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Préambule Ces quelques pistes de réflexion s’adres- sent aux membres des communautés chrétiennes. Les prochaines élections présidentielles et législatives sont l’oc- casion de s’engager, comme tous les citoyens, dans le débat qui précède ces échéances. Responsables de notre ave- nir et de celui de notre pays, quelles propositions pouvons-nous faire pour une société plus juste et fraternelle ? À bon nombre d’entre nous, ce début de 21 e siècle apparaît incertain. Des per- sonnes sont sans travail. D’autres sont menacées par le chômage, et leur préca- rité est réelle. Des travailleurs pauvres travaillent sans pouvoir subvenir à leurs besoins. La vie familiale est touchée par les séparations professionnelles ou conjugales. La violence subsiste, des hommes et des femmes souffrent de l’in- tolérance, du racisme. Les religions sont parfois discréditées par une laïcité mal comprise… Notre société est marquée par une série de difficultés qui conduit au découragement et au repli sur soi. POURTANT IL Y A DES CHANCES À SAISIR En France et en Europe, l’éducation et l’accès à la culture se sont élargis à un plus grand nombre ; la formation tout au long de la vie professionnelle entre dans les habitudes et permet une adaptation aux changements rapi- des ; de nouvelles technologies sont apparues et facilitent les conditions de vie ; des chercheurs et des méde- cins soignent et guérissent de mieux en mieux ; la protection sociale couvre la quasi totalité de la population ; l’es- pérance de vie a augmenté ; l’aide appropriée à la création d’entreprise se développe, etc. « L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert aussi des renoncements, ne peut s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut être l’œuvre de l’Église, mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois, l’enga- gement pour la justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence et de la volonté aux exigences du bien, intéresse profondément l’Église. » Benoît XVI, Deus caritas est, 28, 2006. 1 DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Préambule

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Préambule

Ces quelques pistes de réflexion s’adres-sent aux membres des communautéschrétiennes. Les prochaines électionsprésidentielles et législatives sont l’oc-casion de s’engager, comme tous lescitoyens, dans le débat qui précède ceséchéances. Responsables de notre ave-nir et de celui de notre pays, quellespropositions pouvons-nous faire pourune société plus juste et fraternelle ?

À bon nombre d’entre nous, ce début de21e siècle apparaît incertain. Des per-sonnes sont sans travail. D’autres sontmenacées par le chômage, et leur préca-rité est réelle. Des travailleurs pauvrestravaillent sans pouvoir subvenir à leursbesoins. La vie familiale est touchée parles séparations professionnelles ouconjugales. La violence subsiste, deshommes et des femmes souffrent de l’in-tolérance, du racisme. Les religions sontparfois discréditées par une laïcité mal

comprise… Notre société est marquéepar une série de difficultés qui conduitau découragement et au repli sur soi.

POURTANT IL Y A DES CHANCES

À SAISIR

■ En France et en Europe, l’éducation etl’accès à la culture se sont élargis à unplus grand nombre ; la formation toutau long de la vie professionnelle entredans les habitudes et permet uneadaptation aux changements rapi-des ; de nouvelles technologies sontapparues et facilitent les conditionsde vie ; des chercheurs et des méde-cins soignent et guérissent de mieuxen mieux ; la protection sociale couvrela quasi totalité de la population ; l’es-pérance de vie a augmenté ; l’aideappropriée à la création d’entreprisese développe, etc.

« L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier unesociété la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État.Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice.Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doitréveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert aussi desrenoncements, ne peut s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut êtrel’œuvre de l’Église, mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois, l’enga-gement pour la justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence et de la volontéaux exigences du bien, intéresse profondément l’Église. »

Benoît XVI, Deus caritas est, 28, 2006.

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■ À l’échelle de la planète, le nombre depersonnes vivant sous le seuil de pau-vreté, la mortalité infantile ont dimi-nué. Le niveau de vie et l’accès à la for-mation ont progressé. Des structuresinternationales d’action commune semettent en place entre les nations.Malgré la trop faible participation despays riches pour aider les pays pauvres,nous devons reconnaître les efforts enfaveur du développement. Malgré lestrop faibles résultats pour empêcher les guerres régionales dans les payspauvres, notre pays est présent etcoopère à l’instauration de la paix.

En ce début de siècle, heurté et contras-té, nous avons besoin de réapprendre àvivre ensemble dans un monde où lespossibilités se multiplient, où les hori-zons s’élargissent à d’autres cultures etoù les religions se rencontrent. Il nousfaut prendre appui sur ce qui réussit enchacun de ces progrès pour les impulserdavantage. L’espérance qui habite leschrétiens soutient notre engagement.Elle est le fondement d’un regard positifsur l’avenir.

Pour construire cet avenir commun, nousavons besoin d’y voir clair sur le sens del’homme tel que la Révélation et l’Évan-gile nous donnent de le comprendre :

1. Aucun d’entre nous ne peut seconsidérer comme indifférent au sortd’un autre membre de la famillehumaine, en France comme ailleurs.

2. Tout homme est concerné par la pro-messe de bonheur annoncée dans lemessage de l’Évangile. Il nous revientde le faire connaître par notre manièrede vivre ensemble.

Nous sommes invités à clarifier l’engage-ment que cela suppose à partir de cesdeux repères, en réfléchissant avec d’au-tres sur les projets qui peuvent être éla-borés pour notre pays dans le respect dela liberté de chacun.

Ensemble et quelles que soient leurs diffé-rences et leurs approches des situations,les chrétiens savent que l’homme ne secomprend qu’à la lumière de la foi enJésus Christ. Nous savons que l’hommen’a pas tout pouvoir sur lui-même, il nes’invente pas. Il ne se comprend lui-mêmeque s’il accepte ses racines, s’il formuleses projets en tenant compte des autres.Construire une société plus fraternelle nonseulement est au centre de notre vie chré-tienne, mais correspond aussi à l’idéalrépublicain. La liberté et l’égalité sans lafraternité deviennent lettre morte.

Chrétiens, nous sommes engagés sousdes formes diverses dans la constructionde la société. Ces engagements méritentd’être pris en compte. Dans le débatouvert à l’occasion des prochaineséchéances électorales, nous voulonsapporter notre réflexion et nos proposi-tions pour établir dès aujourd’hui unesociété plus juste et fraternelle.

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3 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Préambule

« La foi chrétienne est l’une des composantes majeures de l’histoire et de laculture européennes. Pour participer à la grande et belle tâche du “vivreensemble”, notre foi chrétienne ne nous donne ni instruments originauxd’analyse et de stratégie, ni modèles institutionnels à appliquer : mais elle nousincite à contribuer à la recherche commune, avec tous les hommes de bonnevolonté. Elle nous offre certains repères éthiques et spirituels que nouspouvons partager avec nombre de nos contemporains qui n’ont pas notre foi. »

Commission sociale des évêques de France,Réhabiliter la politique, § 12, 1999.

Les sociétés démocratiques actuelles, dans lesquelles, à juste titre, tous sont appelés à participerà la gestion des affaires publiques dans un climat de vraie liberté, requièrent des formes nouvel-

les et plus larges de participation à la vie publique de la part des citoyens, qu’ils soient chrétiens ounon. En effet, tous peuvent contribuer, par leur vote, à l’élection des législateurs et des responsablesde gouvernement, et, par d’autres moyens aussi, à l’élaboration des orientations politiques et deschoix législatifs qui, selon eux, servent le mieux le bien commun. Dans un système politique démo-cratique, la vie ne pourrait se dérouler de manière profitable sans un engagement actif, responsableet généreux de tous. Encore que cela implique “une grande diversité et complémentarité de formes,de niveaux, de tâches et de responsabilités”.

En accomplissant leurs devoirs civils normaux, “guidés par leur conscience chrétienne”, selon lesvaleurs conformes à cette conscience, les fidèles réalisent aussi la tâche qui leur est propre d’animerchrétiennement l’ordre temporel, tout en en respectant la nature et la légitime autonomie, et en coopé-rant avec les autres citoyens, selon leur compétence spécifique et sous leur propre responsabilité. Ilrésulte de cet enseignement fondamental du concile Vatican II que “les fidèles laïcs ne peuvent abso-lument pas renoncer à la participation à la politique, à savoir à l’action multiforme, économique,sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par lesinstitutions, le bien commun”. Ce bien commun inclut la défense et la promotion de réalités telles quel’ordre public et la paix, la liberté et l’égalité, le respect de la vie humaine et de l’environnement, lajustice, la solidarité, etc. »

Congrégation pour la doctrine de la foi,Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement

et le comportement des catholiques dans la vie politique, 2002.Texte intégral www.vatican.va.

– pour les groupes paroissiaux,– pour les équipes de mouvements,– pour les familles,– entre amis…

Guide de réflexion

CONSTATSLe texte attire l’attention sur quelquespoints précis : noter ceux qui semblentles plus importants. Pourquoi ? Quelsenjeux révèlent-ils ?Le texte ouvre des perspectives peu pri-ses en compte dans notre existence per-sonnelle, dans notre communauté chré-tienne, dans notre milieu de vie sociale.Lesquelles ?

INTERROGATIONSEn partant des questions posées dans letexte ou de celles que suscitent les cons-tats effectués, élaborer des pistes deréponse en s’appuyant sur l’Écrituresainte et sur son interprétation dans laTradition vivante de l’Église et, notam-

ment, dans les documents du concileVatican II, des encycliques, dans leCompendium de la doctrine sociale del’Église et dans les déclarations de laConférence des évêques de France.

PROPOSITIONSLa réflexion doit normalement conduireà formuler des propositions.Elles peuvent être autant du domainede la conversion personnelle (manièresde penser, modes de vie, etc.) que del’action collective.Il importe de se demander comment lesmettre en œuvre et les faire connaîtreautour de soi et auprès des responsa-bles de la société et des candidats auxélections.

En suivant le plan du texte, trois rencontres possibles :■ Les aspirations légitimes■ Un projet pour notre pays■ Se mettre en marche

« Agissant pour le bien commun, au service de tous et sans ambition de pouvoir,les chrétiens se sentent à l’aise dans une société démocratique et laïque. Ils luiapportent leur contribution, sans accepter que leur foi soit reléguée dans la“sphère du privé”. Cette foi a une dimension humaine et sociale. La démocratie,pour être vivante, fera droit à ses références religieuses et philosophiques dansle débat public. »

Commission sociale des évêques de France,Réhabiliter la politique, 35, 1999.

5 � Documents Épiscopat - N° 11/2006 – Guide de réflexion

■ Un défi spirituel qui fasse droit à l’hommeintérieur : celui qui dialogue avec saconscience et qui cherche chaque jourà vivre en cohérence avec sa foi chré-tienne. Une foi qui ne nous demandepas de quitter le monde mais qui semesure dans le service de notre pro-chain. Par là, elle nous engage à lasuite de Jésus Christ, à tisser des liensfraternels entre tous. Elle éclaire lesdécisions et le mode de vie que nousvoudrions promouvoir pour un « mieuxêtre ensemble ».

La foi a donc une dimension humaine etsociale qui ne peut être reléguée dans la

sphère de la vie privée. Le principe delaïcité est une chance quand il permetaux responsables politiques d’entendrel’expression du sens de l’homme qui estporté par les religions ou les divers cou-rants philosophiques. La démocratie,pour être vivante, fera droit à ces réfé-rences religieuses dans le débatpublic [1]. Quelles initiatives prendrons-nous pour faire connaître davantage lesens de l’homme qui est le nôtre ?

■ Un défi pour l’intelligence : le croisementde regard du citoyen et du croyantdéveloppe l’intelligence des phénomè-nes et la capacité à lire les « signes

I. Des aspirationslégitimes

Relever le défi d’une société plus fraternelle suppose que chacun puisse éla-borer un projet de vie personnel, fondé sur des aspirations légitimes.

Établir dans nos vies cette « juste hiérarchie » permet de construire l’équilibrede vie auquel nous aspirons. Cet équilibre ne se fonde pas sur l’accumulationdes biens matériels, des responsabilités multiples ou dans un activisme quiréponde à toutes les sollicitations, mais sur le sens que nous voulons donnerà notre vie.

Il y a ici des désirs légitimes et mobilisateurs, mais aussi des choix à opéreret des défis à relever.

� « L’obéissance à la vérité de Dieu et de l’homme est pour lui la condition pre-mière de la liberté et lui permet d’ordonner ses besoins, ses désirs et lesmanières de les satisfaire suivant une juste hiérarchie, de telle sorte que lapossession des choses soit pour lui un moyen de grandir. »

Jean Paul II, Centesimus annus, 41, 1991.

1. Commissionsociale desévêques deFrance,Réhabiliterla politique, 35.

7 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Des aspirations légitimes

des temps ». Face aux événementsque les médias nous font connaître il ya matière à observer la société, à enparler avec des amis, mais aussi avecdes personnes différentes. Pour mieuxles comprendre, nos communautéschrétiennes ne doivent pas hésiter àrencontrer des experts et des respon-sables politiques. Ils peuvent éclairernon seulement les enjeux humains des évolutions scientifiques et tech-niques, leurs conséquences sur latransformation des modes de vie, maisaussi orienter notre engagement pourles accueillir ou au contraire les refu-ser. Quelles initiatives prendrons-nouspour affiner notre intelligence de lasociété dans laquelle nous vivons ?

■ Un défi moral qui interroge notre mode devie personnelle et familiale. Bien deslibertés sont offertes et rendues possi-bles par la science, toutes ne sont pas profitables ni respectueuses del’homme. Le respect des personnes estsouvent confondu avec une approba-tion des modes de vie choisis par cha-cun. Ne rien dire pour que l’autre neme dise rien et me laisse libre de meschoix, est-ce une manière de cons-truire une société fraternelle ? Quelssont les lieux de réflexion qui permet-tent des temps de recul pour retrouverdes points de repères dans le domainede la vie affective, conjugale et familia-le ? Comment s’organiser quand lescontraintes sont telles que l’on ne peutmodifier son mode de vie et que l’équi-libre n’est pas possible entre famille ettravail, service des autres, relationsamicales et culture personnelle ?

■ Un défi culturel qui est sans doute le plusdifficile tant sont nombreux aujour-d’hui les moyens pour enrichir notreculture. La technologie moderne met ànotre disposition un grand nombred’outils très performants : télévision,

ordinateur, téléphone mobile, lecteurMP3, Internet, voiture, etc. Cesmoyens d’accès à une découverte dumonde et à une connaissance d’autresmodes de pensée, sont une chanceformidable. Mais elle n’est pas ouverteà tous, en particulier pour les paysémergents. Il conviendrait de multi-plier les cyberclubs, les médiathèquesdans les quartiers et de favoriser dansles écoles un apprentissage des outils.Sont-ils des chemins d’ouverture, desfils qui tissent des alliances ou desmoyens qui nous font vivre dans unmonde virtuel où nous ne rencontronsles autres que par machine interpo-sée ? Ne sont-ils pas parfois des entra-ves qui nous attachent et nous paraly-sent ? Comment en maîtrisons-nousl’usage ?

■ Un défi politique afin de définir un projetde société pour redonner leur crédit auxinstitutions et aux procédures démo-cratiques. C’est le seul moyen decontrecarrer la fascination des posi-tions extrêmes. Certes, des réalisa-tions positives de démocratie partici-pative se multiplient au plan localmais elles ne justifient pas pourautant un refus de la démocratiereprésentative ; l’intérêt général d’unpays ne se limite pas à la somme desintérêts locaux.

L’équilibre de vie se construit autour decertains pôles essentiels : la famille, letravail, le logement. Ils sont liés les unsaux autres. Ils permettent à chacun detrouver sa place dans la société et demettre en œuvre le sens qu’il veut don-ner à sa vie. Il y a là des enjeux si importants qu’ils doivent retenir notreattention au moment où nous sommesappelés à participer aux débats quis’ouvrent à l’occasion des prochaineséchéances électorales.

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La famille

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Vivre en famille est un trésor à dévoiler et à proposer. Pour la plupart, noussommes nés d’un homme et d’une femme heureux de s’aimer et qui ont trouvédans le mariage la force de faire face ensemble aux difficultés de l’existence.

Nous voulons annoncer la beauté et la grandeur de l’amour conjugal vécu ainsi dansla fidélité, le respect mutuel et la durée.

La famille est un lieu d’humanisationoù l’on est aimé et éduqué ; un espacede construction de soi. La famille est unlieu d’apprentissage de l’autorité où seconjuguent l’obéissance, la liberté et lasolidarité. La famille est un lieu deconfiance entre personnes différentes.La famille est un lieu de socialisationpar l’ouverture à l’autre.

Dans le débat actuel autour des rela-tions homosexuelles ou de l’adoptiond’enfants par deux adultes du mêmesexe, l’Église estime que le mariage estl’institution qui lie, noue et unifie lestrois dimensions sociale, juridique etbiologique de la génération. À ce titre ilne peut lui être opposé d’équivalentsans fragiliser durablement l’équilibredes personnes et la société.

Nous observons le rôle bénéfique jouépar des grands-parents pour une stabi-lité affective des enfants et adoles-cents. Ils surprennent souvent par cequ’ils réussissent à transmettre dans

une autorité empreinte de tendresse(respect, repères moraux, mémoire dela famille). Il est cependant de plus enplus fréquent que des grands-parentssoient délaissés et ne rencontrent guèreleurs petits-enfants, ce qui accentueleur sentiment de solitude.

Que chaque famille permette cela estun souhait fondamental pour chacund’entre nous. « Famille, deviens ce quetu es ! » écrivait Jean Paul II. La voca-tion à la sainteté tel que le sacrementde mariage la propose est une aventurede bonheur que nous avons le droit dedésirer et le devoir de faire connaître.

Réjouissons-nous avec tous ceux quivivent la famille comme une « bonnenouvelle » quand les liens d’affection,de respect mutuel et de soutien unis-sent les parents, les enfants, les grandsparents et les cousins…

■ Beaucoup vivent ensemble avant lemariage. Nombreux sont ceux qui

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«L’homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vieest privée de sens s’il ne reçoit pas la révélation de l’amour, s’il ne rencontre pas l’amour, s’iln’en fait pas l’expérience, s’il ne le fait pas sien, s’il n’y participe pas fortement. »

Jean Paul II, Redemptor hominis, 10, 1979.

« L’Église connaît la route qui conduira la famille au cœur de sa vérité profonde. Cette route, que l’Église aapprise à l’école du Christ et à celle de l’histoire interprétée à la lumière de l’Esprit Saint, elle ne l’im-pose pas mais elle ressent en elle-même une exigence imprescriptible de la proposer à tous, sans crainte,et même avec une confiance et une espérance très grande, tout en sachant que la “bonne nouvelle” com-porte aussi le langage de la croix. »

Jean Paul Il, Familiaris consortio, 86, 1982.

« Il faut en revenir à considérer la famille comme le sanctuaire de la vie. En effet, elle est le lieu où la vie,don de Dieu, peut être convenablement accueillie et protégée […] le lieu où elle peut se développer suivantles exigences d’une croissance humaine authentique […] le lieu de la culture de la vie. »

Jean Paul II, Centesimus annus, 39, 1991.

« Aucun homme ne s’est donné à lui-même son existence, ni n’a acquis par lui-même les connaissancesélémentaires de la vie. Nous avons tous reçu des autres la vie et par là même les vérités fondamentales, etnous sommes appelés à atteindre la perfection dans la relation et la communion amoureuse avec autrui.La famille, fondée sur le mariage indissoluble entre un homme et une femme, exprime cette dimensionrelationnelle, filiale et communautaire, et elle constitue le milieu dans lequel l’homme peut naître dans ladignité, grandir et se développer de manière intégrale. »

Benoît XVI, Homélie à l’occasion de la 5e rencontre des familles, à Valence, 2006.

« entrent en couple » avant le mariage.Certains vivent aussi sans perspective demariage. D’autres en retardent la célé-bration par une sorte de survalorisation ;ils souhaitent faire de leur mariage une sibelle fête qu’ils ne peuvent se l’offrir enraison des dépenses qu’elle entraînerait.

■ D’autres encore sont meurtris et bles-sés par des événements qui ont mar-qué leur histoire. Les situations dedétresse sont nombreuses. Des fem-mes seules (et parfois des hommesseuls) élèvent leurs enfants. Desenfants écartelés souffrent de la sépa-ration et du divorce de leurs parents,les mêmes s’accoutument comme ilsle peuvent à la recomposition d’unenouvelle famille. Des enfants et desjeunes se trouvent soumis à l’autoritéde beaux-parents, sans que soientbien définis les droits de chacun.

■ Le manque de ressources suffisantes,le non emploi du père ou de la mère,la maladie marquent encore bien desfamilles.

■ Des personnes âgées et dépendantesvivent dans la solitude. Un nombreinsuffisant de personnes s’organisepour prendre en charge leurs parents.Le maintien à domicile est parfoisimpossible et l’obligation de quitter samaison est vécue comme un déchire-ment par tous. Cette situation peutdevenir très lourde et difficile. Lesliens entre les générations sont unechance pour y faire face.

Prendre en compte ces situations ouvreplusieurs chemins de recherches etd’initiatives :

Aux chrétiens

Il s’agit d’aider chacun à trouver la voiedu bonheur même lorsque la vie defamille n’est pas possible, qu’elle a étébrisée et que la solitude se fait pesantedans les campagnes et les villes. Sinous le pouvons, soyons proches et por-tons à notre mesure les conséquencesde ces situations ; sachons les accueillirsans ajouter à leurs souffrances.

Préparons l’avenir des plus jeunes enosant rompre le silence et prononcerune parole audible et confiante sur lemariage et sur la fidélité à la parole don-née. Des parents en « déshérence » indui-sent des enfants en souffrance et desadolescents en dérive. Quand les adul-tes ne savent plus où ils en sont, les jeu-nes se perdent. Comment faire entendrequ’un choix est toujours exclusif d’unautre choix et que le vivre dans la duréeest un chemin de bonheur ?

L’arrivée du premier enfant révèle sou-vent aujourd’hui aux yeux de nombreuxjeunes adultes un bonheur qu’ils nesoupçonnaient pas et aussi la responsa-bilité d’être père ou mère de famille.C’est l’occasion pour eux de découvrirleurs droits et leurs devoirs de parents.Ces jeunes parents peuvent témoignerde l’apprentissage heureux qu’ils fontalors du « vivre en famille ».

Aux responsables politiques

Il leur revient de développer une poli-tique familiale dans la variété des situa-tions des familles ; c’est aujourd’huiune tâche plus difficile. Cette politiquese fonde sur l’intérêt public majeur etsingulier que représente le service de lagénération assumé par l’union d’un

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homme et d’une femme qui deviennentpère et mère. L’État doit veiller à ce quece fait indiscutable soit protégé parl’institution du mariage. Cette institu-tion ne saurait convenir à d’autres typesd’union sous peine de confusion dom-mageable.

Tout en valorisant la responsabilité pre-mière des parents dans l’éducation,l’État doit se soucier de favoriser laprise d’autonomie des jeunes, par laformation, l’emploi et l’accès à un loge-ment.

Pour que la vie familiale soit rendueplus facile, il importe que soit toujoursprise en compte la relation entre la viede famille et le travail professionnel.Notamment en ce qui concerne le tra-vail à temps partiel selon les momentsde la vie du couple.

Face aux divers choix possibles en cesdomaines, les chrétiens ont à prendrepart au débat ; d’où l’importance pourles communautés chrétiennes d’y réflé-chir et de faire connaître leurs vœux etleurs propositions.

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Un métierpour un emploi

Travailler est un des chemins par lequel l’homme se réalise lui-même. Travaillerest un bien qui permet de mettre ses talents au service des autres, en vue dubien commun et pour répondre à l’appel reçu du Créateur de prendre chacun

part au développement de la création. Le goût du travail bien fait, la joie d’êtrereconnu pour ses compétences, le bonheur d’avoir participé à une réussite communesont des atouts essentiels à mettre en valeur. Ainsi le travail ne sera pas réduit àn’être qu’un emploi sans intérêt, sans protection sociale et finalement à n’être qu’unemarchandise comme une autre que seuls les plus performants pourraient s’offrir.Travailler n’est donc pas seulement un échange où l’on reçoit en retour une rémuné-ration décente qui permette de vivre.

� « Le travail est un bien de l’homme – il est un bien de son humanité – car, parle travail, non seulement l’homme transforme la nature en l’adaptant à ses pro-pres besoins, mais encore il se réalise lui-même comme homme et même, en uncertain sens, il devient plus homme. »

Jean Paul II, Laborem exercens, 9, 1981.

Le travail est un droit fondamental.

Il nous revient d’assurer les conditionsqui le rendent possible :

■ l’éducation, pour permettre d’acqué-rir le sens du travail dans ses aspectspositifs ;

■ la formation, pour proposer et recevoirles aptitudes qui ouvrent sur un métieret par là permettent de trouver un

emploi. Cette formation n’est jamaisachevée. Elle devient aujourd’hui unenécessité quel que soit le moment del’existence où elle est proposée. Serenouveler, actualiser son savoir faireprofessionnel, permet de mieux répon-dre au marché de l’emploi ;

■ l’apport de capital financier et larecherche pour aider la création d’entreprise et développer lesemplois ;

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■ le dialogue social qui demeure unepriorité pour assurer les conditions detravail respectant la personne humai-ne et garantissant les mesures de pro-tection face au chômage. La souf-france des personnes sans emploi etle manque à gagner qui en résultepour toute la société, appellent l’at-tention de tous, pour inventer, infor-mer et proposer des formations et desemplois, en particulier pour de nom-breux jeunes.

LE MONDE DU TRAVAIL,

LE MONDE ÉCONOMIQUE ET

FINANCIER CHANGENT DE

PLUS EN PLUS VITE

Les évolutions techniques ouvrent denouveaux domaines à l’activité de l’hom-me, tout en faisant disparaître d’anciensmétiers ; d’où les changements d’em-ploi, une plus grande mobilité géogra-phique, une demande croissante de qua-lification.

La validation des acquis de l’expériencese développe.

Les bassins d’emploi se déplacent versd’autres villes, d’autres régions ou d’au-tres pays. Cela provoque parfois uneséparation familiale hebdomadaire ou untransport quotidien excessif. De plus enplus de tâches diverses reposent sur unmême employé, ce qui est cause destress. Accepter ou refuser un travailn’est pas un choix facile. La réussitecommerciale et financière n’en constituepas le seul critère. Il est anormal que des

travailleurs ne puissent bénéficier d’unsalaire qui leur permette de nourrir et deloger décemment leur famille.

L’égalité des chances n’est pas la mêmepour les jeunes que ce soit en appren-tissage ou dans les études en raison deleur durée ou quand ils sont obligés devivre loin de leur famille et de travaillerpour payer leur logement, etc.

Le sens du travail a changé. L’activitéprofessionnelle ne recouvre plus lechamp de l’existence. Sa durée se rac-courcit.

Le travail n’est plus un bien accessibleà tous ; ni pour des jeunes, qui peinentà y entrer malgré leurs qualifications, nipour des seniors qui en sortent préma-turément, riches d’une expérience qu’ilest dommage de perdre.

C’est dans ce cadre d’une société qui évo-lue rapidement, avec des dynamismes quinous réjouissent, que nous découvronscombien nous sommes liés les uns auxautres. Il n’existe pas de travail qui nedépende de celui d’un autre. Il nousrevient de faire que les changements etcette interdépendance soient une chan-ce. Le changement n’est pas synonyme deprécarité et d’injustice quand il n’est passubi. La participation au dialogue socialest une des voies qui permet que chacunsoit associé aux mesures à imaginer pourprendre en compte les évolutions.

Ceci suppose une éducation qui favorisele goût d’entreprendre et d’inventer.

DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Un métier pour un emploi � 14

PARMI D’AUTRES, PLUSIEURSQUESTIONS S’OFFRENTÀ NOTRE RÉFLEXION

■ Comment donner toute sa valeur autravail alors qu’il est difficile pour desjeunes de la percevoir parce qu’ils’exécute loin de chez eux, et que,bien souvent, leurs parents et leursaînés en soulignent plus les difficul-tés que les joies ?

■ Quels accompagnements mettre enplace pour équilibrer mobilité (flexibi-lité) et sécurité ?

■ Quels critères de choix pour choisirun métier : l’argent, l’intérêt du tra-vail, la qualité de vie, la notoriété, lesdébouchés, etc. ?

■ Quelle éducation à la responsabilitésociale, quel éveil au bien commun,au service des autres développer àl’intérieur de la vie professionnelle

(participation aux syndicats, auxcomités d’établissement, aux conseilsdes prud’hommes, aux comités d’éthique, etc.) ?

■ Quelles filières choisir afin d’acquérirles compétences nécessaires pour évo-luer au cours de sa vie professionnelle ?

■ Quelles orientations choisir pouraccéder à de nouvelles formations etainsi déboucher avec plus de certi-tude sur un emploi ? L’information surles passerelles existantes entre desformations différentes et complémen-taires est ici primordiale. Les syndi-cats, les universités tout comme lescommunautés chrétiennes d’étu-diants et les mouvements d’apostolatdes laïcs y contribuent.

■ Comment se préparer à accueillir despersonnes qui viennent d’autres régionsou de pays étrangers ?

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Un logement

Disposer d’un lieu où habiter : pôle de ralliement pour une famille, lieu de reposet de convivialité, lieu d’accueil et d’échanges, c’est le souhait de tout lemonde.

Un souhait qui engage une réflexion plus large. Le logement est un droit. Un droit quiconditionne l’accès à d’autres droits : la vie de famille, l’éducation des enfants, le tra-vail, l’insertion sociale. Un droit qui touche à la destination universelle des biens etdes services.

� « L’homme, dans l’usage qu’il fait de ses biens, ne doit jamais tenir les chosesqu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarderaussi comme communes, en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement àlui, mais aussi aux autres. »

Jean Paul II, Centesimus annus, 30, 1991.

« Nous sommes témoins de l’accroissement d’un écart préoccupant entre unesérie de nouveaux droits promus dans les sociétés technologiquement avancéeset des droits humains élémentaires qui ne sont pas encore respectés, surtout dansdes situations de sous-développement : je pense, par exemple, au droit à la nour-riture, à l’eau potable, au logement, à l’autodétermination et à l’indépendance. »

Jean Paul II, Message pour la journée mondiale de la paix, 2003.

■ La France connaît une crise du loge-ment. Insuffisance des constructions,mutations de la société, allongementde la vie, familles monoparentales ourecomposées, résidences secondai-res, etc., autant de causes qui expli-quent une demande croissante.

■ Obtenir un logement décent est unechance pour préserver l’intimité de la

famille. C’est un facteur d’équilibrepour chacun de ses membres et depaix avec ses voisins.

■ Pour être décent, un logement doitêtre proche ou bien relié par lesmoyens de transport aux équipementscollectifs (crèches, écoles, commer-ces, services publics).

17 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Un logement

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■ L’accès au logement n’est pas aujour-d’hui un droit réellement ouvert àtous, en particulier aux travailleurs lesplus pauvres alors même que les com-munes ont l’obligation de disposer de20 % de logements sociaux. Trop peunombreux, ils sont souvent isolés etpeu intégrés dans des quartiers oùexiste une réelle mixité sociale. Onassiste à un cumul de handicaps, sou-vent accentués par une ségrégationdans les écoles, source de repli com-munautariste et conflictuel.

■ Nous sommes confrontés à des choixéthiques qui interrogent notre modèlede société, notre conception de l’urba-nisme, les cartes scolaires et le choixdes écoles que nous faisons pour nosenfants. Ce ne sont pas des questionssimples. Mais il n’y a pas d’existencehumaine sans échange entre personneset pas de vie sociale sans échange entrepersonnes différentes. Ce qui supposedes lieux de rencontre et d’animationau plus proche des quartiers, des équi-pements sportifs, des stades, des salleset des aires de jeux, ainsi qu’une aug-mentation du nombre d’éducateurs etd’animateurs. L’habitat doit être pensé

comme un espace où les échangesseront facilités.

■ Avant d’engager une réflexion sur cessujets avec les responsables des col-lectivités territoriales, il convient des’interroger, avec réalisme, sur seschoix personnels.

– Sommes-nous prêts à vivre dans unquartier non homogène et à accueil-lir des populations diverses ?

– Sommes-nous informés sur lesplans d’urbanisme, la constructionde logement sociaux, etc. ?

– Sommes-nous disposés à accepterque l’on construise des lieux d’ani-mation et que l’on donne desmoyens d’expression de proximitéen particulier aux jeunes (musique,sport, etc.) ?

Une meilleure connaissance des ques-tions relatives au logement peut aider àpréciser les initiatives à prendre,notamment pour soutenir les associa-tions qui œuvrent afin que des loge-ments soient accessibles à tous.

DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Un logement � 18

II. Un projet pour notrepays : être solidaires

Leprojet de vie de chacun s’inscrit dans la France d’aujourd’hui. Un pays detaille moyenne, riche de son histoire, de sa culture et d’une populationaux origines extrêmement diverses, ayant la chance de vivre ensemble

dans un état de droit.

Élaborer et proposer un projet pour notre pays, c’est prendre tout cela en compte.C’est aussi viser à construire un monde plus solidaire et choisir un développement quin’hypothèque pas les générations futures.

La démocratie est un cadre privilégié pour y parvenir. Elle a ses exigences. Si nousvoulons qu’elle joue son rôle dans une société où l’on soit tout simplement plus heu-reux, il nous faut les connaître et les préserver.

� « La démocratie a besoin de vertu, pour les dirigeants comme pour les citoyenseux-mêmes. Elle a besoin d’une éthique qui repose sur un système de valeursessentielles : la liberté, la justice, l’égale dignité des personnes – ce que nousappelons le respect des droits […] La notion de citoyenneté ne se réduit pas auseul contrôle, à intervalles réguliers, des responsables politiques choisis aurythme d’élections successives […] La politique est l’œuvre de tous. Il est vaind’attendre de la classe politique, des chefs d’entreprise, des policiers, desmagistrats et des détenteurs de pouvoir… un civisme qui ne serait pas celui del’ensemble de la population. »

Commission sociale des évêques de France,Réhabiliter la politique, 19, 1999.

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Articuler les droits etles devoirs de chacun

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� « Dans la vie en société, tout droit conféré à une personne par la nature créechez les autres un devoir, celui de reconnaître et de respecter ce droit […] Ceuxqui, dans la revendication de leurs droits, oublient leurs devoirs ou ne les rem-plissent qu’imparfaitement, risquent de démolir d’une main ce qu’ilsconstruisent de l’autre. »

Jean XXIII, Pacem in terris, 55, 1963.

Être solidaires, c’est vivre en alliance pour la réussite de son pays, mais aussi deson quartier, de son village, de sa ville, de sa région, de son entreprise… Unealliance de projets, pour les mener à bien ensemble, dans la mesure de ses for-

ces et de ses talents. Les chrétiens savent combien l’alliance est importante dans lamarche d’un peuple. Elle conjugue à la fois l’incertitude et la confiance mutuelle.L’alliance renvoie chacun au respect des droits et des devoirs qui la fondent.

DROITS ET DEVOIRS :DEUX IMPÉRATIFS POUR LADIGNITÉ DE L’HOMME

Droits et devoirs s’articulent■ pour que chacun trouve sa place dans

le monde, grâce à la vie en famille, autravail, à un logement adapté, grâce àun jeu de relations sociales entre tou-tes les catégories de la société ;

■ pour que chacun bénéficie tout aulong de son existence, d’une forma-tion conforme à ses capacités ;

■ pour que chacun accède aux soinsmédicaux ;

■ pour que chacun vive dignement sansdiscrimination, quelles que soient sacondition, son origine ou sa religion ;

■ pour que chacun bénéficie d’une retrai-te et des ressources suffisantes pourentrer avec sérénité dans la vieillesse.

Droits et devoirs s’articulent■ pour que chacun accepte de vérifier les

exigences de son appartenance à unecommunauté nationale, notammentpar une participation à l’impôt et auxdifférentes cotisations sociales ; payerl’impôt est une marque de citoyenneté ;

21 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Articuler les droits et les devoirs de chacun

■ pour que l’État crée les conditionsfavorables à la vie associative, à l’exis-tence de corps intermédiaires et auxstructures de proximité. Il lui revientde les consulter régulièrement, de lesaider par des subventions alors quebien souvent les administrations pour-suivent en général leur logique pro-pre, complexe et éloignée de laréalité. On ne peut pas tout demanderà l’État. Aussi il revient à chacun deprendre des initiatives, de rejoindredes associations qui lui permettent demener à bien des projets selon sescentres d’intérêt (comités de quartier,syndicats, commissions diverses,clubs sportifs…) ;

■ pour que chacun soutienne ceux quis’engagent en politique en participantaux décisions qui concernent sa com-mune, son département ou sa région.Mettre ses compétences et son tempsau service de telles instances, c’estœuvrer pour le bien commun et peserpour plus d’équité dans le développe-ment et la répartition des richesses. Cesont des lieux où l’on travaille à l’éga-lité de tous face aux lois sociales, àl’école, à la justice, à la force publique ;

■ pour que chacun se propose commeun devoir de faire attention aux autreset de ne pas hésiter à intervenir demanière citoyenne (dans les conflitsde voisinage, les incivilités et en biend’autres domaines) ;

■ pour que chacun ait un grand respectde la liberté de conscience et de laliberté religieuse dans un esprit detolérance et d’ouverture.

L’ÉTAT ET LES POUVOIRS PUBLICS

Ils ont un rôle essentiel pour que l’arti-culation entre droits et devoirs favorisela solidarité et la fraternité. Il fautattendre de l’État des mesures qui

garantissent l’intérêt général et courentsur le long terme, au-delà des échéan-ces électorales.

La mondialisation, les mutations tech-niques, les changements culturels,l’inscription dans l’Europe font que lesfonctions de l’État ont évolué. L’Europeest désormais une communauté de des-tin et une institution originale dont nousfaisons partie intégrante ; dans certainsdomaines, 75 % de la législation fran-çaise est directement ou indirectementcommandée par des décisions euro-péennes. Notre pays est, d’autre part,engagé depuis plus de vingt ans dansun processus de régionalisation et dedécentralisation qui appelle une évalua-tion puisque se trouvent modifiés le rôlede l’État et celui des collectivités ter-ritoriales.

Pour que grandisse notre participation àla conduite du pays, c’est toute unedémarche de concertation et de dialogueentre élus et population qui doit s’ampli-fier. Certes il revient aux élus, aux partispolitiques, aux syndicats, voire aux Égli-ses, d’engager des débats sur la réformedu système éducatif, sur le respect del'environnement, sur le financement deséquipements sportifs ou des centres desoins, le temps de travail, etc. Mais l'ad-hésion des citoyens à la vie politique serenforcera si, sur les grands enjeux de lavie collective, la démocratie est organi-sée de telle manière que les opinions seconfrontent avec réalisme pour parvenirà un consensus conforme à l’intérêtgénéral. Il est urgent d’accueillir toutesles suggestions et de créer un climatd’estime entre tous.

LES MÉDIAS

Ils ont un rôle éminent à jouer en cesens. L’information permet de mieuxcomprendre le monde où nous vivons.Elle est une chance pour découvrir les

DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Articuler les droits et les devoirs de chacun � 22

enjeux des propositions et des déci-sions. Elle permet un rapprochemententre les personnes et entre les peu-ples. Elle favorise l’émergence d’uneopinion publique nationale et mondiale.

S’informer est un devoir. L’informationdemande à être confrontée, analysée,mise en perspective. Les nouveauxmoyens de communication, en particulierInternet, permettent d’atteindre desbanques de données, de croiser des infor-mations, de prendre du recul et de ne pasen rester au seul niveau émotionnel.

La vérité et la transparence demeurentdes principes essentiels. L’informationne peut être fondée sur la seule libertéd’expression mais sur la recherche de lavérité et de l’objectivité. On doit êtreattentif à ses conséquences quand elleporte atteinte à la paix sociale, attise lapeur de l’avenir ou pénètre indûmentdans l’intimité des personnes.

L’information a un coût. Il est donc nor-mal de soutenir les médias qui semblentles meilleurs en sachant qu’il dépend dechacun qu’ils soient plus libres à l’égard

de l’audimat et des impératifs financiers.Il nous revient également d’intervenirauprès des responsables pour faire con-naître ce que les chrétiens souhaitent voirpromouvoir en matière de programmes,de débats, de divertissements.

LA JUSTICE

Comme bien d’autres services de l’État,elle contribue à la solidarité entre tous.Elle garantit le respect de la dignité detout être humain.

Cette garantie passe par le respect dusecret de l’instruction et par la distancequ’elle doit garder à l’égard des médias.

Il revient à la Justice de veiller à ce queles peines infligées permettent aux cou-pables de se réinsérer, à terme, dans lasociété, ce qui suppose que soient don-nés à l’administration pénitentiaire lesmoyens nécessaires.

La Justice ne peut être le lieu d’expres-sion de la haine, de la vengeance ou êtreconsidérée seulement comme un moyend’obtenir des compensations financières.

23 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Articuler les droits et les devoirs de chacun

Pour articuler les droits et les devoirs de chacun à tous les niveaux de la viesociale, des mesures difficiles sont à prendre. Pour y parvenir et stimuler lecourage de chacun selon sa place et ses responsabilités il importe d’informer, deconsulter, de montrer les enjeux. Si l’on s’engage sur ce chemin avec détermi-nation, chacun, acceptera mieux ce qui aura été décidé de manière légitime. Lasolidarité, fondée sur la démocratie parlementaire et la démocratie participative,est un devoir essentiel auquel les intérêts particuliers doivent se ranger. Ladifférence des analyses et des approches qui existent au sein de notre pays, ladifférence des souhaits et des modes de vie représente une richesse d’initiatives,de projets et de réalisations dont nous pouvons être fiers et dont nous avons tousà tenir compte pour élaborer un projet national.

Vivre ensembleavec des générationsdifférentes

L’évolution démographique a de profondes implications sur notre manièred’envisager le cours d’une existence. Nous vivons aujourd’hui de plus enplus longtemps. La succession des générations n’est plus à considérer

comme la disparition de la précédente. Il est fréquent que trois ou quatre généra-tions d’une même famille vivent au même moment une existence active.

La démographie et la science permet-tent de dire que ce phénomène s’accen-tuera dans les prochaines décennies.C’est une évolution dont les conséquen-ces n’ont pas toutes été prévues. Elleremet en cause les dispositifs collectifsqui assurent la solidarité. Elle laissepercevoir de nouveaux défis à relever(retraites, assurance maladie, maisonsde retraite, accompagnement des per-sonnes, etc.). Mais elle génère aussides emplois nouveaux dans les serviceset participe pour une part au dévelop-pement de l’industrie touristique.

INVENTER UN PACTEINTERGÉNÉRATIONNEL

fondé sur le dynamisme des jeunes quiaspirent à prendre leur place comme desadultes responsables dans la société sansque, pour autant, les seniors n’aient às’éclipser.

La famille, premier lieu de la transmis-sion, est naturellement le lieu privilégié

où se noue un « vivre ensemble » et uneentraide entre trois et parfois quatre géné-rations.

L’échange des savoirs représente une véri-table révolution culturelle quand despetits enfants initient leurs grands-parents à l’informatique, et qu’eux-mêmes, libérés de la responsabilitéparentale, initient les jeunes à la traditionfamiliale dont ils sont porteurs et propo-sent des repères moraux que les parentsn’osent pas toujours transmettre.

D’autres possibilités d’échange existent: services rendus aux parents qui tra-vaillent, accueil d’étudiants dans desappartements devenus trop spacieux,une manière également de remédier àune trop grande solitude de personnesâgées.

L’intergénérationnel comporte biend’autres atouts pour développer la soli-darité entre tous ; il faut veiller à le met-tre en valeur.

25 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Vivre ensemble avec des générations différentes

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Il importe cependant d’être attentif à cequ’implique l’évolution démographiqueà laquelle nous assistons en étant soli-daires :

■ pour reconnaître que les jeunes géné-rations ne peuvent en assumer seulesles conséquences économiques (retrai-tes, sécurité sociale, etc.),

■ pour ouvrir aux jeunes le monde du tra-vail et des responsabilités profession-nelles, leur offrir des possibilités delogement pour eux et leur famille. Desinitiatives doivent être prises par toutesles institutions de notre pays (munici-

palités, entreprises, banques, assuran-ces). Elles réduiront le sentiment deprécarité qui habite et paralyse trop dejeunes. Les autorités politiques ont àprivilégier la part d’investissements liésaux jeunes générations (notammentdans le domaine de l’éducation et de laformation permanente).

■ pour accepter que les retraités, sui-vant leurs possibilités, continuent dejouer un rôle social. Il nous revientd’inventer avec eux des voies afin queleur expérience soit mieux mise à ladisposition de tous.

DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Vivre ensemble avec des générations différentes � 26

� « Ne nous trompons pas sur ce que nous devons entendre par notre indépen-dance. Il y a, en effet, une sorte de liberté corrompue dont l’usage est communaux animaux comme à l’homme et qui consiste à faire tout ce qui plaît. Cetteliberté est l’ennemie de toute autorité. Elle souffre impatiemment de toute règle.Avec elle, nous devenons inférieurs à nous-mêmes. Elle est l’ennemie de la véritéet de la paix et Dieu a cru devoir s’élever contre elle. Mais il est une liberté civileet morale qui trouve sa force dans l’union et que la mission du pouvoir lui-mêmeest de protéger. C’est la liberté de faire sans crainte ce qui est juste et bon. Cettesainte liberté, nous devons la défendre dans tous les hasards et exposer, s’il lefaut, pour elle notre vie. Ce diagnostic d’hier n’est-il pas capable de nous éclairerencore aujourd’hui ? »

Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835.

Vivre avec les autrespeuples du monde

Par l’ouverture des frontières aux biens, aux services et aux personnes, nousvivons désormais dans un monde où chaque pays est en interdépendance avecles autres. Que ce soit en Europe ou avec l’ensemble des pays des autres

continents, des devoirs et des droits nouveaux apparaissent. La solidarité se jouedans une relation de réciprocité tant sur le plan économique que politique, culturelet spirituel.

Pour relever les défis posés par la pauvreté, par le développement inégal, par lerisque d’épuisement des ressources en eau ou en énergie, par un environnement nonrespecté, et par les nouvelles guerres à connotation religieuse ou culturelle, il esturgent d’oser inventer des politiques nouvelles construites sur de nouveaux modesde solidarité.

SOLIDAIRESSUR LE PLAN ÉCONOMIQUE

Aucun pays ne peut répondre aujour-d’hui à lui seul aux nombreux besoinsde sa population. La répartition des ter-res, celle de l’eau, la protection durenouvellement des espèces animales,la production des biens manufacturés,l’accès aux divers marchés du Nord, du

Sud, de l’Est des biens nécessaires à lavie (nourriture, eau, travail, énergie…)sont à l’échelle de la planète. L’écono-mie s’est mondialisée, la géographie del’emploi s’est élargie hors de nos fron-tières. Par ailleurs, le déficit en médica-ments et en soins, la famine, les guer-res régionales ne peuvent qu’accentuerles flux migratoires des pauvres vers les

� « C’est un strict devoir de justice et de vérité de faire en sorte que les besoinshumains fondamentaux ne restent pas insatisfaits et que ne périssent pas leshommes qui souffrent de ces carences. »

Jean Paul lI, Centesimus annus, 34, 1991.

27 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Vivre avec les autres peuples du monde

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pays plus riches. Autant de questions sidifficiles et si proches de nous qui netrouveront réponse que dans un effortbeaucoup plus important de partena-riats, d’investissements en faveur dudéveloppement des pays émergents, etd’une formation à la gouvernance et àl’éthique de tous les dirigeants poli-tiques. La mise en œuvre d’un dévelop-pement durable, le souci de mener àbien l’Agenda 21 fixé par les accordsinternationaux [2], l’effort de régulationdu commerce mondial et bien d’autresmesures doivent être honorés par lesÉtats qui comme le nôtre s’y sont enga-gés. C’est leur responsabilité. La coopé-ration et l’aide au développement dansles pays émergents sont à considérercomme une urgence. Aussi l’action desolidarité de multiples associations ani-mées par une grande générosité appelleun soutien constant de la part de l’État.Les jeunes doivent être encouragés parune formation adéquate à être de plusen plus compétents dans les relationsinternationales.

SOLIDAIRESSUR LE PLAN POLITIQUE

La complexité des questions oblige auréalisme. La France ne pourra pas, ende nombreux domaines, faire face à elleseule aux défis du monde d’aujourd’hui.L’utopie d’une gouvernance mondialene doit pas pour autant nous paralyser.L’Europe est une chance de dynamismeet de régulation à condition de doterl’Union européenne des institutionspolitiques, économiques et financièresadaptées. Sans renoncer à conduire l’avenir de notre pays, le renforcement del’Europe est donc nécessaire. Cela nesignifie pas l’effacement de l’État maisla transformation de son rôle dans leconcert des pays européens et lerespect à l’égard de l’Europe, du prin-cipe de subsidiarité [3]. Chaque étape de

cette construction demande du tempspour que la concertation puisse se réali-ser à l’intérieur de chaque nation etpour une harmonisation de l’ensemble.Mais, pour maintenir la paix et désarmerles terrorismes, la solidarité entre payseuropéens est essentielle. Concrète-ment, il est urgent que soient traités encommun des dossiers tels que ceux dela construction de la paix, de la gestionde l’énergie, de l’égalité des chances,de la sauvegarde de l’environnement,de l’avancée vers une fiscalité com-mune, du développement de la recher-che scientifique, de la définition d’unepolitique d’immigration et de dévelop-pement des pays pauvres, etc.

SOLIDAIRESSUR LE PLAN ÉCOLOGIQUE

La protection de l’environnement exigedès aujourd’hui un changement dansnos habitudes de consommation des res-sources de la terre. Elles ne sont pasinépuisables ; elles demandent pour serenouveler le respect des rythmes de lanature. Nous sommes quatre fois plusnombreux qu’il y a un siècle ; chacund’entre nous consomme quatre fois plusd’énergie et de matières premières avec,pour conséquence, un réchauffementclimatique lié aux émissions de gaz àeffet de serre qui menacent les équili-bres de la planète. Ces évolutions tradui-sent la finitude de notre terre, nosdépendances mutuelles et notre interdé-pendance avec la nature. Notre respon-sabilité collective est engagée.

Il y a déjà plus de dix ans, Jean Paul IIinvitait à ne pas « saccager par lesexcès et les désordres, le milieu natureldans lequel nous vivons » (Centesimusannus, 37) Il est donc tout à fait impor-tant de manifester notre solidarité avecles générations futures en conciliant lesexigences du développement écono-mique et celles de la protection de l’en-

DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Vivre avec les autres peuples du monde � 28

2. L’Agenda 21 estun programmed’action pour le21e siècle orientévers le dévelop-pement durable.Il a été adopté parles pays signatai-res de la Décla-ration de Rio deJaneiro en juin1992. Ses princi-pales fonctionssont la luttecontre la pauvretéet l’exclusionsociale, la pro-duction de bienset de servicesdurables,la protection del’environnement.

3. La subsidiaritéest un principeselon lequel « les attributionsdont les particu-liers sont capa-bles de s’acquit-ter de leur propreinitiative et parleurs propresmoyens, ne peu-vent être transfé-rées à la commu-nauté, sous peinede commettreune injustice etde troubler demanière trèsdommageablel’ordre social »,Pie XI, Quadra-gesimo anno,203.

vironnement. Là résident de nouveauxdéfis. Aussi, tout en respectant le prin-cipe de précaution, la science doit êtreencouragée par une politique auda-cieuse à développer les connaissances,en étant attentive à éliminer les dangersde ses innovations.

Il s’agit d’inventer un mode de dévelop-pement durable pour que la terre soithabitable demain, pour que la biodiver-sité soit respectée aujourd’hui et pourque l’héritage des cultures des peuplessoit un patrimoine protégé.

SOLIDAIRESSUR LE PLAN CULTUREL

Notre pays a toujours été un peuple plu-riel et brassé. La France s’est enrichie demigrations successives. Une grandediversité d’ethnies, de cultures et de reli-gions existe désormais dans notre pays,venues d’Afrique, d’Asie, d’Europe del’Est. Le sens de l’homme qui habitechacune peut enrichir l’ensemble. Lesinitiatives prises pour favoriser leurs ren-contres, et qui sont déjà nombreuses, nesauraient être empêchées par des dis-cours ou des décisions qui suscitent lapeur et incitent au repli communautaire.

Il est normal qu’un pays définisse unepolitique d’immigration. Cette régula-tion doit cependant préserver un droitd’accueil aux réfugiés politiques et auxpersonnes dont la sécurité est menacéedans leur pays d’origine. Elle doit s’em-ployer également à lutter contre lesmafias et autres circuits d’immigrationclandestine.

Nous ne maîtrisons pas les contours dela société nouvelle que nous voyons naî-tre, mais nous pouvons en être les bénéficiaires à des conditions qui res-tent à définir. Immense chantier pour le

siècle qui s’ouvre. Un chrétien ne peutfermer sa porte à l’étranger.

SOLIDAIRESSUR LE PLAN SPIRITUEL

La mise en lumière de valeurs fondatri-ces, comme le respect de la personnehumaine et de ses droits fondamentauxou encore la reconnaissance de ladignité de chacun, contribue à forger unétat d’esprit et à développer le sens dubien commun.

Elle invite à vivre en cohérence avec saconscience et se mesure dans la volontéde servir les autres ; le service est unvéritable choix spirituel qui éclaire lesdécisions et le mode de vie que nousvoudrions promouvoir pour un « mieuxêtre ensemble ». Il est un moyen pourfaire l’unité entre la vie personnelle et lavie sociale dans le respect de la libertéde chacun.

Ce n’est pas l’accumulation des biensmatériels, la recherche de responsabili-tés multiples ou la dispersion en demultiples activités qui permettent detrouver un équilibre de vie.

La dimension religieuse de l’être humainn’est pas une entrave dans le dialogueavec les autres. Aussi peut-on souhaiterune approche positive de la laïcité quigarantisse l’existence des religions et desfamilles spirituelles. Le respect des aspi-rations religieuses et éthiques appelle desdialogues réalistes entre les croyants. Ilserait normal qu’ils soient institutionnel-lement organisés (par exemple dans lecadre des conseils économiques etsociaux ou des comités d’éthique en élar-gissant leurs compétences, ou en mettanten place des instances qui réunissent desreprésentants des confessions religieuseset des divers courants de pensée).

29 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Vivre avec les autres peuples du monde

III. Se mettre en marche

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Nous avons la chance de vivre dans un État de droit et d’hériter d’une longuepratique de la démocratie. La démocratie se vit à travers des institutions,mais elle se construit d’abord sur un état d’esprit, précieux et fragile. Elle

suppose des citoyens vertueux qui ont conscience de leurs droits et de leurs devoirs.Chacun a une possibilité d’action. Mesurons-la et nous constaterons que seul ouavec d’autres, nous avons prise sur ce qui nous entoure. Il revient à chacun d’agiravec courage, confiance et dans le dialogue.

LE COURAGE

Le courage consiste à refuser tout fata-lisme dans l’adversité et tout report surles autres de ses propres responsabilités.La démocratie ne peut vivre que si descitoyens actifs la font vivre, des citoyensqui s’informent et qui apportent leursidées dans des lieux de concertation,sans peur de la confrontation.

■ Courage pour s’informer sur les sujetsimportants qui nous tiennent à cœur,sans oublier ceux qui tiennent à cœuraux autres.

■ Courage pour écouter des personnesde sensibilité différente.

■ Courage pour agir, sortir de chez soi,de son quartier, susciter ou partagerdes moments de réflexion en famille,dans notre paroisse, nos mouvementset nos relations.

■ Courage pour choisir en sachant quetout n’est pas possible. Les critèresde choix se réfèrent à la consciencemais aussi au bien du plus grandnombre, au bien des plus pauvres.

■ Courage pour déléguer. Chacun doitaccepter de confier à d’autres la partde pouvoir qui lui revient pour menerà bien un projet au service de tous.

■ Courage pour dire la réalité sansdétours, spécialement quand on esthomme ou femme politique, expliquerles projets, leur nécessité et leurs dif-ficultés.

LA CONFIANCE

La confiance règle les relations mutuel-les et les contrats. Elle établit un climatde paix et d’espérance que chacunessaye de ne pas décevoir. La confianceest un principe majeur de la vie sociale

31 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Se mettre en marche

et de la démocratie. Nous sommes tourà tour au service les uns des autres, enfamille comme dans l’entreprise, à l’école, dans la rue, dans les adminis-trations, des plus modestes aux plussavants d’entre nous.

■ Confiance envers ceux qui exercentune responsabilité au service du pays,d’une entreprise ou d’une administra-tion. Il est normal qu’ils puissentcompter sur la confiance que nous fai-sons à leur jugement, à leur autorité età leur pouvoir de décision. Il est justeque nous leur demandions d’être com-pétents et efficaces. Nos questionsdoivent porter sur les enjeux des déci-sions et sur les qualités humaines despersonnes qui assument des responsa-bilités difficiles. Mais il n’est pas justeque nous les discréditions à chaquefois qu’ils ne prennent pas les déci-sions qui auraient servi notre intérêtparticulier. Soutenir celles et ceux quise présentent n’est pas favoriser leurconquête du pouvoir, c’est accepterqu’ils exercent un pouvoir pour servirle pays.

■ Confiance envers ceux qui veillent surnotre sécurité. La sécurité à laquellenous aspirons, demande la vigilance ;ce n’est pas pour autant se surveillerdans une attitude de soupçon et deméfiance. La confiance passe par uneéducation au respect mutuel fondésur la loyauté. Elle demande à chacunde savoir user de sa liberté en la sou-mettant au bien de l’ensemble. Aussiles relations entre la police, la justiceet la population doivent-elles fairel’objet d’une attention particulière.

■ Confiance à l’égard de la presse lors-qu’elle facilite la perception desenjeux des événements et des choixqui sont à faire.

■ Confiance en la population de notrepays. Elle est riche de générosité, d’imagination, d’humour et de volonté.Portons un regard bienveillant sur lasociété moderne dans laquelle nousvivons. Elle offre des possibilitésimmenses. Des hommes et des fem-mes de toutes origines, intelligents etpassionnés par l’avenir du monde, tra-vaillent dans les centres de recherche,les universités, la fonction publique,les entreprises, les associations, lapresse, les partis politiques, les syndi-cats, etc. : autant de lieux où les forcesde propositions, d’initiatives, de réali-sations prennent corps. Établissons laliste de tout ce que nous voyons pro-gresser. La réussite de tous dépend dela compétence acquise par chacunmais aussi de la confiance que nousnous accorderons mutuellement.Soyons attentifs à soutenir les réalisa-tions concrètes mises en œuvre pour lebien d’une cause, d’une ville, d’unerégion de France ou d’Europe.

LE DIALOGUE

La société civile s’exprime en une mul-titude d’associations qui foisonnent d’i-dées et d’initiatives. Des lieux deconcertation et de dialogue existent :dans les régions et les « pays » parexemple, où des délégués sont invités àdes conseils de développement ; il estimportant de le faire savoir, et de mon-trer comment il est tenu compte despropositions qui sont faites.

Vivre ensemble dans nos différences,c’est bien sûr prendre le risque quesoient contestés une proposition ou unprojet. Mais c’est aussi s’enrichir d’idées nouvelles, aller à la rencontre d’unassentiment et parvenir à un consen-sus. Gouverner un peuple, ce n’est pas

DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Se mettre en marche � 32

décider seul. C’est observer, analyser,proposer, informer, écouter et décider.Les responsables politiques, les univer-sitaires, les corps intermédiaires ont àengager des débats avec la populationdans un grand souci de vérité et depédagogie.

La démocratie ne se fonde pas sur la loidu plus fort, ou sur la crainte de celuiqui hausse le ton. Elle respecte desminorités qui auraient souhaité qued’autres options soient faites ; minoritésdont la grandeur est d’accepter les déci-sions prises sans entraver l’autorité légi-time de ceux à qui il revient de mettreen œuvre les mesures décidées. À titreindividuel, afin d’agir en conformitéavec sa conscience, reste la possibilitéde l’abstention.

L’État est tenu à s’engager dans ladurée. Les débats qu’il lui revient d’ini-tier doivent se centrer sur des questionsfondamentales pour la société et nonpas se finaliser sur la volonté de pro-

duire une réglementation valable danstoutes les situations. D’autre part, si lamise en œuvre de lois votées n’est paspossible, par exemple par manque definancement, il est nécessaire quel’État prenne le temps de s’expliquer.

Les manifestations de rue sont autant leconstat d’un échec du dialogue qu’unappel au dialogue. Elles laissent appa-raître l’urgence d’une réflexion sur lesrelations entre la démocratie électoraleet la démocratie d’opinion. Leur régula-tion mutuelle appelle une fréquencerégulière de consultation et de travailavec les corps intermédiaires comme lespartis politiques, les syndicats profes-sionnels et plus largement les associa-tions de la société civile. Mais lacontestation systématique et préventivedes décisions législatives par des grou-pes de pression met en péril le biencommun ; défense d’avantages parti-culiers ou corporatistes, elle contraintsouvent à différer des décisions ou desréformes pourtant urgentes.

33 � DOCUMENTS ÉPISCOPAT – N° 11/2006 – Se mettre en marche

� « C’est par le libre don de soi que l’homme devient authentiquement lui-même,et ce don est rendu possible parce que la personne humaine est essentiellementcapable de transcendance. L’homme ne peut se donner à un projet seulementhumain sur la réalité, à un idéal abstrait ou à de fausses utopies. En tant quepersonne, il peut se donner à une autre personne ou à d’autres personnes et,finalement, à Dieu qui est l’auteur de son être et qui, seul, peut accueillirpleinement ce don. »

Jean Paul II, Centesimus annus, 41, 1991.

Le dialogue, condition majeure pour que soient véritablement pris en compte lesenjeux des prochaines élections, ne se réalisera que s’il se vit dans le respectmutuel et dans une quête obstinée de la vérité.