présentation de la commande - caue 87 · machine réalisant les bottes – les seigles du massif...
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Présentation de la commande
Le patrimoine représente une richesse inestimable dans la mémoire collective et dans
l’histoire de l’Homme. Il constitue une source de revenus et d’emploi important pour les
pays à travers la découverte liée au tourisme. Cependant, certains types de patrimoine sont
délaissés et méconnus. Certains savoir-faire liés au petit patrimoine courent aujourd’hui un
grand danger.
Les effets de l’ignorance peuvent être dévastateurs et engendrer la disparition de
toute une culture, d’une histoire humaine. Mon travail au C.A.U.E de la Haute-Vienne
consiste à réaliser un diagnostic de la filière de la paille de seigle en Limousin dans le but
de connaître ses potentiels futurs. Ce diagnostic m’a été commandé par mon maître de
stage, monsieur Lazare Pasquet, Directeur du C.A.U.E en collaboration avec Monsieur
François Klavun, producteur de paille de seigle dans le Limousin, motivé par le
développement de la filière.
Durant mon travail de recherche, je suis entré en contact avec différentes personnes
directement impliquées : Parc Naturels Régionaux, différents C.A.U.E, associations de
défense du patrimoine, producteurs de paille de seigle, artisans chaumiers. J’ai consulté de
nombreux documents relatifs à mon thème de recherche. A travers ce dossier, je tenterais
de répondre à la problématique suivante : « La filière de la paille de seigle possède-elle un
potentiel en Limousin ? ».
Guillaume GRAUX en stage au CAUE de la Haute-Vienne, dans le cadre de ses études à l’université de Limoges
en Licence Géographie et Aménagement, parcours valorisation du patrimoine et développement territorial.
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Diagnostic de la filière paille de seigle
Définition des termes :
Le seigle :
Le seigle est une plante appartenant à la famille des poacées. Il peut être cultivé
comme céréale ou comme fourrage. Il fait partie de la famille des céréales à paille. « Pline
l'Ancien » le définissait comme « une nourriture très pauvre, utile seulement pour éviter la
famine ». Il indique qu'on le mélangeait avec du blé pour « pour atténuer son goût amer,
et même alors il est très désagréable à l'estomac ». Le seigle a été largement cultivé en
Europe centrale et orientale depuis le Moyen-âge, il a même joué un rôle important dans
l’économie en Occident. Encore aujourd‘hui, certains pays Européens le cultive. Un champs
de seigle ressemble à un champ de blé mais possède la particularité d’avoir des épis barbus
et des tiges plus hautes. Dans la région Limousin, le pain de seigle a longtemps été l’aliment
de base. La culture du seigle concerne surtout les régions froides aux terrains pauvres.
Le seigle peut donner deux à six tonnes de matière sèche à l'hectare, selon la fertilité du sol.
La paille de seigle :
La paille de seigle est une plante qui appartient à la famille des graminées. Elle était
cultivée dans l’ensemble du Massif Central avant de connaître un déclin considérable au
début du XXe siècle. Cette paille a servie à la conception de toitures végétales, de nombreux
objets. Elle atteint une hauteur pouvant varier de 1,60m à 2m selon les années. En Haute-
Vienne, des papeteries travaillaient avec du papier de paille jusque dans les années 1990.
Tous les paysans du Limousin utilisaient la paille pour nourrir leurs bêtes ou encore pour
couvrir leur maison. On retrouve la trace de machines à travailler la paille dans l’ensemble
du territoire.
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Le chaume :
Le chaume était autrefois le principal matériau de couverture d’une grande partie de
la France. Il a longtemps joué un rôle important dans l’histoire des sociétés rurales. La paille
de seigle ou le roseau étaient des matériaux de proximité et les hommes s’en servaient pour
recouvrir les toits de leur maison. En réalité, le roseau était utilisé sur des territoires de
marais. Le chaume était considéré comme la couverture du pauvre et du français moyen.
Au fil du temps, les toitures en chaume ont étés délaissées, même si elles se sont
principalement maintenues dans les régions ou l’on cultivait du seigle ou encore des
roselières. Au début du XXe siècle, le chaume recouvrait environ 75% des maisons et des
bâtiments d’exploitation du Massif Central. La réalisation de toits de chaume s’est éteint
avec l'abandon de la culture du seigle, le délaissement de ce matériau au profit de mode
de couvertures demandant moins d’entretien et la mécanisation (apparition des
moissonneuses qui ont redues la paille inutilisable).
Aujourd’hui, le chaume entre dans les catégories de toitures dites « végétales ». Il
peut être fait à base de plusieurs plantes : le jonc, le roseau, la paille de seigle, la bruyère
ou encore le genêt (voir annexe A). Il se trouve qu’aujourd’hui, la production de chaume se
fait le plus souvent à base de roseaux. La majeure partie du chaume de roseau vient de
Hollande ou de régions françaises marécageuses comme la Brière ou la Camargue.
Le chaume représentait 70 % des modes de couvertures des maisons creusoises
jusqu’en 1850. Le terme « lou coumado » désigne le toit, la protection, l’abri par excellence,
avant de laisser la place à la tuile ou l’ardoise. On peut en juger d’ailleurs en observant les
murs pignons des maisons anciennes et des granges ; beaucoup d’entre eux montrent
clairement la hauteur de la surélévation des murs gouttereaux et des reprises de
maçonnerie. La présence d’un larmier au pied des souches de cheminée (de manière à ce
qu’un homme puisse s’y tenir pour ramoner) est aussi le signe de ce type préalable de
couverture. On a abandonné le chaume en Limousin à cause des risques d’incendie et de
la faible pérennité du matériau. Les quelques rares exemples subsistant encore en
montagne limousine donnent une idée de ce que pouvait être la paysage bâti à cette
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époque : toitures à forte pente, paille de seigle, rives aux élégantes morènes coiffant le toit
(voir annexe B).
Les chaumiers :
Les poseurs de chaume sont appelés les chaumiers, ils étaient appelés autrefois « lou
clujaire ». Ils se servaient d’une palette de bois et d’une aiguille pour passer les liens.
Dans son ouvrage intitulé « La maison et le village en Limousin », Maurice Robert écrit :
« Dans les années 60, nous avons recensé, sur la seule commune de Coussac-Bonneval,
cinq anciens couvreurs à chaume » l.1-2, page 322.
On comptabilise une centaine d’entreprises en France, inscrites au répertoire des
métiers. Il est important de noter que seulement 25 d’entre-deux sont membres de
l’Association Nationale des Couvreurs Chaumiers. Aujourd’hui, il existe sept personnes
exerçant cet artisanat en Limousin.
La chaumière :
La maison rurale recouverte de chaume est appelée « chaumière ». Cette dernière a
longtemps été considérée comme habitat rural traditionnel en Europe. Un toit de chaume
n’était jamais refait en une seule fois. La quantité importante de paille nécessaire, la durée
de l’ouvrage, la dégradation très inégale des côtés d’un toit, la fragilité du faîtage et des
arêtes obligeaient régulièrement à des rénovations partielles. D’ailleurs, les anciens baux de
fermage stipulaient qu’une partie de la couverture des bâtiments loués devait être restaurée
chaque année.
Le fourrage :
Le fourrage correspond aux céréales destinées à l’alimentation du bétail. Dans une
exploitation agricole, une parcelle est mise à disposition des bêtes durant les pâturages,
cette dernière correspond à la surface fourragère.
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Historique et savoir-faire autour du chaume
La production de paille de seigle :
Depuis longtemps, la culture du seigle, et en particulier de paille ne cesse de baisser.
A l’échelle mondiale, la Russie et l’Europe de l’Est comptent 80% de la production (700 000
hectares en Allemagne selon l’entreprise Deleplanque, producteurs de seigle hybride).
En France, cette culture céréalière ne cesse de baisser depuis le XIXe siècle. Il y a 200 ans,
la production Française couvrait environ 2 millions d’hectares (source : groupement national
interprofessionnel des semences et plants). Aujourd’hui, elle n’atteint que 35 000 hectares.
Les régions qui la cultivent le plus sont la Sologne et le Massif central. La production dans
ces régions est pour la plupart exercée pour le fourrage (alimentation des bêtes) (voir
annexe C). En limousin, moins de 100 hectares sont consacrés à la culture de paille de seigle.
Les producteurs produisent environ 350 tonnes de pailles non destinée à l’agriculture tous
les ans. Il existe en Limousin des producteurs de pailles de seigle, c’est le cas des « Seigles
du Massif Central » et de l’entreprise « Monteil et fils », situées toutes deux en Corrèze.
Le seigle était cultivé sur des territoires de montagne, c'est-à-dire sur tous les plateaux
limousins granitiques (les terres à seigle ont une écologie spéciale, ce sont des "ségalas",
des terres pauvres). On peut penser ici au Plateau de Millevaches et à tous les secteurs
d'altitude supérieure à environ 450 mètres. Sur des secteurs d’altitude plus faible, la terre
était plus riche, il s’agissait de terres à blé (froment), ou d'autres matériaux de toiture ont
été préféré à la paille de seigle (ardoises, tuiles plates).
La récolte de la paille de seigle :
Il est important de noter que la paille de seigle est semée à partir du mois d’octobre.
La récolte varie en fonction des années entre fin mai et début juin. La récolte et le battage
étaient faits manuellement à l’aide de faucille pour ne pas casser la paille*.
La paille est aujourd’hui majoritairement coupée avant d’être étendue sur le sol à
l'aide d'une machine spéciale. La paille est ensuite entreposée dans les champs pour une
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durée variant de dix à douze jours, c’est le blanchissage. La paille est relevée dans des
gerbes qui lui permettent de sécher.
Par la suite, la paille subît une étape importante, c’est le triage. Les mauvaises herbes
sont éliminées. Une fois triée, les pailles sont mises en botte. Les bottes correspondent à
peu près aux dimensions suivantes : 30 centimètres de diamètre, une longueur variant de
160 à 175 centimètres, pour un poids de 7,5 kilogrammes en moyenne. En réalité, la paille
de seigle est mise en botte pour faciliter la manutention et le chargement des transporteurs.
Elle a longtemps été utilisée pour sa souplesse.
*Aujourd’hui, il existe des moissonneuses lieuses qui coupent le seigle dans la longueur sans
le broyer.
Photographies de la récolte de paille de seigle
Source : Association Nationale des Couvreurs Chaumiers
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Machine réalisant les bottes – Les seigles du Massif Central, Corrèze
Source : C.A.U.E de la Haute-Vienne
Le savoir-faire dans l’ensemble du Massif Central veut que la paille de seigle soit
peignée avec un râteau en bois à longues dents appelé « la pincha ». La paille était posée
dans un gabarit composé de deux dents de bois plantées dans une planche « lo bonc a
clues ». Chaque gerbe ainsi déterminée était attachée par deux liens de paille pour former
un « clue ». Enfin, les gerbes étaient remisées dans la grange dans l’attente d’être
employées.
Préparation de paillons – Les seigles du Massif Central, Corrèze
Source : C.A.U.E de la Haute-Vienne
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La pose du chaume, un savoir-faire diversifié :
Le principe de base d’une toiture en chaume est de maintenir des tiges végétales sur
un toit. Pour cela, de nombreuses techniques existent, mais toutes consistent à superposer
des « lits » ou « passées ».
Avant de distinguer les techniques de pose, il convient de parler des supports et des
outils. Le support en chaume est fait de pièces de bois (châtaignier, orme, noisetier..).
L’espacement entre les pièces de bois peut varier selon les régions et rappelons que chaque
chaumiers possède sa signature artistique. Depuis les années 1920, les liens végétaux qui
servaient à fixer les poignées de chaume ont étés délaissées au profit du fil de fer ou de
clous. La charpente reposait sur des murs assez bas principalement en moellons de pierre,
en pan de bois torchis en fonction du terroir local sur une base appelée le « lattis ». Dans
une grosse partie de l’Auvergne, ce lattis était réalisé avec des lattes de hêtre. Ce dernier
devait être fixé sur les chevrons arbalétriers.
Les paysans réalisaient leurs toitures avec de la paille mouillée au préalable pour ne
pas qu’elle casse en la pliant. Il est important de noter qu’il a existé des similarités entre
certaines zones géographiques (exemple : Chaumières aux alentours de Paris au XVIIIe
siècle similaires avec le savoir-faire Camarguais ; source : P.Lebouteux). Cependant, chaque
toiture en chaume à la particularité d’être unique. Il est possible d’apercevoir une toiture en
chaume dans un village et d’en trouver une autre à 2 km très différente.
Des outils spécifiques au métier de chaumier existent. Ils sont représentés sur la figure
n°9 : une crémaillère retient la lisse métallique (1), un serre-lisse est enfoncé dans la paille
(2), à droite on peut apercevoir une aiguille en demi-cercle (3), la batte (4), du fil de fer
galvanisé (5) et à droite une grande aiguille (6). On aperçoit également plusieurs tiges
métalliques qui servent à retenir la paille, elles sont appelées les « clous ».
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Les outils du chaumier
Source : Art et tradition du chaume
Une fois la gerbe ouverte à l’aide de couteaux (aujourd’hui de tenailles), les pailles
sont rangées. La crémaillère sert à maintenir une pression sur la lisse qui maintient ainsi la
paille en attendant la présence du lien. Le lien est effectué par un fil de fer galvanisé qui
enserre le liteau et la lisse, son passage se fait à l'aide d'une aiguille.
L’entreprise « Art et Tradition du chaume » exerce une technique locale, en utilisant
les « doubles aiguilles » (deux aiguilles rectilignes). La première est un tube et la seconde
est une tige munie à son extrémité d'un anneau. Les deux aiguilles sont enfoncées dans la
toiture de part et d'autre du liteau. Celle constituée d'un tube est glissée dans l'anneau de
la seconde. On fait alors passer le fil de fer dans le tube. Pour faire suivre le fil de fer, il suffit
de retirer du toit l'aiguille muni de l'anneau. Cette technique est utilisée dans les espaces
exigus. Une fois les liens attachés, les pailles sont retenues. Il est alors possible d'affiner le
travail à la batte. Cet outil est une planche disposant d'aspérités cylindriques et munie d'un
manche. En frappant le toit, les pailles se rangent de manière régulière. Cet outil permet
donc de réaliser un grain homogène. Une fois le grain obtenu, la lisse est appuyée à l'aide
du serrelisse. Cet outil est enfoncé dans les épis jusqu'à venir en appui sur un liteau. Il suffit
alors de faire levier pour compresser la lisse (et les pailles).
Pour maintenir la pression, le lien de fil de fer galvanisé est resserré. Il est alors possible de
retirer le serre-lisse et de recommencer l'opération au lien suivant.
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Utilisation des « deux aiguilles »
Source : Art et Tradition du chaume
Les chaumiers utilisent des éléments propres à leur corps de métier pour se déplacer
sur le toit, ce sont les « chaises ». Ces dispositifs disposent de crochets qui passent à travers
la couverture de paille et viennent s'arrimer au liteau de la charpente. Il est alors possible
de travailler en appui sur des marches en surface du toit.
Il existe 4 grandes méthodes pour poser le chaume qu’il convient de distinguer :
- La pose « horizontale » : ici, les bottes de pailles ou de roseaux sont réparties « à la
poignée », c’est-à-dire que des bandes d’une longueur d’un mètre se chevauchent
en partant du bas vers le haut de la toiture avec comme pour la méthode
précédente, un intervalle de trente centimètres entre chacune pour grader une
meilleure étanchéité. Le chaume est cousu à la charpente grâce à un fil de fer mais
sans les barres transversales.
- La pose « verticale » : le chaumier progresse du bas vers le haut en superposant des
lits de la largeur de son bras. Dans les deux cas, les pailles sont enserrées par des
liens pour les maintenir au toit. Les pailles sont rangées et superposées de manière
à ce que seul le pied de la paille dépasse à l’extérieur. On parle du « grain » de la
paille. Les gouttes d’eau glissent alors de paille en paille, sans jamais pénétrer à
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l’intérieur de la couverture. Pour que le grain soit régulier et suffisamment dense, il
est nécessaire que les pailles soient enserrées fermement.
- La méthode dite « hollandaise » : qui consiste à étaler les bottes de pailles ou de
roseaux en bandes horizontales sur toute la largeur du toit en commençant par le
larmier (base de la toiture souvent située au pied des cheminées). Le chaume est
cousu à la charpente à l’aide d’un fil de fer et maintenu par des barres transversales
métalliques. Chacune des bandes est disposée de manière à se cacher entre-elles
(tous les trente centimètres) avec un intervalle de trente centimètre.
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Une pose hollandaise en Limousin
Source : Art et Tradition du Chaume
- La méthode dite « à construction vissée », la plus moderne (1997), consiste à visser
les bottes sur des panneaux étanches. Des vis sont insérées tous les 20 centimètres
puis reliées entre elles par un fil de fer qui comprime et retient le chaume. L’air ne
circule pas entre les tiges, ce qui limite le risque d’incendie. Cette méthode est
critiquée, on lui reproche d’empêcher au chaume de respirer. Cette technique est
utilisée aux Pays-Bas.
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Dans l’ensemble du Massif-Central, les techniques traditionnelles sont originellement
des techniques de pose verticale. Trois techniques sont identifiables dans cette partie de la
France : la pose Limousine, la pose Auvergnate et la technique du chaume cloué.
La pose Limousine est une technique de pose verticale. Le seul matériau utilisé est la
paille de seigle. C'est-à-dire qu’elle sert à la fois de matériau de base et de lien pour
maintenir les pailles. La charpente doit être préalablement recouverte de liteaux placés
horizontalement et séparés par un espace de 25 à 35 cm. Les pailles utilisées doivent être
longues (supérieures à 1 mètre 50). Elles doivent être rigides (c'est-à-dire non écrasées) et
solides (une poignée de 6 à 10 pailles doit résister à plus de 5 torsions circulaires avant de
rompre). Il est impératif que les épis soient libres de tout grain (le risque est d’attirer les
rongeurs). Aujourd’hui, ces techniques ne sont plus utilisées car des problèmes se sont fait
ressentir dans les années qui ont suivi la pose de la toiture (fuites). Aujourd’hui, la pose
hollandaise est préférée de certains chaumiers comme Armand Klavun, artisan à Monestier-
Port-Dieu (Corrèze).
Illustration de la pose « Limousine »
Source : Art et tradition du Chaume
Le lien est rallongé en liant bout à bout des poignées de pailles par des nœuds plats.
La distance entre le lien et le pied des tiges forme le filant. Après avoir fait faire le tour du
liteau, le lien est maintenu par une ganse qui est glissée entre le lien et la gerbe.
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Le lien ainsi tendu permet de maintenir en place les pailles lors de l’ouverture de la gerbe.
Une fois l’ensemble des pailles rangées, il faut réaliser un « lacet » avec trois ou quatre tiges
de seigle mouillées et vrillées. L’aiguille est glissée entre les pailles, sous le liteau, tout en
maintenant dans sa main les pieds des pailles. Le chaumier retire les pailles de l’aiguille puis
la glisse une nouvelle fois dans la paille au-dessus du liteau. Il repasse les épis du lacet dans
le chat pour ressortir le lacet du toit. Le lacet est enfin lié au-dessus du lien de paille. De
cette manière, le lien de paille qui est compressé par les lacets vers le liteau, maintient les
tiges de pailles en les enserrant. Avant de serrer définitivement les lacets, le grain est
harmonisé à l’aide d’une « éspase » en frappant le pied des pailles.
Toiture en chaume type « Limousine » et morène
Source : Art et Tradition du Chaume
La rive est protégée par une moraine, c'est une succession de boudins coniques.
La constitution de la moraine est la première étape de la pause sur un pan nu. Il faut partir
du bas du toit. Le chaumier saisit une botte, il la conditionne puis la place sur le bord du
toit. Ensuite, il la lie au toit par quatre liens (en paille ou, de façon moderne, en fil de fer
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galvanisé). Enfin, le chaumier place ses pailles puis serre les liens. Les deux premiers, du côté
épis, doivent être serrés très fermement. Ils ont pour fonction de maintenir les pailles au toit.
La technique Auvergnate ressemble à la technique Limousine, car elle fait aussi partie
des techniques de poses verticales et que le matériau traditionnel utilisé est encore la paille
de seigle. En revanche, la technique auvergnate n’utilise pas des liens de pailles mais des
« arquis ». Ce sont des branches de noisetiers taillées en pointe des deux côtés.
De plus, un fil de fer est utilisé à la place du lacet de seigle qui maintient le lien de paille à
partir du liteau de la technique Limousine. Les arquis étant plus longs que le bras, une
personne est obligée de se tenir en dessous du toit pour retirer puis repasser le fil dans le
« chat » de l’aiguille.
Confection d’une toiture avec la méthode Auvergnate
Source : Art et Tradition du Chaume
Eglise en chaume de Lestard ; Ancienne grange à Saint-Fréjoux, restauration en seigle -
Art et Tradition du Chaume (Corrèze)
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Sources : Institut National des Métiers d’Art ; C.A.U.E de la Haute-Vienne ; C.A.U.E de la Corrèze
Une fois le chaume posé, le faitage peut être élaboré. Cette technique se fait au niveau de
l’arête du toit. Généralement, le faitage est réalisé en terre cuite. Pour assurer l’étanchéité
du toit à cet endroit, il est souvent placé une bande de papier goudronné sur la paille. Il est
ensuite recouvert de tuiles galbées, spécialement conçues pour cet usage. Elles doivent
recouvrir les dernières lisses. Ces tuiles de terre cuite sont jointées par un mortier au ciment
et à la chaux. Le faîtage des toitures peut être aussi en mortier ou végétal planté de bulbes
d’iris ou de lys pour favoriser le drainage durant de fortes précipitations. Il est important
de noter que selon l’association nationale des couvreurs chaumiers, en moyenne, 50 000
m² de toiture en chaume sont réalisés tous les ans en France.
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Création d’un faitage en terre crue, planté de bulbes, Normandie
Source : « Couvrir en chaume à la hollandaise », Mission photo JP & A Lagarde
En Corrèze, l’entreprise « Art et Tradition du Chaume » utilisent une technique locale
pour la création des faîtages en paille de seigle. En effet, ils réalisent le faitage à partir de
boudins de seigle préparés préalablement.
Chaque gerbe est divisée en deux. Les pailles sont rangées, puis l’une des deux
moitiés est retournée et replacée contre l’autre. Les pailles sont ensuite liées régulièrement
par des liens espacés de 10 à 15 cm. Une fois sur le toit, ces boudins sont pliés en deux au
milieu et placés au fait les uns contre les autres pour assurer l’étanchéité du faitage. Ils
doivent recouvrir les derniers liens de pailles pour les protéger.
Faîtage d’une toiture « Limousine » en paille de seigle
Source : Art et Tradition du Chaume
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L’Association nationale des couvreurs chaumiers (ANCC), créée en 1996, estime le
nombre d’entreprises à une centaine, dont 26 sont adhérents. La carte (figure n°19)
répertorie uniquement les artisans chaumiers reconnus comme appartenant à l’ANCC. En
France, c’est en Normandie que se trouve le plus grand nombre de toits en chaume.
La Bretagne, les Pays de la Loire, le Centre, la Loire-Atlantique, la Vendée et le Nord
ont eux aussi perpétué la tradition. Ces éléments se retrouvent sur la carte, on peut constater
une concentration d’artisans dans le Nord-Ouest de la France.
Représentation géographique des couvreurs chaumiers adhérents à l’Association Nationale des
Couvreurs Chaumiers en 2015
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I. ENQUETE DOCUMENTAIRE
§1. Les avantages et les inconvénients du chaume
Le toit en chaume possède une durée de vie qui varie entre 35 et 50 ans avec une
pente qui correspond au minimum à 45 °. En effet, le principe veut que la durée de vie de
la toiture augmente en fonction de la pente. Un entretien régulier tous les vingt ans permet
d’optimiser sa durée de vie à environ 50 ans. Cet entretien consiste à garder la toiture dans
le même état en supprimant les éléments indésirables (exemple : mousse). Il est important
de noter que mis à part son aspect esthétique qui peut déplaire à certains propriétaires, la
mousse empêche la surface du toit de sécher. Le chaume est un isolant naturel reconnu qui
permet de maintenir facilement la température de l'habitat, et de ce fait de réduire les coûts
du propriétaire. Il peut aussi être bénéfique durant la saison d’été car il ne transmet pas la
chaleur du soleil à l'intérieur. Il y a donc pas un effet d'inertie et de déphasage thermique.
Le chaume et son épaisseur permet un confort sonore. En effet, les bruits (précipitations)
sont atténués par l’épaisseur de la toiture. Le toit de chaume se marie facilement avec les
formes des charpentes. La couverture en chaume est insensible au gel, à la grêle, à la neige
et à la tempête. Contrairement à certains discours, ce type de toiture ne prend pas feu
facilement car le chaume est serré, compressé sur le lattage (longues planches de bois). La
paille de seigle qui est creuse a tendance à mieux tenir sur le toit (les pailles ne descendent
pas, alors que ce phénomène peut avoir lieu avec du roseau).
Les toitures végétales sont concernés par l’application de l’article L. 111-6-2 du code
de l’urbanisme qui précise que : « Nonobstant les règles relatives à l'aspect extérieur des
constructions des plans locaux d'urbanisme, des plans d'occupation des sols, des plans
d'aménagement de zone et des règlements des lotissements, le permis de construire ou
d'aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable ne peut s'opposer à
l'utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction
permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre, à l'installation de dispositifs favorisant
la retenue des eaux pluviales ou la production d'énergie renouvelable correspondant aux
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besoins de la consommation domestique des occupants de l'immeuble ou de la partie
d'immeuble concernés ». Une toiture végétale permet de temporiser les eaux de pluie, elle
se compose de matériaux d’isolation thermique qui évoquent les végétaux en toiture.
Par conséquent, selon le ministère de l’environnement, « les dispositions d'un document
d'urbanisme (PLU) qui s'opposeraient à l'installation de toitures végétales, sont inopposables
au pétitionnaire ».
Le chaume peut aussi avoir des inconvénients. Le vent est un ennemi des toits de
chaume. Les grands vents du Mont Lozère ont dégradés les toitures en les décoiffant.
Les habitants devaient monter sur le toit pour boucher les trous aussi vite que possible.
Ces vents ont étés des moteurs de la déperdition des toits de chaume dans l’Est du Massif
Central. Une toiture en chaume est vivante, ses couleurs évoluent au cours de la journée et
des saisons. Progressivement, la taille du filant diminue, dégradé par le temps. Le prix de la
toiture en chaume peut paraître assez couteuse (Entre 120 et 150 € le mètre carré posé)
mais elle ne reflète pas son coût réel dans le sens ou la charpente n'a pas besoin d'être
renforcée car le chaume est un matériau léger (il pèse 30 kg/m²).
L'isolation peut être minimisée car le chaume est lui-même un isolant, de plus, l’air
est renouvelé naturellement. En Vendée, des chaumiers utilisent des nattes à l’intérieur des
habitations recouvertes de chaume. Elles ont deux fonctions, une première relative à
l’esthétique et une seconde à la protection et l’isolation de la toiture.
La paille de seigle a connue de nombreux problèmes dans le passé. Les pailles
posées n’étaient pas toujours récoltées au vert, et le grain attirait les rongeurs. Ces derniers
ont participé à la dégradation des chaumières. Contrairement aux autres matériaux comme
l’ardoise, il n’existe aucune réglementation de pose officielle ni de règles professionnelles.
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Photographie des nattes vendéennes
Source : P.Lebouteux, « Traité de couverture traditionnelle »
Vue d’ensemble de l’église de Lestard, Corrèze
Source : C.A.U.E de la Haute Vienne
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Logis en chaume, à Meyrignac-L’ église
Source : C.A.U.E de la Haute-Vienne
Logis, Plateau des Millevaches
Source : C.A.U.E. de la Corrèze
Ancienne grange, restauration en seigle,
à Meyrignac-l'Église
Source : C.A.U.E de la Corrèze
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§2. L’offre et la demande en Limousin
En région Limousin, les toits de chaumes ont longtemps étés réalisés avec la paille
de seigle. Ce mode de couverture pour les maisons a été abandonné au fil des années du
fait de sa comparaison avec une image péjorative du paysan et du manque de satisfaction
chez les particuliers au niveau de la qualité du matériau fourni. En Corrèze ainsi qu’en
Creuse et en Haute Vienne, quelques chaumiers utilisent encore le seigle dans leur activité.
Le problème est que la paille travaillée sur place n’est pas toujours locale. Seul deux
producteurs en Limousin préparent la paille et fabriquent des paillons. Il est important de
noter que la production paille de seigle pour la réalisation de paillon à fromage correspond
approximativement à 90% de la production totale en Limousin. En effet, seul 10% de la
production de paille de seigle est destinée aux couvertures en chaume, aux paillons pour
bouteilles, et à la marqueterie de paille. Aujourd’hui, les poses des toits de chaume sont
représentées par trois entreprises spécialisées qui récupèrent beaucoup de matière
première en Camargue pour le roseau, quelques fois dans le Mâconnais pour le seigle, mais
très peu dans le Limousin. En effet, le seigle, du fait de sa rareté, n’est pas le meilleur marché
actuellement. Les chaumiers sur la région Limousin interviennent pour la plupart chez des
particuliers, sur les toits de fermes mais également de granges, pour le nettoyage et aussi
la restauration des toitures qui peuvent être en seigle, en chaume ou paille longue
(construction de toiture neuve en chaume et roseaux, entretien de maison en chaume et
roseaux etc..).
Il existe une demande de paille de seigle issue d'agriculture biologique (dérogations
pour utiliser de la paille conventionnelle) moins dangereuses, sans désherbants ni pesticides.
Beaucoup de personnes sont intriguées par les qualités de ce matériau. Des projets qui ont
eu lieu dans la région Limousin, se sont soldées par des réussites et certains architectes se
disent motivés par la création de toitures végétales. Des journées d’initiation ont été créées,
notamment à Tulle (Corrèze) en 2012. Il reste à savoir si cette demande prend en compte
les circuits courts dans l’acheminement des matières premières, concept indispensable dans
24
une démarche de développement durable. Cependant, dans les projets de toitures, c’est
encore le roseau qui est préféré par les chaumiers à la paille de seigle (manutention plus
aisée).
§3. Les freins au développement de la filière
Il est important de noter que l’organisation de la filière à l’échelle locale est au point
mort. La filière seigle en Limousin semble souffrir de son passé. Au fil des années la qualité
de la paille à déclinée, les chaumiers recevaient de la paille de qualité médiocre et la
prestation n’était plus à la hauteur des attentes de la clientèle. Ce phénomène a mené ces
chaumiers à se diriger vers un matériau plus résistant et plus facile à manutentionner : le
roseau. On constate d’autre part une pénurie en paille de seigle, certaines pailles ne sont
pas battues au fléau, les fibres se cassent, un des problèmes identifié est lié à la faiblesse de
la mécanisation lors de la récolte.
Les producteurs souffrent d’un manque de main d’œuvre. Ils cherchent une
alternative grâce à des machines plus élaborée pour la récolte de paille mais sont freinés
par les coûts. Un autre frein semble être le prix de vente à la pose (jusqu’à 150 euros pour
un mètre carré). La paille de seigle souffre aussi de préjugés qui la dévalorisent dans les
discours « lambda » (très inflammable, attire les rongeurs, peu solide...). Cet artisanat souffre
d’un manque de reconnaissance, de compréhension et de main-d’œuvre qualifiée. Il n’est
pas rare qu’un client doive attendre un ou deux ans pour que son chaumier effectue les
travaux commandés. Autre problématique, les personnes souhaitant faire construire avec
l’utilisation de paille n’ont pas toujours l’accord lors de la demande du permis de construire
voire des Architectes des Bâtiments de France qui ne valident pas toujours la construction.
Le motif le plus fréquent est la « non prise en compte » du paysage « traditionnel ».
25
§4. Quels usages pour la paille de seigle ?
La filière seigle est intéressante car elle détient un potentiel
fort au sujet de la création de nombreux objets. La paille
de seigle a servie de lien pour les gerbes des céréales
moissonnées à la main. En 1870, on utilisait la faucille de
façon courante. La paille de seigle sert à la confection de
chapeaux de paille, de paillassons destinés à protéger les
plantes (sous forme de nattes de brins de paille
positionnés de façon parallèle et reliés par des ficelles), de
paillons pour protéger les bouteilles pendant les transport,
faciliter l’affinage de certains fromages. On retrouve sa
présence dans la fabrication de chaises. Aujourd’hui
encore quelques menuisiers ébénistes perpétuent ce
savoir-faire.
Cette paille est (ou était)
aussi connue pour l’art de la vannerie, ou l’on confectionnait
des récipients résistants dans le but de stocker les denrées
alimentaires. Certaines ruches utilisées en apiculture étaient
construites avec de la paille de seigle. La figure de droite
représente une ruche en paille localisée en Creuse, sur la
commune de Saint-Quentin-la-Chabanne. « La paille de
seigle fût calibrée et présentée dans de petits étuis en papier,
le chalumeau avec lequel les enfants aspiraient leur verre de
grenadine » M. Hachet dans Techniques d’Antan.
Aujourd’hui, de nombreux designers et architectes d’intérieur
26
s’intéressent à la marqueterie de paille. Cette
dernière peut correspondre à la création de
panneaux muraux ou encore d’objets décoratifs.
La filière de la paille de seigle commence à
s’intégrer dans l’art contemporain et abstrait. Les
figures présentées à droite sont l’œuvre des
ateliers « Lison de Caunes », entreprise spécialisée
dans la marqueterie de paille à Paris. Certains
objets à base de paille sont devenus très rares, il s’agit de mosaïques ou de tableaux de
brins de paille. Le bois et la paille sont ainsi en harmonie. On retrouve la paille dans les
structures de certaines habitations. La première maison de droite est dite « Nebraska » aux
Etats-Unis. Des bottes de pailles supportent le poids de la
toiture. C’est une technique simple, très peu connue en
France. Les maisons à structure portante sont composées de
structures en bois, qui soutiennent le poids de la toiture et
des étages. Les bottes de paille sont disposées entre les
piliers. Ces maisons présentent plus de flexibilité dans les
formes et permettent la construction de plusieurs étages. La
deuxième maison à droite, est située à Murcia en Espagne.
Le terre-paille est utilisé dans la construction, bien qu’il n’ait
pas de reconnaissance officielle en France. Ce procédé
possède un faible impact environnemental, une efficacité
thermique et se situe dans la lignée de la technique du
torchis-colombage. Le terre paille correspond à la torsion
d’un faisceau de végétaux souples mélangés à une terre
argileuse.
« Si la paille devient un matériau de construction fréquent
avec le temps, son prix augmentera, ce qui constituera un
revenu complémentaire fort, apprécié des petites entreprises agricoles. En effet, le terre-
27
paille peut se pratiquer sur toutes les régions tempérées du territoire Français », Alain
Marcom dans « Construire en terre-paille ».
Dans le cadre de la production actuelle de seigle, les demandes en bottes de paille pour la
construction ne peuvent être toutes satisfaites, les rebuts de la production pourraient être
valorisés dans le cadre de la réalisation de terre fibrée (torchis terre paille)
§5. Les atouts de la filière
La filière de la paille de seigle possède différents atouts. Le seigle est cultivé la plupart
du temps dans des zones de montagne, il ne demande pas de traitement. Des recherches
médicales ont confirmé que les pailles possédaient des propriétés curatives, bénéfiques
pour l’être humain. La paille de cette céréale possède une réelle diversité au sujet de la
transformation, de la création d’objets. Elle est utilisée massivement dans ces conceptions
grâce à sa solidité. L’équivalent carbone représente l’impact des gaz à effet de serre sur le
climat. Ce dernier est très faible au sujet de la paille de seigle. Une maison d’habitation dite
« conventionnelle » consomme pour le chauffage entre 80 et 230 kWh/m² et par an (environ
8 à 23 €/m²/an). Une maison composée de bottes de pailles de seigle consomme dix fois
moins, avec une énergie qui ne produit pratiquement pas de dioxyde de carbone (du bois) ;
La paille est un isolant qui le stocke (voir annexe D).
La paille de seigle correspond à un patrimoine ancré dans l’histoire du monde rural.
Ce patrimoine est en danger, une prise de conscience de ses atouts est possible.
28
II. ENQUETE DE TERRAIN
§1 : Présentation de la méthode d’enquête
J’ai voulu réaliser en enquête à destination de trois publics dans le but d’avoir
différents points de vues, d’analyser les visions qu’ont les différents acteurs au sujet de la
filière. Cette enquête se présente sous forme de trois questionnaires. Un premier destiné à
des acteurs du patrimoine, un second aux producteurs de paille de seigle et un troisième à
destination des artisans chaumiers présents dans l’ensemble du Massif Central.
Il me paraissait intéressant de croiser mes recherches bibliographiques avec une enquête
de terrain pour avoir une vision la plus globale possible au sujet de la perception, de
l’importance de la filière aux yeux des gens. Dans certains cas, j’ai eu l’occasion de me
déplacer directement pour interroger les personnes. C’est ce qui s’est passé pour Armand
Klavun (artisan chaumier) et François Klavun (producteur) à Monestier-Port-Dieu en
Corrèze. Dans les autres cas, j’ai pu interroger les personnes par entretien téléphonique.
Mes objectif étaient de connaître l’intérêt que portent les acteurs sur cette filière, essayer
d’obtenir une photographie sur l’état de la filière, savoir si il existe un potentiel de
développement. Avant d’effectuer les entretiens, j’ai émis des hypothèses. Ces dernières
étaient les suivantes : la filière n’est pas beaucoup représentée dans le Massif Central,
beaucoup d’acteurs s’intéressent à la valorisation de la filière, la filière souffre d’un manque
de connaissance, de lisibilité. J’ai voulu avoir des éléments de réponses à différents niveaux :
savoir s’il existe des devis, si ce patrimoine est pris en compte au sein des différentes
structures, si des actions de valorisation sont en cours (exemples pour les acteurs tels que
les C.A.U.E et les P.N.R), connaitre l’étendue des surfaces d’exploitation ainsi que le poids
de la production (exemple pour les producteurs de paille de seigle), savoir si les gens
s’intéresse au travail de chaumier, si l’activité est en hausse ou en baisse ( par exemple pour
les artisans chaumiers).
29
§2 : Compte-rendu des enquêtes
Sur les dix parcs Naturels contactés (les Volcans d’Auvergne, le Livradois-Forez, le
Pilat, les Monts d’Ardèche, les Grands Causses, les Causses du Quercy, Millevaches en
Limousin, le Morvan, le Haut-Languedoc, le Parc national des Cévennes), sept ont acceptés
de répondre à mes questionnements. Différents points ont étés retenus. Les PNR ont une
« quasi » méconnaissance de personnes intéressées par la pose de toiture en chaume, que
ce soit en termes de roseau ou de paille de seigle. En revanche, j’ai pu récolter des noms
de chaumiers exerçant dans le Massif Central. Peu de projets de valorisation existent autour
de la filière. Les informations en lien avec le sujet sont pauvres, dans le sens ou la plupart
des PNR ne sont pas en mesure de fournir de la documentation sur les techniques liées à la
filière : pose du chaume ou encore marqueterie.
J’ai voulu récolter des informations auprès des C.A.U.E du Massif Central. Sur les dix-
neuf interrogés, treize ont acceptés de répondre à l’entretien. La plupart des C.A.U.E du
Massif central n’ont pas connaissance de propriétaires motivés pour des projets intégrant le
seigle dans les matériaux de construction. Cependant, de nombreux projets de restauration
ont eu lieux. On construit peu en neuf mais la restauration et l’entretien des toits de chaume
subsistent. Très peu de C.A.U.E sont au courant de la présence de producteurs de paille
dans le Massif Central. Dans la plupart des cas, on m’a informé que cette filière ne
correspondait pas à l’histoire locale. En effet, peu de C.A.U.E prennent en compte la filière
dans leurs préoccupations. J’ai contacté des associations de défense du patrimoine telles
que la « Fondation du patrimoine », « Maisons Paysannes » ou encore l’Association
Nationale des couvreurs chaumiers. Ces associations se sont montrées plus coopératives et
des informations capitales m’ont été données (noms de producteurs, noms de chaumiers,
chiffres).
Le second questionnaire à destination des producteurs m’a permis de récolter de
nombreuses informations. J’ai pu obtenir des chiffres qui m’ont permis d’établir un état des
30
lieux de la filière en terme de production, de coût de revient, de potentiel. Ces personnes
ont pu me répondre avec succès. J’ai pu savoir à quoi servait la paille produite. L’activité de
ces producteurs est stable. Cette année, l’offre est même inférieure à la demande. Dans la
plupart des cas, la communication externe n’est pas très développée car des réseaux sont
déjà organisés (clients récurrents, marché fermé). Tous les producteurs pensent que la filière
possède un réel avenir mais que certains points faibles handicapent son développement
(« coût d’une toiture en chaume, matériau cher cas de plus en plus rare, demande beaucoup
de main d’œuvre »).
Le troisième questionnaire plus spécifiquement destiné à l’attention des couvreurs
chaumiers m’a permis d’obtenir des réponses sur l’intérêt que les personnes portent à leur
activité ( « Les gens s’intéresse aux toits de chaume, seulement, c’est un peu « passé de
mode », c’est devenu du luxe. La paille de seigle, c’est un matériau de puriste », E.Sogny).
L’activité de ses chaumiers est stable ou en hausse mais aucun d’entre-deux ont remarqué
une baisse de revenus. Leur clientèle la plus fréquente correspond à des particuliers qui font
appel à eux pour de la restauration, de l’entretien de toiture, et à plus faible fréquence pour
de la création. Les chaumiers communiquent la plupart du temps grâce à internet via leur
site personnel. La totalité des chaumiers ont une préférence pour la paille de seigle mais
utilisent aussi du roseau pour la confection des toitures. Ils pensent que la filière peut être
intéressante à valoriser.
31
Bilan : potentiel de la filière et pistes de valorisation
La paille de seigle est ancrée dans le patrimoine rural du Limousin et au-delà sur
l’ensemble du Massif central. Elle a été fortement représentée dans l’ensemble du territoire
régional jusqu’au XIXe siècle avec un grand nombre de toitures en chaume. Aujourd’hui,
une filière existe sur le territoire. Cette dernière fait référence à la production, la
transformation et la mise en botte de la paille. Cependant, cette production est limitée à
cause du manque de moyens financiers et d’une mécanisation insuffisante. Je n’ai pas réalisé
une étude de marché au sens économique du terme mais me suis inspiré des méthodes
d’analyses marketing.
En Limousin, deux producteurs de paille exercent leur activité sur une surface totale
correspondant environ à 125 hectares. Il est important de noter que ces deux producteurs
ne travaillent pas à la même échelle (exploitation de 100 hectares pour le premier contre 25
hectares pour le second). Les recherches m’ont permis de situer la production française de
paille de seigle pour un usage non agricole à 165 hectares. Le Limousin fourni 80% de la
production Française. Le poids annuel de la production de paille brute exploitée en Limousin
correspond à 485 tonnes (contre environ 604 tonnes au niveau national). Dans ce chiffre,
90% sont disposés à la confection de paillons à fromage et seulement 10% est consacré à
la confection de toitures en chaume, de paillassons et de paillons à bouteilles. Un hectare
cultivé en Limousin permet de récupérer aux environs de 3,4 tonnes de paille brute en une
année. La part de perte une fois la paille mise en gerbe est conséquente, elle peut s’élever
jusqu’à 45% (20% de grain et 25% de paille) selon les années. La paille non gardée est
utilisée pour la confection de petites bottes revendues ensuite aux alentours de dix centimes
le kilo. Le grain est réutilisé l’année suivante avant d’être fourni à des agriculteurs.
La paille de seigle est de plus en plus rare, elle demande beaucoup de main d’œuvre.
Les étapes de transformation sont nombreuses. Ces problématiques justifient son prix élevé
et par conséquent la difficulté à convaincre les personnes de se résoudre à l’acte d’achat
malgré que ces dernières s’intéressent aux richesses environnementales de ce matériau pour
32
PRODUCTION
TRANSFORMATION
STOCKAGE DE LA PAILLE NON UTILISEE
MISE EN BOTTE / PRODUIT FINI
VENTE
POSE ET EMPLOI DU MATERIAU
- Toitures
- Enduits
- Terre-paille
PRODUCTION
TRANSFORMATION
MISE EN BOTTE / PRODUIT FINI
VENTE
POSE ET EMPLOI DU MATERIAU
la confection de nouveaux toits en paille de seigle. Globalement, les vertus de la paille de
seigle sont méconnues du grand public, et parfois même de certains acteurs des territoires.
Une chose est certaine, si la production de paille de seigle disparaît en Limousin, ce sont
des savoirs faire (métiers de chaumiers, producteurs) qui risquent de disparaître à jamais.
Schéma représentant la filière paille de seigle actuelle
Schéma représentant la filière de la paille de seigle possible
Réalisation : Guillaume Graux
33
Dans le but de valoriser la filière de la paille de seigle, plusieurs points sont à prendre
en compte. Dans un premier temps, il semblerait intéressant d’accentuer la communication
sur la particularité Limousine, dans le sens ou des techniques de pose du chaume sont
typiques à la région Limousin, mais aussi dans le fait que seulement deux producteurs
travaillent la paille de seigle en Limousin. La paille fait l’objet d’un intérêt particulier dans les
arts contemporains, dans les constructions ou encore dans l’architecture d’intérieur.
Entrer en contact avec des artistes contemporains et ou architectes pourrait permettre une
dynamisation de la notoriété Limousine. Pour que le plus grand nombre de personne
prennent connaissance des activités liées à la paille de seigle, il faut qu’il y ait une
transmission. Cela passe par des activités éducatives ou des présentations orales sur les
marchés ou dans les salons. De plus, il serait peut-être envisageable de mettre en place un
système de formation et exposer le savoir au grand jour pour pérenniser les métiers
artisanaux en lien avec la filière (chaumiers, producteurs, artistes..). La filière manque de
lisibilité au niveau local. Pour remédier à ce problème, il est intéressant de renforcer la
coopération entre les producteurs, les artisans et les acteurs du patrimoine tels que les Parcs
Naturels Régionaux, les C.A.U.E, les communes et toutes structures ou personnes impliquées
dans la restauration et la valorisation du patrimoine.
Dans un principe de développement durable, il serait intéressant de penser la
récupération de paille de seigle pour un réemploi. Les 40% de perte dans la production de
paille peuvent être réutilisées en terre-paille, torchis et enduits. Cet aspect plus relatif à
l’isolation correspond sans doute à une réelle plus-value pour les producteurs de paille.
Cette technique se développe de plus en plus dans les constructions neuves. Certains pays
tels que la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suède ont officiellement reconnu le
mode de mise en œuvre du « terre-paille » dans la construction. Ils travaillent sur l’alliance
entre la tradition et la modernité.
34
Il est important de constater que des travaux sur valorisation des toitures en chaume
ont étés effectués sur d’autres parties de la France. C’est le cas du Parc Naturel régional de
Brière. A l’intérieur de ce parc, 3000 toitures sont recouvertes de chaume (roseau), elles
correspondent à 60% des chaumières Françaises. Les toitures végétales ont étés conservées
grâce à une action concertée entre le PNR, des élus locaux, régionaux et communaux.
A titre d’exemple, plus de 1 600 poses, restaurations et rénovations de couvertures en
chaume ont été subventionnées depuis 1970. Le parc à même édité un bilan de la politique
d’aide à l’emploi du chaume. L’objectif principal est de retracer les actions du parc en
prenant en compte les évolutions et les résultats obtenus. Selon le PNR de Brière : « Les
impacts de cette politique globale ont été bénéfiques car le territoire a redécouvert son
patrimoine et des savoir-faire. La chaumière, synonyme de vétusté et de pauvreté par la
population locale il y a 40 ans, redevient une fierté et le symbole d’une qualité de vie ».
Les préoccupations environnementales sont présentes dans les discours et les
principes du développement durable s’appliquent peu à peu. La paille de seigle a fait ses
preuves en Limousin et fonctionne. J’ai constaté durant mon travail de recherche que ce
matériau possède un fort potentiel de richesses sur les plans architecturaux et
environnementaux.
Aujourd’hui, il existe un potentiel de développement certain en Limousin au sujet de
la valorisation de la paille de seigle. L’objectif principal est de conforter cette activité rurale
limousine. Je suis en mesure de me poser la question suivante : La céréale du pauvre
d’autrefois pourra-elle devenir un matériau d’avenir?
35
Table des Annexes
Annexe A : Différentes plantes pour la réalisation du chaume p. 36
Annexe B : Production de seigle en tonnes pour le fourrage et l’ensilage p. 36
Annexe C : Production de seigle en tonnes pour le fourrage
et l’ensilage (avec pourcentages) p. 37
Annexe D : Graphique comparatif des déperditions d’énergie par matériau p. 37
Annexe E : Carte postale non datée, la courtine, Creuse p. 38
Annexe F : Carte postale de 1900 d’une chaumière dans le Morvan p. 38
Annexe G : Moulin de Châlons à Eygurandes p. 39
Annexe H : Schémas de faîtages p. 39
Annexe I : Types de couvertures des maisons en Limousin en 1960 p. 40
Annexe J : Le guide d’entretien p. 41
36
Annexe A : Différentes plantes pour la réalisation du chaume
Annexe B : Du chaume à l’ardoise hier et de l’ardoise au chaume demain ?
Source : C.A.U.E de la Haute-Vienne
37
Annexe C : Production de seigle en tonnes pour le fourrage et l’ensilage (avec pourcentages)
PAYS Production en t en 2004 Pourcentage Production en t en 2005 Pourcentage
France 21 522 700,00 85 % 21 600 000,00 85 %
Danemark 1 800 000,00 7 % 1 850 000,00 7 %
Espagne 1 200 000,00 5 % 1 000 000,00 4 %
Mexique 600 000,00 2 % 600 000,00 2 %
Norvège 297 000,00 1 % 297 000,00 1 %
TOTAL 25 419 700,00 100 % 25 347 000,00 100 %
Source : base de données de la FAO (Food and Agriculture Organization) de 2006
Annexe D : Graphique comparatif des déperditions d’énergie par matériau
Source : Statistique et cas réels – Ecoville
38
Annexe E : Carte postale non datée, la courtine, Creuse (Chronogramme : 1664)
Annexe F : Carte postale de 1900 représentant une chaumière dans le Morvan
Source : Base Mérimée - Etat Français - Bâtiments classés monuments historiques
39
Annexe G : Moulin de Châlons à Eygurandes (19)
Source : La maison et le village en Limousin, M. Robert
Annexe H : Schémas de faîtages
Réalisation : Guillaume Graux
40
Annexe I : Types de couvertures des maisons en Limousin en 1960
Réalisation : Guillaume Graux
Source : « La maison et le village en Limousin », Maurice Robert
41
Annexe J : Le guide d’entretien
Méthode :
Trois questionnaires :
- Un premier destiné à des acteurs du patrimoine (PNR, CAUE etc...). - Un second destiné à des artisans chaumiers - Une troisième destiné aux derniers producteurs de paille de seigle en France.
Hypothèses :
- La filière seigle n’est plus beaucoup représentée dans le Massif central.
- Beaucoup d’acteurs s’intéressent à la valorisation de la filière
- Cette filière souffre de préjugés qui la dévalorisent
Objectifs:
- Connaître l’intérêt que portent les acteurs sur cette filière
- Savoir s’il existe un potentiel pour cette filière
- Effectuer une étude transversale à ma recherche documentaire
42
Bibliographie
Julien Choppin et Nicola Delon, 2014. « Encore heureux », édition Pavillon de l’arsenal.
Alain Marcom, 2011. « Construire en terre-paille », édition terre vivante.
Coignet J., Coignet L, 2006. « La maison ancienne : construction, diagnostic, interventions ».
Editions Eyrolles.
Joëlle Furige, Michel Boucher, 2005. « La maison rurale en Haute-Marche », contribution à
un inventaire régional, Edition Créer.
Philippe Berte Langereau, 2005. « Les chaumières du Morvan », Association des nourrices
du Morvan.
Pierre Lebouteux, 2001. « Traité de couverture traditionnelle », édition H. Vial
Madeleine Jaffreux, Marc Prival, Michel Leblond, 1999. « Ainsi va l’homme en ses métiers ».
Michel Desforges, 1997. « La Haute-Vienne autrefois », édition Lucien Souny
Maurice Robert, 1993. « La maison et le village en Limousin », SELM
Jean Delmas, 1987, « Notes sur l’architecture rurale », dans « Liaisons et Paysages du
Rouergue », bulletin de l’association de sauvetage du Rouergue.
Maurice Robert, 1977. « Les maisons Limousines », revue ethnologia, SELM
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