patients. C’est une pratique non

habituelle culturellement, mais professionnels comme étudiants se sont vraiment

sentis en difficulté face à leur patients. En effet, ils avaient été préparés au bilan

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psychomoteur mais une fois le projet thérapeutique élaboré que proposer au patient ?

Comment construire la séance ? Ce point est en ce moment même en pleine mutation

à Douala. Il faut laisser le temps à la discipline de se développer et aux praticiens de la

construire. Un psychomotricien camerounais m’a dit « pour moi la psychomotricité, ce

n’est rien d’autre que du soin ». En effet, il est souvent confronté à d’autres

problématiques qui pour lui relèvent de « l’épanouissement personnel ». On voit peu

de suivi engagé pour des cas de dyspraxie ou des troubles des apprentissages. C’est un

champ qui reste à explorer et à développer. Cela a été soulevé en réunion avec le

tuteur du projet Cameroun M. SCIALOM lors de son dernier voyage en février 2011.

Quelles indications pour la psychomotricité ?

Les indications, tout comme les lieux d’exercice de la psychomotricité, vont

s’étendre avec le temps. Il faut que la psychomotricité se fasse connaître. Le contenu

de la formation, pour les étudiants, est de plus en plus varié par rapport aux

populations cibles et aux indications en psychomotricité. Lorsque les psychomotriciens

camerounais, après quelques années de travail sur le terrain, reviendront dans

l’enseignement, ils pourront étoffer le contenu du programme pédagogique en

fonction des pathologies rencontrées localement.

L’équipe pluridisciplinaire un point d’encrage au travail du psychomotricien ?

En France, les psychomotriciens font tout leur possible pour mettre en exergue

leur identité au sein de l’équipe soignante. Par exemple, à l’hôpital, il arrive que le

psychomotricien ne mette pas de blouse blanche pour se dissocier de l’équipe

soignante. Au Cameroun, pour l’instant, les psychomotriciens, qui sont en phase

d’intégration progressive aux équipes soignantes, auront un important travail à faire

pour appuyer leur identité à part entière. Les étudiants doivent porter une tenue

bleue42, blouse courte et pantalon. Le fait de porter une blouse pour les

psychomotriciens dépend plus de la décision de l’institution dans laquelle ils

travaillent. On voit en France, des structures dans lesquelles les psychomotriciens ont

bien du mal à se faire reconnaître et à travailler en lien avec les autres professions,

alors le chemin est encore long pour le Cameroun qui évolue vite, néanmoins.

Lorsque j’ai questionné les professionnels camerounais en novembre 2010, ils

travaillaient majoritairement à leur compte. Aujourd’hui, ils sont un peu plus

nombreux à être salariés. Toutefois, leur intégration au sein d’une équipe

42

Illustration de la couverture du mémoire.

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pluridisciplinaire ne va pas être simple et ne se fera pas en quelque mois. Il s’agit de

savoir quelle place le système de santé camerounais et les mentalités sont prêts à

laisser à la psychomotricité.

La prescription médicale influence-t-elle la qualité de pratique ?

L’utilisation de la prescription médicale est en nette progression depuis ces

dernières années. Maintenant que le Ministère de Santé camerounais reconnaît

officiellement la psychomotricité et son école, ils vont légiférer la pratique

psychomotrice, si ce n’est pas déjà fait. Au début, n’étant pas encadrés par une loi et

étant méconnus du corps soignant, les psychomotriciens avaient plus de liberté. Mais

suite à l’installation de « charlatan » et l’influence de la pratique française, l’utilisation

de prescription médicale s’est instaurée au Cameroun.

Toutefois, on peut remettre en question la validité d’un tel travail de recherche

dans un processus aussi dynamique, en perpétuelle mutation. Effectivement, tout au

long de mon travail, des changements n’ont cessé de s’opérer. Je présente donc, ici, un

état des lieux, une photo à un instant « T » de ce que peut être la psychomotricité au

Cameroun. Il serait très intéressant de refaire une recherche de cet ordre d’ici

quelques années, une fois le contexte un peu plus stable, pour voir si l’existence d’une

ethno-psychomotricité se confirme.

2) Contexte de la centralisation des résultats, problèmes rencontrés

Lors de mon travail de recherche, la collecte des réponses au questionnaire s’est

révélée aussi importante que les réponses obtenues. En effet, j’ai procédé par courrier

électronique et je me suis arrangée pour que les étudiants puissent avoir accès à

Internet, par le biais des psychomotriciennes françaises sur place, du secrétariat de

l’IPPR ou encore par des étudiants français qui ont fait des aller/retour entre Paris et

Douala. J’ai fonctionné de manière identique avec les étudiants parisiens.

J’ai reçu dix réponses d’étudiants français interrogés en deux semaines à peine. J’ai

eu la première réponse des étudiants camerounais trois mois après leur avoir envoyé

les questionnaires. Je me suis posée la question de leur réelle motivation à s’impliquer

dans un projet de recherche sur la psychomotricité dans leur pays.

Au premier abord, j’ai été déçue de la passivité et de la réaction des étudiants

camerounais. Il a fallu cinq mois d’attente, des relances multiples par différents biais

(psychomotriciennes françaises, directrice de l’école, coordinateur du projet et

étudiants). M’étant investie personnellement, j’ai trouvé que ne pas répondre

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catégoriquement et sans justifications était une réaction agressive. Je ne comprenais

pas. Puis, je me suis demandée pourquoi j’étais déçue et pourquoi cette réaction me

touchait autant. En dehors du fait que l’échéance du rendu de mémoire de fin d’étude

approchait à grands pas. J’ai réalisé que je ne devais pas être déçue, contente ou pas

des résultats, je devais raisonner sereinement avec plus de distance. Il s’agit de

résultats scientifiques à analyser sans jugement de valeur. Après tout, une absence de

résultat est déjà un résultat en soi. Je me suis donc appliquée à chercher les

différentes hypothèses qui pouvaient expliquer cette réaction de leur part. Je devais

prendre de la distance avec ce que j’avais vécu sur place dans le cadre de la mission

humanitaire. Cela m’a conduite à m’interroger sur nos motivations à nous,

Occidentaux, et plus précisément étudiants de l’ISRP, quand on part au Cameroun.

Y-a-t-il une dette entre nos deux pays ? Si oui dans quel sens ? On peut parler je

pense, d’une dette réciproque. La dette de l’Afrique, mais aussi celle de la France pour

avoir colonisé et exploité les ressources primaires du Cameroun. Que reste-t-il chez

nos générations de l’idée de la colonisation de nos pères ? Que recherchons-nous dans

une mission humanitaire ? Je pense que le passé commun de nos deux civilisations ne

peut être écarté. La colonisation et l’esclavage, restent présents dans notre

inconscient. Il reste dans la culture camerounaise une certaine amertume face à la

France. Et je pense qu’il y a dans notre bénévolat un certain désir de réparation. Cette

réciprocité n’est pas neutre dans la relation. Le traité de Versailles43 (1919), qui fixait

les conditions de la paix, entérina le partage franco-britannique du Kamerun44, mais le

Cameroun français ou oriental cessa d'être une colonie française en 1922 pour devenir

un «territoire sous mandat de la Société des Nations» confié à la France. Dans les faits,

le Cameroun français (les quatre cinquièmes du territoire) fut administré comme une

colonie française ordinaire et le Cameroun britannique ou occidental (le cinquième du

territoire) fut intégré au Nigeria en tant que colonie anglaise. Chacun des

colonisateurs marqua «son» Cameroun de son empreinte, en imposant soit l'anglais

soit le français. Les français ont été beaucoup plus durs avec les peuples camerounais.

Alors que les anglais permettaient l’apprentissage des langues ethniques, les français

ont interdit les langues autres que le français à l’école. Cette façon de procéder, par la

force, en tentant d’imposer la culture française à un pays possédant déjà ses propres

cultures peut laisser des traces dans l’inconscient de la société actuelle. A plus petite

échelle, on peut évoquer la relation entre l’IPPR et l’ISRP. En effet, un partenariat est

43

http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/cameroun.htm

44 Orthographe d’origine citée dans le traité de Versailles.

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instauré entre les deux écoles, entre les deux pays, depuis quatre ans. Mais sans

l’intervention de l’ISRP, l’IPPR ne se serait peut être pas aussi vite ni aussi bien

développée.

Je me suis posée la question d’une éventuelle peur de l’échec, peur de ne pas

répondre correctement. Ils ont mis beaucoup de temps pour y répondre, voire pas du

tout. Je me suis également rappelée qu’après l’enthousiasme dont ils avaient fait

preuve lorsque je leur ai annoncé le sujet de mon mémoire, ils s’inquiétaient un peu de

lire ce que j’allais écrire sur eux.

La problématique temporelle correspond aux observations que j’ai pu faire sur leur

gestion du temps et l’ordre de leurs priorités. Ce n’est pas facile pour nous,

Occidentaux, qui vivons dans l’urgence de concevoir une certaine lenteur de

réalisation. Cela nous paraît lent par rapport à notre point de vue et nos priorités.

Cependant, si la dimension culturelle de la perception et de l’utilisation du temps n’est

pas à négliger, je pense qu’il est possible que d’autres hypothèses entrent en jeu.

La question de la motivation et la distance sont à prendre en compte (l’étude a été

réalisée à plus de 6 000 kilomètres). Il est difficile d’anticiper les conséquences ou les

tenants et aboutissants lorsqu’on participe d’aussi loin à un projet. En outre, j’ai choisi

mon sujet de mémoire sans leur demander leur avis et certain n’avaient peut-être tout

simplement pas envie que je parle d’eux. Malgré les avancées considérables

observables à Douala, on constate tout de même une certaine fragilité dans la réalité

des choses.

Bien que j’aie envoyé une trentaine de questionnaires aux étudiants français, dix

m’ont répondu rapidement, ce qui suffit pour mon étude. Sur neuf étudiants de l’IPPR,

six seulement ont répondu, ce qui fait deux tiers, alors qu’un tiers des étudiants

français m’a répondu. Dans notre promotion à l’ISRP, nous sommes 156 étudiants. Si

un tiers des étudiants participe à un projet donné, cela fait quand même plus d’une

cinquantaine d’étudiants investis. A l’IPPR, ils ne sont que neuf étudiants en troisième

année, l’on attend d’eux d’être particulièrement irréprochables en raison de leur petit

nombre. En effet, lorsque trois étudiants refusent un projet cela fait déjà un tiers des

étudiants en moins…

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3) Le devenir du partenariat ISRP/IPPR :

Suite à la dernière réunion à Douala le 22 février 2011, un courrier a été adressé au

chef de la division de la coopération au ministère de la santé publique. Le but étant de

faire un bilan des objectifs atteints et des nouveaux objectifs à fixer, sachant que cette

coordination de M. Scialom a pour but, depuis 2007, d’assister Sœur Catherine

Dominique dans le développement et l’organisation de l’IPPR.

Au niveau de l’enseignement, la formation atteint un bon niveau d’autonomie. Les

étudiants progressent et sont bien suivis par une équipe pédagogique qualifiée. A

l’occasion du séminaire international, sur le thème de la psychomotricité aux différents

âges de la vie, a eu lieu la cérémonie de remise officielle des attestations de formation

des douze premiers psychomotriciens camerounais. Ces attestations sont cosignées

par l’IPPR-OIPR. Ces premiers psychomotriciens ont trouvé des débouchés

professionnels dans différents secteurs (VIH, exercice libéral, hôpital psychiatrique,

centres pour enfants handicapés). Parmi eux, deux sont les premiers enseignants de

l’IPPR. Avec la participation de sept étudiantes de l’ISRP et de deux professionnelles

françaises durant cette année universitaire, de nouveaux étudiants prochainement

diplômés pourront être formés à l’enseignement. Il faudrait toutefois accentuer

l’entraînement inter et intra promotions, la verbalisation des projets thérapeutiques et

varier le contenu des séances de façon plus créative et adaptée à la culture

camerounaise.

L’IPPR est un institut de formation bien structuré. L’équipe pédagogique gère

efficacement l’organisation générale de l’école. L’équipement informatique est utilisé

à bon escient, la bibliothèque propose des ouvrages spécialisés et le règlement

intérieur est clair et appliqué.

Cependant, il faudrait nommer un responsable coordinateur de l’ensemble des

stages. En effet, pour l’instant c’est Adeline qui s’en charge, elle passe sur les lieux des

stages des étudiants à peu près une fois par mois. Elle quitte l’école à la fin de l’année

scolaire. La question de sa succession se pose car le suivi pédagogique des étudiants

pendant leurs stages est fondamental.

Afin de créer de nouveaux outils propres au Cameroun, un projet de recherche est

évoqué depuis quelques temps déjà. Un objectif de recherche potentiel serait d’établir

un étalonnage des âges de développement psychomoteur, dans un premier temps

pour les enfants de 0 à 3 ans. Pour cela, il faudrait nommer un coordinateur

enseignant et des stagiaires de première année en maternité et en crèche. En effet,

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cela fait plusieurs années déjà que le Cameroun n’a pas d’outil pour évaluer le

développement de l’enfant. Plusieurs observations ont pu montrer que les enfants

camerounais ne se développent pas de la même façon ni à la même vitesse que les

enfants français. Donc les échelles de développement n’ont pas de valeur significative

au Cameroun. Il serait également intéressant de renforcer l’ancrage de la

psychomotricité dans les maternités, la prévention pour les prématurés et la guidance

dans les relations précoces mère-enfant.

Le centre thérapeutique annexé à l’IPPR est un lieu de soins et de stages. Le suivi

des patients est régulier. Les différentes observations et évolution se rapportant au

bilan psychomoteur pourraient être différenciées des observations cliniques

quotidiennes. Il pourrait également être intéressant d’étoffer l’éventail des

orientations psychomotrices possibles, vers les difficultés scolaires, par exemple. Ce

centre pourrait être l’occasion d’intégrer des thérapeutes d’autres professions

complémentaires tels que les orthophonistes ou les kinésithérapeutes. Une stagiaire

éducatrice de jeunes enfants a fait un stage de six mois au centre de l’IPPR, ceci a

permis une révision de l’organisation de la journée mais aussi une affirmation de

l’identité du psychomotricien bien distincte de celle de l’éducatrice.

En conclusion de ce bilan, des progrès exponentiels ont été accomplis en trois ans

et demi pour atteindre un bon niveau d’autonomie, de professionnalisation et de

formation. L’envoi d’étudiants français n’est plus indispensable et se situe aujourd’hui

à un niveau d’échange réciproque. La décision d’arrêter ou de poursuivre le

programme doit être prise au plus tard fin avril 2011 par l’IPPR. Il est discuté en ce

moment d’une fusion potentielle avec le PEA « penser le corps africain » pour l’année

universitaire prochaine. Des rendez vous seront prochainement pris avec la présidente

de ce PEA afin d’évoquer les objectifs que nous pourrions fixer ensemble.

Malgré ses efforts et ses progrès, le développement de la psychomotricité à

l’échelle du pays dépend de la place que lui laissera le système de santé.

4) Système de santé camerounais : est ce que l'État est prêt à laisser

une place à la psychomotricité ?

Quelle est la place de la psychomotricité dans le système de santé camerounais

actuel ? On remarque une répartition inégale des services médicaux dans le pays et se sont les zones enclavées du Grand Nord et de l'Est du pays qui en pâtissent le plus. Le

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Cameroun bénéficie d’un potentiel significatif en structures sanitaires, dont

l’organisation générale s’appuie sur le cadre suivant45 :

- Un niveau central qui comprend les services centraux du Ministère de la Santé

Publique.

- Les hôpitaux qui regroupent des établissements publics administratifs :

o L’hôpital Général de Yaoundé

o L’hôpital Général de Douala

o L’hôpital de Gynéco obstétrique pédiatrie

o Le centre hospitalier universitaire (CHU)

- Des services rattachés :

o L’hôpital central de Yaoundé

o L’hôpital Jamot de Yaoundé

o L’hôpital Laquintinie de Douala

- La province, qui comprend :

o Une délégation provinciale de la santé publique

o Un hôpital provincial ou assimilé (il y a actuellement au Cameroun dix

délégations provinciales de santé publique)

- Le district de santé :

Il y a actuellement au Cameroun 143 districts de santé. La population d’un district

de santé varie entre moins de 50 000 habitants et plus de 150 000 habitants. Un

district de santé peut couvrir plusieurs entités administratives limitrophes. Il

correspond à un ou deux arrondissements dont il épouse les limites administratives. Il

ne doit en aucun cas être à cheval sur deux arrondissements ou deux départements.

45 http//:www.info.worldbank.org/.../Cameroun/Cadre%20organisationnel%20existant.doc

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77

- Un département peut comprendre un ou plusieurs districts de santé :

o Un service de santé,

o Un hôpital de district (il y a actuellement 130 hôpitaux de district et

191 hôpitaux de district assimilés au Cameroun)

o Des services et structures de santé publiques ou privées

o Des structures de dialogue et de participation communautaire

Il y a actuellement au Cameroun 1 298 aires de santé et 1 690 centres de santé.

Comme cité plus haut, la corruption est un fléau au Cameroun, notamment dans le

domaine public. Ainsi, il y a d’autres paramètres à prendre en compte pour

l’implantation de la psychomotricité dans le système de santé camerounais. D’autant

que dans un pays comme le Cameroun, où en 2000, 48 % de la population46 vivait en

dessous du seuil de pauvreté, on peut se demander si la psychomotricité est une

nécessité ou un luxe.

En conclusion, il existe bel et bien un espace théorique pour la psychomotricité.

Des centres existent mais les différents membres du corps soignant sont-ils prêt à lui

laisser une place ? Serait-il concevable qu’un jour la psychomotricité puisse faire le lien

entre les tradi-praticiens et la médecine occidentale ? Est-ce que le Ministère de la

Santé débloquera les budgets nécessaires aux créations de postes ? Seul l’avenir nous

le dira. En France, l’essence même de la psychomotricité est difficilement perceptible

par le grand public. Il ne saisit parfois pas ce travail de lien entre le corps et l’esprit et

ce, en raison de l’importante dichotomie qu’il existe entre le soma et la psyché dans

notre culture. L’extrême rapidité du développement de cette pratique au Cameroun

montre que ce cloisonnement est moindre. La psychomotricité arrivera-t-elle à se faire

une place au Cameroun et sera-t-elle reconnue comme une discipline locale ?

46 https://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/cm.html#Econ.

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78

CONCLUSION

La psychomotricité, malgré des spécificités culturelles, reste internationale et

accessible à tous, à condition d’être réellement à l’écoute des patients. Au-delà des

spécificités culturelles, de l’histoire de chaque patient et de chaque thérapeute engagé

dans la relation thérapeutique, la psychomotricité prend à la fois en compte la culture

de chacun et en même temps la globalité du sujet.

Aujourd’hui, la psychomotricité au Cameroun est en plein essor. Il reste encore des

choses à faire mais il faut laisser du temps au temps. Nous avons pu voir à travers ce

travail, comment les camerounais gèrent le temps et, s’ils sont souvent en retard au

quotidien, ce n’est pas le cas pour la psychomotricité. Je souhaite de tout cœur que ce

partenariat fructifiant entre l’ISRP et l’IPPR continue et permette à d’autres étudiants

de vivre cette expérience tant enrichissante sur le plan professionnel qu’humain.

J’ai, pendant ma formation, étudié l’histoire de la psychomotricité en France, les

différents courants qui l’ont influencé, les difficultés de la création d’un diplôme, la

mise en place d’écoles et la difficulté d’insertion d’une nouvelle profession au sein des

équipes médicales, paramédicales et éducatives. En arrivant à Douala et en discutant

avec les étudiants, les « diplômants »47 et la directrice, j’ai été fascinée par le fait que

tout ce que j’ai appris sur l’histoire de la psychomotricité, ils sont en train de le vivre.

Ils écrivaient leur histoire. En effet, dans 50 ans, ce sont ces pionniers de la

psychomotricité camerounaise que les jeunes élèves étudieront en cours. Je trouve

cela incroyablement grisant et vertigineux de jongler ainsi avec l‘avenir et le passé.

Malgré tous les problèmes auxquels les précurseurs sont immanquablement

confrontés, ils restent motivés et je suis admirative de leur force de caractère et de

leurs convictions. Ils appellent cela de la foi, moi, l’espoir…

47

En train d’être diplômés, n’ayant pas encore validé, le mémoire.

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ANNEXE 1 :

ORGANIGRAMME DE L’IPPR RENTRÉE SCOLAIRE 2010

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ANNEXE 2 :

RÉCAPITULATIF CHRONOLOGIQUE DE L’HISTOIRE DE L’IPPR

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ANNEXE 3 :

TABLEAU 1 : RÉCAPITULATIF DES TROIS GROUPES CONCERNANT LE TEMPS

ÉTUDIANTS CAMEROUNAIS (7)

ÉTUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)

Horaires difficiles à respecter pour le patient et le stagiaire. Découpage des séances en 3 temps utilisés par la moitié des étudiants. L’autre moitié s’adapte au patient et sa problématique. Durée et fréquence des séances : 45 minutes 2 fois par semaine. Bilan réalisé en deux séances environ.

Horaires respectés, marque de professionnalisme et garant du cadre thérapeutique. Découpage des séances en 3 temps systématique, les rituels diffèrent. Durée et fréquence des séances : 30-45 minutes 1 à 2 fois par semaine. Bilan réalisé en deux ou trois séances, environ 1h30 sans compter le temps de cotation et de rédaction.

Horaires difficiles à respecter pour les patients donc nécessite adaptation au retard de 15-20 minutes en moyenne, surtout pour des raisons financières. Découpage des séances en 3 temps, systématique, les rituels varient. Durée et fréquence des séances : 45 minutes – 1 heure, 2 fois par semaine. Bilan réalisé en 2 heures sur deux séances.

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ANNEXE 4 :

TABLEAU 2 : RÉCAPITULATIF DES TROIS GROUPES CONCERNANT L’ESPACE

ETUDIANTS CAMEROUNAIS (7)

ETUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)

Propre : non en majorité. Espace peu adapté mais adaptable. Peu de lieux de stage en hôpitaux, plus de cliniques privées ou d’associations. Le peu de rangements présents est justifié pour protéger le matériel des enfants.

Propre : mitigé mais oui pour une grande partie. Espace adapté. Lieux de stage dans une multitude de secteur privé et public. Rangement par thèmes et items psychomoteurs, pour éviter la sur stimulation et facilité l’accès.

Propre : oui et non mais très peu adapté. Peu de lieux de travail en hôpital. Plus de centre, de « libéral ». Peu de rangement sinon sur étagères, ou armoires.

ANNEXE 5 :

TABLEAU 3 : RÉCAPITULATIF DES PRINCIPALES INDICATIONS ET POPULATION AU

CAMEROUN ET EN FRANCE

ETUDIANTS CAMEROUNAIS (7)

ETUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)

Nouveau né : 1 Enfant : 5 Adolescent : 1 Adulte : 1 Personne âgée : 2 Trouble psy : 4 Trouble moteur : 5

Nouveau né : 1 Enfant : 7 Adolescent : 2 Adulte : 5 Personne âgée : 2 Trouble psy : 8 Trouble moteur : 4

Nouveau né : 1 Enfant : 5 Adolescent : 0 Adulte : 3 Personne âgée : 4 Trouble psy : 4 Trouble moteur : 4

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ANNEXE 6 :

TABLEAU 4 : RÉCAPUTILATIF DE L’UTILISATION DES OUTILS EN PSYCHOMOTRICITÉ

DANS LES TROIS GROUPES

ETUDIANTS CAMEROUNAIS (7)

ETUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)

Peu de matériel ni qualitatif, ni quantitatif mais couvre tous les domaines. Beaucoup de stimulation sensorielle. Transport à leur frais. Achat : par le stagiaire ou les familles (parents), parfois par la structure. Médiations : très pauvre.

Matériel très varié et très utilisé. Un peu moins de motricité fine par rapport aux autres items. Standardisation du matériel. Peu de transport en stage. Sinon voiture de fonction. Achat par la structure et parfois le psychomotricien de l’institution. Médiations : multiples et variées, beaucoup d’expressivité, et stimulation sensorielle

Peu de matériel, mais couvre tous les domaines (un outil par item presque) travail sur la motricité fine et le dessin important. Transport à leur frais. Achat : peu par la structure, principalement par le psychomotricien ou la famille. Médiation : relaxation et toucher thérapeutique quasi unique médiation. Mais commencent à se développer : danse, musique, mime… reste pauvre.

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ANNEXE 7 :

TABLEAU 5 : RÉCAPITULATIF DE LA PLACE DES TROIS GROUPES AU SEIN DE L’ÉQUIPE

PLURIDISCIPLINAIRE

ÉTUDIANTS CAMEROUNAIS (7)

ÉTUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)

Travail en équipe peu développé. Surtout pour l’organisation du partage du temps et des salles.

Travail en équipe indispensable en France.

Beaucoup travaillent seuls, sauf compte rendu au supérieur quand il y en a un. Un seul est vraiment intégré dans une équipe pluridisciplinaire.

ANNEXE 8 :

TABLEAU 6 : RÉCAPITULATIF DU TRAVAIL SUR PRESCRIPTION MÉDICALE DANS LES

TROIS GROUPES

ÉTUDIANTS CAMEROUNAIS (7)

ÉTUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)

Oui et non Oui Non