ducrot et todorov - dictionnaire encyclopédique des sciences du langage

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Oswald Ducrot/ Tzvetan Todorov Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage www.facebook.com/Psyebook

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  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Oswald Ducrot/ Tzvetan Todorov

    Dictionnaire

    encyclopdique

    des sciences

    du langage

    www.facebook.com/Psyebook

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Anthropologie

    Sciences humaines

    Dictionnaire encyclopdique des sciences du langage

    Ce dictionnaire ne se limite pas la linguistique stricto

    sensu;

    y figurent aussi les concepts fondateurs, comme celui

    de signe, et, symtriquement, on y a pris en considration

    les productions de la langue (d'o la place accorde la

    potique).

    Quatre grandes parties : les coles (depuis le xvn

    e

    sicle

    jusqu' Chomsky), les domaines (y compris psycho et socio-

    linguistique), les concepts mthodologiques (du plus fon-

    damental le signe au plus driv les genres litt-

    raires), les concepts descriptifs (du plus simple les units

    non significatives aux plus com plexes du langage et de

    l'action). Cinquante-sept articles l'intrieur desquels sont

    donnes quelque huit cents dfinitions, faciles reprer

    grce l'index final, doubl d'un index des auteurs. Un

    irremplaable expos et un trs commode instrument de

    travail.

    782 2 53495

    Seuil, 27 r. Jacob, Paris 6

    ISBN 2.02.005349-7 / Imp. en France 11.79.5

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    Dictionnaire encyclopdique

    des sciences du langage

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    Oswald Ducrot

    Tzvetan Todorov

    Dictionnaire

    encyclopdique

    des sciences

    du langage

    ditions du Seuil

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    I S B N2-02-005349-7

    ( I S B N

    2-02-002709-7,

    V

    e

    publication)

    DITIONSDUSEUIL,1972

    La

    loi du 11

    mars 1957 interdit

    tes

    copies

    ou

    reproductionsdestines

    une utilisation collective.Toute reprsentation

    ou

    reproductionintgrale

    ou partielle faitepar quelque procd que ce soit sans le consentement de

    l auteurou de ses ayants cause

    est

    fhdtc

    et

    constitue

    une

    contrefaon

    sanctionnepar

    les

    articles 425

    et

    suivants du Code pnal.

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Introduction

    Le titre de cet ouvrage comporte deux particularits, qui

    rpondent deux options fondamentales et que nous nous devons

    d'expliquer ici : le pluriel de sciences, le singulier de langage.

    Nous avons choisi de donner au mot langagele sens restreint

    et banal de langue naturelle : non celui, fort rpandu

    de ru tours, de systme de signes . Il ne sera donc question ici

    ni (tes langues documentaires, ni des diffrents arts considrs

    comme langages, ni de la science prise pour une langue bien ou

    mal faite, ni du langage animal, gestuel, etc. Les raisons de cette

    restriction sont multiples. D'abord, en quittant le terrain du

    verbal, nous aurions t obligs de traiter d'un objet dont les

    limites sont difficiles axer et qui risque, de par son indtermi-

    nation mme, de concider avec celui de toutes les sciences humaines

    et sociales sinon de toutes les sciences en gnral. Si tout est

    signe dans le comportement humain, la prsence d'un langage ,

    en ce sens large, ne permet plus de dlimiter un objet de connais*

    sance parmi d'autres. De surcrot, les institutions sociales, les

    structures psychiques, les formes artistiques, les dcoupages des

    sciences n'ont t envisags comme des systmes de signes qu'en

    un temps rcent, et, pour en parler, nous aurions t amens

    souvent crer une science beaucoup plus qu' en rendre compte

    ce qui ne correspondait ni nos buts ni nos possibilits.

    Enfin, une telle extension du mot langage aurait impliqu

    l'affirmation d'une identit principielle entre les diffrents systmes

    de signes; nous nous sommes refuss riger d'emble cette

    hypothse au rang de postulat L'tude de ces systmes pourra

    faire l'objet d'autres ouvrages venir.

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    Dictionnaire encyclopdique

    des sciences du langage

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    Oswald Ducrot

    Tzvetan Todorov

    Dictionnaire

    encyclopdique

    des sciences

    du langage

    ditions du Seuil

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    I S B N2-02-005349-7

    ( I S B N

    2-02-002709-7,

    V

    e

    publication)

    DITIONS

    DU

    SEUIL,

    1972

    Laloi du 11mars 1957 interditlescopiesoureproductionsdestines

    une utilisation collective.Toute reprsentationoureproductionintgrale

    ou partielle faite par

    quelque procd que ce soit sans le consentementde

    l auteur

    ou de ses

    ayants cause

    est

    fltcite

    et

    constitue

    une

    contrefaon

    sanctionnepar

    les

    articles 425

    et

    suivants du Code pnal.

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    Introduction

    Le titre de cet ouvrage comporte deux particularits, qui

    rpondent deux options fondamentales et que nous nous devons

    d'expliquer ici : le pluriel de sciences, le singulier de langage.

    Nous avons choisi de donner au mot langagele sens restreint

    et banal de langue naturelle : non celui, fort rpandu

    de

    IK.

    tours, de systme de signes . Il ne sera donc question ici

    ni ries langues documentaires, ni des diffrents arts considrs

    comme langages, ni de la science prise pour une langue bien ou

    mal faite, ni du langage animal, gestuel, etc. Les raisons de cette

    restriction sont multiples. D'abord, en quittant le terrain du

    verbal, nous aurions t obligs de traiter d'un objet dont les

    limites sont difficiles fixer et qui risque, de par son indtermi-

    nation mme, de concider avec celui de toutes les sciences humaines

    et sociales sinon de toutes les sciences en gnral. Si tout est

    signe dans le comportement humain, la prsence d'un langage ,

    en ce sens large, ne permet plus de dlimiter un objet de connais-

    sance parmi d'autres. De surcrot, les institutions sociales, les

    structures psychiques, les formes artistiques, les dcoupages des

    sciences n'ont t envisags comme des systmes de signes qu'en

    un temps rcent, et, pour en parler, nous aurions t amens

    souvent crer une science beaucoup plus qu' en rendre compte

    ce qui ne correspondait ni nos buts ni nos possibilits.

    Enfin, une telle extension du mot langage aurait impliqu

    l'affirmation d'une identit principielle entre les diffrents systmes

    de signes; nous nous sommes refuss riger d'emble cette

    hypothse au rang de postulat L'tude de ces systmes pourra

    foire l'objet d'autres ouvrages venir.

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    8 Introduction

    Si l t m ot langage est donc pris ici en un sens restrictif, le

    pluriel desciencesmarque, au contraire, notre dsir d'ouverture.

    N ous n'avons voulu, aucun mom ent, sparer l'tude de la langue

    de celle de sesproductions entendant par l la fois sa mise en

    fonctionnement (d'o la place accorde renonciation, aux actes

    linguistiques, au langage en situation) et les squencesdiscursives

    qui en rsultent, et dont l'organisation n'est (dus directement

    rgie par le seul mcanisme de la langue (d'o les nombreux

    articles consacrs aux questions de littrature : le discours litt-

    raire tant, de tous, le mieux tudi). Toute tentative d'isolerl'tude de la langue de celle du discours se rvle, tt ou tard,

    nfaste l'une et l'autre. En les rapprochant, nous ne faisons

    d'ailleurs que renouer avec une longue tradition, celle de la

    philologie, qui ne concevait pas la description d'une langue

    sans une description des uvres. On trouvera donc reprsentes

    ici, outre la linguistique au sens troit, la potique, la rhtorique,

    la stylistique, la psycho-, la socio- et la golinguistique, voire

    certaines recherches de smiotique et de philosophie du langage.

    Nous souscrivons par l au credo nonc nagure par l'un des

    matres de la linguistique moderne :

    Linguiste sum : Itnguistid

    nihi a me aiienum puto.

    Bien que nous n'intervenions ici comme tenants d'aucune

    cole, nous avons t amens, plus souvent qu'il n'est d'usage

    dans ce genre d'ouvrages, prendre une position personnelle,

    et mme prsenter, ici ou l, des recherches originales, si incom-

    pltes et provisoires que nous les sachions. Plutt qu'un bilan

    des opinions, dont l'idal illusoire serait l'impartialit, nous avons

    cherch donner une vue d'ensemble cohrente des problmes

    ce qui exige toujours le choix d'un point de vue. Indiquons-le

    brivement

    Pour tudier les problmes du langage, nous avons choisi de

    les envisager dans une perspective essentiellement smantique.

    Les problmes de la signification, de ses niveaux, de ses modes

    de manifestation sont au centre de tout l'ouvrage. Cette im-

    portance accorde la signification, entrane plusieurs cons-

    quences :

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    Introduction 9

    1.

    Noua avons prsent en dtail la thorie gnrative et trans-

    formationnele de Chomsky, qui a contribu, plus qu'aucune

    autre, lever la mfiance dont les questions smantiques ont

    longtemps t l'objet de la part des linguistiques scientifiques

    (ce qui rous a amens d'ailleurs signaler certaines difficults

    qu'elle rencontre, et qui expliquent son volution actuelle).

    2. De mme, nous avons donn une place importante l'histoire

    des sciences du langage (en la faisant commencer bien avant

    le xix

    e

    sicle) : c'est que les dbats qui l'occupent tournent, eux

    aussi, en dernire analyse, autour des rapports entre la langue

    et la signification : mm e le dbat entre Saussure et la linguistique

    historique du xrx* sicle, qui se cristallise autour de questions

    techniques prcises, met en jeu, en fin de compte, deux conceptions

    diffrentes de l'acte de signifier.

    3. N ous exposons, propos de divers problmes la rfrence,

    la modalit, par exemple , le point de vue de certains logiciens.

    U est assez frquent, aujourd'hui, de dclarer ce point de vue

    linguistiquement non-pertinent (une expression que nous

    n'aimons gure), sous prtexte que les logiciens ne s'occupent

    pas de dcrire la langue, mais d'noncer des rgles concernant

    son utilisation. H nous semble cependant que les recherches

    logiques peuvent tre fort rvlatrices pour le linguiste; car les

    difficults que le logicien rencontre pour noncer les lois du

    raisonnement font apparatre, par contraste, la spcificit des

    langues naturelles.

    4.

    Des questions purement littraires ctoient parfois

    l'examen des catgories linguistiques : ainsi la discussion du

    personnage suit celle des parties du discours et des fonc-

    tions syntaxiques . H en rsulte l'occasion une certaine ingalit

    dans le niveau de rigueur atteint ici et l : ingalit que nous

    esprons provisoire et qui reflte le rythme irrgulier dans le

    dveloppement des sciences. Nous avons adopt ce parti parce

    que nous croyons au rapport authentique qui relie catgories

    linguistiques et catgories discursives, parce que nous croyons

    au profit que peuvent tirer l'une et l'autre science de leur tude

    conjugue.

    5. En contrepartie, il tait invitable de faire une part plus

    restreinte aux problmes de l'expression phonique et de la parent

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    10 Introduction

    historique des langues; nous avons essay cependant de prsenter,

    concernant ces thmes, les notions qui sont devenues le bien

    commun et la rfrence constante des linguistes, et qui sont

    indispensables pour comprendre les travaux actuels sur le langage*.

    D y a une certaine tmrit prsenter, en quatre cents pages,

    une vue d'ensemble sur les sciences du langage, tant donn leur

    extraordinaire dveloppement, depuis une cinquantaine d'annes

    surtout; tant donn aussi leur aspect la fois systmatique

    chaque notion doit se comprendre par rapport une multitude

    d'autres , et chaotique on ne trouve ni principes ni term ino-

    logie fixes. Pour faire face ces difficults, nous avons procd

    de la manire que voici

    Le livre est organis non selon une liste de mots, mais selon

    un dcoupage conceptueldu domaine tudi. La solution inverse

    (qui tait encore possible l'poque du

    Lexique de la

    terminologie

    linguistique

    de J. Marouzeau) aurait entran, aujourd'hui, ou des

    redites innombrables, trop coteuses en place, ou des kyrielles

    de renvois, exigeant des lecteurs une patience draisonnable.

    Nous avons donc crit une cinquantaine ^articlesdont chacun,

    consacr unthmebien dlimit, constitue un tout, et peut tre

    l'objet d'une lecture suivie. A l'intrieur de ces articles, un certain

    nombre de termes (environ huit cents) sont dfinis : un index,

    plac la fin de l'ouvrage, donne la liste alphabtiquede ces

    termes, avec une rfrence et une seule au passage du livre

    o se trouve la dfinition. Par ailleurs, le lecteur qui cherche des

    renseignements sur une doctrine particulire, trouvera unindex

    des auteurs,

    avec renvoi aux passages o se trouvent des dvelop-

    pements les concernant (nous avons laiss de ct, dans ces

    renvois, les remarques purement aUusives ou bibliographiques

    dont les mmes auteurs peuvent tre l'objet ici et l).

    Enfin, lorsqu'il a t ncessaire, dans le courant mme des

    articles, d'utiliser des termes ou de faire allusion des thmes

    Pour une tude approfondie de ces problmes, nous renvoyons au

    Guide alphabtique de la linguistique ralis sous la direction d'A. Martinet

    (Paris, 1969), ouvrage peu prs symtrique du ntre, en sens qu'il prend

    pour centraux les problmes que nous traitons de faon marginale et

    JaveraerneriL

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    Introduction 11

    prsents affleurs, des numros entra crochets indiquent fai

    page o ces termes on thmes sont expliqus.

    Les articles se suivent selon un ordreanalytiqueet non alphab-

    tique. En voici le principe.

    La premire section, Les coles, suit tes principales tendances

    dont l'enchanement constitueVMstoirede lalinguistiquemoderne

    (grammaires gnrales, linguistique historique gossmatique,

    etc.).

    La seconde, Les domaines, dcrit Vensemble des disciplines

    dont le langage constitue Vobjet

    : tes diffrentes parties de la lin-

    guistique, la potique, la stylistique, la psycholinguistique, la

    philosophie du langage...

    Les deux autres sections sont consacres la descriptiondes

    principaux concepts utiliss. D'abord,

    Les concepts mthodolo-

    giques;

    on entend par l tes concepts les plus gnraux, comme

    ceux de signe, syntagme et paradigme, langue et parole, etc.;

    l'intrieur mme de cette section, l'ordre suivi vise aller

    autant que possible, et sans prtendre une hirarchie stricte

    du fondamental au driv.

    Ensuite, dans la dernire section, on

    traite de concepts plus particuliers, dits

    descriptifs

    : par exemple

    ceux de phonme, partie du discours, sens et rfrence, style;

    ils s'chelonnent du simple au complexe, en partant du trait dis-

    tinctif phonique, pour arriver aux actes linguistiques globaux.

    Ainsi construit, l'ouvrage nous semble susceptible d'une double

    lecture : fl peut s'utiliser comme dictionnaire on comme encyclo-

    pdie, n est donc destin aussi bien aux spcialistes qu'aux dbu-

    tants, dans chacun de ces domaines qui vont de la linguistique

    aux tudes littraires.

    La langue dans laquelle les articles sont crits vise tre aussi

    peu technique que possible. La linguistique et, plus encore, les

    autres disciplines reprsentes i c i n e possde pas de terminologie

    unifie. Si nous utilisions un langage technique, nous devions

    donc, ou bien mlanger des terminologies diverses, on bien choisir

    l'une d'entre elles, ce qui quivalait privilgier

    a priori

    la doctrine

    qui l'a construite. Nous avons prfr utiliser le langage le moins

    spcialis, et, l'aide de ce langage commun, donner la dfinition

    des termes techniques. Par exemple, tout en proposant, pour les

    termes

    signification, langue, langage,

    des dfinitions troites et

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    12 Introduction

    restrictives, nous utilisonscestermes, danslecoursdel'ouvrage,

    selon l'acception plus lche qu'ils

    ont

    dans

    le

    langage ordinaire.

    Lorsque, cependant,

    il

    nous

    est

    ncessaire d'employer une expres-sion technique,

    ou

    d'employer

    une

    expression dans

    un

    sens

    technique, nous renvoyons,par unchiffre imprim ct d'elle,

    lapageol'on trouvesadfinition.

    Lesbibliographiesdonnesl'intrieurdesarticles, lafin

    de chaque dveloppement nevisentpas l'exhaustivit, mais

    seulement indiquer ou bien quelques textes historiquement

    marquants,

    ou

    bien quelques travaux dont nous garantissons

    l'intrt

    .

    Pour certains articles, nous avons demandle secours d'autres

    collaborateurs savoir M

    mM

    Maria-Scania de Schonen et

    Marie-Christine Hazacl-Massieux

    et M.

    Franois Wahl. Nous

    tenons

    les

    remercier

    ici. Le nom de

    l'auteur

    de

    chaque article

    est indiqu dans

    le

    sommaire.

    O8wald DUCROT

    Tzvetan

    TODOROV

    * Nous avons adopt, enplusdesconventions gnrales,tes abrviations

    suivantes

    :

    lorsqu'il

    s agitd un

    article publi dans

    un

    recueil

    collectif, le

    titredurecueilestprcdpar un Ai et,ventuellement, par le nom du res-

    ponsable

    ou du

    prsentateur

    du

    recu eil suivi

    de la

    mention (&/).

    Si

    l article

    est publi dans

    un

    recueil

    de

    l auteurmmo,

    le

    titre

    du

    recueil prcde celui

    de l'article. Lorsque lechiffre derenvoi une autre page estsuivi de *.,

    la page dsigne

    est la

    premire

    d une

    suite

    laquelle

    0

    faut

    se

    rfrer.

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    Les coles

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    Grammaires gnrales

    Aprs

    avoir rdig diverses grammaires (grecque, latine espa-

    gnole), un professeur des Petites coles de Port-Royal des

    Champs, Claude Lancelot, crivit en 1660, en collaboration avec

    Antoine Araauld, une

    Gram maire gnrale et rationne,

    appele

    souvent par la suite

    Gram maire de Port-Royal.

    La grammaire

    gnrale vise noncer certains principes auxquels obissent

    toutes les langues, et qui donnent l'explication profonde de leurs

    usages; il s'agit donc de dfinir

    le langage

    dont les langues particu-

    lires sont des cas particuliers. L'exemple de Port-Royal a t

    suivi par un grand nombre de grammairiens, surtout franais, du

    xvm

    e

    sicle, qui estiment que, si on ne se fonde pas sur une gram-

    maire gnrale, l'apprentissage des langues particulires se rduit

    un exercice purement mcanique, o n'entrent en jeu que la

    mmoire et l'habitude.

    Si toutes les langues ont un fondement commun, c'est qu'elles

    ont toutes pour but de permettre aux hommes de se signifier ,

    de se faire connatre les uns aux autres leurs penses. Or Lancelot

    et Arnauld admettent implicitement, et certains grammairiens

    postrieurs (comme Beauze) affirment explicitement, que la

    communication de la pense par la parole exige que celle-ci soit

    une sorte de tableau , d' imitation , de la pense. Quand ils

    disent que la langue a pour fonction la reprsentation de la pense,

    ce mot doit donc tre pris dans son sens le plus for t II ne s'agt

    pas seulement de dire que la parole est signe, mais qu'elle est

    miroir, qu'elle comporte une analogie interne avec le contenu

    qu'elle vhicule. Comment se fait-il, maintenant, que ces mots,

    qui n'ont rien de semblable avec ce qui se passe dans notre

    esprit, puissent p en da nt imiter l es divers mouvements de notre

    me ?

    Il ne s'agit pas pour les auteurs de grammaires gnrales, de

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    16

    Les coles

    chercher dans la matrialit du mot, une imitation de la chose

    ou de Tide (bien que la croyance la valeur imitative des sons du

    langage se retrouve toutes les poques de la rflexion linguistique,

    et, au xvn* sicle mme, dans certains textes de Leibniz). C'est

    seulement l'organisation des mots dans l'nonc, qui, pour eux,

    a un pouvoir reprsentatif. Mais comment est-il possible juste-

    ment qu'un assemblage de mots spars puisse reprsenter une

    pense dont la caractristique premire est Y indivisibilit

    (terme employ par Beauze)? Est-ce que le morcellement impos

    par la nature matrielle de la parole ne contredit pas l'unit

    essentielle de l'esprit? Pour rpondre cette question (la mme qui,

    au xix

    e

    sicle, guide la rflexion de Humboldt sur l'expression

    linguistique de la relation), il faut remarquer qu'il existe une

    analyse de la pense qui, tout en la dcomposant, respecte son

    unit : c'est l'analyse opre par les logiciens. En distinguant

    dans une proposition un sujet et un prdicat (ce dont on affirme

    quelque chose, et ce qu'on en affirme), on ne brise pas son unit,

    puisque chacun de ces termes doit tre dfini par rapport l'autre,

    puisque le sujet n'est tel que par rapport une prdication possible,

    et que le prdicat ne se suffit pas lui-mme, mais comporte une

    ide confuse du sujet dont il est affirm. Par consquent,

    la parole pourra laisser transparatre l'indivisibilit de l'acte

    intellectuel, si le morcellement en mots reproduit l'analyse logique

    de la pense. C'est ainsi que l'art d'analyser la pense est le

    premier fondement de l'art de parler, ou, en d'autres termes,qu'une saine logique est le fondement de l'art de la grammaire

    (Beauze). De l'ide que le langage est reprsentation, on passe

    ainsi l'ide qu'il est reprsentation de la pense logique. Du

    mme coup, on comprend qu'il puisse y avoir une grammaire

    gnrale : comme on ne met gure en doute, l'poque,

    que la logique soit universelle, il semble naturel qu'il y ait des

    principes, galement universels, que toutes les langues doivent

    respecter lorsqu'elles s'efforcent de rendre visible, travers les

    contraintes de la communication crite ou orale, la structure

    de la pense logique. On comprend aussi que la connaissance

    de ces principes puisse tre obtenue de faon raisonne (et non

    pas inductive), partir d'une rflexion sur les oprations logiques

    de l'esprit et sur les ncessits de la communication. On voit

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    22/479

    Grammaires gnrales

    17

    enfin que cette grammaire gnrale et raisonne permet, son

    tour, de rendre raison des usages observs dans les diffrentes

    langues : il s'agit alors d* appliquer aux principes immuables

    et gnraux de la parole prononce ou crite, les institutions

    arbitraires et usuelles des *angues particulires.

    QU ELQU ES EX EMP LES.

    Les principales catgories de mots correspondent aux moments

    fondamentaux de la pense logique. Le jugement consistant

    attribuer une proprit (prdicat) une chose, les langues compor-

    tent des mots pour dsigner les choses (substantifs), pour dsigner

    les proprits (adjectifs), et pour dsigner l'acte mme d'attribu-

    tion (le verbe

    tre;

    les autres verbes reprsentent, selon Port-

    Royal, un amalgame du verbe

    tre

    et d'un adjectif : le chien

    court = le chien est courant ). D'autres catgories, tout en

    tant, elles aussi, lies l'exercice de la pense logique, sont

    dtermines de plus par les conditions de la communication.

    Ainsi l'impossibilit d'avoir un nom pour chaque chose impose

    le recours des noms comm uns dont l'extension est ensuite limite

    par des articles ou par des dmonstratifs. On noncera de mme,

    en combinant principes logiques et contraintes de communication,

    certaines rgles prsentes comme universelles. Par exemple

    l'accord entre le nom et l'adjectif qui le dtermine, accord nces-

    saire pour la clart de la communication (il permet de savoir

    de quel nom dpend l'adjectif) doit tre une concordance (identit

    du nombre, du genre et du cas) parce que, selon leur nature logique,

    l'adjectif et le nom se rapportent une seule et mme chose.

    (Port-Royal va jusqu' rendre raison de l'accord du participe en

    franais.) Ou encore, il y a un ordre des mots (celui qui place le

    nom avant l'adjectif pithte, et le sujet avant le verbe) qui est

    naturel et universel, parce que, pour comprendre l'attribution

    d'une proprit un objet, il faut d'abord se reprsenter l'objet :

    ensuite seulement il est possible d'affirmer quelque chose de lui

    Cette dernire rgle dans la mesure o les contre-exemples

    apparaissent aussitt (le latin et l'allemand ne respectent gure cet

    ordre naturel ) fait comprendre qu'une thorie des figures

    est indispensable toutes les grammaires gnrales. Une figure

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    23/479

    18

    Les coles

    de rhtorique [349] est conue l'poque comme une faon de

    parler artificielle et impropre,

    substitue

    volontairement, pour des

    raisons d'lgance ou d'expressivit, une faon de parler natu-

    relle,qui doit tre r. .abiie pour que la signification de la phrase

    soit comprise. Selon les grammaires gnrales on trouve de telles

    figures, non seulement dans la littrature, mais dans la langue

    elle-mme : elles tiennent ce que la langue, destine primiti-

    vement reprsenter la pense logique, se trouve en fait mise au

    service des passions. Celles-ci imposent par exemple des abrvia-

    tions (on sous-entend les lments logiquement ncessaires, mais

    affectivement neutres), et, trs frquemment, un renversement

    de l'ordre naturel (on met en tte, non le sujet logique, mais le

    mot important). Dans tous ces cas, les mots sous-entendus et

    l'ordre naturel avaient d'abord t prsents l'esprit du locuteur,

    et doivent tre rtablis par l'auditeur (te romain qui entendait

    Venit Petrus

    tait oblig, pour comprendre, de reconstruire en

    lui-mme

    Petrus venit).

    C'est pourquoi le latin ou l'allemand

    sont appels langues transpositives : elles renversent un ordre

    d'abord reconnu. L'existence de figures, bien loin de contredire

    les principes gnraux, en constitue donc plutt la confirmation :

    elles ne remplacent pas les rgles, mais se superposent elles.

    Quelques textes essentiels : A. Arnauld, C. Lancelot, Grammaire

    gnraleet raisonne,Paris, 1660, rdite Paris, 1969, accompagne

    d'une prface de M. Foucault; N . Beauze,Grammairegnrale, Paris,

    1767;

    C Chesneau du Marsais,

    Logique et principes de grammaire,

    Paris,

    1769. Nombreux renseignements dans G. Harnois,

    Les

    Thories

    dulangageenFrancede16601821,Paris 1929; G . Sahlin,CsarChes-

    neau du M arsais et son rle dans rvolution de lagrammairegnrale,

    Paris,1928; N . Chomsky,Cartesian

    Unguistics,

    New York, 1966 (trad.

    franaise LaLinguistiquecartsienne

    y

    Paris, 1969); R. Donz,LaGratta

    maire gnraleetraisonnedePort-Royal,Berne, 1967; J.-C Chevalier,

    Histoire de la syntaxe, Genve, 1968; P. Julliard,PhihsophiesofLan-

    guageinEghteenth Century

    France,

    La Haye, 1970.

    Quelle est l'importance historique de la grammaire gnrale?

    D'abord, elle marque, en intention au moins, la fin du privilge

    reconnu, aux sicles prcdents, la grammaire latine, dont on

    avait tendance faire le m odle de toute grammaire : la grammaire

    gnrale n'est pas p lus latine qu'elle n'est franaise ou allemande,

    mais elle transcende toutes les langues. On comprend que ce soit

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    24/479

    Grammaires gnrales 19

    devenu, au xvm* sicle, un lieu commun (rpt dans beaucoup

    d'articles linguistiques de VEncyclopdie) de condamner les

    grammairiens qui ne savent voir une langue qu' travers une autre

    (ou,

    comme dira, au xx sicle, O. Jespersen, qui parlent d'une

    langue en louchant sur une autre). D'autre part, la grammaire

    gnrale vite le dilemme, qui semblait jusque-l insurmontable,

    de la grammaire purement philosophique et de la grammaire

    purement empirique. Les nombreux traits

    De modis significandi

    au Moyen Age se consacraient une rflexion gnrale sur l'acte

    de signifier. D'un autre ct, la grammaire, telle que l'entendait

    Vaugelas, n'tait qu'un enregistrement des usages, ou plutt

    des bons usages , la qualit de l'usage tant juge surtout la

    qualit de l'usager. La grammaire gnrale, elle, cherche donner

    une explication des usages particuliers partir de rgles gnrales

    dduites. Si ces rgles peuvent prtendre un tel pouvoir expli-

    catif,

    c'est que, tout en tant fondes sur la logique, elles ne

    se contentent pas de la rpter : elles expriment sa transpa-

    rence possible travers tes conditions matrielles de la commu-

    nication humaine.

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Linguistique historique

    au

    XIX

    e

    sicle

    NAISSANCB DE LA UNGUISTQUB HISTORIQUE.

    Bien qu'il soit facile de constater (ne serait-ce qu'en comparant

    des textes) que les langues se transforment avec le temps, c'est

    seulement vers la fin du XVII

    6

    sicle que cette transformation

    est devenue l'objet d'une science particulire. Deux

    ides

    semblent

    lies cette attitude nouvelle.

    a) Le changement des langues n'est pas d seulem ent la

    volont consciente des hom mes

    (efifort d'un groupe pour se faire

    comprendre d'trangers, dcision des grammairiens qui purent

    le langage, cration de mots nouveaux pour dsigner des ides

    nouvelles),

    mais aussi une ncessit

    interne.La langue n'est pas

    seulement transforme, mais elle se transforme (Turgot, dans

    l'article tymologie de VEncyclopdie, parie d'un principe

    interne de changement). Cette thse est devenue explicite lorsque

    les linguistes ont commenc distinguer deux relations possibles

    entre un mot

    a

    d'une poque

    A,

    et un mot

    b,

    analogue, d'une

    poqueBultrieure. U y a emprunt siba t consciemm ent form

    sur le modle de a, qu'on est all exhumer d'un tat de langue

    pass : ainsi

    hpital

    a t fabriqu, une poque dtermine, par

    imitation du latin hospitale (plus exactement, on a fabriqu, trs

    anciennement hospital, devenu depuis hpital).Il y a hritage en

    revanche lorsque le passage de

    a

    b

    est inconscient, et que leur diff-

    rence, s'il y en a une, tient une progressive transformation de

    a (htel

    est le produit d'une srie de modifications successives subies

    par

    hospitale).

    Dire qu'un mot peut venir, par hritage, d'un mot

    diffrent, c'est donc admettre qu'il y a des causes naturelles au

    changement linguistique. De l dcoule une consquence impor-

    tante : la filiation de deux langues

    A et B

    n'implique pas leur

    ressemblance. B peut tre radicalement diffrente de A, et venir

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Linguistique historique auXIX

    e

    sicle 21

    pourtant deA .Auparavant, au contraire, la recherche des filiations

    linguistiques ne faisait qu'un avec la recherche des ressemblances,

    et, l'inverse, on se servait des diffrences pour combattre l'hypo-

    thse d'une filiation. La croyance au changement naturel va au

    contraire amener rechercher l'intrieur mme des diffrences,

    la preuve de la parent.

    b) Le

    changement linguistique

    est rgulier, et respecte

    V organisa-

    tion interne des langues.Comment prouver la filiation de deux

    langues, si on renonce prendre pour critre la ressemblance?

    En d'autres termes, sur quoi se fonder pour dcider que les diff-

    rences entre elles sont le produit de changements et non de substi-

    tutions?(N.B.C'est l la face linguistique d'un problme trs gnral,

    que rencontre toute tude du changement; la physique et la chimie

    le rsolvent, vers la mme poque, en donnant pour critre au chan-

    gement, qu' travers lui quelque chose se conserve ). La solution

    vers laquelle on se dirige la fin duXVIII*sicle, et dont l'acceptation

    explicite constituera la linguistique historique comme science,

    consiste ne considrer une diffrence comme un changement

    que si elle manifeste une certaine rgularit l'intrieur de la

    langue. Comme la croyance la conservation de la matire fait

    passer de l'alchimie la chimie, le principe de la rgularit du

    changement linguistique marque la naissance de la linguistique

    partir de ce qu'on appelait alors tymologie. Celle-ci, mme

    lorsqu'elle se prsentait comme historique (ce qui n'tait pas

    toujours le cas [170]), et qu'elle expliquait un mot en trouvant,

    dans un tat antrieur,le m ot dont il provient, tudiait chaque

    mot sparment, en en faisant un problme isol. Cette dmarche

    rendait trs difficile de trouver des critres, car il est frquent que

    diffrentes tymologies semblent possibles pour un mme mot

    Et, dans ce cas, comment choisir? La linguistique historique,

    en revanche, n'explique un mot b par un mot a prcdent que si

    le passage de

    a

    b

    est le cas particulier d'une rgle gnrale valable

    pour bien d'autres mots, et fait comprendre aussi que

    a'

    soit devenu

    b'

    t

    a", devenu 6", etc. Cette rgularit implique que la diffrence

    entre a et b tient tel ou tel de leurs constituants, et que, dans

    tous les autres mots o ce constituant apparat, il soit affect

    par le mme changement. On peut tirer de l deux consquences :

    bi) On peut exiger que l'explication d'un mot s'appuie sur une

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    27/479

    22

    Les

    coles

    analyse grammaticale de ce mot, et explique sparment les diff-

    rentes units signifiantes (morphmes [259]) dont il est compos.

    C'est pourquoi Turgot refuse, par exemple, l'explication du latin

    britamica

    (t britannique ) par l'hbreu

    baratanac

    ( pays de

    l'tain ), avec l'argument que le mot latin est compos de deux

    units

    (britan,

    et la terminaison

    ica)

    : il faut donc les expliquer

    sparment, tandis que l'tymologie allgue expliquait le mot

    dans sa totalit (voir, ici mme, un autre exemple, pris Adelung,

    p. 257). Pour que le changement linguistique possde cette rgu-

    larit qui est sa seule garantie possible, il semble donc ncessairequ'il respecte l'organisation grammaticale de la langue, et ne

    concerne le mot qu' travers sa structure interne (on voit comment

    l'article de Turgot, consacr la recherche de critres pour l'tymo-

    logie, est amen dpasser l'tymologie).

    bi)

    On peut aller plus loin encore dans l'analyse du mot, et

    chercher la rgularit non seulement au niveau des composants

    grammaticaux, mais celui des composants phontiques. C'est

    dans cette tche que la linguistique historique a obtenu, au xrx

    6

    si-

    cle,ses plus beaux succs, en arrivant tablir des lois phontiques.

    noncer une loi phontique concernant deux langues (ou tats

    d'une mme langue)

    A

    et

    B

    t

    c'est

    montrer qu' tout mot de

    A

    comportant, dans ose position dtermine, un certain son lmen-

    taire x, correspond un mot deB ox est remplac par x \ Ainsi,

    lors du passage du latin au franais, les mots latins contenant

    un

    c

    suivi d'un

    a

    ont vu le

    c

    chang en

    ch

    :

    campus

    ->

    champ,

    cahus -+chauve, casa chez, etc.N.B.a) Use peut que

    JC*

    z r o ,

    et que le changement soit une suppression,

    b)

    II serait difficile de

    prciser le terme correspond employ plus haut : gnralement,

    le mot deBn'a plus le mme sens que celui deA car la signi-

    fication, elle aussi, volue , et il en diffre matriellement par

    autre chose que par la substitution de a*

    x

    car d'autres lois

    phontiques relient

    A

    et B.

    c)

    Les lois phontiques ne concernent

    que les changements lis un hritage, et non les emprunts :

    l'emprunt

    calvitie

    a t directement calqu sur le latin

    calvities.

    Un chantillon amusant d'histoire pr-linguistique des langues:

    Discours historique sur l'origine de la langue franaise ,

    Le M ercure

    ds

    France*juin-juillet 1757.

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    28/479

    Linguistique historique auXIX

    e

    sicle

    23

    L A G R AM M AE R B C O M P A R E ( O U C O M P A R A T I S M E ) .

    Malgr certaines intuitions de Turgot ou de Adelung, on donne

    d'habitude comme date de naissance la linguistique historique

    un ouvrage de l'Allemand F. Bopp sur le

    Systme de

    conjugaison

    de la langue sanscrite, compar celui deslangues grecque, latine

    %

    persaneet germarique(Francfort-sur-le-Main, 1816). Pour dsigner

    les recherches analogues menes, en Allemagne surtout, pendant

    la premire moiti du xrx

    e

    sicle, on emploie souvent l'expression

    grammaire compare ou comparatisme : en font partie notam-

    ment les travaux de Bopp, des frres A. W. et F. von Schlegel, de

    J. L. C. Grimm, de A. Schleicher, ceux enfin souvent prcur-

    seurs, mais qui ont eu peu d'audience du Danois R. Rask. Us

    ont en commun les caractres suivants :

    1.Suscits par la dcouverte, la fin du xvm

    e

    sicle, de l'ana-

    logie existant entre le sanscrit, langue sacre de l'Inde ancienne,

    et la plupart des langues europennes anciennes et modernes,

    ils sont essentiellement consacrs cet ensemble de langues,

    appeles soit indo-europennes, soit indo-germaniques.

    2.

    Ils partent de l'ide qu'il y a, entre ces langues, non seulement

    des ressemblances, m ais une parent : ils les prsentent donc

    comme des transformations naturelles (par hritage) d'une mme

    langue-mre, l'indo-europen, qui n'est pas directement connue,

    mais dont on fait la reconstruction (Schleicher a mme cru pouvoir

    crire des fables en indo-europen). N.B. Les premiers compara-

    tistes ne se dfendaient pas toujours contre l'ide que le sanscrit

    est

    la langue mre.

    3. Leur mthode est comparative, en ce sens qu'ils essaient

    avant tout d'tablir des correspondances entre langues : pour cela

    ils les comparent (quelle que soit leur distance dans le temps),

    et cherchent quel lmentx de l'une tient la place de l'lment V

    de l'autre. Mais ils ne s'intressent gure rtablir, stade par

    stade, le dtail de l'volution qui a men de la langue-mre aux

    langues modernes. Tout au plus sont-ils amens, pour les besoins

    de la comparaison, tracer les grandes lignes de cette volution :

    si l'on a comparer le franais et l'allemand, on arrive des rsul-

    tats beaucoup plus clairs en procdant de faon indirecte, en

    comparant d'abord le franais au latin et l'allemand au germa-

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    29/479

    24 Les coles

    nique, puis le latin au germanique : d'o l'ide que la langue-

    mre

    s est

    subdivise en quelques grandes langues (italique,

    germanique, slave, etc.), dont chacune

    s est

    ensuite subdivise,

    donnant naissance une famille (avec, encore, des subdivisions

    pour la plupart des lments de ces familles).

    4. La comparaison de deux langues est avant tout comparaison

    de leurs lments grammaticaux. Dj Turgot avait prsent

    comme une garantie ncessaire pour l'tymologiste, qu'il ne tente

    pas d'expliquer les mots pris globalement, mais leurs lments

    constitutifs (cf. ici mme, p. 22). De ces lments, maintenant,

    lesquels sont les plus intressants? Ceux qui dsignent des notions

    (aim dans aimeront, troupedans attroupement), et qu'on appelle

    souvent radicaux ou lments lexicaux), ou bien les lments

    grammaticaux dont les premiers sont entours, et qui sont censs

    indiquer les rapports ou points de vue selon lesquels la notion

    est considre? La discussion sur ce point a commenc ds la fin

    du xvin

    6

    sicle, dirige par l'ide qu'il faut liminer de la compa-

    raison tout ce qui risque d'avoir t emprunt par une langue

    une autre (et qui ne peut donc servir prouver une volution

    naturelle). Or les lments grammaticaux ne prsentent gure

    ce risque, puisqu'ils constituent, dans chaque langue, des systmes

    cohrents (systme des temps, des cas, des personnes, etc.). Vu

    leur solidarit rciproque, on ne peut pas emprunter un lment

    grammatical isol, mais seulement tout un systme, et le boulever-

    sement qui en rsulterait rend la chose peu vraisemblable. C'est

    pourquoi la comparaison des langues a t considre essentielle-

    ment, au dbut du xxx

    6

    sicle, comme comparaison de leurs

    lments grammaticaux.

    LA THSE DU DCLIN DES LANGUES.

    Le projet de la linguistique historique tait li l'ide d'une

    double conservation lors du changement (ici mme p. 21 s.).

    Conservation de l'organisation grammaticale : il faut que l'on

    puisse soumettre les mots de l'tat A et de l'tat ultrieurB la

    mme dcomposition en radical et lments grammaticaux (sinon

    la comparaison doit prendre les mots globalement, mthode

    dont on connaissait l'incertitude). Conservation aussi de l'organi-

    sation phontique, pour que des lois phontiques puissent faire

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    30/479

    Linguistique historique au

    XIX*

    sicle

    25

    correspondre les sons lmentaires de

    A

    et de

    B,

    et montrer com-

    ment varie la forme phonique des composants des mots. Mais

    les faits ont rendu difficile le maintien de cette double permanence.

    Car les comparatistes ont cru dcouvrir que les lois phontiques

    dtruisent progressivement par une sorte d'rosion l'organi-

    sation grammaticale de la langue qui leur est soumise. Ainsi elles

    peuvent amener la confusion, dans l'tat

    B

    %

    d'lments grammati-

    caux distincts en

    A,

    amener mme la disparition de certains

    lments (la disparition des cas latins en franais tiendrait

    rvolution phontique qui a entran la chute de la partie finale

    des mots latins, partie o apparaissent les marques de cas); enfin

    la sparation, dans le m ot, entre radical et lments grammaticaux

    (sparation dont la nettet en sanscrit merveillait les premiers

    comparatistes) s'attnue souvent du fait des changements phon-

    tiques.

    D'o le pessimisme de la plupart des comparatistes ( l'excep-

    tion de Humboldt) : l'historien des langues ne trouve retracer

    que leur dclin amorc dj dans les langues de l'Antiquit ,

    et Bopp se plaint souvent de travailler dans un champ de ruines.

    Mais ce pessimisme a des commodits : il permet de comparer

    un mot moderne avec un mot ancien dont la structure est apparem-

    ment fort diffrente, tout en maintenant que la comparaison

    doit respecter les organisations grammaticales. Il suffit et Bopp

    ne s'en prive pas de supposer que les deux mots ont une struc-

    ture analogue en profondeur, et, plus gnralement, de considrer

    l'tat ancien comme la vrit grammaticale de l'tat nouveau :

    n'est-il pas raisonnable, pour l'archologue qui fait le plan d'un

    champ de ruines, d'essayer d'y retrouver le trac de la ville an-

    cienne? Ce que le comparatisme ne pouvait pas, en revanche,

    sans abandonner ses principes mthodologiques fondamentaux,

    c'tait croire que les langues, en se transformant, crent des

    organisations grammaticales nouvelles.

    Comment expliquer ce dclin des langues au cours de l'histoire?

    La plupart des comparatistes B opp et Schleicher notamment

    l'attribuent l'attitude de l'homme historique vis--vis de la

    langue, qui est une attitude d'utilisateur : il traite la langue comm e

    un simple moyen, comme un instrument de communication dont

    l'utilisation doit tre rendue aussi commode et conomique qu*

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    31/479

    26 Les coles

    possible. Les lois phontiques auraient Justement pour cause

    cette tendance au moindre effort, qui sacrifie l'organisation

    grammaticale au dsir d'une communication bon march.

    S'il y a eu une priode positive dans l'histoire des langues,

    11faut donc la rechercher dans la prhistoire de l'hum anit. A lors,

    la langue n'tait pas un moyen, mais une fin : l'esprit humain

    la faonnait comme une uvre d'art, o il cherchait se

    repr

    senter

    lui-mme. A cette poque, jamais rvolue, l'histoire

    des langues a t celle d'une cration. Mais c'est seulement par

    dduction que nous pouvons nous en imaginer les tapes. Pour

    Schleicher, par exemple, les langues humaines ont d successivement

    prendre les trois principales formes que fait apparatre une clas-

    sification des langues actuelles fonde sur leur structure interne

    ( typologie). D'abord, elles ont toutes t Isolantes ( les mots

    sont des units inanalysables, o on ne peut mme pas distinguer

    un radical et des lments grammaticaux : c'est ainsi qu'on se

    reprsente, au xrx sicle, le chinois). Puis certaines sont devenues

    agglutinantes (comportant des mots avec radical et marques

    grammaticales, mais sans qu'il y ait de rgles prcises pour la

    formation du mot. Survivance actuelle de cet tat : les langues

    amrindiennes). Enfin, parmi les langues agglutinantes, se sont

    dveloppes des langues fiexfonnelles, o des rgles prcises,

    celles de la morphologie [71], commandent l'organisation

    interne du mot : ce sont essentiellement les langues indo-euro*

    pennes. Dans ce dernier cas seulement, l'esprit est vritablement

    reprsent : l'unit du radical et des marques grammaticales

    dans le mot, cimente par les rgles morphologiques, reprsente

    l'unit du donn empirique et des formesa priori dans l'acte de

    pense. Malheureusement cette russite parfaite, attribue gnra-

    lement la langue-mre indo-europenne, a t remise en cause,

    ds l'Antiquit classique, lorsque l'homme, proccup de faire

    l'histoire, n'a plus considr la langue que comme un instrument

    de la vie sociale. Mise au service de la communication, la langue

    n'a plus cess de dtruire sa propre organisation.

    Quelques grands traits de grammaire compare : F. Bopp, Gram-

    maire comparedeslangues indo-europennes,trad franc., Paris, 1885;

    J.L. C .Grimm,Deutsche Grammatik,Gttingen, 1822-1837;A .Schlei-

    cher, Compendtomdervergleichenden Grammatik der indogermanschen

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    32/479

    Linguistique historique

    au

    XIX* sicle 2 7

    Sprachen,

    Wcimar, 1866. Sur le

    dclin

    des

    langues,voir

    par

    exemple

    :

    F. Bopp, VocaUsmus,

    Berlin,

    1836; A. Schleicher, Zurvergeichenden

    Sprachgeschickte,Bonn,

    1848. Ce

    dclin

    est mis en

    question

    par W. von

    Humboldt, par exemple dans

    De Forigine des formes grammaticales

    et de leur influence sur le dveloppement des ides,

    trad. franc., Paris,

    1859, rdite Bordeaux, 1969 (pour un commentaire de Humboldt,

    O. Ducrot, dans Ducrot et aL,

    Qu'est-ce que le structuralisme?,

    Paris

    1968,p. 23-29). Un exemple de recherche moderne en grammaire compa-

    re : B. Benveniste,

    Hittite et Indo-europen,

    Paris, 1962.

    LES NO-GRAMMAIRIENS.

    Dans la deuxime moiti du XIX

    e

    sicle, un groupe de linguistes,

    surtout allemands, a tent d'introduire dans la linguistique histo-

    rique les principes positivistes qui triomphaient dans la science

    et dans la philosophie contemporaines. Esprant ainsi renouveler

    la grammaire compare, ils se sont nomms eux-mmes no-

    grammairiens. Leurs principales thses sont les suivantes :

    1.

    La linguistique historique doit tre explicative. H ne s'agit

    pas seulement de constater et de dcrire des changements, mais

    de trouver leurs causes (proccupation que n'avait gure Bopp).

    2 . Cette explication doit tre de type positif. On se mfiera de

    ces vastes explications philosophiques o Schleicher (grand lecteur

    de Hegel) se complaisait Les seules causes vrifiables sont

    chercher dans l'activit des sujets parlants, qui transforment

    la langue en l'utilisant

    3 . Pour mener bien cette recherche des causes, on doit tudier

    de prfrence les changements qui s'tendent sur une dure

    HittftA* Ait lieu de comparer des tats de langue trs distants,

    on prendra pour objet le passage d'un tat celui qui le suit.

    4 .

    Un premier type de cause est d'ordre articulatoire. Les

    c lo is phontiques son t en effet justiciables d'u ne explication

    physiologique. Aussi leur action est-elle abso lument mcan ique

    ( aveugle ) : lorsqu'un changement s'opre l'intrieur d'un

    tat, aucun mot ne peut lui chapper, quelle que soit sa situation

    smantique ou grammaticale propre, et les exceptions (que Schlei-

    cher se contentait d'enregistrer) sont, pour un no-grammairien,

    l'indice d'une loi encore inconnue.

    5. Un deuxime type de cause est psychologique. C'est la

    tendance l'analogie, fonde sur les lois de l'association des ides.

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    33/479

    28

    Les coles

    Les locuteurs ont tendance :

    a)

    grouper les mots et les phrases

    en classes, dont les lments se ressemblent la fois par le son

    et par le sens;

    b)

    crer des mots ou des phrases nouvelles suscep-

    tibles d'enrichir ces classes. D'o, par exemple, la cration de

    solutionner et actionner , sur le modle de fonctionner ,

    ou de Je me rappelle de , sur le modle de Je me souviens de .

    6. Non seulement l'histoire des langues doit tre explicative,

    mais il n'y a pas d'autre explication linguistique qu'historique.

    Ainsi, parler du sens fondamental sous-jacent aux diffrentes

    acceptions d'un mot, cela n'est explicatif que si ce sens se trouvetre le sens chronologiquement premier. De mme on n'a le droit

    de parler d'une drivation (de dire qu'un mot est tir d'un autre,

    que maisonnette vient de maison ), que si on peut montrer

    que le mot source ( maison ) pr-existe au mot driv ( mai-

    sonnette ).

    Le matre dont se rclament la plupart des no-grammairiens est

    O. Curtius

    {Grundzge der griechischen Etymologie,

    Leipzig, 1858-

    1868). Le principal thoricien est H. Paul (Princlpien der Sprach-

    geschichte.

    H alle, 1880). La recherche systmatique des lois phontiques

    apparat particulirement dans K . B rugmann, Gru ndrlss der verglei*

    chenden Gram matik der indogermanischen Sprachen, Strasbourg, 1886-

    1900.

    Un recueil de textes, traduits en anglais, de comparatistes et de

    no-grammairiens : W. P. Lehmann, A reader in nineteenth-century

    historical indo-european linguistics, Londres-Indiana University Press,

    1967.

    Une tentative pour situer les no-grammairiens dans l 'histoire

    de la l inguistique : K ur t

    R .

    Jankowsky,

    The neogrammarlans :

    a

    rva-

    luation

    of their place in the development of

    Hnguistic

    science, La Haye,

    1972.

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    34/479

    Saussurianisme

    Aprs avoir crit, 21 ans, un M moire sur le systme primitif

    des voyelles

    indo-europennes

    (Paris, 1878), uvre qui compte

    parmi les russites de l'cole no-grammairienne [27], le linguiste

    suisse Ferdinand de Saussure abandonne presque totalement

    les recherches de linguistique historique, trouvant leur fondement

    incertain, et pensant qu'elles doivent tre suspendues jusqu'

    une refonte d'ensemble de la linguistique. Ayant lui-mme tent

    cette refonte, il prsente les rsultats de ses travaux dans trois

    cours professs Genve entre 1906 et 1911, et qui ont t publis,

    trois ans aprs sa mort, par quelques-uns de ses lves, sous le

    titre C ours de linguistique gnrale (Paris, 1916).

    Pour une comparaison entre tes notes manuscrites de Saussure,

    celles prises par les tudiants, et le Cours publi voir R. Oodel,Les

    Sources manuscritesduCoursdelinguistique gnrale de F . de Saus-

    sure,Genve-Paris, 1957. Une dition critique duCours par R. Engler

    est en cours de publication depuis 1967 (Wiesbaden).

    La pratique comparatiste avait pour fondement thorique ta

    croyance la dsorganisation progressive des langues sous l'in-

    fluence des lois phontiques elles-mmes lies l'activit de

    communication [25]. Cette thse, qui autorise lire en filigrane,

    dans l'tat prsent, la grammaire de l'tat pass, permet en effet

    d'identifier, pour les comparer, des lments grammaticaux

    anciens avec des lments de l'tat ultrieur, mme si ceux-ci

    ont un statut grammatical apparemment fort diffrent. Mais

    c'est justement la thse que Saussure met en question.

    D'abord pour une raison gnrale, et qui n'apparat qu'impli-

    citement dans le Cours : la langue, selon Saussure, est fondamen-

    talement (et non pas par accident ou par dpravation) un instru-

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    30 Les coles

    ment de communication. On ne trouve jamais chez Saussure

    l'ide que la langue doit reprsenter une structure de la pense

    qui existerait indpendamment de toute mise en forme linguistique

    (que cette reprsentation soit conue, la manire des compara-

    tistcs, comme fonction fondamentale, ou, la manire de Port-

    Royal, comme le moyen ncessaire de la communication). C'est

    ce qui ressort notamment de la thse saussurienne selon laquelle

    il existe un arbitraire linguistique fondamental [175] distinguer

    de l'arbitraire de chaque signe isol [171] : il tient ce que la

    pense, considre avant la langue, est comm e une masse

    amorphe , comme une nbuleuse

    (Cours,

    chap. rv, 1), qui

    se prte toutes les analyses possibles, sans privilgier l'une par

    rapport aux autres, sans imposer de considrer telle et telle nuance

    de sens comme deux aspects d'une mme notion, et de sparer

    telle et telle autre, comme relevant de deux notions diffrentes

    (pour les grammaires gnrales au contraire, il existe une analyse

    logique de la pense qui s'impose de plein droit, et que le langage

    doit imiter sa faon; et, de mme, pour les comparatistes,

    l'unit du radical et des lments grammaticaux dans le mot,

    reprsente l'unit de l'acte intellectuel soumettant l'exprience

    aux formes

    a priori

    de l'esprit [258]). Si donc, pour Saussure,

    chaque langue, chaque moment de son existence, prsente une

    certaine forme d'organisation, ce n'est certainement pas l'effet

    d'une fonction prexistant sa fonction de comm unication :

    car la langue ne peut pas avoir d'autre fonction que de comm uni-

    cation.

    Cet argument trs gnral, fond sur l'ide de fonction du

    langage, est renforc si l'on examine en dtail le rle effectif do

    l'activit linguistique dans l'volution des langues. Car il n'est

    pas vrai, selon Saussure, que lefonctionnementdu langage son

    utilisation par les sujets parlants pour les besoins de la communi-

    cation soit une cause de dsorganisation, qu'il aboutisse ce

    nivellement grammatical dplor par Bopp. Tout en maintenant,

    comme les no-grammairiens [27], que l'utilisation du code

    linguistique par les sujets parlants c'est--dire, selon la termi-

    nologie du

    Cours ,

    la parole [155 s.] est une des causes essen-

    tielles des changements linguistiques, Saussure nie que les change-

    ments ainsi introduits puissent concerner l'organisation mme do

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    36/479

    Saussurianisme

    31

    la langue. La cration analogique [27], par exemple, qui est un

    des effets les plus clairs de la parole, ne fait jamais qu'tendre

    enrichir, une catgorie dont elle prsuppose l'existence. La cration

    de solutionner partir de solution , ne fait qu'ajouter un

    couple supplmentaire dans la srie o se trouvent dj addition

    additionner , fonction fonctionner , etc. Ainsi

    l'analogie, selon Saussure, renforce plus qu'elle ne dtruit, les

    classifications linguistiques. Les lois phontiques n'ont pas

    davantage l'effet anarchique que les comparatistes leur attri-

    buaient Un exemple clbre, donn par Saussure, est celui de

    l'expression du pluriel en allemand. Dans un tat ancien, il tait

    marqu par l'adjonction d'un / :

    Gast

    ( hte )

    Gasti

    ( htes ),H

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    37/479

    32

    Les coles

    d'une unit prsupposent que cette unit soit mise en rapport

    avec les autres, et replace l'intrieur d'une organisation d'en-

    semble. Et c'est l ce que les saussuriens entendent en parlant

    de systme ou de structure de la langue : les lments lirjuistiques

    n'ont aucune ralit indpendamment de leur relation au tout.

    C'est encore la mme ide que Saussure exprime en disant que

    l'unit linguistique est une vaknr. En disant qu'un objet, une pice

    de m onnaie par exemple, est une valeur, on pose en effet : (a) qu'il

    peut tre chang contre un objet de nature diffrente (une mar-

    chandise), et surtout (b) que son pouvoir d'change est condi-

    tionn par des rapports fixes existant entre lui et des objets de

    mme nature (le taux de change entre la pice de monnaie et les

    autres monnaies du mme pays et des pays trangers). I l en est de

    mme de l'lment linguistique. Cet lment, pour Saussure,

    c'est le signe, c'est--dire l'association d'une image acoustique

    (signifiant) et d'un concept (signifi), ce qui fait qu'il rpond la

    condition (a): son pouvoir d'change, c'est de servir dsigner

    une ralit linguistique qui lui est trangre (ralit atteinte par

    l'intermdiaire de son signifi, mais qui n'est pas son signifi, cf. ici

    mme, p. 317 s.). Mais le signe rpend aussi la condition (b), car

    ce pouvoir significatif qui le constitue, est strictement conditionn

    par les rapports l'unissant aux autres signes de la langue, de sorte

    qu'on ne peut pas le saisir sans le replacer dans un rseau de

    relations intra-linguistiques. N.B. Cette notion de valeur interdit

    de faire entrer, la manire des comparatistes, les lments de

    l'tat

    B

    dans l'organisation de l'tat

    A

    antrieur : car, ou bien

    B

    n'a plus d'organisation propre, et il n*a plus alors d'lments,

    ou bien il a des lments, mais il faut les situer dans l'organisation

    propre B, qui, seule, leur donne ralit.

    D'une faon plus concrte, Saussure montre que l'activit

    effective qui permet au linguiste de dterminer les lments de la

    langue (les signes) exige que l'on fasse apparatre en mme temps

    le systme qui leur confre leur valeur. C'est que, malgr les

    apparences, la dtermination des signes est une opration compli-

    que et indirecte, qui demande bien plus que l'intuition, que le

    sentiment linguistique immdiat (Cours, 2 partie, chap. n, 3).

    Mme leur simple reprage fait dj difficult, dans la mesure

    o ils n'ont pas toujours de manifestation matrielle nettement

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Saussuriattisme

    3 3

    dlimite. C'est le cas, par exemple, lorsque le signifiant d'un signe

    est seulement une alternance (c'est--dire une modification du

    radical), sans addition au radical d'un lment supplmentaire

    (cf. le pluriel, dans

    chevaux,

    cf. aussi les verbes irrguliers

    anglais o la marque du pass est constitue par une simple

    modification de la voyelle radicale : /bind, j'attache , /

    bound,

    j'attachais ). Ici le signifiant n'a rien de positif , c'est la

    simple diffrence entre bind et bound,entre cheval et chevaux.

    Dans ces cas, qui, pour Saussure, illustrent seulement une situation

    gnrale, le signe prsent n'a de ralit que par rapport au

    signe pass , )e signe singulier que par rapport au signe

    pluriel , de sorte qu'il est impossible de reconnatre un signe,

    sans,

    du mme coup, le classer parmi ses concurrents.

    Il en est de mme pour une seconde opration, la dlimitation

    des units, c'est--dire la segmentation de la chane, opration

    qui consiste dcouvrir les signes minimaux, et, par exemple,

    chercher si les verbes

    dfaire, dcider, dlayer

    doivent tre

    dcomposs ou considrs comme des signes lmentaires. Dans

    ce cas, assez simple, on sent que la bonne solution est d'ana-

    lyser

    d-faire

    et lui seul. Mais la justification de cette solution

    ne peut pas tre d'ordre intuitif, car les trois verbes possdent

    le mme lment phonique

    d,

    et il est toujours accompagn d'une

    certaine ide de destruction, de suppression, ce qui peut suggrer

    d'admettre un signe d- prsent en eux. On est donc oblig

    de faire intervenir des faits beaucoup plus complexes. On remar-

    quera par exemple que

    le d de dcider

    ne peut pas tre supprim

    (il n'y a pas de verbecider,alors qu'il yafaire), ni remplac par un

    prfixe diffrent (il n'y a pas

    reclder,

    alors qu'il y a

    refaire)

    ;

    dcider

    n'appartient donc pas une srie du type

    (/aire, dfaire,

    refaire}. Pour justifier de ne pas dcomposer dlayer, alors qu'il

    y a un couple (dlayer, relayer), il faudrait faire intervenir

    d'ailleurs un classement plus complexe, et noter que le couple

    (dfaire, refaire}

    fait partie d'un ensemble de couples {

    (dlier,

    relier}, (dplacer\replacer}.,. } , qui comportent la mm e diffrence

    de sens entre les deux termes, mais que ce n'est pas le cas pour

    (dlayer, relayer}.

    On retiendra de cet exemple que la simple

    segmentation

    d-faire

    exige que l'on reconnaisse dans ce verbe

    un schma combinatoire gnral en franais, ou ce qui revient

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    34 L e s c o le s

    au mme, qu'on le replace dans une classification d'ensemble des

    verbes franais : reconnatre les signes qui le composent, ce n'est

    rien d'autre que le situer dans cette classification.

    Une dernire tche indispensable pour la dtermination des

    units, c'est l'identification, c'est--dire la reconnaissance d'un

    seul et mme lment travers ses multiples emplois (dans des

    contextes et dans des situations diffrentes). Pourquoi admettre

    qu'il y a la mme unit adopter dans adopter une mode

    et adopter un enfant ? Et, lorsqu'un orateur rptecM essieurs,

    Messieurs , avec des nuances diffrentes, aussi bien dans la

    prononciation que dans le sens, pourquoi dit-on qu'il utilise

    deux fois le mme mot?

    (C ours,

    2

    e

    partie, chap. m ). Le problme

    devient plus aigu, si on remarque que les diffrentes nuances

    de sens que prend Messieurs (ou adopter ) sont souvent

    aussi loignes l'une de l'autre qu'elles ne le sont de certaines

    significations de Mes amis (ou de accepter ). Alors pourquoi

    dcide-t-on de runir telle et telle nuance de sens en les attribuant

    un mme signe? L encore, la rponse saussurienne est que

    l'identification renvoie l'ensemble de la langue. Si une certaine

    acception smantique doit tre attribue au signe adopter ,

    mme si elle est trs loigne du sens habituel de ce mot, c'est

    seulement dans la mesure o aucun des signes coexistants ( accep-

    ter , prendre ,...) ne se trouve tre compatible avec cette nuance.

    Elle n'appartient adopter que parce qu'elle n'appartient

    pas un autre signe. Aussi Saussure dclare-t-il que la plus

    exacte caractristique des signes est d'tre ce que les autres ne sont

    pas . U ne forme faible et plus facile dfendre de ce prin-

    cipe, consiste prciser que l'unit est, non pas tout ce que les

    autres ne sont pas, mais qu'elle n'est rien de plus que ce que les

    autres ne sont pas. Autrement dit, elle ne se dfinit que par ses

    diffrences (d 'o son caractre diffrentiel ) , elle n'est fonde

    sur rien d'autre que sur sa non-concidence avec le reste (C ours,

    2

    e

    partie, chap. rv, 3). On obtient alors le principe d'oppositirit,

    selon lequel on ne doit attribuer un signe que tes lments

    (phoniques ou smantiques) par lesquels il se distingue d'au moins

    un autre signe.

    Cette conclusion n'est pas exactement celle qui ressortait

    l'examen des oprations de reprage et de dlimitation. Tout

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Saussuriamsme 3 5

    l'heure l'unit apparaissait com me purement

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Glossmatique

    labore par le linguiste danois L. Hjelmslcv, la thorie glos-

    omatiqiie se prsente comme l'explicitation des intuitions pro-

    fondes de Saussure. Mais cette fidlit fondamentale lui fait

    abandonner d'une part certaines thses de Saussure, juges super-

    ficielles, et, d'autre part l'interprtation fonctionnaliste, notam-

    ment phonologique, de la doctrine saussurienne qui serait

    un travestissement. Hjelmslev retient avant tout, du

    Cours,

    deux

    affirmations : 1) La langue n'est pas substance, mais forme.

    2) Toute langue est la fois expression et contenu.

    Ces deux thses s'unissent, pour Saussure, dans la thorie du

    signe.

    Si chaque langue doit tre caractrise non seulement sur le

    plan de l'expression (par les sons qu'elle choisit pour transmettre

    la signification), mais aussi sur le plan du contenu (par la faon

    dont elle prsente la signification), c'est que lessignesd'une langue

    ont rarement des quivalents smantiques exacts (des synonymes)

    dans une autre : l'allemand

    schtzen,

    que l'on traduit d'habitude

    par

    estimer,

    comporte en fait des nuances trangres au mot

    franais. On ne saurait donc rduire une langue un jeu d'ti-

    quettes servant dsigner des choses ou des concepts pr-existants,

    on ne saurait donc la considrer comme une nomenclature ce qui

    revient dire qu'il faut la dcrire aussi sur le plan du contenu.

    C'est encore une rflexion sur le

    signe

    qui amne Saussure

    dclarer que la langue est avant tout forme, et non substance.

    En quoi consiste en effet, du point de vue smantique, la diffrence

    entre deux langues? Certainement pas dans les significations

    qu'elles permettent d'exprimer, puisqu'on arrive les traduire :

    rien n'empche de dsigner en franais cette nuance qui se trouve

    dans

    schtzen

    et non dans

    estimer.

    Ce qui fait la diffrence, c'est

    que telle et telle nuances qui, dans l'une, s'expriment par le mme

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

    42/479

    Glossmatique 3 7

    signe, doivent tre, dans l'autre, exprimes par des signes diff-

    rents. Ainsi s'introduit, dans la ralit smantique objective

    ( = substantielle), un dcoupage original, issu directement du

    systme des signes, configuration que Saussure appelle parfois la

    forme de la langue (Cours, 2* partie, chap. VT). On voit alors

    que le primat donn cette forme dcoule directement du principe

    d'oppositivit [34]. Dire en effet qu'un signe se caractrise

    seulement par ce qui le distingue des autres, par ce en quoi il est

    diffrent, c'est dire notamment que les frontires de sa significa-

    tion constituent un fait premier, imprvisible, impossible dduire

    d'une connaissance de la nature ou de la pense, c'est donc consi-

    drer la forme de la langue comme l'objet d'une science auto-

    nome et irrductible. (N.B. Ce qui a t montr ici propos de

    l'aspect smantique du signe est galement applicable, selon

    Saussure, son aspect phonique : ce qui constitue la valeur

    phonique d'un signe, c'est ce qui le distingue des autres, de sorte

    que les signes d'une langue projettent aussi dans le domaine du

    son une configuration originale, qui relve de la forme de cette

    langue.)

    Si Hjelmslev approuve l'intention qui guide l'opposition saus-

    surienne de la forme et de la substance, il veut aller, dans cette

    distinction, plus loin que Saussure. A coup sr, les units linguis-

    tiques introduisent un dcoupage original dans le monde du son

    et de la signification. Mais, pour pouvoir le faire, il faut qu'elles

    soient autre chose que ce dcoupage, autre chose que ces rgions

    du sens et de la sonorit qu'elles se trouvent investir. Pour qu'elles

    puissent se projeter dans la ralit, il faut qu'elles existent indpen-

    damment de cette ralit. Mais comment le linguiste va-t-il les

    dfinir, s'il impose de faire abstraction de leur ralisation, tant

    intellectuelle que sensible? Certainement pas en recourant au

    principe d'oppositivit (recours que nous appellerons la concep-

    tion 1 de Saussure), puisque ce principe amne toujours carac-

    triser l'unit d'une faon positive, et demande seulement qu'on la

    limite

    ce en quoi

    elle diffre des autres.

    La solution hjelmslevienne est de dvelopper l'extrme une

    autre conception saussurienne (conception 2), selon laquelle

    l'unit, purement ngative et relationnelle, ne peut pas se dfinir

    en elle-mme la seule chose importante, c'est

    le simple fait

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    43/479

    38 Les coles

    qu'elle soit diffrente des autres

    mais seulement par tes

    rapports qui la relient aux autres units de la langue : de mme,

    on ne demande aux symboles d'un systme formel que d'tre

    distincts les uns des autres, et relis entre eux par des lois de fonc-

    tionnement explicites (on fait donc abstraction la fois de leur

    signification et de leur manifestation perceptible). Si la langue

    est forme et non substance, ce n'est donc plus en tant qu'elle

    introduit un dcoupage original, mais en tant que ses units doivent

    se dfinir par les rgles selon lesquelles on peut les combiner,

    par le jeu qu'elles autorisent D'o l'ide qu'une langue peut

    rester fondamentalement identique elle-mme, lorsqu'on modifie

    la fois les significations qu'elle exprime et les moyens matriels

    dont elle se sert (par exemple, lorsqu'on transforme une langue

    parle en langue crite, gestuelle, dessine, en un systme de

    signaux par pavillons, etc.).

    Bien que cette thse s'appuie sur certains passages de Saussure

    (Cours,2

    e

    partie, chap. rv, 4X Hjelmslev pense tre le premier

    a l'avoir explicite, et surtout labore (on trouvera ici mme,

    p.143 s., la dfinition des relations constitutives de toute langue

    selon Hjelmslev). Elle amne distinguer trois niveaux, l o

    Saussure n'en voyait que deux. La substance saussurienne, c'est-

    -dire la ralit smantique ou phonique, considre indpendam-

    ment de toute utilisation linguistique, Hjelmslev l'appelle matire

    (anglais:

    purport;

    la traduction franaise des Prolgomnes

    parle, non sans hardiesse, de sens ). La forme, dans la concep-tion 1 de S aussure, entendue donc comme dcoupage, configu-

    ration Hjelmslev l'appelle substance et il rserve le terme de

    forme pour le rseau relationnel dfinissant tes units (=* la forme

    dans la conception 2 de Saussure). Pour relier les trois niveaux,

    la glossmatique utilise la notion de manifestation : la substance

    est la manifestation de la forme dans la matire).

    Cette rinterprtation du principe saussurien La langue est

    forme et non substance , amne en mme temps Hjelmslev

    rinterprter l'affirmation que les langues se caractrisent la fois

    sur te plan de l'expression et sur celui du contenu. Cette affirma-

    tion signifie, pour Saussure, que la faon dont les signes d'une

    langue se rpartissent entre eux la signification, introduit dans

    celle-ci un dcoupage original, aussi original que celui qui est

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    Glossmatique 3 9

    instaur dans le domaine phonique. Mais supposons maintenant

    que l'on fasse abstraction de ces dcoupages (considrs comme

    des faits de substance), pour ne plus considrer que les relations

    combinatoires entre units, c'est--dire la forme authentique selon

    Hjelmslev. I l faut alors renoncer distinguer expression et contenu,

    puisque leur forme est identique : les rapports combinatoires

    reliant les signes, relient aussi bien leurs significations que leurs

    ralisations phoniques. Pour sauver la distinction de l'expression

    et du contenu, Hjelmslev doit donc abandonner l'ide que l'unit

    linguistique fondamentale est le signe. La tche lui est d'ailleurs

    facilite par le fait que les phonologues ont mis en vidence

    grce la commutation [43] des units linguistiques plus

    petites que le signe, les phonmes [221] (I

    e

    signe veaucomprend

    les deux phonmes /v/ et /o/). La mme mthode, mais applique

    au contenu, permet de distinguer, dans ce signe, au moins les

    trois lments smantiques (dits parfois smes [339]) /bovin/,

    /mle/, /jeune/. Or il est clair que les units smantiques et phoni-

    ques ainsi repres peuvent tre distingues du point de vue formel :

    les lois combinatoires concernant les phonmes d'une langue

    et celles qui concernent les smes ne sauraient tre m ises en corres-

    pondance, c'est ce que Hjelmslev exprime en disant que les deux

    plans ne sont pas conformes, (N.B. Cette absence de conformit

    n'empche pas qu'il y ait isomorphisme entre eux, c'est--dire que

    Ton retrouve des deux cts

    le mme type

    de relations combina-

    toires.) Matire, substance et forme se ddoublent donc selon

    qu'il est question de l'expression ou du contenu, ce qui donne

    finalement six niveaux linguistiques fondamentaux. On notera

    particulirement que Hjelmslev parle d'une forme du contenu.

    Son formalisme, contrairement celui des distributionalistes [49 s.] ,

    n'implique donc pas un refus de considrer le sens, mais la vo lont

    de donner une description formelle aux faits de signification.

    (C'est ce que A. Culioli appelle smantique formelle .)

    K.B.

    S i Hjelmslev utilise la mthode phonologique de commutation

    pour combattre le primat du signe, il la soumet cependant la

    mme critique qu'il adresse au principe d'oppositivit dont

    elle dcoule. Car, pour lui, la commutation sert seulement reprer

    les lments linguistiques infrieurs au signe, mais elle ne permet

    pas de dire ce qu'ils sont : alors que le phonologue dfinit chaque

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    40 Les coles

    phonme par ce en quoi il se distingue des autres, Hjelmslev ne

    dfinit les lments que par leurs relations combinatoires (voir,

    ici-mme, sa distinction du schma et de la norme, p. 164). Pour

    bien marquer cette diffrence avec la phonologie, Hjelmslev

    a cr une terminologie particulire. L'lment linguistique mis

    au jour par la commutation, mais dfini formellement, est appel

    glossme; les glossmes de l'expression (correspondant respec-

    tivement aux traits prosodiques et aux phonmes) sont appels

    prosodmes et cnmes; ceux du contenu (correspondant respec-

    tivement aux signifis des lments grammaticaux et lexicaux)

    sont les morphmes et les plrmes. (La notion de taxme, utilise

    de faon sporadique seulement, fournit un correspondant formel

    au trait distinctif [224].)

    Dans la mesure o la glossmatique donne un rle central

    la forme, pure de toute ralit smantique ou phoni-

    que, elle relgue ncessairement au second plan la fonc-

    tion, notamment le rle de la langue dans la communication

    (car ce rle est li la substance). Mais cette abstraction permet

    du mme coup de rapprocher les langues naturelles d'une multi-

    tude d'autres langages fonctionnellement et matriellement fort

    diffrents. Si elle est mene d'une faon suffisamment abstraite,

    Ttude des langues naturelles dbouche donc, comme le voulait

    Saussure, sur une tude gnrale des langages (smiologie).

    Hjelmslev propose ainsi une typologie d'ensemble des langages,

    fonde sur leurs seules proprits formelles. Si on dfinit un langage

    par l'existence de deux plans, on parlera de langue conforme

    lorsque les deux plans ont exactement la mme organisation

    formelle, et ne diffrent que par la substance (ce serait le cas des

    langues naturelles, si leurs units fondamentales taient les

    signes; c'est le cas des systmes formels des mathmaticiens, dans

    l'image que s'en fait Hjelmslev, pour qui leurs lments et leurs

    relations sont toujours en correspondance bi-univoque avec ceux

    de leurs interprtations smantiques). Parmi les langues non-

    conformes, on parlera de langue dnotative lorsque aucun des

    deux plans n'est lui-mme un langage (exemple : les langues

    naturelles, dans leur usage habituel). Lorsque le plan du contenu

    est, par lui-mme, un langage, on se trouve en prsence d'une

    mtalangoe (exemple : la langue technique utilise pour la descrip-

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    Glossmatique 41

    tion des langues naturelles). Enfin, si c'est le plan de l'expression

    qui est dj un langage, il s'agit d'une langue connotative. Il y a

    connotation en effet, pour Hjelmslev, lorsque l'lment signifiant

    est le fait mme d'employer telle ou telle langue. Lorsque Stendhal

    emploie un mot italien, le signifiant, ce n'est pas seulement le

    terme utilis, mais le fait que, pour exprimer une certaine ide,

    l'auteur ait dcid de recourir l'italien, et ce recours a pour signifi

    une certaine ide de passion et de libert, lie, dans le monde

    stendhalien, l'Italie. Les langues naturelles, dans leur usage

    littraire, fournissent un exemple constant de langage connotatif :

    c'est que, dans cet usage, le signifiant est moins le mot choisi

    que le fait de l'avoir choisi. L'effort d'abstraction que s'impose

    Hjelmslev, a ainsi pour contrepartie un considrable largis-

    sement du champ linguistique, dont a profit toute la smiologie

    moderne.

    Principaux ouvrages de HQelmslev :Prolgomnes

    une thorie du

    langage(Copenhague, 1943), trad. franc., Paris, 1968; Le Langage

    (Copenhague, 1963), trad. franc., Paris, 1966;

    Essais linguistiques

    (recueil

    d'articles crits en franais), Copenhague, 1959. Un essai d'application

    de la glossmatique (quelque peu mlange de distributionalisme [49 s.] :

    K. Togeby,

    Structure imm anente de la langue franaise,

    Copenhague,

    1951 ; Paris, 1967. Com mentaires importants : A . Martinet, Au sujet

    des fondements de la thorie linguistique de L. Hjdmslev ,Bulletin

    de la socit de linguistique,

    1946, p. 19-42; B. Sierstema,

    A study of

    Glossematics, La Haye, 1953; P. L. Carvin, Compte rendu de la tra-

    duction anglaise des Prolgomnes, Language, 1954, p. 69-96. L'oppo-

    sition de la forme et de la substance a t au centre de nombreusesdiscussions linguistiques jusqu' 1960; parmi les textes les plus intres-

    sants :C E. BazriULinguisticForm , Istamboul, 1953.

  • 8/10/2019 Ducrot Et Todorov - Dictionnaire Encyclopdique Des Sciences Du Langage

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    Fonctionnalisme

    Une des innovations de la linguistique de Saussure est de dclarer

    essentiel la langue son rle d'instrument de communication,

    rle que les comparatistes considraient au contraire comme une

    cause de dgnrescence. Partant de l, certains successeurs de

    Saussure, que l'on appelle souvent fonctionnalistes, considrent

    l'tude d'une langue comme la recherche des fonctions joues

    par les lments les classes et les mcanismes qui interviennent

    en elle. (N .B . La considration de la fonction amne l'ide

    que l'tude d'un tat de langue, indpendamment de toute consi-

    dration historique, peut avoir valeur explicative, et pas seulement

    descriptive.)

    Cette tendance apparat particulirement dans la mthode d'in-

    vestigation des phnomnes phoniques dfinie d'abord, sous le

    nom de phonologie, par N. S. Troubetzkoy, et dveloppe notam-

    ment par A. Martinet, R. Jakobson et l'cole dite de Prague.

    (Sur les divergences entre Martinet et Jakobson, voir ici-mme,

    p.

    224s .) Quelle est la fonction essentielle, dans la comm unication,

    des sons lmentaires dont la combinaison constitue la chane

    parle? Us ne sont pas eux-mmesporteurs designification (le son

    [a] debasn'a, pris isolment, aucun sens) bien qu'ils puissent,

    l'occasion, le devenir (cf. le [a] de la prposition

    ).

    Leur fonc-

    tion est donc, avant tout, de permettre de distinguer des units

    qui, elles, sont pourvues de sens : le [a] debaspermet de distinguer

    ce mot de

    buy

    beau,

    boue*

    etc., et il n'a t choisi que pour rendrepossibles ces distinctions. Cette remarque, lmentaire, est de

    consquence. Car elle fournit au linguistexm principe

    d'abstraction

    :

    les caractres physiques qui apparaissent lors d'une prononciation

    de [a] n'ont pas tous en effet cette valeur distinctive (=* leur choix

    n'est pas toujours guid par une intention de communication).

    Que l'on prononce le [a] long ou court, en avant ou en arrire de

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    Fonctionnalisme 4 3

    la cavit buccale ( = antrieur ou postrieur), n se trouve, en fran-

    ais contemporain, que cela ne change pas l'identit du mol

    o ce [a] apparat (il en tait autrement autrefois, o l'on distin-guait couramment, par la prononciation du [a],

    bas

    et

    bt).

    D'autre

    part le voisinage de [b] impose au [a] certains traits (qu 'on retrouva

    dans le [u] de

    bu),

    et qui, tant obligatoires, en franais au m oins,

    ne rpondent pas une intention de communication. Le fonction-

    nalisme conduit donc isoler, parmi les traits phontiques

    phy-

    siquement

    prsents dans une prononciation donne, ceux qui

    ont une valeur distinctive, c'est--dire, qui sont choisis pour

    permettre la communication d'une information. Eux seuls sont

    considrs commephonologiquement

    pertinents.

    Pour leur dtermination, les phonologues ont mis au point

    la mthode dite de commutation. Soit tudier le [a] franais.

    On part d'une prononciation particulire d'un des mots o inter-

    vient le [a] (une prononciation de

    bas

    par exemple). Puis on fait

    varier dans toutes les directions phontiques possibles le son qui

    a t prononc dans ce mot Certains changements n'entranent

    pas de confusion avec un autre mot : on dit que les sons alors

    substitus la prononciation initiale ne

    commutent

    pas avec elle

    (ni, par suite, entre eux); commutent, au contraire, avec elle ceux

    dont l'introduction entrane la perception des signes

    beau, bu,

    etc.

    On rpte ensuite l'opration sur les autres signes contenant [a]

    {table, car,

    etc.), et l'on remarque ce qui n'tait pas prvisible,