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STC 177 STCEES 15 F bis Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DES SCIENCES ET DES TECHNOLOGIES LE GRAND NORD : NOUVEAUX DEFIS ET NOUVELLES OPPORTUNITES RAPPORT Osman Askin BAK (Turquie) Rapporteur, Sous-commission sur la sécurité énergétique et environnementale

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STC

177 STCEES 15 F bisOriginal : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION DES SCIENCES ET DES TECHNOLOGIES

LE GRAND NORD : NOUVEAUX DEFIS ET

NOUVELLES OPPORTUNITES

RAPPORT

Osman Askin BAK (Turquie)Rapporteur,

Sous-commission sur la sécurité énergétique et environnementale

www.nato-pa.int 11 octobre 2015

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177 STCEES 15 F bis

TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION....................................................................................................................1

II. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE DANS L'ARCTIQUE.........................................................1

III. NOUVELLES OPPORTUNITES, NOUVEAUX DEFIS...........................................................4A. RESSOURCES ENERGETIQUES................................................................................4B. TRANSPORT MARITIME..............................................................................................6C. PECHE..........................................................................................................................8D. TOURISME....................................................................................................................9E. RISQUES POUR L’ENVIRONNEMENT........................................................................9F. DEFIS POUR LA RECHERCHE ET LE SAUVETAGE................................................10

IV. LES RELATIONS DANS L'ARCTIQUE : APERÇU GENERAL............................................11A. MECANISMES DE COOPERATION DANS L'ARCTIQUE..........................................11B. DELIMITATION MARITIME.........................................................................................13C. INTERET CROISSANT DES FORCES ARMEES RUSSES POUR L'ARCTIQUE......14D. OTAN...........................................................................................................................15E. UNION EUROPEENNE...............................................................................................16

V. CONCLUSIONS PRELIMINAIRES.......................................................................................17

BIBLIOGRAPHIE CHOISIE..................................................................................................19

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I. INTRODUCTION

1. La région arctique se réchauffe à un rythme accéléré sous l'effet du changement climatique mondial (voir la carte de la Figure 1 pour une vue géographique de la région) 1. Alors que les températures augmentent et que fondent la glace et la neige, l'Arctique suscite un surcroît d'intérêt politique parce qu'il pourrait devenir une région stratégique. Cela s'explique pour une large part par les opportunités et les défis qui se présentent.

2. De nouvelles opportunités et des défis se profilent pour les Etats arctiques ainsi que pour la communauté internationale dans son ensemble. Les projets pétroliers et gaziers dont l'Arctique fait l'objet pourraient modifier le marché mondial de l'énergie. Les nouvelles routes maritimes reliant l'Atlantique et le Pacifique pourraient faire changer, voire développer les échanges commerciaux mondiaux. Des investissements accrus dans l'économie de la région, le tourisme et l’industrie de la pêche par exemple, pourraient entraîner un développement considérable des communautés arctiques. Toutefois, toutes ces opportunités impliquent des défis, et notamment des dangers pour l’environnement, un manque de capacités de recherche et de sauvetage pour faire face à l'augmentation de l'activité humaine, et des menaces pour les modes de vie traditionnels. En outre, la libéralisation de l'énorme potentiel économique de la région pourrait aussi être lourde d'implications géopolitiques. La coopération régionale est bonne dans l'Arctique, mais des différends de nature politique, des problèmes de délimitation maritime et de relations internationales sans rapport avec le Grand Nord2 pourraient entraîner une concurrence voire, avec le temps, des confrontations.

3. Alors que cinq pays de l’Alliance sont des Etats arctiques, l'OTAN en tant qu’organisation n'a pas de politique arctique à proprement parler, du fait que les avis divergent entre les Alliés quant à la place que cette région devrait occuper dans leur programme commun. Cependant, parce qu'elle s'intéresse à toutes les questions ayant une dimension transatlantique, l'Assemblée parlementaire de l'OTAN doit s'interroger sur les répercussions qu'une évolution de l'Arctique aura sur la région euro-atlantique. A vrai dire, le Grand Nord occupe une place centrale dans le programme de l'Assemblée. Entre 2010 et 2015, elle a organisé 15 activités dans des pays de l'Arctique et a publié quatre rapports sur la région3. Ce rapport de la Sous-commission sur la sécurité énergétique et environnementale de la Commission des sciences et des technologies (STC) est le fruit d'une série de visites que la Commission a effectuées dans l'Arctique au cours des dernières années. Il examine l'état, les perspectives et l'impact du changement climatique dans l'Arctique, les nouveaux défis et les nouvelles opportunités qui se dessinent dans le Grand Nord et donne un aperçu général des relations dans l'Arctique.

II. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE DANS L'ARCTIQUE

4. Le changement climatique fait s'élever les températures moyennes sur l'ensemble de la planète, mais la région arctique se réchauffe davantage que toute autre région du monde, deux fois plus que la moyenne mondiale depuis 1980. Le réchauffement de l'Arctique provoque une perte considérable de glace marine, de couverture neigeuse ainsi qu’une diminution du pergélisol, entraînant d’importantes conséquences à l'échelle mondiale. Parmi les impacts régionaux figurent l'intensification des tempêtes et le risque d'érosion côtière, des changements dans la diversité, la dispersion et la répartition des espèces animales, ainsi que des déplacements des zones de végétation. 1 Pour un bilan de l'AP-OTAN sur le changement climatique, voir le rapport spécial 2015 de la STC

Changement climatique et sécurité internationale : vers Paris 2015 [178 STC 15 F]. 2 Les termes « Grand Nord » et « Arctique » sont employés indifféremment dans ce rapport.3 Pour consulter tous les rapports de mission ou des commissions, veuillez consulter la section

« Documents » de notre site internet : http://www.nato-pa.int

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5. L'ampleur de la fonte de la glace de mer dans l'Arctique a surpris les scientifiques. Dans la première moitié du XXe siècle, la couche de glace marine était stable et fiable. Au cours des 30 dernières années, cependant, la glace marine de l'Arctique a vu sa superficie diminuer de moitié et a perdu trois quarts de son volume. C'est l'année 2012 qui a enregistré les chiffres les plus bas : l'océan Arctique avait une couverture de glace de 45 % inférieure à la moyenne de 1979-2000 ; son volume représentait moins de 30 % de la moyenne de 1979-2000 ; et la glace pluriannuelle (le type de glace que les navires ne peuvent pratiquement pas traverser) connaissait une perte de volume de 75 % par rapport à la moyenne. 6. Le scénario climatique pour le rapport 2014 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), tablant sur des émissions très fortes de gaz à effet de serre, envisage (à des niveaux de confiance moyens) un océan Arctique pratiquement exempt de glace pendant l'été au milieu du siècle. On ne peut, avec un degré de confiance suffisant, formuler des projections pour ce qui est des autres scénarios (à émissions faibles). Toutefois, de récents travaux de recherche suggèrent que des étés sans glace pourraient déjà survenir entre 2020 et 2035. En théorie, la glace pourrait se reconstituer mais, dans l'état actuel des choses, il est de moins en moins probable que la glace marine de l'Arctique retrouve de près ou de loin sa couverture antérieure.

Figure 1 : vue géographique de l'Arctique4

4 Source : Philippe Rekacewicz, PNUE/GRID-Arendal ;http://www.grida.no/graphicslib/detail/definitions-of-the-arctic_12ba

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7. Le Groenland est recouvert à 81 % de glace, ce qui en fait le deuxième plus grand glacier au monde, derrière l'Antarctique. Le taux auquel le Groenland déverse de la glace et de l'eau dans l'océan est élevé, et en augmentation d'après les estimations. Au cours des cinq dernières années, la perte annuelle de glace a doublé, mais avec des variations sensibles d'une année sur l'autre. En 2012, le Groenland a connu son été le plus chaud depuis 170 ans : son glacier continental a connu une fonte de surface plus de quatre fois supérieure à la moyenne des trois décennies précédentes, ce qui a affecté 97 % de sa calotte glaciaire. Des études montrent qu'une fonte de cette importance ne survient normalement que tous les 150 ans. Or, depuis quelques années, elle se reproduit presque annuellement. Des études récentes soulèvent d'autres préoccupations à propos de l’inlandsis du Groenland. Il se peut que les scientifiques aient sous-estimé le comportement erratique de la glace. En fait, il est de plus en plus probable que la fonte de la glace du Groenland suive un modèle non-linéaire et moins prévisible que celui d'une fonte lente et régulière.

8. La fonte et le réchauffement de l'Arctique pourraient avoir d'énormes conséquences à l'échelle mondiale. Le GIEC prévoit pour la fin du siècle une montée généralisée des océans de 26 à 82 cm. La disparition des glaces de l'Arctique contribue à la modification de la circulation des courants marins et atmosphériques qui, à son tour, pourrait affecter le Gulf Stream dans l'océan Atlantique et les régimes climatiques mondiaux.

9. La libération des substances chimiques et des gaz à effet de serre retenus dans le pergélisol de l'Arctique pourrait être tout aussi désastreuse. Selon les estimations, 1 700 gigatonnes (Gt) de carbone, soit deux fois la quantité présente actuellement dans l'atmosphère terrestre, sont piégées dans le pergélisol. Une hausse de la température mondiale de 3°C entraînerait une augmentation de 6°C dans l'Arctique, ce qui provoquerait une diminution de 30 à 85 % du pergélisol de subsurface. Avec la fonte du pergélisol, du CO2 et du méthane sont rejetés dans l'atmosphère, ce qui a pour effet d’accélérer encore le réchauffement global. Selon certaines estimations, la fonte du pergélisol pourrait émettre 43 à 135 Gt d'équivalent CO 2 d'ici 2100, et de 246 à 415 Gt d'ici à 2200. Bien que les incertitudes soient nombreuses, les émissions résultant de la fonte du pergélisol pourraient commencer dans le courant des prochaines décennies et se poursuivre pendant plusieurs siècles. Les matières organiques qui y sont piégées ayant été enterrées et prises dans la glace il y a plusieurs milliers d'années, leur libération aurait un caractère irréversible en l’espace d’une vie humaine.

10. L'Arctique et l'Antarctique sont souvent considérés comme les réfrigérateurs du monde du fait qu'ils rejettent dans l'espace plus de chaleur qu'ils n’en absorbent en raison de l'albédo (le pouvoir réfléchissant) élevé de la couche de glace. A mesure que la glace fond, elle dévoile des surfaces aquatiques et terrestres plus sombres. Les parties sombres de la surface terrestre ont un albédo plus faible, ce qui veut dire qu'elles absorbent plus d'énergie solaire et amplifient le réchauffement général. En plus des émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement de l'Arctique est influencé par ce qu'on appelle les polluants de courte durée, comme le carbone noir (composant principal de la suie). Le carbone noir est le deuxième plus important contributeur humain au changement climatique, représentant près des deux tiers de l'impact climatique du CO2. L'effet du carbone noir est encore plus prononcé dans certaines régions, y compris dans l'Arctique, parce que son dépôt sur la neige et la glace réduisent l'albédo de leurs surfaces.

11. D'autre part, les scientifiques s'inquiètent de plus en plus de ce qu'ils appellent les points de basculement, c’est-à-dire des moments critiques auxquels un changement léger peut avoir des conséquences importantes et irréversibles, qui font basculer le climat de la planète dans un nouvel état. Dans le cas de l'Arctique, les points de basculement sont notamment un été arctique sans glace, une fonte irréversible de l'inlandsis du Groenland, la fonte du pergélisol de la toundra de l'Alaska, l'acidification des océans et des modifications de la circulation dans l'océan Atlantique.

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12. Le changement climatique a déjà occasionné des changements perceptibles dans les écosystèmes marins de l'Arctique. La diminution de la glace a des conséquences graves pour la survie de certaines espèces animales et végétales. Les ours polaires par exemple, certaines espèces de phoques, les oiseaux marins, les morses et certaines algues en dépendent pour leur survie. Toutefois, le réchauffement de l'Arctique favorise le développement d'autres espèces animales et végétales. Les pêches marines sont extrêmement sensibles à la température de l'eau, et en particulier aux fortes variations de température. Alors que certains stocks de poissons prolifèrent lorsque les températures augmentent, d'autres vont subir des déplacements ou des diminutions. Les changements touchant les populations animales peuvent aussi affecter négativement les populations locales et autochtones. Par exemple, la culture de la chasse et du partage de la nourriture des Inuits risque d'être compromise, voire de disparaître.

13. Le changement climatique est également lourd de conséquences pour l'exploitation forestière. La saison de végétation va s'allonger, avec un phénomène de croissance forestière. Bien que les forêts soient des "puits de carbone", c’est-à-dire qu'elles absorbent plus de CO 2

qu'elles n’en émettent, les nouvelles forêts arctiques seront de moindre qualité. Le changement du climat de l'Arctique entraînera par ailleurs davantage de précipitations véhiculant de la pollution provenant d'autres régions.

III. NOUVELLES OPPORTUNITES, NOUVEAUX DEFIS

14. Le changement climatique sera non seulement lourd de conséquences pour l'écosystème de l'Arctique, il ouvrira aussi des possibilités et fera naître des défis pour l'activité humaine dans la région. Le réchauffement de l'Arctique va très probablement :

modifier l'équilibre écologique avec d'importantes implications pour les communautés septentrionales ;

faciliter l'accès à des ressources énergétiques et minérales abondantes ; ouvrir des voies de communication maritime intéressantes ; modifier les stocks de poissons et les schémas de pêche ; accroître les risques environnementaux ; et solliciter les capacités de recherche et de sauvetage.

15. Ces évolutions devraient susciter des investissements importants dans les Etats arctiques, en particulier dans leurs régions les plus septentrionales. D'une manière générale, la région est propice au développement économique. A l'exception de la Russie, tous les Etats arctiques ont un état financier sain, un contexte favorisant l'activité des entreprises et des valeurs démocratiques propices à l’instauration de relations pacifiques. En outre, les relations dans l'Arctique sont généralement empreintes d'un esprit de bonne coopération, les pays de la région préférant, plutôt que d’en venir à la confrontation, s'en remettre au droit international et à la négociation pour régler leurs différends. Toutefois, l'évolution de la situation pourrait susciter la concurrence et un risque de confrontation au cas où les Etats arctiques et d'autres présents dans la région n'arriveraient pas à gérer d’un commun accord les opportunités et les défis, ainsi que leurs intérêts et leurs prétentions territoriales et maritimes parfois contradictoires (voir chapitre IV).

A. RESSOURCES ENERGETIQUES

16. Le Grand Nord est considéré comme une région économiquement prometteuse. Renfermant d'importants gisements d'or, de zinc, de fer, de cuivre et de pierres précieuses, ce sont surtout ses énormes réserves de pétrole et de gaz qui constituent son attrait économique. Le US Geological Survey estime que l'Arctique renferme 13 % des ressources pétrolières

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conventionnelles non découvertes du monde, 30 % de ses ressources conventionnelles non découvertes de gaz naturel et 20 % de ses liquides de gaz naturel non découverts (voir ci -après figure 2 pour une carte des bassins pétroliers et gaziers de l’Arctique).

17. Le réchauffement de la planète et les progrès technologiques de l'activité offshore rendent l'extraction du pétrole et du gaz de l'Arctique de plus en plus possible et attrayante. La plupart des champs sont situés en mer, sous moins de 500 m d'eau. On dénombre d’ores et déjà dans l'Arctique plus de 400 champs pétroliers et gaziers en mer ou à terre produisant 40 milliards de barils de pétrole, 32 billions de mètres cubes de gaz naturel et 8 milliards de barils de liquides extraits du gaz naturel. Actuellement, les sociétés s'intéressent davantage au pétrole qu'au gaz, en raison de sa relative facilité de transport. Même si les coûts vont diminuer à mesure que l'exploitation des champs va augmenter, le développement des ressources énergétiques de l'Arctique demeure une activité onéreuse et risquée en raison d'une série de facteurs parmi lesquels :

le coût élevé de la construction des plateformes de forage (jusqu'à 5 à 8 milliards de dollars pour les exploitations les plus chères) ;

la rigueur des conditions atmosphériques ; un sol pauvre nécessitant des travaux préparatoires supplémentaires ; les obstacles et le danger que présente la banquise pour les installations offshore ainsi que

pour le transport maritime de personnel, de matériel, d'équipements et de pétrole; la longueur des lignes d'approvisionnement à partir des centres de fabrication ; un accès limité au transport et des infrastructures insuffisantes ; et la nécessité de pratiquer des salaires plus élevés.

18. A l'heure actuelle, le caractère imprévisible des conditions climatiques dans l'Arctique, le niveau des coûts d'exploitation, la chute des cours du pétrole, les préoccupations environnementales et les sanctions contre la Russie sont autant de défis pour le développement de l'industrie de l'énergie dans la région.

19. En raison du supplément de coût que nécessitent leurs activités dans le Grand Nord, les sociétés du secteur de l'énergie sont particulièrement sensibles aux mouvements sur les marchés mondiaux. L'exploration offshore dans l'Arctique ne se fait que lorsque les cours du pétrole sont élevés. Même lorsque les cours dépassaient les 100 dollars ces dernières années, peu de découvertes intéressantes ont été faites. Par exemple dans la mer de Barents, qui est pourtant la zone la plus prometteuse de l'Arctique, il n'y a eu que 9 découvertes au départ de 14 forages en 2014. Après la chute de plus de 50 % des cours du pétrole en 2014, l'exploration dans l'Arctique s’est arrêté, temporairement du moins. A titre d'exemple, Statoil, le plus grand groupe énérgetique de Norvège, a indiqué qu'il n'effectuera probablement pas de forages dans l'Arctique en 2015, ce qui pourrait retarder le développement du gigantesque champ pétrolier Johan Castberg. Avec le danois Dong Energy et le français GDF Suez, il a aussi renoncé à des licences au Groenland. Quant à l'américain Chevron, il a suspendu sine die ses projets de forage en mer de Beaufort.

20. Par ailleurs, l'exploitation est de plus en plus contestée par des groupes de défense de l’environnement, tels que Greenpeace,ainsi que par des législations nationales et des mesures de restriction allant dans le même sens. Citons comme exemple de la réglementation des activités d’exploration  la présentation, en janvier 2015, par le président américain Barack Obama, d’un projet de protections supplémentaires contre le forage dans des parties du sanctuaire faunique de l'Alaska septentrional qui renferme des réserves de pétrole estimées à 10,4 milliards de barils.

21. Les actuelles sanctions contre la Russie ont pour but de contraindre ses dirigeants à cesser d'attiser le conflit militaire en Ukraine. A cet effet, elles visent aussi plusieurs compagnies

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pétrolières et gazières russes. Elles empêchent ainsi, du moins en partie, les entreprises d'Etat russes Rosneft et Gazprom, de même que le groupe privé Lukoil, d'exploiter les énormes ressources de la côte septentrionale du pays. L'américain ExxonMobil par exemple a dû abandonner une co-entreprise d'exploration avec Rosneft.

Figure 2 : bassins de gaz naturel et de pétrole dans l'Arctique5

22. Malgré tous ces obstacles, la consommation mondiale d'énergie continue d'augmenter ; les énormes réserves de l'Arctique sont donc appelées à jouer à terme un rôle central dans l'approvisionnement mondial en pétrole conventionnel. En dépit des tendances susmentionnées, l’exploitation des gisements de gaz et de pétrole de l’Arctique n’en continue pas moins de susciter un intérêt soutenu. En janvier, le gouvernement norvégien, désireux d’encourager des compagnies à prospecter plus avant dans le cercle arctique par rapport à ce qui était autorisé auparavant, a délivré une nouvelle série de permis. Toutefois, la proposition de repousser les limites de prospection plus au nord a été rejetée par le parlement norvégien et doit faire l’objet d’une étude environnementale plus approfondie d’ici à 2020. Par ailleurs, contrairement à la tendance générale, Shell prévoit de forer au large des côtes de l'Alaska en 2015 pour un coût de 900 millions d'euros (aux termes de nouvelles règlementations plus strictes, fondées sur les expériences négatives liées aux forages que l’entreprise a effectués en 2012 dans l’Arctique).

B. TRANSPORT MARITIME

23. Alors que la navigation commerciale dans l'Arctique était encore impossible il y a une dizaine d'années à peine, les dernières années ont vu les débuts et le développement impressionnant du transport par la route maritime du Grand Nord. Le passage du Nord-Ouest et la route maritime du Nord (voir figure 3 ci-après) deviennent de plus en plus praticables, ouvrant ainsi de nouvelles routes maritimes entre les marchés européens et asiatiques.

24. En passant par l'Arctique, les compagnies maritimes peuvent réduire dans des proportions considérables les coûts de carburant et la durée de transport et abaisser par la même occasion les émissions. Un rapport du Conseil de l'Arctique de 2009 estimait que la route maritime du Nord réduit la distance entre l'Europe et l'Extrême-Orient de 35 à 60 % et que le passage du

5 Source : Geology.com et MapResources, http://geology.com/articles/arctic-oil-and-gas/

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Nord-Ouest peut réduire de 25 % la distance entre Rotterdam et Seattle. L'utilisation de ces routes maritimes permet aussi d'éviter les risques d'actes de piraterie près de la corne de l'Afrique ou dans le détroit de Malacca, ainsi que dans d'autres zones d'instabilité politique. En outre, cela

permettrait de soulager la pression sur les voies de navigation transcontinentale encombrées et, d'une manière générale, les échanges commerciaux pourraient augmenter. Ces nouvelles voies de transport maritime permettraient en outre d'accélérer le développement des ressources de l'Arctique.

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Figure 3 : routes maritimes de l'Arctique6

25. La Russie s'est déjà dotée d'un bureau de la route maritime du Nord, qui délivre les permis de navigation, surveille les conditions climatiques et l'état de la glace marine, et installe des instruments de navigation. En 2010, quatre navires de commerce ont relié l'Europe à l'Asie en empruntant pour la première fois la route maritime du Nord. En 2013, leur nombre était passé à 71, tandis que le premier navire de commerce et le premier porte-conteneurs chinois empruntaient cette voie. Toutefois, en 2014, en dépit d'une date d'ouverture antérieure à l'année précédente, le nombre des navires de charge et le volume total transporté ont fortement diminué : 23 navires ont transporté environ 20 % du tonnage de 2013. Reste à voir s'il s'agit là d'un recul ponctuel ou si des facteurs plus fondamentaux sont en cause. Le premier ministre russe, Dmitri Medvedev, vient d’adopter un plan de développement pour la route maritime du Nord, visant à multiplier par vingt sa capacité durant les 15 années à venir.

26. Bien que l'activité ait aussi augmenté dans le passage du Nord-Ouest, ses perspectives en tant que grande route maritime internationale devraient être plus limitées que celles de la route maritime du Nord. L'archipel arctique canadien constitue un handicap majeur pour le passage du Nord-Ouest parce qu'il s'agit d'une des formations géographiques les plus complexes de la planète et qu'il manque les installations portuaires nécessaires pour accueillir des navires ayant besoin de réparations. Néanmoins, en 2013, un vraquier, transportant du charbon de Vancouver vers la Finlande, a été le premier bâtiment de ce type à emprunter le passage du Nord-Ouest. En 2014, un cargo a effectué la première traversée sans assistance entre la baie Déception au Canada et Point Barrow en Alaska, mais ce bâtiment est de fait équipé pour naviguer toute l'année dans une glace de première année.

27. La navigation arctique reste soumise à des défis, notamment ses coûts élevés, la nécessité de renforcer les navires, la difficulté de s'assurer et le coût des polices, et les restrictions portant sur la taille des bateaux en raison de la faible profondeur de certains chenaux. Par ailleurs, beaucoup d'incertitudes subsistent en matière de coût et de durée, en raison du caractère imprévisible et de la rigueur des conditions météorologiques et du flou qui entoure les politiques des Etats arctiques en matière de navigation. A titre d'exemple, la traversée de la route maritime du Nord doit obligatoirement être effectuée par escorte de la flotte russe de brise-glaces à propulsion nucléaire, ce qui a son coût.

28. L'Organisation maritime internationale (OMI), créée en 1948 pour mettre en place un cadre réglementaire global pour la navigation, a pris des mesures face au potentiel que représente l’Arctique pour le transport maritime. De longues négociations entamées au début du siècle ont abouti à un Code polaire destiné à améliorer les conditions de la navigation. En fin de compte, ce code a été ramené à une série de lignes directrices pour les bateaux naviguant dans les eaux arctiques prises par les glaces (adoptées en 2002). Ces lignes directrices énoncent des normes uniformes en matière de sécurité, de prévention de la pollution, et de sûreté à l'intention des transporteurs maritimes.

29. Des différences de profondeur et des relevés hydrographiques incomplets dans certaines zones limitent encore les choix d'itinéraires. Certains pays pâtissent en outre d’un manque de navires d'une puissance suffisante pour naviguer toute l'année dans l'Arctique. Les Etats-Unis, par exemple, accusent un retard à cet égard. Aucun des bâtiments de surface de la marine américaine n'est adapté à la navigation dans l'Arctique. Si, de leur côté, les gardes-côtes américains disposent de trois navires adaptés, l'un n'est pas opérationnel pour l’instant, un autre est en fin de vie et le troisième est comparé à un laboratoire flottant conçu pour la recherche. En 6 Source : NASA et Fran Ulmer, lors de son exposé au cours d'une visite de la STC en Alaska, en

septembre 2014.

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comparaison, la Russie possède 30 brise-glaces et le Canada 13. Même la Chine et la Corée du Sud en possèdent.

30. Bien que les routes maritimes de l'Arctique soient plus courtes que celles empruntées traditionnellement, le coût total n'est pas nécessairement inférieur. Le coût de l'escorte imposée pour la route maritime du Nord, par exemple, est plus ou moins le même que celui du franchissement du canal de Suez. D'un point de vue commercial, les armateurs et les industries ont besoin de davantage d’informations relatives aux routes maritimes, à leur praticabilité et à leur importance pour pouvoir exploiter le potentiel que représente l’Arctique.

C. PECHE

31. C'est dans l'Arctique qu'on trouve certains des stocks de poissons les plus riches, constituant une ressource économique de grande valeur pour les Etats arctiques. La pêche dans l'Atlantique Nord et le Pacifique Nord représente au total près de 40 % des prises commerciales mondiales. Cela explique que les modifications dans les stocks halieutiques et leur disponibilité pourraient avoir des conséquences importantes pour l'approvisionnement alimentaire de la planète.

32. Les stocks de poissons de l'Arctique pourraient devenir de plus en plus exploitables à mesure que de nouvelles régions s'ouvrent à la pêche, des poissons qui, par ailleurs, migrent vers le Nord, y compris des espèces qui n'étaient pas présentes dans la région jusqu'alors. Des études récentes ont montré que plus de 800 espèces commerciales se déplacent vers les pôles à un rythme pouvant aller jusqu'à 26 km par an ; une tendance qui est particulièrement prononcée dans l'Arctique. Les morues, par exemple, dont le nombre a fortement augmenté, remontent désormais beaucoup plus vers le Nord. Certaines parties de Svalbard étant maintenant libres de glace en été, de grands bancs de moules comestibles, de morues, de harengs et de maquereaux font maintenant leur apparition dans l'archipel. Par conséquent, le risque d'une surpêche dans l'Arctique est un problème réel et qui se pose avec de plus en plus d’acuité. A titre d’exemple, d'après une étude de l'université canadienne de Colombie-Britannique, les prises de poissons dans l'Arctique ont représenté au total 950 000 tonnes entre 1950 et 2006, près de 75 fois les quantités déclarées officiellement à l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) pour la même période.

33. Afin d'atténuer les éventuelles conséquences négatives pour l’environnement du développement de la pêche dans l'Arctique, le Canada et les Etats-Unis ont interdit toute expansion des zones de pêche commerciale dans certaines parties de l'Arctique dans l'attente des résultats de nouvelles recherches. Au Canada, la nouvelle politique du gouvernement consiste à n’envisager de nouvelles pêches commerciales dans la mer de Beaufort que si les recherches démontrent la présence de stocks excédentaires et perennes. Cette politique a été élaborée avec des groupes autochtones et elle accorde la priorité aux Inuvialuit sur les nouveaux permis qui seront accordés.

D. TOURISME

34. Un accès maritime accru a pour effet d'ouvrir l'Arctique à un plus grand nombre de visiteurs. D'ores et déjà, davantage de touristes visitent l'Arctique, pour des périodes plus longues et dans des sites plus nombreux que jamais. Le tourisme de croisière en particulier est en augmentation dans tout l'Alaska, au Canada, au Groenland et en Norvège.

35. Mais des inquiétudes se font entendre à propos des dangers de la navigation dans l'Arctique pour des navires de croisière souvent mal adaptés aux conditions locales et qui naviguent dans des eaux inconnues. Une éventuelle opération de sauvetage devrait utiliser les

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moyens extrêmement limités déployés dans la région et serait considérablement compliquée par les distances et les rigueurs du climat. Comme l’ont appris les membres de la STC durant leur visite au Center for Arctic Policy and Strategy (centre pour la politique et la stratégie arctiques) de l’Académie des garde-côtes des Etats-Unis, les garde-côtes ont entamé durant l’été 2015 les préparatifs pour la traversée, en 2016, du passage du Nord-Ouest par le navire de croisière Crystal Serenity. Mais Frigg Jørgensen, secrétaire générale de l'Association des opérateurs de croisières d’expédition en Arctique, prétend toutefois que "le tourisme de croisière d’expédition peut être un facteur de protection de l’environnement et d'amélioration de l'économie locale, pour autant que les mesures soient basées sur les faits et que les opérateurs, les communautés locales et les législateurs travaillent ensemble".

36. En plus du tourisme de croisière, le tourisme arctique inclut la pêche et la chasse sportives, le tourisme naturel, le tourisme d'aventure et le tourisme culturel et patrimonial. La fonte des glaces ouvre de nouvelles saisons et de nouvelles destinations telles que le Pôle Nord, le passage du Nord-Ouest, la route maritime du Nord, des habitats d'espèces sauvages et des sites patrimoniaux.

E. RISQUES POUR L’ENVIRONNEMENT

37. Le chapitre II du rapport était consacré aux préoccupations d'ordre environnemental suscitées par le changement climatique. Or, les risques pour l’environnement augmenteront aussi du fait de l'accroissement de l'activité humaine. L'exploration des ressources naturelles en particulier est associée à des risques considérables pour l’environnement. En plus du défi que constitue le nettoyage d'une éventuelle fuite d'hydrocarbures dans un milieu glacé, une préoccupation majeure réside dans l'impact d'une catastrophe de ce genre sur le fragile écosystème de l'Arctique. Les catastrophes environnementales dans l’Arctique y auraient une dimension beaucoup plus problématique et elles provoqueraient beaucoup plus de dégâts qu'ailleurs.

38. On sait peu de choses du comportement du pétrole dans l'Arctique, les déversements s'étant jusqu'à présent produits sous des climats tempérés. C'est ainsi qu'un rapport de l’ US Committee on Responding to Oil Spills in the US Arctic Marine Environment (comité états-unien sur la réaction aux déversements d'hydrocarbures dans l’environnement marin arctique des Etats-Unis) suggère de procéder à des déversements contrôlés dans le but d'apprendre à gérer des accidents de plus grande ampleur. Il insiste en outre sur la nécessité de renforcer la présence des garde-côtes, d’accroître la coopération avec la Russie en matière de gestion du trafic maritime et pour ce qui est des exercices conjoints d’intervention, ainsi que sur la nécessité d'un plan pour les espèces sauvages qui seraient affectées par une marée noire. La réhabilitation de la vie sauvage est particulièrement compliquée en raison des conditions arctiques, de l'importance des mammifères marins pour la survie des populations autochtones et des risques qu'implique le contact avec des animaux blessés.

39. En 2013, les membres du Conseil de l'Arctique ont signé un Accord de coopération en matière de préparation et d’intervention en cas de pollution marine par les hydrocarbures dans l'Arctique. Cet accord arrête un cadre de coopération en cas de situation d'urgence, avec des directives sur la manière de communiquer, la coordination des personnels et la répartition des tâches entre les Etats arctiques.

40. L’accroissement de la production pétrolière et gazière, du transport maritime et d'autres activités humaines dans la région devraient par ailleurs augmenter les sources de carbone noir dans l'Arctique. Le tourisme pourrait aussi perturber davantage les mammifères marins, être préjudiciable aux pêcheries, introduire des espèces invasives, perturber la vie sauvage pendant les périodes de reproduction et de migration et accélérer les rejets de déchets solides et la pollution sonore.

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F. DEFIS POUR LA RECHERCHE ET LE SAUVETAGE

41. Un défi majeur qui se pose à toute activité dans l'Arctique est celui de l'éloignement des dispositifs de recherche et de sauvetage entre eux. Un élargissement du réseau de recherche et de sauvetage est essentiel si l’on veut pouvoir réduire les conséquences négatives et dangereuses que pourrait avoir un accroissement de l'activité humaine. La mise en application intégrale de l'Accord de coopération en matière de recherche et de sauvetage dans l'Arctique de 2011, élaboré sous les auspices du Conseil de l'Arctique, pourrait améliorer la situation. Cet accord instaure des mesures visant à améliorer la collaboration au cas où un Etat ferait appel à l'aide internationale, en coordonnant à l'échelon international la couverture et les opérations de recherche et de sauvetage, et en déterminant la zone de compétence de chaque Etat. Toutefois, il ne détermine pas les responsabilités pour ce qui est de la mise en œuvre, sur place, de réponses spécifiques.

42. Le premier exercice de recherche et de sauvetage en situation réelle réunissant des Etats arctiques a eu lieu en 2012 au large de la côte est du Groenland, avec la participation de personnels et des autorités, et la mise à disposition de capacités du Canada, du Danemark, des îles Féroé, du Groenland, d'Islande, de Norvège, de Russie et des Etats-Unis. Bien que le Conseil de l'Arctique ait conclu que cet exercice a, dans l’ensemble, été une réussite, il a aussi mis en lumière des éléments à améliorer, tant au niveau national que dans la coordination entre Etats.

43. La responsabilité de la recherche et du sauvetage maritimes ainsi que des opérations en cas de pollution aux hydrocarbures, relève généralement des unités de garde-côtes nationales. Bien que, traditionnellement, leurs missions consistent à sauver des vies, faire respecter le droit maritime et prévenir la pollution de l’environnement, leurs responsabilités se sont étendues avec l'ouverture des routes maritimes dans l'Arctique. Leurs nouvelles tâches incluent maintenant les opérations de recherche et de sauvetage, la surveillance des navires, la connaissance du domaine, les opérations brise-glace et la protection de l’environnement.

44. La structure, les capacités et les responsabilités des garde-côtes diffèrent sensiblement d'un pays à l'autre, ce qui peut être source de difficultés lorsqu'il s'agit d'assurer une couverture qualitativement et quantitativement suffisante en matière de recherche et de sauvetage. En outre, des difficultés générales d'ordre technique compliquent encore la situation, les équipements de communication étant limités au-delà du 70e parallèle. Les autres défis proviennent de complications associées à l'utilisation des satellites et du système de positionnement global (GPS), de l'absence ou de l'insuffisance de données cartographiques pour des zones importantes de l'Arctique et de l'absence d'un système garantissant que les navires utilisent les informations les plus récentes. Dans un rapport au Congrès sur les activités dans l'Arctique et le passage du Nord-Ouest, le département américain de la Défense conclut que l'architecture actuelle des communications "est insuffisante pour appuyer les pratiques opérationnelles normales d'un groupe d'action de surface ou de n'importe quelle opération de forces conjointes d'une certaine ampleur".

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IV. LES RELATIONS DANS L'ARCTIQUE : APERÇU GENERAL

45. Pour la plupart des pays du Grand Nord, l'Arctique est l’une des régions, si ce n’est la région la plus importante d'un point de vue stratégique. La seule exception est celle des Etats-Unis qui, dans le passé, ont quelque peu négligé leur statut d'Etat arctique. Mais les choses semblent changer quelque peu puisque Washington a repris, en avril 2015, la présidence du Conseil de l'Arctique.

46. Tous les Etats arctiques ont arrêté une politique nationale explicite pour l'Arctique. L'élaboration de ces politiques est un phénomène relativement récent. Au début des années 1990, seuls deux pays avaient des politiques officielles relatives à l'Arctique. Aujourd’hui, même des pays extérieurs à la région ont des politiques implicites ou explicites à ce sujet. La Chine, l'Inde, le Japon, Singapour et la Corée du Sud, par exemple, ont tous énoncé des stratégies relatives à cette zone.

47. Les politiques arctiques sont remarquablement similaires, quoique des différences subtiles, et parfois importantes, existent bel et bien. D'une manière générale, toutes mettent en avant les objectifs suivants (sans ordre de priorité particulier) :

poursuivre les valeurs et intérêts nationaux ; renforcer la sécurité environnementale ; maintenir un régime de coopération stable et fondé sur des règles ; améliorer le bien-être des communautés autochtones et nordiques ; promouvoir une gestion durable des ressources ; développer le potentiel économique ; amplifier la connaissance scientifique de l'Arctique, s'agissant en particulier de

l’environnement ; et renforcer les capacités de recherche et de sauvetage.

A. MECANISMES DE COOPERATION DANS L'ARCTIQUE

48. Une des grandes différences d'approche des Etats concerne les dimensions géopolitique et sécuritaire des changements que connaît l'Arctique. Les projections en matière de changement climatique et l'accroissement de l'activité humaine suscitent des craintes liées à la concurrence, voire à des risques de conflit. Tous les Etats côtiers ont exprimé des craintes de cette nature dans différents documents de politique, mais ils en discutent rarement en public. Certains Etats arctiques sont résolument hostiles à une "militarisation" de l'Arctique, tandis que d'autres ne voient pas de contradiction entre une défense forte et une bonne coopération, considérant même que cette dernière est une condition préalable à toute posture de défense.

49. Certains pays arctiques ont renforcé leur posture de défense dans le Grand Nord, notamment en élaborant une doctrine sur le sujet, par le déploiement de forces et d'équipements, en accroissant la formation et en multipliant les exercices. D'une manière générale, il s’agit toujours de modernisation limitée, plutôt que de réactions à une menace perçue. Toutefois, la réaffirmation de la Russie en Europe pourrait changer la situation. Il est trop tôt pour dire si le renforcement de la présence de la Russie dans l'Arctique (voir ci-dessous) correspond à l'importance qu’elle accorde à son territoire arctique pour son bien-être national ou s'il s'inscrit dans le cadre d’un renforcement plus agressif qui a lieu sur l'ensemble de son territoire.

50. Jusqu'à présent, les Etats arctiques ont surtout cherché à régler entre eux les problèmes propres à la région. Pour certains, cette attitude risque d'attiser les tensions à propos de l'Arctique et pourrait s'avérer stratégiquement et économiquement contre-productive. Le Danemark et la Finlande, par exemple, voient la coopération sous un angle plus global.

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51. Plusieurs mécanismes institutionnels de coopération régionale sont en place. Le Conseil de l'Arctique, qui a vu le jour en 1996, est la principale enceinte ouverte à la coopération intergouvernementale et transfrontalière. Il convient de noter qu’il ne traite pas des questions de sécurité. Ses Etats membres sont le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède. Il a pour observateurs l’Allemagne, la Chine, la Corée du Sud, l’Espagne, la France, l’Inde, l’Italie, le Japon, le Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni et Singapour. Sur un total de 4 millions d'habitants que compte l'Arctique, 500 000 environ sont des autochtones. Le Conseil de l'Arctique a donc accordé le statut de participants permanents, avec droits de pleine consultation, à six organisations autochtones : le Conseil des Athabascans de l’Arctique, l'Association internationale des Aléoutes, le Conseil international des Gwich'in, le Conseil inuit circumpolaire, l'Association russe des peuples autochtones du Nord et le Conseil saami. Les participants permanents bénéficient pleinement du droit de consultation pour ce qui est des décisions et négociations du Conseil. Chaque présidence tournante du Conseil de l’Arctique se fixe des objectifs à réaliser en priorité. De 2013 à 2015, le Canada qui présidait le Conseil de l’Arctique a mis l’accent sur le développement économique dans cette région. Washington, qui assurera la présidence américaine du Conseil de 2015 à 2017, accordera la priorité au changement climatique, à la sécurité de l’océan et à l’économie dans le cadre du programme « Un Arctique ».

52. Le Conseil nordique est une assemblée interparlementaire regroupant le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Suède et les territoires autonomes des îles Åland, des îles Féroé et du Groenland. Le Conseil nordique des ministres est son instance intergouvernementale. Le Conseil euro-arctique de Barents est un forum de coopération intergouvernementale sur le développement durable en mer de Barents qui a pour membres le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Russie, la Suède et la Commission européenne. La Conférence des parlementaires de la région arctique est un organe parlementaire composé de délégations nommées par les parlements nationaux des Etats arctiques et par le Parlement européen. Le Pacific Northwest Economic Region Arctic Caucus, qui s'est créé de manière informelle en 2010, est une alliance peu structurée entre l'Alaska et les Territoires canadiens du Nord-Ouest et du Yukon.

53. Les différends entre les Etats arctiques ont également été réglés par le biais de négociations bilatérales. Le conflit frontralier dans la mer de Barents qui oppose depuis longtemps la Russie et la Norvège en est un bon exemple. Le premier accord sur la frontière maritime entre la Russie et la Norvège date de 1957, mais les tensions se sont rapidement ravivées après que les deux pays ont avancé des revendications sur la plateforme continentale. En 2010, ils ont finalement signé un traité qui a eu pour effet de couper le territoire contesté en deux et se sont également mis d'accord sur une cogestion de ses ressources.

54. Une coopération multilatérale se déroule également au niveau ministériel, en dehors de toute structure institutionnelle. Les ministres des Affaires étrangères et d'autres responsables représentant les cinq pays riverains de l'Arctique se sont réunis au Groenland en 2008, lors de la Conférence sur l'océan Arctique, et ont prononcé la Déclaration d'Iulissat. Considérée comme un jalon dans la coopération arctique, cette déclaration indique comment les Etats arctiques entendent poursuivre leurs intérêts et rend compte de leur volonté de travailler ensemble.

B. DELIMITATION MARITIME

55. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) est un instrument essentiel pour la gouvernance de l'Arctique. Elle permet aux pays de revendiquer une Zone économique exclusive (ZEE) de 200 miles nautiques depuis leur côte. De grandes parties de l'océan Arctique pourraient ainsi, comme c'est le cas aujourd'hui, être revendiquées par plus d'un pays. En outre, l’UNCLOS octroie à ces Etats des droits exclusifs d'extraction des ressources

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minérales sur leurs plateformes continentales jusqu'à une distance de 350 miles nautiques de la ligne de base, pour autant qu'ils puissent démontrer qu'ils ont un plateau continentale "large". Le processus permanent de l’UNCLOS consistant à évaluer les revendications, est multilatéral et repose sur le consensus. Les Etats ont un délai de 10 ans suivant leur ratification de la convention pour soumettre leurs revendications en faveur d’un plateau continental plus large.

Figure 4. revendications territoriales actuelles dans l'Arctique 7

56. Tous les Etats membres du Conseil de l'Arctique à l'exception des Etats-Unis ont ratifié la convention. Alors que les Etats-Unis l'ont signée en 1994, le Sénat n'a pas remis d'avis ni donné son consentement. Résultat : les Etats-Unis ne l'ont toujours pas ratifiée mais dans la pratique respectent la convention. Tous les présidents depuis Ronald Reagan ont préconisé sa ratification, et la Stratégie nationale de sécurité de 2015 précise que "cette non-ratification du Traité nuit à notre intérêt national dans un ordre international fondé sur des règles".

57. L’ensemble des cinq Etats riverains de l’Arctique, à l’exception de la Norvège, ont une ou plusieurs revendications concomitantes sur les eaux de l'Arctique. Ces pays s'efforcent, dans le cadre de l’Organisation des Nations unies et de processus bilatéraux, de démêler ces revendications, mais à mesure que le processus suit son cours, la possibilité d'une confrontation existe bel et bien.

7 Sources : Unité de recherche sur les frontières internationales (IBRU) de l’université de Durham, ministère des Affaires étrangères du Danemark, The Economist; http://www.economist.com/news/international/21636756-denmark-claims-north-pole-frozen-conflict.

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58. Un seul litige territorial existe aujourd’hui dans la région de l'Arctique. Le Danemark et le Canada sont toujours à la recherche d'une solution pour l'île Hans, dans le passage Kennedy, que revendiquent les deux parties en dépit de l’accord conclu, en 2012, sur une délimitation d'environ 3 000 km entre le Groenland et le Canada.

C. INTERET CROISSANT DES FORCES ARMEES RUSSES POUR L'ARCTIQUE8

59. Géographiquement, la Russie occupe près de la moitié du cercle arctique. L’identité nationale russe est de fait étroitement liée à ses territoires arctiques. Ces derniers sont par ailleurs une pièce centrale du dispositif de défense et de sécurité du pays : l’Arctique est le seul accès européen de la Russie à la haute mer sans passer par des mers fermées. Il n'est donc pas surprenant qu’elle se concentre de plus en plus sur cette région en pleine mutation, en particulier à la lumière des défis majeurs que pose l'Arctique russe en termes d'infrastructures.

60. La politique arctique de la Russie fait état de désaccords potentiels en matière de délimitation maritime et définit un plan de développement des forces arctiques dépendant du Service des garde-frontières. Pour autant, il s’agit pour l’essentiel d’exercer ses droits souverains dans les régions les plus septentrionales, notamment d’appuyer sa stratégie de la route maritime du Nord. La Russie n’a pas vocation à jouer un rôle plus étendu dans les zones arctiques. Toutefois, au cours des dernières années, l’intérêt militaire que porte celle-ci à l'Arctique a considérablement augmenté, comparativement aux autres Etats arctiques. La doctrine militaire russe 2014 mentionne pour la première fois ses territoires arctiques comme étant des zones clés. Les dirigeants euro-atlantiques doivent par conséquent s’intéresser de près au dispositif militaire de la Russie dans l’Arctique et à la raison de la présence de ses forces dans la région.

61. La Russie prévoit d'avoir 14 terrains d'aviation opérationnels dans l'Arctique d'ici à la fin de 2015. Le gouvernement a annoncé la construction de dix nouveaux terrains à l’horizon 2015, en plus des quatre déjà en service. Certains seront entièrement neufs, d’autres seront d’anciens terrains militaires réhabilités. La Russie construit en outre dix stations de recherche et de sauvetage, 16 ports en eau profonde et 10 stations radar de défense aérienne le long de sa côte arctique. La base militaire d’Alarkurtti, vestige de la guerre froide, située à 50 km de la frontière finlandaise, a par ailleurs été réactivée. Plus important : la Russie a constitué un Commandement stratégique conjoint arctique, opérationnel depuis décembre 2014. L’armée accroît aussi de 30 % la présence de ses forces spéciales, un détachement de commandos est spécialement entraîné au combat dans l’Arctique, et une deuxième brigade arctique sera formée d’ici à 2017. Par ailleurs, la Flotte du Nord, basée à Severomorsk, près de Mourmansk, représente deux tiers de la marine russe. Enfin, comme nous l’avons déjà mentionné, la flotte de brise-glaces de la Russie est la première au monde. Actuellement, la Russie construit 14 nouveaux brise-glaces et envisage la construction de plusieurs autres.

62. De plus, les soldats russes ont récemment réalisé des exercices de mobilisation rapide et ont suivi un entraînement pour se déployer dans les régions les plus septentrionales de la Russie. En mars 2015, un exercice surprise a été mené dans l’Arctique nord, parallèlement à « Joint Viking », l’exercice militaire conjoint norvégien, annoncé depuis très longtemps. La Flotte du Nord de la marine russe doit participer, pour vérifier l’aptitude au combat, à des exercices censés mobiliser près de 40 000 soldats, 100 aéronefs et plus de 50 navires (dont 15 sous-marins). En mai 2015, la Russie a réalisé un autre exercice surprise, à grande échelle, dans la République des Komis (nord). Il s’agissait d’une « inspection surprise massive » destinée à tester l’état de préparation au combat, à laquelle participaient près de 250 aéronefs et 12 000 militaires. Cette manœuvre a eu lieu au moment même où la Finlande, la Norvège et la 8 Pour une évaluation globale de la modernisation des forces armées russes, voir le Rapport général

2015 STC : La modernisation des forces armées russes [176 STC 15 F]. Pour la « stratégie hybride » de la Russie envers l’Arctique, voir le Rapport général 2015 DSC : La guerre hybride : un nouveau défi stratégique pour l’OTAN ? [166 DSC 15 F]

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Suède réalisaient des exercices avec les forces d’Etats membres de l’OTAN ainsi qu’avec la Suisse dans le cadre de l’Arctic Challenge 2015 (ACE 2015), exercice également prévu de longue date.

63. Les tensions politiques qui règnent actuellement entre la Russie et l’Occident, dues à l’annexion illégale de la Crimée et à l’agression de soldats russes contre les parties est et sud-est de l’Ukraine, pèsent sur les relations arctiques. S’il convient de souligner que, globalement, la coopération bilatérale et multilatérale continue à bien fonctionner, des risques pourraient se profiler à l’horizon et mettre à mal des relations arctiques plutôt bonnes dans l’ensemble. Ainsi, pour la première fois depuis l’établissement du Conseil de l’Arctique, le ministre russe des Affaires étrangères n’a pas cru bon d’assister, en avril 2015, à la réunion semestrielle du Conseil. Peu après, Dmitri Rogozin, vice-premier ministre et chef de la nouvelle commission arctique russe, faisant fi de l’interdiction de voyager imposée par l’UE, s’est rendu dans l’archipel de Svalbard en Norvège, remettant en question la souveraineté de la Norvège sur l’archipel et son statut légal. Des projets de coopération dans le domaine de l’exploitation du pétrole et du gaz entre Moscou et l’Occident dans la région, comme nous l’avons déjà mentionné, ont en outre été suspendus à la suite des sanctions imposées à la Russie.

D. OTAN

64. Alors que cinq pays alliés sont des Etats arctiques, l’OTAN en tant qu’organisation n’a pas de politique spécifique pour le Grand Nord, les Alliés n’étant pas d’accord sur la place que doit occuper l’Arctique dans leur programme commun. En 2013, lorsque le Conseil de l’Atlantique Nord s’est rendu en Norvège, Anders Fogh Rasmussen, alors secrétaire général de l’OTAN, soulignant que les pays membres nordiques et baltiques sont de plus en plus inquiets face à l’intérêt croissant que Moscou porte à ses territoires arctiques, a toutefois affirmé que « à l’heure actuelle, l’OTAN n’a aucunement l’intention de renforcer sa présence et ses activités dans le Grand Nord ».

65. Les sceptiques quant à la nécessité pour l’OTAN d’accorder une plus grande attention à l’Arctique ou d’y être plus présente invoquent souvent le risque de « militarisation » des relations arctiques. Par ailleurs ils invoquent souvent que cela entrainerait le risque d’impliquer des Etats arctiques non côtiers ainsi que des Etats non-arctiques dans des questions ne concernant que les cinq Etats arctiques riverains. Qui plus est, la majorité des désaccords liés à l’Arctique sont de nature non militaire. On estime également que jusqu’à 95 % des ressources arctiques relèvent des territoires souverains des Etats arctiques, limitant ainsi les possibilités de tensions.

66. Quoi qu’il en soit, l’Alliance garantissant au nom de la sécurité collective l’intégrité territoriale de ses Etats membres, les territoires arctiques des Etats alliés relèvent clairement du mandat de l’OTAN. Certains alliés réclament par conséquent que l’OTAN s’intéresse davantage au Grand Nord, compte tenu notamment de la détérioration des relations avec la Russie, qui a montré récemment qu’elle a la capacité et la volonté de recourir à des moyens militaires pour atteindre des objectifs politiques. Certains affirment que si les politiques que mène la Russie dans l’Arctique s’inscrivent aujourd’hui dans une démarche de concertation, le renforcement de sa présence militaire dans cette région pourrait mettre l’Alliance dans une position de faiblesse dans le Grand Nord si la Russie décidait de devenir plus entreprenante. A la session de printemps de l’AP-OTAN qui s’est tenue en Hongrie en 2015, Alexander Vershbow, secrétaire général délégué de l’OTAN, a donc invité les Alliés à réfléchir à la situation de l’Arctique compte tenu de l’attitude de Moscou : «  Face à la militarisation [de l’Arctique] par la Russie, nous devons en évaluer les conséquences pour l’Alliance en matière de liberté de navigation pour nos pays, et faire en sorte que notre capacité à répondre aux menaces qui pèsent sur l’Arctique demeure crédible. Or, selon moi, nous en sommes encore à évaluer les implications des dernières manœuvres russes. Mais je ne peux pas dire grand-chose de plus pour l’instant. (…) Nous discutons à propos de l’Est et du Sud, mais il nous faudra peut-être bientôt parler également du Nord »,

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67. Difficile de savoir si les 28 Etats membres de l’OTAN feront preuve de la volonté politique nécessaire pour explorer un nouveau rôle dans l’Arctique. De telles discussions suscitent de fortes résistances de la part de certains. Pour autant, si l’Alliance veut vraiment explorer un nouveau rôle, plusieurs scénarios sont envisageables, selon le niveau d’ambition. Au niveau le plus bas, l’OTAN pourrait souhaiter accroître sa connaissance des territoires alliés arctiques en tant qu’un de ses espaces régionaux. Cela pourrait commencer par des consultations politiques ponctuelles ou régulières, notamment le Conseil de l’Atlantique Nord, et/ou une perception accrue de la situation de la part des Alliés. De là, les différentes options favorisant un rôle renforcé dans la région vont d’exercices et de formations à petite ou grande échelle, menés conjointement, selon des scénarios génériques ou plus spécifiques. L’OTAN pourrait aussi commencer à faire l’inventaire des capacités arctiques de l’Alliance étant donné que le développement de ces capacités est une entreprise de longue haleine si de nouveaux systèmes et de nouvelles plateformes devaient être élaborés et mis en place. Le scénario le plus ambitieux, mais aussi le moins réaliste serait que l’OTAN renforce sa présence militaire dans l’Arctique. Ces options contribueraient, à différents degrés, à mieux préparer l’Alliance face aux défis du Grand Nord et à accroître la crédibilité de son dispositif de dissuasion. L’OTAN pourrait aussi jouer un rôle plus actif dans le Grand Nord en privilégiant des aspects non militaires. L’Alliance pourrait appuyer les opérations civiles menées par les Alliés, servir de forum pour la communication et la coopération arctiques, et servir de cadre pour les réponses ponctuelles apportées à toute une série d’événements, dont la réponse aux catastrophes ou les opérations de recherche et de sauvetage.

E. UNION EUROPEENNE

68. L'Union européenne (UE) compte trois pays membres du Conseil de l'Arctique parmi ses Etats membres et elle est un client important de ressources et de biens en provenance de la région arctique. En conséquence, bon nombre de ses politiques ont des implications pour les acteurs de l'Arctique. Dans les documents qu'elle publie, l'Union européenne exprime le souhait de s'impliquer davantage aux côtés de ses partenaires arctiques afin de mieux connaître leurs préoccupations et de s'attaquer aux défis communs sur un mode plus collaboratif.

69. L'Union européenne a investi des sommes importantes dans la recherche sur l'Arctique ainsi que dans des programmes économiques, sociaux et environnementaux, y compris un programme non européen pour le Groenland. En 2008, elle a publié un communiqué sur l'Union européenne et la région arctique, qui a fait l'objet d'un suivi en 2012, et un autre est en cours d’élaboration pour décembre 2015. Dans sa prise de position de 2012, l’UE exprime le souhait de contribuer à la connaissance et à la compétence, de financer et de promouvoir une utilisation durable des ressources, et de s'engager dans la coopération internationale. Par rapport à la version de 2008, on ne retrouve plus, entre autres, dans ce document de références aux déficits de gouvernance ni de propositions de nouveaux cadres institutionnels pour l'Arctique.

70. Une explication de ce changement d'approche de l’UE vis-à-vis de l'Arctique pourrait être son ambition d'obtenir le statut d'observateur au Conseil de l'Arctique auquel elle aspire depuis 2008. La décision a déjà été reportée trois fois, en 2009, en 2013 et en 2015. Jusqu’alors, la raison était un désaccord avec le Canada à propos de l'interdiction d'importer des produits dérivés du phoque imposée par l’UE, désaccord qui a été réglé en octobre 2014. La demande en 2008 du Parlement européen d’établir un traité international pour l’Arctique, sur le modèle du système du traité sur l’Antarctique, a été perçue par certains pays de l’Arctique comme faisant fi des droits souverains des Etats arctiques. Si le Canada est désormais favorable à la demande de l’UE d’obtenir le statut d’observateur à part entière, les sanctions imposées par celle-ci à la Russie pourraient rendre les choses plus difficiles pour l’UE. En réalité, l’Union européene est présente en qualité d'observateur au Conseil, même si elle n'en a pas le nom, et le statut d'observateur serait principalement une reconnaissance symbolique de son rôle dans l'Arctique.

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Mais il est vrai aussi que, concrètement, l’UE ne prête sans doute guère d'attention à l'Arctique ; par exemple, elle n'investit guère dans les infrastructures dans le Grand Nord.

71. Des observateurs font remarquer que le programme de l’UE dans l'Arctique est principalement mené par les écologistes. De ce fait, certains experts font valoir que l’UE n'a toujours pas de rôle clairement défini et qu'elle devrait en trouver un. Le Service européen pour l'action extérieure a élaboré une politique, mais elle manque de consistance et d'ambition. Les domaines dans lesquels l’UE pourrait s'impliquer davantage sont notamment la pêche, les investissements régionaux dans les infrastructures de ses Etats membres arctiques que sont la Suède et la Finlande, et les mesures liées à la sécurité maritime et aux réactions aux situations d'urgence.

V. CONCLUSIONS PRELIMINAIRES

72. Dans l'état actuel des choses, le phénomène du changement climatique ne peut que se poursuivre, que la communauté internationale parvienne ou non à conclure un accord mondial sur le climat à la Conférence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui aura lieu fin 20159. La mise en place de nombreuses mesures destinées à réduire l'importance du changement climatique, ainsi qu'une adaptation aux changements qui vont se produire, est la voie à suivre pour la communauté internationale. L'Arctique est une des zones les plus affectées. Comme l'a montré ce rapport, le réchauffement de l'Arctique et la fonte des glaces sont sources d’opportunités et de défis d’envergure. Les Etats arctiques et les parties prenantes internationales doivent mettre en balance les gains que peut représenter l'exploitation de ces opportunités et les risques considérables qu'elle implique. Ils devront arrêter une ligne de conduite qui, d'une part, tire le meilleur parti des ressources énergétiques et minérales disponibles, des nouvelles routes maritimes, des nouvelles zones de pêche et du développement du tourisme et, d'autre part, évite de causer des dégâts à l’environnement et de déstabiliser les modes de vie traditionnels. Il sera indispensable de renforcer considérablement les capacités de recherche et de sauvetage.

73. La région arctique va sans aucun doute prendre de plus en plus d'importance sur le plan géopolitique du fait des nouvelles opportunités qu'elle va offrir et des tensions dans les relations entre la Russie, l'Amérique du Nord et l'Europe. Il est dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté internationale que règne un esprit de coopération entre voisins. L'Arctique est un environnement rigoureux ; il ne faudrait pas que la situation soit rendue plus difficile par une présence militaire accrue et une course aux ressources. La bonne nouvelle est que les conflits en matière de délimitation maritime vont probablement se régler dans le cadre des Nations unies ou de processus bilatéraux. La menace d'un conflit armé dans l'Arctique reste très faible. Toutefois, cela ne veut pas dire que les Etats membres de l'OTAN ne devraient pas modifier leur posture de défense en fonction de leurs intérêts nationaux, afin de protéger leur souveraineté et leur capacité de défense collective dans l'Arctique. Une défense forte est la condition préalable d'une coopération réaliste et fructueuse. Le Conseil de l'Arctique doit rester le principal forum de coopération dans l'Arctique et l’OTAN doit soutenir l’institution en tant que cadre principal de la coopération arctique. Par ailleurs, il serait souhaitable que l'OTAN manifeste un regain d'intérêt pour cette région. Selon le rapporteur, des consultations politiques plus fréquentes, au sein des structures de l’OTAN, dont le Conseil de l’Atlantique Nord, sur les enjeux de sécurité et de défense que représente le territoire de l’OTAN dans le Grand Nord, ainsi qu’une meilleure appréciation de la part de l’OTAN de la situation qui prévaut dans la région, comptent parmi les premières mesures à prendre, en phase avec les enjeux de défense et de sécurité. Ces mesures permettraient à l’Alliance d’évaluer de manière réaliste ces enjeux et de concevoir, le cas

9 Voir aussi le Rapport spécial STC : Changement climatique et sécurité internationale : vers Paris 2015 [178 STC 15 F]

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échéant, des réponses collectives. Le rapporteur a conscience que ces mesures seront source de controverses, mais compte tenu des derniers événements, une discussion de ce type s’impose désormais.

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veuillez contacter le directeur de la commission des sciences et des technologies)

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