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NOTES DE LA FONDATION ROBERT SCHUMAN LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE 24 NOTES DE LA FONDATION ROBERT SCHUMAN NOTES DE LA FONDATION ROBERT SCHUMAN 10 ISBN : EN COURS Septembre 2004 www.robert-schuman.org 24 LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE Olivier Dord L a France est le seul pays de l’Union européenne à avoir inscrit la laïcité dans sa Constitution. En cela, elle représente un modèle original en Europe dans la mesure où les autres Etats membres n’ont pas instauré de manière aussi stricte la séparation des églises et de l’Etat. Toutefois,l’étude comparative réalisée par l’auteur montre que la conception exigeante de la laïcité à laquelle la France est attachée ne contrarie pas son engagement européen. Le droit européen, qu’il soit issu des Traités sur les Communautés et l’Union européenne (TCE et TUE), ou de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), ne consacre pas la laïcité.Mais il en conditionne désormais l’évolution. Ce droit européen offre en effet les voies permettant de garantir la liberté de conscience et le pluralisme confessionnel. En un mot, il contraint l’État à une certaine neutralité. Cette exigence peut dès lors être acceptée par tous les Etats membres qui partagent une communauté de valeurs (liberté,égalité,pluralisme,tolérance,non discrimination). Ces valeurs viennent d’ailleurs d’être affirmées dans le projet de Constitution européenne. Olivier Dord est professeur agrégé de droit public à l’Université de Paris X-Nanterre. Spécialiste des questions constitutionnelles, il consacre ses recherches à l’étude des rapports entre systèmes juridiques. Il est membre du CREDOF. Préface de Bernard Stasi

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10 €ISBN : EN COURS

Septembre 2004 www.robert-schuman.org

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LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAISSOUS INFLUENCE EUROPÉENNEOlivier Dord

La France est le seul pays de l’Union européenne à avoirinscrit la laïcité dans sa Constitution. En cela, elle

représente un modèle original en Europe dans la mesureoù les autres Etats membres n’ont pas instauré de manièreaussi stricte la séparation des églises et de l’Etat.Toutefois,l’étude comparative réalisée par l’auteur montreque la conception exigeante de la laïcité à laquelle laFrance est attachée ne contrarie pas son engagementeuropéen.Le droit européen, qu’il soit issu des Traités sur lesCommunautés et l’Union européenne (TCE et TUE), oude la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH),ne consacre pas la laïcité.Mais il en conditionne désormaisl’évolution. Ce droit européen offre en effet les voiespermettant de garantir la liberté de conscience et lepluralisme confessionnel. En un mot, il contraint l’État àune certaine neutralité.Cette exigence peut dès lors être acceptée par tous lesEtats membres qui partagent une communauté de valeurs(liberté,égalité,pluralisme,tolérance,non discrimination).Ces valeurs viennent d’ailleurs d’être affirmées dans le projetde Constitution européenne.

Olivier Dord est professeur agrégé de droit public à l’Université de ParisX-Nanterre. Spécialiste des questions constitutionnelles, il consacre sesrecherches à l’étude des rapports entre systèmes juridiques. Il estmembre du CREDOF.

Préface de Bernard Stasi

OLIVIER DORDAgrégé de droit public

Professeur à l’Université de Paris X-Nanterre

Préface de Bernard StasiPrésident

de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité

sommairePréface................................................................... 6

Introduction ........................................................ 10

1. La conception française de la laïcité fonde un modèle original au sein des États membres de l’Union européenne ............14

1. La laïcité : un droit des cultes original ........ 14

1.1 Les sources juridiques de la laïcité ....................................141.1.1 Les consécrations constitutionnelles ........................................141.1.2 Les garanties législatives ..............................................................18 1.1.3 La nécessaire intervention du juge ............................................21

1.2 Les champs de la laïcité .......................................................231.2.1 Laïcité et libertés fondamentales ...............................................231.2.2 Laïcité et services publics ............................................................26 1.2.3 Laïcité et relations entre personnes privées ...........................31

2. Les autres États de l’Union organisent les cultes de façon bien différente ................... 35

2.1 L’union dans la diversité : l’exemple britannique ............452.1.1 La religion : une liberté effective

sans cadre juridique particulier ..................................................362.1.2 La loi pose toutefois quelques restrictions

à la liberté religieuse ....................................................................37

2.2 L’autonomie pour la coopération :l’exemple allemand ................................................................382.2.1 Le compromis consacré par la Loi fondamentale de 1949 .....392.2.2 Les interrogations actuelles

sur la pérennité de ce compromis ............................................42

2.3 L’identification entre un Etat et une Eglise :le cas singulier de la Grèce .................................................462.3.1 Le statut constitutionnel privilégié de l’Église orthodoxe ...472.3.2 Les restrictions apportées à l’exercice des autres cultes ....49

II. Le droit européen participe à l’évolution du modèle français de laïcité ........ 52

1. L’Europe ne s’oppose pas à la conception française de la laïcité ..................... 52

1.1 L’indifférence de l’Union européenne en matière religieuse .............................................................521.1.1 L’appréhension indirecte du fait religieux

par le droit communautaire ........................................................531.1.2 Les interrogations suscitées par une garantie

accrue de la liberté de religion ..................................................57

1.2 Des convergences avec la Convention européenne des droits de l’Homme .................................621.2.1 La définition européenne de la liberté de religion ................621.2.2 Une mise en œuvre compatible avec la laïcité française ......64

2. L’Europe accompagne désormais l’évolution du modèle français de laïcité ........ 68

2.1 Un modèle souple : les figures de la laïcité .....................682.1.1 Les exceptions territoriales découlant de l’Histoire ............682.1.2 Les dérogations sectorielles protégeant une liberté .............73

2.2 Un modèle qui évolue :la part de l’influence européenne ......................................762.2.1 Le port de signes religieux dans les écoles publiques ..........772.2.2 Absence scolaire pour motif religieux

et obligation d’assiduité ...............................................................802.2.3 Hôpital public et liberté de conscience du patient ...............82

Conclusion............................................................86

Bibliographie indicative ......................................88

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aborde avec la tradition qui est la sienne. Il n’endemeure pas moins que des réflexions com-munes entre les pays européens ne peuvent êtreque bénéfiques. C’est pourquoi la commissionsur l’application du principe de laïcité que j’avaisl’honneur de présider s’est, avant de remettreson rapport au Président de la République,rendue en Belgique, au Royaume-Uni, enAllemagne et en Italie.

Les échanges avec les responsables politiqueset les autorités religieuses de ces pays ont étéfort intéressants.

Aussi, faut-il se féliciter de ce que la FondationRobert Schuman qui, sous la dynamique impul-sion de Jean-Dominique Giuliani, contribueactivement à mieux faire connaître à nos conci-toyens les enjeux de la construction euro-péenne et aussi à renforcer les liens entre lessociétés civiles des pays membres,ait pris l’heu-reuse initiative de demander au ProfesseurOlivier Dord une étude sur la spécificité de lalaïcité française dans le cadre européen et surla façon dont s’organisent et sont vécues les rela-tions entre les pouvoirs publics et les religionsdans chaque pays de l’Union.

Au-delà de l’intérêt que présente l’analyse trèsclaire, très approfondie et très complète sur lasituation à cet égard, dans chaque pays euro-péen, le livre du Professeur Olivier Dord nousdonne des motifs de satisfaction et des raisonsd’espérer.

Il ressort, en effet, que les pays de l’Union sontpresque unanimes à vouloir fonder les relationsentre le pouvoir politique et le fait religieux sur

LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE6

La laïcité peut légitimement être considéréecomme une invention française. C’est un fait,en tout cas,que la France est le seul pays euro-péen à avoir explicitement consacré le principede laïcité dans sa Constitution. Une laïcité qui,au-delà de la neutralité de l’Etat dans la sphèrereligieuse et de la liberté reconnue à chaquecitoyen de choisir sa vie spirituelle,est devenuela pierre angulaire de notre pacte républicain,pacte dont le respect conditionne la qualité denotre vivre ensemble.

Cela dit, comme d’autres pays européens, laFrance affronte, aujourd’hui, la conjonctionentre deux phénomènes qui menacent, quiagressent parfois, cette laïcité apaisée qui, au fildes ans, l’a emporté,dans notre pays,sur la laïcitéde combat. Il s’agit, d’une part, des échecs, aucours des dernières décennies,de l’intégrationsociale des nouveaux arrivants sur le territoirenational. Il s’agit, d’autre part, de la transfor-mation du paysage religieux,du fait,notamment,du nombre sans cesse croissant d’adeptes dereligions qui, jusqu’à une date récente, étaienttrès minoritaires dans notre pays.

Certes,la laïcité à la française respecte toutes lesreligions, mais elle ne saurait rester indifférenteà l’action, aux pressions de tendances politico-religieuses extrémistes, porteuses de projets "communautaristes ", qui lancent un défi à notreconception de la communauté nationale.

Ces problèmes, chaque pays concerné les

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Préface

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la liberté de conscience, sur l’acceptation de ladiversité et sur la neutralité de l’Etat. Cetteconvergence contribuera à faire de l’Europe,au-delà, au-dessus des liens politiques et écono-miques qui unissent les Etats membres,une com-munauté de valeurs partagées. On peut aussiespérer que,dans ce monde secoué par le chocdes civilisations et par l’affrontement des inté-grismes, déchiré par les repliements identi-taires, l’Europe aura la volonté et sera à mêmed’apporter sa contribution à l’avènement d’unmonde de paix,de tolérance et d’ouverture, telque nous le rêvons.

Bernard Stasi

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vec la liberté et l’égalité, la laïcité consti-tue en France l’un des fondements de la

République.Elle exprime d’abord,sur le plan desvaleurs, la volonté d’offrir aux individus deconvictions religieuses différentes une autreperspective que la soumission servile au dogmeet le repli communautaire : la liberté de choix(croire ou ne pas croire, croire en qui, à quoi)et celle de vivre ensemble dans le respect d’au-trui.Elle se traduit, sur le plan institutionnel,parl’instauration d’un cadre juridique spécifiquefondé,depuis la loi du 9 décembre 1905,sur uneséparation, à la fois organique et fonctionnelle,des Églises et de l’État. La laïcité est enfin unprocessus qui par définition évolue : il serait pluspertinent,selon Jean Baubérot,de parler de “laï-cisation”.

Historiquement, la laïcité précède la séculari-sation de la société (loi de 1792 sur la laïcisa-tion de l’état civil, lois Ferry de 1882 et Gobletde 1886 sur l’école) avant de l’imposer, parfoispar la force. L’anathème lancé par Gambetta àla Chambre des députés, le 4 mai 1877,résonneencore : “Le cléricalisme, voilà l’ennemi !”Depuis près d’un siècle, la laïcité républicaineperdure en se renouvelant au travers deconfrontations,de négociations et de compro-mis réguliers, notamment en matière scolaire(rejet du projet Savary en 1984, accords Lang-Cloupet de 1991).Oui, la laïcité est bien “ce motqui sent la poudre” pour reprendre la formule

du professeur Jean Rivero(1).

En ce début de XXIe siècle, le débat sur la laïcitéprospère à nouveau. Le consensus nationalqu’elle suscite, cette “laïcité intériorisée” dontparle Claude Nicolet(2),est en effet bousculé parle développement de revendications religieusesnouvelles, le plus souvent d’ordre identitaire(Islam). La constitution de listes confession-nelles aux dernières élections estudiantines auxCROUS en est une illustration récente. Reculde la laïcité pour les uns, simple menace pourles autres : ces comportements ne peuventlaisser les pouvoirs publics indifférents.

Les gouvernements successifs ont ainsi suscitéla création d’une instance représentative des dif-férents courants de l’Islam. Le conseil françaisdu culte musulman est désormais chargé derégler les questions concrètes que pose l’exer-cice de cette confession en France. En juillet2003, le Chef de l’État confie au Médiateur dela République,Bernard Stasi, la présidence d’uneCommission de réflexion sur l’application duprincipe de laïcité dans la République.Reprenantcertaines des propositions formulées par laCommission dans son rapport, le Parlementadopte la loi du 15 mars 2004.Celle-ci encadrele port des signes ou des tenues manifestant uneappartenance religieuse dans les établissementspublics locaux d’enseignement.D’autres mesures,inspirées par la volonté de réaffirmer les exi-gences qu’implique le principe de laïcité de laRépublique, sont en préparation.

La tenue d’un débat véritablement “éclairé” surla laïcité implique toutefois de ne pas sous-estimer l’incidence du contexte européen dans

LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNELAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE

Introduction

A

(1) Jean Rivero,“La notionjuridique de laïcité”,Dalloz 1949, Chron. p.137.

(2) Claude Nicolet, L’idéerépublicaine en France(1789-1924), Gallimard,Tel n°251, p.499.

13LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE12

lequel s’inscrit désormais toute question natio-nale. L’élargissement de l’Union européenne àdix nouveaux membres rappelle la diversité desexpériences nationales en matière de relationsentre État et Églises et tout l’intérêt que pré-sente leur confrontation.L’épanouissement decultes nouveaux et les questions que pose leurinsertion dans le cadre juridique interne desVingt-cinq appellent sans doute une réflexionconcertée, voire des actions communes.L’adoption d’un projet de Constitution euro-péenne conduit également à s’interroger sur lesvaleurs de cette Europe politique en construc-tion : la laïcité à la française fait-elle partie del’identité européenne ? Enfin,en raison de la pro-tection des droits fondamentaux qu’il instaure,le droit européen,dans ces différentes sources,influence déjà la mise en œuvre de notre droitdes cultes.

De l’étude du principe de laïcité en droit comparé,deux conclusions peuvent être tirées :

- L’originalité du modèle français d’organisationdes cultes qu’aucun autre État membre del’Union européenne ne partage complètement.

- Ce droit commun, que constituent le droitcommunautaire et la Convention européennedes droits de l’Homme,participe aujourd’hui àl’évolution du modèle français de laïcité.

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Introduction

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l’existence de droits ou d’obligations juridiquesdont les individus pourraient se prévaloir.

La Constitution de la République comporte deuxréférences explicites à la laïcité. La premièrefigure à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 aux termes duquel “La Franceest une République indivisible, laïque, démocra-tique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loide tous les citoyens,sans distinction d’origine,derace ou de religion. Elle respecte toutes lescroyances”(3). La première phrase de cette affir-mation reprend mot pour mot l’article 1er de laConstitution du 27 octobre 1946. Après desdécennies de “guerre des deux France”, l’avène-ment d’un consensus sur la nature des rapportsque doivent entretenir l’État et les religionsexplique la consécration continue de ce principedepuis la IVe République.Plus précisément, c’estdès le premier projet de Constitution,adopté parl’Assemblée constituante le 19 octobre 1946 etrejeté par référendum,que la laïcité est prise encompte(4). L’article 13, second alinéa de la nou-velle Déclaration des droits de l’Homme qui figureen tête de ce projet affirme en effet :“La libertéde conscience et des cultes est garantie par la neu-tralité de l’État à l’égard de toutes les croyanceset de tous les cultes.Elle est garantie notammentpar la séparation des églises et de l’État,ainsi quepar la laïcité des pouvoirs et de l’enseignementpublic”.Le projet de Constitution,élaboré en 1958sous la responsabilité de Michel Debré,ne men-tionne pas en revanche le caractère laïque de l’État.Le général de Gaulle semble être à l’origine del’insertion,dans le texte final,de la laïcité en tantqu’attribut de la République.

Le principe de laïcité repose sur deux piliers. Le

LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE14 LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE

1 La laïcité : un droit des cultesoriginal

La laïcité telle qu’elle est pratiquée en Franceconstitue l’une des rares illustrations au monde(Tunisie,Turquie, Mexique peut-être) d’un modèleparticulier de relations entre l’État et les cultes aveclequel elle finit d’ailleurs par s’identifier : la sépara-tion organique et fonctionnelle des Églises et de l’État.Ce type d’organisation des cultes présente des carac-téristiques originales inconnues pour la plupart dansles autres États membres de l’Union.

1.1 Les sources juridiques dela laïcité

1.1.1 Les consécrations constitutionnelles

La présence de la laïcité dans les dernièresConstitutions françaises traduit plus l’entrée de ceprincipe dans notre tradition républicaine que

1La conceptionfrançaise de lalaïcité fonde unmodèle original ausein des Étatsmembres del’Union européenne

(3) Inscrit à l’origine dansl’article 2 du texte de1958, le contenu de cetalinéa a été transféré dansl’article 1er lors de larévision constitutionnelledu 4 août 1995, pouréviter que l’abrogation desdispositions obsolètes decelui-ci ne laisse vacanteune place aussisymbolique.

(4) L’article 354 de laConstitution de 1795(Directoire) affirme déjàque “La République nesalarie aucun culte”.Undécret du 3 Ventôse An IIprécise encore que laRépublique ne salarieaucun culte, ne fournitaucun local au culte, neconnaît aucun ministre duculte.

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une obligation d’agir pour assurer la garantie effec-tive de la liberté religieuse.Elle ne traduit pas uneindifférence de l’État à l’égard des affaires reli-gieuses : la liberté de culte implique par exempleque la loi fixe le cadre juridique grâce auquelpeuvent être préservés l’ordre public comme laliberté d’autrui.Mais la laïcité constitue égalementune limite pour la liberté de conscience.Car cetteliberté individuelle ne confère aucun droit spé-cifique aux croyants en tant que membres d’ungroupe religieux particulier (Voir mutatis mutan-dis, CC, décis. n° 99-412 DC, 15 juin 1999,Charte des langues minoritaires). Le principed’égalité devant la loi de tous les citoyens, sansdistinction d’origine,de race ou de religion,s’op-pose en droit à la distinction des statuts juridiques.En France,la tradition d’intégration occulte l’exis-tence des communautarismes.

La seconde référence à la laïcité figure dans lePréambule de la Constitution de 1946 qui béné-ficie toujours d’une valeur constitutionnelle puis-qu’il est visé par le Préambule de la Constitutionde 1958. Selon le 13e alinéa de ce texte,“L’organisation de l’enseignement public, gratuitet laïque à tous les degrés est un devoir de l’État”.Une fois encore,cette référence constitutionnellerend un hommage rétrospectif au rôle joué parl’école dans l’entrée progressive de la laïcitédans la tradition républicaine.Les lois successivessur la liberté de l’enseignement (1833, 1850 et1875) n’ont pas permis, bien au contraire, dedégager l’école publique de l’influence de l’Églisecatholique. Sous la IIIe République, la nécessitéd’enraciner le régime républicain après la défaitedes monarchistes conduit à faire de la formationdes esprits l’un des objectifs prioritaires desgouvernements successifs.Il revient à Jules Ferry,

LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE16

premier,le plus original,postule que l’État est étran-ger au fait religieux : il n’a pas de religion et n’enprivilégie aucune.Il est la “Res publica” par excel-lence. C’est pourquoi le respect de toutes lescroyances peut être assuré.Sa neutralité confes-sionnelle, et plus largement celle de toute col-lectivité publique, rend plus crédible une actionpublique poursuivant l’intérêt général et traitantégalement les citoyens, quelles que soient leursconfessions.Cependant,parce que la Républiqueest démocratique,elle assure le pluralisme notam-ment en matière religieuse. La laïcité ne sauraiten conséquence conduire à un athéisme d’Étatpourfendant l’opium du peuple sur le modèlemarxiste.Au plan juridique, le principe de laïcitédoit en effet être concilié avec celui de la libertéde conscience dont il constitue à la fois un pro-longement et une limite.

La liberté de conscience forme donc le secondpilier de la laïcité à la française.Cette liberté béné-ficie d’une triple consécration constitutionnelle.L’article 10 de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen impose tout d’abord que“Nul ne soit inquiété pour ses opinions, mêmereligieuses, pourvu que leur manifestation netrouble pas l’ordre public établi par la loi”.Dansson cinquième alinéa, le Préambule de 1946précise en outre “Nul ne peut être lésé,dans sontravail ou dans son emploi, en raison de ses ori-gines,de ses opinions ou de ses croyances”.Enfin,la décision du Conseil constitutionnel en date du23 novembre 1977 range la liberté de conscienceau nombre des Principes fondamentaux recon-nus par les lois de la République visés par lePréambule de 1946 (décis.n° 77-87 DC,cons.5).En tant que prolongement de la liberté deconscience, le principe de laïcité impose à l’État

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1La conceptionfrançaise de lalaïcité fonde unmodèle originalau sein des Étatsmembres del’Unioneuropéenne

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d’application est général figure la loi du 9 décembre1905 portant séparation des Églises et de l’État.Bien que le terme n’y figure pas, cette loi consti-tue le principal fondement législatif du principe delaïcité.Aussi son abrogation encourrait-elle sansaucun doute la censure du Conseil constitution-nel en cas de saisine car elle priverait un principeconstitutionnel de garantie législative.Cette loi metun terme au régime des quatre “cultes reconnus”(catholique,luthérien,réformé et israélite) qui pré-valait en France en vertu du Concordat du 15 juillet1801,des Articles organiques (loi du 18 GerminalAn IX) et d’un décret du 30 décembre 1809.“LaRépublique ne reconnaît, ne salarie ni ne sub-ventionne aucun culte” affirme ainsi l’article 2 dela loi.Les Églises concernées sont privées non seu-lement des avantages qui leur étaient jusque-làaccordés, mais encore du statut de droit publicdont elles bénéficiaient.La disparition en droit descultes privilégiés permet d’assurer une égalité detraitement par la République de l’ensemble desconfessions déjà existantes ou à venir. La neutralitéconfessionnelle de l’État qui découle de cette sépa-ration donne toute sa portée au rôle nouveau quilui échoit désormais.L’article 1er de la loi disposeen effet que “La République assure la liberté deconscience. Elle garantit le libre exercice descultes sous les seules restrictions édictées ci-aprèsdans l’intérêt de l’ordre public”.Soulignons enfinque la loi du 9 décembre 1905 constitue en réalitéune double rupture avec la tradition historique.Elle met un terme à la fois au régime concorda-taire et à une tradition séculaire d’interventiondirecte du pouvoir politique dans les affaires reli-gieuses.

Parmi les lois dont l’objet est plus spécialisé,cellesqui concernent l’enseignement sont les plus

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ministre de l’Instruction publique presque sansinterruption de 1879 à 1883 d’avoir su doter cetenseignement public de principes nouveaux quile gouvernent encore aujourd’hui :gratuité,obli-gation et laïcité.

Cette exigence constitutionnelle que formel’existence à tous les degrés d’un service publicde l’enseignement doit être conciliée avec un autreprincipe de même valeur : la liberté de l’ensei-gnement. Dans sa décision précitée du 23novembre 1977,le Conseil constitutionnel fait éga-lement de cette liberté l’un des Principes fonda-mentaux reconnus par les lois de la République,visés par le Préambule de 1946.Il en résulte,selonlui, que l’exigence posée par le treizième alinéade ce même texte “ne saurait exclure l’existencede l’enseignement privé” (décis. n°77-87 DC,cons.4).La Constitution interdit ainsi tout mono-pole public en matière d’enseignement : ellegarantit l’existence d’un enseignement privé àcaractère confessionnel ou de nature simplementcommerciale. Le projet de loi “Savary” qui pré-voyait en 1984 la création d’un grand service publiclaïque et unifié de l’enseignement méconnaissaitévidemment cette exigence.

1.1.2 Les garanties législatives

Sur le plan historique,c’est de la loi que la laïcitéreçoit ses premières garanties juridiques. Lestextes concernés se répartissent en deux caté-gories d’inégale ampleur.Quelques lois ont uneportée générale, alors que la plupart sont rela-tives à un service public en particulier, l’ensei-gnement le plus souvent.

Au premier rang des rares textes dont le champ

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Revenant sur une jurisprudence bien établie duConseil d’État (CE,2 novembre 1992,Kherouaaet autres, Rec.389), la loi interdit désormais “leport,à l’école,de signes ou de tenues par lesquelsles élèves manifestent ostensiblement une appar-tenance religieuse” (Art. L. 141-5-1 nouveau ducode de l’éducation).Un projet de loi concernantle respect de la laïcité à l’hôpital public est en pré-paration. Un véritable code de la laïcité devraitaussi voir le jour.

1.1.3 La nécessaire intervention du juge

L’intervention du juge en matière de laïcité estrequise à double titre.Définir les principes appli-cables aux litiges qu’il doit trancher relève de sonoffice quotidien.Veiller en outre à ce que les pou-voirs publics respectent l’obligation de neutralitéqui leur incombe constitue le rôle spécifique d’unjuge qui tire sa légitimité d’un État laïque.

La Constitution ne précise ni le contenu ni laportée de la laïcité qu’elle consacre pourtant pardeux fois.Cette absence ne saurait surprendre :la réglementation constitutionnelle ne fait paspartie de la tradition française. L’abstention duConseil constitutionnel,interprète privilégié maisnon exclusif de la Constitution, est en revancheplus regrettable. Le contrôle, en 1994, de la loiBourg-Broc relative à l’aide aux investissementsdes établissements d’enseignement privé par lescollectivités territoriales lui offre pourtant l’oc-casion de définir le contenu de ce principe.Danssa décision du 13 janvier 1994,Révision de la loiFalloux, le Conseil vise bien l’article 2 de laConstitution qui consacre le caractère laïque dela République (décis. n°93-329 DC, cons. 26 et27). Il préfère toutefois censurer la loi pour vio-

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nombreuses. Deux textes méritent plus parti-culièrement d’être cités en raison de la péren-nité des principes qu’ils posent et de leur récentedisparition pour cause de codification. La loi du28 mars 1882,dite loi Jules Ferry,porte sur l’en-seignement obligatoire.Son article 2 contient tou-tefois deux dispositions qui favorisent la laïcisa-tion de l’école publique.Tout d’abord la vacancedes écoles, un jour par semaine, en plus dudimanche, doit permettre aux enfants de suivreune instruction religieuse en dehors des édificesscolaires.Ensuite,l’enseignement religieux devientfacultatif dans les écoles confessionnelles (Art.L.141-3 du code de l’éducation).Quant à la loi du30 octobre 1886 relative à l’enseignement pri-maire,appelée loi Goblet du nom du ministre del’Instruction publique de l’époque, elle confiel’enseignement primaire dans les écoles publiquesà un personnel exclusivement laïque (Art. L.141-5 du code de l’éducation).

Le débat sur la laïcité a quitté,depuis longtempsdéjà,les Chambres pour le prétoire des tribunaux,quand,en 2003, le législateur exprime son inten-tion d’intervenir en la matière.Depuis plusieursannées, le monde de l’entreprise et les servicespublics voient se multiplier les atteintes portéesà la laïcité. La Commission Stasi en dresse dansson rapport du 11 décembre 2003 un inventaireédifiant.Le Président de la République demandeque les exigences découlant de ce principe soientrappelées. La loi n° 2004-228 du 15 mars 2004encadrant, en application du principe de laïcité,le port de signes ou de tenues manifestant uneappartenance religieuse dans les écoles,collègeset lycées publics est adoptée par le Parlement àune forte majorité.Elle vise les usagers du servicepublic de l’enseignement primaire et secondaire.

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tatoires et,plus encore,pour envisager d’interdirele port de signes religieux particuliers dont le carac-tère ostentatoire repose sur une appréciation for-cément subjective ? Dans un arrêt remarqué du28 juillet 1997,Ministère public c/Veau et autres,la Cour d’appel de Lyon attribue,dans une affaired’escroquerie dans laquelle plusieurs de sesmembres sont impliqués, la qualité de “religion”à l’Église de scientologie. Saisie par le parquet, lachambre criminelle de la Cour de cassationrejette le pourvoi formé contre l’arrêt de relaxe(Cass.,crim.,30 juin 1999,n°98-80501,inédit).Elleconsidère notamment que la qualité prêtée aumouvement précité constitue “un motif inopérantmais surabondant,dépourvu en l’espèce de touteportée juridique”.Ces exemples conduisent à s’in-terroger sur la possibilité de faire, dans un Etatlaïque,de la notion de “religion” une catégorie juri-dique opérante.

1.2 Les champs de la laïcité

1.2.1 Laïcité et libertés fondamentales

Proclamée par la loi de 1905, la liberté de cultes’exercerait sans cadre juridique particulier si lerespect même de la laïcité n’avait conduit le légis-lateur à prendre certaines dispositions pourrégler la question des édifices du culte, notam-ment au profit de l’Église catholique. L’exerciceeffectif du culte est garanti, dans la pratique, parle rôle régulateur du juge. Son intervention estindispensable car les limitations à la liberté reli-gieuse que justifie l’ordre public varient selon lelieu des cérémonies et le culte considéré.

Les cérémonies et offices religieux se déroulant

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lation d’un principe constitutionnel bien connu :celui de l’égalité appliqué en l’espèce aux éta-blissements privés appartenant à une mêmecatégorie. La loi ne donne pas non plus de défi-nition générale de la laïcité en raison, le plussouvent,de son objet trop spécialisé.Il appartientdans ces conditions au juge ordinaire, adminis-tratif ou judiciaire, d’interpréter, au cas par cas,la portée de ce principe.De façon générale,le jugecantonne les cultes dans leur domaine en neu-tralisant les éventuelles ingérences tout en s’ef-forçant de garantir l’effectivité de la liberté reli-gieuse. À travers l’examen de cas d’espèce, ilconstruit “une laïcité respectueuse des libertésde conscience et de religion”(5).

La neutralité confessionnelle de la puissancepublique exclut,en principe,toute appréciation dela légitimité d’une confession ou d’une pratiquereligieuse.Il revient en dernier lieu au juge de priverd’effet les actes juridiques de toute nature inter-venus en méconnaissance de cette obligation.Parexemple, la circulaire du ministre de l’Educationnationale en date du 20 septembre 1994 tente derépondre aux interrogations des chefs d’établis-sements sur la notion de “port ostentatoire designes religieux” dégagée par le Conseil d’État.Elledistingue tout d’abord deux catégories :les signesdiscrets et ceux qui sont ostentatoires. Puis, elleintroduit l’idée que certains signes seraient, pareux-mêmes,ostentatoires, sans toutefois citer lefoulard islamique de façon explicite ! Saisi d’unrecours contre la circulaire,le Conseil d’État l’au-rait sans doute annulée, s’il ne lui avait pas refusétoute portée normative (CE, 10 juillet 1995,Association “Un Sisyphe”,Rec.292).Sur quelle légi-timité l’administration peut-elle se fonder pour ins-taurer une interdiction générale des signes osten-

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(5) Yves Madiot, " Le juge etla laïcité ", Pouvoirs n°75,p.74.

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enterrements, en particulier lorsqu’il existe unetradition locale (CE,15 février 1909, Abbé Olivieret autres,Rec.186). Il n’est pas illégal en revanched’annuler une procession qui ne se rattache à aucunusage local et dont il est établi qu’elle est de natureà troubler l’ordre public (CE,2 juillet 1947,SieurGuiller, Rec.293).

Les règles qui gouvernent les édifices de culterésultent encore aujourd’hui des lois du 9 décembre 1905 et du 3 janvier 1907.S’agissantde la gestion des biens, la loi de 1905 crée lesassociations cultuelles, dont le régime est plusfavorable encore que celui des associationstype loi 1901. Elle leur transfère le patrimoinedes établissements publics religieux qu’elle sup-prime et leur confie la jouissance des édificespublics du culte. Ce statut est immédiatementaccepté par les cultes protestant et israélite : illeur sert encore aujourd’hui. Des cultes nou-veaux peuvent aussi bénéficier des avantages,notamment fiscaux,liés à ce cadre juridique,sousréserve de remplir les conditions (CE, Sect.,23 juin 2000, Ministre de l’Economiec/Association locale pour le culte des Témoinsde Jéhovah de Clamecy, Rec. 242). L’encycliqueGravissimo officii (10 août 1906) interdit enrevanche aux laïcs catholiques de former desassociations cultuelles : le Pape Pie X les consi-dère en effet comme contraires au droit canon.Il faudra attendre 1921 pour que soit réglée laquestion de la gestion des biens du culte catho-lique. Le gouvernement français et le Vatican semettent enfin d’accord sur le statut des “asso-ciations diocésaines” plus respectueuses dudroit de l’Eglise : celles-ci sont créées danschaque diocèse sous la présidence de l’évêqueet ont pour objet d’administrer les biens ecclé-

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au sein d’endroits clos,notamment des édificesde cultes, sont assimilés par la loi de 1905 auxréunions publiques dont le régime relève de laloi du 30 juin 1881. Le régime de déclarationpréalable auquel sont soumises toutes lesréunions est supprimé en 1907.Depuis lors, lescérémonies religieuses sont libres. Leur orga-nisation est placée sous l’autorité du chef de lacommunauté religieuse (prêtre,pasteur,rabbin,imam). Comme toute liberté cependant, laliberté de culte peut faire l’objet de restrictionen cas de menace à l’ordre public. L’autorité depolice prend alors,sous le contrôle du juge admi-nistratif, les mesures proportionnées à l’objec-tif poursuivi qui s’imposent.Constitue ainsi uneatteinte excessive à la liberté de culte l’inter-diction de toute cérémonie religieuse faite auxadeptes du culte krisnaïte,en raison des risquesd’incendie dans l’immeuble qu’ils occupent (CE,14 mai 1982,Association internationale pour laconscience de Krisna, Rec.179).

Pendant la première moitié du XXe siècle,les mani-festations se déroulant en extérieur, qui sontcaractéristiques du culte catholique, ont consti-tué le terrain privilégié des affrontements entremaires et curés.Saisi d’un contentieux abondant,le Conseil d’État s’est progressivement érigé envéritable “régulateur de la vie paroissiale”(6).Dansdes matières aussi sensibles,à l’époque,que la son-nerie des cloches,les processions ou les cortègesfunèbres, le juge administratif s’efforce d’apaiserles passions en conciliant les exigences de laliberté et les nécessités de l’ordre public.Sauf motiftiré de la nécessité de maintenir l’ordre sur la voiepublique,un maire ne peut,par exemple,interdireaux curés revêtus de leurs habits sacerdotaux d’ac-compagner à pied les convois funéraires lors des

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(6) Gabriel Le Bras,“LeConseil d’État, régulateurde la vie paroissiale”,E.D.C.E. n° 4, 1950, pp.63-76.

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il n’existe plus ni ministère chargé des cultes ni sub-vention publique pour ces derniers. La jurispru-dence est particulièrement attentive au respect decette dernière interdiction par les collectivités ter-ritoriales (CE,Sect.9 octobre 1992,Commune deSaint-Louis c/Association Soupramanien de Saint-Louis, Rec.358). La neutralité confessionnelle duservice public impose, plus précisément que lesmoyens du service ne véhiculent aucune croyanceet que les agents chargés de son exécution ne puis-sent exprimer leurs convictions dans l’exercice deleurs fonctions.

Sur le plan fonctionnel, une mission de servicepublic ne peut être exercée à d’autres fins quel’intérêt général,ce qui exclut notamment les inté-rêts particuliers d’une confession ou d’unecroyance.L’enseignement public illustre particu-lièrement cette exigence. Dans son avis du 27 novembre 1989 rendu à propos du port dufoulard islamique, le Conseil d’État rappelle quele principe de laïcité de l’enseignement publicimpose notamment que l’enseignement soit dis-pensé dans le respect de cette neutralité par lesprogrammes.Depuis la loi Ferry du 29 mars 1882,l’enseignement public exclut toute formationreligieuse, toute catéchèse proprement dite.Lesprogrammes élaborés par le ministère abordenten revanche le fait religieux dans ses dimensionshistoriques, philosophiques ou littéraires. Cetteneutralité des programmes implique-t-elle celledes manuels scolaires ? Il convient d’opérer enréalité une distinction entre les programmes quisont officiels et les ouvrages scolaires qui sontpubliés,sans aucune caution publique,sous la seuleresponsabilité des auteurs et des éditeurs.Parceque certains aspects des programmes concernentdes domaines comme la sexualité, où les inter-

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siastiques et de subvenir aux frais du culte.

Quant au statut des édifices eux-mêmes, deuxrégimes juridiques distincts coexistent. La loi du2 janvier 1907 concerne les édifices de culteconstruits avant cette date. Il s’agit à titre princi-pal des églises avec leurs mobiliers et dépendancesimmédiates (enclos et monuments extérieurs).Cesbiens appartiennent aux communes (églises) ouà l’État (cathédrales) qui supportent le coût de leurentretien. Ils sont néanmoins affectés à titre per-manent et gratuit,à la célébration du culte catho-lique qui est le grand bénéficiaire de ce système.Pour les édifices construits après 1907,la logiquede séparation joue pleinement. Ces immeublessont des biens privés entretenus sur fonds éga-lement privés.Ils sont régis par les règles de la pro-priété immobilière. Les églises construites après1905 appartiennent donc aux associations dio-césaines ; les temples, les synagogues ou les mos-quées à des associations cultuelles.

1.2.2 Laïcité et services publics

Tous les services publics sont soumis au respectde trois principes généraux du droit,appelés aussi“lois du service public” : la continuité, l’égalité etla mutabilité (ou l’adaptation). Longtemps consi-dérée comme un simple corollaire du principed’égalité, la neutralité tend à s’imposer comme laquatrième de ses “lois” Son champ d’applicationest en effet plus large qu’on ne le croit : la neu-tralité du service public s’impose en matièreconfessionnelle,politique et commerciale.Dans ledomaine religieux, elle se confond en outre avecle principe constitutionnel de laïcité de l’État quiexclut par définition que les cultes puissent consti-tuer une activité de service public. Depuis 1905,

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en vue de l’érection d’une statue au cardinalLiénart,“compte tenu de l'ensemble des activi-tés exercées et notamment du rôle joué par lecardinal dans la ville”. Au surplus,selon le Conseil,la loi de 1905 ne fait pas obstacle à ce que la villecommémore le souvenir de cette personnalité(CE, 25 novembre 1988, Dubois, Rec.422). En1999, la Cour administrative de Nantes jugelégales les décisions du Conseil général de Vendéede choisir comme emblème du département deuxcœurs entrelacés surmontés d'une couronneportant une croix et de l’apposer au fronton descollèges publics qu’il finance (CAA, Nantes, 11mars 1999,Association “Une Vendée pour tousles Vendéens”,Rec.668).La Cour estime en effet“qu'en admettant même que chacun de ses élé-ments puisse être dissocié et représenter un motifreligieux,ce logotype,qui n'a pas été réalisé dansun but de manifestation religieuse,ni n'a eu pourobjet de promouvoir une religion,a pour uniquefonction d'identifier, par des repères historiqueset un graphisme stylisé, l'action du Départementde la Vendée ; que, dès lors, ce logotype ne peutêtre regardé comme un emblème religieux au sensdes dispositions précitées de l'article 28 de la loidu 9 décembre 1905”.

Les agents publics,quel que soit leur statut,ont droitau respect de leur liberté d’opinion.L’article 6 dela loi du 13 juillet 1983 modifiée portant droits etobligations des fonctionnaires précise encore :“Aucune distinction,directe ou indirecte ne peutêtre faite entre fonctionnaires en raison de leursopinions politiques,syndicales,philosophiques oureligieuses, de leur origine, de leur orientationsexuelle, (…)”. Les convictions des candidats nesauraient non plus, en principe, être prises encompte pour l’accès à la fonction publique :le juge

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dits religieux sont nombreux, le juge peut êtresollicité.Le Conseil d’État estime ainsi que la laïcitéde l’enseignement public ne saurait faire obstacleà ce que soit apportée aux élèves des lycées etaux collégiens de classe de troisième,notammentdans un but de santé publique, une informationsur les différents modes de contraception (CE,6 octobre 2000, Association Promouvoir etautres,Rec.391).De même,ne sont pas contrairesaux principes de neutralité et de laïcité de ceservice public les dispositions d’une circulaireministérielle du 19 novembre 1998 ayant pourobjet de favoriser l’éducation à la sexualité et laprévention du SIDA (CE, 18 octobre 2000,Association Promouvoir, Rec.424).

Sur le plan organique, une administration nepeut servir de support pour un quelconque pro-sélytisme religieux. La loi du 9 décembre 1905prohibe ainsi,dans son article 28, l’apposition detout “signe ou emblème religieux sur les monu-ments publics”,à l’exception des édifices servantau culte,des cimetières ainsi que des musées ouexpositions.À l’époque, sont visés à titre princi-pal les crucifix dans les salles de classe des éta-blissements publics d’enseignement et les statuesdes Saints dans les hôpitaux publics.Définir la caté-gorie des “emblèmes religieux” est la conditionindispensable au respect de cette interdiction.Or,cette qualification n’est pas aisée en raison du rôleimportant que les symboles chrétiens ont jouédans l’Histoire de France.Aussi, le juge adminis-tratif s’efforce-t-il de vider de leur signification reli-gieuse les emblèmes historiques en analysant l’in-tention des pouvoirs publics. Deux exemplesillustrent cette technique d’interprétation. En1988, le Conseil d’État confirme la compétencede la commune de Lille pour passer un marché

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qui s’impose à tout agent public.Cette faute jus-tifie que l’intéressé soit temporairement exclu deses fonctions (CE, 15 octobre 2003, M. Jean-Philippe O., req.n°244428).Cette jurisprudenceconstante est précisée par le Conseil d’État dansson avis contentieux du 3 mai 2000,Melle Marteau(Rec.169), rendu à propos de la décision d’unrecteur d’académie de licencier une surveillanteintérimaire d’externat portant le foulard islamique.Le Conseil d’État indique,pour l’Education natio-nale, qu’il “n’y a pas lieu d’établir une distinctionentre les agents de ce service public selon qu’ilssont ou non chargés de fonctions d’enseigne-ment”. S’agissant de l’enseignement supérieurenfin, les textes tiennent compte des exigencesspécifiques inhérentes au bon fonctionnement dece service public. L’article L. 952-2 du code del’éducation affirme ainsi :“Les enseignants-cher-cheurs, les enseignants et les chercheurs jouis-sent d’une pleine indépendance et d’une entièreliberté d’expression dans l’exercice de leursfonctions d’enseignement et de leurs activités derecherche, sous les réserves que leur imposent,conformément aux traditions universitaires et auxdispositions du présent code,les principes de tolé-rance et d’objectivité”.

1.2.3 Laïcité et relations entrepersonnes privées

L’état des personnes fait l’objet d’une laïcisationdès la Révolution : la loi du 20 septembre 1792retire la tenue des registres d’état civil aux curésdes paroisses pour la confier aux communes.L’adoption du Code civil prolonge ce proces-sus en opposant droit de la famille et préceptesde l’Église, notamment en reconnaissant ledivorce. Malgré une absence de sécularisation

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administratif annule ainsi un refus de concourirfondé sur le seul motif que le candidat a étudié dansun pensionnat religieux (CE,25 juillet 1939,DelleBeis, Rec. 524) ou qu’il est de confession catho-lique (CE, 8 décembre 1948, Delle Pasteau,Rec.463). Le comportement du candidat peutnéanmoins être pris en compte par l’autoritéadministrative,si celui-ci révèle l’inaptitude à l’exer-cice des fonctions auxquelles il est postulé dansle respect des obligations qui incombent auxagents publics : c’est le cas notamment pour ledevoir de stricte neutralité (CE, avis du 21 sep-tembre 1972 : l’état ecclésiastique n’est pas, parprincipe, incompatible avec les fonctions d’ensei-gnement dans le secondaire public). Les agentspublics ne peuvent enfin se voir reprocher l’exer-cice d’activités religieuses en dehors du service (VoirCE, 28 avril 1938, Delle Weiss, Rec.379 et CE,3 mars 1950 Delle Jamet,Rec.247 :annulation desanctions disciplinaires prises à l’encontre d’élèvesinstitutrices pour avoir participé, durant leursloisirs, à des groupes chrétiens de réflexion).

Dans l’exercice de leurs fonctions en revanche,les agents publics,qu’ils soient fonctionnaires oucontractuels, ne peuvent manifester, de quelquemanière que ce soit,leurs convictions religieuses.Il ne faut pas en effet que soit altérée la confianceque les usagers mettent dans la neutralité duservice public, ni leur liberté de conscience.L’agent qui manque à cette obligation encourt unesanction disciplinaire.Il a été ainsi jugé récemmentque le fait, pour un agent d’utiliser des moyensde communication du service (Internet) au profitd’une organisation religieuse,souvent qualifiée desectaire, et d’apparaître sur le site de celle-ci enqualité de membre,constitue un manquement auprincipe de laïcité et à l’obligation de neutralité

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Le code du travail,comme le droit de la fonctionpublique, s’attache à protéger les droits et liber-tés des salariés.Il ne peut pour autant ignorer lesexigences découlant de la conclusion du contratde travail et de son exécution. Aussi l’article L. 120-2 du code dispose-t-il que :“Nul ne peutapporter aux droits des personnes et aux liber-tés individuelles et collectives des restrictions quine seraient pas justifiées par la nature de latâche à accomplir ni proportionnées au butrecherché”. L’article L. 122-35 soumet le règle-ment intérieur de l’entreprise aux mêmes exi-gences. Il précise en outre que son contenu nepeut comporter des dispositions lésant les sala-riés dans leur emploi ou leur travail, en raisonnotamment “de leurs opinions ou confessions(…), à capacité professionnelle égale”.De façonplus générale, l’article L. 122-45 du code dutravail fait figurer les convictions religieuses aunombre des critères qui ne peuvent justifierlégalement d’écarter une personne “d’une pro-cédure de recrutement ou de l’accès à un stageou à une période de formation en entreprise”. Ilen va de même pour le fait de sanctionner unsalarié,le licencier ou de prendre à son encontre“une mesure discriminatoire,directe ou indirecte,notamment en matière de rémunération,de for-mation,de reclassement,d’affectation,de qualifi-cation, de classification, de promotion profes-sionnelle,de mutation ou de renouvellement decontrat”. Le juge civil intervient, en cas de litige,à la fois pour faire respecter ses principes légis-latifs mais aussi pour les adapter.Deux exemplesillustrent le caractère délicat de cette conciliation.

Le respect des convictions du salarié ne sauraitocculter l’existence des obligations contractuellesni les contraintes liées à l’organisation du travail.

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de la société, la séparation du civil et du religieuxest effective en ce domaine bien avant 1905.Pourtant, la prise en compte de la religion dansles relations entre particuliers ne peut êtreécartée,même dans un État laïque.La loi de Dieupeut rejaillir en quelque sorte sur celle deshommes.

La foi détermine de nombreux comportementsde la vie des individus. Le juge civil ne peutignorer ces motivations. Ainsi,en matière matri-moniale, le changement de religion de l’un desépoux au cours du mariage ne saurait en prin-cipe être considéré par l’autre comme une causede divorce : il en va du respect de sa liberté deconscience. Celle-ci ne saurait toutefois autori-ser le conjoint à se désintéresser des incidencesque ses nouvelles pratiques confessionnellespeuvent avoir sur la vie conjugale et familiale (Cass,2e civ., 24 janvier 1962,Bull. 1962,n°98,p.67).Lejuge civil est compétent pour connaître d’uneaction en responsabilité d’une femme de confes-sion juive contre son ancien époux. Celui-ci eneffet refusait de lui délivrer le “gueth” qui permetà la femme mariée selon la loi mosaïque de convo-ler à nouveau religieusement après un divorce(Cass.,2e civ.15 juin 1988,Mme Xc/Y,Bull.1988,II,n° 146,p.78).L’arrêt précise que la Cour d’appela pu estimer “sans violer le principe de la sépa-ration des Églises et de l’État” que le comporte-ment du mari constituait un abus de droit. Demême,en matière d’état civil,la personne qui avaitobtenu de changer son prénom Mourad, enMarcel-Paul, pour faciliter son intégration peutdemander à retrouver son prénom de naissancepour pouvoir effectuer un pèlerinage à La Mecque(Cass, 1ère civ., 6 mars 1990,M.Karabaghli, Bull.1990, I, n° 62 p. 46).

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ne pas être renouvelé à la suite de la rupture de lacommunion de pensée entre elle et son employeur(Cass.,soc.,20 novembre 1986,Mlle Fischer c/Unionnationale des associations cultuelles de l'Egliseréformée de France (UNAC - ERF),Bull.1986 V n°555,p.420).

2 Les autres États de l’Unionorganisent les cultes de façonbien différente

La laïcité à la française est un modèle qui s’ex-porte mal.Les pays européens connaissent en effetdes modes très différents de relations entrel’État et les cultes.Sans trop schématiser,on peuten distinguer trois principaux(7).“L’union dans ladiversité” traduit l’existence d’une religion d’Étatdans un contexte de pluralisme religieux effec-tif.“L’autonomie pour la coopération” exprimela neutralité confessionnelle de l’État face à desÉglises reconnues et associées à la vie publique.“L’identification” témoigne de la persistance desituations exceptionnelles où l’incarnation dusentiment national par une Église implique quel’État auquel elle est intimement liée restreignela liberté des autres cultes.

2.1 L’union dans la diversité :l’exemple britannique

La situation des différentes religions au Royaume-Uni est originale mais pas unique en son genre.Elle est en réalité bien plus proche de la libertéreligieuse que connaissent les pays duCommonwealth, voire les Etats-Unis, que de

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Le juge considère ainsi comme une cause réelleet sérieuse de licenciement le refus d’un salarié dese soumettre,pour un motif religieux,à une visitemédicale réglementaire (Cass., soc.,29 mai 1986,El Yacoubi c/Automobiles Peugeot,Bull.1986 V n°262,p.201). Il statue dans le même sens à proposdu refus d’un employé d’exécuter sa tâche au rayonboucherie d’un magasin en raison de la viande deporc qu’il est ainsi conduit à manipuler (Cass.,soc.,24 mars 1998, Bull. 1998 V n° 171,p. 125).

Le juge accepte en outre de consacrer une déro-gation à l’article L.122-45 du code du travail en faveurdes entreprises dites “de tendance”.Le principe selonlequel aucun salarié ne peut être sanctionné ou licen-cié en raison de ses convictions religieuses ne s’ap-plique pas lorsque celui-ci, qui a été engagé pouraccomplir une tâche impliquant qu'il soit en com-munion de pensée et de foi avec son employeur,méconnaît les obligations résultant de cet engage-ment. Dans un arrêt fort discuté, la Cour de cas-sation juge ainsi qu’un établissement d’enseignementcatholique sous contrat avec l’État peut licencier uneenseignante qui, après un divorce, s’est remariée(Cass., Ass. plén. 19 mai 1978, Dame Royc/Association pour l’éducation populaire SainteMarthe, Bull. Cass. n°1, p.1). Le juge estime, d’unepart,que les convictions religieuses de l’intéresséeont été incorporées de façon volontaire au contratde travail,en tant qu’élément essentiel et détermi-nant.Il affirme d’autre part que la bonne marche del’établissement, la conservation de son caractèrepropre et de sa réputation,sont conditionnées parle respect du principe religieux de l’indissolubilitédu mariage. De même, une femme professeur dethéologie à la faculté libre de Montpellier et devenuepasteur,bénéficie bien d’un contrat de travail qui peut

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(7) Pour une autreclassification, voirFrançoise Champion,“Entre laïcisation etsécularisation. Desrapports Églises - Étatdans l’Europecommunautaire”, LeDébat n°77, p. 46-72.

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gane de gouvernement de l’Église,doivent être rati-fiées par le Parlement.Cependant ce droit ecclé-siastique est aujourd’hui bien distinct du droit civil.Au cours des siècles, les souverains font de l’É-glise anglicane un instrument de promotion de lacohésion sociale et politique du Royaume. Elleconserve encore une place à part. Le monarqueest le “gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre”(Supreme governor of the Church) : il nomme,surproposition du Premier ministre,les archevêqueset les évêques anglicans.De sa qualité de religiond’État, l’Église anglicane tire toutefois bien peu deprivilèges.Certes l’archevêque de Canterbury suitla famille royale dans l’ordre des préséances. Etvingt-six évêques sont membres de droit de laChambre des Lords. Cependant il découle peud’autorité de la hiérarchie ecclésiastique : lescurés des paroisses sont autonomes. Les princi-paux représentants des autres religions, commele grand rabbin,sont en outre nommés parmi lespairs à vie.Enfin,la Chambre Haute a disparu danssa composition traditionnelle. Surtout, l’Égliseanglicane ne bénéficie d’aucun avantage financierparticulier.Elle vit de ses placements financiers etde la générosité de ses fidèles.

2.1.2 La loi pose toutefois quelquesrestrictions à la liberté religieuse

Il existe une exception inattendue à la règle deliberté qui gouverne le régime des cultes enGrande-Bretagne :la loi sur le blasphème.En vertude ce texte,“outrager les sentiments chrétiens àpropos de Jésus-Christ ou attaquer la religion chré-tienne” constitue une incrimination pénale en tantque telle. Si la seconde partie de cette infractionn’est plus d’actualité,la première est régulièrementinvoquée à l’encontre d’artistes, notamment des

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celle des autres États de l’Union européenne.Fruitde l’histoire et de la tradition,la liberté religieuseoutre-Manche concilie de façon pragmatiquereligion d’État et pluralisme confessionnel.

2.1.1 La religion : une liberté effectivesans cadre juridique particulier

La liberté religieuse s’est développée au Royaume-Uni par l’émancipation successive des protestants“non conformistes” en 1689, des “papistes” en1829,puis des juifs en 1858.La religion constituedepuis lors une liberté : elle n’est soumise àaucun cadre juridique précis.Il n’existe pas à pro-prement parler de droit des cultes.La liberté reli-gieuse implique en droit anglais la liberté de prier,de s’exprimer et de mener sa vie conformémentà ses croyances.Sur le plan juridique,la liberté dereligion ne peut recevoir qu’une définition néga-tive : l’État n’intervient en aucune manière dansla pratique confessionnelle. Les institutions reli-gieuses sont régies par le droit commun des asso-ciations et les obligations qui en découlent sontau demeurant assez réduites. Si une associationsouhaite obtenir le statut d’organisation à but cari-tatif,fiscalement avantageux,elle sollicite l’agrémentd’une autorité publique indépendante, la CharityCommission. Le seul contrôle exercé porte surle but cultuel de l’association défini comme le “culterendu à une divinité” (worship of a Deity).

Dans ces conditions, la situation de l’Église angli-cane en Angleterre fait figure d’exception.Elle esten effet établie et régie par la loi(8). C’est le roiHenry VIII qui l’institue en 1534 en tant que reli-gion d’État après avoir rompu avec Rome pourdes motifs bien plus matrimoniaux que doctrinaux.Les décisions prises par le Synode, qui est l’or-

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(8) L’Église presbytérienned’Écosse bénéficie d’unstatut similaire en Écosse.

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est aujourd’hui neutre face aux religions, mêmesi le poids historique d’une confession ou de plu-sieurs n’a pas disparu. En Italie par exemple, lecatholicisme n’est plus religion d’État depuis 1984.La fin du franquisme permet aussi à l’État espa-gnol de se dégager de l’influence de l’Église.Cetteséparation de la puissance publique et des religionsn’implique pourtant pas la relégation de celles-ci.Elles sont, sous des formes variables, associées àla vie publique. Une majorité d’États de l’Unioneuropéenne tend aujourd’hui à se reconnaître danscette organisation.La Belgique et l’Autriche en par-ticulier pratiquent cette “coopération institu-tionnalisée” entre Églises et État. L’Allemagneconnaît ce type de compromis religieux depuis laConstitution de Weimar (1919).

2.2.1 Le compromis consacré par la Loifondamentale de 1949

Les leçons de l’Histoire (guerres de religion,prin-cipe “Cujus regio, ejus religio”, Kulturkampf,nazisme) expliquent la protection étendue dontbénéficie la liberté religieuse en droit allemand(die Glaubensfreiheit). L’article 4 de la Loi fon-damentale du 23 mai 1949 range la liberté decroyance et de conscience, celle de professerdes croyances religieuses ou philosophiquesainsi que la liberté du culte au nombre des droitsfondamentaux dont le respect s’impose au Bundcomme aux Länder.L’article 7,§2 assure en outreaux personnes investies de l’autorité parentalele droit de décider de la participation desenfants à l’instruction religieuse.Enfin, la consé-cration du droit au libre épanouissement de sapersonnalité (Art.2),du principe d’égalité devantla loi (Art. 3,§1) et de la liberté d’opinion (Art.5)complète la garantie constitutionnelle accordée

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écrivains, qui présentent le Christ dans leursœuvres sous un jour considéré, par certains,comme inacceptable. La justice estime toutefoisque le délit de blasphème protège uniquement laconfession protestante (Voir High Court of Justice,Regina c/Chief Metropolitan Magistrate,ex parteChoudhurry,Law Reports,Queen’s Bench,1991,pp.429 et s.).Le champ d’application restreint decette loi explique, de façon assez paradoxale, lerejet par la justice britannique des plaintes pouroffense à l’islam, déposées en 1989 par la com-munauté musulmane, contre Salman Rushdie,l’auteur des “Versets sataniques”.

Enfin, jusqu’en 1988, les écoles, qu’elles soientpubliques ou privées, étaient libres de fixer lecontenu des matières enseignées et les méthodespédagogiques employées.Le contrôle de l’État surles écoles publiques était d’ailleurs assez limité.La Loi sur la Réforme de l’Education de 1988marque un tournant en la matière.Toutes les écolespubliques sont désormais tenues de dispenserdeux heures d’éducation religieuse par semaine.Ces cours sont centrés sur les aspects culturelset non dogmatiques des grandes religions repré-sentées dans le Royaume.La loi impose en outrel’organisation quotidienne de prières collectivesd’inspiration chrétienne. La participation à cesassemblées reste toutefois volontaire : les ensei-gnants non croyants et les élèves dont les parentsle demandent peuvent ne pas y assister.

2.2 L’autonomie pour lacoopération : l’exempleallemand

En Allemagne,comme en Espagne ou en Italie,l’État

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1La conceptionfrançaise de lalaïcité fonde unmodèle originalau sein des Étatsmembres del’Unioneuropéenne

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à la liberté religieuse.

“Il n’existe aucune Église d’État” affirme l’article137, §1 de la Constitution du 11 août 1919(Constitution de Weimar) qui fait partie inté-grante de la Loi fondamentale en vertu de sonarticle 140. Cette affirmation doit être enten-due comme excluant toute emprise étatique surune Église en particulier et impliquant une sépa-ration sur le plan organique de l’État et desÉglises. Nombre de dispositions constitution-nelles interdisent également de faire de la reli-gion un critère discriminant en matière d’exer-cice des droits civiques et civils, d’accès auxfonctions publiques et de droits acquis desfonctionnaires. L’article 33, §2 de la Loi fonda-mentale résume cette exigence : “Nul ne doitsubir de préjudice en raison de son adhésion oude sa non-adhésion à une croyance religieuse ouphilosophique”.La Cour constitutionnelle fédé-rale de Karlsruhe déduit de l’ensemble de cesdispositions que “la Loi fondamentale impose laneutralité religieuse et philosophique de l’Étaten tant que refuge des citoyens sans considé-ration de la personne” (1965, BverfGE 19, 206,Impôts pour la construction des églises badoises).

À la différence du modèle français de laïcitécependant, l’existence en Allemagne d’une sépa-ration des Églises et de l’État ne justifie aucuneprimauté étatique. Elle ne véhicule pas non plusde civisme républicain particulier. Elle constitueuniquement un moyen d’assurer les droits sub-jectifs des individus, comme au demeurant ceuxdes grandes obédiences religieuses que sont lesconfessions protestantes et l’Église catholique.Aucune séparation n’existe d’ailleurs sur le planfonctionnel : certains services publics favorisent

directement l’exercice de la liberté religieuse etles Églises sont largement associées à la viepublique. Le constituant a reconduit en 1949 lecompromis conclu en 1919 entre l’État et lesÉglises lors de l’adoption de la premièreConstitution républicaine (ou “Compromis deWeimar”).

En Allemagne,les services publics peuvent concou-rir à l’exercice de la liberté de religion. Par lavolonté même du constituant, l’école en consti-tue l’exemple le plus spectaculaire. La recon-naissance de la liberté de l’enseignement n’em-pêche pas que la puissance publique se voitattribuer, par l’article 7, §1 de la Loi fondamen-tale,un contrôle sur l’ensemble de l’enseignementscolaire, que les établissements qui l’assurentsoient publics ou privés. Cette compétenceappartient traditionnellement aux Länder carl’État fédéral n’a jamais pu s’imposer en la matière.Au sein des écoles publiques, l’instruction reli-gieuse est imposée par le constituant en tant dematière d’enseignement général (Art 7, §3 L.F.).Elle est dispensée conformément aux principesdes communautés religieuses, sans préjudice dudroit de contrôle de l’État. Des contrats passésentre chaque Land et les Églises ou communau-tés religieuses précisent l’organisation de cescours(9).Toutefois, le respect des convictions desfamilles comme celles des enseignants impliquel’existence de deux dérogations à ce principe.LaLoi fondamentale prévoit d’une part la créationd’écoles publiques non confessionnelles(Bekenntnisfreien Schulen).Elle interdit d’autre parttoute contrainte à l’encontre d’un enseignant quine souhaiterait pas dispenser l’instruction religieuse.

L’exemple de l’école le laisse entendre, les com-

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(9) Ces obligations dedroit constitutionnelfédéral s’imposent à laConstitution et au droitdes Länder. Une loi duLand de Brandebourgadoptée en 1996entendait ainsi substitueraux cours d’instructionreligieuse unenseignement d’éthique.La Cour constitutionnellede Karlsruhe, dans sadécision du 11 décembre2001, demande unemodification de cette loiafin que l’article 7 § 3 LFsoit mieux respecté.

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la Cour constitutionnelle fédérale connaît, àintervalles réguliers, nombre d’affaires mettanten cause la religion. Or, la décision qu’elle rendle 16 mai 1995, dans l’affaire dite “des crucifixdans les écoles bavaroises” (BverfGE, 93, 1),déclenche une véritable tempête de protesta-tion dans l’opinion et dans les médias. La Courdéclare en l’espèce contraire à l’article 4 de Loifondamentale le règlement du gouvernementbavarois qui impose la présence obligatoire decroix ou de crucifix dans toutes les écolespubliques du Land. À l’origine de cette affaire,des parents théosophes demandent que la croixsuspendue dans la salle de classe de leurs enfantssoit retirée. Cette affaire pose en réalité laquestion de la portée de cette liberté reli-gieuse en tant que droit subjectif invocable parles individus.L’apport principal de la décision dela Cour réside dans l’affirmation selon laquellecette liberté constitutionnelle présente enréalité une double dimension. Dans sa dimen-sion positive, la liberté de croyance permet dechoisir ses convictions et d’exercer le droit deculte qui en découle. Sa dimension “négative”garantit en revanche à l’individu de ne pas se voirimposer des comportements en contradictionavec ses croyances.L’État,qui a le devoir de faci-liter l’exercice des religions, a aussi celui de neprivilégier aucune d’entre elles : une obligationde neutralité lui incombe en conséquence.

En l’espèce la Cour considère que la présencedes crucifix et autres croix dans les salles declasses des écoles publiques confessionnellesviole la dimension négative de la liberté religieusedes requérants. En raison de l’obligation sco-laire et du caractère chrétien des écolespubliques en Bavière, les élèves sont confron-

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munautés religieuses sont très présentes dansla vie publique allemande.Aux termes de l’ar-ticle 137 maintenu de la Constitution de Weimar,elles peuvent bénéficier d’un statut d’orga-nismes publics qui leur assurent une représen-tation dans certains organismes publics (orga-nismes de contrôle des offices régionaux deradio-télévision par exemple).Ceux-ci peuventmême se voir accorder, dans les conditionsfixées par chaque Land, le droit de recevoir leproduit d’un impôt sur le revenu (Kirchensteuer)afin de financer leurs activités. Les communau-tés religieuses,quel que soit leur statut cette fois-ci, sont en outre autorisées à assurer leurs mis-sions pastorales au sein de l’armée,des hôpitauxet dans les établissements pénitentiaires. Danscet espace public ouvert aux Églises, l’Étatprotège par la loi le dimanche et les jours fériéscomme jours de repos et d’édification spirituelle(Art.139 maintenu de la Constitution de 1919).Son préambule le rappelle : c’est “conscient desa responsabilité devant Dieu et devant leshommes” que le peuple allemand s’est donnéen 1949 l’actuelle Loi fondamentale.

2.2.2 Les interrogations actuelles sur lapérennité de ce compromis

Dans les dix dernières années,deux décisions dela Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruheont conduit la société allemande à s’interrogersur la délicate conciliation entre droits et obli-gations antagonistes, qui découlent de la libertéde religion,pour les individus comme pour la puis-sance publique.Les revendications de cultes nou-veaux bousculent le compromis existant.

Depuis la fondation de la République fédérale,

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sauf pour les séances de natation,l’obligation sco-laire doit s’appliquer en l’absence de tout motifexceptionnel. Le port de vêtements amples etadaptés à la pratique sportive peut permettre enoutre de régler la situation de cette jeune fille.La Cour administrative fédérale considère,poursa part,qu’imposer à la collégienne de revêtir desvêtements amples pour suivre les cours d’édu-cation physique constitue une mise à l’écart injus-tifiée. Elle conclut de façon un peu surprenanteque,si les cours d’éducation physique ne peuventêtre assurés en séparant les filles des garçons,dispenser la plaignante de cet enseignementconstitue la seule solution acceptable.

S’agissant du port du voile islamique par une ensei-gnante d’une école publique, l’affaire“Ludin”permet,en 2003,à la Cour constitution-nelle de Karlsruhe de trancher la question.Fereshta Ludin, d’origine afghane et naturaliséeallemande,obtient son diplôme d’enseignante dansle Land de Bade-Wurtemberg.Le statut de fonc-tionnaire de l’éducation lui est pourtant refuséau motif qu’elle entend exercer sa profession enportant le voile. Saisie du litige, la Cour fédéraleadministrative confirme, le 2 juillet 2002, l’inter-diction du port du foulard islamique par un agentpublic, en vertu du principe de neutralité duservice public.Dans sa décision du 24 septembre2003, la Cour constitutionnelle estime pour sapart que le port du foulard par une enseignantene menace pas directement la neutralité del’école et refuse de se prononcer au fond.Elle jugequ’il revient au législateur de chaque Land “éludémocratiquement” d’interdire ou non le portdu foulard par les enseignantes,au regard des cir-constances locales (composition de la population,traditions religieuses).En l’absence d’interdiction

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tés durant les heures d’enseignement à unsigne religieux (la croix) sans possibilité de s’ysoustraire. Le juge insiste sur le caractèreconfessionnel de ce symbole qui ne saurait êtreréduit à l’expression d’une culture occidentaleimprégnée de christianisme. Aussi, selon laCour,en imposant la présence de crucifix danstoutes les écoles publiques, le gouvernementbavarois viole la Loi fondamentale. La prise encompte par les juges de Karlsruhe des droitsdes minorités religieuses dans un Land aussihomogène sur le plan confessionnel que laBavière explique l’avalanche de critiques susci-tées par leur décision. La loi bavaroise dedécembre 1995 adoptée après la décision dela Cour réaffirme la présence des crucifix dansles écoles publiques tout en confiant à chaquedirecteur le soin de trouver les voies d’uneconciliation en cas de contestation.

La question du foulard islamique se pose aussioutre-Rhin,mais en des termes un peu différentsde ceux qui caractérisent la situation française.Le port de ce signe religieux par des élèves deconfession musulmane ne fait pas débat : ilconstitue l’expression de la liberté de croyancegarantie par la Constitution.Le port du voile parde jeunes enseignantes suscite en revanche deréelles interrogations.

Les litiges motivés par le port du foulard islamiquepar des élèves sont fort peu nombreux. En1993,la Cour administrative fédérale se prononcesur la demande d’une collégienne de confessionmusulmane d’être dispensée de cours d’éduca-tion physique en raison de leur mixité. La Courannule l’arrêt de la juridiction d’appel qui rejettela demande de la jeune fille en constatant, que

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à l’orthodoxie, il résulte en effet une limitationde la liberté de culte pour les autres confessions.

2.3.1 Le statut constitutionnelprivilégié de l’Église orthodoxe

Adoptée “au nom de la Trinité sainte, consub-stantielle et indivisible”, la Constitution hellé-nique du 9 juin 1975 accorde au culte ortho-doxe et à ses institutions un statut juridiqued’exception. Celui-ci se compose de trois élé-ments principaux : des privilèges d’Église offi-cielle, un contrôle de l’État sur son fonction-nement et un statut particulier d’autonomiepour le Mont Athos.

L’article 3 de la Constitution qualifie l’Égliseorthodoxe orientale du Christ de “religiondominante”.Cette appellation revêt une triplesignification. En premier lieu, l’orthodoxie estla religion officielle de l’État grec : elle est reli-gion d’État.Le serment religieux s’impose ainsiaux députés et au Président de la Républiquelors de leur entrée en fonction (Art. 59 de laConstitution).Seul le mariage religieux est obli-gatoire.De plus, la Constitution grecque définitl’éducation comme une “mission fondamentalede l’État ayant comme but (...) le développementde la conscience nationale et religieuse desGrecs” (Art. 16, §2). L’enseignement religieux,selon le rite orthodoxe, est donc obligatoiredans les écoles primaires et secondaires. Ensecond lieu, l’Église en tant qu’institution béné-ficie de sa propre existence légale. Ses évêchéset ses paroisses constituent autant de personnesmorales de droit public.L’État,enfin, lui accordeun traitement particulier qui ne s’applique pasaux institutions des autres confessions. D’une

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législative explicite en Bade-Wurtemberg, lesautorités compétentes ne sont pas fondées àrefuser un poste à Mme Ludin pour le motifinvoqué.Réunis en octobre 2003 pour définir uneposition commune, les ministres de l’Educationdes Länder allemands n’ont pu se mettre d’ac-cord sur les conclusions à tirer de l’arrêt de laCour de Karlsruhe. Sept Länder ont manifestéleur volonté de légiférer pour interdire le portdu voile aux enseignantes.Les autres sont indécisou ne souhaitent pas intervenir. C’est pourtantl’avenir du compromis de Weimar qui paraîtdésormais en jeu.

2.3 L’identification entreun Etat et une Eglise : le cassingulier de la Grèce

En Grèce,l’Église orthodoxe constitue le cimenttraditionnel de l’unité nationale. L’Irlande ou laFinlande connaissent une situation comparable :la première à l’égard du catholicisme, la secondeavec le luthéranisme.L’orthodoxie est vécue, auplan historique, comme un rempart contre lesadversaires héréditaires de la nation grecque quesont la monarchie austro-hongroise catholiqueet l’islam ottoman,puis turc.Héritière en cela dela tradition byzantine, cette Église entretientdepuis toujours,des liens étroits d’influence réci-proque avec le pouvoir politique.C’est pourquoi,un fort sentiment d’identification perdure encoreaujourd’hui.De nombreux grecs s’affirment ainsiorthodoxes alors qu’ils sont en majorité athées.L’État n’est pas organiquement séparé de l’Égliseorthodoxe. La Grèce est même le seul État del’Union où se pose la question de l’effectivité dupluralisme religieux.Du statut privilégié accordé

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douaniers. Les pouvoirs de l’État en matière depolice notamment sont exercés par un gouver-neur.L’installation au Mont Athos de cultes hété-rodoxes est en outre strictement prohibée.Dela même façon, ce territoire est interdit depuismille ans aux femmes.Ces dispositions résumentà elles seules les questions que pose le statutconstitutionnel de l’Église orthodoxe dans uneGrèce qui, en tant que membre du Conseil del’Europe et de l’Union, est supposée garantir laliberté religieuse comme la liberté de circulation.

2.3.2 Les restrictions apportées àl’exercice des autres cultes

La position privilégiée de l’Église orthodoxe dansla République hellénique serait moins contes-table si elle ne s’accompagnait d’importantes res-trictions à l’exercice des autres cultes.La libertéde conscience religieuse proclamée à l’article 13de la Constitution grecque n’est en réalité pasassurée de la même façon pour toutes lesconfessions.Elle bénéficie à la religion dominanteet aux cultes non-orthodoxes considérés comme“connus” (catholique, protestant, islam, juif). Enrevanche, les cultes “non connus” souffrent dediscriminations de fait.

L’article 13, §2 de la Constitution interdit toutprosélytisme. Les comportements qui s’y rat-tachent sont sanctionnés par le Code pénal.Cette prohibition ne concerne pas, en pra-tique, l’Église dominante. Elle sert en revancheà lutter contre le développement des cultes“connus” et surtout l’implantation en Grèce descultes nouveaux. Les adeptes des Témoins deJéhova sont ainsi régulièrement victimes decondamnations pénales injustifiées ou de la fer-

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part, la Constitution garantit l’autoadministra-tion de l’Église orthodoxe par son Saint-Synode.Ses ministres du culte sont,d’autre part, rému-nérés par l'État.Considérés comme participantsà une mission de service public, ils sont assimilésà des fonctionnaires.Les ministres du culte desautres religions ne reçoivent en revanche aucuntraitement public.

Le contrôle exercé par l’État sur l’Église est dedeux ordres.C’est,en premier lieu,un contrôleadministratif, exercé par les services de l’Étatcompétents en la matière,notamment le minis-tère de l’Education et des cultes. La loi prévoitainsi que des représentants de l’État siégent dansdes instances ecclésiastiques collégiales. Parexemple, dans tout Conseil épiscopal (instancecollégiale présidée par l’évêque qui gère lesaffaires de chaque évêché) il y a un magistrat ainsiqu’un représentant des services fiscaux.Il existe,en second lieu,un contrôle juridictionnel,exercépar le Conseil d’État hellénique, sur la légalitédes actes administratifs, et non religieux,de l’É-glise officielle lorsque ceux-ci sont adoptés enexécution des lois. S’agissant des affaires inté-rieures de l’Église, le Conseil d'Etat examine parexemple les questions concernant le statut desemployés (laïcs comme prêtres) de l'Egliseorthodoxe. S’agissant des affaires extérieures,le juge administratif connaît,entre autres,du refusd’un évêque d'autoriser un mariage religieux.

L’article 105 de la Constitution, enfin, accordeaux monastères orthodoxes du Mont Athos lestatut de territoire autonome au sein de laRépublique hellénique. Ce statut particulierpermet aux Saints monastères de s’autoadmi-nistrer et de bénéficier d’avantages fiscaux et

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toute discrimination pour un motif confession-nel) de la Convention(10) .Rappelons enfin que,sous la pression européenne,Athènes a aban-donné en 2000 l’une des dispositions les pluscontestées de sa législation. La Grèce a décidé,à la veille de son entrée dans la zone euro, dene plus faire figurer la religion du titulaire sur lacarte nationale d’identité.

Le cas de la Grèce illustre la nécessité danslaquelle se trouve chaque État membre derendre compatible son droit,même en matièrede liberté religieuse, avec les standards envigueur dans l’Union européenne et avec ceuxqui sont définis dans le cadre de la Conventioneuropéenne des droits de l’Homme. La ques-tion de l’eurocompatibilité de la laïcité à la fran-çaise doit en conséquence être examinée.

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meture de leurs lieux de culte par l’adminis-tration. Si la Constitution reconnaît en effet lapossibilité de pratiquer le culte de son choix sansentrave, la loi protège le statut officiel de l’Égliseorthodoxe. Elle soumet la création et la réno-vation des lieux de culte à un régime juridiquedifférent suivant la confession considérée.Pourles religions non-orthodoxes, une autorisationest indispensable. Elle est accordée par unarrêté du ministre de l'Education nationale etdes Cultes.L’Église dominante en est dispensée.Celle-ci dispose en outre d’un droit de regardsur ces constructions puisque l’autorisationministérielle requiert l’avis obligatoire de l'évêqueorthodoxe concerné. Une demande formuléepar l’Église de scientologie a été rejetée en 2001.Dans la pratique, les autorités administrativeset ecclésiastiques profitent de cette loi pourlimiter les pratiques religieuses étrangères à l’or-thodoxie.

La situation de la liberté religieuse en Grèce faitl’objet d’une surveillance attentive de la part desinstitutions européennes. Le Parlement euro-péen,dans une résolution du 4 septembre 2002sur la situation des droits fondamentaux dansl’Union, attire l’attention sur le cas particulierde deux États membres en matière de libertéde cultes (Grèce et Finlande).La République hel-lénique se voit notamment reprocher le main-tien de sa législation pénale sur le prosélytisme.Cette résolution l’invite aussi à manifester plusde bienveillance et d’égalité à l’égard de laconstruction des lieux de culte non ortho-doxes. Quant à la Cour européenne des droitsde l’Homme,elle condamne régulièrement l’Étatgrec pour violation des articles 9 (liberté deconscience et de religion) et 14 (interdiction de

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1La conceptionfrançaise de lalaïcité fonde unmodèle originalau sein des Étatsmembres del’Unioneuropéenne

(10) Voir par exemple,CourEDH,25 mai 1993,Kokkinakis c/Grèce, SérieA, n°260-A ; 26 septembre1996,Manoussakis etautres c/Grèce,Rec.1996-IV ; 6 avril 2000,Thlimmenos c/Grèce,Rec.2000-II

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l’Union européenne est frappé d’un symbolechrétien(11) .Rien de plus mariale en effet que cettecouronne de douze étoiles d’or sur fond d’azur(12).Les traités fondateurs,malgré de nombreuses révi-sions,n’offrent pourtant aux Communautés euro-péennes aucune base pour intervenir directementen matière de religion ou de liberté de conscience.Ce domaine relève en effet de la compétenceexclusive de chaque État membre.Les questionsoù ces libertés sont en jeu ne sont toutefois pastotalement étrangères aux institutions de l’Union.D’abord, les élargissements successifs desCommunautés sont l’occasion de conforter cer-tains particularismes nationaux fondés sur la reli-gion.Une déclaration commune annexée au traitéd’adhésion de la Grèce du 28 mai 1979 confirmeainsi le statut de semi-autonomie des monastèresdu Mont Athos au sein de la République hellénique.Ensuite,la garantie des droits fondamentaux étantassurée par le droit de l’Union, celui-ci protègela liberté de conscience et de religion si l’actiondes institutions ou celle des États membres venaità lui porter une atteinte illicite.Enfin,et peut-êtresurtout, le droit issu des traités appréhende tra-ditionnellement la liberté religieuse de façon indi-recte, à travers la dimension économique quepeuvent revêtir certaines de ses manifestations.La volonté depuis le Traité d’Amsterdam de ren-forcer la protection accordée à la liberté de reli-gion suscite des interrogations sur la pérennité decette abstention a priori de l’Union à l’égard dufait religieux.

1.1.1. L’appréhension indirecte du fait reli-gieux par le droit communautaire

Le droit issu des traités (actes dérivés, jurispru-dence) appréhende la liberté religieuse de façon

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Aucun traité ne consacre la laïcité ou la sépara-tion des Églises et de l’État comme l’un des droitsfondamentaux ou l’une des garanties de la démo-cratie libérale.Nombre de textes internationauxattachent en revanche une importance particu-lière à la protection de la liberté de conscienceet de religion. On peut citer par exemple laDéclaration universelle des droits de l’Homme de1948 (Art.18 et 19) ou le Pacte international relatifaux droits civils et politiques de 1966 (Art.18 et19). Un constat identique s’impose au niveaurégional.Pourtant,si aucun des systèmes juridiqueseuropéens ne (re)connaît en tant que telle laconception de la laïcité que la France a forgé, ilsne la condamnent pas pour autant. Ils participentmême à l’évolution de certains de ses aspects.

1. L’Europe ne s’oppose pas àla conception française de lalaïcité

1.1. L’indifférence de l’Union européenneen matière religieuse

Une remarque liminaire s’impose : le drapeau de

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2Le droit européenparticipe àl’évolution dumodèle françaisde laïcité

(11) Ce drapeau est àl’origine celui du Conseilde l’Europe qui l’a adoptéen 1955, le 8 décembre,jour de la fête del’Immaculée conceptionchez les catholiques...

(12) Voir Apocalypse,chapitre XII, verset 1.

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tion des personnes physiques à l’égard des trai-tements des données à caractère personnel età la libre circulation de ces données prend lar-gement en compte le critère confessionnel dansla détermination des limites qu’elle pose. Sonarticle 8 impose aux États membres d’interdiretout traitement des données à caractère per-sonnel qui révèle, en particulier “les convictionsreligieuses ou philosophiques”.Les États sont tou-tefois autorisés à admettre le traitement lorsquecelui-ci est effectué “dans le cadre de leurs acti-vités légitimes et avec les garanties appropriéespar une fondation,une association ou tout autreorganisme à but non lucratif et à finalité politique,philosophique,religieuse ou syndicale,à conditionque le traitement se rapporte aux seuls membresde cet organisme et aux personnes entretenantavec lui des contacts réguliers liés à sa finalité etque les données ne soient pas communiquées àdes tiers sans le consentement des personnes inté-ressées”. Cependant, la directive autorise cesmêmes États à déroger à cette exception,lorsqueces limitations constituent une mesure nécessairepour la sauvegarde d’un nombre important d’in-térêts publics comme la sûreté de l’État, ladéfense ou la sécurité publique.

La jurisprudence connaît,elle aussi,le fait religieuxprincipalement à travers l’application de la régle-mentation des activités économiques. En lamatière, la Cour de justice cherche souvent àbanaliser la pratique religieuse en cause en l’as-similant à une simple activité commerciale.Dansun arrêt préjudiciel de 1988,la Cour conclut ainsià la possibilité d’assimiler à une activité écono-mique au sens du traité,la participation d’un indi-vidu à une communauté religieuse pour laquelleil effectue des travaux de plomberie et de maçon-

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indirecte,par l’intermédiaire des règles relativesau marché intérieur principalement.La liberté decirculation,la libre prestation de service ou le prin-cipe de non-discrimination saisissent les activitésreligieuses dans leur aspect économique ou com-mercial.

Si l’on considère le seul pilier communautairede l’Union, certains actes dérivés prennent encompte le critère religieux.S’agissant du marchéintérieur, les règles relatives à la liberté de cir-culation des marchandises instaurent de nom-breux régimes spécifiques justifiés par la priseen compte des pratiques religieuses.Il existe ainsiune dizaine de directives communautaires appli-cables en matière d’abattages rituels des animaux.Quant au règlement de la Commission en datedu 16 octobre 1990, il institue un régime spé-cifique pour les vins fabriqués selon des moda-lités propres à une pratique religieuse (vin demesse ou vin cacher). En matière de politiquesociale, l’aménagement du temps de travail tientcompte des caractéristiques particulières de cer-taines activités. Une directive du 23 novembre1993 sur le sujet réserve ainsi la situation des“travailleurs dans le domaine liturgique deséglises et des communautés religieuses”.Elle rap-pelle également qu’il appartient aux États dedécider,dans quelle mesure le dimanche doit êtrecompris dans le repos hebdomadaire. Enfin, ladirective du 16 décembre 2002 sur la perfor-mance énergétique des bâtiments autorise lesÉtats membres à ne pas appliquer ces exigencesà des centaines de catégories de bâtiments,notamment ceux “servant de lieu de culte et uti-lisés pour des activités religieuses” !

La directive du 24 octobre 1995 sur la protec-

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2Le droiteuropéenparticipe à ladéfinition de cemodèle évolutif

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communautaire. Elle considère en l’espèce que“s’il est souhaitable que l’autorité investie dupouvoir de nomination s’informe,de façon géné-rale,des dates qui pourraient ne pas convenir pourdes motifs d’ordre religieux,et tâche d’éviter defixer les épreuves à de telles dates,on ne saurait(…) considérer que le statut des fonctionnairesou les droits fondamentaux déjà mentionnésfont obligation à l’autorité investie du pouvoir denomination d’éviter de méconnaître une obliga-tion religieuse de l’existence de laquelle elle n’apas été informée”.

1.1.2.Les interrogations suscitées par unegarantie accrue de la liberté de religion

Les dernières révisions des traités fondateurs ontpermis de renforcer la protection dont bénéfi-cie la liberté religieuse dans le cadre du droit del’Union européenne. Cette évolution n’est-ellepas de nature à remettre en cause le postulatde non-ingérence qui guide l’action des institu-tions européennes dans le domaine confession-nel ? Certains États, au premier rang desquelsfigure la France, ont tenu à s’en assurer.

En matière de droits fondamentaux, le Traitéd’Amsterdam constitue l’aboutissement d’uneévolution engagée depuis plus de quarante ans.L’article 6 §2 nouveau du Traité sur l’Union euro-péenne affirme en effet désormais :“L’Union res-pecte les droits fondamentaux tels qu’ils sontgarantis par la Convention européenne de sau-vegarde des droits de l’Homme et des libertésfondamentales, signée à Rome le 4 novembre1950, et tels qu’ils résultent des traditionsconstitutionnelles communes aux Étatsmembres, en tant que principes généraux du

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nerie (CJCE, 5 octobre 1988, Udo Steymannc/Staatsecretaris van justicie,aff.196/87,Rec.6159).De la même façon, en 1996, la Cour deLuxembourg considère que l’interdiction de tra-vailler le dimanche, consacrée pour des raisonsreligieuses et garantie comme telle au Royaume-Uni,entre bien dans le champ d’application de l’ar-ticle 29 du traité relatif aux modalités de libre cir-culation des marchandises.Elle figure au nombredes interdictions ou restrictions d’importation jus-tifiées par des raisons de moralité publique,d’ordre public, de sécurité publique ou de pro-tection de la santé énoncées à l’article 31 TCE(CJCE, 12 novembre 1996, Royaume-Unic/Conseil,aff.C-84/94,Rec.I-6609).Les solutionsdégagées par la Cour illustrent le soin qu’elle prendpour ne pas intervenir dans une compétence,l’exercice de la liberté religieuse, qui relève desÉtats membres.

Cependant, le juge communautaire appréhendeégalement la question religieuse de façon directesous l’angle du respect des droits fondamentauxpar les institutions communautaires.C’est à l’oc-casion d’un recours formé par une candidate àun poste de fonctionnaire européen, dont lerégime relève de la compétence exclusive du droitcommunautaire,que la Cour de justice consacrepour la première fois la liberté de religion (CJCE,27 octobre 1976, Vivien Prais c/Conseil, aff.130/75, Rec.1589). La requérante conteste ladate choisie pour les épreuves du concours.Celle-ci correspond en effet à celle d’une fête où sa reli-gion lui interdit de voyager et d’écrire.Selon uneméthode aujourd’hui bien connue et codifiée àl’article 6,§2 du Traité sur l’Union européenne, laCour accepte de garantir la liberté de conscienceet de religion en tant que principe général du droit

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non confessionnelles”. L’article 13 précité duTraité de Rome précise au surplus que l’actiondu Conseil en matière de lutte contre les dis-criminations se conçoit “sans préjudice des autresdispositions du présent Traité et dans les limitesdes compétences que celui-ci confère à laCommunauté”.Soulignons enfin que la dernièrerévision des traités, incarnée par l’entrée envigueur du Traité de Nice,n’instaure aucune dis-position nouvelle en matière religieuse.

Bien qu’elle ne soit pas de nature conventionnelle,la Charte des droits fondamentaux, proclaméeau Conseil européen de Nice, en décembre2000, constitue la deuxième étape dans unemeilleure prise en compte de la liberté reli-gieuse par l’Union. Ce document, dont la voca-tion est de figurer au cœur de la futureConstitution européenne,est le premier texte àconsacrer explicitement la liberté de conscienceet de religion comme l’une des valeurs fonda-mentales garanties par l’Union. Son article 10reproduit en effet littéralement les termes de l’ar-ticle 9,§1 de la Convention européenne des droitsde l’Homme et reconnaît au passage l’objectionde conscience.La Charte consacre également ladimension religieuse d’autres droits ou libertéstels que le droit à l’éducation (Art. 14.3), le principe de non-discrimination (Art. 21.1) ou la diversité religieuse des Étatsmembres (Art. 22). Avec ces avancées impor-tantes,la Convention chargée d’élaborer le projetde Charte est-elle arrivée au bout de ce qui estacceptable pour certains États ? On ne sauraitcomprendre sinon l’intransigeance dont faitpreuve la France à l’encontre d’une simple réfé-rence à “l’héritage culturel,humaniste et religieuxde l’Europe”.L’Élysée et Matignon,pour une fois

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droit communautaire”. Cette véritable codifi-cation de l’œuvre jurisprudentielle de la Courde Justice des Communautés européennesconcerne bien évidemment la liberté deconscience et de religion. Cette référencegénérale à la protection des droits fondamen-taux s’accompagne, entre autres, d’un renfor-cement de la compétence normative de l’Unionen matière d’égalité. L’article 13 nouveau duTraité de Rome autorise le Conseil des ministresà prendre les mesures nécessaires en vue decombattre toute discrimination fondée sur uncertain nombre de critères au nombre desquelsfigurent “la religion ou les convictions”. Cettedisposition permet d’envisager de compléter lesdispositifs nationaux de lutte contre les discri-minations fondées sur ce dernier critère. Ladirective du Conseil du 27 novembre 2000portant création d’un cadre général en faveurde l’égalité de traitement en matière d’emploiet de travail s’attaque ainsi aux discriminationsreligieuses dans le monde professionnel.

Ces avancées introduites par le traitéd’Amsterdam sont-elles de nature à remettre encause la neutralité de l’action des institutions del’Union en matière confessionnelle ? Cette inter-rogation ,sans doute présente chez certains Étatsmembres,explique l’adoption par la Conférenceintergouvernementale d’une Déclaration relativeaux statuts des Églises et des organisations nonconfessionnelles. La Déclaration n°11 rappelleainsi,en annexe du Traité,que “L’Union européennerespecte et ne préjuge pas le statut dont béné-ficient, en vertu du droit national, les Églises etles associations ou communautés religieusesdans les États membres.(Elle) respecte égalementle statut des organisations philosophiques et

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prit de favoriser le dialogue,le respect mutuel,l’ef-fort de reconnaissance réciproque”(14).

Le projet de Constitution présenté le 20 juin 2003,par Valéry Giscard d’Estaing, Président de laConvention, au Conseil européen deThessalonique préserve,en matière religieuse,lestatu quo. La voie moyenne que constitue lamention de “l’héritage religieux” a notammentpermis l’adoption du préambule. De façon plusprécise, le texte se réfère aux ”héritages cultu-rels,religieux et humanistes de l’Europe,dont lesvaleurs toujours présentes dans son patrimoine,ont ancré dans la vie de la société le rôle centralde la personne humaine et de ses droits invio-lables et inaliénables ainsi que le respect dudroit”.Dans le corps du texte, la codification duseul acquis communautaire ménage le consensus.L’article I-2 du projet relatif aux “Valeurs del’Union” ne mentionne pas la religion en dépit desnombreux amendements présentés en ce sens.Il s’agit là sans doute d’une concession faite auxÉtats qui, comme la France, ne considèrent pasla religion comme une valeur nationale. L’articleI-51 enfin qui est relatif au “statut des Églises etdes organisations non confessionnelles” secontente de reprendre les termes de laDéclaration n°11 annexée au Traité d’Amsterdam.La seule innovation du texte mérite à peined’être mentionnée. L’article I-15 indique que :“Reconnaissant leur identité et leur contributionspécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert,transparent et régulier, avec ces églises et orga-nisations”. Le texte définitif du projet de Traitéinstituant une Constitution pour l’Europe a étéadopté le 18 juin 2004 par le Conseil européenréuni à Bruxelles. Sous réserve de modificationsde pure rédaction, ses dispositions en matière

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unis dans cette période de cohabitation, oppo-sent le veto français :il s’agit là d’une menace pourla laïcité de la République(13).Une solution de com-promis est finalement trouvée.De façon très édul-corée, le préambule de la Charte fait référencein fine au “patrimoine spirituel et moral del’Europe”.

Ce débat ressurgit à plusieurs reprises au coursdes travaux de la Convention sur l’avenir del’Union qui est chargée,par le Conseil européende Laeken en décembre 2001,de rédiger un projetde Constitution européenne.Entre les défenseursdes fondements chrétiens de la civilisation occi-dentale et les gardiens d’une laïcité vigilante, lespositions semblent inconciliables.Trois points devue sont successivement examinés au cours desséances. Soit l’introduction du projet deConstitution fait référence “aux valeurs chrétiennesde l’Europe”,ou encore à “l’héritage religieux del’Europe” soit elle affirme une conception strictedu principe de laïcité directement inspirée dumodèle français. La Convention élimine succes-sivement,pour défaut de consensus,les positionsextrêmes pour s’engager sur la voie de l’insertionen tête du projet d’une référence à l’héritage reli-gieux européen … contre laquelle la France a luttélors de la rédaction de la Charte ! La contribu-tion empreinte de syncrétisme du sénateurHubert Haenel, présentée en novembre 2002,annonce l’esprit d’ouverture que manifeste laConvention par ce choix. Selon ce dernier,“admettre,dans son pluralisme,la dimension reli-gieuse des héritages européens pourrait consti-tuer un des aspects d’un modèle européen delaïcité fait de séparation du politique et du reli-gieux,de garantie de la liberté de conscience,maisaussi de reconnaissance du fait religieux dans l’es-

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(13) Voir le témoignage deGuy Braibant sur cetépisode in La Charte desdroits fondamentaux del’Union européenne, PointSeuil n° 469, pp. 72-80.

(14) “L’identitéeuropéenne”,contribution du 25novembre 2002,disponible à l’adressewww.senat.fr/europe/convention_2002/contribution.htlm

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confessionnelle ne sont pas différentes de cellescontenues dans le projet de la Convention.

1.2. Des convergences avec la Conventioneuropéenne des droits de l’Homme

La Convention européenne de sauvegarde desdroits de l’Homme et des libertés fondamentalesest le plus célèbre des nombreux traités adoptésdans le cadre du Conseil de l’Europe. Parmi lesdroits et libertés qu’elle garantit,son article 9,§1reconnaît “le droit de toute personne à la libertéde pensée,de conscience et de religion”.Commeaucune liberté n’est illimitée, le paragraphe 2 decet article laisse la possibilité à l’État de restreindrece droit, sous réserve du respect de trois condi-tions cumulatives : l’ingérence doit être prévuepar la loi, correspondre à un but légitime et êtrenécessaire dans une société démocratique. LaCour européenne des droits de l’Homme,en tantque juridiction supranationale chargée d’assurerle respect de la Convention par les États parties,précise le sens et la portée de l’article 9.Elle donnede la liberté religieuse une conception européennedont la mise en œuvre n’est pas incompatible avecla laïcité française.

1.2.1. La définition européenne de laliberté de religion

La Cour de Strasbourg définit la liberté de reli-gion au sens de la Convention dans un arrêt deprincipe du 25 mai 1993, rendu dans l’affaireKokkinakis c/Grèce (Série A,n°260 A).Elle statuesur la requête d’un Témoin de Jéhovah condamnéen Grèce pour prosélytisme envers l’épouse d’unchantre de l’église orthodoxe. La Cour soulignetout d’abord que la liberté religieuse doit s’in-

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terpréter dans le contexte général du pluralismeinhérent à toute société démocratique et “chè-rement conquis au cours des siècles” (§31).Cetteliberté constitue à ce titre un bien précieux pourles croyants comme pour ceux qui ne croient pas.Plus précisément,la Cour considère que la libertéreligieuse relève d’abord du for intérieur.Mais,elleimplique aussi le droit de manifester sa religionde façon collective ou plus personnelle. Il enrésulte encore “le droit d’essayer de convaincreson prochain,par exemple au moyen d’un ensei-gnement,sans quoi du reste,la liberté de changerde religion ou de conviction consacrée par l’ar-ticle 9 risquerait de demeurer lettre morte”.Elledistingue toutefois le témoignage en parole et enactes, expression légitime des convictions reli-gieuses,du prosélytisme abusif.Le second consti-tue la corruption ou la déformation du premier :il ne bénéficie en aucun cas de la protectionofferte par la Convention européenne (§48).

La Cour met ensuite l’accent sur l’article 9, §2 dela Convention dont les dispositions concernentexclusivement la liberté de manifester sa religionou ses convictions.Les limitations ainsi autoriséestrouvent leur justification,comme souvent dans lajurisprudence européenne, dans la protection del’ordre public ou de la santé.L’intérêt principal decette clause réside toutefois,selon la Cour,dans lefait que “dans une société démocratique, où plu-sieurs religions coexistent au sein d’une même popu-lation,il peut se révéler nécessaire d’assortir cetteliberté de limitations propres à concilier les inté-rêts des divers groupes et d’assurer le respect desconvictions de chacun” (§33).Dans les circonstancesde l’affaire Kokkinakis,le juge européen conclut quel’État grec a violé la Convention européenne : lacondamnation du requérant par la justice hellénique

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Elle précise aussi les restrictions qui peuvent êtreportées à la liberté de religion.Les exigences ainsiposées par cette jurisprudence ne sont pas sansrappeler celles qu’implique en France le respectde la laïcité(15).

Préserver la neutralité religieuse de l’État et deson droit est fondamental dans le cadre de laConvention européenne. L’affaire Refah Partisi(Parti de la prospérité) et autres c/Turquie l’illustreparfaitement. Dans un arrêt du 13 février 2003,la Cour,statuant en Grande Chambre,considère,à l’unanimité de ses membres,que la dissolutiondu parti islamique le Refah, prononcée en 1996par la Cour constitutionnelle turque sur saisinedu gouvernement d’Ankara, ne constitue pasune violation de la Convention européenne. LaCour va jusqu’à affirmer que “Les organes de laConvention ont estimé que le principe de laïcitéétait assurément l’un des principes fondateurs del’État, qui cadre avec la prééminence du droit etle respect des droits de l’Homme et de la démo-cratie”. Il en découle selon elle qu’une “attitudene respectant pas ce principe ne sera pas néces-sairement acceptée comme faisant partie de laliberté de manifester sa religion et ne bénéficierapas de la protection qu’assure l’article 9 de laConvention”. La laïcité n’apparaît donc pas, parprincipe,comme incompatible avec la conceptionindividualiste de la liberté de religion garantie parle système de la Convention européenne.

En l’espèce, la Cour rappelle tout d’abord qu’ilappartient à chaque État d’intervenir de façon pré-ventive pour mettre fin aux atteintes aux droitset libertés garanties par la Convention qui sontimputables à des agents de l’État comme à des per-sonnes privées.Un parti politique,parce qu’il est

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ne se fonde en effet sur aucun moyen de droit ou,de fait, justifiant le caractère abusif de son com-portement.La mesure incriminée n’apparaît doncpas comme “nécessaire dans une société démo-cratique” au sens de l’article 9 §2.

La jurisprudence européenne reconnaît enfin unegrande liberté aux États dans la définition durégime des cultes dans leur droit interne.La Courde Strasbourg refuse en effet,en l’absence de tra-ditions communes, d’imposer un modèle uni-forme qui ne serait que le reflet de ses propresconvictions.L’arrêt du 27 juin 2000,Association cul-turelle israélite Cha’are Shalom Ve Tsedek c/France(Rec.2000-VII) justifie en ces termes cette posi-tion :“eu égard à la marge d’appréciation qu’il fautlaisser à chaque État,(…) notamment pour ce quiest de l’établissement des délicats rapports entreles églises et l’État” (§ 84).La Cour insiste en outre,sur le rôle que doit jouer l’État qui est partie à laConvention en tant qu’organisateur neutre etimpartial de l’exercice des divers religions, culteset croyances.Cette fonction contribue à assurerl’ordre public,la paix religieuse et la tolérance dansune société démocratique.L’État peut donc,selonla Cour, limiter la liberté de manifester sa religionsi celle-ci porte atteinte aux objectifs précités ouaux libertés d’autrui. L’article 9 de la Conventioneuropéenne ne saurait en effet protéger n’importequel acte pour l’unique raison qu’il est motivé ouinspiré par une religion ou une conviction.

1.2.2. Une mise en œuvre compatibleavec la laïcité française

Pour l’application de l’article 9 de la Convention,la Cour de Strasbourg insiste sur la nécessitéd’assurer l’impartialité religieuse de l’État partie.

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(15) L’examen desrequêtes déposées contrela Turquie constitue lasource principale de cettejurisprudence. La laïcitéde l’État constitue dans cepays une tradition liée àsa fondation même parMustafa Kémal Ataturk.

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c/Suisse du 15 février 2001 (R.D. 2001-V), elleconclut à l’irrecevabilité de la requête d’uneenseignante genevoise dans le primaire, qui estsanctionnée au titre d’une loi cantonale du 6novembre 1940, parce qu’elle refuse d’ôter sonvoile en classe.Eu égard au jeune âge des enfantset au fait qu’il répond à une prescription cora-nique peu conciliable avec le principe d’égalité dessexes, la Cour estime qu’il “semble difficile deconcilier le port du foulard islamique avec lemessage de tolérance, de respect d’autrui etsurtout d’égalité et de non-discrimination que dansune démocratie,tout enseignant doit transmettreà ses élèves”.

S’agissant des usagers ensuite, la Conventionpermet aussi à l’État de restreindre certaines mani-festations de leur liberté religieuse.Dans sa déci-sion du 3 mai 1993, Karaduman c/Turquie (D.R.74,93) la Commission européenne admet ainsi,en raison notamment de la nécessaire protectiondes femmes contre les pressions religieuses, l’in-terdiction du port de signes religieux,comme lefoulard islamique,dans les établissements publicsturcs d’enseignement supérieur.Cette apprécia-tion est confirmée par l’arrêt de la Cour du 29juin 2004 rendu dans l’affaire Leyla Sahin c/Turquie.Celle-ci considère que “eu égard aux spécificitésde la société démocratique turque”, les autori-tés pouvaient interdire le port du foulard islamiquedans les universités.Cette ingérence dans l’exer-cice de la liberté religieuse de la requérante neméconnaît pas l’article 9 de la Convention. Elleest justifiée par le respect du aux principes delaïcité et d’égalité tel qu’il résulte de l’histoireturque ; cette exigence est aussi proportionnéeau but poursuivi. L’existence d’un enseignementprivé commande en partie la solution de cette

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une formation destinée à accéder au pouvoir età diriger l’appareil étatique, peut promouvoir unchangement de la législation ou des structureslégales ou constitutionnelles à deux conditions :les moyens utilisés à cet effet doivent être légauxet démocratiques et les changements proposéscompatibles avec la démocratie.La Cour confirmeensuite le jugement porté par la Cour constitu-tionnelle turque sur le caractère non démocra-tique du projet politique du Refah : instaurer unefois au pouvoir,et au besoin par la force,un systèmemulti-juridique grâce auquel les règles de la charias’imposeraient à la population de confessionmusulmane.Elle constate en outre qu’il résulte desdiscours et des actes de ses principaux respon-sables que le Refah était prêt à utiliser la force pourmettre en œuvre son programme politique. LaCour estime dans ces conditions que la dissolu-tion du parti Refah répond, à un “besoin socialimpérieux” au sens de la Convention. Elle consi-dère que,compte tenu de la gravité de la menacepour l’État turc, la mesure litigieuse n’est pas dis-proportionnée. Un État théocratique n’est pascompatible avec les valeurs européennes.

La Cour de Strasbourg s’attache également à fixerles contours des restrictions qu’un État peutapporter à la liberté de religion sans violer laConvention. S’agissant tout d’abord des agentspublics, la Cour accepte, dans un arrêt Kalaçc/Turquie du 1er juillet 1997 (Recueil 1997-IV),qu’un militaire puisse être sanctionné discipli-nairement pour des faits de prosélytisme religieuxincompatible avec son statut. Celui-ci implique,par nature, la possibilité pour l’État d’apporter àcertains droits ou libertés des membres des forcesarmées des restrictions qui ne pourraient êtreimposées aux civils. Dans la décision Dahlab

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confessionnelle, la diversité de la République.

En raison de l’annexion de l’Alsace-Moselle àl’Empire allemand entre 1871 et 1918, la législa-tion relative à la laïcité adoptée pendant cettepériode, n’a pas pu être appliquée à ces troisdépartements métropolitains.Après la victoire duCartel des gauches en 1924, Edouard Herriotpropose d’étendre à cette partie du territoire leslois Ferry et Goblet sur l’école laïque.La vivacitéde l’opposition locale entraîne l’abandon défini-tif du projet.Or, la même question se pose pourla loi de séparation de 1905. Le Conseil d’État,dans un avis du 24 janvier 1924 confirme le main-tien, en Alsace-Moselle, du Concordat de 1801et des textes qui le complètent. À la Libération,l’ordonnance du 15 septembre 1944 relative aurétablissement de la légalité républicaine dans lesdépartements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et dela Moselle restaure,de façon provisoire en prin-cipe, la législation locale d’avant 1940. Cettesituation originale perdure encore aujourd’huipour le régime des cultes comme pour celui del’enseignement public(16).

Dans ces trois départements, les cultes recon-nus (catholique, calviniste, luthérien et israélite)constituent des services publics. Les édifices etl’administration des cultes sont gérés, danschaque paroisse,par un établissement public : lafabrique, le conseil presbytéral ou le consistoire.Les ministres du culte sont nommés avec l’agré-ment du gouvernement (vicaires, curés, pas-teurs, rabbins, ...). L’État rémunère ce clergé etassure l’ensemble des frais liés au culte. Pour l’Église catholique, le Président de la Républiquenomme,en vertu du concordat, les évêques desdiocèses de Strasbourg et de Metz ainsi que leurs

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espèce. Enfin, la Cour juge, dans un arrêt du 18décembre 1996,Valsamis c/Grèce (Rec.1996-VI)qu’une élève ne peut invoquer ses convictions reli-gieuses pour refuser de se soumettre aux dis-positions générales du règlement intérieur d’uneécole. Les principes directeurs de cette juris-prudence ne sont pas sans rappeler ceux dégagéspar le Conseil d’État à propos notamment du portdu foulard islamique dans les établissementspublics d’enseignement.

2. L’Europe accompagnedésormais l’évolution dumodèle français de laïcité

2.1. Un modèle souple : les figures de lalaïcité

Le modèle français de laïcité est beaucoup plussouple qu’il n’y paraît. Il autorise en effet biendes accommodements d’abord sur le territoirenational pour des raisons historiques, ensuitedans certains services publics afin de garantirl’exercice d’une liberté.

2.1.1. Les exceptions territoriales décou-lant de l’Histoire

La laïcité de l’État ne s’applique pas sur l’ensembledu territoire national avec la même intensité.Desdérogations locales existent : elles sont le fruitde l’Histoire,de la volonté explicite du législateurou de son inertie.Elles concernent la loi de sépa-ration de 1905 le plus souvent.Mais elles peuventégalement s’étendre aux dispositions relatives àla laïcité de l’enseignement public. L’Alsace-Moselle et l’Outre-mer illustrent, en matière

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(16) L’existence d’unelégislation localeparticulière issue du droitallemand en matièred’association, de chasse etd’état civil accroît encorela spécificité du droitapplicable en Alsace-Moselle.

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En Outre-mer, la situation des différentes col-lectivités territoriales est loin d’être uniforme.Lesdérogations au principe de laïcité sont nom-breuses.

Des “quatre vieilles”,seule la Guyane ne connaîtpas la séparation des Églises et de l’État car laloi du 9 décembre 1905 n’y a jamais été intro-duite. Un décret du 6 février 1911 étend enrevanche les dispositions de cette loi à laGuadeloupe, à la Martinique et à la Réunion. LaGuyane bénéficie donc encore aujourd’hui d’unrégime inspiré du concordat napoléonien. Auterme de l’ordonnance royale en date du 12novembre 1828 relative au gouvernement de laGuyane française, le catholicisme est le seul cultereconnu. Les membres du clergé de la Guyanesont rétribués sur le budget du département.L’évêque propose au Préfet la nomination, lamutation et la radiation des prêtres.Le Conseild’État, à l’occasion d’un conflit entre un prêtreradié et le Préfet de la Guyane, rappelle que lademande de l’autorité religieuse en la matières’impose au Préfet en vertu des textes parti-culiers applicables à ce département (CE, 9octobre 1981, Beherec, Rec.358).

Le statut des collectivités d’Outre-mer,au sensde l’article 74 de la Constitution (Polynésie fran-çaise,Saint-Pierre-et-Miquelon,Wallis-et-Futuna,Mayotte) tient compte “des intérêts propres dechacune d’elles au sein de la République”. Cestatut est défini par une loi organique quiprévoit, au cas par cas,“les conditions dans les-quelles les lois et règlements y sont appli-cables”. En vertu de ce principe dit de spécia-lité législative, le droit applicable à sescollectivités peut différer,notamment en matière

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coadjuteurs, après accord du Saint-Siège.

Dans l’enseignement public, la neutralité confes-sionnelle ne s’applique pas(17). La loi du 15mars 1850 dite Loi Falloux,dont les dispositionssont abrogées sur le reste du territoire métro-politain, reste applicable en Alsace-Moselle.Trois conséquences en résultent.Tous d’abord,les écoles primaires sont confessionnelles (undes cultes reconnus y est enseigné) ou interconfessionnelles (mixte). Dans le premier cas,l’enseignement peut être assuré par des maîtresappartenant à une congrégation.Les cultes nonreconnus ne peuvent être dispensés à l’écolepublique. Ensuite l’enseignement religieux faitpartie du programme obligatoire dans tous lesétablissements qu’ils soient publics ou privés.Il doit être dispensé pour les quatre cultesreconnus. Afin de respecter leur liberté deconscience, les élèves peuvent,sur demande deleurs représentants légaux, en être dispensés.Enfin, des enseignants de l’Éducation nationalesont spécialement recrutés pour assurer, dansles établissements publics,cet enseignement obli-gatoire. Le Conseil d’État estime en effet quela réaffirmation par les préambules desConstitutions de 1946 et 1958 des principes fon-damentaux reconnus par les lois de laRépublique, au nombre desquels figure, selonlui, le principe de laïcité, n’a pas eu pour effetd’abroger implicitement la législation locale enmatière scolaire (CE, 4 avril 2001, SNES,Rec.170). Dans l’enseignement supérieur,l’Université March Bloch de Strasbourg est laseule en France à posséder deux U.F.R. (exFacultés) de théologie, l’une catholique et l’autreprotestante, délivrant des diplômes d’État.

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(17) Celle-ci s’imposetoutefois à tous les autresservices publics.

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codifie l’article 17 de la loi Goblet du 30 octobre1986,disposant que l’enseignement primaire estexclusivement confié à une personnel laïque, nes’applique pas.Compte tenu des traditions locales,notamment de l’influence de l’Église catholique,l’ensemble des établissements publics primairesest confié,au moyen d’une convention passée avecl’État,à la mission catholique des pères de Sainte-Marie. La rémunération de ces religieux est, enoutre,prise en charge par l’État.Les établissementsdu secondaire relèvent en revanche du droitcommun.

Sur l’île de Mayotte enfin, le contexte historiqueet l’appartenance de la population locale à l’islamne sont pas sans conséquence.La loi de 1905 n’estpas applicable.Cette collectivité départementalebénéficie de l’article 75 de la Constitution quipermet aux citoyens de la République qui n’ontpas le statut civil de droit commun de conser-ver leur statut personnel. Cela explique notam-ment l’existence d’un fort droit coutumier et dejuridictions spéciales musulmanes (justice cadiale).Les personnels de ce service public de la justiceconfessionnelle sont des fonctionnaires recrutéspar la collectivité territoriale.

2.1.2. Les dérogations sectorielles pro-tégeant une liberté

Atténuer les conséquences de la laïcité permetparfois d’assurer le respect d’une liberté. Il enva ainsi pour la liberté de conscience dans lesservices publics “clos” et pour la liberté de l’en-seignement dans les établissements privés.

S’agissant de la liberté de conscience, l’article 2de la loi du 9 décembre 1905 nuance en même

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de laïcité,de celui en vigueur sur le reste du ter-ritoire. Les décrets “Mandel” de 1939 permet-tent en outre d’établir le régime des cultes pourles territoires dépourvus de supports de droitséculier(18).Quelques exemples permettent demieux apprécier la diversité des situations quiexistent entre collectivités comme au seind’une même entité.

En Polynésie française, la loi du 9 décembre1905 n’est pas applicable. Dans un arrêt du 31 décembre 2003 (Haut commissaire de laRépublique c/Territoire de Polynésie française),la Cour administrative d’appel de Paris estimedonc que si le principe constitutionnel de laïcitéimpose une stricte neutralité en matière religieuse,il ne s’oppose pas à ce qu’une collectivité publiqueapporte, en vue de satisfaire un objectif d’inté-rêt général, une contribution financière au fonc-tionnement d’un culte.Elle juge en l’espèce liciteune subvention accordée par le gouvernementdu Territoire à l’Eglise évangélique de Polynésiepour la reconstruction, sur l’île de Raiatea, d’unpresbytère détruit par un cyclone.La Cour tientcompte des activités socio-éducatives prises encharge par cette Eglise dans les îles éloignées etdu refuge que constitue ce presbytère pour denombreuses familles en cas de graves intempé-ries. En revanche, les dispositions relatives à lalaïcité de l’enseignement public s’appliquent dansleur ensemble en Polynésie comme en métropole.Seul l’article L.141-1 du code de l’éducation quireprend les dispositions du 13e alinéa duPréambule de 1946 fait exception à cette règle.

Wallis-et Futuna pour sa part,connaît une déro-gation au principe de laïcité de l’enseignementpublic.L’article 141-5 du code de l’éducation,qui

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(18) Les missionsreligieuses se voient ainsiconférer un statut de droitcivil.

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1939 (CE,Ass. 1er avril 1949, Sieur Chaveneau,Rec.161). Ce système connaît néanmoins uncertain nombre de difficultés.En plus de l’agré-ment des autorités publiques, les aumôniers sontchoisi par les autorités religieuses dont ilsdépendent.Cette obligation n’est pas évidenteà satisfaire par exemple pour les aumôniers deconfession musulmane dont le nombre estnotoirement insuffisant.

En matière d’enseignement, la laïcité de l’État nesaurait non plus s’opposer au financement publicdes établissements privés sans lequel la libertéde l’enseignement,qui implique l’existence d’unsecteur privé comme du service public,perdraitbeaucoup de son effectivité.Dans sa décision pré-citée du 23 novembre 1977, le Conseil consti-tutionnel écarte la règle selon laquelle les éta-blissements publics seraient financés sur fondspublics et les établissements privés sur fondsprivés. Il affirme que l’obligation pour l’Étatd’organiser un enseignement public laïque “nesaurait exclure (…) l’octroi d’une aide de l’Étatà cet enseignement dans des conditions définiespar la loi” (décis. n°77-87 DC, cons. 4). La loi“Debré” du 31 décembre 1959, dont les dis-positions inspirent, encore aujourd’hui, les rap-ports entre l’État et les établissements d’ensei-gnement privé, voit ainsi a posteriori saconformité à la Constitution affirmée.Elle offreà ces établissements le choix entre quatrestatuts différents.Le contrat simple ou le contratd’association avec l’État rencontrent le plus desuccès. Avec le contrat simple, choisi surtoutpar les écoles primaires, l’État prend en chargeles traitements des maîtres et exerce en contre-partie un contrôle sur les programmes et leshoraires. Avec le contrat d’association, l’État

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temps qu’il l’instaure l’interdiction de financer lescultes.Elle affirme en effet que “Pourront toute-fois être inscrites aux dits budgets les dépensesrelatives à des services d’aumôneries et destinéesà assurer le libre exercice des cultes dans les éta-blissements publics, tels que les lycées, collèges,écoles,asiles et prisons”.Il s’agit de permettre auxusagers d’un service public géré dans un endroitclos (prison,caserne, internats scolaires) d’exer-cer leur liberté de culte.

Les aumôneries dans les établissements péni-tentiaires se justifient à l’évidence. L’articleD.432 du code de procédure pénale prévoit que“chaque détenu doit pouvoir satisfaire aux exi-gences de sa vie religieuse,morale et spirituelle”.Les ministres du culte,ou les laïcs,qui exercentles fonctions d’aumônier reçoivent une indem-nité dont le montant est fixé par l’État. Dansles établissements hospitaliers, un ministre duculte, agent non titulaire de l’état, est présentpour les personnes hospitalisées et les pen-sionnaires qui ne peuvent sortir (CE, Ass.6 juin1947,Union catholique des hommes du diocèsede Versailles, Rec.250). L’exercice du culte doitnéanmoins être compatible avec les exigencesdu service hospitalier. Dans les établissementspublics d’enseignement, notamment secon-daires, la présence d’aumôneries est ancienne.Celles-ci sont nécessaires pour assurer laliberté de culte notamment des élèves internes.Leur création peut, sous certaines conditions,constituer une obligation pour l’État (CE, 28janvier 1955, Association des aumôniers del’enseignement public, Rec.51). Le juge admi-nistratif considère ainsi comme entachée d’illé-galité une circulaire du 30 juillet 1946 qui sup-prime toutes les aumôneries antérieures à

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sionnelle sont en principe mieux garantis.L’écoleet l’hôpital offrent deux exemples éclairants.

2.2.1. Le port de signes religieux dans lesécoles publiques

Saisi par le ministre de l’Education nationale dela compatibilité avec la laïcité du port,par les élèvesdes écoles publiques,de signes d’appartenance àune communauté religieuse, le Conseil d’Étatprécise l’état du droit applicable dans un avis du27 novembre 1989(19). L’Assemblée généraleaffirme que “dans les établissements scolaires, leport,par les élèves,de signes par lesquels ils enten-dent manifester leur appartenance à une religionn'est pas par lui-même incompatible avec le prin-cipe de laïcité,dans la mesure où il constitue l'exer-cice de la liberté d'expression et de manifesta-tion de croyances religieuses”.Au nombre destextes sur lesquels se fonde l’interprétation duConseil d’État, figure la Convention européennedes droits de l’Homme,notamment l’article 9.Cetengagement conventionnel de la France lui imposenotamment d’assurer “la liberté de manifester sareligion ou sa conviction individuellement ou col-lectivement, en public ou en privé”. Le Conseild'Etat statuant au contentieux confirme cette posi-tion de principe tout en précisant,au cas par cas,les circonstances dans lesquelles le port de signesreligieux peut être interdit et sanctionné (CE, 2novembre 1992,Kherouaa,précité).Deux consé-quences principales découlent de cette prise encompte des obligations européennes.

En premier lieu,l’avis du Conseil d’État et sa juris-prudence reflètent une laïcité tolérante à l’égarddu fait religieux. Cette laïcité d’accueil est déjàà l’œuvre dans la loi d’orientation sur l’éduca-

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finance en plus des traitements les dépenses dematériel et son contrôle est renforcé.

Le caractère propre des établissements privéssous contrat est garanti.Ils sont toutefois soumisau respect d’obligations de neutralité qui décou-lent de leur lien avec l’État. L’article L. 442-1 ducode de l’éducation dispose en effet :“l’établis-sement,tout en conservant son caractère propre,doit donner cet enseignement dans le respect totalde la liberté de conscience.Tous les enfants sansdistinction d’origine, d’opinion ou de croyance,y ont accès”.Dans l’hypothèse où l’un de ces éta-blissements connaîtrait une dérive communau-tariste, les avantages financiers dont il bénéficiepourraient être reconsidérés.

2.2. Un modèle qui évolue : la part de l’in-fluence européenne

Si le cadre institutionnel de la laïcité a finalementpeu changé depuis 1905, sa mise en œuvre aconnu en revanche bien des avatars.La politiqueprécautionneuse de Jules Ferry, exprimée danssa fameuse lettre aux instituteurs du 27novembre 1883, tranche avec la position radi-cale du cabinet d’Émile Combes. La laïcité d’in-différence de la IVe République diffère d’avec lalaïcité de combat du début de la IIIe République.Au sein de la société française, il n’est pas sûraujourd’hui que les différentes catégories socio-professionnelles aient la même conception dece principe : à cette aune, peut-on ainsi assimi-ler un chef d’entreprise et un enseignant dupublic ? Sur le plan juridique, la conceptionaccueillante de la laïcité qui prévaut répond engrande partie au standard européen. Les droitsdes usagers du service public en matière confes-

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(19) Yves Gaudemet,Bernard Stirn et autres,Les grands avis du Conseild’Etat, Dalloz, 2e édition2002, n°22.

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ment à une restriction de la liberté de conscience.Or, cette conception de la laïcité sous influenceeuropéenne a pu paraître bien timide, voireincompréhensible pour certains(21). Une forteproportion du monde enseignant reste ainsiattachée à une laïcité beaucoup plus militante.Quant aux directeurs d’établissements publics,ils considèrent qu’ils ne sont pas en mesure d’as-sumer les effets de la position du Conseil d’État: il leur est bien difficile en effet de rédiger lerèglement intérieur sans commettre d’illégalitéet justifier en droit et en fait les sanctions prisesà l’encontre des élèves.

L’adoption de la loi du 15 mars 2004 remet-elle encause,dans l’enseignement public,cette conceptionouverte de la laïcité ? Celà n’est pas évident pourtrois raisons au moins. Tout d’abord, la loi ne clari-fie que partiellement le droit applicable. Elle inter-dit certes le port de signes religieux à l’école. Ellene réduit pas pour autant l’appréciation laissée à l’ad-ministration dans sa mise en oeuvre. Il revient eneffet dès le 1er septembre 2004 aux chefs d’éta-blissement,sous le contrôle des rectorats,de définirles signes religieux interdits et de conduire le dia-logue préalable à toute action disciplinaire queprévoit le nouvel article L.141-5-1 du code de l’édu-cation.Suivant les établissements, l’exécution de laloi pourra ainsi se faire de façon plus ou moins strictesachant que les signes religieux discrets restent auto-risés. Cette probabilité ensuite devient une certi-tude à la lecture la circulaire du ministre de l’Édu-cation nationale (J.O.22 mai 2004,p.9033) prise pourl’application de la loi.Celle-ci harmonise en effet aminima l’action des services déconcentrés et créeune véritable typologie des signes religieux licitesou illicites.Les chefs d’établissement devront mettreen oeuvre cette circulaire sans l’aide de véritables

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tion du 10 juillet 1989 dont les dispositions sontcodifiées à l’article L. 511-2 du code de l’éduca-tion. Celui-ci indique que “dans les collèges etles lycées, les élèves disposent, dans le respectdu pluralisme et du principe de neutralité, de laliberté d’information et de la liberté d’expres-sion”.Cette acception de la laïcité est le fruit del’influence de la Convention européenne desdroits de l’Homme.Elle rejoint aussi le souci tra-ditionnel du juge administratif qui cherche,dansle contrôle de la mise en œuvre de la législationrelative à la laïcité, à garantir l’expression de laliberté de conscience des individus. Dans lecadre de l’enseignement public, les droits desusagers ne sauraient être sacrifiés sur l’autel dela laïcité. Les élèves se trouvent ainsi dans unesituation bien différente de celles des agentspublics, les enseignants par exemple,sur lesquelsrepose la neutralité du service public. Dans sesconclusions sur l’affaire Kherouaa,le commissairedu gouvernement David Kessler le rappelle :“L’enseignement est laïque non par ce qu’il inter-dit l’expression des différentes fois mais aucontraire par ce qu’il les tolère toutes”(20).

En second lieu,les restrictions que peut connaîtrela liberté de conscience religieuse des élèves sontlimitativement énumérées. L’avis précité duConseil d’État estime ainsi que le port de signesreligieux est prohibé lorsque, soit par “leurnature”, soit par “les conditions dans lesquellesils seraient portés individuellement ou collecti-vement, ou par leur caractère ostentatoire ourevendicatif”, ceux-ci constituent une menacepour la liberté d’autrui, la santé et l’ordre publicsou la continuité du service. Il importe de souli-gner que la laïcité,dans l’acception qui lui est alorsdonnée, ne peut servir en elle-même de fonde-

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(20) R.F.D.A. 1993 (1) janv.-févr., p.114.

(21) Pour une illustrationde cette critique,Voir GuyCoq, Laïcité et République,Éditions du Félin, 2e éd.,1999, not. pp.265-296..

(22) Pour une critique decette circulaire, voir notrecommentaire : Laïcité àl’école : l’obscure clarté dela circulaire “Fillon” du 18mai 2004, A.J.D.A2004/28, pages 1523-1529.

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religieuse des élèves du seul fait qu’il ne prévoitpas, de façon explicite, la possibilité de déroger àl’obligation d’assiduité scolaire pour respecterune pratique religieuse. Dans un considérant deprincipe,le juge affirme que “ces dispositions n’ontpas eu pour objet et ne sauraient avoir légalementpour effet d’interdire aux élèves qui en font lademande de bénéficier individuellement des auto-risations d’absence nécessaires à l’exercice d’unculte ou à la célébration d’une fête religieuse”. Ilprécise néanmoins que ces autorisations nepeuvent être accordées que si elles ne perturbentpas le déroulement des enseignements et l’ordrepublic interne de l’établissement et si elles sont“nécessaires” à l’exercice d’une pratique reli-gieuse.Dans sa seconde décision rendue le mêmejour (CE, Ass. 14 avril 1995, Koen, Rec.168), leConseil prend position sur une question plusprécise : le refus d’inscription en classe prépara-toire opposé à un élève au motif qu’il souhaite êtredispensé de l’assistance aux cours le samedi,pourraison religieuse, est-il légal ? Après avoir rappeléson considérant de principe sur la possibilité dedemander une autorisation d’absence pour exercerun culte, le juge administratif examine les cir-constances de l’espèce. Il considère que comptetenu de la formation postulée (classe préparatoire)et de l’emploi du temps (nombreux cours etcontrôles organisés le samedi matin), le refusopposé au requérant n’est pas illégal.

Ces absences ponctuelles pour raison religieusedoivent être distinguées de l’absentéisme sélectif quisévit parfois dans certains établissements.Des élèvespréfèrent en effet renoncer à assister aux enseigne-ments qui leur paraissent contraires à leurs convic-tions (biologie,sport).Dans cette hypothèse, le jugeadministratif considère que “l’exercie de la liberté d’ex-

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directives(22).Le dernier mot enfin reviendra au jugeadministratif qui sera saisi des inévitables litiges quisurviendront dans l’application de l’actuelle régle-mentation. Or, c’est à la lumière des principes quiont guidé sa jurisprudence antérieure et notammentla Convention européenne,que le juge statuera.

2.2.2. Absence scolaire pour motif reli-gieux et obligation d’assiduité

Depuis la loi du 10 juillet 1989, l’obligation d’assi-duité scolaire est renforcée. Un décret du 18 février 1991 pris pour son exécution précise lecontenu de cette obligation : elle consiste notam-ment pour les élèves “à se soumettre aux horairesd’enseignement définis par l’emploi du temps de l’éta-blissement ; elle s’impose pour les enseignementsobligatoires et pour les enseignements facultatifs dèslors que les élèves se sont inscrits à ces derniers”.Deux recours sont formés contre ce décret devantle Conseil d’État.Les requérants lui reprochent dene pas prévoir la possibilité pour les élèves de béné-ficier des autorisations d’absence nécessaires àl’exercice d’un culte. Ils craignent,en outre,que lestextes qui consacrent l’obligation d’assiduité scolaireen termes absolus ne remettent en cause la tolé-rance traditionnelle à l’égard des absences fondéessur un motif religieux,notamment,en l’espèce,pourles Juifs le jour du Chabbath. Le Conseil d’État vaprendre position dans deux arrêts d’assemblée surla conciliation de ce que le commissaire du gou-vernement Yann Aguila appelle dans ses conclusions“le temps de l’école” et le “temps de Dieu”.

Dans son arrêt du 14 avril 1995, Consistoirecentral des israélites de France (Rec.171), leConseil d’État rejette la requête dirigée contre ledécret de 1991. Ce texte ne viole pas la liberté

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pression et de manifestation de croyances religieusesne fait pas obstacle à la faculté pour les chefs d’éta-blissements d’enseignement,et, le cas échéant,pourles enseignants d’exiger le port de tenues compatiblesavec le bon déroulement des cours,notamment enmatière de technologie et d’éducation physique et spor-tive” (CE, 20 octobre 1999, Ministre de l’éducationnationale c/Ait Ahmad,Rec.776).L’exclusion d’une col-légienne refusant d’ôter son voile en cours de sportn’est donc pas illégale.

Ces solutions sont dégagées par le Conseil d’Étaten prenant en compte,notamment la jurisprudencede la Cour européenne des droits de l’Homme.Toutefois, le juge administratif français semble enl’espèce,plus protecteur des droits des usagers duservice public que ne l’aurait été la Cour deStrasbourg si elle avait eu à connaître de l’affaire.Selon la jurisprudence européenne, il est en effetpossible de restreindre,dans un établissement d’en-seignement déterminé,certaines manifestations dela liberté de religion (Voir Cour EDH,7 décembre1976,Kjeldsen et autres c/Danemark,Série A,n°23; Cour EDH, 29 juin 2004, Leyla Sahinc/Turquieprécitée). La Cour considère que la Conventionne s’y oppose pas dès lors que la diversité dusystème éducatif offre la possibilité à l’intéresséd’exercer librement sa religion dans un autre éta-blissement.Le Conseil d’État,pour sa part, consi-dère non seulement les requêtes comme recevablesmais il accepte encore d’envisager l’illégalité du refusopposé au requérant.

2.2.3. Hôpital public et liberté deconscience du patient

Le principe de laïcité s’applique aux hôpitauxpublics. Les droits des patients, notamment en

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matière confessionnelle, doivent néanmoinsêtre pris en compte. Cette conciliation entreneutralité confessionnelle du service publichospitalier et liberté religieuse des usagers nese limite pas à l’existence de lieux de prière etd’aumôniers. Elle pose aujourd’hui deux ques-tions importantes :un patient peut-il choisir sonmédecin en fonction de critère religieux ? Lecorps médical peut-il imposer des soins à unpatient en méconnaissance de la volonté de cedernier ?

La loi du 4 mars 2002 sur les droits des maladesréaffirme le droit pour les patients de choisirleur médecin (Art.L.1110-8 du code de la santépublique). L’exercice de cette liberté peutconduire un patient à refuser de se faire soignerpar un praticien en raison du sexe de celui-ciou de sa confession réelle ou supposée. Lerapport de la Commission Stasi se fait largementl’écho de ces pratiques. Cette situation estsource de risque pour l’usager car le person-nel hospitalier ne peut pas toujours répondreà cette demande. Elle est également source deconflits car les discriminations fondées le sexeou l’appartenance à une confession sont illégales.Un projet de loi sur la laïcité à l’hôpital devraitprochainement réaffirmer ces interdictions.

L’article L. 1111-4 du code de la santé, issu dela loi du 4 mars 2002,dispose en son troisièmealinéa : " Aucun acte médial,ni aucun traitementne peut être pratiqué sans le consentement libreet éclairé de la personne et ce consentementpeut être retiré à tout moment ". Le médecinest ainsi dans l’obligation de respecter le choixdu patient, notamment lorsque le refus absolude soin résulte d’une prescription religieuse. Il

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n’est pas sûr que cette disposition législative aitmis un terme à la jurisprudence discutée duConseil d’État issue de son arrêt d’Assembléedu 26 octobre 2001,Mme Senanayake (Rec.514).Dans cette décision, le juge administratif estime,qu’en cas de situation extrême, le fait pour lesmédecins de passer outre le refus clair etréitéré d’un patient témoin de Jéhovah de fairel’objet d’une transfusion sanguine n’engage pasla responsabilité du service public hospitalier.Il estime que cette décision,qui n’est contraireni à l’article 3 ni à l’article 5 de la Conventioneuropéenne des droits de l’Homme,est soumiseà la triple condition que l’acte médical soit indis-pensable à la survie du patient, proportionné àson état et réalisé avec l’intention de le sauver.

Postérieurement à la loi, le juge des référés duConseil d’État considère que le droit pour lepatient majeur de donner, lorsqu’il se trouve enl’état de l’exprimer,son consentement à un trai-tement médical, constitue une liberté fonda-mentale au sens de l’article L. 521-2 du codede justice administrative (CE, ord. 16 août2002, Mme Feuillatey, req. n° 249552). Lesmédecins ne lui portent pas cependant uneatteinte justifiant,en urgence, l’intervention dujuge lorsque, " après avoir mis tout en œuvrepour convaincre un patient d’accepter les soinsindispensables, ils accomplissent dans le but dele sauver, un acte indispensable à sa survie etproportionné à son état ".Dans cette hypothèse,le non-respect de la volonté d’une patiente,témoin de Jéhovah, de ne pas être transfuséen’est pas manifestement incompatible avec l’ar-ticle 9 de la Convention européenne des droitsde l’Homme. La Commisssion européenne, enson temps, avait eu une approche similaire

(voir mutatis mutandis Comm. EDH, 12 juillet1978, X. c/Royaume-Uni, DR 14, 234).

La neutralité du service public hospitalier n’em-pêche pas la prise en compte des convictionsreligieuses des patients,bien au contraire.Cetteexigence n’est toutefois pas absolue. Elle doitd’abord être conciliée de façon classique avecles droits d’autrui : le droit du médecin de nepas faire l’objet d’une discrimination illégale parexemple. Elle trouve également, sur le plan desvaleurs cette fois,une limitation dans le respectdu droit à la vie que garantit l’article 2 de laConvention européenne des droits de l’Homme.

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stigmatiser une religion particulière, l’Islamnotamment.Celui de l’abandon enfin qui permetaux radicaux de toutes obédiences de frag-menter l’espace public en autant de chapellesque de communautés en revendiquant aujour-d’hui le droit à la différence et demain, sansdoute, la différence des droits.C’est donc bienpar la “porte étroite” que doit passer celui quiemprunte le chemin de la laïcité !

Si la laïcité à la française est étrangère à la plupartdes États membres de l’Union, l’exigence deneutralité ouverte qui la traverse peut sans douteréunir un grand nombre d’entre eux.Au-delà dela diversité des rapports institués entre Égliseset État,il existe une communauté de valeurs par-tagées par les pays européens (liberté de croyance,liberté de cultes, pluralisme religieux) que favo-rise au demeurant la sécularisation avancée deleurs sociétés. Cette neutralité est en outreprônée par la Cour européenne des droits del’Homme notamment dans l’hypothèse d’un Étatmulticonfessionnel. Elle inspire enfin les institu-tions de l’Union européenne dans leur approchedes dossiers ayant des aspects confessionnels.Lapromotion de cette neutralité accueillante consti-tue toutefois un défi pour certains des nouveauxÉtats membres de l’Union (Pologne,Lituanie).Ellepeut également permettre à la France d’avancersur certains sujets délicats comme assurer l’éga-lité de traitement entre l’Islam et les autrescultes par une révision de la loi du 9 décembre1905 ou encore favoriser l’enseignement des reli-gions à l’école.Plus que jamais, la laïcité “à la fran-çaise” doit demeurer un modèle ouvert surl’Europe, à l’écoute de l’Autre.

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L’étude juridique du modèle français de laïcitédans son contexte européen, dont il est tropsouvent isolé, permet de redonner à ce prin-cipe sa juste place. La laïcité est un instrumentau service de la liberté,celle de croire en Dieu,en l’Homme ou au diable et de pratiquer leculte qui en découle sans entrave de la puis-sance publique. Loin de nous l’idée de relati-viser, et moins encore de nier, l’importance dela laïcité en France,dans l’accouchement parfoisau forceps de la République, ni de contester labonne volonté des hommes qui ont portécette espérance. Force est néanmoins deconstater qu’aujourd’hui,en Europe,un État est“laïque” d’abord par ce qu’il garantit la libertéde conscience et le pluralisme confessionnelet non en raison de la séparation des Égliseset de l’État qu’il instaure.

La réaffirmation en France des exigencesdécoulant de la laïcité ne doit pas faire oublier,aux citoyens comme à leurs gouvernants, quecelle-ci est avant tout un moyen et non une fin.C’est pourquoi sa mise en œuvre, délicate, estsusceptible,à tout moment,de se briser contrede redoutables écueils. Celui de la régressiontout d’abord qui consiste paradoxalement àériger la laïcité en nouvelle religion d’État enl’identifiant abusivement à la République commeaux plus beaux jours du combisme. Celui dela trahison ensuite qui voit dans la laïcité le pré-texte commode et surtout incontestable pour

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Conclusion

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LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE

Bibliographie

Dérive ou rapprochement ? La prééminence de l’économietransatlantiqueJoseph P. Quinlan, Juin 2004

L’Europe, une chance pour lafemmePascale Joannin, mai 2004

Le Parlement européen :un défi pour l’influence françaiseYves Bertoncini,Thierry Chopin,Avril 2004

L’euro aujourd’huiFrançois Dutaux-Lombard,Janvier 2004

Vers une bioéthiqueeuropéenne ? L’exemple de l’embryon humainLaurence Lepienne, Novembre 2003

La France, grâce à l’EuropeJean-Paul Betbèze, Septembre 2003

Pour en finir avec l’hécatombe routièreBéatrice Houchard, Juin 2003

Espace pénal commun en Europe :Quelles perspectives ? Jean-François Kriegk,Dominique Barella, Mai 2003

La consolidation des industriesde défense en Europe. Et après ?Hélène Masson,Avril 2003

Ce sera une autre EuropeAlain Lamassoure, Mars 2003

Justice, police et sécurité dans l’Union européenne

Hubert Haenel, Février 2003

Un président pour l’EuropePierre Lequiller, Janvier 2003

Pour l’Europe réunieJean-Dominique Giuliani,Novembre 2002

La fonction publique française en EuropeEugénie Rabourdin, Juin 2002

Adresse européenne à Monsieur le Président de la République françaiseDominique Reynié, Mai 2002

L’héritage du fédéralisme ?Etats-Unis/EuropeThierry Chopin, Mars 2002

L’Europe : un espace pour la recherche et l’innovation Gérard Tobelem et Nicolas Georges,Mars 2002

Les moyens de la sécurité publiqueÉléments d’analyse comparativeFévrier 2002

La fiscalité écologiquePaul Nomidès, Février 2002

La taxe Tobin :Revue de la pensée magiqueOlivier Storch, Janvier 2002

La famille,une idée neuve en EuropeBéatrice Houchard, Septembre 2001

La fracture numériqueOlivier Storch, Janvier 2001

Déjà parus...

92 LAÏCITÉ : LE MODÈLE FRANÇAIS SOUS INFLUENCE EUROPÉENNE

Reconnue d’utilité publique par décret en date du 18 février1992, la Fondation Robert Schuman a pour missionde :- promouvoir l’idéal européen ;- soutenir tous ceux qui œuvrent pour la démocratie enEurope et dans le monde ;- contribuer, par tous les moyens, au débat européen età l’évolution de l’Union ;- établir des liens et des coopérations avec toutes les ins-titutions qui poursuivent les mêmes buts ;- favoriser l’étude de la pensée européenne par l’attribu-tion de bourses, le développement de programmes derecherche et le soutien aux publications qui concernentla construction européenne, son passé et son avenir.

Elle est présidée par Monsieur Jean-Dominique Giuliani.

29, bd Raspail - 75007 Paris Tél. : 33 1 53 63 83 00Fax : 33 1 53 63 83 01

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Directeur de la publication : Pascale [email protected]

Achevé d’imprimer en septembre 2004