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Les comportements coopératifs ou antagonistes des salariés au travail dépendent fortement de leurs sentiments de justice interactionnelle, tant interpersonnelle (traitement avec politesse, respect et compassion) qu’informationnelle (explications adéquates et personnalisées, en temps et en heure). Étant donnés les effets positifs de la justice interactionnelle, il est surprenant que les managers aient tendance, lorsqu’ils ont à annoncer une décision ayant un impact qu’ils savent négatif et/ou injuste sur leurs subordonnés, à se montrer distants et à se comporter d’une façon interactionnellement injuste. Cet article traite des multiples facettes de cet effet connu sous le nom d’effet Churchill. THIERRY NADISIC HEC Pourquoi les managers ajoutent-ils de l’injustice à l’injustice? Les antécédents de l’effet Churchill DOI :10.3166/RFG.183.221-250 © 2008 Lavoisier, Paris COMPORTEMENTS DES DIRIGEANTS Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

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Page 1: Pourquoi les managers ajoutent-ils de l’injustice l’injustice? · formation par simple message téléphonique textuel (Folger et Pugh, 2002). Des mana-gers chargés d’un processus

Les comportements coopératifs ou antagonistes des salariésau travail dépendent fortement de leurs sentiments de justiceinteractionnelle, tant interpersonnelle (traitement avecpolitesse, respect et compassion) qu’informationnelle(explications adéquates et personnalisées, en temps et enheure). Étant donnés les effets positifs de la justiceinteractionnelle, il est surprenant que les managers aienttendance, lorsqu’ils ont à annoncer une décision ayant unimpact qu’ils savent négatif et/ou injuste sur leurssubordonnés, à se montrer distants et à se comporter d’unefaçon interactionnellement injuste. Cet article traite desmultiples facettes de cet effet connu sous le nom d’effetChurchill.

THIERRY NADISIC

HEC

Pourquoi les managersajoutent-ils de l’injustice à l’injustice?

Les antécédents de l’effet Churchill

DOI :10.3166/RFG.183.221-250 © 2008 Lavoisier, Paris

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I. AMÉLIORER LA JUSTICEINTERACTIONNELLE

DES COMPORTEMENTS DES MANAGERS

Des managers ayant à organiser le planningde leur journée de travail prévoient untemps étonnamment réduit pour annonceret expliquer leur licenciement à des colla-borateurs (Folger et Skarlicki, 1998). Unevariante plus brutale consiste à envoyer l’in-formation par simple message téléphoniquetextuel (Folger et Pugh, 2002). Des mana-gers chargés d’un processus de recrutementpeuvent ne pas annoncer à un candidat qu’iln’est pas retenu et le laisser attendre en vainson second entretien pendant plus d’uneheure sans jamais lui apporter ni informa-tions ni excuses (Bies et Moag, 1986). Cer-tains managers traitent leurs subordonnésde « fauteurs de trouble » ou de « traîtres »à l’occasion de leurs entretiens de perfor-mance (Bies, 2001). D’autres montrent unegrande distance vis-à-vis de leurs collabo-rateurs au moment d’annoncer une fin denon-recevoir à leurs demandes, en particu-lier d’allocation de budget (Bies et Shapiro,1987).Ces incidents semblent courants dans lecontexte du travail (Dubet, 2006). Certainsauteurs avancent qu’ils sont caractéristiquesd’un ensemble cohérent de nouvelles pra-tiques de management appliquées dans unnombre croissant d’entreprises (Dejours,1998). Quoi qu’il en soit, ils ont en com-mun de produire chez les salariés qui ensont les victimes des sentiments d’injusticeet plus précisément d’injustice interaction-nelle (Bies et Moag, 1986). Les recherchesdans le champ de la justice organisation-nelle ont en effet distingué plusieurs typesde sentiments d’injustice (Greenberg et

Colquitt, 2005) : les sentiments d’injusticedistributive (liés à l’allocation injuste deressources ou de récompenses, par exempleune prime inférieure à ce qui est mérité,Adams, 1965), les sentiments d’injusticeprocédurale (vécus à l’occasion de la miseen œuvre de procédures injustes, parexemple un processus d’appréciation danslequel le salarié n’a pas de droit d’expres-sion ; Leventhal, 1980) et les sentimentsd’injustice interactionnelle (liés à des inter-actions sociales jugées injustes, parexemple lorsque le supérieur hiérarchiquemanque de respect à ses collaborateurs oune justifie pas une décision qui les touche,Bies et Moag, 1986). Les travaux ont mon-tré dès les années 1960 l’impact que lessentiments de justice et d’injustice ont surla plupart des attitudes et comportementsimportants au travail (Cropanzano etGreenberg, 1997).En particulier, depuis 1986, les chercheursont mis l’accent sur l’effet des sentimentsde justice et d’injustice interactionnelle(Bies et Moag, 1986 ; Colquitt et al., 2001).Il a été récemment montré que chez lessalariés, ces sentiments se divisaient en deux composantes (Colquitt, 2001 ; Greenberg, 1993a ; Shapiro et al., 1994).D’une part les sentiments d’injustice inter-personnelle concernent la forme des inter-actions et renvoient au manque de politesse,de marques de respect, à l’absence d’untraitement digne ou à la présence de com-mentaires déplacés ou dégradants (parexemple racistes ou sexistes). On y ajouteparfois un manque de soutien émotionnel etla présence d’actions d’intimidation ou demanipulation (Greenberg, 2006).D’autre part les sentiments d’injusticeinformationnelle concernent le contenu des

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interactions, c’est-à-dire les informationssur les procédures utilisées pour prendredes décisions (Colquitt, 2001 ; Greenberg,2006). La communication est-elle franche?Les explications et justifications sont-ellespertinentes et complètes ? Les informationsoffertes ont-elles un niveau de détail suffi-sant ? Les informations sont-t-elles trans-mises en temps et en heure? Sont-elles présentées d’une façon adaptée à l’interlo-cuteur ? L’autorité responsable prend-t-ellele temps nécessaire pour expliquer la situa-tion ? Reste-t-elle accessible? Il a été mon-tré que les deux composantes interperson-nelle et informationnelle ont des effetsindépendants et additifs sur les réactionsdes salariés au travail (Greenberg, 1993b,1994 ; Colquitt et al., 2001).La recherche sur la justice interactionnelle apar ailleurs distingué ses deux sources prin-cipales : l’organisation dans son ensemble(par exemple les salariés peuvent avoir dessentiments d’injustice interactionnelle à lalecture des médias de communicationinterne) et le supérieur hiérarchique lui-même (Byrne, 1999). Il a été montré que lajustice interactionnelle ayant pour source lemanager direct est un prédicteur beaucoupplus important d’attitudes et de comporte-ments à l’encontre à la fois de l’organisa-tion et des managers que la justice interac-tionnelle ayant pour source l’organisation(Rupp et Cropanzano, 2002). Concrète-ment, la justice informationnelle et la jus-tice interpersonnelle ayant pour source lemanager prédisent l’évaluation des figureset des systèmes d’autorité, la confiance, lacitoyenneté organisationnelle vis-à-vis desresponsables, l’engagement organisation-nel, la satisfaction au travail, la satisfactionvis-à-vis des récompenses, les démissionsainsi que de nombreuses réactions néga-

tives comme le sabotage (Bies, 2001 ; Colquitt et al., 2001).Selon les résultats de plusieurs études (Lindet Van den Bos, 2002 ; Skarlicki et Folger,1997 ; Van den Bos et Lind, 2002) c’est enparticulier dans des situations négatives etincertaines que les subordonnés apprécientle plus et réagissent le mieux à un traite-ment interactionnel juste. Le caractère justeou injuste des procédures et des interactionsn’a en revanche que très peu d’impact dansdes situations où la décision est favorableau salarié (Brockner et Wiesenfeld, 1996,2005). Or les exemples que nous avons pré-sentés montrent que c’est justement dansles situations les plus difficiles (un licencie-ment, un non-recrutement, une appréciationnégative, un refus d’allouer le budgetdemandé) que les managers semblent êtreenclins à se comporter d’une façon interac-tionnellement injuste. Étant donnée à la foisl’importance reconnue de la justice interac-tionnelle des managers et le caractère appa-remment courant de pratiques interaction-nellement injustes de leur part, il sembleutile de s’interroger sur les facteurs pouvantfavoriser des comportements plus justes. Orla perspective de recherche la plus habi-tuelle a consisté à étudier les effets des sen-timents de justice et d’injustice. Ce n’estque récemment que des chercheurs ontappelé à étudier aussi les causes des com-portements justes et injustes (Colquitt etGreenberg, 2003). Seules quelques rarestentatives ont été faites jusqu’à présent pouridentifier ces causes pour ce qui est de lajustice interactionnelle (Folger et Skarlicki,1998 ; Gilliland et Schepers, 2003 ; Korsgaard et al., 1998 ; Nadisic et al.,2007 ; Patient et Skarlicki, 2007). Le pré-sent article vise à se fonder sur ces quelquestravaux afin d’apporter une réponse à la

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question des facteurs explicatifs des com-portements de justice et d’injustice interac-tionnelle des managers.Dans un premier temps, le mécanisme psy-chologique lui-même, dénommé effet Chur-chill, permettant d’expliquer comment unmanager devient interactionnellementinjuste sera décrit. Dans un second temps,nous présenterons sous la forme d’unematrice synthétique une théorisation nou-velle des facteurs permettant de prédirel’effet Churchill à la fois en termes de situa-tion et de différences interindividuelles.Nous distinguerons en particulier l’impactde ces facteurs sur les dimensions informa-tionnelle et interpersonnelle de la justiceinteractionnelle. Cela nous amènera à préci-ser dans un troisième temps les leviersd’action managériale que notre analyseimplique. Enfin, nous tirerons de notre tra-vail des conclusions plus générales et nousen montrerons les limites en nous référantaux notions de légitimité des pratiquesmanagériales et de différences intercultu-relles.

II. L’EFFET CHURCHILL:COMMENT LES MANAGERS

DEVIENNENT-ILSINTERACTIONNELLEMENT

INJUSTES?

Les pratiques de management interaction-nellement injustes sont les pluscourantes lorsque les responsables doiventmettre en œuvre ou annoncer des décisions

défavorables. Par exemple les managerssont plus enclins à se comporter de façoninteractionnellement injuste que juste lors-qu’ils licencient leurs subordonnés. PourDejours (1998, p. 94) de nouvelles normesmanagériales sont mises en place dans denombreuses entreprises où des cadres « unmatin, ne peuvent pénétrer dans leur bureaudont la serrure a été changée » et ont à faireface à un « licenciement sans préavis, sansentretien ». Des salariés d’une grandebanque ont appris leur licenciement lorsd’une réunion de l’ensemble du personnelau cours de laquelle les dirigeants ont lupubliquement la liste des noms des per-sonnes licenciées. Chez un équipementierautomobile, ce sont des gardes armés quiont donné cette information aux salariés enleur tendant une boîte contenant leurs effetspersonnels. Dans une université, c’est parune lettre du président menaçant de leursupprimer leur rémunération s’ils ne coopé-raient pas avec le bureau d’outplacementque les personnels ont appris leur licencie-ment. Ces pratiques sont souvent accompa-gnées d’une dévalorisation des victimes.Après des licenciements menés de façonhumiliante, les managers d’une entreprisede hautes technologies ont annoncé :« maintenant on est débarrassé de tous lestocards ! » (Folger et Pugh, 2002, p. 172).Une étude de 543 managers en ressourceshumaines a montré que de tels comporte-ments injustes dans ces circonstancesétaient habituels1 (Gilliland et Schepers,2003). 25 % des répondants ont reconnu

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1. Les résultats de cette enquête doivent être considérés comme étant conservateurs. En effet d’une part, le taux deréponse à l’enquête était faible (22 %), cela pouvant être dû à une réticence à répondre pour les managers s’étantcomporté de façon injuste. D’autre part, les managers qui ont répondu ont pu biaiser leurs réponses dans un sensplus socialement désirable. Pour ces deux raisons, les managers apparaissant s’être comportés justement sont doncprobablement sur-représentés dans les résultats.

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qu’ils avaient déjà escorté les salariés endehors de l’entreprise immédiatement aprèsles avoir informés de leur licenciement (et4 % ont même reconnu le faire de façonsystématique). De plus, 33 % ont indiquéque c’est à un autre salarié qu’ils ontdemandé de ranger l’espace de travail dusalarié licencié pour prévenir tout sabotage.Enfin, 39 % ont reconnu que leur compor-tement lors du licenciement était soit stric-tement professionnel, soit poli mais distant.Ces pratiques ne sont pas limitées à ce typeparticulier d’événement. Ils sont égalementcourants pour des décisions de recrutement(Bies et Moag, 1986 ; Nadisic et al., 2007),des appréciations de performance (Taylor et al., 1995), des diminutions de budget(Bies et Shapiro, 1987) ou des situations oùdes responsables ont à répondre à des accu-sations publiques, par exemple sur la sécu-rité de leurs produits (Folger et Skarlicki,2001). Plus généralement « le mépris, lesgrossièretés et les obscénités » seraient uti-lisés de façon très habituelle à l’encontredes salariés dans de nombreuses entreprises(Dejours, 1998). Pour Dubet (2006, p. 445)« “ceux d’en haut”, les cadres […] traitent“ceux d’en bas” comme une humanité infé-rieure, comme des personnes qui n’auraientni les mêmes besoins, ni les mêmes aspira-tions que les autres, comme des travailleursindignes, invisibles et interchangeables.À des degrés divers, ce sentiment d’injus-tice là se diffuse et s’étend à toute la struc-ture sociale ». Bref « les temps durs font lesmanagers durs » (Folger et Skarlicki, 1998).Le fait pour un manager de se mettre à distance psychologique de ses subordonnésen allant jusqu’à les dénigrer lorsqu’il leur annonce une décision qui a un impact négatif, ce qui amène ces subordonnés à

ressentir des sentiments d’injustice inter-actionnelle, a été appelé l’« effet Churchill »(Folger, 1993, Folger et Skarlicki, 1998 ;Folger et Skarlicki, 2001 ; Folger et Pugh,2002).Cette dénomination vient du télégrammeque Winston Churchill a envoyé à l’ambas-sadeur du Japon à Londres pour déclarer laguerre au Japon en 1941. La lettre était sidétaillée, polie et respectueuse qu’elle a eupour conséquence une forte protestation de la part de la population britannique.Churchill eut à se justifier : « Lorsqu’ilvous faut tuer un homme, cela ne vouscoûte rien d’être poli. » (Churchill, 1950,p. 611). En fait la réaction de la populationmontre qu’il y a au moins un coût émo-tionnel et cognitif au fait d’être juste inter-actionnellement avec quelqu’un à qui l’onannonce une action négative qu’on est surle point de réaliser contre lui. Et ce coûtapparaît important. L’effet Churchill estune référence à cette volonté qu’ont eu lesBritanniques de se mettre à distance psy-chologiquement des Japonais et à cettedemande faite à leur leader d’agir de lamême façon (Folger, 1993).Lorsqu’un manager met en œuvre un pro-cessus de décision qui a des conséquencesdéfavorables pour ses subordonnés, il saitqu’il participe à produire chez eux unesouffrance. Cela rend la situation tendue :l’identité sociale des victimes comme celledu responsable sont menacées et induisentun fort besoin pour chaque protagoniste de« sauver la face » (Goffman, 1971). L’es-time de soi des subordonnés est directementtouchée par l’événement négatif tandis quecelle du manager pâtit du mauvais rôle qu’ildoit jouer. Deux stratégies générales sontalors accessibles au manager (Folger et

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Pugh, 2002) : une stratégie d’approche etune stratégie d’évitement.L’option d’approche consiste à être justeinteractionnellement à la fois en justifiant ladécision et en montrant respect et compas-sion. C’est celle qui a été choisie par Churchill. C’est par exemple aussi celle quia été mise en œuvre dans une de ses usinespar le président d’une entreprise ayant duannoncer à ses salariés une diminution tem-poraire de leurs salaires de 15 % pendantprès de 4 mois pour pallier la perte declients importants. Il a à la fois montré res-pect et compassion : « cette décision dedevoir vous enlever ce que vous avez gagnépar un si dur travail me blesse » et a détailléses motifs en concluant l’échange d’uneheure et demie qu’il a eu avec les salariéspar : « la raison pour laquelle je partagetoute cette information avec vous est que jeveux que vous compreniez ce qui se passeici » (Greenberg, 1990a).La deuxième option consiste au contraire àprendre une distance psychologique et phy-sique, à la fois en donnant le moins d’expli-cations possibles et en ne montrant aucunesensibilité pour les victimes. C’est le choixque les citoyens britanniques ont massive-ment jugé comme étant le plus adéquat lors-qu’ils ont critiqué la lettre écrite par Winston Churchill. C’est par exemple aussila stratégie réalisée par le vice-président del’entreprise qui a dû imposer une baisse desalaire de 15 % à ses salariés dans une autreusine que celle où le président est inter-venu. Il a montré une distance à la fois dupoint de vue interpersonnel : « il est inévi-table que des mesures de réduction descoûts soient souvent nécessaires pour réus-sir dans notre métier » et informationnel enconcluant une intervention de seulement 15minutes auprès des salariés de l’usine par :

« je répondrai à une ou deux questions maisensuite je dois prendre un avion pour unautre meeting » (Greenberg, 1990a). C’estcette stratégie d’évitement qui a été nom-mée l’effet Churchill. La stratégie d’approche de la justice inter-actionnelle est la plus à même d’avoir àterme des conséquences favorables sur lessalariés. Elle présente cependant l’inconvé-nient de mettre le responsable face-à-faceavec des premières réactions de déceptionpotentiellement négatives. Informer ses col-laborateurs peut dans ces circonstancesapparaître comme donner des armes à lacritique. Montrer de la compassion peutaussi être vécu comme une reconnaissancede responsabilité et rendre vulnérable à desreproches d’ordre moral. Aider à restaurerla face des victimes peut ainsi faire penserau responsable qu’il prend le risque demettre la sienne propre en danger. La ten-dance observée à produire l’effet Churchillen réduisant l’adversité du contact avec lesvictimes viendrait de ce désir de protectionde sa propre identité sociale (Folger et Skar-licki, 2001). Cette stratégie d’évitementpeut aboutir à un déni de la situation réelleet à un dénigrement des victimes.En fin de compte cette stratégie présente leparadoxe de produire à long terme desconséquences beaucoup plus néfastesqu’une stratégie d’approche. En effet decette façon on rend les temps durs encoreplus durs pour les salariés. Ce n’est pasimpunément. Par exemple dans l’usine oùl’annonce de réduction de salaires a étéfaite d’une façon interactionnellementinjuste par le vice-président, les démissionsont augmenté et les vols des salariés ontpresque doublé (Greenberg, 1990a). Lesréactions des salariés peuvent être égale-ment néfastes dans le cas des licenciements

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annoncés de façon injuste. C’est en effetdans l’intérêt de l’entreprise d’éviter lesrecours en justice pour licenciements abu-sifs. Or les recherches ont montré que laraison la plus importante pour laquelle lessalariés choisissent de poursuivre leurancien employeur en justice est lorsqu’ils sesont sentis traités de façon irrespectueuseau moment même du licenciement quelqu’ait été par ailleurs le motif du licencie-ment ou le traitement reçu pendant l’en-semble de la relation d’emploi (Lind et al.,2000). L’effet Churchill apparaît donccomme une stratégie « non rationnelle dedéfense de l’ego » (Folger et Pugh, 2002).Pourtant, si cette stratégie d’évitement estcourante, il n’en reste pas moins que dansun certain nombre de cas, des managers uti-lisent tout de même la stratégie d’approchede la justice interactionnelle. Par exempleun manager peut être très à l’aise pour com-muniquer une appréciation de performancenégative (Korsgaard et al., 1998 ; Patient etSkarlicki, 2007). Il reste donc à savoir quelssont les facteurs qui rendent l’effet Churchill plus probable. Cela permettra parla suite d’identifier les moyens d’action per-mettant d’en limiter les manifestations.

III. LA MATRICE SENTIMENTS DE JUSTICE/COMPÉTENCESSOCIALES: POURQUOI LES

MANAGERS DEVIENNENT-ILSINTERACTIONNELLEMENT

INJUSTES?

Selon l’analyse que nous avons présentée,des comportements interactionnels injustesne sont donc pas le fait de responsablesintrinsèquement injustes mais d’une dyna-mique psychologique de protection de l’egoopérant dans des situations de management

difficiles. Nous aimerions à présent com-pléter cette analyse par un nouvel apportthéorique faisant un lien plus clair entrel’effet Churchill et les deux dimensions dela justice interactionnelle. Nous allonsmontrer que les facteurs les plus suscep-tibles de faire apparaître ce mécanisme dedéfense sont de deux ordres.D’une part, l’effet Churchill est le plus àmême de se produire quand la situation estnon seulement négative pour les salariésmais aussi jugée fondamentalement injustepar le manager lui-même. C’est le cas parexemple lorsqu’un manager doit licencierun subordonné pour des raisons n’ayantaucun rapport avec les compétences profes-sionnelles de celui-ci ni avec la situationcompétitive de l’entreprise (Skarlicki etFolger, 1998). C’est alors que l’identitésociale du manager est la plus menacée.Nous montrerons que dans ces circons-tances, le responsable a plus fortement ten-dance à se mettre à distance de ses salariés,en particulier du point de vue des explica-tions et justifications qu’il donne. La straté-gie d’évitement s’enclenchera donc dansune situation injuste en priorité concernantla composante informationnelle des com-portements de justice du manager.D’autre part, l’effet Churchill est le plussusceptible de se réaliser lorsque le respon-sable a des difficultés à se mettre à la placede l’autre pour comprendre ce qu’il ressentainsi qu’à donner des feedbacks clairs etconstructifs à son équipe. Ces deux élé-ments ne relèvent pas non plus d’une per-sonnalité injuste mais d’un manque de com-pétences sociales dont les recherches ontmontré qu’elles étaient sensibles à deseffets d’apprentissage (Korsgaard et al.,1998 ; Lin et al., 2004 ; Nota, 2003 ; Sanz deAcedo Lizarraga et al., 2003). En situation

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de manque de compétences sociales, mêmeune situation difficile qui n’est pas néces-sairement injuste peut entraîner le managerà faire appel à une stratégie d’évitement. Ilaura alors tendance à se mettre à distanceplutôt du point de vue de la sensibilité qu’ilmontrera vis-à-vis de ce que vivent sessubordonnés. L’impact de l’effet Churchillse réalisera alors en priorité sur la compo-sante de justice interpersonnelle des com-portements du manager.Le croisement du facteur situationnel dusentiment de justice des managers concer-nant la situation de leurs subordonnés et du

facteur interindividuel lié à leurs compé-tences sociales nous permet de produireune typologie des comportements desmanagers qui rend compte des variationsdans la force de l’effet Churchill (voirtableau 1).

1. Stratégies d’évitement informationnelet sentiments d’injustice des managers

Le fait que l’effet Churchill soit renforcélorsque le manager doit mettre en œuvredes décisions injustes ayant des consé-quences néfastes sur les salariés est avérépar des résultats empiriques. Une expé-

228 Revue française de gestion – N° 183/2008

Tableau 1 – Les antécédents des comportements de justice interactionnelle des managers

Sentiments de justicedes managers

Compétencessociales desmanagers

Faible niveau de compétences sociales

Haut niveau de compétences sociales

Situation défavorable pour lessubordonnés jugée juste

Comportement avec un faibleniveau de justice

interpersonnelle et un fortniveau de justiceinformationnelle

➜ Stratégie d’évitementinterpersonnel –

Effet Churchill modéré

Comportement avec un fortniveau de justiceinteractionnelle

(interpersonnelle etinformationnelle)

➜ Stratégie d’approcheinteractionnelle –

Effet Churchill faible

Situation défavorable pour lessubordonnés jugée injuste

Comportement avec un faibleniveau de justiceinteractionnelle

(interpersonnelle etinformationnelle)

➜ Stratégie d’évitementinteractionnel –

Effet Churchill fort

Comportement avec un faibleniveau de justice

informationnelle et un fortniveau de justiceinterpersonnelle

➜ Stratégie d’évitementinformationnel –

Effet Churchill modéré

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rience réalisée auprès de managers a mon-tré que lorsqu’ils sont conscients que c’estleur propre erreur de management qui lesentraîne à licencier un subordonné et nonles compétences déficientes de celui-ci niles forces impersonnelles du marché, ilssont plus enclins à avoir un comportementd’évitement (Folger et Skarlicki, 1998). Lesmanagers montrent alors une distance psy-chologique plus grande vis-à-vis de leurssubordonnés lorsqu’ils doivent leur annon-cer la mauvaise nouvelle. Cette distance aété opérationnalisée par la durée de l’entre-tien de licenciement prévue par le manager.Les managers dont l’erreur de managementest à l’origine des licenciements prévoientsignificativement moins de temps pour l’en-tretien de licenciement que les managersamenés à se séparer de leurs salariés pourdes raisons d’environnement de marché. Ilsprévoient donc de donner moins d’explica-tions et de justifications.Cet effet peut être conceptualisé commeune prise de conscience par le managerd’une décision injuste et un impact de cetteprise de conscience sur son comportementqui devient interactionnellement injuste.Lorsque la décision est négative mais juste,c’est-à-dire dans le cas où le licenciementest fondé sur une réelle baisse des ventes,les managers ont plutôt des comportementsd’approche et prévoient un temps suffisantpour annoncer et expliquer la décision ausalarié. Un effet équivalent a été montrédans une expérience impliquant des mana-gers qui devaient écrire une lettre de rejet àun candidat à un stage. Lorsque le candidatétait rejeté de façon injuste, par exempleparce que le poste avait été attribué par« piston », le manager écrivait alors unelettre plus courte contenant moins d’expli-

cations et de justifications sincères (Nadisicet al., 2007).Le renforcement de l’effet Churchilllorsque la décision est injuste n’a pourl’instant été empiriquement démontré quedans ces deux études mais c’est le mêmemécanisme qui est supposé exister dansd’autres cas. L’effet Churchill devrait êtreplus fort quand un manager doit faire uneappréciation de performance négative alorsqu’il n’a pas confiance dans le caractèrejuste du système d’appréciation, lorsqu’ildoit refuser une rallonge budgétaire à unsubordonné tout en ayant de sérieux doutessur la légitimité de la politique d’attributiondes budgets ou bien lorsqu’il doit commu-niquer concernant un événement qui a euimpact négatif et injuste sur des consomma-teurs (Folger et Skarlicki, 2001).On peut rendre compte du plus fort effetqu’a une situation injuste sur la volonté dumanager de protéger son identité socialemenacée par la référence à la théorie de lacroyance en un monde juste (Lerner, 1980).Selon cette perspective, les gens sont nom-breux, en tant qu’observateurs, à se mettentà distance vis-à-vis des victimes qui souf-frent injustement car être témoin de cettesouffrance leur fait ressentir une angoisse.Lerner explique que cette angoisse est due àla menace que la situation représente pourceux (la plupart d’entre nous) qui veulentcroire que le monde est un endroit juste.Pour maintenir cette croyance, les gens onttendance à dénier l’injustice elle-même. Eneffet si le monde est juste, c’est sur le fon-dement du mérite que sont distribuées lesrécompenses et les punitions. Donc on peutinférer les mérites simplement à partir de ceque chacun reçoit. Cela amène à croire queles victimes méritent ce qui leur arrive. Les

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témoins d’une injustice parviennent par cemoyen à éviter toute réflexion éthique. Ils semettent en situation de ne ressentir aucuneobligation morale à se rapprocher de ceuxqui souffrent injustement. Pancer (1988) aainsi montré que les personnes ayant uneforte croyance en un monde juste, lors-qu’elles sont placées face à une expositionprésentant des traitements injustes subis pardes enfants, afin de solliciter de leur partune aide financière, se tiennent à une dis-tance physique plus importante dans le casoù l’exposition comprend des photos. Deplus elles se souviennent moins des détailsdésagréables de ces traitements en compa-raison avec des personnes ayant un niveaude croyance en un monde juste moins fort.De cette façon leur croyance que le mondeest juste n’est pas menacée.L’effet Churchill est équivalent à l’effet dela croyance en un monde juste à ceci prèsqu’il concerne des individus qui ne sont passeulement témoins mais aussi à l’origine,ou tout au moins associés, à une injusticequi affecte les victimes. Ce qu’ils cherchentà protéger dans ce cas est leur propre imagemenacée d’une identité juste. C’est ce qui aamené certains chercheurs à désigner l’effetChurchill comme « l’effet de la croyance enun soi juste » (Folger et Pugh, 2002,p. 171.)Plusieurs autres travaux proposent des ana-lyses similaires. Milgram (1974) a identifiéle même type de stratégie de protection quel’effet Churchill chez des participants à uneexpérience qui devaient faire subir des trai-tements injustes à un sujet innocent (ils lesoumettaient à ce qu’ils pensaient être devraies décharges de courant électrique encroyant que c’était pour améliorer ses capa-cités d’apprentissage). Il a mis en évidenceles mêmes conséquences de distanciation

des participants à toute expression de souf-france de la victime. Ils allaient souventjusqu’au dénigrement après avoir adminis-tré leurs punitions injustes : « Il a été si stu-pide et borné qu’il les a bien mérités, seschocs électriques ! » (Milgram, 1974,p. 11). Dejours (1998) a de la même façonmontré comment des cadres en entrepriseadoptent des stratégies de défense permet-tant d’avoir l’illusion que le « mal » qu’ilssont amenés à commettre n’est qu’un« malheur » au sujet duquel la victime a sapart de responsabilité. Enfin, des recherchessur la honte montrent que ce sentiment peutentraîner le responsable à fuir ou à se mettreen colère contre la victime afin de restaurerune image de soi menacée par la situation(Lewis, 1971).Pour ce qui est précisément du type d’im-pact qu’a l’injustice de la situation sur lecomportement du manager, nous avons pro-posé qu’il sera plus important sur la com-posante de justice informationnelle que surla composante de justice interpersonnelle,même si les deux composantes sont suscep-tibles d’être touchées. En effet, d’une part,les résultats empiriques que nous avons pré-sentés vont dans ce sens. Les managersécrivent des lettres et accordent des entre-tiens moins longs et détaillés pour commu-niquer des décisions qu’ils savent injustes,ce qui renvoie à la notion de justice infor-mationnelle (Folger et Skarlicki, 1998 ;Nadisic et al., 2007). D’autre part, lesquelques autres travaux sur des facteurscomplémentaires à l’effet Churchill pou-vant faire varier les comportements de justice interactionnelle des managersconfirment que ce sont des variables situa-tionnelles qui ont le plus fort impact sur lescomportements de justice informationnelle(Gilliland et Schepers, 2003 ; Korsgaard

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et al., 1998). Par exemple il a été montréque la nature de l’industrie, la syndicalisa-tion de l’entreprise, les règles légalementapplicables, l’existence d’un plan que lesmanagers doivent suivre, le contrôle que lesmanagers estiment avoir et l’importancedes effectifs licenciés ont un impact sur lajustice informationnelle des licenciements(Gilliland et Schepers, 2003). Enfin, d’unpoint de vue plus théorique, Masterson et al. (2005) ont proposé que les comporte-ments de justice informationnelle obéissentà une dynamique différente et ont des anté-cédents de nature distincte par rapport auxcomportements de justice interpersonnelle.Selon ces auteurs, la justice information-nelle renvoie à l’aspect de contenu concretd’une communication et donc sont plus liésà la situation. Ces trois ensembles d’élé-ments expliquent le choix que nous avonsfait de construire notre typologie en reliantles sentiments d’injustice des managersplutôt à leurs stratégies d’évitement infor-mationnel.

2. Stratégies d’évitement interpersonnelet niveau de compétence sociale desmanagers

L’idée que les compétences sociales, quisont une caractéristique interindividuelledes managers, puisse être un facteur favori-sant l’effet Churchill prend sa source dansl’expérience quotidienne comme dans lerapprochement de plusieurs études concep-tuelles et empiriques (en particulier concer-nant les notions d’empathie et d’asserti-vité). Pour ce qui est de l’expériencequotidienne, celle-ci montre que quelle quesoit la justice de la situation, certains inter-locuteurs sont plus enclins à se comporterde façon interactionnellement injuste. Dansun contexte médical par exemple, il a été

montré que même les médecins qui étaientmotivés à aider leurs patients ne leur mon-traient pas toujours « l’empathie, la com-passion et le respect » dans la réalité d’uneconsultation en cabinet, ce qui avait unimpact négatif sur « la relation praticien-patient et sur la satisfaction du patient »(Stuart et Lieberman, 2002). Les médecinsont souvent des événements défavorables àannoncer, ce qui rend la situation tendue,même si ces événements ne sont pas res-sentis comme socialement injustes. Ceuxqui réalisent une communication réussiefont appel de façon intuitive à une méthodequi les amène à tenir compte de l’état émo-tionnel de leurs patients en plus de traiter lamaladie concrète (sans que cela prenne plusde temps que les 15 minutes allouées pourla consultation). Stuart et Lieberman ontformalisé cette méthode comme unemanière pour les praticiens d’améliorer leurefficacité professionnelle tout autant quepour avoir un impact favorable sur les juge-ments sociaux de leurs patients.De la même manière, les managers quiannoncent une décision négative à leurssubordonnés, quel que soit le caractère justeou injuste de la décision, doivent communi-quer dans une situation dans laquelle leurscollaborateurs peuvent se sentir blessés.Même si ces managers sont motivés à êtrejustes d’un point de vue interactionnel, ilspeuvent ne pas réussir à l’être concrète-ment. La motivation de se protéger par lemécanisme de l’effet Churchill peutprendre le pas sur toute autre motivationrationnelle et les entraîner à une stratégied’évitement et à un comportement interac-tionnellement injuste. Il a été suggéré quece besoin de protection ne puisse êtrecontrecarré que par des managers quisavent concrètement comment se comporter

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justement, c’est-à-dire qui ont les habiletésleur permettant de réparer la relation (Folger et Pugh, 2002). Il ne concerne pasla motivation à être juste, mais plutôt ce quirend le comportement juste possible. L’effetChurchill ne se produirait alors que lorsqueles responsables manqueraient simplementdes habiletés pratiques et actionnablesnécessaires. Ces habiletés renvoient à ce quiest appelé les compétences sociales. Lescompétences sociales sont en effet définiescomme la faculté à disposer et à utiliserhabilement de compétences cognitives,émotionnelles et comportementales defaçon à obtenir, dans une situation donnée,l’acceptation des pairs, la popularité oud’autres jugements sociaux favorablesimportants comme le sont les sentiments dejustice et d’injustice (Gresham et Elliott,1984 ; Pohl et al., 2005). Les compétencessociales sont considérées comme incluantdes habiletés telles que l’empathie, la colla-boration, le management de conflit, l’asser-tivité et le leadership (Pohl et al., 2005).Selon plusieurs auteurs, l’empathie et l’as-sertivité en particulier sont deux compo-santes nécessaires de l’aptitude sociale(Pohl et al., 2005 ; Sanz de Acedo Lizarragaet al., 2003). En effet un bon équilibre entrel’empathie et l’assertivité est à l’origine dela compréhension émotionnelle, sociale etmulticulturelle (Broome, 1991 ; Thompson,1998).L’empathie est un processus centré sur desréponses émotionnelles congruentes avecl’état émotionnel de l’interlocuteur (Davis,1983 ; Eisenberg et Strayer, 1987). Elle estparfois définie comme la capacité à montrerchaleur, sympathie et attention envers unevictime (Davis, 1983). L’empathie prédit lescomportements prosociaux (McNeely etMeglino, 1994). Il a même été montré dans

une expérience où des sujets devaient com-muniquer une évaluation de performanceque l’empathie était un prédicteur de leurscomportements de justice interactionnelle(Patient et Skarlicki, 2007).L’assertivité est un construit qui a été pro-posé par Wolpe en 1958. Il l’a définiecomme « l’expression appropriée de touteémotion autre que l’anxiété vis-à-vis d’uneautre personne » (Wolpe, 1973, p. 81). Ellea aussi été définie en référence à la défensede ses droits légitimes (Alberti et Emmons,1970), ce qui a fait qu’elle a souvent été uti-lisée de façon interchangeable avec lanotion d’agressivité (Galassi et Galassi,1978). Par exemple, treize des trente itemsde l’échelle d’assertivité de Rathus, qui estlargement utilisée, sont significativementcorrélés avec les échelles de différentielsémantique d’agressivité (Rathus, 1973).Plus tard, Bellack et Hersen (1977) ont pro-posé que l’assertivité se réfère aussi au res-pect des droits des autres et ont conceptua-lisé sa position au point central sur uncontinuum allant de la soumission àl’agressivité. Des échelles plus récentessont cohérentes avec cette vision deschoses, par exemple l’échelle du comporte-ment interpersonnel (Arrindel et al., 2001).L’assertivité est liée à l’estime de soi et à laconfiance en soi (Rabin et Zelner, 1992).Elle prédit aussi l’acceptation par les autres,leur soutien et plus généralement des rela-tions réciproques satisfaisantes (Sanz deAcedo Lizarraga et al., 2003).En résumé, l’empathie permet unemeilleure compréhension des autres alorsque l’assertivité permet de mieux s’adresserà eux (Pohl et al., 2005). Par conséquentlorsque les managers doivent communiquersur un événement défavorable, l’empathieles aide à comprendre ce que leurs subor-

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donnés ressentent et à mieux apprécier lasituation alors que l’assertivité rend pos-sible pour eux une expression directe ethonnête de cette compréhension. Même sices deux compétences sont parfois considé-rées comme incompatibles, elles ont le plussouvent été vues comme indépendantes(Mnookin et al., 1999). Les deux sontnécessaires pour de nombreuses tâchessociales, par exemple la médiation et lanégociation (Sanz de Acedo Lizarraga et al., 2003). Voilà pourquoi nous pensonsque l’empathie et l’assertivité sont les deuxcompétences sociales les plus importantesdont le manque entraîne les managers à êtreplus touchés par l’effet Churchill.Pour ce qui est précisément du type d’im-pact qu’ont l’empathie et l’assertivité sur lecomportement du manager, nous avons pro-posé qu’il soit plus important sur la compo-sante de justice interpersonnelle que sur lacomposante de justice informationnelle,même si les deux composantes sont suscep-tibles d’être touchées. En effet, d’une part,les managers ne semblent pas avoir besoind’habiletés particulières pour donner desjustifications à une décision négative alorsque la capacité à prendre les émotions desautres en compte et à exprimer sa positionde façon adaptée est au contraire primor-diale pour faire montre de sensibilité et derespect. D’autre part, Gilliland et Schepers(2003), dans leur étude sur les licencie-ments, n’ont réussi à prédire aucun com-portement de justice interpersonnelle desmanagers de ressources humaines en utili-sant des variables de situation, en particu-lier organisationnelles. Ils ont conclu que des « explications psychologiques »seraient plus adaptées. Enfin, d’un point devue plus théorique, Masterson et al. (2005)ont proposé que les comportements de

justice interpersonnelle obéissent à unedynamique différente et aient des antécé-dents de nature distincte par rapport auxcomportements de justice informationnelle.Selon ces auteurs, la justice interperson-nelle touche à la manière de présenter leschoses et donc relève plutôt de caractéris-tiques individuelles des managers. Ces troisensembles d’éléments expliquent le choixque nous avons fait de construire notretypologie en reliant le manque de compé-tences sociales des managers (empathie etassertivité) plutôt à leurs stratégies d’évite-ment interpersonnel.

IV. DIMINUTION DES SENTIMENTSD’INJUSTICE ET FORMATION :

LES DEUX VOIES D’ACTION POUR DES RESPONSABLES PLUS

APTES À MANAGER LESIMPRESSIONS DE JUSTICE

Les sentiments de justice et d’injusticeinteractionnelle des salariés sont une com-posante essentielle de leurs sentiments glo-baux de justice et d’injustice qui prédisentde nombreux comportements coopératifs etantagoniques au travail (Bies, 2001 ; Colquitt et al., 2001). Laisser les managersaux prises avec l’irrationalité de l’effetChurchill présente donc l’inconvénient, au-delà du jugement moral que l’on peut avoirsur les pratiques qui en découlent, de pro-duire un impact négatif sur la performanceau travail. Au contraire, agir sur l’effetChurchill pour en diminuer l’ampleur per-mettrait aux responsables sur le terrain deretrouver un comportement rationnel. Or secomporter rationnellement équivaut généra-lement pour un manager à se comporter defaçon juste. Une étude empirique auprès de815 managers (Greenberg, 1988) ainsi

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qu’une réflexion plus conceptuelle (Greenberg, 1990b) ont montré en effet queles managers ont, dans des circonstancesnormales, une forte motivation à se montrerjustes. De plus lorsque les managers ont étéinterrogés sur les moyens concrets qu’ilsutilisaient pour paraître justes auprès deleurs collaborateurs (Greenberg, 1988),trois des quatre actions prioritaires citéescorrespondaient à des comportements dejustice interactionnelle et plus précisémentinformationnelle (expliquer clairement lesraisons pour lesquelles ils attribuent unemission, justifier comment les augmenta-tions sont décidées et annoncer de façonpublique et transparente les augmentationset les promotions)2. Une réflexion sur lestactiques permettant à un manager d’êtrejugé juste donne également une place pré-pondérante aux actions de justice interac-tionnelle (Greenberg, 1990b).L’enquête de Greenberg (1988) a parailleurs montré que les comportements dejustice des cadres étaient pragmatiques(selon le terme de Tetlock, 1985) ou quasi-justes (selon celui de Leventhal, 1980) plu-tôt qu’intrinsèquement justes. Dans leurgrande majorité, les managers sont en effetapparus plus motivés par le fait de bénéfi-cier auprès de leurs subordonnés de l’imaged’un manager juste que par le fait d’agirjustement par principe. Ce résultat rejointles conclusions d’une étude (Weber, 1990)selon laquelle il y a sur le terrain peu de dif-férences de développement moral entre les

managers puisque 86 % d’entre eux opèrentau même niveau dit conventionnel surl’échelle de Kohlberg (1981). Même si on apu montrer en laboratoire que le niveau dedéveloppement moral était un modérateurde l’effet de l’empathie sur les comporte-ments de justice interactionnelle (Patient etSkarlicki, 2007), la notion de motivationmorale des managers est donc peu utilisableen pratique comme outil d’analyse. Lesmanagers ont donc d’abord une motivationinstrumentale à se comporter justement. Ilsse comportent comme des « politiciensintuitifs » (Tetlock, 1985) qui se rendentcompte qu’être jugé juste rend plus crédibleet inspire plus confiance, ce qui donne plusde pouvoir. Cela aide à ce que le travail soitmieux fait et permet de surcroît d’obtenirune identité sociale favorable et unemeilleure estime de soi (Greenberg, 1990b).En bref, parce que les managers se rendentcompte que « la justice, ça marche »(Greenberg et Cohen, 1982, p. 457), ils ontune activité quotidienne de managementdes impressions de justice.Cette activité n’en est pas pour autantmachiavélique. Il ne s’agit pas du toutd’une « justice fantôme3 » (Greenberg,1990b). Chercher à paraître juste pour desraisons instrumentales n’équivaut pasnécessairement à la manipulation ou aumensonge. Faire des efforts au quotidienpour paraître juste est largement compa-tible avec le fait de se comporter de façonréellement juste. Il n’en reste pas moins que

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2. Pour l’information du lecteur, la dernière des quatre actions prioritaires citées par les managers comme leur per-mettant de paraître juste consiste à accorder aux salariés une meilleure participation aux décisions et renvoie doncà un comportement de justice procédurale.3. Le terme original de Greenberg « hollow justice » pourrait aussi être traduit de façon plus littérale par « une jus-tice vidée de sa substance ».

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le caractère plutôt instrumental de la moti-vation des managers pour la justice a uneimplication notable. C’est justement parceque cette motivation n’est pas intrinsèque-ment et fortement morale qu’elle n’est pasassez puissante en elle-même pour contre-carrer l’effet Churchill. Au contraire, nousavons montré comment, dans des situationsmenaçantes pour leur identité sociale, lesmanagers transforment aisément leur moti-vation à paraître justes en une motivation àprotéger leur image de justice, ce qui lesrend paradoxalement injustes interaction-nellement. Notre analyse nous a amené àidentifier deux types de facteurs qui renfor-cent l’effet Churchill : une situation jugéeinjuste par les managers et des compétencessociales d’empathie et d’assertivité faibles.C’est donc sur ces deux fondements quenous allons proposer des voies d’actionpour diminuer l’effet Churchill et permettreaux managers de retrouver leur motivation àse comporter justement. La premièreconsiste à diminuer les sentiments d’injus-tice des managers, la seconde à augmenterleur niveau de compétences sociales.

1. Diminuer les sentiments d’injusticedes managers pour éviter l’effetChurchill

Lorsque qu’on lui demande de mettre enœuvre une décision qu’il pense injuste, parexemple le licenciement, le refus de promo-tion, le non-recrutement ou l’appréciationdéfavorable d’un salarié qu’il juge pourtantcompétent, un manager se protège de lamenace sur sa « croyance en un soi juste ».Ce mécanisme l’amène à chercher à se per-suader que la victime mérite son sort. Celal’entraîne à réaliser une stratégie d’évite-ment vis-à-vis de son collaborateur et à secomporter de façon interactionnellement

injuste avec lui, en particulier du point devue informationnel. Cette mise à distanceva souvent de pair avec un fort dénigre-ment. Pour autant, cette stratégie est fragile.Les participants à l’expérience de Milgram(1974) arrêtaient, pour la majorité d’entreeux, d’administrer à un sujet une punitionqu’ils savaient injuste dès qu’ils étaientamenés à s’en rapprocher physiquement,par exemple en le touchant. En entreprise,les cadres de terrain qui sont les témoinsdirects des conséquences de leurs actionsont également des difficultés à rester dansle déni. Quitter le champ est pour euxmoins aisé que s’ils participaient à uneexpérience de laboratoire. Ils sont alorsamenés à durcir encore leur comportementlors de discours publics, à l’occasion denotes de service et à l’afficher au cours derepas entre cadres. Ces événements fonc-tionnent comme des « rituels de conjura-tion » qui leur permettent de tenir (Dejours,1998, p. 110). Par ces stratégies de défenseils parviennent à se désensibiliser davan-tage à ce qui est vécu par leurs subordonnéset par conséquent renforcent encore leurscomportements d’injustice interactionnelle.Les managers ne sont donc pas dupes del’illusion de justice qu’ils cherchent à créer.Lorsqu’un manager est sincèrement per-suadé que la décision qu’il met en œuvre estjuste, il a plutôt tendance à se comporter defaçon interactionnellement juste, commecela est apparu dans des situations où desmanagers devaient licencier des salariés àcause de conditions de marché défavorablesou lorsqu’ils devaient rejeter un candidatqui n’était pas suffisamment compétentpour le poste (Folger et Skarlicki, 1998 ;Nadisic et al., 2007). Dans ces conditions,les managers n’hésitaient pas à se montrerdisponibles et à expliquer leurs décisions.

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Pour éviter l’effet Churchill, il semble doncqu’il suffise de ne pas demander à des res-ponsables d’être associés à des décisionsqu’ils pensent injustes. Un manager serainteractionnellement juste avec ses collabo-rateurs s’il est persuadé de la justice desdécisions qu’on lui demande de porter,même si ces décisions sont défavorablespour le salarié.Mais au-delà d’un certain nombre de casapparaissant clairement comme injustes, denombreuses situations sont incertaines dupoint de vue de leur caractère juste ouinjuste. Les managers se fondent alors surtoute information disponible pour se faireune opinion (Lind, 2001). En particulier ilssont sensibles aux influences sociales(Goldman et Thatcher, 2002). Par exempledans le cas que nous avons cité où le prési-dent et le vice-président de l’entreprise ontannoncé chacun dans une usine que lessalaires des personnels allaient subir unebaisse temporaire, la décision elle-mêmen’était clairement ni juste ni injuste (Greenberg, 1990a). C’est le comportementinteractionnel juste du président qui aentraîné l’ensemble des salariés de la pre-mière usine à juger que la décision elle-même était juste du point de vue distributif(score moyen d’équité salariale: 60 sur 90)alors que dans l’autre usine où la décision aété annoncée de façon interactionnellementinjuste par le vice-président, l’impact sur lessentiments de justice distributive des salariésa été négatif (score moyen d’équité salariale:40 sur 90). Ce cas illustre d’une part, que lessentiments de justice sont souvent ambiguset d’autre part, que la justice interactionnellepeut avoir pour fonction de servir d’heuris-tique aux salariés pour sortir de cette ambi-guïté et parvenir à un jugement clair de lajustice d’une situation (Lind, 2001).

Est-il possible d’influer sur la manière dontle manager lui-même jugera la justice d’unedécision négative mais ambiguë qu’il doitmettre en œuvre ? Ce sont les modèles men-taux des managers qui leur servent à inter-préter les stimuli environnementaux et leurpermettent des jugements en termes de jus-tice ou d’injustice. Un modèle mental estdéfini comme une représentation intégréed’objectifs, de données, de règles d’infé-rence et de plans d’action (Holyoak et Gordon, 1984). Il est également relié à desvaleurs idéologiques (Wade-Benzoni et al.,Thompson et al., 2002). Il est organiséautour de dimensions guidant l’activitéd’interprétation et qui peuvent être spéci-fiques à certains domaines. Par exemplepour ce qui est de la négociation, Pinkley(1990) a identifié trois dimensions interpré-tatives caractérisant le modèle mental d’unnégociateur (l’orientation relation/tâche,l’axe intellectuel/émotionnel et la tendancegagner/faire des compromis). Dans ledomaine des sentiments de justice, lesdimensions permettant de juger de la justiced’une situation ont été identif iées par Boltanski et Thévenot (1991). Ces auteursont proposé toute une grammaire liant desdimensions comme les critères du mérite,les types d’épreuves permettant de jugercelui-ci ou la vision de ce qu’est la dignitéd’une personne avec des règles d’utilisationde ces dimensions. Plusieurs ensemblescohérents de dimensions et de règles ont parla suite été mis en évidence sous le nom decités qui sont proches de la notion demodèles mentaux (Boltanski et Thévenot,1991 ; Boltanski et Chiapello, 1999). Parexemple dans la « cité marchande », il estjugé juste qu’on se sépare d’un salarié quin’est plus en mesure de participer à laconception de produits passant avec succès

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l’épreuve du marché. Dans la « cité indus-trielle », au contraire, ce sont les capacitésprofessionnelles avérées par l’expériencequi sont le premier critère à partir duquel onpromeut un subordonné. La « cité par pro-jets » représente un modèle plus récent, oùce sont ses capacités de mise en réseau quipourront justifier le salaire élevé d’un colla-borateur.Plusieurs moyens sont utilisés pour influen-cer les managers de façon à ce qu’ils utili-sent de préférence la grammaire d’une citépour juger de la justice des décisions qu’ilsont à prendre. Les formations de cadres etla plus grande partie de la littérature mana-gériale pour le grand public auraient en par-ticulier cette fonction (Boltanski et Chiapello, 1999). Par ailleurs, dans unenégociation, il a été montré que non seule-ment le modèle mental de chacun des deuxprotagonistes avait un impact sur son dérou-lement et son résultat final, mais aussi queles deux modèles mentaux avaient l’un surl’autre une influence significative (Pinkleyet Northcraft, 1994). Il est donc plausiblequ’on puisse influencer le modèle mentaldes managers en termes de justice par unéchange interpersonnel. Un manager dansune situation d’incertitude peut donc êtreamené à produire un jugement de justicepositif sur une décision qu’il doit mettre enœuvre si on lui fait partager un modèlemental adapté. Le risque que l’on fasseappel à un modèle mental fondamentale-ment immoral et injuste est limité par le faitque la grande majorité des cadres ont unfonctionnement moral normal (Weber,1990). Un tel modèle ne servirait alors aumieux que comme ensemble d’argumentsau service d’une protection de son imaged’un soi juste. Au lieu de diminuer l’effetChurchill, cela ne ferait que le renforcer.

Un autre moyen existe d’influer sur lamanière dont un responsable juge une situa-tion : il s’agit de la manière de présenterl’information. On a pu parler à cet égard de« stratégie de la distorsion communication-nelle » notamment utilisée par les médiasde communication interne de certainesentreprises (Dejours, 1988). Kahneman etTversky (1982) ont montré combien lesparticipants à leurs expériences étaient sen-sibles aux effets de formulation. Parexemple les sujets montrent une préférencegénérale et robuste pour une politique desanté dont on annonce qu’elle permet desauver des vies par rapport à une autre quipermet d’éviter des morts, même si lesdeux politiques sont en fait identiques. Demême des participants à une enquête, dontdes médecins, ont montré une plus fortepréférence pour une thérapie chirurgicalepar rapport à une thérapie par radiationslorsqu’on leur présentait les résultats de cechoix en pourcentage de survie des patients(la préférence pour la chirurgie atteignaitalors 75 %) plutôt qu’en pourcentage dedécès (seulement 58 % de préférence dansce cas) (McNeil et al., 1982). Desrecherches équivalentes sur les sentimentsde justice ont montré que les sujets pou-vaient juger plus juste une distributiond’avantages matériels en fonction de lafaçon dont l’espérance de gain leur étaitformulée (Vermunt, 2002).Ces méthodes de formulation renvoientdonc à des techniques manipulatrices. Sansmême aborder leur dimension morale, leurefficacité est loin d’être avérée dans le casoù l’on cherche à influer sur le jugement dejustice d’un cadre devant appliquer unedécision difficile. En effet si la justice de ladécision est incertaine, les effets de formu-lation semblent bien moins puissants

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qu’une action sur les modèles mentaux. Etsi la décision est clairement injuste pour lemanager, en référence aux dimensions d’unmodèle mental donné, ces techniques n’au-ront comme impact que de renforcer la stra-tégie de défense de l’effet Churchill en luidonnant des éléments de rationalisation a posteriori. L’effet sera de rendre le mana-ger encore plus enclin à se comporter d’unefaçon interactionnellement injuste, avec lesconséquences négatives que l’on sait.Une manière efficace de diminuer l’am-pleur de l’effet Churchill, en particulier dupoint de vue informationnel, consiste doncà faire en sorte qu’un manager soit per-suadé de la justice des décisions qu’il meten œuvre. La solution la plus simple est dene pas lui demander de participer à desdécisions qu’il juge injustes selon les cri-tères de son modèle mental. Une autre voie,en situation de réelle incertitude pour luisur la justice d’une décision, consiste à faireappel à des processus d’influence sur cemodèle mental. En revanche les techniquesde manipulation en termes de formulationde l’information sont inappropriées. En finde compte, un manager qui aura interprétéla situation comme juste ne sera pas soumisà l’effet Churchill. Il sera plus juste interac-tionnellement avec ses subordonnés, en par-ticulier il leur donnera des informationscomplètes justifiant la situation et seramotivé à se montrer disponible à leur égard.

2. Augmenter les compétences socialesdes managers pour éviter l’effetChurchill

La seconde voie d’action pour éviter l’effetChurchill consiste à augmenter le niveaudes compétences sociales des managers.C’est en effet leur insuffisance qui renforcele désir instinctif qu’a un manager de vou-

loir se protéger dans une situation socialemenaçante. Plusieurs études ont montré quel’on pouvait augmenter significativement leniveau d’assertivité et d’empathie par laformation. Par exemple Lin et al. (2004)ont réalisé une formation à l’assertivitéauprès de 69 infirmières sur une durée dehuit semaines (à raison d’une séance heb-domadaire de deux heures). Un mois plustard, les mesures ont montré une nette aug-mentation de l’assertivité et de l’estime desoi du groupe expérimental par rapport augroupe contrôle. Des formations pluscourtes ont également eu un effet positifpuisqu’une seule séance de formation àl’assertivité dans une entreprise de distribu-tion commerciale a permis aux salariésd’avoir plus d’aisance lors de leurs entre-tiens d’évaluation et plus de confiance dansleur hiérarchie (Korsgaard et al., 1998).Après le même type de formation, des étu-diants ont ressenti, parmi différents effetsbénéfiques, plus de confort dans des situa-tions sociales difficiles et une meilleurecapacité à exprimer des sentiments défavo-rables envers un interlocuteur (Nota, 2003).Enfin une formation plus soutenue à l’as-sertivité et à l’empathie d’une durée de 30semaines, à raison d’une séance hebdoma-daire d’une heure, a été mise en œuvreauprès d’étudiants. Elle a permis d’aug-menter l’assertivité et l’empathie des sujetsainsi que des compétences comme la capa-cité à ressentir et à montrer de la considéra-tion à autrui qui est une composante essen-tielle de la justice interactionnelle (Sanz deAcedo Lizarraga et al., 2003).Plusieurs études ont par ailleurs testé l’im-pact de formations directement centréessur l’amélioration des comportements dejustice des managers. La plus récente aconcerné les comportements de justice

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interactionnelle des managers de 467 infirmières dans quatre hôpitaux (A, B, Cet D) appartenant à une même société (Greenberg, 2006). Les managers des hôpi-taux A et B ont été formés à montrer res-pect, politesse et dignité auprès de leurssubordonnés, à leur apporter un soutienémotionnel et à prendre garde à éviter touteintimidation, manipulation ou utilisation determes dégradants. La formation aconcerné également la justice information-nelle, en particulier la nécessité de fournirdes informations exactes et complètes. Elles’est déroulée sur deux séances de quatreheures. Elle était à la fois théorique, pra-tique par l’utilisation de jeux de rôle etd’études de cas et interactive par le recoursà des discussions de groupe guidées. Elles’est tenue après un événement qui aconcerné deux des quatre hôpitaux (A et C)et qui a entraîné un fort stress et un hautniveau d’insomnie auprès des infirmières.Celles-ci ont appris que leur statut avait étéamélioré et qu’elles étaient à présent rému-nérées sur une base mensuelle mais à leurétonnement, en contrepartie, leur salaireavait été baissé de 10,5 % en moyenne. Desmesures d’insomnie ont été réaliséesauprès les infirmières pendant une périodede plus de six mois après cet événementdans chacun des quatre hôpitaux. Il s’estavéré que les infirmières des hôpitaux B etD (qui n’allaient subir la réforme que plustard) connaissaient un faible niveau d’in-somnie (score moyen 3 sur une échelleallant de 1 à 7) et ceci que leur manager aitété formé à la justice (cas B) ou pas (casD). En revanche, dans les hôpitaux A et C,où la réforme avait été appliquée, les

niveaux d’insomnie ont d’abord doublé(passant à un score moyen de 6). Puis dansl’hôpital A, où les managers avaient étéentraînés à se comporter justement, lesscores d’insomnie ont presque retrouvéleur niveau initial au bout de 6 mois (scoremoyen inférieur à 4) alors qu’ils sont restésélevés pour les infirmières de l’hôpital Coù la formation n’avait pas eu lieu (scorede plus de 5)4. Cette étude a donc clairement montré,d’une façon quasi-expérimentale, que desmanagers peuvent apprendre à se compor-ter justement d’un point de vue interaction-nel dans une situation où une décision défa-vorable est imposée à leurs subordonnés, cequi peut entraîner des réactions positives entermes de réduction du stress. La décisionétait même en l’espèce jugée injuste à lafois du point de vue distributif (du fait de laviolation de la norme d’équité salariale) etprocédural (du fait que les infirmières n’onteu aucun droit d’expression concernant ladécision). Même si l’étude ne différenciaitpas les composantes interpersonnelle etinformationnelle de la justice, on peut pen-ser que l’impact que les managers ont eusur leurs subordonnés a surtout consisté enun soutien social interpersonnel. En effet ilsn’étaient pas directement concernés par lechangement de statut, décision à laquelle ilsn’avaient pas participé, et ils n’avaient pasnon plus à annoncer l’événement car celaavait été fait par note interne venant de ladirection. Le caractère injuste de la décisiona même probablement produit un effetChurchill du point de vue informationnelentraînant les managers à éviter de donnertoute justification.

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4. Les managers des hôpitaux C et D ont également été formés à améliorer leurs comportements de jus-tice interactionnelle une fois l’étude terminée.

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D’autres études équivalentes ont montréque former des managers à la justice inter-actionnelle et procédurale leur permet deproduire des comportements interactionnel-lement plus justes qui ont pour consé-quence des attitudes et comportementspositifs de la part de leurs subordonnés. Lessalariés ont réagi à de tels changements decomportement de leurs managers par dessentiments de justice plus positifs vis-à-visd’eux et par des comportements de plusgrande citoyenneté organisationnelle5

(Skarlicki et Latham, 1996, 1997 ; Skarlickiet Jones, 2002). Ils ont également diminuéleurs comportements de vol (Greenberg,1999). Enfin l’une de ces formations a per-mis aux managers de rester justes6 dans unesituation parmi les plus menaçantes quisoient socialement : lors de l’administrationd’une punition à un subordonné. Les casconsistaient par exemple pour le manager àréagir face à un absentéisme pour cause desecond emploi ou face à un salarié surpris àdormir pendant son travail. Bien que lespunitions fussent justes, se comporter etcommuniquer justement dans ces condi-tions s’est avéré significativement plus aisépour les managers qui avaient été formés(Cole et Latham, 1997). Ce succès constantdes formations de cadres à des comporte-ments plus justes a par ailleurs entraînéSkarlicki et Latham (2005) à conceptualiserune méthode globale d’intervention allantde l’étude des besoins de l’entreprise àl’évaluation de l’impact de la formation.

Même si cela n’a pas encore fait l’objet devalidations empiriques, nous pensons que laréussite de ces formations des managers àla justice est d’abord liée à l’améliorationdes compétences d’empathie (qui sont àl’origine de la capacité à apporter un sou-tien émotionnel) et d’assertivité (qui per-mettent par exemple d’annoncer une puni-tion sans anxiété excessive et donc sansagressivité) et à l’amélioration des compor-tements interpersonnels plutôt qu’informa-tionnels. Nous pensons donc qu’une voieefficace pour contrecarrer l’effet Churchillconsiste en des formations de managerscentrées à la fois sur une amélioration descompétences sociales d’empathie et d’as-sertivité et sur une sensibilisation concrèteaux comportements de justice interperson-nelle.

CONCLUSION: EFFET CHURCHILL,LÉGITIMITÉ MANAGÉRIALE ET

DIFFÉRENCESINTERCULTURELLES

Notre contribution consiste à éclairer despratiques managériales par la prise encompte de leur dimension de comporte-ments organisationnels (Robbins et al.,2006). En particulier les recherches les plus récentes de la justice organisationnellenous ont permis de mieux saisir les facteursincitant les managers à produire des comportements jugés justes par leurs subordonnés. Nous avons d’abord présenté

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5. Les comportements de citoyenneté organisationnelle consistent en des comportements extra-rôle,c’est-à-dire en une volonté d’en faire plus que ce qui est indiqué formellement sur la fiche de poste (parexemple aider des collègues en difficulté ou accueillir spontanément les nouveaux pour leur montrerles ficelles du métier).6. Les comportements de justice des managers concernés par cette étude étaient plutôt du domaine dela justice procédurale. Mais les échelles de mesure incluaient également des éléments informationnels(les explications données) et interpersonnels (le conseil apporté et la manière générale de se compor-ter pendant l’interaction).

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l’effet Churchill à partir des quelques tra-vaux l’ayant mis en évidence en l’articulantde façon plus claire avec la notion de justiceinteractionnelle. Puis nous avons proposéune nouvelle conceptualisation de l’effetChurchill en distinguant sa dynamiqueselon qu’elle a lieu dans une situationinjuste ou dans une situation qui peut êtreseulement défavorable. Cela nous a amenéà identifier deux facteurs de l’effet Chur-chill en utilisant la décomposition établiedepuis plusieurs années entre justice inter-personnelle et justice informationnelle.Enfin, notre apport a consisté à proposer desmoyens concrets d’action managériale pouraméliorer le niveau de justice des comporte-ments des managers dans le double soucid’un meilleur bien-être des salariés et d’uneplus grande performance de l’organisation.La morale de l’histoire de l’effet Churchillest que lorsque sa hiérarchie demande à unmanager de mettre en œuvre une décisioninjuste, non seulement elle prend desrisques liés à la décision elle-même maiségalement des risques liés au comporte-ment injuste du manager qui est la consé-quence de son désir de se protéger deseffets de cette décision sur son imagesociale. Cet ajout par les managers d’uneinjustice interactionnelle à une injusticedistributive ou procédurale venant de l’or-ganisation aggrave donc les menaces entermes de comportements antagoniques dessalariés. De plus, toute action de l’entre-prise visant à persuader le manager que sonaction est juste ne servira qu’à renforcerchez lui l’effet Churchill et donc l’injusticede son comportement. Ce n’est que dans lescas où les décisions sont incertaines dupoint de vue de leur caractère juste ou dansles cas où les décisions sont négatives etque les managers manquent des compé-

tences d’empathie et d’assertivité pourdépasser l’effet Churchill que des voiesd’action managériale ont été identifiées.Celles-ci visent d’une part, à rendre unmanager clairement conscient du caractèrejuste de décisions qu’il met en œuvre lors-qu’il a du mal à les juger et d’autre part, àdévelopper chez lui les compétencessociales lui permettant d’améliorer soncomportement de justice interactionnelle.Des bénéfices en sont attendus pour l’entre-prise, qui évite le risque de comportementsnéfastes de la part des salariés, pour lemanager, qui est à même de faire son travaildans de meilleures conditions relationnelleset d’efficacité, ainsi que pour le salarié lui-même. Celui-ci gagne en effet un soutiensocial émotionnel et/ou informationnel dela part de son manager. Cela peut l’aider àéviter de réagir négativement vis-à-vis del’entreprise par des moyens cachés commele sabotage (Skarlicki et Folger, 1997) qui présentent pour lui un risque. Celapourra aussi l’aider à éviter de réagir néga-tivement vis-à-vis de lui-même, par unstress excessif ou par exemple par de l’insomnie (Greenberg, 2006).Ce point peut poser une question d’ordremoral. Améliorer les compétences socialesdes managers peut amener ceux-ci à êtreplus justes interpersonnellement. Cela peutentraîner les salariés à des réactions posi-tives alors même que la décision à laquelleils sont soumis est injuste. L’effet de la jus-tice interactionnelle consisterait-il simple-ment à mieux faire accepter l’inacceptable ?Nous pensons que les résultats que nousavons présentés ne vont pas dans ce sens.En effet par exemple les infirmières qui ontconnu une baisse de salaires dans des situa-tions équivalentes à celles de l’étude quenous avons décrite « ont protesté haut et

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fort » (Greenberg, 2006, p. 61). Le fait quele comportement de leurs managers puisseles aider à mieux faire face au stress et àmoins développer d’insomnie ne leurenlève pas leurs capacités d’expression. Aucontraire, être plus en forme les rend sansdoute plus aptes à rester des interlocuteursconscients de leurs droits et responsabilitésdans leurs relations avec leur direction.Notre travail a consisté à présenter lamanière dont les managers pouvaient êtreamenés à se comporter plus justement.Nous avons justifié l’intérêt de notredémarche par l’importance que revêt la jus-tice interactionnelle des comportementsdes managers et notamment par l’intérêtd’éviter des réactions négatives des sala-riés. On peut en conclusion se poser laquestion des raisons pour lesquelles la jus-tice et l’injustice interactionnelle ont del’importance pour les salariés. Pourquoi yréagissent-ils si fortement ? Nous cherche-rons à répondre à cette question en faisantréférence aux notions de légitimité et dedifférences interculturelles. Cela nousamènera à mettre en évidence les limites dela pertinence des travaux sur la justiceinteractionnelle en général et sur l’effetChurchill en particulier.Selon Suchman (1995) la légitimité estdéfinie comme la perception générale queles actions d’une entité sont désirables,convenables et appropriées eu égard à dessystèmes de normes, valeurs, croyances etdéfinitions socialement construits. Uneentreprise cherche à être légitime par rap-port à un ordre social donné. Être légitimereprésente en effet pour elle un actif straté-gique (Suchman, 1995). Traiter justementses salariés lui permet de répondre à cetobjectif (Sampson, 1986). Pour ce qui estdes critères de légitimation, selon Weber

(1921/1971), ceux-ci ont évolué historique-ment d’un fondement sur le charisme deschefs et sur la tradition jusqu’à un appui,caractéristique des sociétés modernes, surun ensemble de règles dites « rationnelles-légales », Mais depuis les années 1960, onassiste à un éclatement du système de légi-timation rationnel-légal (Laufer, 1996). Illaisse la place à une situation incertainedans laquelle le critère de légitimité lui-même est en crise. Ce qui est légitime n’estplus défini a priori en rapport avec un sys-tème de valeurs stable, partagé et extérieurà l’action. Dans ces conditions, la légitimitédevient en elle-même « un problème mana-gérial » (Laufer, 1996, p. 36). La légitimitédes entités sociales s’acquiert non plus parl’objet lui-même de leurs actions mais parleur capacité à justifier qu’elles mettent enœuvre des procédures adéquates pour agir.Elles sont également jugées sur la capacitéde leurs managers à inspirer confiance parleur comportement. La capacité de justifi-cation renvoie à la justice informationnelle,le fait de mettre en œuvre des procéduresacceptables équivaut à la notion de justiceprocédurale et la confiance dans le managerest en lien étroit avec ses comportements dejustice interactionnelle. La justice organisa-tionnelle, et la justice interactionnelle enparticulier, deviennent ainsi des outils per-mettant à l’entreprise de se légitimer a pos-teriori. Les salariés se fondent donc notam-ment sur la justice interactionnelle pourjuger de la légitimité de l’entreprise et deses actions. Ce processus est illustré par lecas de l’usine où c’est le comportementjuste du président qui a entraîné les salariésà juger que la décision de baisse des salairesétait juste (Greenberg, 1990a). C’est doncparce que les comportements de justiceinteractionnelle des managers sont utilisés

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par les salariés pour juger de la légitimitédes décisions de leur entreprise qu’ils ontautant d’impact sur leurs réactions au tra-vail. Diminuer l’effet Churchill est doncsusceptible de permettre que cette légiti-mité ne soit pas menacée et que les condi-tions soient réunies pour que les salariésdécident de mettre en œuvre des comporte-ments coopératifs vis-à-vis de leur organi-sation.Nous avons montré que la justice interac-tionnelle est importante parce qu’elle per-met une légitimation a posteriori des pra-tiques managériales. En toute logique, celadoit impliquer que les cultures où la crise delégitimité est moins forte, par exemple lescultures plus traditionnelles, donnent moinsd’importance à la justice interactionnelle.En passant en revue quelques-uns uns destravaux interculturels les plus significatifssur la justice interactionnelle, nous allonschercher à vérifier ce corollaire et à montrerdu même coup les limites de notre analysede l’effet Churchill. La plupart des travauxinterculturels sur la justice organisation-nelle ont comparé les pays occidentaux (etnotamment les États-Unis) aux pays asia-tiques (le plus souvent Singapour, HongKong ou le Japon).Pour ce qui est de l’effet des sentiments dejustice (et des sentiments de justice interac-tionnelle en particulier) sur les comporte-ments au travail, une meta-analyse a montréque ceux-ci étaient plus faibles pour les paysasiatiques par rapport aux pays occidentaux,même si le lien restait significatif (Li et Cropanzano, 2006). Par exemple, lorsqu’unmanager fait une critique à son subordonnéd’une façon injuste, en l’interrompant, en nel’écoutant pas et en se moquant de lui, l’ef-fet est différent selon que la situationconcerne un salarié américain ou un salarié

chinois de Hong Kong (Leung et al., 2001).Un subordonné américain attribue la causede la critique aux traits de caractère de sonmanager et ne l’accepte pas (alors que si lamême critique lui est faite de façon interac-tionnellement juste, le subordonné l’ac-cepte, l’attribue à une erreur de sa part etcherche à s’améliorer sur le critèreconcerné). Un subordonné de Hong Kong,dans la même situation de critique interac-tionnellement injuste, attribue aussi la causede la critique aux traits de caractère de sonmanager et non à une erreur personnelle,mais il l’accepte en moyenne quatre foismieux. En conséquence il exprime plus deconfiance pour son manager irrespectueux,un plus grand niveau de satisfaction et unplus fort engagement organisationnel que lesalarié américain. Cette différence d’impactde l’injustice interactionnelle se retrouvedans des situations où le manager va jusqu’àinsulter son subordonné pendant uneréunion de travail (Bond et al., 1985). L’éva-luation de son manager par le subordonnéaméricain est alors fortement négative tan-dis que celle du subordonné chinois deHong Kong reste positive. Lorsque l’on étu-die spécifiquement l’importance que lessalariés donnent aux critères de la justiceinteractionnelle (par exemple lorsqu’ils doi-vent juger une technique de recrutement),les différences culturelles sont à nouveausignificatives entre des salariés américainset des salariés de Singapour (Phillips etGully, 2002). Les premiers donnent parexemple une plus forte importance à la cha-leur interpersonnelle et au respect de la vieprivée que les seconds.L’un des critères permettant de rendrecompte de ces différences est la valeur culturelle de la distance hiérarchique (Hofstede, 1980, 1984). Lorsqu’elle est

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forte dans une culture donnée, cela reflètel’acceptation dans cette culture d’une distri-bution du pouvoir déséquilibrée ainsi quel’obéissance, la conformité et la dépendancequ’on lui montre. Une étude internationale amontré que les salariés de Hong Kong et duJapon, dont la culture valorisait une plusforte distance hiérarchique, donnaientmoins d’importance à la manière interper-sonnelle avec laquelle leur manager les trai-tait que les salariés des États-Unis et d’Alle-magne (Tyler et al., 2000). L’étude a montréque c’est tout particulièrement la dimension« obéissance et loyauté » de l’échelle de dis-tance hiérarchique qui prédisait cette impor-tance accordée à la justice interactionnelle.Les cultures traditionnelles où la distancehiérarchique et en particulier l’obéissance etla loyauté sont fortes sont des cultures où lalégitimité du manager est assurée a priori.Les travaux interculturels que nous avonsprésentés confirment donc que la justiceinteractionnelle est plus importante dans descultures où la légitimité managériale n’estpas acquise a priori et peut être remise enquestion. Ils présentent l’intérêt de nousconfronter aux limites du pouvoir explicatifde la justice interactionnelle et donc auxlimites de la pertinence des travaux sur l’effet Churchill. Là où il est socialement

mieux accepté qu’un manager puisse êtredistant, irrespectueux et enclin à ne pas jus-tifier ses décisions, il apparaît peut-êtremoins pertinent, d’un point de vue pragma-tique, d’identifier les facteurs favorisant cescomportements, même si, d’un point de vue moral, ce travail reste digne d’intérêt. Àcet égard, le degré d’applicabilité desrecherches que nous avons présentées et quiont été menées aux États-Unis reste àdémontrer pour la France. En effet le niveaude la valeur culturelle française de distancehiérarchique, s’il est considéré comme étantinférieur à celui de Singapour, est jugé équi-valent à celui de Hong Kong et même supé-rieur à celui du Japon, ce qui l’amène à êtretrès au-dessus du niveau des États-Unisselon Hofstede (1980, 1984). Par exemple,l’importance accordée par des salariés fran-çais à des critères de justice interactionnellelorsqu’ils jugeaient une technique de recru-tement s’est avérée intermédiaire entre lesjugements de salariés américains et ceux desalariés de Singapour (Steiner et Gilliland,1996, p. 137, Steiner et Gilliland, 2001, p. 126 et Phillips et Gully, 2002, p. 1196).De futures recherches spécifiquement françaises sur l’effet Churchill et la justiceinteractionnelle seront donc tout à fait bien-venues.

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