projet piscicole de guinée forestière réflexions sur un...

25
Association Française Association Pisciculture des Volontaires du Progrès et Développement Rural en Afrique tropicale humide - France Projet Piscicole de Guinée Forestière Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER Décembre 2007 Mission de mai 2005 à octobre 2007

Upload: lynhan

Post on 18-Dec-2018

234 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Association Française Association Pisciculture des Volontaires du Progrès et Développement Rural en Afrique tropicale humide - France

Projet Piscicole de Guinée Forestière Réflexions sur un projet durable

Sylvain HALFTERMEYER Décembre 2007

Mission de mai 2005 à octobre 2007

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

2

Remerciements Je tiens à remercier chaleureusement tous les pisciculteurs pour leur accueil, leur hospitalité et leur bonne humeur, ainsi que pour les nombreux échanges enrichissants tant sur la pisciculture que sur les cultures forestières autour de pots de vin de raphia. Un remerciement tout particulier à Cécé Moïse THEA, qui m'a tant appris sur la pisciculture et la Guinée. Merci pour ta patience et tes explications techniques, ainsi que tes apports en guerzé. Et encore merci pour ces moments partagés en village, à N'Zérékoré ou dans ta famille. Ma mission n'aurait pas été aussi enrichissante sans cette équipe projet soudée et professionnelle. Les missions en village comme les échanges non professionnels furent autant de moments mémorables et intéressants. Merci donc à Cécé Henri HABA, Mathias KALIVOGUI, Foromo KOIBAMY, Antoine Tamba LENO et Gbamon THEA. Je tiens également à saluer la mémoire de Gaston THEA, qui nous a quitté en novembre 2007. Un grand merci à Mohamed Bob DIABY, Adjoint au Chef de Projet, avec qui ne n'ai pas souvent travaillé directement mais qui m'a fait bénéficier de son expérience et de sa mémoire du projet. Merci à Mmes Djéné DIANE et Odette SAOROMOU pour leur gentillesse et leur disponibilité. Merci également à Chrissante LAMAH et Mouctar DIALLO, avec qui les déplacements en village étaient toujours un plaisir, ainsi qu'à Eugène, Mohamed et Zaoro pour leur travail au siège. J'ai tout particulièrement apprécié de travailler avec Caroline RICOUART en tant que chef de projet, avec qui les relations, plus que professionnelles, étaient à la fois respectueuses et ouvertes. Merci de la confiance que tu m'as accordée. Merci également à Carine ESCULIER puis Virginie BARTHES, mes camarades volontaires, avec qui cela a été un grand plaisir de partager cette expérience. Enfin, un grand merci à Marc Oswald, pour son appui et son expertise en pisciculture et en développement agricole, qui m'a accompagné et conseillé à quelques reprises au cours de ma mission, en Guinée comme en France. Je remercie également M. Ibrahima KOIVOGUI ainsi que tous les membres du BED/AFVP.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

3

TABLE DES MATIERES INTRODUCTION..........................................................................................................................................4 Présentation générale du projet ......................................................................................................................5 Positionnement au sein du projet....................................................................................................................7 Ma mission au sein du PPGF .........................................................................................................................7

Ce qui l'a facilitée......................................................................................................................................7 Le cadre professionnel .........................................................................................................................7 L'accueil dans les villages. ...................................................................................................................8 La vie à N'Zérékoré..............................................................................................................................8

Ce qui était plus difficile ...........................................................................................................................8 Les problèmes « d'ajustement culturel » ..............................................................................................8 Les biais dans les relations sociales .....................................................................................................9 Le manque d'infrastructures .................................................................................................................9

Réflexion sur l'action du projet ....................................................................................................................11 Ce qui a marché.......................................................................................................................................11

La clé : l'absence de subventions... ....................................................................................................11 ...mais à une condition : un modèle technique rentable et adapté ......................................................11

Difficultés sur le terrain...........................................................................................................................15 Certains groupes peu dynamiques......................................................................................................15 Un modèle technique complexe.........................................................................................................15 La position sociale des animateurs.....................................................................................................16 L'accaparement des compétences par certains membres du groupe...................................................16 L’appui aux zones expérimentées ......................................................................................................16 La « concurrence » au développement...............................................................................................17 Les zones de Guéckédou....................................................................................................................18

Les choses à améliorer dans les futurs projets ........................................................................................19 Approfondir le travail sur la pérennité des compétences locales .......................................................19 Continuer de travailler sur la structuration de la profession par la base ............................................19 Améliorer la disponibilité des cages ..................................................................................................20 Appuyer spécifiquement les femmes .................................................................................................21

CONCLUSION ............................................................................................................................................22 ANNEXE : Critères de qualité de bons aménagements et de bonne gestion des étangs..............................23

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

4

INTRODUCTION Depuis des décennies, les projets de développement agricole dans les pays du sud se sont succédés, par dizaines voire centaines dans certains pays, mais force est de constater que nombre d'entre eux, à une échelle de temps dépassant l'intervention elle-même, n'ont pas atteint les objectifs fixés au départ : bénéficiaires limités et absence de diffusion des techniques par la suite, aménagements abandonnés, structures associatives non fonctionnelles ou récupérées à d'autres fins... De grosses sommes dépensées pour des résultats très mitigés. Pour autant, le PPGF, à l'instar de son "projet père" en Côte d'Ivoire, est en passe de démontrer qu'il est possible de réaliser un projet de développement efficace et durable dans un pays pauvre et en conditions paysannes. Si l'histoire sera le véritable témoin objectif de cette réussite, des éléments présents nous permettent d'ores et déjà d'imaginer une pisciculture ancrée à long terme en Guinée Forestière, alors qu'elle n'existait qu'à l'état embryonnaire et peu rentable avant l'arrivée du projet. Le Projet Piscicole de Guinée Forestière a démarré à la fin 1999. Loin d'être improvisé, il est issu d'une longue expérience de l'AFVP en Côte d'Ivoire depuis le début des années 90, ayant permis, à force d'expérimentations, de proposer un modèle considéré comme rentable et durable dans les bas-fonds du centre-ouest ivoirien. L'APDRA-F, créée par d'anciens volontaires de Côte d'Ivoire (Projet Piscicole Centre-Ouest), s'est donc largement inspirée des succès ivoiriens pour proposer en Guinée un projet a priori adapté aux conditions locales. Néanmoins, si après 8 ans de projet l'architecture générale d'intervention reste la même, certaines choses ont évolué, de nouvelles idées et matériels ont été testés, le message a été adapté régulièrement sur la base des évolutions sur le terrain, et l'expérience locale accumulée permet aujourd'hui de proposer des orientations plus précises pour d'éventuels nouveaux projets de pisciculture et de proposer des réponses aux questions suivantes, plus générales : comment proposer un projet de développement réellement durable? Quels pièges éviter? Quelles nouvelles pistes explorer? Je tenterai dans ce rapport d'analyser brièvement mon expérience de volontaire au sein d'une structure dite « classique » (une équipe projet indépendante) et les raisons du succès de terrain du PPGF, succès principalement dû à une réflexion constructive en amont et continue au cours du projet. Cette réflexion, loin d'être exhaustive, propose quelques pistes de réflexions sur le développement agricole en se basant sur l'expérience de terrain du PPGF.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

5

Présentation générale du projet Le PPGF s'est déroulé de manière plus ou moins chaotique, en raison de la situation relativement instable du pays et surtout d'une interruption des financements de l'AFD pendant 1 an 1/2, qui a obligé l'équipe et l'AFVP à démarcher activement de nombreux bailleurs pour garantir une intervention minimale pendant la période concernée. Globalement, le projet a connu les phases suivantes :

�Novembre 1999 - Début 2002 : Phase pilote (8 villages)

�Premier semestre 2002 : Phase de transition

�Novembre 2002 - janvier 2004 : Phase II - Développement (24 villages)

�Janvier 2004 - octobre 2005 : Phase "intermédiaire" (financements variés)

�Septembre 2005 - juin 2008 (prévision) : Phase III - Pérennisation La phase pilote a permis de démontrer, dans un premier temps et dans quelques villages, la pertinence du modèle proposé, qui au départ ne convainquait pas entièrement les différents partenaires. Ensuite, l'objectif de la phase de développement était de multiplier le nombre de villages appuyés et le nombre de pisciculteurs installés sur l'ensemble de la région forestière. Cette phase a malheureusement été tronquée par l'interruption des financements de l'AFD début 2004. L'année et demi qui a suivi a vu l'appui continuer grâce à de petites subventions (SCAC, USAID, CCFD, GTZ) mais dans des conditions non idéales. Faute d'appui de qualité, la dynamique d'installation, sans complètement s'arrêter, a été freinée durant cette période. Enfin, la phase III ne prévoit pas de nouveaux villages à appuyer, l'objectif essentiel est d'assurer le maintien de compétences locales de qualité après le départ du projet, que ce soit pour les aménagements ou pour l'élevage de poissons. Un programme spécifique pour les villages dits "expérimentés" (les premiers villages appuyés par le projet dès 2000) a notamment été lancé durant cette phase. L'équipe projet a depuis le départ été composée de 3 éléments :

�Les animateurs techniques, formés au sein du projet aux différentes techniques et chargés de permettre aux candidats à la pisciculture de mettre en place des étangs piscicoles de qualité, de les valoriser correctement et d'échanger leurs compétences au sein des villages.

�L'équipe de coordination, qui assure la gestion du projet, les formations, la bonne diffusion des connaissances, le suivi-évaluation... Depuis la phase II, elle est divisée en deux « pôles » : suivi-évaluation et suivi technique/formation/innovations.

�La comptabilité, les chauffeurs et les gardiens. Fin 2007, l'équipe comptait 1 chef de projet, 1 chef adjoint (cadre de l'administration), 1 cadre technique, 1 volontaire, 5 animateurs et 1 animatrice, 1 contractuel spécifiquement chargé de la mesure des surfaces d'étangs et du suivi de certaines productions, 2 assistantes comptables, 2 chauffeurs et 3 gardiens.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

6

Equipe du PPGF – Juillet 2006

Les animateurs se déplacent dans les villages au rythme d'une semaine par mois et par village, du lundi au vendredi, et travaillent toute la semaine avec les pisciculteurs en fonction d'un programme prédéfini avec eux (études de sites, préparations de travaux, opérations piscicoles...). Ils travaillent également avec les pisciculteurs autour de leur organisation de groupe, de l'acquisition de matériel, de transmission des connaissances, des échanges de poissons... La coordination se déplace chaque semaine (généralement un ou deux membres) sur un ou plusieurs de ces villages afin d'appuyer le travail des animateurs et de constater par elle-même l'avancée des travaux. Chaque lundi matin se tient une réunion de bilan/programmation, permettant de faire le point sur le travail de toute l'équipe lors de la semaine précédente et sur la programmation pour la semaine à venir. L'appui du projet repose sur trois grands principes de base :

�Pas de subventions accordées aux candidats à la pisciculture

�Appui conditionné à la présence d'un groupe effectif de candidats/pisciculteurs

�Aménagement adapté à la situation du candidat (bas-fond, capacité financière) Par ailleurs, les techniques ont été élaborées pour répondre aux critères suivants :

�Modèle de production extensif (indépendance vis-à-vis d'intrants extérieurs), potentiellement intensifiable.

�Production autonome d'alevins.

�Valorisation optimisée grâce à la polyculture.

�Indépendance des groupes vis-à-vis de l'extérieur (matériels, poissons, compétences).

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

7

Positionnement au sein du projet En tant que volontaire, j'ai travaillé en binôme avec Cécé Moïse THEA, Cadre Technique au sein du pôle suivi technique-formation. L'essentiel de notre travail a tourné autour des thèmes suivants :

�Suivi technique des pisciculteurs et animateurs lors des missions de terrain : conseils techniques (aménagements, élevage de poissons).

�Production d'outils d'animation et de formation (fiches techniques, fiches de suivi de production...).

�Préparation et animation de formations pour les animateurs.

�Préparation et animation d'une formation spécifique pour des ONGs locales.

�Organisation de formations de menuisiers pour la confection de coffrages de systèmes de vidange.

�Préparation et suivi d'études techniques : essais rizicoles en étangs avec l'Institut de Recherche Agronomique de Guinée, étude sur les risques de crues (stagiaire hydrologue), suivi de croissance de poissons, suivis de productions.

�Suivi des effectifs et des surfaces des pisciculteurs.

�Rédactions de rapports techniques, participation à la rédaction des rapports annuels.

Mon travail était partagé entre le terrain (1 à 3 sorties par semaine) et le bureau pour la saisie des données de terrain, la préparation des formations, etc. Les missions nécessitaient parfois de dormir au village, mais cela a été relativement rare, la plupart de mes déplacements se faisant dans la journée.

Sans avoir de relations directement hiérarchiques avec l'équipe d'animateurs, ma position était relativement ambiguë à ce niveau, partagée entre un rôle d'appui et d'aide à la réflexion et de relais de la chef de projet. Cette ambiguïté était renforcée lors des absences de la chef de projet et de son adjoint, pendant lesquelles j'étais désigné responsable de la bonne marche de l'équipe. Nos relations de travail ont toutefois été, la plupart du temps, plus basées sur des échanges constructifs que sur la transmission de directives venant d'en haut.

Ma mission au sein du PPGF

Ce qui l'a facilitée

Le cadre professionnel

Deux éléments ont été pour moi favorables à la bonne réalisation de ma mission. D'une part, la structure projet, avec un supérieur hiérarchique sur place et des tâches clairement définies, m'a permis de travailler dans des conditions professionnellement idéales. J'ai également pu apprendre sur le tas les différentes techniques d'aménagement et piscicoles au fur et à mesure des missions grâce à l'expérience des collègues techniciens. Les discussions formelles ou informelles avec Cécé Moïse THEA ont pris une grande part dans mon apprentissage. D'autre part, l'APDRA-F en tant que référent technique en France : ses membres expérimentés, ayant pour certains déjà travaillé en Guinée ou en Côte d'Ivoire, ont apporté une réflexion extérieure et un recul importants pour la bonne marche du projet, et ont largement participé à ma formation continue lors de leurs missions en Guinée ou de nos contacts en France. Dans ce contexte, avec une équipe structurée et des compétences à la fois locales et en France, je n'ai ressenti qu'un besoin limité d'appui professionnel de la part de l'AFVP. L'appui de la délégation à ma mission s'est donc limité à quelques rencontres et discussions au cours des deux ans et demi. Nos autres contacts, plus ponctuels, concernaient davantage les missions de l'AFVP en tant que maître d'œuvre du projet (recherche de matériel spécifique en capitale par exemple) ou les aspects purement administratifs de mon séjour en Guinée. Néanmoins, les bilans effectués en cours de mission n'ont pas été inutiles, m'ayant permis de prendre du recul sur mes activités et mes relations professionnelles au sein du projet.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

8

Petit détail non négligeable : la connexion Internet au bureau, au-delà de l'intérêt professionnel, était un très bon moyen de garder facilement le contact avec l'extérieur (mails, blog, informations).

L'accueil dans les villages.

A quelques exceptions près, les missions de terrain étaient toujours extrêmement riches de contacts et d'échanges avec les pisciculteurs dans les villages appuyés. L'hospitalité y est grande et les échanges se faisaient souvent dans une ambiance détendue et respectueuse. D'autre part, un apprentissage minimum de la langue est à mon sens un effort important, qui accentue la proximité et la confiance. Pour ma part, la connaissance des salutations, de quelques formules de politesse et des chiffres de base ont indéniablement été un plus durant ma mission.

Groupe des pisciculteurs de Galaye

La vie à N'Zérékoré

Pour avoir vécu dans une capitale à l'étranger auparavant, j'appréhendais un peu la vie dans une ville apparemment isolée. Dans les faits, N'Zérékoré propose un cadre de vie tout à fait agréable : des restaurants « à l'européenne », des bars, des petites supérettes, une piscine, du sport, et surtout une petite communauté d'expatriés européens et africains. Plusieurs structures dépendant des Nations Unies (Haut Commissariat aux Réfugiés, Programme Alimentaire Mondiale) et autres ONG (Médecins sans Frontières, International Rescue Committee, Action Contre la Faim) travaillent effectivement à N'Zérékoré avec les réfugiés libériens et ivoiriens, d'autres comme la Croix Rouge Internationale dans le domaine de la santé publique ou des conditions de détention. Pour ma part, pouvoir partager mon temps libre entre guinéens et expatriés m'a aidé à conserver un certain équilibre de vie, sans me sentir trop éloigné de mes habitudes et besoins d'Européen tout en partageant et découvrant une culture et un mode de vie différents. D'autre part, la région forestière offre quelques attraits touristiques intéressants (montagnes, ponts de lianes, chimpanzés, éléphants, etc.) permettant de régulièrement effectuer des sorties hors de la ville. Une autre facilité non négligeable est la possibilité de voyager gratuitement à Conakry, notamment en cas de problème de santé, via l'avion du Programme Alimentaire Mondial, que l'AFVP a l'autorisation d'emprunter (les volontaires n'étant pas prioritaires, la disponibilité des places n'était pas garantie à tout moment). Par la route, le trajet dure normalement entre 16 et 20 heures.

Ce qui était plus difficile

Les problèmes « d'ajustement culturel »

Quelque soit sa bonne volonté ou ses bonnes relations avec son entourage professionnel ou personnel, il n'est pas toujours facile d'être un expatrié. Je l'avais découvert au Vietnam, je l'ai retrouvé en Guinée : nous vivons tous avec une « grille de lecture » culturelle et morale particulière, que nous partageons généralement avec nos compatriotes mais qui est sensiblement différente dans un pays

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

9

étranger. Ainsi, certaines choses qui nous paraissent normales peuvent choquer dans d'autres cultures, et inversement. Nous avons une certaine logique, une certaine approche des problèmes et du travail qui ne sont pas forcément comprises. En travaillant à l'étranger, la grande difficulté est d'à la fois tout faire pour comprendre la culture de nos amis, collègues ou partenaires locaux et de s'y adapter, mais également de prendre du recul par rapport à nos propres réflexes culturels, qui peuvent s'avérer parfois source de conflit ou d'incompréhension. Dans des moments particuliers de fatigue ou de stress, il est parfois difficile de conserver une certaine distance vis à vis des différences culturelles, ce qui peut amener à perdre facilement patience. Pourquoi ne comprend-il pas? Pourquoi ce que je dis n'est pas appliqué? Pourquoi dois-je toujours répéter la même chose? Même si l'on est en droit d'attendre un minimum d'efforts de compréhension de la part de son interlocuteur, on oublie parfois que l'on est à l'étranger et qu'il est souvent nécessaire de « changer de grille » et de chercher d'autres approches plus adaptées pour se faire comprendre. Mais ces efforts, s'il sont relativement spontanés la plupart du temps, n'en consomment pas moins beaucoup d'énergie, et il n'est pas rare, surtout au bout d'un certain temps sans retour en France, de ressentir un certain découragement, une certaine fatigue qui peuvent mettre à mal son efficacité professionnelle. J'ai ressenti cette fatigue à quelques reprises au cours de ma mission.

Les biais dans les relations sociales

Dans le même ordre d'idée, il m'a été souvent difficile d'avoir des relations entièrement ouvertes et à un pied d'égalité avec des Guinéens. Passées les incompréhensions culturelles, souvent plus dans la forme que dans le fond, mes relations avec mes collègues étaient relativement saines. En revanche, il n'était pas rare de rencontrer quelqu'un qui m'affirmait, par exemple, que les Blancs étaient plus intelligents que les Noirs. Ou qui avait à mon égard une réaction de défiance. Ou qui m'approchait comme un guichet à qui il pouvait tout demander, sur la base de notre longue amitié « réciproque » datant... du jour même. Au bout d'un certain temps, une sorte de réflexe de méfiance a priori, assez malsain, se met en place, protection contre d'éventuels « parasites » de ce type. A chaque nouvelle rencontre, j'avais tendance à placer une distance minimale face à mon interlocuteur, distance souvent injustifiée.

Le manque d'infrastructures

Compte-tenu du manque d'infrastructures et plus généralement de moyens au niveau national, il devient souvent complexe de résoudre les problèmes logistiques auxquels on est confronté. La réparation d'un véhicule ou d'un appareil électronique peut prendre plusieurs semaines dans certains cas. Trouver un technicien réellement compétent relève parfois du miracle, et les prestations sont souvent davantage du bricolage faute de réelles connaissances ou de pièces détachées correctes disponibles. Ce qui, en France, apparaît comme un problème bénin peut devenir en Guinée un véritable casse-tête, extrêmement chronophage. Un exemple : un ordinateur portable, courant moi d'août, s'est retrouvé bloqué, avec une certaines quantité de données à l'intérieur. Après de multiples démarches, d'abord internes, puis auprès de personnes ressources locales, souvent difficiles à joindre, il a fallu le faire réparer à Conakry. Le processus a duré... trois mois, pour quelques heures de réparation réelle. Autre difficulté ayant posé des problèmes dans les périodes d'urgence, le réseau téléphonique défaillant. Dans les dernières semaines de ma mission, il fallait compter souvent une dizaine d'essais avant de pouvoir joindre son correspondant. Fort heureusement, la connexion Internet permettait souvent de palier à ce problème récurrent. Enfin, la qualité des pistes rendait souvent difficile l'accès aux villages, en particulier pendant la saison des pluies, ce qui rendait les missions de terrain souvent fatigantes. Par exemple, le trajet pour Guéckédou pouvait durer entre 4 à 5 heures.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

10

Camions embourbés sur la route nationale

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

11

Réflexion sur l'action du projet Après huit ans d'action sur le terrain, le PPGF a eu sans aucun doute une action positive en terme de développement : plus de 200 pisciculteurs élèvent du poisson fin 2007 et près d'une centaine sont en cours de construction, le tout sans aucun don financier ou de matériel. Quels éléments ont permis ce succès? Quelles approches n'ont pas fonctionné ou pourraient être améliorées? Que pourrait-on proposer pour que d'éventuels futurs projets équivalents soient plus efficaces à l'avenir? Les paragraphes suivants reviennent succinctement sur les principaux points qui, selon moi, ont contribué au succès du projet ou pourraient faire l'objet d'une réflexion supplémentaire.

Ce qui a marché

La clé : l'absence de subventions...

Un des points essentiels de l'action du PPGF est de ne financer aucun aménagement : tous les investissements pour l'aménagement des étangs ont été réalisés par les pisciculteurs eux-mêmes, sans contrainte de type de financement : propre, emprunts auprès de la famille, tontines, crédits, etc. Le PPGF a prouvé qu'en investissant uniquement sur la formation et l'animation, il est possible de faire du développement de qualité. La dynamique d'installation, qui malgré les multiples difficultés du projet ne s'est jamais arrêtée, ainsi que les multiples demandes d'appui exprimés par de nombreux autres villages encore aujourd'hui, sont les plus belles preuves de la pertinence de ce principe. A mon sens, aucun projet, quelqu'il soit, ne devrait l'ignorer, pour les raisons suivantes :

� Les bénéficiaires dit « opportunistes » sont moins nombreux.

� L'investissement sans projet permet au candidat de vraiment s'approprier son aménagement.

� Et, peut-être le plus important, d'autres personnes non bénéficiaires du projet ne sont pas a priori découragées par l'activité en considérant que seul un projet peut les aider à se lancer dans l'activité. Si des centaines de personnes ont pu obtenir leurs étangs par leurs propres moyens et les rentabiliser en quelques années (voire quelques mois), n'importe quel agriculteur intéressé pourra se dire « pourquoi pas moi? ».

...mais à une condition : un modèle technique renta ble et adapté

Le principe de non subvention impliquant un risque financier supporté par le bénéficiaire (non négligeable dans le cas présent d'aménagements piscicoles), le projet doit être en mesure de lui proposer des solutions techniques rentables pour cet investissement, d'autant plus pour une activité nouvelle comme l'a été la pisciculture en Guinée Forestière. Ainsi, si de nombreux modèles de productions sont envisageables en théorie, les conditions locales (infrastructures, accès aux intrants, capacités financières, etc.) ont leurs propres contraintes. Il ne s'agit donc pas d'obliger le bénéficiaire à s'adapter à une méthode, mais bien de lui proposer une méthode adaptée à ses propres capacités. Dès le départ, le PPGF intervenait selon un modèle construit en Côte d'Ivoire et répondant a priori aux conditions locales :

� Production extensive de gros poissons : aucun intrant n'est nécessaire pour produire régulièrement du poisson de qualité. En dehors des zones urbaines, il est en effet très difficile de se procurer des fertilisants ou des aliments en quantité suffisante et à bas prix pour intensifier la production. L'élevage, si les autres conditions sont remplies (en terme de gestion et de surface notamment), peut être alors rentable sans apport extérieur, et donc sans dépendance du producteur vis-à-vis d'éventuels intrants. Dans ces conditions, les densités de poissons doivent être relativement faibles pour permettre une croissance individuelle suffisante. Pour produire suffisamment de poissons, il est donc nécessaire d'avoir des étangs de surface relativement grande : la quasi totalité des étangs aménagés sont des étangs-barrages d'une surface moyenne de 25 ares.

NB. : le climat tropical humide permet des rendements extensifs suffisants pour obtenir une rentabilité rapide des étangs piscicoles.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

12

Tilapias de 150 grammes

� Polyculture : plusieurs espèces de poissons, complémentaires au niveau de leurs régimes alimentaires, peuvent être élevées ensemble sans concurrence directe pour la nourriture, et augmenter la production totale de poissons. Ainsi, le Tilapia nilotica (Oreochromis niloticus), l'Hétérotis (Heterotis niloticus) et le Silure (Heterobranchus isopterus) peuvent grossir ensemble dans le même étang, dans certaines limites de densités respectives. Les espèces retenues pour cette pisciculture présentent des croissances intéressantes et/ou des facilités de reproduction.

Heterotis niloticus Heterobranchus isopterus

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

13

� Production autonome d'alevins : toujours dans le même but que le mode extensif, il est indispensable que les pisciculteurs soient en mesure de produire eux-mêmes les alevins nécessaires à leur élevage, pour éviter toute dépendance vis-à-vis de l'extérieur. A cet effet, pour chaque étang de production, un étang d'alevinage avec un cycle spécifique est prévu pour les Tilapias. La reproduction des Hétérotis, quant à elle, peut se faire dans les étangs de production. Le modèle est prévu pour une autonomie en alevins de Tilapias au sein d'une même exploitation, mais le principe du groupe permet de faciliter les échanges de poissons en cas de besoin d'un de ses membres. Dans le cas des Hétérotis, une bonne gestion de groupe, avec des pisciculteurs spécialisés dans la production d'alevins et d'autres dans le grossissement, permet l'autonomie du village.

Alevins et jeunes Tilapias

� Travail avec des groupes L'appui du PPGF auprès d'un village a toujours été conditionné à la constitution d'un groupe de candidats, qui s'engagent à travailler ensemble, assister aux formations, s'organiser pour la gestion du matériel et des échanges de poissons... Si tous les groupes n'ont pas forcément répondu correctement à cette exigence, les villages ayant vu l'activité se développer le mieux sont ceux avec les groupes les plus soudés et les mieux organisés. Plusieurs avantages du groupe se sont concrétisés sur le terrain : travaux de construction en groupe d'entraide, achat de matériel en commun (coffrages de systèmes de vidange, filet ou cages), échanges de poissons, partage d'expériences, organisation des pêches en commun, tenue de comptes transparents... L'exemple de Guèla est, à ce titre, exemplaire : après un an et demi d'appui, le village comptait plus de pisciculteurs que certaines anciennes zones, qui pourtant avaient bénéficié de plus de 5 ans d'appui mais dont le groupe était justement mal organisé voire inexistant. A l'inverse, des pisciculteurs isolés, s'étant au début rapprochés d'un groupe simplement pour bénéficier de l'animateur pour préparer leur aménagement, ont aujourd'hui des difficultés pour le rentabiliser, faute de contacts réguliers avec d'autres pisciculteurs.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

14

Groupe d'entraide du groupe de pisciculteurs de Söwöta

� Matériel adapté et reproductible La pisciculture proposée par le PPGF nécessite l'utilisation de matériel spécifique, en particulier les systèmes de vidange en béton, permettant de vider les étangs à tout moment et d'en contrôler le niveau d'eau. Pour minimiser les coûts de construction de ces ouvrages, l'APDRA-F a développé un système de coffrages en bois réutilisables et, plus important, réparables et constructibles directement en village à moindre coût à l'échelle d'un groupe. Des menuisiers ont été formés à plusieurs reprises au cours du projet, afin de conserver des compétences locales à la fin de l'appui. Le coût d'un jeu de coffrages étant relativement élevé pour un seul pisciculteur (d'autant qu'il va ne l'utiliser que quelques fois pour lui-même), la solution de l'achat en groupe prévaut dans la plupart des cas.

Double coffrage de moine* – Groupe de Nyéma Sud

*Le coffrage "classique" proposé par le PPGF a une hauteur de 75 cm. Ce coffrage de 1,5 m est une initiative du groupe de Nyéma Sud, et permet de construire plus rapidement les moines. En revanche, il est plus lourd, et donc plus contraignant à transporter sur les sites.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

15

Difficultés sur le terrain

Certains groupes peu dynamiques

Les dynamiques d'installation et de travail en groupe ont été plus ou moins intenses selon les villages. Dans certains cas (Kola, Kéléma, Gouécké par exemple), elles ont été rapidement freinées pour diverses raisons :

� Les premiers pisciculteurs sont des notables, intéressés par la mise en valeur de leur foncier mais peu enclins à travailler en groupe. Ils ont engagé de gros frais dans leur construction (notamment par le biais de main d’œuvre extérieure), les autres candidats potentiels sont au départ découragés, en pensant que l'activité ne peut être réalisée que par des nantis.

� Les premiers pisciculteurs, s'ils ont effectivement travaillé en entraide au départ, se sont vite désintéressés du principe de groupe ainsi qu'aux formations une fois leur aménagement terminé, et leurs productions médiocres ne permettent pas de convaincre le reste du village de l'intérêt de cette spéculation. Dans la plupart des villages, en effet, les investissements des premiers candidats étaient généralement considérés comme pure perte par le reste du village, jusqu'aux premières vidanges qui permettent de retourner l'opinion et d'élever l'intérêt de nouveaux candidats.

� Les zones urbaines sont généralement celle qui fonctionnent le moins bien. Les distances importantes entre chaque pisciculteur et leur multiples activités pas forcément agricoles font que le groupe fonctionne souvent assez mal, avec des producteurs travaillant indépendamment les uns des autres. Cette situation se retrouve à N'Zérékoré comme à Guéckédou, mais également dans la sous-préfecture de Gouécké. A N'Zérékoré, le groupe de départ s'est finalement scindé en trois sous-groupes, dont un seul aujourd'hui est réellement fonctionnel, et ce n'est pas un hasard, centré sur un village proche de la ville. Deux des trois pisciculteurs citadins participent moins aux activités de formations, qui se déroulent le plus souvent dans le village en question.

Un modèle technique complexe

Si les techniques d'aménagement et piscicoles proposées aux pisciculteurs ont prouvé leur pertinence dans les conditions locales, elles n'en sont pas moins nombreuses et, pour certaines, délicates à transmettre aux pisciculteurs. On peut considérer aujourd'hui que les grandes lignes du modèle sont assimilées : utilisation de système de vidange, principe de la polyculture, utilisation de l'Hémichromis en contrôle des alevins de Tilapias, intérêt du sexage... Ils sont peu nombreux à les remettre en question. En revanche, peu de pisciculteurs appliquent à la lettre toutes les préconisations. Dans le cas d'un groupe dynamique où les échanges entre membres sont réguliers, les lacunes d'un pisciculteur peuvent être compensées par les connaissances d'un autre. En revanche, dans certains groupes peu soudés et/ou peu nombreux, ou quand les pisciculteurs ne s'engagent pas suffisamment dans l'activité, des défauts importants au niveau des aménagements ou de gestion des poissons ont tendance à perdurer, malgré les efforts de l'animateur et de la coordination. Les techniques étant mal suivies, il en résulte des productions de poissons moins intéressantes que dans d'autres sites, ce qui peut avoir pour effet de décourager les pisciculteurs comme les autres éventuels candidats à l'activité. Bien sûr, dans ces cas précis, il est également légitime de se demander si l'appui proposé par le PPGF était totalement adapté, et s'il ne pouvait pas être amélioré. Pour relativiser les limites d'assimilation des techniques par les pisciculteurs, leur gros avantage est de permettre, même si les différentes étapes ne sont pas respectées à la lettre, de produire du poisson régulièrement, de qualité minimale (poissons de tailles moyenne à grande) et en quantité. Les quelques cas où les productions ont été vraiment faibles et ne s'améliorent pas en qualité et en quantité au fil du temps concernent vraiment des pisciculteurs ne s'investissant pas réellement dans l'activité. Dans ces cas de figure, la décision d'aménagement n'était peut-être pas entièrement liée à la volonté de produire du poisson, d'autres enjeux étaient peut-être en cause (social, foncier...).

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

16

La position sociale des animateurs

Le principe général de l'action du PPGF est bien d'impliquer au maximum les pisciculteurs dans leurs démarches d'apprentissage des techniques et la structuration de leurs groupes. A cette fin, l'animateur doit être avant tout, au delà de l'aspect de transmission des connaissances, un catalyseur, un facilitateur, et devrait pour chaque activité réalisée mettre en avant les compétences propres aux pisciculteurs et ne faire des formations que quand cela est strictement nécessaire. Sur le terrain, cet objectif est plus difficile à obtenir. D'une part, les animateurs, détenteurs de la connaissance technique à la base, sont en position de force par rapport aux pisciculteurs, et il n'est pas rare de voir dans certains villages des formations sur certaines compétences qui auraient dû être diffusées et maîtrisées depuis longtemps. Ensuite, plus difficilement mesurables, les relations sociales liées à l'ethnie ou plus spécifiquement à la famille constituent également un biais dans l'animation, qui n'est jamais totalement neutre (ne serait-ce que par rapport au logement de l'animateur au village, souvent octroyé par un pisciculteur avec qui il s'entend le mieux). De façon générale, les missions de suivi de la coordination dans les villages, outre l'appui à l'animateur (répéter ses messages permet de renforcer son propre discours), sont importantes pour accentuer la participation des pisciculteurs le cas échéant.

L'accaparement des compétences par certains membres du groupe

Dans certaines zones dites expérimentées, des pisciculteurs, installés depuis longtemps, ont accumulé une certaine expérience de l'activité et sont reconnus aujourd'hui pour leurs compétences et pour la rentabilité de leur investissement de départ. Ils sont devenus, en quelque sorte, des pisciculteurs de référence, et à ce titre sont particulièrement respectés et écoutés par leurs pairs. Ils sont, de fait, leaders au sein de la profession et particulièrement dans leur village. Dans le cas particulier de Gbötöye, deux anciens pisciculteurs sont dans cette position. Sans remettre en cause leurs compétences (l'un d'entre eux a d'ailleurs été formé par le projet en 2006 avec des techniciens d'ONGs locales), le premier est relativement absent des activités du groupe, et le deuxième utilise ses connaissances pour installer de nouveaux pisciculteurs lui-même (ce qui est positif), mais en contournant le groupe, en négligeant certains aspects qualitatifs de l'activité chez les nouveaux (étangs de services, empoissonnements de qualité) et en contribuant à diffuser l'idée que le groupe est autonome et n'a plus besoin de l'appui du projet (ce qui est potentiellement vrai mais nécessiterait un investissement de qualité plus important de sa part). Ainsi, l'animateur-formateur a depuis quelques mois des difficultés à travailler avec le groupe, dont la disponibilité et la mobilisation collective a beaucoup diminué lors de ses missions. Plus globalement, ce genre de pisciculteurs expérimentés et écoutés peut avoir une influence non négligeable sur le développement de l'activité au niveau de la préfecture, positivement (par l'installation autonome de nouveaux pisciculteurs, ce qui était également un des objectifs du projet) ou négativement par l'absence de contrôle de leurs activités ou diffusion de messages erronés (par exemple la négligence des trop-pleins). La position du projet est claire sur ce point : tout faire pour sensibiliser et responsabiliser l'ensemble des groupes à une gestion plus collective des installations et des compétences et à une transparence des activités de leurs membres. D'autre part, appuyer l'Association des Pisciculteurs de Guinée Forestière (APGF) pour qu'elle exerce un contrôle de ces activités extérieures aux villages appuyés par le PPGF.

L’appui aux zones expérimentées

La phase III du PPGF a vu la mise en place d’un appui spécifique aux groupes dits « expérimentés », à savoir les premières villages appuyés par le projet. L’objectif de ce nouveau volet est de permettre à ces groupes, à terme, d’être en mesure de prendre en charge eux-mêmes et dans de bonnes conditions le développement d’une pisciculture de qualité dans la région. Il s'agit donc de mettre à disposition des groupes concernés le maximum de compétences et de valoriser leurs connaissances déjà acquises. L’originalité de la démarche, qui reste aujourd’hui du domaine de la recherche-action, est de se focaliser non pas sur la formation de techniciens parmi les pisciculteurs, mais sur la formation du plus grand nombre de membres des groupes au contrôle de la qualité d’une bonne prestation. Ainsi, l’idée est que la profession soit en mesure de faire appliquer certaines normes de qualité à des techniciens plus ou moins compétents, qui sans contrôle auraient vite fait de proposer des aménagements de moindre qualité et/ou à des prix importants. Ces dérives ont déjà été constatées en Côte d’Ivoire comme en Guinée, et sont à l’origine de la réflexion sur une approche différente.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

17

Ainsi, l’essentiel du travail depuis le début de ce programme (début 2006) a été de réfléchir aux nouveaux outils et principes d’intervention dans les zones expérimentées. En particulier, des critères de qualité ont tout d’abord élaborés puis diffusés dans les villages concernés. Ces critères représentent les objectifs qualitatifs de chaque étape d’aménagement. Par exemple, le béton d’un système de vidange doit être très dur. Sans forcément connaître le dosage exact, un pisciculteur doit pouvoir repérer un système de vidange mal dosé au résultat sur le terrain. Durant les premiers mois, les difficultés ont été diverses :

� Dans l’application du programme : compréhension de la démarche, outils à imaginer, etc.

� Difficulté d’adaptation des deux animateurs à la nouvelle approche. Le plus problématique a été de les faire sortir de la démarche habituelle (un technicien réalise des prestations pour le groupe) pour adapter la nouvelle (le groupe « commande » des formations à un formateur), sachant que la démarche elle-même a mis du temps à trouver un rythme de croisière.

� L’organisation du travail des formateurs. Au départ, il était prévu que les animateurs/formateurs se déplacent dans les villages en fonction des besoins des groupes, et non plus une semaine par mois comme auparavant. Le nombre de zones étant de 7 pour deux formateurs, ce modèle a vite montré ses limites : soit les rendez-vous étaient pris ponctuellement mais, certains n’étant pas respectés, occasionnaient des allers-retours inutiles de l’animateur, soit certains groupes (et notamment Gbötöye) se disaient complètement indisponibles (alors que le rythme d’appui précédent était acquis et accepté). Après quelques mois approximatifs, dans le but d’optimiser la présence des formateurs en zone (et leur temps de travail général), l’ancien rythme « tournant »; sur la base de présence d'une semaine complète des animateurs en village, a été repris.

Après un an d’intervention auprès de ces groupes, un premier bilan peut être fait. D’une part, le principe des critères de qualité, sous la forme proposée (une page par étape, cf. Annexes) semble être bien accepté et compris par les pisciculteurs. Plusieurs pisciculteurs par groupe en maîtrisent quelques uns, mais subsiste encore la confusion entre connaissance des critères et compétences techniques (notamment pour les aspects topographiques). Les formations aux critères se sont elles aussi affinées au cours du temps : si le groupe n’est pas en mesure, par exemple, de réaliser une prospection, l’animateur la fera avec les pisciculteurs, mais en intégrant volontairement une ou deux erreurs, et faire en sorte ensuite que le groupe les repère et les corrige. En revanche, l’assimilation par les groupes de leur rôle de contrôle (et notamment l’organisation des contrôles des prestations) reste problématique. Si la plupart des pisciculteurs sont intéressés dans les formations, le projet a jusqu’à maintenant eu du mal à les inciter à se déplacer sur les sites, en l’absence du formateur, uniquement pour contrôler la qualité de telle ou telle étape d’aménagement. En l’état, plusieurs pisciculteurs sont donc plus à même de contrôler la qualité des opérations piscicoles, mais le contrôle en lui-même est souvent considéré comme une perte de temps, au sein d’un emploi du temps il est vrai souvent très chargé. A mon départ, la réflexion était en cours pour trouver des moyens d’inciter les pisciculteurs à s’impliquer davantage dans ces contrôles. Une proposition de contrat avait notamment été faite.

La « concurrence » au développement

L’approche du PPGF, toute pertinente qu’elle soit, a souvent un gros défaut aux yeux des bénéficiaires : contrairement à d’autres projets, le PPGF ne soutient pas financièrement les aménagements des pisciculteurs. Comme présenté auparavant, cette position a été tenue depuis le début de l’intervention, et a clairement évité au maximum l’inscription d’opportunistes à la démarche du projet. Pendant les premières années, les demandes d’appui financier ou matériel étaient récurrentes mais, sauf exception, ne constituaient pas un obstacle majeur à l’implantation de l’activité. La situation a évolué depuis l’arrivée de plusieurs autres projets de pisciculture. On citera en particulier le cas de l’AUDER (Acteurs Unis pour le Développement Rural), dont plusieurs techniciens ont bénéficié de la formation du PPGF début 2006 et qui en a profité pour lancer un programme de pisciculture sur ce modèle technique (point positif), mais en proposant de financer une partie des aménagements pour un nombre limité de bénéficiaires par village, le tout sur une courte période de deux ans. Le PPGF, n’approuvant pas cette démarche se fixant sur des objectifs quantitatifs plus que sur la qualité de l’appui, s’est désolidarisé de l’AUDER en mettant fin à la convention qui les liait. En revanche, il est confronté depuis lors à des reproches de « ses » propres pisciculteurs, qui revendiquent le droit de recevoir une aide équivalente à celle des pisciculteurs appuyés par l’AUDER.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

18

Dans certains cas, et même avec des producteurs ayant largement rentabilisé leur investissement, les relations avec le projet se sont relativement dégradées. Dans le cas précis de Gama Koni Koni, ancienne zone FAO frontalière à une village appuyé par l'AUDER, les pisciculteurs ont signifié directement au PPGF qu’ils ne souhaitaient pas travailler dans les conditions qu’il proposait. Le débat s’est de nouveau posé quand la représentation du Programme Alimentaire Mondial à N’Zérékoré a lancé un programme « Travail contre Nourriture » accessible aux pisciculteurs dans certaines conditions. L’AUDER a effectué une démarche à part pour ses propres pisciculteurs, qui ont bénéficié publiquement (information relayée par la radio locale) de dons de nourriture. A ce moment là, le PPGF (dont ni le mandat ni la philosophie ne permettaient d’appuyer une telle démarche) et le Conseil d’Administration de l’APGF (Association des Pisciculteurs de Guinée Forestière) ont été accusés de bloquer le dossier pour les pisciculteurs du PPGF, d’être « contre » les pisciculteurs. Ce n’est qu’au prix de nombreux efforts de communication et de séances de travail avec l'APGF que la situation a pu être débloquée. L'APGF a ainsi déposé une demande auprès du PAM pour les villages non appuyés par l'AUDER.. Au niveau de la profession, l’apparition au sein de l’APGF de nouveaux pisciculteurs appuyés différemment a contribué à cette amertume de certains pisciculteurs PPGF, regrettant de s’être engagés dans l’activité de cette manière. L’APGF, qui revendique la représentation de tous les pisciculteurs, a également parfois des difficultés de positionnement vis-à-vis de ses membres. Doit-elle appuyer tout le monde indifféremment ? Privilégier ses membres n’ayant pas bénéficié de subventions ? La position officielle de l’APGF est aujourd’hui d’accueillir tout pisciculteur se réclamant d’un groupe, quelque soit l’appui dont il bénéficie. Ce que redoute le PPGF est le risque d’opportunisme à outrance, qui éloignerait l’association d’un de ses buts de base : promouvoir une pisciculture de qualité.

Les zones de Guéckédou

Trois « villages » ont bénéficié de l'appui du PPGF dans la préfecture de Guéckédou : Guéckédou Lélé (quartier périphérique de la ville), Guèlo et Bongodaye. Les trois zones, situés à plusieurs heures de route de N'Zérékoré, étaient appuyées par un animateur basé à Guéckédou et revenant mensuellement à N'Zérékoré. Malheureusement, après plusieurs années d'intervention, les trois zones présentent des défauts récurrents qui font douter de la réelle durabilité de l'activité piscicole en leur sein : aucune production de qualité n'y a eu lieu depuis le début, les aménagements sont souvent de faible qualité (notamment avec un manque d'étangs d'alevinage) et très peu de nouveaux candidats se manifestent. Il n'est pas impossible, à moyen terme après le projet, que plusieurs pisciculteurs abandonnent leur aménagement faute de rentabilisation après quelques années. Cet échec pourra selon moi être attribué à deux grands facteurs :

� L'isolement de l'animateur et des zones, qui n'ont pu bénéficier d'autant d'appui de la coordination du projet durant toutes les années d'intervention. Au mieux, des missions mensuelles étaient organisées en 2003, mais leur fréquence a diminué les années suivantes (4 missions en 2006 par exemple). A mon sens, il aurait été nécessaire, dès le départ, d'affecter un volontaire permanent en appui technique à Guéckédou (comme cela était prévu d'ailleurs prévu dans certains documents de projet).

� Le profil moins « villageois » de l'animateur, impliquant des relations de travail plus hiérarchiques avec les pisciculteurs, ne favorisant pas l'efficacité des formations.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

19

Les choses à améliorer dans les futurs projets Si l’on tient compte globalement des résultats de terrain, en prenant en considération qu’aucune subvention n’a été distribuée depuis le début, il est possible d’affirmer sans détour que, dans l’ensemble, la démarche générale du projet était adaptée et peut être considérée, dans ses grandes lignes, comme une référence pour d’éventuels autres projets piscicoles en milieu paysan, avec bien sûr les indispensables adaptations aux conditions des autres pays potentiellement propices (conditions agro-climatiques, contexte social, ethnique et culturel, gestion du foncier, etc.). Toutefois, l’expérience accumulée durant 8 ans de projet permet aujourd’hui de proposer quelques pistes d’améliorations au modèle présent.

Approfondir le travail sur la pérennité des compéte nces locales

Si la transmission du savoir technique de qualité et sa pérennité après le départ du projet a dès le départ été une des grandes préoccupations de l’APDRA-F pour le PPGF, il est clair aujourd’hui que cet objectif n’a été que partiellement atteint. Il est tout à fait probable que, comme en Côte d’Ivoire aujourd’hui, le savoir se transmette dans les prochaines années avec une certaine dilution de la qualité. A mon sens, le travail entamé au sein des zones expérimentées, notamment au niveau des critères de qualité et de la prise en charge du contrôle de qualité par les groupes et la profession est intéressante et mérite d’aller de l’avant. Il est certain que d’ici la fin du PPGF tous les groupes ne seront pas en mesure d’effectuer un contrôle régulier et de qualité de l’ensemble des nouveaux aménagements et empoissonnements réalisés dans leur village ou en dehors, mais ils auront en tout cas à leur disposition les références de qualité, avec lesquelles ils auront travaillé régulièrement avec le formateur du projet, en commun et non pas seulement entre membres lettrés et techniquement plus avancés. En considérant un nouveau projet, étant donné le bon accueil du principe des critères de qualité, ceux-ci devraient être diffusés dans les villages dès l’ouverture, afin d’en imprégner dès le départ les candidats. Il L'idée serait de leur dire : « voici la qualité que nous recherchons et que vous pouvez atteindre ensemble ». D’autre part, il est nécessaire de continuer à explorer les voies d’organisation de la profession (au niveau des groupes comme de la faîtière) pour garantir la qualité de la pisciculture tout en contrôlant l’émergence incontournable de faux techniciens piscicoles, généralement peu soucieux de la qualité globale des aménagements qu’ils proposent, ou de l’appui aux techniques piscicoles. Pour conclure, le travail doit se faire à trois niveaux :

� Au niveau des villages, réfléchir aux moyens d’inciter les membres des groupes à garantir la qualité des aménagements dans leur territoire, en tenant compte au maximum de leur organisation, de leurs disponibilité, etc.

� Au niveau régional, inciter la faîtière à jouer davantage son rôle de représentation de l’ensemble de la profession et de garant de la qualité de l’activité.

� Au niveau du projet, réfléchir à la pertinence des outils actuels au niveau du projet (et notamment les fiches techniques élaborées en 2003-2004, qui rassemblent l’essentiel des informations techniques de la démarche mais ont été peu utilisées sur le terrain jusqu’à maintenant).

Continuer de travailler sur la structuration de la profession par la base

Si aujourd’hui l’Association des Pisciculteurs de Guinée Forestière parvient à organiser quelques services en faveur de ses membres (organisation d’Assemblées Générales, fourniture de matériel), ses orientations restent en grande majorité décidées directement par le Conseil d’Administration, qui ne tient pas forcément compte de l’avis de ses membres. Or, ces derniers reconnaissent le principe de l’association comme nécessaire, ne serait-ce que pour favoriser les échanges entre eux et les visites de terrain, mais ne mesurent pas toujours leur pouvoir potentiel au sein de la structure associative. Si ce type d’organisation n’est peut-être pas totalement adaptée aux réalités sociales locales (relation à la hiérarchie et aux lettrés notamment), les pisciculteurs y trouvent de l’intérêt mais ne s’y retrouvent pas totalement. En marge de l’appui classique à l’association, en majorité avec le Conseil d’Administration (CA) pour les organisations d’Assemblées Générales ou les conventions de

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

20

partenariats, l’ouverture de l’appui à la base, entamé notamment en invitant des pisciculteurs non membres du CA lors des dernières réunions au PPGF, doit se poursuivre. L’objectif est d’inciter les membres de base à réfléchir à leur position au sein de l’association et les sensibiliser sur le fait que le CA ne peut prendre de décision sans accord des membres.

Améliorer la disponibilité des cages

Les cages sont de petits filets permettant de stocker des poissons dans un étang pendant une courte période, par exemple pour trier des poissons sortis d'un étang d'alevinage. Ce type de matériel est très apprécié des pisciculteurs pour la souplesse qu’il apporte dans la gestion des poissons vivants lors des différentes opérations de pêche. Le PPGF propose des cages avec 3 tailles de mailles différentes :

� 14 mm pour les poissons de tailles moyenne à grosse.

� 6 mm, pour les gros alevins ou petits poissons.

� Filet moustiquaire, pour les alevins.

La limite des cages sous leur forme actuelle est que la matière première nécessaire à les fabriquer (des nappes de filet industriel) est difficile à trouver en Guinée (concernant les cages moustiquaires, il est plus facile de se procurer des moustiquaires ou du tissu fin en région forestière). D’autre part, il n’existe qu’une ou deux personnes actuellement à N’Zérékoré sachant monter ces cages. Un groupe de pisciculteurs souhaitant acquérir des cages neuves de 14 ou 6 mm n’a actuellement qu’une seule solution : s’adresser à l’APGF, qui dispose de nappes offertes par le PPGF, prend et livre les commandes lors des Assemblées Générales. La vente de ces cages est sensée permettre, à terme, de renouveler les nappes. A priori, le système peut fonctionner (plusieurs livraisons ont déjà été effectuées), mais des difficultés sont à prévoir, ne serait-ce que par l’approvisionnement en nappes, uniquement disponibles à Conakry. Considérant les difficultés actuelles à remplir ses engagements de fourniture des cages dans des délais relativement courts, il est probable que le renouvellement des nappes prendra un certain temps, durant lequel plusieurs vidanges auront lieu dans les villages et les besoins en cages ne pourront être satisfaits. D’autre part, le prix des cages (entre 40 et 60.000 FG, soit 6 à 10 euros) est assez élevé pour les groupes, qui en revendiquent régulièrement une baisse lors des Assemblées Générales. Afin de réduire cette dépendance des groupes vis-à-vis de l’extérieur, l’expérimentation de cages fabriquées localement devrait être tentée. Il existe en effet dans chaque village des fabricants de filets traditionnels en fibre de raphia ou en nylon, filets généralement utilisés pour la cueillette de café et pour les pêches. Ce savoir-faire pourrait être valorisé.

Sexage de Tilapias à l'aide de cages 6 mm

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

21

Appuyer spécifiquement les femmes

L’animation et les formations du PPGF auprès des pisciculteurs se fait traditionnellement d’homme à homme : des animateurs hommes s’adressent en grande majorité à des candidats ou pisciculteurs hommes, généralement propriétaires de la terre et s’étant approprié dès le départ l’activité piscicole, qui de fait est devenue une activité masculine. Les femmes, de façon générale, n’y sont que rarement associées en dehors de quelques opérations particulières (les pêches ou la vente du poisson), et participent peu aux formations octroyées par les animateurs. Le travail entamé par l’animatrice du PPGF, formée en 2006 et intervenant aujourd’hui dans quelques villages auprès des femmes (la plupart du temps des femmes de pisciculteurs) a démontré tout l’intérêt de travailler avec des femmes : loin d’être indifférentes à l’activité, elles sont extrêmement intéressées mais ne peuvent s’y investir, faute de terre, de temps ou d’autorisation de leur mari. Elles trouvent également difficile de s’impliquer dans les formations quand elles sont dispensées par un homme et à une assemblée majoritairement masculine. Or, l’implication des femmes dans une meilleure connaissance de l’activité a plusieurs avantages :

� Mieux informées, elle peuvent abonder dans le sens de l’investissement pour la pisciculture. Certains pisciculteurs ont été freinés ou bloqués dans leur aménagement en raison d’un refus de leur femme. En ouvrant les formations à toutes les femmes du villages intéressées (et pas seulement les femmes de candidats à la pisciculture), de nouveaux candidats peuvent également émerger.

� En cas d’absence ou d’indisponibilité de leur mari, les femmes de pisciculteurs peuvent le seconder dans certaines tâches (ouvrir le moine, faire le sexage, etc.). Il s’agit là d’ailleurs d’une remarque récurrente des femmes elles-mêmes, et des pisciculteurs ont reconnu qu'il y trouvaient personnellement un intérêt.

� Doubler la formation au sein de la famille constitue une meilleure garantie de durabilité des compétences. Il n’est pas rare de constater, au décès d’un pisciculteur (fort heureusement peu fréquent), que personne dans la famille n’est plus capable de gérer correctement les étangs piscicoles.

A mon sens, l’appui d’une animatrice auprès des femmes est donc absolument pertinent. Dans le cas du PPGF, il aurait été intéressant par exemple d’embaucher et de former plusieurs animatrices pour intervenir ponctuellement dans toutes les zones couvertes, en fonction des besoins et des demandes spécifiques des femmes. Ces formations pourraient a priori rester sous la forme actuelle : sans être aussi détaillées que les formations fournies aux pisciculteurs, elles pourraient concerner des opérations de base (construction de buses, sexage, manipulation du système de vidange…). Globalement, les femmes ont dans l'ensemble beaucoup moins de temps à consacrer à la pisciculture que les hommes, en raison d'un calendrier agricole très chargé toute l'année.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

22

CONCLUSION Le Projet Piscicole de Guinée Forestière est à mon sens un des rares projets à avoir démontré son efficacité en terme de durabilité d'une action de développement agricole. En proposant une approche technique adaptée et rentable tout en se reposant exclusivement sur les capacités d'investissement des agriculteurs locaux, il a réussi à introduire une activité jusque là quasi inexistante dans les campagnes de Guinée Forestière, le tout sur des bases saines, les pisciculteurs étant indépendants en terme de moyens de production. Si le PPGF se termine sur un évident succès, tant sur le nombre de pisciculteurs (qui aurait pu être plus grand sans les nombreux problèmes qu'ont rencontrés le projet et la Guinée) que sur la véritable émulation créée autour de l'activité, il faut cependant rappeler que ces résultats n'ont pu être acquis que grâce à un travail sur la durée. L'APDRA-F défend l'idée qu'un appui en pisciculture auprès de producteurs, pour être efficace, se doit d'être présent au moins 4 à 5 ans, et le PPGF a pu accompagner les pisciculteurs durant plus de 7 ans. Au delà de la pisciculture, cet accompagnement dans la durée fait malheureusement défaut à de nombreux projets, qui évoluent généralement 2 à 3 ans, avec des objectifs de durabilité souvent trop ambitieux. D'autre part, si la pisciculture proposée par le projet "fonctionne", c'est d'une part grâce à sa relativement longue période d'intervention, mais également grâce à un modèle technique éprouvé ayant nécessité près de 10 ans de tests en Côte d'Ivoire. Il serait toutefois malhonnête de proclamer que la profession est aujourd'hui parfaitement compétente, bien organisée et capable de prendre en charge totalement sont développement grâce à ce modèle. Cela reste une activité nouvelle pour la Guinée, et si l'association des pisciculteurs est capable de rendre des services à ses membres et certains pisciculteurs sont techniquement très aboutis, il est tout à fait probable que quelques-uns abandonneront partiellement ou totalement l'activité dans les prochaines années, faute de maîtrise suffisante de leur aménagement et/ou de pisciculteurs proches pouvant les appuyer directement. En France, rappelons nous que les agriculteurs bénéficient ou peuvent bénéficier d'un appui technique permanent et sur le long terme, via le réseau très dense de professionnels agricoles gravitant autour des exploitations (coopératives agricoles, centres de gestion, Chambres d'Agriculture...). Dès lors, comment espérer qu'une profession agricole s'approprie durablement une nouvelle pratique agricole et s'organise en l'espace de quelques années ? La question se pose d'autant plus dans un pays comme la Guinée, où le réseau professionnel agricole est nettement moins dense et généralement moins bien formé. Tout comme la profession agricole française est bien organisée et dispose de ses propres services de conseils techniques, la pisciculture en Guinée ne pourra se développer par elle-même à grande échelle et en qualité que si un réseau de professionnels compétents se met progressivement en place, les compétences actuelles (pisciculteurs, animateurs déjà formés, ONG et institutions) étant largement insuffisantes pour répondre à toutes les demandes potentielles. Le PPGF a initié une activité d'avenir en Guinée et a posé des bases de son développement. Dans l'idéal, ces bases devraient servir à la construction progressive de la profession et de ses services associés, et il est certain que quelques années ne suffiront pas pour faire émerger de véritables professionnels dédiés à l'appui et au développement de la pisciculture. Le plus important, toutefois, est que les pisciculteurs aujourd'hui installés continuent de produire du poisson, comme ils savent déjà le faire. Tant que les producteurs seront présents et reconnus, la pisciculture aura les moyens de se structurer et de se développer.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

23

ANNEXE : Critères de qualité de bons aménagements e t de bonne gestion des étangs. Etape 1 : connaître le site Objectif : dire si un site est potentiellement propice ou non à la pisciculture. Qu'est-ce qu'un site propice?

� Un cours d'eau maîtrisable débit moyen pas trop important, pouvant passer à tout moment par un système de vidange (gros ou petit)

� Des crues maîtrisables qui peuvent être bues par un trop-plein de dimension "normale" (quelques mètres) ; le site doit pouvoir accueillir un trop-plein (coteaux pas trop marqués)

� Pas de trop grosses contraintes foncières les limites foncières ne doivent pas, a priori, poser des problèmes d'aménagement

� Une dimension adaptée : pas trop petit (peu rentable ; ex : <10 ares). Il faut cependant relativiser : un petit étang fait seul coûte plus cher que fait à plusieurs.

Etape 2 : étudier précisément le site Objectif : répondre définitivement à la question "le site est-il aménageable?" Qu'est-ce qu'un site aménageable?

� Dénivelé suffisant au moins 135 cm à partir du point d'alimentation le plus haut

� Possibilités de vidange l'eau peut couler sans problème en dessous des points les plus bas (au moins 20 cm de différence de hauteur sur moins de 100 mètres de longueur)

� Possibilité de placer un ou plusieurs étangs de service : coteaux pas trop pentus, bras disponibles, largeur suffisante en aval, forme du bas-fond propice…

� Possibilité de négociations foncières (coteaux, amont, aval) : connaissance des voisins Etape 3 : choisir un projet d'aménagement Objectif : proposer un aménagement adapté au site et aux capacités du candidat, le plus rentable possible. Qu'est-ce qu'un aménagement adapté?

� Qui inonde le maximum de surface pour un coût minimum

� Dont les étangs sont facilement remplissables et vidangeables

� Qui prévoit un trop-plein pour tous les barrages et éventuellement les étangs de service

� Qui propose un barrage accompagné d'au moins un étang de service suffisamment grand (qui puisse produire suffisamment de mâles pour les besoins du barrage)

� Qui tient compte de la connaissance du cours d'eau (système de vidange gros ou petit), des crues (trop-plein d'au moins 2 m, supérieur si nécessaire, digues : largeur et revanche suffisante), du sol (digue plus large si sol sableux)

Etape 4 : Indiquer les travaux nécessaires à l'aménagement Objectif : repérer les positions des digues, des systèmes de vidange, des trop-pleins, des canaux, servir de référence pour les travaux d'aménagement. Qu'est-ce qu'une bonne préparation?

� Qui correspond au projet d'aménagement du candidat : il doit exister une référence du projet qu'on puisse comparer sur le terrain

� Qui indique clairement le positionnement et les dimensions des ouvrages sur le site

� Qui indique clairement les profondeurs de terre à creuser ou à remblayer

� Qui permette de vérifier si les travaux correspondent bien au projet de départ

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

24

Etape 5 : construire la digue Objectif : construire une digue de qualité qui respecte les normes Qu'est-ce qu'une digue de qualité?

� Qui correspond au projet d'aménagement

� Qui est parfaitement étanche dès l'embase

� Dont les pentes, surtout interne, sont correctes

� Construite avec de la bonne terre (pas de débris végétaux, pas de souche, pas de bois, pas de cailloux…)

� Dont la banquette est plane et horizontale Etape 6 : bien construire le système de vidange Objectif : dire si un système de vidange est de bonne qualité. La semelle

� Elle est plane et horizontale. Les dimensions sont de 1 mètre de côté, 25 cm de profondeur.

� Le béton est dur

� Les fers sont bien disposés

� Elle est bien ancrée dans le sol dur

� Elle est au niveau le plus bas de l'étang Les buses

� Le béton est très dur

� Les extrémités males et femelles sont bien marquées

� L'épaisseur des buses doit faire 2,5 cm partout, celle des couvercles au moins 3 cm

� La première buse est enfoncée de 6 cm dans la semelle

� L'eau coule normalement dans la chaîne de buse

� Pas de fuites dans la chaîne de buses

� La chaîne de buses dépasse la digue d'au moins 1 mètre Le moine

� Le béton est dur et lisse à l'intérieur

� Le premier étage doit être bien soudé à la semelle

� Les trois rainures laissent les planches glisser aisément et leur permettent de bloquer l'eau

� La distance entre le fond du moine et la première rainure est d'au moins 14 cm Etape 7 : Construire le Trop-Plein Objectif : empêcher l’eau de couler sur la digue pendant une crue Qu'est-ce qu'un bon Trop-Plein ?

� Qui laisse passer entièrement une grosse crue sans que l’eau passe sur la digue.

� Qui a la même largeur partout.

� Qui a une forme en V.

� Dans lequel l’eau ne stagne pas.

� Qui est bien nettoyé.

� Dont les parois sont lisses et dures, où il n’y a pas de remblais.

� Dont la grille reste plus bas que le haut de digue.

Si l’on n’est pas sûr de la sécurité pendant les crues, on ne doit pas mettre de grille dans le Trop-Plein.

Projet Piscicole de Guinée Forestière – Réflexions sur un projet durable Sylvain HALFTERMEYER

25

Etape 8 : Construire le canal de contournement Objectif : Augmenter la capacité de production du barrage et faciliter le contrôle des poissons Qu'est-ce qu'un bon canal de contournement ?

� Qui laisse passer le débit normal de la rivière (en dehors des crues).

� Qui a une forme en V.

� Qui a la même largeur partout.

� Qui est bien nettoyé.

� Dans lequel l’eau ne stagne pas.

� Dont les parois sont lisses, étanches (cavalier) et dures.

� Qui garde un niveau d’eau un peu au dessus du niveau d’eau du barrage. Etape 9 : Valoriser l'étang de service Objectif : pouvoir empoissonner correctement le barrage en mâles de Tilapias Qu'est-ce qu'un étang de service bien valorisé ?

� Qui produit des Tilapias sexables (tailles supérieures à 2 doigts) au bout de 6 mois maximum.

� Qui produit assez de Tilapias mâles pour empoissonner le barrage

� Qui produit des alevins de même taille

� Qui permet de conserver les produits d'une pêche Etape 10 : Valoriser l'étang barrage Objectif : produire le plus gros poids de poissons de qualité dans le barrage Qu'est-ce qu'un barrage bien valorisé ?

� 1.Où il y a des Tilapias, des Hétérotis, des Silures et des Hémichromis

� 2.Où les Tilapias ont bien grossi au bout de 6 mois : 3 Tilapias au kilo

� 3.Où il n'y a pas de petits Tilapias à la vidange

� 4.Où il n'y a pas de petits poissons sauvages (Zillis) à la vidange

� 5.1 Où les Hétérotis ont bien grossi au bout de 6 mois : 1 Hétérotis peut faire 2 kilos ou

� 5.2 Où une boule d'alevins d'Hétérotis a pu survivre