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Article original Prévalence et facteurs associés à la sciatique commune dans une population urbaine tunisienne Prevalence and risk factors of disk-related sciatica in an urban population in Tunisia Mohamed Younes a, * , Ismail Béjia a , Zouhour Aguir a , Mondher Letaief b , Saoussen Hassen-Zrour a , Mongi Touzi a , Naceur Bergaoui a a Service de rhumatologie, EPS de Monastir, 5000 Monastir, Tunisie b Département dépidémiologie, faculté de Médecine de Monastir, 5000 Monastir, Tunisie Reçu le 25 mai 2005 ; accepté le 19 octobre 2005 Disponible sur internet le 21 avril 2006 Résumé Contexte. La sciatique commune (SC) constitue un problème réel de santé publique par sa fréquence et ses conséquences socioéconomiques importantes. À notre connaissance, aucune étude épidémiologique de prévalence et de facteurs de risque de la SC na été effectuée en Tunisie ni dans les autres pays arabes, et peu détudes se sont intéressées à ce sujet dans la littérature. Objectifs. Déterminer la prévalence et lincidence de la SC dans la ville de Monastir, ses conséquences socioéconomiques et rechercher les facteurs associés à cette affection. Méthodes. Nous avons réalisé une enquête transversale descriptive portant sur un échantillon de 5000 sujets âgés de 15 ans et plus résidents dans la ville de Monastir. Les données ont été recueillies par des enquêteurs à laide dun questionnaire préétabli comportant 51 items. Résultats. Le taux de participation à létude est de 87,6 %. La prévalence de la SC est de 2,21 % et lincidence de 1,44 % des cas. Les soins médicaux étaient réalisés dans 94,8 % des cas, les explorations radiologiques standard dans 64 % et le scanner lombaire dans 45,4 %. Larrêt de travail était observé dans 77,7 % avec une durée moyenne de neuf semaines et un reclassement professionnel était nécessaire dans 5,5 % des cas. Les facteurs associés à la SC étaient le sexe masculin (p < 0,001), lobésité (p < 0,0001), le tabagisme (p < 0,0001), les antécédents lombaires (p < 0,0001), les troubles anxiodépressifs (p < 0,0001), la position debout et penchée en avant au cours du travail (p < 0,03), le travail de force (p < 0,005), le port de charges lourdes (p < 0,0001), et lexposition aux vibrations (p < 0,0001). Conclusion. La prévalence de la SC dans la ville de Monastir est de 2,2 %. Cette affection présente des facteurs associés individuels et professionnels ainsi quun retentissement socioéconomique important incitant à des mesures préventives. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Sciatique commune ; Prévalence ; Facteurs de risque ; Conséquences socioéconomiques Keywords: Disk-related sciatica; Prevalence; Risk factors; Socioeconomic impact 1. Introduction La sciatique commune (SC), souvent confondue à la lom- balgie est une affection fréquente [1]. Elle constitue un pro- blème majeur de santé publique et en milieu de travail par les conséquences socioéconomiques importantes quelle entraîne [25]. Dans le monde, le coût direct et indirect de la SC est important [5]. Cela souligne lintérêt de rechercher les facteurs de risque de cette affection afin de la prévenir et de diminuer ses conséquences socioéconomiques. Certains facteurs indivi- duels tels que le facteur génétique, lobésité, la grande taille, le stress psychologique, le tabagisme et léthylisme constituent des facteurs associés à la SC [615]. Aussi, certains facteurs professionnels tels que la catégorie professionnelle, le travail de force et lexposition aux vibrations ont une corrélation po- http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/ Revue du Rhumatisme 73 (2006) 927931 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Younes). Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. 1169-8330/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2005.10.024

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Page 1: Prévalence et facteurs associés à la sciatique commune dans une population urbaine tunisienne

http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/

Revue du Rhumatisme 73 (2006) 927–931

Article original

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : mohamed.you

◊ Pour citer cet article, utilisermême volume de Joint Bone Spine

1169-8330/$ - see front matter ©doi:10.1016/j.rhum.2005.10.024

Prévalence et facteurs associés à la sciatique

commune dans une population urbaine tunisienne

Prevalence and risk factors of disk-related sciatica

in an urban population in Tunisia◊

Mohamed Younes a,*, Ismail Béjia a, Zouhour Aguir a, Mondher Letaief b,Saoussen Hassen-Zrour a, Mongi Touzi a, Naceur Bergaoui a

a Service de rhumatologie, EPS de Monastir, 5000 Monastir, TunisiebDépartement d’épidémiologie, faculté de Médecine de Monastir, 5000 Monastir, Tunisie

Reçu le 25 mai 2005 ; accepté le 19 octobre 2005Disponible sur internet le 21 avril 2006

Résumé

Contexte. – La sciatique commune (SC) constitue un problème réel de santé publique par sa fréquence et ses conséquences socioéconomiquesimportantes. À notre connaissance, aucune étude épidémiologique de prévalence et de facteurs de risque de la SC n’a été effectuée en Tunisie nidans les autres pays arabes, et peu d’études se sont intéressées à ce sujet dans la littérature.

Objectifs. – Déterminer la prévalence et l’incidence de la SC dans la ville de Monastir, ses conséquences socioéconomiques et rechercher lesfacteurs associés à cette affection.

Méthodes. – Nous avons réalisé une enquête transversale descriptive portant sur un échantillon de 5000 sujets âgés de 15 ans et plus résidentsdans la ville de Monastir. Les données ont été recueillies par des enquêteurs à l’aide d’un questionnaire préétabli comportant 51 items.

Résultats. – Le taux de participation à l’étude est de 87,6 %. La prévalence de la SC est de 2,21 % et l’incidence de 1,44 % des cas. Les soinsmédicaux étaient réalisés dans 94,8 % des cas, les explorations radiologiques standard dans 64 % et le scanner lombaire dans 45,4 %. L’arrêt detravail était observé dans 77,7 % avec une durée moyenne de neuf semaines et un reclassement professionnel était nécessaire dans 5,5 % des cas.Les facteurs associés à la SC étaient le sexe masculin (p < 0,001), l’obésité (p < 0,0001), le tabagisme (p < 0,0001), les antécédents lombaires(p < 0,0001), les troubles anxiodépressifs (p < 0,0001), la position debout et penchée en avant au cours du travail (p < 0,03), le travail de force(p < 0,005), le port de charges lourdes (p < 0,0001), et l’exposition aux vibrations (p < 0,0001).

Conclusion. – La prévalence de la SC dans la ville de Monastir est de 2,2 %. Cette affection présente des facteurs associés individuels etprofessionnels ainsi qu’un retentissement socioéconomique important incitant à des mesures préventives.© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Sciatique commune ; Prévalence ; Facteurs de risque ; Conséquences socioéconomiques

Keywords: Disk-related sciatica; Prevalence; Risk factors; Socioeconomic impact

1. Introduction

La sciatique commune (SC), souvent confondue à la lom-balgie est une affection fréquente [1]. Elle constitue un pro-blème majeur de santé publique et en milieu de travail par les

[email protected] (M. Younes).ce titre en anglais et sa référence dans le.

2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

conséquences socioéconomiques importantes qu’elle entraîne[2–5]. Dans le monde, le coût direct et indirect de la SC estimportant [5]. Cela souligne l’intérêt de rechercher les facteursde risque de cette affection afin de la prévenir et de diminuerses conséquences socioéconomiques. Certains facteurs indivi-duels tels que le facteur génétique, l’obésité, la grande taille, lestress psychologique, le tabagisme et l’éthylisme constituentdes facteurs associés à la SC [6–15]. Aussi, certains facteursprofessionnels tels que la catégorie professionnelle, le travailde force et l’exposition aux vibrations ont une corrélation po-

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sitive avec le risque de développer une SC [6,10,13,16–20]. Larelation SC et travail n’est cependant pas toujours facile à éta-blir, car il est souvent difficile de séparer les facteurs de risquepersonnels des facteurs de risque liés au travail. À notreconnaissance, aucune étude épidémiologique de prévalence etde facteurs associés à la SC n’a été effectuée en Tunisie ni dansles autres pays arabes. De plus, la plupart des études réaliséesdans le monde se sont intéressées à la lombalgie, sans faire dedistinction particulière pour la sciatique. Nous avons réaliséune enquête transversale auprès d’une population adulte de laville de Monastir afin de préciser la prévalence et l’incidencede la SC seule, ses conséquences socioéconomiques et les fac-teurs associés à cette affection.

2. Méthodes

Nous avons mené une enquête transversale descriptive, au-près de la population de la ville de Monastir qui est essentiel-lement urbaine, touristique et située sur la côte est de la Tuni-sie. Les critères d’inclusion étaient les sujets âgés de 15 ans etplus, résidant dans cette ville. Les critères d’exclusion étaientles sujets non interrogeables. L’enquête s’est déroulée sur unepériode de huit mois (de juillet 2002 à mars 2003).

L’outil d’investigation de l’étude est un questionnaire stan-dardisé de 51 items comportant quatre types d’informations :

● les informations personnelles englobant (caractéristiquesdémographiques, obésité définie par IMC supérieur030 kg/m2, tabagisme, troubles anxiodépressifs qui ont étéévalués par l’échelle Hamilton pour l’anxiété et la dépres-sion) ;

● les informations professionnelles (catégorie professionnelledéfinie selon les critères de Fargeot [20] (Tableau 1), posi-tion dominante au cours du travail, port de charges lourdesde plus de 30 kg, exposition aux vibrations représentée es-sentiellement par la conduite d’engins et d’automobiles) ;

● les informations liées à la SC (antécédents de lombalgie oude sciatique, caractéristiques de la douleur sciatique : an-cienneté, mode d’installation, intensité) ;

● et les conséquences médicoprofessionnelles de la SC pen-dant les 12 derniers mois précédant l’enquête (consultationsmédicales, examens complémentaires, traitement médica-menteux et physique, arrêt de travail, reclassement profes-sionnel, restriction des travaux pénibles).

Tableau 1Catégories professionnelles selon la classification de Fargeot [20]

Classe 1 (travailleur de force)Port de charges lourdes supérieures à 30 kgDes efforts répétésDes activités physiques intensesClasse 2 (travailleur manuel ou travailleur actif non entraîné)Activité physique dans le travailPort de charges lourdes inférieures à 30 kgClasse 3 (sujets sédentaires)Travaux sans activité physiquePersonne sans emploi

Les sujets concernés par l’enquête ont été interrogés partrois enquêteurs médecins (trois internes en rhumatologie).

La ville de Monastir comporte quatre arrondissements mu-nicipaux et compte selon les données du dernier recensementnational 38 185 habitants de 15 ans et plus et 17 871 foyers,soit 2,13 sujets/foyer. Un prétest portant sur 315 sujets de plusde 15 ans, choisis au hasard, a montré une prévalence de la SCde 2,53 %. En se fondant sur cette prévalence et en adaptantpour l’échantillonnage en grappe, la taille de l’échantillon né-cessaire à l’étude a été fixée à 5000 sujets. L’échantillon del’étude est réparti en 30 grappes à raison de 78 foyers/grappe,soit 2,13 sujets/foyer. Le pas de sondage représente le nombretotal de foyers dans la ville divisé par le nombre total de grap-pes : 17 871/30 = 596. La première grappe sera située dansl’arrondissement municipal contenant un nombre aléatoire en-tre un et 596, soit 377. On ajoute à chaque fois le pas de son-dage pour obtenir la grappe suivante. Dans chaque grappe,nous avons visité 78 foyers consécutifs.

Le diagnostic de SC est retenu devant la notion d’une dou-leur radiculaire des membres inférieurs L5 et ou S1 qui des-cend au-dessous des genoux et associée ou non à une lombal-gie. Un examen physique n’a été réalisé que chez les sujetssouffrant de sciatique au moment de l’enquête. Pour les sujetsantérieurement explorés par des radiographies standard ou unscanner, une interprétation de ces examens a été réalisée.

La prévalence ou la prévalence annuelle de la SC représentele taux de SC au cours des 12 derniers mois précédant l’en-quête et la prévalence ponctuelle au cours de la semaine précé-dant l’enquête.

Toutes les données collectées ont été saisies par ordinateuren utilisant le logiciel SPSS version 10.0. La comparaison desmoyennes était réalisée à l’aide du test t de Student et des fré-quences à l’aide du test de χ2 bilatéral. Le seuil de significationstatistique a été fixé à 0,05.

3. Résultats

3.1. Prévalence et caractéristiques de la SC

Quatre mille trois cent quatre-vingts sujets ont répondu auquestionnaire, soit un taux de participation de 86,7 %. L’âgemoyen de ces sujets est de 36,1 ± 16,7 ans (extrêmes : 15–99),répartis en 2221 hommes (50,7 %) et 2159 femmes (49,3 %)soit un sex-ratio = 1,03. Dans les 12 mois précédant l’enquête,97 sujets avaient souffert d’une SC soit une prévalence de2,2 % des cas ; cette prévalence était de 3 % pour les hommeset de 1,4 % pour les femmes. La prévalence ponctuelle était de0,75 %, et l’incidence de 1,44 %. La répartition de la SC enfonction de l’âge montre un maximum de fréquence entre 30 et40 ans. Les principales caractéristiques cliniques et radiologi-ques de la SC sont résumées dans les Tableaux 2 et 3.

3.2. Conséquences socioéconomiques de la SC

Les conséquences recherchées étaient essentiellement médi-cales et professionnelles. Pour les conséquences médicales, le

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Tableau 2Caractéristiques cliniques de la sciatique commune

Nombre PourcentageDébut brutal 74 76,5Facteur déclenchant 83 85,5Antécédents de lombalgie 79 81,4Accident de travail 12 12,4Monoradiculaire 89 91,8Sciatique L5 54 55,7Mécanique 93 95,8Impulsive 83 85,6

Tableau 3Caractéristiques radiologiques de la sciatique commune

Nombre PourcentageRadiographies standard (64 %)Normale 19 19,7Pincement discal et/ou discarthrose 78 80,3Tomodensitométrie (45,4 %)Hernie discale 79 81,4Protrusion discale 18 18,5Arthrose interapophysaire postérieure 15 15,4Canal lombaire étroit 8 8,2

Tableau 5Facteurs individuels associés à la sciatique commune

SC (+) : 97 SC (–) : 4283 pNombre(pourcentage)

Nombre(pourcentage)

Âge moyen (ans, DS) 36,1 ± 16,7 38,3 ± 10,6 NSSexe masculin 67 (69,1) 2154 (50,3) < 0,001Obèses 58 (59,8) 1695 (39,6) < 0,0001Fumeurs 46 (47,4) 794 (18,5) < 0,0001Troubles anxiodépressifs 26 (26,8) 356 (8,3) < 0,0001ATCD lombaires 79 (81,4) 1343 (31,3) < 0,0001Multiparité 12 (40)a 598 (28,1)a NS

DS : déviation standard ; SC (+) : sujet avec sciatique ; SC (–) : sujet sanssciatique.a Pourcentage calculé sur le nombre de femmes.

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taux de patients qui ont eu recours aux soins médicaux était de94,8 %, soit après consultation médicale dans 94,9 % dont35,8 % auprès d’un rhumatologue, soit par automédicationdans 5,1 %. Presque les deux tiers des patients ont eu des ra-diographies standard et la moitié un examen tomodensitomé-trique. L’hospitalisation était nécessaire dans 5,1 %. Les infil-trations épidurales étaient pratiquées seulement dans 3,1 %. Untraitement chirurgical d’une hernie discale était réalisé seule-ment dans deux cas.

Les conséquences professionnelles de la SC étaient analy-sées chez la population active (72 cas). L’arrêt de travail étaitnoté chez 56 cas (77,7 %) avec une durée moyenne de neufsemaines (extrêmes : 1–62) dont 18 cas étaient encore en arrêtde travail au moment de l’enquête. Cette durée d’arrêt de tra-vail était plus importante en cas de travail de force, de positionpenchée en avant au cours de travail et d’existence d’un acci-dent de travail. Le reclassement professionnel était nécessairechez quatre patients, l’affectation à des postes aménagés chezcinq patients et le recours au travail à mi-temps chez trois pa-tients (Tableau 4).

Tableau 4Conséquences professionnelles de sciatique commune chez les sujets actifs

Changement de pose de travailTravail à mi tempsReclassement professionnelArrêt de travailDurée de l'arrêt de travail en semaines (moy, DS)Travail de force (+) (n = 34)Travail de force (–) (n = 38)Position penchée en avant (n = 14)Position debout ou assise (n = 58)Accident de travail (+) (n = 12)Accident de travail (–) (n = 60)

DS : déviation standard ; n: nombre ; moy : moyenne ; s : semaines.

3.3. Les facteurs associés à la SC

Les facteurs associés à la SC se répartissaient en facteursindividuels et facteurs professionnels. Les facteurs individuelsétaient : le sexe masculin, l’obésité, le tabac, le profil psycho-logique perturbé et les antécédents lombaires (Tableau 5). Lesfacteurs professionnels associés à la SC étaient le travail deforce, la position debout ou penchée en avant au cours de tra-vail, le port de charges lourdes, et l’exposition aux vibrations(Tableau 6). Nous avons retenu après analyse multivariée qua-tre facteurs associés à la SC : le travail de force avec OR de7,81 et IC = [1,80–14,82], les antécédents lombaires avec ORde 3,38 et IC = [1,22–5,54], l’obésité avec OR de 2,52 et IC =[1,12–3,92], et l’exposition aux vibrations avec OR de 2,20 etIC = [1,04–3,36].

4. Discussion

La prévalence de la SC est très variable selon les études. Eneffet, Frymoyer [1] a trouvé à partir d’une méta-analyse que laprévalence de SC varie de 1 à 40 %. Selon cet auteur, la pré-valence d’une véritable SC constatée par un médecin ne varieen fait que de 4 à 6 %. En 1975, une enquête française del’Inserm [3] a estimé la prévalence de la SC à 8 %. Heliövaraa[21] a trouvé en 1987 sur un échantillon de 8000 sujets enFinlande une prévalence de SC de 4,8 %. En 1991, dans uneétude portant sur 5673 sujets, ce même auteur [10] a trouvé untaux de SC de 5,1 %. Manninen [12], dans une étude portant

Sujets actifs : 72 cas pNombre (pourcentage)5 (6,9)3 (4,2)4 (5,5)56 (77,7)9 ± 4,3 s12,3 ± 5,2 s < 0,0016,7 ± 2,9 s11,2 ± 4,3 s < 0,058,5 ± 3,7 s13 ± 5,4 s < 0,028, 2 ± 3,3 s

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Tableau 6Facteurs professionnels associés à la sciatique commune

SC (+) : 97 SC (–) : 4283 pNombre (%) Nombre (%)

Catégorie professionnelleTravail de force 42 (43,2) 1282 (29,9) <0,005Travail manuel 23 (23,7) 1387 (32,4) NSTravail sédentaire et sans emploi 32 (33,1) 1614 (37,7) NSPosition dominante au travailAssise 20 (36,1) 1174 (49,2) NSDebout 31 (32,9) 947 (21,9) <0,03Penchée en avant 14 (19,4) 332 (7,7) <0,02Autres 32 (33) 1830 (42,7) NSPort de charges lourdes 53 (54,6) 1059 (24,7) < 0,0001Exposition aux vibrations 56 (57,7) 1521 (35,5) < 0,0001

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sur 366 fermiers a trouvé une prévalence de la SC de 9,6 %.Notre étude a trouvé un chiffre de 2,21 %. L’incidence de laSC varie de 0,7 à 13,7 % [3,22], et elle est de 1,44 % dansnotre étude. Ces chiffres divergents de prévalence et d’inci-dence de la SC s’expliquent par la grande hétérogénéité desméthodes utilisées, des variations concernant le sexe et les tran-ches d’âge concernées et aussi par le fait que la plupart desétudes se sont intéressées à la pathologie discale d’une façongénérale comportant SC et lombalgie. Notre enquête est popu-lationnelle ; donc elle permet une meilleure représentativité dela population générale. Cependant, notre population étudiée esturbaine, cela explique le nombre faible de personnes/foyer, etne permet pas la généralisation de nos résultats à l’ensemble dela population tunisienne. La période longue de notre enquêteest expliquée par l’insuffisance de moyens. De plus, il pourraitexister un biais de recueil des données en rapport avec les in-terviewers. Enfin, les critères de diagnostic de SC utilisés dansnotre étude ne permettent pas d’exclure de façon certaine uneautre origine à la sciatique notamment dans les cas non explo-rés par une imagerie.

Les conséquences socioéconomiques de la SC sont impor-tantes et sont dominées par les conséquences médicales et pro-fessionnelles [2–5]. Dans notre enquête, le recours au traite-ment antalgique était nécessaire dans 94,8 % et aux anti-inflammatoires non stéroïdiens dans 90,7 % des cas. Dans lalittérature, ces chiffres sont respectivement de 97 à 100 % et de80 à 97,5 % des cas [3,23,24]. Dans notre série, seulementdeux patients ont été opérés et trois ont eu des infiltrations decorticoïdes. Ces chiffres sont plus importants dans la littérature[23,24]. Cela peut être expliqué par le fait que ces études ana-lysent les SC vues en milieu hospitalier, résistant au traitementmédical ou déjà compliquées. De plus, le nombre faible depatients traités par infiltrations est expliqué par le fait que lesrhumatologues de la ville de Monastir sont tous hospitaliers, etn’infiltrent les patients qu’en hospitalisation comme c’était lecas des trois patients infiltrés. La réalisation abusive d’un scan-ner lombaire ou d’une imagerie par résonance magnétique aucours de la SC est rapportée par plusieurs études [2,23]. Lescanner était réalisé chez 64 % des patients avant l’hospitalisa-tion dans la série de Bouée [23] et dans 45,4 % des cas dansnotre enquête.

Les conséquences professionnelles de la SC sont essentiel-lement évaluées en termes d’arrêt de travail. En France, la SC

représente chaque année 2,24 millions de consultations et13,11 millions de journées d’arrêt de travail par an, dont8,66 millions ont été indemnisées [3]. Dans la SC non compli-quée, la durée de repos recommandée est beaucoup plus courte,n’excédant pas les 15 jours [25]. Dans notre enquête, l’arrêt detravail a été retrouvé dans 74,4 % des cas de la populationactive avec une durée moyenne d’arrêt de travail de neuf se-maines et des extrêmes (1–62 semaines). L’existence d’un tra-vail de force ou d’un accident de travail augmente cette duréed’arrêt de travail [17,18] comme c’était le cas dans notre en-quête.

Plusieurs facteurs d’ordre individuel et professionnel inter-viennent dans la prévalence de la SC. Plusieurs études ainsique la nôtre montrent que le sexe masculin, l’obésité, le taba-gisme, les troubles anxiodépressifs et le stress psychologique,les antécédents de lombalgie ou de sciatique constituent desfacteurs associés à la SC [3,6,8–11,13–15,26–28]. Cependant,certains facteurs restent un sujet de controverse comme lagrande taille, l’obésité et la multiparité [8,14,29]. Cette der-nière n’a pas été retrouvée comme facteur associé à la SC dansnotre étude.

À côté de ces facteurs individuels, des facteurs profession-nels peuvent aussi influer la prévalence de la SC. Le travail deforce, la station debout prolongée et penchée en avant au coursdu travail, le port de charges lourdes et l’exposition aux vibra-tions sont associés à la SC [9–11,13,16,17,26,27,30,31]comme c’était le cas dans notre série. Cependant, d’autres [6]trouvent que le travail sédentaire est aussi un facteur associé àla SC. Selon ces auteurs, la force musculaire et la majorité dessports préviennent la survenue de la SC.

5. Conclusion

Notre enquête trouve une prévalence de la SC de 2,2 %dans une population urbaine adulte. Ses conséquences médica-les et professionnelles sont importantes puisqu’environ la moi-tié des patients ont eu un scanner et les trois quarts ont eu unarrêt de travail avec une durée moyenne de neuf semaines. Lesfacteurs associés individuels ainsi que professionnels sont,pour la plupart, concordants avec les données de la littérature.Ces facteurs de risque incitent à des mesures préventives de laSC afin de réduire ses conséquences socioéconomiques.

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