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Protection

V O L U M E 3 • N U M É R O 1 3 2 • 2 0 0 3

Les nouveaux défisde la

R É F U G I É S2 R É F U G I É S

Protéger plus, protéger mieux

Sous le titre accrocheur “Cygnes des temps :

les demandeurs d’asile braconnent les oiseaux de

Sa Majesté pour en faire des barbecues”, le

quotidien britannique The Sun rapportait récemment en

première page que des demandeurs d’asile “sans vergogne”

posaient des pièges dans les parcs et jardins publics et qu’ils

attrapaient des cygnes pour les manger.

Sachant que toute “bonne” histoire peut être un filon

inépuisable, le même journal titrait le lendemain :

“Maintenant, ils s’en prennent à nos poissons.” Cette fois, des

bandes de demandeurs d’asile étaient, soi-disant, en train de

“piller les lacs et les rivières” où vivaient des espèces proté-

gées, toujours pour

garnir leurs garde-

manger. En outre “ils

égorgent aussi nos

oies”, précisait The

Sun pour garantir

l’effet de choc.

C’est l’été en

Europe, saison de

rubriques légères,

celle où l’actualité “sérieuse” est souvent mise en veilleuse au

profit d’anecdotes plus divertissantes.

Si le creux estival était seul responsable des titres cités, on

pourrait se contenter de les ignorer, d’autant que selon un

autre quotidien britannique, The Independent, ces histoires

auraient été inventées de toutes pièces.

Sauf que la saga des barbecues s’inscrit dans l’inquiétante

avalanche d’articles souvent injurieux, voire xénophobes,

que charrie quotidiennement une presse populaire trop

contente de commenter avec jubilation l’assaut — car c’est

bien de cela qu’il s’agit à ses yeux — d’une horde de “faux

demandeurs d’asile” contre une Grande-Bretagne “bien trop

naïve”.

Le gouvernement, les médias et l’opinion britanniques

s’accordent en général pour dire que l’immigration pose

effectivement un problème de taille.

Mais les manchettes des journaux causent un tort énor-

me, voire empoisonnent, les vrais débats : comment

affronter et résoudre le problème, de plus en plus com-

plexe et en constante mutation, des flux migratoires mon-

diaux où se mêlent demandeurs d’asile et réfugiés, qu’il

convient de protéger le mieux possible, mais aussi celui

des millions de migrants économiques à la recherche

d’une vie meilleure ? Que faire face au florissant trafic

d’êtres humains, qui se chiffre aujourd’hui en milliards de

dollars ? Comment gérer l’impact de la lutte internationa-

le contre le terrorisme ?

Le présent numéro de Réfugiés traite du sort des réfu-

giés à travers les âges et du visage changeant de la protection.

Car les persécutions et les exodes de masse ne datent pas

d’hier. Depuis des siècles, la terreur a été utilisée comme

arme pour tuer, blesser et chasser de chez eux des millions

de civils.

Mais la conjonction de ces vieux problèmes et de réalités

nouvelles — dont la rapidité des moyens de transport et de

communication et l’afflux sans précédent vers les pays du

Nord de personnes en quête d’une vie meilleure – crée un

climat général de crainte et d’incertitude.

Pour le HCR, la Convention de 1951 relative au statut des

réfugiés demeure la clé de voûte de la protection des réfu-

giés et a fait ses preuves en plus d’un demi-siècle d’existence.

Récemment, le Haut Commissaire Ruud Lubbers a lancé

une série d’initiatives visant à la fois à renforcer la

Convention et à poursuivre avec une énergie décuplée l’ob-

jectif ultime de la protection — trouver des solutions perma-

nentes et sûres pour tous les déracinés de la planète : “Mieux

vaut apporter la sécurité que d’obliger les gens à aller la

chercher ailleurs.”

3R É F U G I É S

2 É D I T O R I A L

Comment faire face au problème complexe et enpleine expansion des flux migratoires mondiaux ?

4De nouvelles réalités, venues se greffer sur de vieuxproblèmes, ont fait naître une inquiétude croissantequant au sort des réfugiés et des demandeurs d’asile.Le défi est de taille : assurer au mieux leur protection.par Ray Wilkinson

ChronologieUn regard sur la protection à travers les âges.

RéinstallationLa chance sourit enfin à certains déracinés qui vontpouvoir reconstruire leur vie dans un nouveau pays.

ApatridesSans pays, sans identité, ils n’ont même pas lapossibilité d’enterrer officiellement leurs morts.

Un jour de travail comme un autre…La protection sur le terrain, une mission aux milleset un visages.par Jack Redden

CICRLa mission de protection du Comité international dela Croix-Rouge.par Ian Piper

21 À T R A V E R S L E M O N D E

AngolaLes armes se sont enfin tues : une paix fragile seprofile à l’horizon.par Fernando del Mundo

L’eauPour tous, l’or bleu est source de vie. Bien desréfugiés l’ont appris à leurs dépens.

ColombieLes indigènes de Colombie et les régions les pluspauvres du pays payent le prix de la crisehumanitaire la plus grave de l’hémisphère occidental.par William Spindler

ImagesDe jeunes déracinés colombiens s’improvisentphotographes pour raconter leur vie.

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4 La tradition de protégerles réfugiés est aussiancienne que le drame

de l’exil. Mais au fur et àmesure que les situations decrises deviennent de plus enplus complexes et que denouveaux problèmessurgissent (comme au Libériaci-dessus), une nouvelle formede protection s’impose afinde faire face aux réalitésd’aujourd’hui. L’article decouverture se penche sur laquestion.

22 Les réfugiés seretrouvent souventcomplètement

démunis. Mais s’ils peuventavoir accès à l’eau, c’est déjà un premier pas vers unenouvelle vie.

24 Fournir des papiersd’identité auxquelque trois

millions de déracinés enColombie est un aspect vitalde la protection.

Rédacteur :Ray Wilkinson

Edition française :Mounira Skandrani

Ont contribué :Carol Batchelor, Rupert Colville,Volker Turk

Secrétariat de rédaction :Virginia Zekrya

Iconographie :Suzy Hopper, Anne Kellner

Design :Vincent Winter Associés

Production :Françoise Jaccoud

Gravure photos :Aloha Scan - Genève

Distribution :John O’Connor, Frédéric Tissot

Cartes géographiques :UNHCR - Mapping Unit

Documents historiques :UNHCR archives

RRÉÉFFUUGGIIÉÉSS est publié par le Service del’information et des relations avec lesmédias du Haut Commissariat desNations Unies pour les réfugiés.Les opinions exprimées par les auteursne sont pas nécessairement partagéespar le HCR. La terminologie et lescartes utilisées n’impliquent en aucunefaçon une quelconque prise de positionou reconnaissance du HCR quant austatut juridique d’un territoire ou de sesautorités.

La rédaction se réserve le droitd’apporter des modifications à tous lesarticles avant publication. Les textes etles photos sans copyright © peuvent êtrelibrement reproduits, à condition d’enmentionner la source. Les demandesjustifiées de photos sans copyright ©peuvent être prises en considération,exclusivement pour usageprofessionnel.

Les versions française et anglaisesont imprimées en Italie par AMILCARE PIZZI S.p.A., Milan.Tirage : 228 000 exemplaires enfrançais, anglais, allemand, espagnol,italien, russe, arabe et chinois.

IISSSSNN 00225522--779911 XX

Images de couverture :Posters de campagnes de sensibilisation sur les réfugiés.© U N H C R / P I / P H O T O L I B R A R Y

HHCCRRCase postale 25001211 Genève 2, Suissewww.unhcr.org

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4 R É F U G I É S

RÉALITÉS

Les politiques d’asile tous azimuts mènentdroit dans le mur. Nous sommes assis surune bombe à retardement”, tonnait récem-ment le quotidien britannique The Sun. Lemême jour, son concurrent, le Daily Mail,

parlait de services hospitaliers “submergés par des hordesde demandeurs d’asile séropositifs, au détriment de pa-tients britanniques obligés de patienter pendant des moispour la moindre intervention chirurgicale”. Le Daily Ex-press affirmait pour sa part que les services de l’immigra-tion avaient “plus ou moins renoncé à empêcher les faux de-mandeurs d’asile d’envahir la Grande-Bretagne” et en rajoutait dansla psychose le lendemain en annonçant qu’avec l’élargissement del’Union européenne en 2004, “plus de 73 millions d’étrangers sup-plémentaires auront le droit de s’installer et de travailler en Grande-Bretagne”.

Bienvenue dans le monde des tabloïdes qui, semaine après se-maine, mènent obstinément une bruyante croisade contre “l’inva-sion”. “La Grande-Bretagne a complètement perdu la boule dans sontraitement des immigrants et demandeurs d’asile, écrit le chroni-queur Kilroy. Passe encore que nous laissions entrer chez nous tousles Pierre, Paul et Jacques qui errent dans les parages. Passe encoreque nous financions grassement des services d’aide judiciaire qu’ilsutiliseront pour s’opposer à leur expulsion. Passe encore que nous leslogions dans des quatre étoiles en attendant de leur accorder avan-tages sociaux, logements et contrats de travail. Non, ce qui prouvevéritablement à quel point nous sommes devenus faibles et naïfs,c’est le fait que nous donnions des logements et une couverture so-ciale à des gens qui se préparent à nous poignarder dans le dos.”

Pendant ce temps, des embarcations surchargées de clandestinsafricains essaient d’atteindre l’Italie. Un haut responsable italien au-rait même demandé à la marine nationale d’ouvrir le feu sur cellesqui s’approchent trop des côtes — mais beaucoup coulent bien avant.L’un de ces nouveaux radeaux de la Méduse ayant récemment réussià rejoindre la petite île touristique de Lampedusa, un des habitantsa lancé à un visiteur de passage : “qu’on les flanque tous dans unechaloupe géante et qu’on les envoie chez Berlusconi, à Rome.”

Pourtant, que de souffrances, que d’épreuves pour les clandestinsqui essaient d’atteindre la terre promise de l’Europe ! “Entassés commedes bestiaux pendant toute la durée de leur traversée, ils s’accrochentà l’espoir d’un avenir meilleur. Quand ils débarquent enfin avec leurpauvre baluchon, ils sont malades, à bout de forces. Et ils se retrou-vent face à des policiers qui portent des masques chirurgicaux pourse protéger contre les maladies et ne pas sentir l’odeur fétide de lamisère humaine”, peut-on lire dans un rapport sur la question.

5R É F U G I É S

NOUVELLES

Réformer lesprogrammes deprotection pourdes millions depersonnes dans unmonde de plusen plus complexe etcompliqué.

Des millions de personnes ont été tuées oudéracinées en République démocratique du Congo,l’une des guerres les plus meurtrières de l’histoire del’Afrique. Mais nombre de personnes ne bénéficientd’aucune forme de protection.

par Ray Wilkinson

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Vieux problèmes…

LA LOI DES ARMESAu même moment en Afrique, des centaines de

milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se terrentdans le champ de ruines qu’est devenue Monrovia, lacapitale du Libéria, pour tenter d’échapper, une fois deplus, à une guerre civile qui s’éternise. “Les armes fontla loi, et il y en a partout. Naturellement, ce sont lescivils qui en font les frais”, se désole le Haut Com-missaire Ruud Lubbers, avant le déploiement d’uneforce internationale de maintien de la paix pour arrê-ter le carnage.

A l’autre bout de laplanète, des enfants sontdétenus à Nauru, unepetite île du Pacifique.Les responsables d’Am-nesty International sontallés frapper à la portedu Premier ministreaustralien John Howardpour exiger la libérationdes 112 adolescents en-fermés dans un campaménagé en 2001 sur cepetit bout de terre poury retenir les clandestinsqui débarquaient par na-vires entiers sur les côtesaustraliennes. Face à la

montée des protestations, le gouvernement australiendéfend vigoureusement sa politique d’immigration, maisAmnesty ne lâche pas prise. “L’Australie se veut unmodèle en matière de protection des droits de l’homme,mais le fait qu’elle maintienne des enfants en détentionmontre à l’évidence qu’il y a un écart abyssal entre laloi et les réalités”, déclare l’organisation.

La question de l’avenir des populations déracinées —réfugiés, demandeurs d’asile, migrants économiques etécologiques — est plus que jamais d’une brûlante ac-tualité. On en parle dans les allées du pouvoir, de Paris à Beijing. Les habitants d’une localité rurale deCaroline du Sud attendent avec une certaine appré-hension l’arrivée imminente d’un groupe de réfugiésafricains. Le Burundi sort dévasté et ruiné d’un conflitde plusieurs décennies qui a fait des centaines de mil-liers de victimes et provoqué un exode massif. La mi-nuscule république de Nauru s’est tirée d’un mauvaispas économique en acceptant les largesses — et les boatpeople indésirables — de l’Australie.

La question de l’immigration fait et défait les gou-vernements et les carrières politiques. Dans certainspays comme la Grande-Bretagne, elle est tellement om-niprésente qu’elle dispute la une des journaux à DavidBeckham, l’idole du football dont les moindres faits etgestes sont épiés et mitraillés par des nuées de photo-graphes et de paparazzi.

Les capitales, les organisations humanitaires et leHCR, gardien de la Convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés, happés dans l’engrenage, s’effor-cent tant bien que mal d’adapter leurs dispositifs, leurspolitiques et leurs priorités à un environnement enconstante mutation.

DES BOULEVERSEMENTS SPECTACULAIRESPourquoi la donne a-t-elle ainsi brutalement changé

au début du nouveau millénaire ? La situation est-ellevraiment aussi ingérable que ne le laissent supposer lesgros titres assénés quotidiennement par une certainepresse ?

L’exode forcé est loin d’être un phénomène nouveau.Depuis que l’humanité existe, les guerres produisentleurs lots de déracinés et d’exilés. Dans les années 70,quelque 10 millions de civils ont fui l’ancien Pakistanoriental en direction de l’Inde, dans ce qui fut l’exodele plus massif de l’histoire moderne. Et les dernièresdécennies ont fait des millions de déracinés en Asie duSud-Est, en Afrique et en Europe.

Et même si la “terreur” sera à jamais associée auxattentats du 11 septembre 2001 à New York et Washing-ton, cette arme a, elle aussi, été utilisée depuis des tempsimmémoriaux pour tuer, blesser et déraciner des mil-lions de civils.

Mais pour la première fois dans l’histoire, de nou-velles réalités sont venues se greffer, en très peu detemps, sur de vieux problèmes, créant ce que certainsEtats perçoivent comme une menace sans précédentpour leur souveraineté, leur sécurité et la stabilité in-ternationale.

Avec la modernisation des moyens de communica-tion et de transport, la planète a rétréci. Les Etats-Unisou l’Australie qui, de par leur situation géographique,pouvaient naguère se permettre de regarder de loin etavec un certain détachement les turbulences du monde,se retrouvent aujourd’hui en première ligne. Vu depuisle monde industrialisé, ce qui se passe en Afghanistan,en Iraq ou en Haïti semble beaucoup plus proche qu’ily a quelques années.

L’Europe a certes déjà connu des arrivées massivesde réfugiés, notamment pendant et après les deuxguerres mondiales. Mais elle se sent plus fragile et plusmenacée par des migrations imprévisibles et difficilesà contrôler maintenant que des navires chargés d’Afri-cains s’aventurent sur sa façade méditerranéenne et queles candidats à l’exil affluent par voie terrestre de sa pé-riphérie orientale pour tenter de franchir les murs deplus en plus élevés qu’elle érige autour d’elle.

Le nombre de personnes relevant de la compétencedu HCR a en fait diminué, passant de plus 27 millionsen 1994 — un chiffre record — à plus de 20 millions au-jourd’hui — mais il ne représente que la partie émergéede l’iceberg. S’y ajoutent en effet environ autant de per-sonnes déplacées dans leur propre pays, en butte aux

L’actuel régime deprotectioninternationale aété institué aulendemain de laSeconde Guerremondiale, lorsquele HCR a été créépour venir en aide àdes réfugiésvictimes de ceconflit.

VIEUX PROBLÈMES . . . RÉALITÉS NOUVELLES

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LA QUESTION DE L’AVENIR DES POPULATIONS DÉRACINÉES — RÉFUGIÉS, DEMANDEURS D’ASILE,MIGRANTS ÉCONOMIQUES ET ÉCOLOGIQUES — EST PLUS QUE JAMAIS D’UNE BRÛLANTE ACTUALITÉ.

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B Les migrations forcées existentdepuis des temps immémoriaux.Mais, heureusement, la tradition dusanctuaire est presque tout aussiancienne que le drame de l’exil.Dans l’Antiquité, des textesreligieux mentionnent à plusieursreprises la notion d’asile, motd’origine grecque signifiant à la fois«sanctuaire», «inviolabilité»,«immunité». Selon Platon,“L’étranger qui vit loin de sescompatriotes et des siens devraitêtre plus que quiconque aimé deshommes et des dieux”.

B Les Etats et les puissants se fontalors un devoir de secourir lesdéracinés. Thésée, roi d’Athènes,confiait à Œdipe, roi de Thèbes :“Comme toi, je me rappelle avoirgrandi dans une maison qui n’étaitpas la mienne et en terreétrangère. J’ai affronté des dangersmortels. Je ne saurais donc rejeterquiconque me demandel’hospitalité, comme tu le faismaintenant.”

B Quand les nations ontcommencé à développer uneconscience internationale audébut du XXe siècle, la traditiond’aide aux déracinés s’est elle aussimondialisée. En 1921, la Société desNations, ancêtre de l’ONU, désignele premier Haut Commissaire pourles réfugiés : le célèbre explorateurpolaire norvégien Fridtjof Nansen,chargé de secourir quelque800 000 réfugiés, Russes pour laplupart.

B Parallèlement, le corpus dudroit international relatif auxréfugiés prend forme, avec laConvention de 1933 de la Sociétédes Nations relative au statutinternational des réfugiés, suivie dela Convention de 1938 sur le statutdes réfugiés.

B La Société des Nations estdissoute après la fin de laSeconde Guerre mondiale.Pendant les hostilités et aulendemain du conflit,l’Administration des Nations Uniespour les secours et lareconstruction aide sept millionsde réfugiés et autres déracinés à

rentrer chez eux, et l’Organisationinternationale pour les réfugiés(OIR) réinstalle plus d’un milliond’exilés dans des pays d’accueil unpeu partout dans le monde.

B En 1948, la Déclarationuniverselle des droits de l’hommeest proclamée, et la quatrièmeConvention de Genève relative à laprotection des civils en temps deguerre est adoptée un an plus tard.

B Le Haut Commissariat desNations Unies pour les réfugiés,organisme apolitique, est instituépar l’Assemblée générale desNations Unies en 1950, initialementpour venir en aide à environ unmillion de réfugiés européensdéracinés par la Seconde Guerremondiale. La Convention desNations Unies relative au statut desréfugiés, clé de voûte juridique dumandat du HCR, est officiellementadoptée le 28 juillet 1951.

B La Convention est le premierinstrument à portée universellecouvrant les aspects fondamentauxde la situation des réfugiés. Elledéfinit la notion de réfugié eténonce ses droits, dont la libertéde religion et de mouvement, maisaussi ses obligations vis-à-vis dupays d’accueil. Une disposition cléinterdit de refouler ou d’expulserun réfugié vers un territoire où ilrisque d’être persécuté.

B La Convention initiale avait uneportée délibérément étroite. Ellepermettait aux Etats de limiterleurs obligations aux réfugiéseuropéens et ne s’appliquait pasaux personnes contraintes à l’exilaprès le 1er janvier 1951. Mais avecl’internationalisation du problèmedes réfugiés, une révisions’imposait. En 1967, l’Assembléegénérale des Nations Unies adoptedonc le Protocole relatif au statutdes réfugiés, qui supprime leslimitations géographiques ettemporelles énoncées dans letexte de 1951.

B En 1969, l’Organisation del’unité africaine adopte sa propreConvention — très progressiste —sur les réfugiés. Pour la première

fois, le statut de réfugié estaccordé aux civils ayant quitté leurpays lors d’exodes massifs pouréchapper à des menaces commeune agression extérieure, uneoccupation ou une dominationétrangère. Il instaure le principeaujourd’hui reconnu durapatriement volontaire. D’autrestraités régionaux suivront, dont laDéclaration de Carthagène de 1984signée par les pays d’Amériquelatine.

B Au cours de ses premièresquarante années d’existence, leHCR est intervenu à la périphériedes conflits, dans les pays voisinsoù les civils chassés de chez euxessayaient tant bien que mal dereconstruire leur vie. Mais la donnea radicalement changé au débutdes années 90 avec l’apparition deconflits de plus en plus complexesqui ont obligé les humanitaires às’aventurer en plein cœur deszones d’hostilités dans des régionscomme le nord de l’Iraq ou lesBalkans.

B Les attentats terroristes du 11septembre 2001 à New York etWashington ont provoqué uneréorientation spectaculaire del’activité politique et militaire. Ilsont entraîné la guerre anti-terroriste menée par lesAméricains et des interventionsmilitaires en Afghanistan et en Iraq,dont les répercussions ont étéressenties par les réfugiés dumonde entier. Plus de deuxmillions d’Afghans ont pu rentrerchez eux après l’installation d’unnouveau gouvernement à Kaboul,mais beaucoup d’autres ont fait lesfrais du durcissement des mesuresde sécurité et des dispositionsrestreignant le droit d’asileintroduites dans de nombreuxpays.

B En décembre 2001, lessignataires de la Convention,rejoints par d’autres pays, desorganisations nongouvernementales et des experts,se sont retrouvés à Genève lorsd’une réunion décrite par le HautCommissaire Ruud Lubbers commela plus importante, à l’échelle

mondiale, sur les réfugiés depuisun demi-siècle. Ils ont renouveléleur engagement à pleinementhonorer leurs obligations envers laConvention de 1951 et sonProtocole de 1967, et promis des’attaquer aux causes profondesdes mouvements de réfugiés touten essayant de les prévenir.

B La Conférence s’inscrivait dansle cadre des Consultationsmondiales sur la protectioninternationale des réfugiés,processus initié par le HCR, qui aabouti à l’élaboration d’un Agendapour la protection destiné à servirde guide aux gouvernements et auxorganisations humanitaires dansleurs efforts entrepris pourrenforcer la protection desréfugiés à travers le monde.

B Dans le cadre de l’Agenda pourla protection, Ruud Lubbers a prisplusieurs initiatives pour renforcerla protection des réfugiés dans dessituations non prévues par lesrédacteurs du texte de laConvention, pour essayer decombler un certain fossé entre lessecours d’urgence et les activitésde développement à long terme enfaveur des réfugiés et descollectivités dévastées, ainsi quepour promouvoir, quand cela estpossible, l’intégration locale ou laréinstallation des déracinés.

B En 1994, au plus fort de sesactivités — guerre dans les Balkans,exode de millions de civils chasséspar le génocide rwandais, etnombre d’autres conflits enAfrique — le HCR secourait etprotégeait quelque 27 millions depersonnes. Aujourd’hui, il continuede venir en aide à plus de 20millions de civils. Depuis les années50, il a aidé de 50 à 60 millions depersonnes à commencer unenouvelle vie. Deux prix Nobel de lapaix ont récompensé son actionpour créer un monde dans lequel,pour reprendre les termes dupremier Haut Commissaire du HCRGerrit Jan van Heuven Goedhart,“aucune personne, dans aucunpays, en fait aucun groupe depersonnes quel qu’il soit, ne vivedans la peur et le besoin”. B

La protection à travers les âges

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VIEUX PROBLÈMES . . . RÉALITÉS NOUVELLES

pires difficultés, privées de toute protection ou presqueet qui ne bénéficient que de peu d’attention de la partde la communauté internationale — mais qui pourraientfort bien faire partie d’un prochain exode massif.

Avec l’amélioration des moyens de transport et leraccourcissement des distances, des millions de mi-grants dits économiques viennent frapper aux portesdes pays riches.

Les filières d’immigration clandestine et le traficd’êtres humains rapportent des millions de dollars. Lespasseurs sont prêts à emmener n’importe qui n’importeoù, pourvu que le prix — souvent exorbitant — du voyagesoit acquitté.

Parfois, les structures d’accueil des pays développésne parviennent plus à absorber les flux migratoires età faire le tri entre ceux qui ont véritablement besoind’aide et ceux qui sont simplement à la recherche d’unevie meilleure.

Les conflits sont devenus de plus en plus confus etmeurtriers. Certains, comme au Soudan et en Angola,sont devenus “chroniques” au fil des décennies, et sontdonc particulièrement difficiles à résoudre.

Le terrorisme s’est internationalisé. Il a frappé auxEtats-Unis, en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique etjusque dans l’île naguère paradisiaque de Bali. La guerreantiterroriste lancée à l’initiative de Washington trans-forme tout étranger qui demande de l’aide en suspect.

Mouvements de réfugiés, de demandeurs d’asile oude migrants économiques, crainte de futurs attentatsterroristes, filières d’immigration clandestine, trafic in-ternational d’êtres humains, renforcement des contrôlesaux frontières des pays développés, durcissement desprocédures d’immigration : autant de facteurs dont lacombinaison a produit un cocktail explosif fait d’ap-préhension, d’inquiétude et, parfois, de xénophobie.

UNE VISION D’APOCALYPSERécusant les scénarios apocalyptiques propagés par

certains médias et une partie de la classe politique, leHaut Commissaire Ruud Lubbers a souligné que desinstruments essentiels, tels que la Convention de 1951relative au statut des réfugiés, demeuraient la clé devoûte des efforts mis en œuvre pour protéger les po-pulations les plus vulnérables de la planète.

Il a par ailleurs reconnu que le HCR était à la croi-sée des chemins et qu’un certain nombre de réformesétaient à l’étude — nouvelles stratégies de protection,renforcement de la Convention relative aux réfugiés,amélioration de la coopération internationale, partageplus équitable du fardeau entre les Etats, augmentationdes aides aux pays les plus pauvres qui accueillent desréfugiés.

Volker Turk, chef de l’équipe du HCR chargée dela politique de protection et des conseils juridiques,trouve le contexte actuel de la protection “infinimentplus complexe et difficile” qu’il y a quelques années.

Mais les efforts de réforme des politiques de pro-tection face aux nouveaux enjeux sont loin d’être unphénomène nouveau.

Le principe de l’asile est aussi ancien que les premiersexils forcés. Il y a bien longtemps, de puissants souve-

rains et certains Etats met-taient un point d’honneurà offrir un sanctuaire auxpersécutés. Ainsi Thésée,roi d’Athènes, confiait àŒdipe, roi de Thèbes :“Comme toi, je me rappelleavoir grandi dans une mai-son qui n’était pas la mienneet en terre étrangère. J’ai af-fronté des dangers mortels.Je ne saurais donc rejeterquiconque me demandel’hospitalité, comme tu lefais maintenant.”

Il faudra attendre le XXe

siècle pour que commenceà se développer une véri-table conscience internatio-nale. En 1921, la Société desNations, ancêtre de l’ONU,nomme le premier HautCommissaire pour les réfu-giés. Deux autres organismes— l’Administration des Na-tions Unies pour les secourset la reconstruction et l’Or-ganisation internationalepour les réfugiés (OIR) — voient ensuite le jour. En 1950,une résolution de l’Assemblée générale des Nations Uniescrée le HCR.

Parallèlement, le corpus du droit international hu-manitaire et du droit relatif aux réfugiés commence àprendre forme, avec l’adoption de la Déclaration uni-verselle des droits de l’homme en 1948, puis, un an plustard, de la Quatrième Convention de Genève relativeà la protection des civils en temps de guerre.

La Convention de Genève relative au statut des ré-fugiés, adoptée le 28 juillet 1951, marque la naissancedu nouveau régime de protection des réfugiés. Premierinstrument véritablement international relatif aux ré-fugiés, elle avait toutefois une portée délibérément li-mitée, puisqu’elle ne s’appliquait qu’au million de réfu-giés que comptait l’Europe au 1er janvier 1951. Sesrédacteurs ont en effet estimé que les Etats hésiteraientpeut-être à donner carte blanche en prenant des enga-gements vis-à-vis de futurs réfugiés dont ils ne connais-saient ni le nombre ni l’origine.

Le droit d’asile n’est pas mentionné dans le texte, pasplus du reste que les persécutions fondées sur le sexe.Non que les pères de la Convention — tous des hom-mes — aient voulu exclure sciemment une catégorie devictimes. A l’époque, cette question n’effleurait mêmepas les esprits…

Les décennies suivantes ont permis d’étoffer les légis-lations internationales, régionales et nationales et de mettreen place d’autres mesures, alors que le nombre de réfu-giés augmentait inexorablement, que les crises s’interna-tionalisaient et devenaient de plus en plus complexes.

Des régimes d’asile nationaux ont été mis en placeet le HCR a été chargé de les superviser. Aujourd’hui,

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A Genève, endécembre 2001, aucours de la plusimportante réunionsur les réfugiés deces 50 dernièresannées, lesparticipants ontréaffirmél’importance de laConvention de 1951.

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Le HCR a fourni dela nourriture, del’eau et desmédicaments à unnombreconsidérable depersonnes auMoyen-Orient, enAfrique et dans lesBalkans dans lesannées 90. Pourcertains, l’agenceétait en traind’oublier saprincipale mission :la protection.

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il est largement admis que les personnes victimes deviolences en raison de leur appartenance sexuelle, no-tamment les femmes, peuvent, dans certaines circons-tances, se prévaloir du statut de réfugié.

Le Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés asupprimé la date limite du 1er janvier 1951 et les res-trictions géographiques contenues dans la Convention.Deux ans plus tard, l’Organisation de l’unité africaineadoptait sa propre convention sur les réfugiés, où fi-gurait le principe aujourd’hui internationalement re-connu du rapatriement volontaire.

Un dispositif très complexe, baptisé Plan d’actionglobal, a été adopté pour dénouer l’interminable crisehumanitaire léguée par des décennies de guerre en In-dochine. Il assignait un rôle précis aux principaux ac-teurs et l’un de ses éléments clés — qui servira plus tarddans d’autres contextes et notamment le conflit bos-niaque — instituait le principe de l’asile ou de la pro-tection temporaires, par lequel les pays de la région s’engageaient à accepter d’importants contingents deréfugiés sous réserve qu’ils seraient ultérieurement rapatriés ou réinstallés dans un pays tiers.

LE TOURNANTLes années 90 marquent un tournant décisif pour

le HCR. Avec la fin de la guerre froide, les conflits ontchangé de visage, la prolifération de guerres civiles in-

ternes extrêmement complexes remplaçant de plus enplus les conflits entre Etats. Jusqu’alors, le HCR étaitintervenu à la périphérie des zones de combat, où il se-courait les populations chassées par les hostilités. Maisaprès la première guerre du Golfe, au moment duconflit bosniaque et lors de la crise humanitaire dansles Grands Lacs d’Afrique, les humanitaires ont dû aller au cœur même des zones de conflit pour appor-ter leur aide. Le HCR a étoffé son personnel et assumédes responsabilités supplémentaires — organiser desconvois humanitaires et des ponts aériens, lancer desprogrammes spéciaux, reconstruire des hôpitaux et desécoles, réparer des routes.

Mais ces activités soulevaient en filigrane une ques-tion explosive qui allait mobiliser pendant des annéesle HCR, les gouvernements et les autres organisationshumanitaires : la protection.

Pour les partisans du nouveau rôle renforcé duHCR, toutes les activités de l’organisation étaient liéesà des missions de protection. Ne fallait-il pas d’abordapporter des secours de base tels que toit, nourritureet eau pour mettre les réfugiés à l’abri du danger,puis les aider à reconstruire leur vie ? Il fallait aussiprévoir des programmes d’enseignement pour les en-fants. Dans un troisième temps, il fallait faciliter laréinsertion des réfugiés rapatriés et aider leurs com-munautés.

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DE NOUVELLES RÉALITÉS SONT VENUES EN TRÈS PEU DE TEMPS SE GREFFER SUR DE VIEUX PROBLÈMES,CRÉANT CE QUE CERTAINS ETATS PERÇOIVENT COMME UNE MENACE SANS PRÉCÉDENT POUR LEURSOUVERAINETÉ, LEUR SÉCURITÉ ET LA STABILITÉ INTERNATIONALE.

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Je n’arrive pas à croire qu’on veuillebien de moi ici”, s’exclame MohamedMuktar à sa descente d’avion àSyracuse, dans l’Etat de New York.

“C’est Dieu qui a voulu que je vienne enAmérique.”

Il aura fallu plus de dix ans de patience etd’acharnement au HCR pour donner àMohamed, comme à d’autres Bantoussomaliens, la chance inespérée d’échapper àune vie de quasi-esclavage puis à l’enlisementdans un camp de réfugiés de la corne del’Afrique, pour accomplir l’incroyable voyage :la découverte de l’Amérique, de sa magie etde ses complexités.

Muktar est l’un des quelque 12 000Bantous somaliens qui vont ainsi quitterl’Afrique de l’Est dans les prochains mois pours’installer dans une cinquantaine decommunautés aux Etats-Unis.

Le Haut Commissaire Ruud Lubberssouhaiterait voir augmenter le nombre deréfugiés acceptés chaque année pour uneréinstallation permanente dans 17 paysd’accueil dont les Etats-Unis, le Canada etl’Australie, dans le cadre d’une campagnevisant à trouver des solutions durables pourles plus de 20 millions de personnes donts’occupe l’agence.

La réinstallation des Bantous somaliens estle plus ambitieux des programmes de ce typeau départ de l’Afrique, et constituel’aboutissement de plus de dix annéesd’efforts du HCR pour leur trouver un lieud’accueil ; mais elle met aussi en lumière lesproblèmes rencontrés par les réfugiés face àune méfiance croissante à l’égard desétrangers.

En 2002, suite aux attentats terroristesperpétrés aux Etats-Unis, l’agence pour lesréfugiés a enregistré une chute de 56% des

réinstallations dont elle avait la charge. Eneffet, sur les 70 000 réfugiés que Washingtonavait accepté d’accueillir dans le courant del’année, seuls 26 300 ont pu entrer dans lepays en raison de mesures de sécuritédraconiennes.

Et si certaines communautés américainesont chaleureusement accueilli les Bantous,d’autres, invoquant des préoccupationsd’ordre économique et social, n’ont pas vud’un bon œil l’arrivée de ces étrangers.

Les ancêtres des Bantous, qui vivaient dansce que sont aujourd’hui la Tanzanie et leMozambique, avaient été capturés aux XVIIIe

et XIXe siècles par des marchands d’esclaves etenvoyés, depuis le grand marché aux esclavesde Zanzibar, vers le Golfe persique, le Moyen-Orient ou la Somalie, dans la corne del’Afrique.

Au début des années 90, lorsque laSomalie a plongé dans la guerre civile et dansun effroyable bain de sang, des milliers deBantous, encore assujettis à un statut féodald’esclaves, ont fui vers les pays voisins,notamment le Kenya, avec des dizaines demilliers de Somaliens.

UN NOUVEAU DÉPARTLa vie dans un camp écrasé sous le soleil

était à maints égards plus dure que celle qu’ilsconnaissaient avant l’exil — pourtant laplupart des Bantous ont clairement fait savoiraux responsables du HCR qu’ils neretourneraient jamais en Somalie, même si lapaix revenait. Durant le temps de leur exil, laTanzanie comme le Mozambique, berceaux deleurs ancêtres, ont refusé d’accueillir lesBantous. Ce sont les Américains qui ont ditoui.

D’incontournables retards et complicationsont émaillé l’opération. Des familles ont été

séparées. D’autres réfugiés, qui n’avaient pasété sélectionnés pour le grand départ, ontmanifesté une certaine hostilité. Les Bantousont été transférés vers un lieu plus sûr dans lenord du Kenya, où tout en se soumettant auxcontrôles officiels ils ont été initiés aux us etcoutumes de leur nouveau pays d’adoption, etont appris à manier un interrupteur, à prendreune douche ou un ascenseur, commoditésdont ils ignoraient tout jusqu’alors.

Dans le comté de DuPage, en Illinois, leshabitants ont accueilli les premiers arrivantsavec de la nourriture, des vêtements et desjouets. A Phoenix, en Arizona, Hassan Mberwa,42 ans, et les neuf membres de sa famille, ontemménagé dans un immense appartement.Lors de sa première visite au supermarché,époustouflé par la longueur des rayons et lechoix des produits il n’a pu que murmurer :“C’est aussi grand que Kakuma !” — le camp deréfugiés qui abrite 40 000 personnes dans lenord du Kenya. Sa fille de 14 ans, Arbaï, peuhabituée à rouler en voiture, vomissait toutesles cinq minutes.

D’autres communautés ont exprimé descraintes vis-à-vis de leurs nouveaux hôtes.Ainsi, dans la ville de Cayce, en Caroline duSud, les résidents ont protesté, sous prétextequ’à l’école les notes des enfants bantous, quine savaient ni lire ni écrire l’anglais, allaientabaisser le niveau scolaire, que les forces depolice seraient débordées et que le prix del’immobilier allait chuter.

A Burlington, dans le Vermont, l’anciennelégislatrice Barbara Kehaya lançait unavertissement : “Nous avons déjà du mal àassurer l’éducation de nos élèves, les réfugiéssont un fardeau pour la communauté.”

Le conseil municipal de Holyoke, auMassachusetts, a quant à lui voté unerésolution symbolique demandant augouvernement fédéral de ne pas réinstaller deBantous sur leur commune.

Mais ces réfugiés sont d’une ténacité etd’un optimisme à toute épreuve (RÉFUGIÉS

n° 128). A l’instar de Mohamed Muktar à sonarrivée aux Etats-Unis, Abdullahi Hussein Abdiparle, lui aussi, d’un véritable miracle.

“Je suis comme un aveugle qui auraitrecouvré la vue”, avait-il confié avant deprendre l’envol pour une nouvelle vie. B

“Je suis comme un aveuglequi aurait recouvré la vue”

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D’un camp de réfugiés en Afrique à unenouvelle vie en Amérique.

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La réinstallation : une chance inespérée, mais une opération émailléede complications.

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Le plus souvent seul sur le terrain, le HCR a dûmultiplier ses activités et aussi secourir des millions dedéplacés qui ne pouvaient pas compter sur le parrai-nage d’une autre agence internationale.

Si personne, ou presque, ne doutait de l’utilité detoutes ces activités, on a longuement débattu — et cepoint n’est pas encore réglé — sur le fait de savoir si ellesentraient dans le mandat du HCR, si la mission de base— la protection au sens strict — allait en pâtir et, sur unplan plus terre à terre, si l’agence avait les moyens deses nouvelles ambitions.

La question reste à l’ordre du jour à l’heure des com-pressions budgétaires et des réductions d’effectifs. Li-vrer des convois d’aide alimentaire dans l’enclave bos-niaque assiégée de Srebrenica est éminemmenttélégénique. Les bailleurs de fonds voient immédiate-ment de quoi il retourne et combien coûte l’opération.Mais passer des mois à rédiger une nouvelle loi sur ledroit d’asile dans quelque obscure capitale d’Asie cen-trale, ou veiller jour après jour au bien-être d’un petitgroupe de personnes vulnérables au Sri Lanka est uneentreprise coûteuse, longue, et aux résultats difficile-ment mesurables.

Le problème a été souligné dans une récente noteinterne du HCR sur la protection : “Il importe de rap-peler que la protection internationale est un servicespécialisé qui nécessite beaucoup de personnel et qu’ilne peut donc être évalué ou quantifié selon les mêmescritères que la distribution des secours. Il est plus dif-ficile à mesurer, mais c’est en fait la raison d’être, la va-leur ajoutée du HCR.”

PERTE DE REPÈRES ?Les critiques adressées au HCR quant à son rôle de

protection étaient de plusieurs ordres. Ainsi, l’organi-sation aurait perdu ses repères et oublié sa mission de

protection. Elle aurait négligé ses responsabilités prin-cipales au profit de tâches que d’autres organisationspouvaient assumer. Elle ferait peu de cas des préoccu-pations des Etats ou, critique inverse, céderait inconsi-dérément à leurs pressions.

Malgré le spectre toujours présent du terrorisme etdes migrations massives, certains Etats ont laissé en-tendre que le HCR et la Convention elle-même étaientde moins en moins utiles.

Au plus fort de la controverse provoquée par le nou-veau tour de vis de l’Australie en matière de droit d’asile,le Ministre australien de l’immigration, Philip Ruddock,a déclaré que le HCR était devenu eurocentrique et qu’ildevait mieux écouter les pays qui réglaient ses factures.

“Si l’arrivée de boat people, de plus en plus nom-breux, nous oblige à mobiliser des moyens toujours plusimportants, il ne restera rien pour financer les activi-tés du HCR”, a-t-il souligné, en mentionnant que letraitement des dossiers d’immigrants clandestins coû-tait chaque année 10 milliards de dollars aux Etats.

Les adversaires de ce point de vue ont alors rappeléque le HCR n’avait reçu qu’un dixième de ce montantpour aider plus de 20 millions de personnes et que sison travail de base était mieux financé, les structuresd’accueil nationales seraient moins sollicitées, ce qui enfin de compte réduirait la pression sur les systèmes d’asile.

AU BORD D’UN LACEn novembre 1997, Volker Turk, chargé de la pro-

tection au HCR, était en route pour la Bosnie. “J’étaisavec ma collègue Erika Feller, aujourd’hui directrice dela division de la protection. Comme la route était longue,nous avons fait une halte en Slovénie. C’était une deces journées d’automne grises et humides, mais sou-dain le ciel s’est dégagé et le lac de Bled est apparu sousnos yeux. Tout en longeant le lac, nous avons longue-

LE HCR A ÉTÉ ACCUSÉ D’AVOIR PERDU SES REPÈRES ET OUBLIÉ SA MISSION DE PROTECTION, D’AVOIR DILUÉOU NÉGLIGÉ SES RESPONSABILITÉS CENTRALES AU PROFIT D’AUTRES PROJETS.

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Les gouvernementsse sentent menacéspar les déplace-ments massifs depopulations. Ici, cette embarcationen train de couler,est surchargée declandestins tentantde gagner l’Italie depuis l’Afrique.

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Neuf millions de fantômesSans pays, sans domicile légal, sans identité officielle : la non-existence des apatrides.

Au début des années 90, lorsquedes milliers de civils ont fui uneguerre civile particulièrementmeurtrière au Tadjikistan, en Asie

centrale, pour le Kirghizistan voisin, la plupartne savaient pas qu’ils allaient être confrontésà deux terribles épreuves.

D’un seul coup, certains sont devenus nonseulement des réfugiés mais aussi, à caused’un cruel hasard de l’histoire, des apatrides— des personnes qui n’ont pas de pays dontelles peuvent se réclamerofficiellement, des civils qu’aucunEtat ne considère comme sesressortissants.

Les deux pays avaientaccédé à l’indépendanceaprès l’effondrement del’ex-Union soviétique en1991. Chacun s’étaitemployé à bâtir un Etatviable et entièrementsouverain : le Kirghizistanavait adopté une loi sur lanationalité peu après sonindépendance, le Tadjikistanavait promulgué la sienne en1994. Les civils obtenaient lanationalité de leur pays respectifs’ils y résidaient à titre permanent lejour où la loi était entrée en vigueur.

Ceux qui avaient fui les combats auTadjikistan entre ces deux dates se sontretrouvés en plein cauchemar juridique.Beaucoup étaient de souche kirghize, maisétaient arrivés trop tard dans leur paysd’origine pour en demander la nationalité. Et,quand le Tadjikistan a adopté son proprecode de la citoyenneté quelque temps après,de nombreux civils étaient toujours réfugiéshors de ses frontières. Ils n’ont donc pas pudemander la nationalité tadjike.

Bienvenue dans le monde complexe etobscur de l’apatridie dans lequel nonseulement les gens n’ont ni pays dont ilspeuvent se réclamer ni droit à un passeport,ni même accès, ou presque, aux droits lesplus élémentaires comme l’éducation, lasanté, le choix politique. Sans papiers, ils

n’ont même pas la possibilité d’enterrerofficiellement leurs morts. “Ils n’existent pas,ce sont des fantômes politiques, ils n’ont pasde domicile légal, de pays ou d’identité”,explique une spécialiste de l’apatridie.

La situation des 10,4 millions de réfugiésdans le monde est largement documentée etbien que le problème des déplacements depopulation suscite une foule de controverses,

une abondante législation internationale,régionale et nationale, a été mise en place

pour tenter de résoudre cette crisemondiale. Par ailleurs, une attention

croissante est également accordée à unautre groupe de déracinés : les quelque20 à 25 millions de personnesdéplacées à l’intérieur de leur pays.

NOMBREUX, MAIS…Le nombre d’apatrides est lui

aussi considérable : selon lesestimations les plus fiables, pasmoins de neuf millions depersonnes seraient exclues dusystème politique mondial desEtats-nations. Mais leur drame,moins bien connu, fait l’objetd’une attention beaucoup plus

restreinte.Il y a des instruments

internationaux sur l’apatridie. LaDéclaration universelle des droits

de l’homme souligne que “Toutindividu a droit à une nationalité”.

Cependant, alors que 145 pays ontadhéré à la Convention de 1951 relative

au statut des réfugiés et/ou à sonProtocole de 1967, seules 55 nations ont

signé la Convention relative au statut desapatrides de 1954, et, uniquement 27 pays laConvention sur la réduction des casd’apatridie de 1961.

Comme les conflits liés à la citoyennetédéclenchent parfois des déplacements depopulation et que d’autres problèmes deréfugiés et d’apatridie se chevauchent,l’Assemblée générale des Nations Unies s’esttournée en 1974 vers le HCR —l’interlocuteur tout désigné en l’absenced’une institution spécialisée dansl’apatridie — pour lui demander d’apporterune assistance juridique limitée auxapatrides. Il y a sept ans, elle lui a demandéd’élargir son action afin de promouvoir laréduction et l’élimination du problème del’apatridie à l’échelle mondiale.

Après avoir initié plus de 1400 de sespropres collaborateurs aux questions liées à

Au Kirghizistan, cette jeune réfugiéetadjike vient d’obtenir un passeportpour sa famille.

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ment discuté et sommes tombés d’accord sur le fait quele HCR était devenu une immmense agence de secours,que nous étions tellement obnubilés par nos activitésd’aide que nous avions un peu perdu de vue notre mis-sion de protection, et que nous devions redevenir la ré-férence en la matière, rétablir notre leadership, êtreproactifs plutôt que simplement réactifs.”

C’est de cette promenade que sont nées ce que nousavons initialement appelé les consultations en troisétapes. L’idée d’un régime de protection revitalisé a étéprésentée dans un document interne : “Le HCR enga-gera une série de consultations avec des experts et leshauts représentants des gouvernements sur l’élabora-tion de mesures propres à assurer la protection inter-nationale de tous ceux qui en ont besoin, l’objectif étantd’établir des normes juridiques détaillées, de définir lecontenu et la nature de cette protection sans s’écarterdes instruments internationaux relatifs aux réfugiés, deconsolider les composantes du mandat du HCR et d’étu-dier le processus d’élaboration de la législation en ma-tière de protection internationale.”

“Les consultations devaient porter en particulier surles lacunes du système juridique international”, préciseErika Feller.

Le processus, rebaptisé Consultations mondiales, anécessité deux années de tables rondes, de téléconfé-rences et de négociations.

“Nous étions très nerveux, confie Volker Turk, carbeaucoup de gens disaient qu’il était voué à l’échec.”

Or, il y a deux ans, à Genève, s’est tenue la plus im-portante réunion mondiale de ces 50 dernières annéesconsacrée aux réfugiés. Les participants — représentantsde 162 pays, réfugiés et responsables humanitaires — ontadopté une résolution historique réaffirmant la validitéde la Convention de 1951, “l’importance et l’actualité”,“la pertinence et la cohérence” d’un instrument queRuud Lubbers définit comme “un traité qui nous per-met de ne plus vivre dans la peur”.

“Il y a quelques années, la Convention était très cri-tiquée, explique M. Lubbers. On la disait dépassée. Maisc’est fini. Plus personne ne questionne sa validité et sonactualité.”

Encouragé par ce succès, le HCR a mené les Consul-tations mondiales sur des questions pratiques qui ontabouti à l’élaboration d’un Agenda pour la protectiondéfinissant les grandes orientations, les politiques gé-nérales et les activités de référence que peuvent mettreen œuvre les gouvernements et les organisations hu-manitaires pour renforcer les régimes de protection.

Selon Volker Turk, “ce que nous avons accompli tientdu miracle. Nous sommes redevenus crédibles. Les cri-tiques ont cessé”. L’Agenda “fait désormais partie inté-grante du discours et du cadre de travail des pays auplus haut niveau”, ajoute Erika Feller.

Le Haut Commissaire Lubbers a lancé une séried’initiatives pour renforcer les principaux instrumentsinternationaux et programmes de protection essentiels,et assurer une transition entre la mission de protectiondu HCR et l’intervention d’autres organisations char-gées de promouvoir le relèvement et le développementà long terme après le rapatriement des réfugiés.

VIEUX PROBLÈMES . . . RÉALITÉS NOUVELLES

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l’apatridie, l’organisation a contribué à assurerune formation à un réseau international dejuristes, de juges et de responsablesgouvernementaux et non gouvernementaux.Le HCR a participé directement avec plus de60 gouvernements à l’élaboration ou à lamodification de codes de la nationalité et aaidé des organisations régionales commel’Union africaine à promouvoir desrésolutions sur l’apatridie.

Il y a quelques mois, le HCR a demandé à192 pays de tenter, pour la première fois, dedresser un tableau général de l’apatridie : lesproblèmes auxquels les pays sont confrontés,les législations et les projets qu’ils ont déjàadoptés et le soutien dont ils pourraientavoir besoin de la part du HCR. Les résultatsseront connus plus tard dans le courant del’année.

Depuis ses premières opérations enEurope orientale et centrale en faveur degroupes comme les descendants des 250 000Tatars que Staline avait expulsés par la forcede Crimée en 1944, l’agence a étendu sesactivités à d’autres régions.

Non loin du toit du monde, quelque80 000 Népalais de souche ont fui leBhoutan voisin il y a plus d’une décennie. Ilssont 112 000 aujourd’hui. Le gouvernementbhoutanais affirme que seule une infimepartie de ces Népalais sont des ressortissantsbhoutanais et pourront être rapatriés —l’immense majorité sera plongée dans le videjuridique de l’apatridie à moins qu’uncompromis ne soit trouvé.

A l’autre bout du monde, 250 000 à500 000 Haïtiens vivant en Républiquedominicaine se trouvent dans une situationsimilaire. Souvent, les enfants nés de cesHaïtiens ou de mariages mixtes entreHaïtiens et Dominicains ne peuvent êtreenregistrés et sont donc privés de toutereconnaissance officielle. Régulièrement, desgroupes d’enfants sont pratiquement«balancés» de l’autre côté de la frontière, enHaïti.

Lors du dernier conflit entre l’Ethiopie etl’Erythrée, dans la corne de l’Afrique, près de100 000 Erythréens de souche ont étérassemblés par le gouvernement en place àAddis-Abeba et ramenés, sans ménagement,en Erythrée.

Les ressources financières et humainesdisponibles pour aider ces groupesd’apatrides ainsi que d’autres sont trèslimitées. Le HCR, par exemple, n’a qu’unexpert à plein temps. Sans l’engagement desgouvernements, des millions de personnesseront à jamais marginalisées.

Le Kirghizistan, par exemple, a modifié salégislation et offert une nationalité et unnouveau départ à bon nombre de réfugiéssans patrie qui avaient fui le Tadjikistan. C’estdéjà une petite poche de souffrance enmoins... B

13R É F U G I É S

AIDE ET PROTECTIONMême si les détracteurs de la Convention de 1951 ne

sont pas allés jusqu’à préconiser la dénonciation oul’abrogation pure et simple de l’instrument, il était évi-dent que des réformes s’imposaient. Tout en réaffir-mant “l’intemporalité” des valeurs inscrites dans laConvention, le Premier ministre britannique Tony Blaira ajouté ensuite qu’ “avec l’accroissement spectaculairedes migrations économiques, notamment en Europe, ilest de toute évidence urgent d’établir des règles et desprocédures appropriées… Le Royaume-Uni souhaiteconduire un mouvement en faveur d’une réforme, nonpas des principes de la Convention, mais de son appli-cation”.

“Un protocole similaire à celui de 1967 a été proposé,mais les pays ont plutôt mal réagi”, se souvient unepersonne participant aux Consultations. Comme lorsdes négociations de la Convention initiale, “les gou-vernements n’étaient pas prêts à signer de nouveauxtextes juridiquement contraignants”. Les défenseurs dela Convention craignaient pour leur part que, de conces-sion en concession, on ne finisse par diluer et affaiblirla portée de l’instrument. “Et personne ne voulait s’en-gager dans cette voie.”

Ruud Lubbers a alors proposé un projet appeléConvention Plus, une série d’accords spéciaux plussouples, n’ayant pas nécessairement force obligatoire,entre les Etats et/ou les organisations humanitaires,pour résoudre des problèmes tels qu’un partage plus

équitable de la charge, l’imprévisibilité des flux de ré-fugiés et de demandeurs d’asile et l’augmentation del’aide au développement en faveur des pays les pluspauvres qui accueillent ou produisent de grandsnombres de réfugiés.

Le type d’accord proposé par le Haut Commissairedans le cadre de sa nouvelle initiative s’inspire large-ment du Plan d’action global en faveur des réfugiés in-dochinois.

S’exprimant à la séance inaugurale d’un Forum spé-cial sur la Convention Plus, Ruud Lubbers a repris de-vant un parterre de représentants gouvernementaux etde responsables d’ONG le thème qui sous-tend la plu-part de ses déclarations : l’aide sur le terrain, l’assistance

juridique, la défense du droit d’asile ne suf-fisent pas à gagner la partie. Encore faut-ilensuite aider les réfugiés à reprendre unevie normale, soit en retournant chez eux,soit en optant pour une réinstallation per-manente dans un pays tiers.

“Une protection sans solutions n’en estpas une. En 2002, le HCR a commencé às’imposer comme faisant partie de la solu-tion” avait un jour affirmé le Haut Com-missaire. Plus récemment, il déclarait auForum que le travail n’était pas terminé etque la recherche de solutions permanentes“ne donnait pas encore de résultats satis-faisants”.

Le HCR a encouragé les Etats à accep-ter des candidats à la réinstallation perma-nente (voir article sur les Bantous somaliens,page 10) et à faciliter l’intégration des réfu-giés dans le premier pays d’asile (dévelop-pement par l’intégration locale).

Des projets pilotes ont été initiés enSierra Leone, au Sri Lanka, en Afghanis-tan et en Erythrée : il s’agissait de monterdes opérations s’enchaînant sans interrup-tion et garantissant la transition entre les

quatre grandes phases du retour des réfugiés — le ra-patriement, la réintégration, la réhabilitation et la re-construction. Ce système des 4R, comme l’a baptisé leHaut Commissaire, visait à éliminer l’une des carencesles plus problématiques des opérations humanitaires, àsavoir le fossé existant entre l’aide d’urgence du HCRet d’autres organisations humanitaires et l’arrivée desfonds nécessaires pour engager le processus de déve-loppement à long terme.

Les responsables humanitaires au plus haut niveauont admis qu’ils devaient changer d’attitude et de tonpour faire avancer l ’Agenda pour la protection dans descirconstances difficiles. “Si nous ne sommes pas plussouples, si nous persistons dans une conception puristeen vertu de laquelle les exigences de protection pri-

Le HCR voit avecinquiétude lerecours de plus enplus fréquent desgouvernements à ladétention.

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“CE QUI PROUVE VÉRITABLEMENT À QUEL POINT NOUS SOMMES DEVENUS FAIBLES ET STUPIDES, C’EST LEFAIT QUE NOUS DONNIONS DES LOGEMENTS…À DES GENS QUI SE PRÉPARENT À NOUS POIGNARDER DANS LE DOS.”

VIEUX PROBLÈMES . . . RÉALITÉS NOUVELLES

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ment sur tout le reste, et que les initiativesdes gouvernement sont toujours teintéesde suspicion, nous allons perdre de notreefficacité et la Convention également”, ont-ils souligné.

Et de conclure : “Nous avons vraimentchangé d’approche. Avant, nous disions auxgouvernements «Non, vous ne pouvez pasfaire ça, sauf si…» maintenant, nous disons«d’accord, mais étudions aussi les pro-blèmes». C’est beaucoup plus constructif.” Les détrac-teurs de cette approche l’ont décrite comme périlleuseet se demandent si la prochaine étape ne consisteraitpas à confier les tâches de protection aux gouverne-ments que nous étions censés surveiller…

“CONVENTION MOINS”Les efforts entrepris pour renforcer la protection se

heurtent à des résistances farouches et à une montagned’obstacles, surnommées par certains “ConventionMoins”.

En Europe, dans le Pacifique et en Amérique duNord, l’interception en haute mer, par des garde-côtes,de candidats à l’asile se multiplient.

Dans quelques mois, le HCR soumettra à l’appro-bation de son Comité exécutif un projet de conclusiondemandant fermement aux pays qui les interceptent deprendre toutes les mesures possibles pour déterminers’ils ont ou non affaire à des réfugiés et demandeursd’asile de bonne foi, avant de les renvoyer.

Le nombre de détentions injustifiées est égalementen augmentation, même si le HCR reconnaît depuislongtemps aux pays le droit de retenir des individus danscertaines circonstances, mais pour une durée limitée.

Un récent rapport décrit sans détours les conditionssur le terrain : “L’insécurité perdure, les camps ont étéinfiltrés par des éléments armés. Des réfugiés sont ar-rêtés, refoulés ou renvoyés de force chez eux. Ils n’ontpas accès aux procédures normales de demande d’asileet sont privés de papiers d’identité, d’où un risque ac-cru d’arrestations et d’expulsions arbitraires. Ils subis-sent l’hostilité des populations locales et vivent constam-ment dans la crainte d’être agressés, violés ou tués.”

Si les retombées des attentats du 11 septembre et lalutte contre le terrorisme n’ont pas été aussi graves pourles réfugiés et les demandeurs d’asile qu’on ne le crai-gnait, les inquiétudes ne se sont pas dissipées pour au-tant.

Ruud Lubbers multiplie donc les mises en garde :“En matière de lutte contre le terrorisme, assurons-nous que les gouvernements ne confondent pas réfu-giés et terroristes. Les réfugiés sont les premières vic-times des persécutions et des actes de terrorisme, nonleurs auteurs (…) ils risquent de devenir des victimesinnocentes et des boucs émissaires tous désignés. Fai-sons en sorte que cela n’arrive pas.”

Mais des milliers de candidats à la réinstallation —l’undes piliers du dispositif de solutions durables mis en placepar le HCR — sont d’ores et déjà pénalisés, du moins pourle moment : les Etats-Unis, qui avaient accepté d’accueillir70 000 personnes en 2002, n’en ont admis que 26 300.

Ailleurs dans le monde, la baisse des réinstallations sousles auspices du HCR est de l’ordre de 56%.

Le HCR, seule institution des Nations Unies man-datée officiellement pour protéger les réfugiés, avaitune autre crainte : aujourd’hui qu’il est si difficile defaire la distinction entre réfugiés de bonne foi et mi-grants dits économiques, le rôle respectif des différentesorganisations humanitaires ne risquait-t-il pas de de-venir de plus en plus flou ?

Ainsi, un nombre croissant d’organisations déclarentavoir des activités liées à la protection — d’où le risqued’une dilution des responsabilités qui ne peut que des-servir ceux-là mêmes que tous tentent d’aider.

Comme l’explique un responsable de la protection,de manière imagée, “le HCR fait parfois penser au lai-deron sans dot qui cherche un mari. Nous tenons sou-vent un discours que les gouvernements ne veulent pasentendre et nous ne sommes pas accueillis à bras ou-verts. Pendant ce temps, d’autres organisations soignentleur image, celle d’une jolie femme richement dotée,parée de tous les atouts pour séduire”.

ENJEUX ET MANIPULATIONSL’actualité récente en Europe illustre les enjeux, les

manipulations, les malentendus, voire les conspirations,qui entourent tout ce qui touche à l’immigration et àla protection internationale.

Il y a quelques mois, la Grande-Bretagne lançait uneproposition controversée qui revenait en fait à “déloca-liser” le problème de l’asile hors espace européen ; ils’agissait ni plus ni moins d’implanter à la périphériede l’Union ou, pour reprendre la terminologie deLondres, “dans l’Europe élargie”, de “centres de tri” desdemandeurs d’asile.

L’Observer a immédiatement annoncé l’ouverturedans les Balkans d’un “camp de rétention secret” pourtous les individus demandant asile au Royaume-Uni.

La nouvelle a été démentie par la suite, mais la ru-meur était lancée, et on aurait même raconté que l’am-bassadeur britannique à Tirana était allé rechercherdans les montagnes albanaises des sites éventuels pourles fameux camps.

Face aux protestations des défenseurs des droits del’homme et de quelques pays européens, Londres aabandonné son idée et proposé à la place des “zones deprotection” dans les régions d’exodes massifs — notam-ment la corne de l ’Afrique — qui permettraient de fil-trer et d’aider les réfugiés sur place.

Le Ministre britannique des affaires étrangères JackStraw a déclaré que le HCR soutenait pleinement cettedeuxième proposition britannique.

Aider des enfantssoldats démobiliséscomme ici, en SierraLeone, ou desGuatémaltèquesréfugiés au Mexiqueà obtenir des titresde propriété ainsique la citoyenneté :deux exemples deprogrammes deprotection nonconventionnels.

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Pénurie de kérosène, litiges

Trois heures durant, sansrelâche, des réfugiés de laminorité ethnique des Hazara,originaires d’Afghanistan, ont

assailli la représentante du HCR de plaintessur les services médicaux, de questions sur lerapatriement, de demandes allant des coursd’informatique à la garantie d’une protectioncontre les abus des policiers. Masti Notzétait ravie.

“C’est extraordinaire, ces réfugiésconnaissent parfaitement leurs droits”,rétorque la responsable du bureau du HCR àPeshawar, au Pakistan, à un collègue estimantque les réfugiés du camp de Bassu étaienttrop exigeants. “C’est un camp modèle.”

L’hiver dernier, les quelque 5500 résidantsde Bassu, un camp situé dans une enclave duterritoire pakistanais, bordée sur trois côtéspar les majestueuses montagnes afghanes,ont bâti en trois mois, à la main, leursmaisons en torchis. En mettant en communleurs modestes ressources, ils ont pu acheterun groupe électrogène pour alimenter lesampoules grâce auxquelles ils peuventcontinuer, la nuit tombée, à tisser les tapisdont dépend l’essentiel de leurs revenus.

La rencontre avec Masti a eu lieu sur lavéranda ombragée de leur nouvelle mosquée.Après avoir écouté les doléances desréfugiés, sa première réaction a été de leurassurer que le HCR leur apporterait autant deprotection et de soutien que possible. “Je suisconvaincue que la raison d’être du HCRrepose sur la protection des réfugiés — aussibien juridique que matérielle”, affirme cellequi dirige les opérations d’assistance danscette Province frontière du Nord-Ouest duPakistan particulièrement instable.

Quand elle a pris ce poste, Masti disposaitdéjà d’un sérieux bagage : chargée de laprotection au HCR pendant dix ans. Laprotection est autant un état d’esprit que leproduit d’une formation, comme elle a pus’en rendre compte en l’espace de quatrejours durant lesquels elle a été confrontée àpratiquement tous les aspects du mandat deprotection du HCR.

Elle ne cache pas sa contrariété alors quenous nous mettons en route pour les quatreheures de voiture qui nous séparent duKurram, un district situé aux confins deszones tribales pakistanaises, farouchementindépendantes. Depuis des mois le HCRn’arrive plus à fournir de kérosène aux

réfugiés afghans qui ont fui pendant la guerremenée en 2001 par les Etats-Unis pourrenverser le régime taliban.

“Il n’y a eu aucune distribution dekérosène depuis le mois de mars, donc il n’y aplus de lumière dans le camp. C’estextrêmement grave sur le plan de laprotection.” Sans éclairage, les femmes qui serendent aux toilettes sont exposées au viol,des enfants se perdent, des voleurs profitentde l’obscurité pour se faufiler à l’intérieur ducamp. Et, faute de kérosène, les réfugiésramassent du bois de chauffage, ce qui créedes tensions avec les Pakistanais, eux aussidépendants des maigres ressources locales.

UN AUTRE REGARDMasti demande aux employés du HCR

de se mettre dans la peau des réfugiés. Elle acommencé à appliquer ce principe au

personnel du foyer du HCR à Saddar, uneville administrative chaotique, plantée aumilieu des rizières, dans le district de Kurram.Au Pakistan, le personnel féminin ne se mêlepas facilement au personnel masculin,notamment le soir. Masti a donc autorisél’achat d’un second téléviseur et l’installationde lignes téléphoniques séparées pour queles femmes puissent rester en contact avecleurs familles.

Née à Los Angeles, la jeune femme a vécuen Iran jusqu’à l’âge de 10 ans, parlecouramment l’anglais, le français, l’espagnolet le farsi et, “comme je suis un produit del’Orient et de l’Occident, je vois chaqueculture à travers le regard de l’autre”,explique-t-elle.

Le lendemain, après un trajet en LandCruiser dans les graviers d’un lit de rivièrepresque à sec, nous allons à la rencontre des

A l’écoute des problèmes des réfugiés afghans.

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Objectif protection : une journée de travail dans la Province

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fonciers, viols, enfants perdus

4000 réfugiés du camp de Old Baghzaï. UnAfghan se plaint de ne pas pouvoir rentrerparce qu’il lui manque le certificat scolaireindispensable pour obtenir un emploi : Mastil’oriente vers les services compétents àPeshawar. Un jeune aimerait rentrer, mais sonpère est paralysé ; elle leur suggère, en tantque famille particulièrement vulnérable, derester pour l’instant à Old Baghzaï.

Mais Masti venait aussi transmettre unmessage sans équivoque aux habitants desquatre camps du Kurram et aux nouveauxréfugiés arrivés en 2001, bien après les 1,2 million d’autres exilés, qui avaient quittéleur pays 23 ans auparavant.

En effet, au début de 2002, le HCR aentrepris de faciliter le retour en Afghanistan

des réfugiés, la majorité d’entre eux s’étantinstallés dans cette région de la Provincefrontière du Nord-Ouest. L’accord tripartitesigné entre le HCR et les gouvernementspakistanais et afghan pour encadrer lesopérations de rapatriement prendra fin début2005. Au-delà de cette date, les Afghansencore en exil pourraient faire l’objet d’uneprocédure visant à déterminer s’ils relèventvraiment du statut de réfugié ou s’ils doiventêtre simplement assimilés à des migrantséconomiques.

“Vous devez réfléchir sérieusement à ceque vous allez faire quand le camp fermera”,leur conseille Masti avec fermeté.

Quand un réfugié de Djalalabad se plaintde ne plus avoir de toit dans sa ville d’origine,elle lui demande d’être réaliste : le HCRprend en charge les frais de transport, uncolis de vivres et autres aides au retour, ycompris l’hébergement pour les plusvulnérables. Mais l’agence ne peut paspromettre la restitution immédiate des terreset biens immobiliers, l’un des plus gravescontentieux que devra résoudre legouvernement afghan.

Sur le terrain, Masti et ses collègueschargés de la protection doivent sans cessemaintenir un équilibre délicat entre satisfaireles besoins individuels et répondre à desexigences d’ordre collectif.

UN ÉQUILIBRE DÉLICAT“L’empathie est indispensable pour

résoudre certains problèmes, mais il fautrester impartial. Il faut des règles et desconsignes strictes pour distribuer l’aideéquitablement, traiter chacun de la mêmefaçon. A elle seule, la compassion ne suffitpas”, dit-elle.

Dans les autres camps où nous nousrendons, Masti répète inlassablement sesavertissements, règle les problèmespersonnels et n’oublie pas d’ajouter unepointe d’humour : “Je suis comme undentiste”, plaisante-t-elle en farsi, une langueque comprennent beaucoup d’Afghans. “Jesais seulement arracher les dents. Je ne faispas de chirurgie, ni rien de tout ça.”

Lorsqu’une femme se plaint d’avoir trouvédes vers dans les rations alimentaires, elledécouvre que les vivres n’avaient pas étécontrôlés, et exige l’inspection immédiatedes stocks existants et à venir.

Un homme proteste parce qu’on lui aprescrit des pilules plutôt qu’une injection,plus puissante ; elle tourne alors la tête,ajuste ses sempiternelles lunettes noires etconseille au médecin de ne pas oublier qu’iltraite des réfugiés pour la plupart illettrés etque cela requiert autant de psychologie quede médicaments.

De retour à Peshawar, Masti discute desproblèmes qu’elle a découverts lors de savisite sur le terrain avec le Commissaire pourles réfugiés afghans dans la Province frontièredu Nord-Ouest, le Brigadier Mushtaq Alizaï.Quand elle a pris ses nouvelles fonctions,juste avant les attentats du 11 septembre auxEtats-Unis, les relations étaient tendues entrele HCR et le gouvernement pakistanais. Cedernier soutenait les taliban ainsi que leurdemande de contraindre les réfugiés àrevenir en Afghanistan, quitte à avoir recoursà des arrestations et à diverses formes deharcèlement.

Aujourd’hui, le climat est plus cordial. LeCommissaire mène une politiqued’encouragement au retour volontaire pouraccroître le nombre de candidats aurapatriement, mais il a également consenti àl’amélioration des services médicaux et à ladistribution de couvertures après que Mastiait demandé qu’il y ait plus de femmesmédecins et plus de contrôles sur la quantitéet la qualité des médicaments disponibles.

Une famille lui a demandé de les aider àretrouver une jeune fille, âgée maintenantd’environ 19 ans, qui, orpheline, avait étéemmenée en Allemagne pour un traitementmédical plus de dix ans auparavant. Masti apromis de s’en occuper, tout en soulignantque pour le HCR, aujourd’hui comme hier,l’intérêt de l’enfant était prioritaire — unprincipe élémentaire de la protection.

Autrefois au HCR, souligne Masti, laprotection pouvait être considérée comme lachasse gardée de quelques experts. Cesspécialistes demeurent indispensables, biensûr — notamment pour aider lesgouvernements à élaborer les législationsrelatives aux réfugiés — mais sur le terrain,l’esprit de la Convention de 1951 a un visagemoins théorique, et bien plus humain.“Il fautrester constamment vigilant, conclut MastiNotz. Quand vous le regardez sous l’angle dela protection, vous voyez le mondedifféremment.” B

frontière du Nord-Ouest du Pakistan.

“A ELLE SEULE, LA COMPASSION, NE SUFFIT PAS.”17R É F U G I É S

Conscient de l’urgence et du caractère sensible de cedossier, le HCR avait en fait préconisé une triple dé-marche pour améliorer le régime mondial de l’octroid’asile. Il s’agissait tout d’abord de renforcer les régimesnationaux. Deuxièmement, il fallait créer en Europe unrégime unique de procédures d’asile, ce qui impliquaitnotamment que tout centre de tri devait se trouver enEurope (et non à l’extérieur comme l’avaient suggéréles Britanniques), et donc relever directement des au-torités européennes.

Le troisième axe régional devait encourager les paysdonateurs à accroître leur aide en faveur des réfugiéset des pays d’accueil dans des régions défavorisées dela planète, afin d’éviter aux réfugiés de poursuivre leurexil ailleurs. Il prévoyait des dispositions spéciales adap-tées aux différents groupes de réfugiés.

Rien à voir donc avec la proposition britannique.Comme l’a dit par la suite Rupert Colville, l’un des porte-parole du HCR, “notre idée, c’est de faire des efforts plusconcertés et plus novateurs face à des situations précisesdans les régions d’origine, et non pas de créer de nou-velles entités géographiques ou physiques. Nous voulonsatténuer les pressions qui poussent les réfugiés à partir

et non pas dérouler une sorte de cordon sanitaire. LeHCR n’a jamais parlé de zones de protection. Nous nesavons pas vraiment ce que ce terme signifie”.

La mise au point était claire. Elle n’a pas empêchéAmnesty International de publier un rapport de 37pages laissant entendre que les propositions britanniqueset celles du HCR étaient pratiquement identiques. Letitre même du document, “Royaume-Uni/UE/HCR : letraitement extraterritorial illégal et inapplicable des de-mandes d’asile”, annonçait la couleur.

La riposte a été à la hauteur de l’accusation. “Le rap-port d’Amnesty donne une image totalement fausse dela position du HCR, s’est indigné Volker Turk. Il estbasé sur des considérations et des arguments juridiquesbiaisés. Il a torpillé notre projet en laissant croire quetoutes les propositions étaient similaires. Il a faussé etmanipulé le débat.”

Ruud Lubbers a fait savoir que “la position du HCRavait été largement déformée et dénaturée” et que sespropositions régionales avaient pour but de “partagerle fardeau et non de s’en débarrasser”.

Mais le mal était fait. Les experts, les politiques etles médias, et a fortiori le grand public, ne savaient plusqui avait proposé quoi. Le Guardian, quotidien d’or-dinaire bien informé sur la question de l’asile, a rap-porté que le Premier ministre Tony Blair n’avait pasréussi à convaincre l’UE de financer “le plan de l’ONUde zones de protection” — alors que manifestement ils’agissait de l’initiative britannique.

Le journal affirmait dans le même article que douzeONG britanniques avaient écrit à Tony Blair pour pro-

tester contre le soutien apporté par les Britanniques au“plan de l ’ONU” (en réalité britannique) : “Ces propo-sitions reviennent à se décharger du problème des ré-fugiés et demandeurs d’asile sur les pays parmi les plusdéfavorisés de la planète. Elles donneront une bienpiètre image de l’attachement de la Grande-Bretagneaux droits de l’homme.”

En définitive, ce gâchis politique n’aura fait que desperdants.

SOUVERAINETÉ ET DÉPLACÉSSur un plan plus général, le débat restait centré sur

les questions essentielles de la souveraineté, du droitd’ingérence humanitaire et de la protection des 20 à 25millions de personnes dites déplacées à l’intérieur deleur propre pays.

Il y a trois ans, lors d’un discours d’une sévérité qua-siment sans précédent de la part d’un Secrétaire géné-ral de l ’ONU, Kofi Annan a exhorté les Etats membresà déroger à leurs principes les plus chers — la souve-raineté nationale et l’inviolabilité des frontières natio-nales — au nom de l’intérêt supérieur de la protectiondes civils pris dans l’étau de la guerre.

Dans une série de recommandations audacieuses, leSecrétaire général demandait que le Conseil de sécu-rité puisse intervenir directement dans les conflits in-ternes en déployant des missions de maintien de la paixpréventives et en créant des “couloirs protégés” pourl’acheminement des secours humanitaires, qu’il fasserespecter le droit international humanitaire et les droitsde l’homme et qu’il impose des sanctions aux Etats ré-calcitrants, par exemple l’embargo sur les armes.

Un rapport relativement récent intitulé “La respon-sabilité de protéger” met en cause la communauté in-ternationale, dont les comportements des dix dernièresannées seraient responsables des fiascos humanitairesdu Kosovo, du Rwanda et de la Bosnie.

Les deux auteurs, Gareth Evans, président de l’Inter-national Crisis Group et Mohamed Sahnoun, conseillerspécial du Secrétaire général de l ’ONU pour l ’Afrique,racontent comment les débats ont tourné “à l’invectiveet à la guerre de tranchées entre les partisans de l’in-gérence humanitaire et les défenseurs inconditionnelsde la souveraineté nationale”.

G. Evans et M. Sahnoun estiment que, si elles sontparfois nécessaires, les interventions militaires doiventêtre utilisées avec parcimonie et dans des contextes bienprécis. Du reste, le fameux droit d’ingérence devraitplutôt être un devoir de protection, notion qui impli-quait initialement le devoir de réagir, de prévenir, etde reconstruire.

Cette grande controverse a éclipsé le débat sur l’aideaux victimes des guerres civiles, qui du coup n’a guèreavancé. Près de six millions de déplacés bénéficient de

VIEUX PROBLÈMES . . . RÉALITÉS NOUVELLES

LE HAUT COMMISSAIRE RUUD LUBBERS A RECONNU QUE LE HCR ÉTAIT À LA CROISÉE DES CHEMINS ETQU’UN CERTAIN NOMBRE DE RÉFORMES ÉTAIENT À L’ÉTUDE.

(Suite de la page 15)

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Trop de monde ?De plus en plus d’organisations tentent d’aider les personnes déplacées.

Le problème des personnesdéplacées dans le monde a pris unenette ampleur ces dernières années.Il bénéficie d’une attention accrue

des médias et implique un nombre croissantd’acteurs de la communauté humanitaireinternationale.

Des appels ont été lancés pour que le HCRassume un rôle accru dans l’aide dispensée aux déplacés, et d’autres agences telles que leBureau des Nations Unies pour la coordinationdes affaires humanitaires (OCHA) et l’Organisa-tion internationale pour les migrations (OIM)ont décuplé leurs efforts en faveur de cegroupe de personnes déracinées. Or, pourcertains, cela pourrait créer une certaineconfusion quant au rôle opérationnel duComité international de la Croix-Rouge(CICR).

Le CICR s’attache depuis fort longtemps àporter assistance aux personnes déplacées àl’intérieur de leur pays, dont le nombreactuel, estimé par les Nations Unies, est de20 à 25 millions de personnes. Cette action,largement reconnue par les gouvernementset les autorités militaires, se fonde sur ledroit international humanitaire. Les récentesopérations en Afrique de l’Ouest et enAfrique centrale témoignent de l’engagementcontinu du CICR.

Toutefois, alors que les guerres devien-nent de plus en plus complexes et que lenombre grandissant des acteurs humanitairesconstitue le principal changement dans l’aideaux déplacés en une décennie, une approcheplus adéquate, une coopération et une coordi-nation renforcées s’avèrent indispensablespour éviter les chevauchements inutiles et laconfusion.

Le CICR doit jouer un rôle central, et lamanière dont il saura gérer ses relations avecles autres institutions est l’un des grands défisqu’il devra surmonter.

Ces questions doivent être réglées non seu-lement au siège, mais aussi, et c’est essentiel,sur le terrain où des décisions peu appropriéespeuvent être lourdes de conséquences enpertes humaines.

Au sein de la «famille» de la Croix-Rouge, laFédération internationale des Sociétés de laCroix-Rouge et du Croissant-Rouge et certainsde ses membres mènent déjà des actions enfaveur des personnes déplacées. Une coordina-tion doit donc être assurée entre ces institu-

tions et leurs partenaires. La solution seraitpeut-être que le CICR assume un rôle de direc-tion et de coordination accru, y compris horsdu mouvement Croix-Rouge/Croissant-Rougeproprement dit.

La relation la plus délicate est celle qui exis-te entre le HCR et la grande famille de la Croix-Rouge. Intervenant souvent dans les mêmesendroits et en faveur des mêmes personnes, leCICR et le HCR doivent clairement définir leursresponsabilités et leurs rôles respectifs, ainsique leur attitude à l’égard des autres organisa-tions qui, cherchant à attirer l’attention desdonateurs, viennent aussi apporter leur aide. Ilsdoivent tout particulièrement prendre en

compte de nouveaux facteurs, notamment laprésence d’éléments ethniques, religieux etmême criminels dans les conflits armés, et lamultiplication des guerres civiles au cours des30 dernières années.

UN RÔLE PRÉDOMINANTLe CICR joue un rôle opérationnel de plus

en plus prééminent, se concentrant sur lesbesoins urgents de toutes les personnes tou-chées par un conflit armé — non seulement decelles contraintes de fuir leur foyer, mais aussides populations locales où les déplacés ontcherché refuge, car en vertu des Conventionsde Genève, les deux groupes ont droit à uneprotection.

Dans certains cas, par exemple, les déplacéspeuvent aller s’installer ailleurs alors que les

populations locales préfèrent souvent resterpour s’occuper de leurs biens et ont doncbesoin d’une plus grande protection.

Le CICR doit aussi définir de façon plus pré-cise ce qu’il entend par “besoins urgents” et par“conséquences directes du conflit”. Il doit clari-fier dans quelle mesure il va, pendant lespériodes de transition, apporter un soutien auxdéplacés, notamment ceux qui rentrent chezeux une fois la guerre finie.

Il faut également tenir compte d’un problè-me de taille : celui des crises oubliées, quin’étant plus sous le feu des médias, suscitentmoins l’intérêt des gouvernements et ne sontplus considérées comme des urgences. Or, les

déplacés de longue date, qui ne relèvent pasdu mandat du CICR, tombent souvent danscette catégorie. Leur droit à une assistancepeut être mis en question alors qu’ils sontsouvent victimes de discriminations et viventdans la pauvreté, à la périphérie de villescomme Bogota, Sarajevo, Khartoum ou Luan-da.

Pour renforcer ses opérations, le CICR ainclu dans son programme de formation undocument intitulé “Principes directeurs rela-tifs au déplacement de personnes à l’intérieurde leur propre pays”. Il considère en effet queces principes sont un outil utile dans lesdomaines que ne couvre pas encore le droitinternational humanitaire, par exemple leretour des déplacés chez eux ou l’établisse-ment de nouveaux papiers d’identité. LeCICR a contribué à la rédaction de ces prin-cipes qui, toutefois, ne constituent pas uninstrument juridique contraignant.

Enfin, tout en apportant une assistanceconcrète aux personnes déracinées, le CICRcontribue au débat mondial sur les déplacés,les réfugiés et les migrants.

La responsabilité des Etats, avec lesquels leCICR entretient une relation privilégiée, estparticulièrement importante. Les gouverne-ments à l’origine du problème des déplace-ments de populations doivent rendre descomptes et reconnaître que les personnesconfrontées à une situation précaire et dange-reuse ont besoin de sécurité, d’humanité et dejustice. Et les Etats qui redoutent les mouve-ments de population ne doivent pas considérerces déplacements simplement comme des élé-ments venant grossir les statistiques de mouve-ments migratoires. B

Venir en aide aux plus vulnérables.

IAN PIPER est chargé des relations avec lesmédias au siège du CICR à Genève.

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l’aide du HCR — alors qu’officiellement ils ne relèventpas de son mandat. Comme leur drame est semblableà celui des réfugiés et qu’ils vivent le plus souvent dansdes zones d’opérations du HCR, cette aide semble sou-vent aller de soi.

Mais chaque nouvelle crise soulève les questions deprincipe et les mêmes difficultés opérationnelles, com-me on l’a vu tout récemment avec la guerre en Iraq.

Les mêmes questions se sont posées au HCR et auxmilieux humanitaires : le HCR devait-il intervenir, non-obstant le fait que son mandat ne couvrait pas les dé-placés ? Dans l’affirmative, avait-t-il les moyens de le fairecompte tenu de ses contraintes budgétaires ? Et dans lanégative, devait-il passer le flambeau à d’autres acteurs,quitte à les voir monopoliser une scène humanitaire deplus en plus concurrentielle et surpeuplée ?

Toutes ces questions se poseront sans doute encorependant plusieurs années.

UNE PROTECTION PRESQUE INVISIBLELoin de l’actualité télégénique comme la guerre en

Iraq, des caméras de télévision, du battage médiatiqueet des grandes tribunes internationales, les humani-taires du HCR poursuivent “le travail presque invisiblede la protection”, pour reprendre la formule d’un rap-port sur la question.

Un travail discret mais opiniâtre, fait d’une myriadede gestes quotidiens, de projets petits et grands : déli-vrer des papiers d’identité et enregistrer les réfugiéspour réduire les risques de détention et d’expulsion ar-bitraires. Construire des bases de données conjointe-ment avec les administrations locales, comme le fait ac-tuellement le HCR en Equateur pour aider les réfugiéscolombiens à obtenir plus facilement leurs papiers. Fairedélivrer des cartes d’identité non seulement auxhommes, mais aussi aux femmes, comme cela a étépour la première fois le cas en Côte d ’ Ivoire, en Géor-gie, en Guinée et au Yémen. Faire venir des policierscanadiens en Guinée pour essayer de réétudier la confi-

guration du camp de réfugiés et d’atténuerles risques d’agressions, notamment contreles femmes.

Le HCR a mis en place des programmesvisant à protéger les femmes et améliorerl’accès à l’éducation afin de préparer lesjeunes à la vie adulte mais aussi à lesmettre à l’abri des violences sexuelles, del’enrôlement forcé et de la traite.

Au Sri Lanka, des séances d’informa-tion apprennent à la population à éviter ledanger des mines terrestres qui infestentencore une bonne partie du pays.

En Sierra Leone, des programmes ontété initiés à l’attention des ex-rebelles etenfants soldats démobilisés pour les aiderà se réinsérer dans des communautés oùils ont semé la terreur pendant des années.

En outre, dans onze pays africains, unexamen des capacités de protection vientd’être parachevé dans le cadre d’un vaste pro-gramme d’assistance juridique qui aidera les

pays, en particulier les plus pauvres et les pays en déve-loppement, à se doter de structures juridiques et admi-nistratives efficaces en matière d’asile et d’immigration.

Ces derniers mois, El Salvador, la République dé-mocratique du Congo, la Moldova, le Paraguay et le Pé-rou ont adopté pour la première fois une loi sur les ré-fugiés. L’Ukraine et le Timor-Leste ont adhéré à laConvention de 1951 et/ou à son Protocole de 1967, ce quiporte à 145 le nombre d’Etats signataires.

En Croatie, en Bosnie et au Burundi, la question im-mobilière et foncière n’est toujours pas réglée. Elle pour-rait traîner pendant des années et compromettre le ra-patriement volontaire de dizaines de milliers de civils.

Le HCR a encouragé l’intégration des réfugiés dansles pays d’accueil, avec parfois de très bons résultats.Ainsi, le Mexique a naturalisé près de 7600 réfugiésguatémaltèques depuis 1996. Un projet de même am-pleur est en préparation en Zambie.

Le HCR a accru ses efforts pour venir en aide auxapatrides dont le nombre est estimé à quelque neuf mil-lions d’individus aux quatre coins du monde et, en Asiecentrale, le Kirghizstan a offert une nationalité et unnouveau départ à des apatrides.

En Côte d’Ivoire, le HCR a parrainé un CD d’artisteslocaux, un feuilleton télévisé, et des spots à la radio età la télévision dans le cadre d’une campagne de luttecontre la xénophobie.

A Sanaa, capitale du Yémen, près de 500 fonction-naires ont suivi des cours de droit sur les réfugiés etles droits de l’homme, en prélude à un vaste effort d’in-formation.

Ces projets sont encourageants, mais il reste tout demême beaucoup à faire pour atteindre l’objectif de pro-tection défini par Ruud Lubbers, qui déclarait tout ré-cemment encore : “Mieux vaut apporter la sécurité qued’obliger les gens à aller la chercher ailleurs. Et quandla communauté internationale ne le fait pas, commec’est si souvent le cas, nous devons défendre le droit dechacun à demander et obtenir l’asile.” B

Le retour dans lepays d’origine est lameilleure solutionpour les réfugiés :plus de 2 millionsd’Afghans sontrentrés chez euxdepuis début 2002.

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T el un Phoenix, l’Angola renaît de ses cendres, aprèstrente ans de guerre civile. Ecoles, dispensaires, hôpi-taux, routes et logements sont en cours de reconstruc-tion dans cette nation du sud-ouest de l’Afrique. Et sur-

tout, réfugiés et déplacés prennent le chemin du retour.Plus d’un million de personnes, en majorité des civils, ont été

tuées, quatre millions ont été déplacées à l’intérieur du pays etprès de 500 000 autres ont cherché refuge dans les pays limi-trophes au cours de l’un des conflits les plus longs du monde.

Mais suite à l’accord de paix signéen avril 2002 entre le gouvernementet le mouvement rebelle angolais,l’UNITA, quelque 1,6 million de dé-placés ont spontanément regagné leursvilles et leurs villages dans ce pays deuxfois plus grand que le Texas, regorgeantde pétrole, de diamants et autres mi-nerais, ainsi que de terres fertiles.

Au début de l’été, le HCR a com-mencé à organiser le rapatriement desréfugiés, et a ouvert des routes en pro-venance des pays voisins — Namibie,République démocratique du Congo etZambie — à mesure que le rythme desretours s’intensifiait.

Dans la province orientale deMoxico, un vent d’optimisme se lèvesur les décombres de la guerre. DavideZeferino, 41 ans, ancien professeur demathématiques, a marché pendant dixjours du camp de réfugiés de Meheba,en Zambie, pour retourner dans la ville

de Cazombo et inspecter les lieux avant de demander à sa femmeet leurs sept enfants de le rejoindre.

Il a emporté avec lui 10 kilos de riz et de vêtements qu’il a venduspour pouvoir ouvrir un petit commerce de poisson séché. Mais ilcompte sur ses diplômes pour intégrer plus tard une organisationnon gouvernementale ou internationale. “La vie est très difficile ici,concède-t-il, mais on arrive à s’en sortir et avoir foi en l’avenir.”

Maria Clara Bambi, qui avait quitté le pays en 1978, a trans-formé un tas de gravats en une coquette maisonnette à Cazombo.Exilée à Kinshasa, la capitale du Congo, elle y a appris la pâtisse-rie, ce qui lui permet aujourd’hui de gagner modestement sa vie.Avec ses cheveux teints en blond, sa veste rose fuchsia sur unechemise bleue et un jean, chaussée de mocassins noirs de chez Tod’s, Dona Maria, comme l’appellent ses voisins, claironne sonoptimisme. “La guerre, tout ça, c’est fini !”

UN ESPOIR TEINTÉ DE PRUDENCELe long de la grand-route qui mène à Cazombo, une dizaine de

tentes et de huttes abritent des soldats démobilisés depuis plu-sieurs semaines, dans l’attente de leur réhabilitation. Ils symboli-sent une forme d’espoir — que le conflit soit réellement terminé —mais un espoir tempéré par tout ce qu’il reste à faire pour panserles plaies de la guerre.

Dans le nord du pays, les rapatriés rebâtissent leurs habitationsen ruines. La commune de Kuimba, détruite à 60% pendant laguerre, était déserte jusqu’à il y a un an. Aujourd’hui, un peu plusde la moitié de ses 25 000 habitants sont revenus. “Le lieu a étéenvahi par la végétation, mais à leur retour, les habitants ont re-poussé la forêt”, explique fièrement Alexander Gomes, coordina-teur local pour l’éducation.

Malgré l’euphorie générale, certains signes incitent à la pru-dence. La plupart des infrastructures du pays ont été détruites, etpartout les édifices, les façades des boutiques, des casernes et deséglises, dont beaucoup sont l’héritage de 400 ans de dominationportugaise, sont criblées de balles. Il faudra des années, sinon desdécennies, pour réparer les dommages.

D’après le délégué du HCR en Angola, Janvier de Riedmatten,“De nombreuses localités ne disposent pas encore des infrastruc-tures de base indispensables au retour des habitants” — raison pourlaquelle l’agence n’aide pour l’instant que les personnes qui réin-tègrent des communautés viables.

TRUFFÉE DE MINESL’Angola est l’une des régions les plus truffées de mines au monde.

Pendant le conflit, plus de 100 000 personnes ont été mutilées etdéfigurées par ces pièges mortels qui constituent encore une ter-rible menace. Plus tôt dans l’année, le tout premier convoi de rapa-triés depuis la Zambie a été retardé d’un mois après la découverted’un obus anti-char près de la route qu’il devait emprunter, bordéede hautes herbes empêchant toute visibilité à travers la forêt vierge.

Il n’est pas évident de renoncer à la sécurité relative d’un campde réfugiés, avec ses écoles, ses services médicaux et ses centresde formation, pour un avenir incertain — surtout pour les per-sonnes particulièrement vulnérables.

Ainsi Catherine Kadina-Mungeko, 45 ans : la guerre lui a prisson mari, la maladie a emporté deux de ses enfants. Lors de la re-prise des combats en 1998, elle a eu une jambe arrachée par unemine alors qu’elle attendait son cinquième enfant. “Je ne pourrairentrer que quand tout sera tranquille”, confie-t-elle.

Isabelle Lututala, 60 ans, a fui une première fois le pays en 1973.Elle y est retournée puis est repartie au gré des soubresauts duconflit. Dans l’intervalle elle a perdu quatre de ses neuf enfants —une fille et trois fils — dont un a été abattu sous ses yeux.

Cette fois, elle est catégorique : “Quand je reviendrai vivre dansmon pays, ce sera pour ne plus jamais devoir le quitter.” B

ANGOLAL’espoir RETROUVÉMeurtri par trois décennies de conflit, l’Angola a peut-être une chance decroire enfin à la paix.

À T R A V E R S L E M O N D E

Parés pour le retour !

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Les centaines de milliers de réfugiésrwandais que la terreur chassait hors deleurs frontières devaient se heurter à unecruelle désillusion. A leurs pieds, sous le so-leil tropical, scintillait l’immense étendue du

lac Kivu, offrant à cette cohorte de déracinés l’espoird’accéder à cette gigantesque réserve d’eau, synonymede survie.

Mais l’exode se poursuivant sans relâche, les réfugiésont été repoussés de plus en plus loin du lac, pour fina-lement s’installer à des dizaines de kilomètres de là, surun plateau aride de roches volcaniques noires et grises.

Durant l’été 1994, pour tenter d’échapper au géno-cide, plus d’un million de Rwandais ont afflué en l’es-pace de quelques jours au Zaïre (aujourd’hui Républiquedémocratique du Congo). Dans les semaines qui ontsuivi, malgré une aide internationale de plusieurs mil-liards de dollars, 60 000 réfugiés ont perdu la vie à causedu cycle infernal du manque d’eau et des maladies dont,

bien entendu, le choléra.La population mondiale ayant plus que doublé au

cours des 60 dernières années, un nombre croissant depersonnes sont confrontées à des pénuries d’eau quimenacent leur santé, leur bien-être économique, leurenvironnement et jusqu’à leur vie, comme pour ces ré-fugiés rwandais. Presque partout, les nappes souter-raines, qui alimentent deux milliards d’êtres humains,voient leur niveau baisser de manière alarmante.

Environ 450 millions de personnes dans 29 pays souf-frent en permanence des pénuries d’eau. Un individusur six n’a pas accès à l’eau potable et plus de deux mil-liards d’individus vivent sans structures d’assainisse-ment. Les maladies transmises par l’eau tuent un en-fant toutes les huit secondes et sont responsables de80% de l’ensemble des pathologies et des décès dans lemonde en développement.

Les réfugiés et les déplacés comptent parmi les plusvulnérables des vulnérables.

L’EAUÀ T R A V E R S L E M O N D E

PLUS QUE TROIS JOURSÀ VIVRE…

Sécheresse auSahel, 1974.

23R É F U G I É S

Les personnes déracinées fuient en généralles nations les plus pauvres du monde pourtrouver refuge dans des pays tout aussi déshé-rités. Les camps de réfugiés sont souvent si-tués dans des régions à faible densité de po-pulation, avec peu d’infrastructures et surtoutpeu d’eau.

CHALEUR ET SÉCHERESSELa corne de l’Afrique, où depuis des dé-

cennies affluent des centaines de milliers deréfugiés du Soudan, d’Erythrée, d’Ethiopie etde Somalie, est l’un des endroits les plus chaudset secs de la planète. Le Soudan compte envi-ron quatre millions de déplacés errant sur lesroutes d’un pays qui n’est en grande partie quedésert et broussailles. Même quand l’eau est là,tout près, comme dans le cas des réfugiésrwandais, elle peut être difficile d’accès en rai-son de problèmes politiques ou militaires.

Dans des régions aussi ingrates, souventinaccessibles, au beau milieu d’une guerre,l’eau, indispensable source de vie, peut s’avé-rer d’un coût prohibitif et difficile à acheminer.Un adulte peut tenir plusieurs semaines sansmanger, mais dans des conditions extrêmes,s’il est privé d’eau pendant deux ou trois jours,cela équivaut à une sentence de mort.

Au Zaïre, l’armée américaine a utilisé degros avions-cargos, des Galaxy, pour trans-porter des stations de pompage à l’autre boutdu monde et tirer de l’eau du lac Kivu. Il fallaitalors 10 000 dollars par jour pour extraire laquantité d’eau minimale requise — environ 7litres quotidiens par personne — pour les200 000 réfugiés, le plan d’eau n’étant pour-tant situé qu’à quelques kilomètres du camp.

Pendant les années 90, dans certaines ré-gions de la corne de l’Afrique, des réfugiés ontdû survivre avec moins de trois litres par jour.

L’accès à l’eau constitue un droit humainfondamental. Le HCR est donc déjà impliqué,avec des partenaires comme l’Oxfam, spécia-liste de l’eau, dans une série de projets liés àl’approvisionnement en eau : acheminer desréserves par camions-citernes jusqu’à descamps isolés, creuser des puits, entretenir lesgroupes électrogènes et les pompes, mais aussi

Libéria : l’eau,source de vie.

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une meilleure utilisation des nappes souterraines etdes bassins d’eau de pluie.

A condition que les fonds suivent, bien sûr. Avec leresserrement des budgets, l’agence pour les réfugiés adû réduire considérablement les sommes destinées àla recherche et au développement, à la formation et auxprojets sur le terrain.

“Nous devons apprendre la valeur de l’eau”, décla-rait récemment le Secrétaire général de l’ONU, KofiAnnan, en faisant allusion au gaspillage que l’on fait del’or bleu dans certaines contrées du globe.

Cette leçon, bien des réfugiés l’ont apprise… à leursdépens. B

construire des barrages, réhabiliter les lacs et les ri-vières afin de préserver l’environnement et, quand celaest possible, encourager la pêche artisanale et la petiteagriculture pour aider les réfugiés à devenir autosuf-fisants.

Pour marquer l’Année internationale de l’eau, en2003, le HCR a engagé une étude visant à identifier leslacunes des programmes mis en place pour approvi-sionner en eau potable les 20 millions de personnesdont il a la charge dans le monde.

Les améliorations porteront sans doute sur la col-lecte et l’exploitation plus systématique des données,une coopération renforcée avec d’autres organismes et

R É F U G I É S24

COLOMBIEÀ T R A V E R S L E M O N D E

“Aujourd’hui nous sommes là,DEMAIN NOUS DISPARAÎTRONS”

A u cœur de la forêt amazonienne, des la-boratoires clandestins transforment les feuillesde coca en cocaïne. Les puissants syndicats ducrime, les guérilleros et les paramilitaires se

livrent un combat sans merci pour le contrôle de ce com-merce lucratif, n’hésitant pas à avoir recours à la tactiquede la terre brûlée et aux meurtres en série.

L’armée régulière, soutenue par les Etats-Unis, a ré-cemment intensifié sa campagne d’élimination du nar-cotrafic et de ses parrains. Pistes d’atterrissage hyper pro-tégées, baraquements militaires, barrages et patrouilleslourdement armées criblent le paysage. Du haut du ciel,des avions pulvérisateurs lâchent des nuages toxiques deproduits chimiques pour détruire les champs de coca.

L’épicentre de toute cette ébullition est la province dePutumayo, située dans le sud de la Colombie, désormaisdevenue l’une des plus dangereuses de ce pays déchiréd’Amérique du Sud.

Terrorisés, les petits paysans sont de plus en plus nom-breux à abandonner leurs villages pour se mettre à l’abridans des sites urbains considérés comme relativementplus sûrs.

Selon les estimations des organisations non gouverne-mentales, trois millions de personnes auraient été déraci-nées —chiffre jugé trop élevé par le gouvernement — etseraient devenues des déplacés internes sur le sol colom-bien ou des réfugiés dans les pays voisins. Plus de 200000personnes ont été tuées dans ce cycle interminable de laviolence où l’armée, les grands propriétaires terriens, etdes groupes armés irréguliers se disputent âprement leterritoire, le pouvoir et l’argent, non seulement à Putu-mayo mais aussi dans d’autres régions du pays.

UN LOURD TRIBUTDans ce carnage, les peuples indigènes et les régions

les plus pauvres de la Colombie ont payé un tribut ex-trêmement lourd. Les petits groupes ethniques risquentnon seulement d’être assassinés ou déplacés, mais de perdreà jamais leurs traditions et leurs cultures ancestrales.

Dans un village à moitié déserté de la province dePutumayo, un chef indigène s’inquiète : “Malheureuse-ment, nos terres sont d’une grande importance straté-gique pour les groupes armés. Ils ont tué beaucoup d’entrenous. Ils essaient d’enrôler nos jeunes par la force ou lapersuasion. Beaucoup de familles ont été déplacées.”

Le territoire des membres de l’ethnie cofan, près dela frontière équatorienne, est également menacé. Pour-tant “la terre est notre bien le plus précieux”, souligneun responsable cofan. Si nous perdons notre territoire,nous n’existerons plus en tant que communauté, nos tra-ditions, notre culture, seront anéanties, il ne nous res-tera plus rien. Nous irons à la dérive. Aujourd’hui noussommes là, demain nous disparaîtrons.”

Au nord, la plupart des 20 000 Sikwanis de l’ethnieguahibo vivant le long de la frontière avec le Venezuelaont fui, au printemps dernier, les combats entre para-militaires et guérilleros des FARC, principal groupe degauche en Colombie.

L’an dernier, un tiers des 4500 Kankuamos ont étéchassés de la Sierra Nevada de Santa Marta. Dans cetterégion, les origines de l’univers reposent sur quatre pi-liers, chacun appartenant à l’une de ses principales en-tités ethniques. Or la brutale éviction des Kankuamos abouleversé ce délicat équilibre culturel, comme le sou-ligne l’Organisation nationale indigène de Colombie(ONIC).

Les populationsindigènes deColombie ont étéextrêmementfragilisées par leconflit qui déchireleur pays.

“SANS PAPIERS, NOUS N’AVONS NI SÉCURITÉ,

En Colombie, les populations indigènes et les plus démunis sont prisdans la tourmente du conflit.

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À T R A V E R S L E M O N D E

NI ACCÈS AUX SOINS MÉDICAUX ET À L’ÉDUCATION. ET NOUS NE POUVONS MÊME PAS ENREGISTRER NOS MORTS.”

Une école dansl’une des régions lesplus pauvres deColombie.

Les Tule (Kuna), les Bari, les Embera et d’autres eth-nies de la Sierra Nevada, de Naya et de Chocó subissentégalement des pressions.

RÉAGIRDes associations locales, aidées par l’agence pour les

réfugiés, ont commencé à réagir.Le HCR apporte un soutien à l’Organisation des zones

indigènes de Putuyamo (OZIP), qui fournit à son tourune aide concrète, des conseils juridiques et des séancesde formation à la population ainsi qu’aux représentantsdes autorités locales (cabildos), tout en menant des re-cherches sur les diverses formes de culture indigène.

Cette coopération s’est avérée fructueuse pour touslorsque l’OZIP a pu négocier un accord avec le gouver-nement afin de dédommager les fermiers qui avaientvolontairement renoncé à cultiver 6000 hectares de coca.

Des guérisseurs indigènes, appelés mambeadores decoca, utilisent eux aussi la feuille de coca — mais à des finsbien plus bénéfiques — pour traiter, selon leur médecinetraditionnelle, les personnes traumatisées par le conflit.Les guides spirituels, ou taitas, utilisent une vigne appe-lée yagé, qui représente pour le peuple cofan “un élémentspirituel de notre vie et nous permet, lors des cérémo-nies rituelles, d’offrir un modèle de vie à nos enfants”.

Les papiers d’identité sont aussi importants que lesmédicaments ou la nourriture dans un pays où l’absencede documents officiels peut signifier la mort si l’on seretrouve face à des miliciens, ou empêcher de recevoirde l’aide.

A une autre époque, il y a très longtemps, “c’était laseule cédula (carte d’identité) que l’on avait”, confie un cheftraditionnel cofan en montrant la rangée de colliers mul-ticolores ornant son cou. “Cela suffisait à nous identifier.”

Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, “sans cédulavous n’existez pas”, renchérit un autre chef indigène. Ilnous faut des papiers pour notre sécurité, pour nousadapter aux besoins de la société, pour avoir accès auxsoins médicaux et à l’éducation. Sans documents on nepeut même pas enregistrer nos morts.”

Pour améliorer la situation des populations indigènes,un projet mené par le Bureau national de l’état civil etle HCR a déjà permis la distribution de documents d’iden-tité à 140 000 déplacés.

MASSACREComme les indigènes, les régions les moins dévelop-

pées du pays ont particulièrement souffert.Chocó, une bande de jungle tropicale coincée entre

la chaîne des Andes et l’océan Pacifique, dans le nord-ouest du pays, est la plus pauvre de toutes.

La capitale régionale, Quibdó, abrite plus de personnesdéplacées par habitant — des dizaines de milliers — quen’importe quel autre centre urbain de Colombie.

Le long des rivières avoisinantes d’Atrato, de San Juanet de Baudó, des centaines de milliers de civils, en ma-jorité indigènes et afro-colombiens, sont pris dans la tour-

mente de la guerre. Les bandes armées qui contrôlentles cours d’eau leur interdisent de pêcher, de chasser oude ramasser du bois.

Nourriture, médicaments, carburant et autres denréesessentielles sont interceptés et détournés par les bandits.

Même se rendre d’un lieu à un autre est très périlleux:au moins 600 personnes ont été tuées ces dernières an-nées, selon l’Association afro-colombienne, l’ACIA.

Les habitants de San Martín ont fui les combats àquatre reprises, mais quand une unité de la marine etles guérilleros se sont affrontés en avril dernier, ils ontdû s’enfuir une fois de plus, sans doute la dernière, carils ont juré de ne plus jamais retourner à San Martín.

Quant à la ville de Bojayá, elle commence à peine àse remettre du drame le plus meurtrier de cette guerresanguinaire.

Il y a un an, en effet, 119 civils, dont beaucoup d’en-fants, ont été tués et des centaines d’autres blessés quandune bombe est tombée sur l’église où ils s’abritaient auplus fort des affrontements entre les guérilleros des FARCet les paramilitaires.

Une semaine après le massacre, une équipe du HCRs’est rendue à Bojayá avant d’établir un bureau à Quibdó.La région de Chocó a été l’une des premières à bénéfi-cier du Plan d’action humanitaire, une initiative conjointedes agences de l’ONU pour cibler des zones particulièresavec un ensemble de projets coordonnés.

Dans un quartier ouvrier de Quibdó, les professeursde l’école La Gloria ont été formés pour répondre aux be-soins spécifiques des nombreux enfants déplacés qui comp-tent parmi les 1200 élèves de l’établissement. L’équipe en-seignante et les associations de parents sont renforcées etde nouvelles salles de classe sont en cours de construction.

Dans un autre quartier de la ville, un centre culturelpour les jeunes déplacés, financé par le HCR, offrira desactivités de danse, de musique, de théâtre et de littéra-ture, et ce sont les jeunes qui le construisent. “Nous n’in-vestissons pas dans des infrastructures mais dans la com-munauté”, explique Jovanny Salazar, responsable du HCRsur le terrain. “Nous voulons que les jeunes bâtissenteux-mêmes leur centre, qu’ils acquièrent des compétencespratiques, qu’ils aient des alternatives.”

Un projet de pêche près de Bojayá devrait aider 850familles. Dans la ville de Napipí, on reconstruit quelques-unes des maisons détruites. Comme les groupes indi-gènes, les déplacés installés dans la région de Chocó re-çoivent des papiers d’identité.

Une vedette du HCR fait la navette sur l’Atrato, pourrassurer les communautés isolées le long du fleuve et leurpermettre de garder un lien avec le monde extérieur.

Mais en attendant, alors que le conflit se poursuit, lespeuples indigènes assiégés pleurent la destruction de toutun pays. Un chef régional Naya n’a pas caché son déses-poir : “La Colombie est le pays qui offre la plus grandebiodiversité au monde, dont 75% se trouvent sur les ter-ritoires des peuples indigènes. En nous détruisant, ils dé-truisent l’ensemble de l’humanité.” B

R É F U G I É S26

COLOMBIE

Jazmín / 11 ans

Ils ont tué plein de gens à Pines, ils ont violé des filles. L’année dernière, par exemple, ils ont

torturé un homme, ils l’ont coupé en deux et laissé tout nu par terre. On a trouvé des filles mortes,

là-bas. Des fois, ils violent les filles, ils les tuent et puis ils les abandonnent jusqu’à ce qu’on

découvre leur corps. C’est pour ça que j’ai pris cette photo.

Il y a des images de mort, de viol et de fantômes.

Mais il y aussi, avant la flambée de violence, des

images sereines et rassurantes comme celle d’une

mamá face à ses fourneaux ou le sourire de la petite

sœur.

Pendant plus de deux ans, Shin Takeda et le AjA

Project ont fourni des caméras instantanées à de

jeunes déplacés et réfugiés en leur demandant

d’illustrer par des clichés, leur vie, leurs espoirs,

leurs souffrances.

Les photos qui suivent et les textes qui les accom-

pagnent font partie d’une exposition itinérante

consacrée aux enfants déracinés de Colombie.

À T R A V E R S L E M O N D E

P H OTO S : AV E C L’A I M A B L E A U TO R I S AT I O N D U A J A P RO J E C T

27R É F U G I É S

José William / 10 ans

Quand on pouvait, on jouait au ballon ou alors, mon frère courait derrière les voitures et moi, j’allais jouer avec mes

amis… Parfois, je voyais que mes parents étaient tristes quand on ne pouvait pas sortir parce que des enfants avaient été

kidnappés et emmenés par les guérilleros et tout ça. Mes parents étaient vraiment très malheureux… Je suis content parce

qu’ici je peux sortir tranquille et je peux jouer en paix avec mon frère, comme j’en ai toujours rêvé.

Elver José / 12 ans

Ça me fait penser à quelque chose comme la mort, on dirait des fantômes.

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Jenny Mayerly / 12 ans

On dormait tous dans un lit comme ça. Quand les guérilleros sont venus et ont menacé mon papa, il a

juste allumé la lumière. Alors ils ont cassé les ampoules et on s’est retrouvés dans le noir. Après, ils ont

commencé à fouiller partout. Ils ont emmené papa dehors et lui ont donné un coup de machette et

maman avait très peur, elle a commencé à pleurer, nous aussi… Mon pauvre petit frère, il est devenu

comme ça parce que maman prenait plein de médicaments à cause de ses maux de têtes et de dents.

C’est pour ça qu’il est comme ça, maintenant. On a tout fait pour l’aider à voir de nouveau.

Sol Marina / 10 ans

On adore notre petite sœur parce que quand

papa n’est pas là, c’est nous qui prenons soin

d’elle. Maman nous a quittés quand on était

petits, moi j’avais trois ans et ma grande sœur

huit… Maintenant on doit partir d’ici parce que ma

belle-mère ne veut plus de nous, alors on est

obligés d’aller à Tolima (une autre province).

À T R A V E R S L E M O N D E

29R É F U G I É S

Gustavo Angel / 14 ans

La cuisine où on vivait avant était la même que celle-ci. Quand l’armée est arrivée, les soldats ont lancé

des bombes pour tuer les guérilleros. Nous, on n’a pas été touchés mais un des guérilleros a tué mon

oncle parce qu’il ne voulait pas se battre avec eux. J’avais quatre ou cinq ans. J’ai pleuré parce qu’ils

avaient tué mon oncle et je ne savais pas quoi faire. Je suis parti, j’ai traversé la forêt et puis la montagne

et je suis arrivé ici la nuit. J’allais vraiment mal. Maman s’est évanouie : elle a eu une crise cardiaque.

R É F U G I É S30

“La pro te ction est unse r v i ce spécialisé quin é ce ss i te bea u co u pde personnel et qui ne peutpas être évalué selon lesmêmes critères que la distribution de se co u r s .C’est la ra i son d’être, lavaleur ajoutée du HCR.”

Note interne du HCRsur la pro t e c t i o n .

U“ L’insécurité perd u re, lesc a m ps ont été infiltrés pardes éléments armés, des réfugiés sont arrêtés oure n voyés de fo rce chez eux.Ils n’ont pas accès auxp ro c é d u res normales de demande d’asile et so n tprivés de papiers d’identité.”

Ex t rait d’un récent rapport duHCR sur la pro t e c t i o n .

“Ils n’e x i s tent pas, ce so n tdes fantômes politiques, ilsn’ont pas de domicile légal,de pays ou d’identité.”

Co m m e n t a i re d’un expert su rle sort des quelque neuf

millions d’ap at r i d es.

U“ S’il y avait des charniers enI ra q, à Rafha, le camp entierétait une tombe pour lesv i va n t s .” “Sa mère et so np è re sont morts, et il ne lesait pas enco re .” “C’e s tcomme si mon âme étaitrevenue dans mon co r ps .”

Témoignage des pre m i e rsréfugiés iraquiens rap at r i é s,

d é c r i vant leur exil et à la fo i sle choc et le bonheur du re t o u r

au pays.

U

“Ma femme et nos deuxe n fants sont mort s .A u j o u rd’hui, j’ai te l l e m e n tfaim que j’ai peur de mourirmoi aussi. Je vois double, etla nuit j’ai très mal au ve n t re .Po u ve z - vous m’a i d e r ?”

Le révérend Te rrance Du d l ey,réfugié à Monrovia, cap i t a l e

du Libéria.

U“Ce qui pro u ve à quel pointnous sommes deve n u sfaibles et naïfs, c’est le fa i tque nous donnions uneco u ve rt u re sociale à des gens qui se préparent ànous poignarder dans led os .”

D é c l a ration illustrant lac roisade acharnée de certainsj o u r n aux britanniques contrel es Òfau xÓ demandeurs d’as i l e.

Le Libéria “e s tp ratiquement détruit”.

Jacques Klein, Représentantspécial des Nations Unies pour

le Libéria, au plus fort desrécents combats qui ont dévasté

ce pays d’Afrique de l’Ouest.

U“J ’ai tout entendu, mais jen’ai rien pu fa i re. J’étaistotalement impuissa n t .”Un fe rmier congolais décriva n t

le mass a c re de son épouse,l e u rs huit enfants et ses deux

f r è res par des miliciens.

U“Nous ne pouvons pasoublier le passé, mais nousd evons re g a rder ve r sl ’ave n i r. Les citoye n skosovars doivent ass u rer lasécurité des minorités duKosovo .”

Le président Ib rahim Ru g o va ,incitant les 200 000 Serbesa yant pris la fuite en 1999 à

re n t rer au Ko s o vo.

U“Les para m i l i t a i res nous ontdit que si nous refusions dep a rtir ils nous mett raient àgenoux, nous violera i e n tpuis nous massa c re ra i e n t .”

Un villageois indien deColombie.

U“Je me demande si lesystème de contrôle del ’ i m m i g ration au Japon neprivilégie pas led i ve rt i ssement audétriment des réfugiés.”

Sa d a ko Og ata, ancien Hau tCo m m i ss a i re, à propos desquelque 100 000 Òa r t i s t esÓ

é t ra n g e rs accueillis chaq u eannée par le Japon contre 26p e rs o n n es acceptées en tant

que réfugiés en 2001.

| E N T R E G U I L L E M E T S |

“ Les réfugiés sont les pre m i è re svictimes des persécutions et des actes det e r rorisme et non leurs au t e u rs.”

Le Haut Co m m i ss a i re Ruud Lu b b e rs.

Les médias et les demandeurs d’asile : victimes un jour, parasites le lendemain.

31R É F U G I É S

“ J ’ai été envoyé ici avec pour mission d’aider le peuplei raquien et les re s p o n s ables de l’a d m i n i s t ration de ce pays àre t ro uver la liberté, à re p re n d re le contrôle de leur destin etde leur ave n i r.”

C’est en ces termes éloquents que Sergio Vi e i ra de Mellod é c r i vait sa dernière mission, peu de temps après son arrivéeen Iraq en juin dernier. Au lendemain de sa mort et celle de22 collègues, lors q u’un camion chargé d’explosifs a détruit lesiège des Nations Unies à Bagdad, ces paroles sontau j o u rd ’hui synonymes d’une épitaphe non seulement del ’ i ssue tragique de la mission de Sergio Vi e i ra de Mello àBagdad, mais au ssi du parcours d’une carrière et d’une vieconsacrées aux plus vu l n é rab l e s, en Afrique, en As i e, auKo s o vo et au Ti m o r - Le s t e.

De nationalité brésilienne, il a d’ab o rd étudié dans sonp ays. Puis il a poursuivi ses études à Pa r i s, où il obtient und o c t o rat d’Etat à la Sorbonne. Po lyglote — il parlaitc o u ramment le portugais, l’espagnol, le français et l’a n gl a i s —S e rgio Vi e i ra de Mello a entamé sa carrière aux Nat i o n sUnies en 1969, en tant qu’a ssistant de rédaction au HCR.

P ra g m at i q u e, discret, citoyen du monde end é veloppement, d’une élégance nat u relle grâce à laquelle ilétait tout au ssi à l’a i se dans un camp de réfugiés que dans lesh autes sphères de la politique, Sergio Vi e i ra de Mello a se rv ile HCR dans dive rs points chauds du monde. En 199 6, il estnommé Haut Co m m i ss a i re assistant du HCR.

En 199 8, Sergio Vi e i ra de Mello se rend à New York entant que Co o rd i n ateur des Nations Unies pour les aff a i re shu m a n i t a i res et les se c o u rs d’u rg e n c e. Re p r é sentant spécialdu Secrétaire général Ko fi Annan, il prend part au xo p é rations de rétab l i ssement de la paix au Ko s o vo, puis au

Timor oriental (au j o u rd ’hui le Ti m o r - Leste), où il guide lep ays sur la voie de l’indépendance, sans doute sa plus gra n d er é u ss i t e.

En se p t e m b re 2002, il est nommé au poste de Hau tCo m m i ss a i re des Nations Unies aux droits de l’homme maisil doit s’ab se n t e r, pour une mission de quat re mois, en tantque Re p r é sentant spécial du Secrétaire Général des Nat i o n sUnies en Ira q.

S e rgio Vi e i ra de Mello avait pre ssenti le danger : “Le sNations Unies sont vu l n é rables car nous sommes exposés àquiconque tentera de nous pre n d re pour cible”, ava i t - t - i lrécemment déclaré au Co n seil de sécurité des Nat i o n sUn i e s, juste avant de retourner au Moye n - O r i e n t .

“Trop souvent, ce sont les meilleurs qui sont envoyés dansdes lieux synonymes de tous les défis et tous les dangers”, adéclaré le Haut Co m m i ss a i re Ruud Lu bb e rs à l’annonce dudécès de Sergio Vi e i ra de Mello. “Mais Sergio a payé sonengagement au prix de sa vie. C’était un vrai gentleman… quise battait pour la défense des droits de l’homme et la dignitédes opprimés.”

Le Secrétaire général Ko fi Annan a déclaré : “Ladisparition de Sergio Vi e i ra de Mello constitue un coup durpour les Nations Unies et pour moi-même. La mort d’u ncollègue est difficile à accepter, mais je ne peux penser àp e rsonne d’au t re dont la disparition manquera autant au xNations Unies que celle de Serg i o.”

L’ancienne ambassadrice des Etat s -Unis auprès de l’O N U,Nancy Soderberg, résume ainsi la fin brutale d’u n eé b l o u i ssante carrière coupée court par une attaque à lab o m b e : “Il s’e n t retenait avec les ro i s, les diplomates et lesr é fugiés avec le même enthousiasme et le même re s p e c t .”

Sergio Vieira de Mello15 mars 1948 – 19 août 2003

Bref moment de détente pour Sergio Vieira de Mello (à droite)et le Président du Timor-Leste Xanana Gusmao, lors du processusd’indépendance.