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  • BR UYLANT

    PR FAC E

    Peu de temps aprs la publication de son clbre Trait de largumen-tation (1), Cham Perelman sest tourn vers le droit et, avec ses collgues juristes de lcole de Bruxelles, il a consacr lessentiel de ses recherches largumentation juridique. Les ouvrages collectifs quil a dirigs dans le cadre du Centre national de recherches de Logique (CNRL) en sont les produits et son livre Logique juridique, publi en 1976, en offre une trs bonne synthse (2). Ces ouvrages largement diffuss ont exerc, bien au- del de Bruxelles et de son Universit libre (ULB), une inf luence profonde sur les formes et les mthodes du raisonnement juridique, sur les modes de connaissance et denseignement du droit et donc finalement sur le droit lui- mme, dans sa thorie comme dans sa pratique (3). Ils ont permis de rinstaller les procds et les outils de largumentation au centre des facults de droit, o ils taient ns en mme temps que lUniversit, mais dont ils avaient t chasss par la Modernit, lorsque stait impos le projet moderne de faire du droit une science exacte, sur le modle de la logique ou de la philologie, et un auxiliaire disciplin du pouvoir politique (4).

    Pour autant, si les cours dargumentation, les procs simuls (moot courts), les cliniques du droit et les concours de plaidoirie se multi-plient et gagnent progressivement tous les domaines de la formation des juristes, la recherche en argumentation, et singulirement en argu-mentation juridique, nen est probablement encore qu ses dbuts. Il demeure tant de procds dcouvrir et mettre en vidence, tant de notions mettre au point pour pouvoir les comprendre, les matriser et les transmettre aux nouvelles gnrations. Il ne sagit certes pas den rester aux gnralits, devenues banales ds lors quelles sont unanime-ment acceptes, ni de rpter inlassablement les ides et les catgories des classiques et notamment de Perelman (qui aurait eu 100ans en 2012),

    (1) Ch. PERELMAN et L. OLBRECHTS- TYTECA, Trait de largumentation. La nouvelle rhtorique, ditions de lUniversit de Bruxelles, 1958.

    (2) Ch. PERELMAN, Logique juridique. Nouvelle rhtorique, Dalloz, 1976. (3) Sur cette question, voir B. FRYDMAN, Perelman et les juristes de lcole de Bruxelles in B.

    FRYDMAN et M. MEYER (dir.), Cham Perelman (1912- 2012): de la Nouvelle Rhtorique la logique juridique, P.U.F., 2012, 229- 246.

    (4) Pour une tude approfondie de cette histoire, voir B. FRYDMAN, Le sens des lois : histoire de linterprtation et de la raison juridique, Bruylant, col. Penser le droit , 3edition, 2012.

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  • VIII THORIE BIDIMENSIONNELLE DE LARGUMENTATION JURIDIQUE

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    mais il faut sattacher, au contraire, faire fructifier lhritage et pour cela ne pas hsiter bousculer les nouvelles ides reues et changer quelques valeurs qui garnissent un portefeuille qui a parfois t gr un peu trop tranquillement comme une rente.

    Cest prcisment la tche laquelle sest attel Stefan Goltzberg. Dans cet ouvrage, le lecteur ne trouvera pas une nouvelle histoire de la rhtorique ou une synthse de largumentation en gnral et de lar-gumentation juridique en particulier, ni une collection de lieux plus ou moins communs ou de recettes. Il participera plutt lexplora-tion mthodique et limpide de nouveaux chemins pour avancer dans la connaissance et lenseignement tant thorique que pratique de cette discipline fascinante et utile. Ces nouvelles pistes, qui divergent fran-chement de la tradition perelmanienne et tranchent avec la plupart des ouvrages publis sur le sujet ce jour, sont principalement au nombre de deux.

    La premire concerne le problme fondamental des rapports entre la logique et la rhtorique. Pour les tenants de ce que Stefan Goltzberg appelle le rductionnisme logique , les seuls raisonnements relle-ment convaincants sont ceux qui relvent dune logique incontestable, portant sur des notions qui ont pu faire lobjet dune dfinition parfai-tement claire et univoque. Ce modle de pense et dexposition logico- mathmatique, souvent associ dans notre tradition philosophique Descartes, qui a condamn lopprobre et lexil le modle ancien de largumentation contradictoire, rejet au rang de sophisme ou de bille-vese scolastique, a triomph avec la science moderne et avait russi simposer, sous des formes volutives, comme modle de la pense ration-nelle en philosophie, mais aussi dans toutes les facults universitaires, y compris en droit.

    Perelman, aprs avoir lui aussi commenc par explorer, sur les traces de Frege et de Russell, cette voie de la logique formelle et tent de lappli-quer aux questions de justice, a largement contribu son renversement avec sa Nouvelle Rhtorique . Il en a dmontr le caractre la fois rducteur et inaccessible et dnonc les impasses auxquelles conduisait ce positivisme contemporain condamn la fois au scepticisme dans le domaine des valeurs et de la philosophie morale et la soumission pure et simple la volont du pouvoir, ft- elle arbitraire et mme criminelle, dans le domaine du droit. Le renversement argumentatif de Perelman consiste affirmer que tout dbat ou litige relatif une question de justice, et donc tout procs, sil nest pas rductible une solution logi-quement contraignante, met en jeu un conf lit dintrts et de valeurs

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  • PRFACE IX

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    pouvant tre arbitr dans le cadre et lissue dun dbat contradictoire. Dans le cadre de ce dbat, chaque partie fait valoir les arguments les meilleurs son estime de nature persuader lauditoire de la suprio-rit de sa cause et contredire les arguments prsents dans le mme but par la partie adverse. Or, dans ce cadre fondateur de la raison juri-dique et de la rhtorique quoffre le procs, Perelman se rallie, comme la trs grande majorit des auteurs dailleurs, au modle topique. Dans la topique (cest- - dire linventaire des topo, des lieux ), tout argu-ment correspond en principe un argument contraire ou symtrique, qui peut tre oppos au premier dans le cours de la discussion et qui ne lui est pas infrieur sur un plan formel. Ainsi, pour reprendre des exemples classiques de la topique juridique, celui qui invoque une loi lappui de sa cause, ladversaire pourra opposer une autre loi en sens contraire (lantinomie) ; ou, si une partie soutient que le juge doit appliquer la loi la lettre, ladversaire pourra plaider quil doit au contraire privilgier lintention relle du lgislateur ou encore opposer la formule unique de la rgle, linfinie diversit de ses contextes dapplication possibles (la lettre et lesprit). Dans le modle topique, la dcision nest pas formel-lement contrainte par largumentation, mais elle implique, dans le contexte particulier de lespce, un choix entre les valeurs vhicules par les arguments opposs.

    Ainsi, au rductionnisme logique , qui prtend ou espre rsorber les contestations et les doutes par la clart des dfinitions et lusage de formes de raisonnement irrfutables, soppose le rductionnisme topique , qui affirme linverse qu tout argument, quelle quen soit la forme ou la clart, correspond toujours ncessairement un argument contraire dont la valeur formelle est quivalente. La thse de Stefan Goltzberg consiste non pas renvoyer dos- - dos ces deux rduction-nismes, que lon identifiera respectivement la logique et la rhtorique, mais plutt les rconcilier en montrant que, si la plupart des argu-ments sont effectivement topiques, cest- - dire rversibles ou, comme dit lauteur dfaisables , certains arguments spcifiques sont nan-moins logiques, cest- - dire quils ne peuvent tre renverss ou dfaits par un argument formellement symtrique ou oppos.

    Cette thse, si elle se vrifiait, emporte des consquences importantes et intressantes. En philosophie, elle permettrait peut- tre douvrir enfin une issue honorable au long conf lit qui oppose, depuis Socrate et Platon, les philosophes en qute de vrit dmonstrative aux sophistes relativistes, si souvent dcris et dpeints par leurs adversaires comme des mercenaires manipulateurs experts dans le maniement darmes de

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  • X THORIE BIDIMENSIONNELLE DE LARGUMENTATION JURIDIQUE

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    sduction massive pour tromper lauditoire. Il ne sagirait plus dsor-mais de dresser les uns contre les autres, mais plutt de combiner les enseignements de la logique, cense sortie arme de la tte dAristote, et de la rhtorique, synthtiss par le mme Aristote au dpart de len-seignement des sophistes (ainsi quune partie de la logique elle- mme dailleurs). En droit, la thse bidimensionnelle , qui donne son titre louvrage, offre galement des perspectives particulirement satisfai-santes. Elle permettrait non plus de sparer, mais de conjuguer, dune part, lart du dbat contradictoire, qui donne sa vie et son me non seulement au procs, mais aussi la raison juridique et judiciaire, et, dautre part, le souci inlassable et lgendaire de clart et de rigueur, qui caractrise galement, depuis les jurisconsultes romains, la technique juridique, telle quelle sincarne en particulier dans lart des dfinitions et des catgories.

    Mais louvrage ne se cantonne nullement ce grand dbat gnral. Lauteur sattache au contraire dmontrer la ralit et lintrt de sa thse en travaillant sur des arguments spcifiques, qui sont dusage quotidien et particulirement importants pour la pratique juridique. Il apporte ainsi une comprhension nouvelle et une amlioration bienvenue la thorie des prsomptions ( laquelle Perelman et lcole de Bruxelles avaient dj consacr un ouvrage (5)) en donnant enfin une explication satisfaisante et un statut la notion nigmatique de prsomption irr-fragable , dont on sait que le droit nadmet pas le renversement par la preuve contraire. Dautre part, Stefan Goltzberg consacre une analyse approfondie largument a fortiori, lun des trois arguments dits quasi logiques avec largument a pari (lanalogie) et largument a contrario. Il montre, contrairement lenseignement quasi unanime de notre dogma-tique juridique, que celui- ci ne correspond pas structurellement une analogie renforce . Contrairement aux arguments topiques a pari et a contrario, qui sont symtriques, largument a fortiori na pas struc-turellement dargument oppos qui puisse le dfaire, soutient Stefan Goltzberg, en sappuyant la fois sur le fonctionnement et les usages de cet argument et sur lhritage dautres cultures juridiques, en parti-culier le droit hindou et la logique talmudique. Ces dcouvertes impli-quent videmment des consquences importantes quant au maniement pratique de tels arguments.

    La seconde innovation majeure, qui sinscrit galement en rupture avec la tradition anti- formaliste issue de Perelman, par ailleurs

    (5) Ch. PERELMAN et P. FORIERS (ds), Les Prsomptions et les fictions en droit, Bruylant, Travaux du Centre national de recherches de Logiques , 1974.

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  • PRFACE XI

    BR UYLANT

    dominante dans les travaux contemporains en argumentation, Stefan Goltzberg lemprunte Oswald Ducrot et sa thorie de largumentation dans la langue. Cette thorie, qui se dcline notamment en une analyse minutieuse des marqueurs argumentatifs , a le mrite dajouter aux dimensions smantique et pragmatique de largumentation (le sens des arguments et leffet quils produisent), une dimension syntaxique (leur forme et leur agencement), qui a en outre le mrite dtre observable, constante et dobir des rgles prcises. Ainsi, si je dis au sujet dun jugement quil est svre, mais juste , je ne vhicule pas la mme ide que si je le qualifie de juste, mais svre , ce qui rvle, sur un plan argumentatif (distinct du plan grammatical), le caractre orient de la conjonction mais . On imagine ltendue du domaine ouvert ici par Stefan Goltzberg lexploration des chercheurs et des tudiants qui seront ainsi initis une dimension de la langue mobilisable des fins de persuasion, sur laquelle ni lcole ni la mthodologie juridique navaient jusqualors dirig leur attention.

    Aussi, je suis particulirement heureux daccueillir, au sein de la collection Penser le droit , ce livre qui lance largumentation juridique dans des voies nouvelles et prometteuses, qui intresseront non seule-ment les professeurs et les tudiants qui se forment au droit et largu-mentation, mais aussi les praticiens et plus largement tous ceux qui sin-tressent au raisonnement juridique et la raison pratique. Pour raliser son dessein, Stefan Goltzberg a mobilis (sans jamais en faire talage) des connaissances et des comptences considrables et rarement runies. la fois philosophe et linguiste de formation, il tudie et enseigne lar-gumentation depuis plusieurs annes, et spcialement largumentation juridique, tant aux tudiants en droit quaux magistrats. Chercheur au Centre Perelman de philosophie du droit, il tudie galement depuis longtemps les domaines de la grammaire et de la logique talmudiques, quil a approfondis lan dernier au sein du Centre de recherche franais de Jrusalem (CNRS) avant de les poursuivre lan prochain lUniver-sit de Cambridge. Ce livre, dont la substance provient en grande partie de la thse de doctorat quil a soutenue avec succs lULB en 2011, sous la co- direction de Michel Meyer et moi- mme, marque la fois un aboutissement et un point de dpart, la premire ralisation majeure dun parcours intellectuel et dune uvre qui sannoncent profondment originaux.

    Benoit Frydman

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