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NUMÉRO 59 SAVOIR ALLEZ Le magazine de l’UNIL | Janvier 2015 | Gratuit ! ÉCONOMIE Pourquoi des managers prennent des décisions immorales 16 MÉDECINE Demain, on essaie de recréer des organes humains 28 HISTOIRE Quand les Suisses effrayaient les princes et les petits enfants 40 NATURE GRAND-DUC LE RETOUR DISCRET DU REDOUTABLE

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NUMÉRO

59

SAVOIR ALLEZ

Le magazine de l’UNIL | Janvier 2015 | Gratuit!ÉCONOMIEPourquoi des managers prennent des décisions immorales16

MÉDECINEDemain, on essaie de recréer des organes humains 28

HISTOIREQuand les Suisses effrayaient les princes et les petits enfants40

NATURE

GRAND-DUCLE RETOUR DISCRET DU REDOUTABLE

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 3

ÉDITOIS

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IMPRESSUMMagazine de l’Université de LausanneNo 59, janvier 2015www.unil.ch/allezsavoir

Editeur responsableUniversité de LausanneUne publication d’UNICOM, service de communication et d’audiovisuelQuartier UNIL-SorgeBâtiment Amphimax1015 LausanneTél. 021 692 22 [email protected]

Rédaction en chefJocelyn Rochat, David Spring (UNICOM)

Création de la maquetteEdy Ceppi (UNICOM)

RédacteursMélanie AffentrangerSonia ArnalElisabeth GordonCynthia KhattarVirginie JobéNadine RichonAnne-Sylvie SprengerMuriel Sudano-RamoniFrancine Zambano

CorrecteursAlbert GrunFabienne Trivier

Direction artistiqueSecteur B Sàrlwww.secteurb.ch

PhotographieNicole Chuard

IllustrationEric Pitteloud (pp. 3, 39)

CouvertureIllustration originalede Denisse Urrutia Delgado

ImpressionIRL plus SA

Tirage17 000 exemplaires

ParutionTrois fois par an, en janvier,mai et septembre

[email protected] (p. 4)021 692 22 80

LA PLUS AMÈREDE TOUTES LES BATAILLES

Cette année, la Suisse a rendez-vous avec son passé. Et pas seulement parce que nous avons pris l’habi-tude de commémorer les grands conflits du passé l’an dernier, avec

les innombrables cérémonies liées au cen-tenaire de la Première Guerre mondiale. Hasard du calendrier, cette année 2015 nous invite à revisiter les affrontements légendaires de Morgarten (1315) et de Marignan (1515), deux des batailles les plus célèbres de notre histoire.

Morgarten, c’est la victoire la plus inat-tendue, à l’issue d’un guet-apens où les gueux des montagnes ont désarçonné la fine fleur de la chevalerie de l’empire. Et Marignan, c’est la plus amère défaite des Confédérés, au terme d’une boucherie, où un tiers des guerriers suisses sont morts en terres italiennes, face aux troupes ras-semblées par François Ier.

Ces deux batailles, séparées très exactement par deux siècles, marquent l’apogée – c’est très bizarre de l’écrire aujourd’hui – de la «puissance militaire» des Confédérés. Une époque paradoxale-ment peu développée dans les manuels d’histoire, où les terribles piquiers et hal-lebardiers suisses sont allés de victoire en victoire, jusqu’au succès total de Novare, en 1513. Ce jour-là, les Confédérés ont bouté les armées du roi de France hors d’Italie, et ont pris le contrôle de la riche et prestigieuse cité de Milan.

Coup de chance au moment où le calen-drier nous rappelle cette époque héroïque et brutale, on retrouve des historiens qui ont repris goût à l’étude des batailles, après des décennies d’analyses plus éco-

nomiques de notre passé. Vous découvri-rez notamment dans ce numéro Roberto Biolzi, un assistant diplômé à l’UNIL qui écrit une thèse sur la guerre dans les Etats savoyards à la fin du Moyen Age. Pas «parce qu’il se prend pour un colonel à la retraite qui rejoue les grandes batailles de passé dans sa chambre», mais «parce que la guerre a aussi joué un rôle essen-tiel dans la construction progressive des Etats-Nations».

Avec ce spécialiste de l’époque, vous découvrirez (c’est en page 40) une période mal connue. Et donc très surprenante quand on a en tête l’image du soldat suisse qui, tous les dimanches soir, prend son train pour la caserne dans son uniforme bien repassé et distribue des biscuits. Rien de tout cela entre 1315 et 1515, quand les guerriers Confédérés effrayaient les petits enfants, se livraient au pillage, ne faisaient pas de prisonniers et frappaient les esprits en «domptant les princes».

Impossible, de (re)découvrir cette époque brutale sans songer à ce que les Suisses sont devenus, cinq siècles plus tard. Le pays qui a inventé la Croix-Rouge, une nation qui n’a plus attaqué ses voisins depuis un demi-millénaire, et une popula-tion qui s’est enorgueillie, l’an dernier, de voir son président jouer les pacificateurs entre l’Ukraine, la Russie, l’Union euro-péenne et les Etats-Unis d’Amérique. Bref, une Suisse du XXIe siècle qui vient rap-peler à tous les pessimistes qui suivent les conflits planétaires en désespérant de la condition humaine, qu’un peuple parmi les plus guerriers de son époque peut changer du tout au tout.

JOCELYN ROCHAT Rédaction en chef

HASARD DU CALENDRIER, CETTE ANNÉE 2015 NOUS INVITE À REVISITER LES AFFRONTEMENTS LÉGENDAIRESDE MORGARTEN (1315) ET DE MARIGNAN (1515).

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JE M'ABONNE À « ALLEZ SAVOIR ! » Pour s’abonner gratuitement à la version imprimée, il suffit de remplir le coupon ci-dessous et de l’envoyer par courrier à : Université  de Lausanne, UNICOM, Amphimax, 1015 Lausanne. Par fax au 021 692 22 05. Ou par courrier électronique à [email protected]

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 5

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNILNathalie Rochat,de la nature aux animaux.

SOMMAIRE

SAVOIR ALLEZ

Le magazine de l’UNIL | Janvier 2015 | GratuitBRÈVES

L’actualité du campus:distinctions, formation,

international, publications.

PORTFOLIOVolleyball,

campus, musiquede chambre.

MOT COMPTE TRIPLEMicrobiote.

Avec BenjaminMarsland.

NATURELe retour discret

du redoutableGrand-duc.

MÉDECINEDemain, on essaie de recréer des organes

humains. Les cellules progénitricesau secours des grands brûlés.

RELIGIONFoot, télé ou église ?

Quatre typesd'(in) croyances.

RÉFLEXION Le monde tel qu'il estet qu’il voudrait être.

Par Mark Goodale.

HISTOIREQuand les Suisses effrayaient les princes

et les enfants. Au soir de Marignan, la Suisse n’est pas devenue neutre.

MATHÉMATIQUESLe calcul a aussi son histoire.

Compter sur les doigtsjusqu’à... 9999.

DROITSommes-nous sousle joug des jugesde Strasbourg?

C’ÉTAIT DANS«ALLEZ SAVOIR !»Veille-toi ! Y en a point comme nous.Article paru en 2010.

LIVREPour en finiravec la mort.

LIVRESPhotographie, histoire,société, écologie, Expo 64,sciences criminelles.

FORMATION CONTINUEMieux comprendre et traiterle jeu excessif. Face à la diversitéreligieuse en institution.

MÉMENTOEvènements,conférences, sortieset expositions.

CAFÉ GOURMANDLe bonheurde découvrir.Avec Daniel Maggetti.

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ENTREPRISES Pourquoi des managers

même pas méchants prennent-ilsdes décisions immorales?

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LE LUC VOLE HAUTDorigny, le 25 octobre 2014. Jirayu Raksakaew, dit «James», joue avec le LUC Volleyball, en Ligue nationale A. Ce soir-là, le club universitaire a battu Amriswil 3 :1. La formation lausannoise fait une excellente saison, ce qui enthousiasme son entraîneur général Georges-André Carrel. «Plusieurs de nos joueurs, qui étudient à l’UNIL ou à l’EPFL, étaient des juniors du club. C’est une parfaite illustration du succès du LUC!» Dénicher les talents de demain, préparer et former une relève qui doit jongler entre le sport et les études: cela coûte du temps et de l’argent, sans pour autant garantir des victoires sur le terrain. Pourtant, ce pari paie.Le LUC Volleyball, qui compte en tout huit équipes masculines, fêtera ses 40 ans en septembre prochain. DS

Reportage photo et entretien avec Georges-

André Carrel sur www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO OLIVIER ZELLER / 

PHOTOGRAPHICGLANCE.COM

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LA VIE (PASSI SECRÈTE)DU CAMPUSEn septembre dernier, les étudiants ont été invités à partager leurs impressions de la rentrée sur les réseaux sociaux. En deux semaines, près de 100 images ont été mises en ligne, principalement sur instagram, puis sur le compte Facebook officiel de l’UNIL. Prise par Yulia Bubnova, la photographie oblique de l’entrée de l’Internef s’est avérée être la préférée de la communauté au terme d’un petit concours (ci-contre).Les enquêtes menées chaque année par l’université montrent que les étudiants utilisent énormément les nouveaux médias, notamment pour parler de leur vie académique. Ainsi, au-delà du monde tangible, des commentaires, des discussions et des clichés de l’UNIL circulent à toute vitesse dans l’univers électronique. Par exemple, la communauté a déjà publié plus de 6000 photos du campus et de ses habitants sur instagram. Un foisonnement de petits instants parfois drôles ou poétiques, mais souvent inattendus. DS

PHOTOS YULIABU, VALUELIFEMORE,

MATHILDECLERC, LEOPS95, UNILCH,

NOBLE_DONNA, ELODIE RODRIGUEZ ALIAS

JUSTHELLOELO, SUPERCALIFRAGILLISTIQUE,

SLAAVY, ADRIEN_VNCRT, FRANCIELLEFRANCO,

YULIABU, DANELIE13, POPSYCHEDELYS,

FANNYALLEGRE29, MATHILDECLERC

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DEUX JOURS EN MODE MAJEURGabriel, Carlo et Andrea jouent le Trio en do mineur de Bruch, alors que le soir tombe sur la villa La Chance, à Blonay. Les 28 et 29 novembre derniers, près de 30 membres de l’Association universitaire de musique de chambre se sont retrouvés au Centre de musique Hindemith. En trios, quatuors ou quintettes, ils ont travaillé en compagnie de musiciens professionnels dans une ambiance informelle, qui contraste avec le niveau artistique élevé. Il arrive souvent que les participants, qui reçoivent les partitions quelques semaines avant le séjour, jouent avec des personnes avec lesquelles ils n’ont jamais répété. Une capacité d’adaptation également sollicitée par le fait que l’on passe par exemple de Mozart, à Bruch puis à Schumann en deux jours, au fil des sessions de travail. Ce week-end «hors du temps», qui se déroule deux fois par an, se conclut par un concert. DS

Reportage photo et article complet sur

www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO © MICHAËL OTTENWAELTER 2014 - STRATES

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12 Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne

Programmation, développement de sites inter-net, traitement de bases de données ou analyse de corpus textuels: l’informatique possède de nombreuses applications en Sciences humaines et sociales. En parallèle, l’impact des nouvelles technologies et la culture numérique constituent des champs d’études passionnants, par exemple pour des historiens ou des sociologues. Les «Hu-manités digitales» se trouvent justement à l’in-terface de ces deux approches. Pour permettre aux étudiants d’aborder ce do-maine, un nouveau master avec spécialisation

sera lancé à la rentrée de février par la Faculté des lettres. Ce cursus offre à la fois des outils techniques, analytiques et critiques. «Les parti-cipants vont acquérir des compétences très utiles dans une perspective doctorale, mais également valorisées par le monde professionnel», explique Aris Xanthos, responsable du programme et maître d'enseignement et de recherche en Section des sciences du langage et de l'information. DS

www.unil.ch/lettres/fr/home/menuinst/master-et-specialisa-tion/ma-avec-specialisation/humanites-digitales.html

UNE SPÉCIALISATION EN HUMANITÉS DIGITALES

3627 Le nombre de gym-nasiens, collégiens et lycéens qui se

sont inscrits aux Journées décou-verte de l’UNIL, organisées les 3 et 4 décembre 2014. Venus de Suisse romande et de France, ces jeunes ont reçu un maximum d’in-formations sur les filières de for-mation. Ils ont pu assister à des cours, visiter des laboratoires et rencontrer les associations d’étudiants. Des psychologues-conseillers en orientation étaient également à disposition pour dis-cuter des choix d’études. (RÉD.)

LE CHIFFRE

FORMATION

BRÈVES

PUBLICATION

PASSÉ SURPRENANTDocteur en histoire de l’UNIL, Justin Favrod a lancé le magazine Passé simple. Il s’agit d’un mensuel grand public consacré à l’archéologie et à l’histoire en Suisse romande. Un dossier sur Adélaïde, impératrice et sainte, fondatrice du monastère de Payerne, figure au sommaire de ce premier numéro. Le décorticage du mythe qui entoure la mère de cette dernière, la reine Berthe, fait l’objet d’un article savoureux. Dans le registre exotique, la tentative d’annexion du nord de la Haute-Savoie par le député genevois John Perrier, en 1860, mérite le détour. DS

www.passesimple.ch

EUROPE

TROIS PERSONNALITÉS EUROPÉENNES DISTINGUÉES À DORIGNYLe 17 octobre dernier, la Fonda-tion Jean Monnet pour l’Europe a remis sa Médaille d’or à Her-man Van Rompuy, président du Conseil européen, Martin Schulz, président du Parlement euro-péen, et José Manuel Barroso, alors président de la Commission

européenne (sur la photo, ils sont accompagnés de José Maria Gil-Robles, alors président de la Fon-dation Jean Monnet). Ces trois personnalités, à la tête de leurs institutions respectives et dans l’esprit de la méthode communau-taire imaginée par Jean Monnet,

ont su, de manière solidaire, af-fronter les défis majeurs auxquels l’Europe est confrontée, en pré-servant le cadre communautaire original qui préside à la construc-tion européenne. (RÉD.)

La cérémonie en vidéo:http://jean-monnet.ch

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 13

Deux cents universitaires venus des quatre coins de l'Europe se sont réunis à l’UNIL du 8 au 11 octobre 2014 à l'occasion de la hui-tième conférence des étudiants UNICA. Pen-dant quatre jours, les participants ont discuté, échangé et débattu autour de trois grands thèmes basés sur le parcours des étudiants «avant», «pendant» et «après» les études uni-versitaires. Des sessions de travail spéci-

fiques ont permis d’approfondir certaines thématiques comme la mobilité, le marché de l’emploi et la diversité. Chaque groupe avait pour objectif d'élaborer un plan d'ac-tions concret et réalisable à l'issue de la confé-rence. Les projets les plus prometteurs ont été présentés par deux étudiants lausannois lors l'assemblée générale du réseau UNICA à Stockholm. MA

BOUILLON DE CULTUREFORMATION DISTINCTION

LE SPORT SE JOUE EN HAUT LIEULe Prix de Quervain 2014 a été remis à Raphaël Faiss par la Commission suisse de recherche polaire et de haute altitude des Académies suisses des sciences. Dans le cadre de sa thèse à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (ISSUL), ce chercheur et son équipe ont développé une nouvelle méthode d’en-traînement à l’altitude. Il est en effet courant que des athlètes séjournent en montagne afin d’accroître leur taux de globules rouges et d’intensifier ainsi le trans-port d’oxygène dans leur organisme. La technique mise au point se base sur de longues séries de sprints effec-tués sans récupération intermédiaire complète. A la suite d’une telle procédure, des cyclistes et des coureurs de fond se fatiguent moins vite et maintiennent un haut niveau de performances sur une plus longue durée. (Réd.)

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Dominique Bourg coordonne le nouveau Master en Fondements et pratiques de la durabilité pro-posé dès la rentrée 2015 par la FGSE. Des profes-seurs en Lettres, Droit et SSP participent égale-ment à cette formation qui se décline sous trois angles. Avec un premier bloc très réflexif et cri-tique porté par les humanités environnementales. «Nous sommes obligés de comprendre les liens très complexes que la société entretient avec la biosphère qui la fait vivre. On ne peut plus voir

que des sciences purement sociales, explique Do-minique Bourg. Ce nouvel éclairage intellectuel, c’est l’aspect inédit de ce master.» Dans une deu-xième partie, les étudiants vont apprendre à accé-der à l’information fiable entre autres dans le do-maine des changements climatiques. Un troisième bloc leur fournira des enseignements pratiques, qu’ils soient par exemple capables de monter leur propre structure durable. Délai d’inscription: 30 avril 2015. FZo

UN MASTER EXIGEANT ET AMBITIEUX DURABILITÉ

«NOUS SOMMESOBLIGÉS DE COMPRENDRELES LIENS TRÈSCOMPLEXES QUELA SOCIÉTÉ ENTRETIENTAVEC LA BIOSPHÈREQUI LA FAIT VIVRE.»

LE DÉSIR DE SE DÉPASSER ET LES PRESSIONS ÉCONOMIQUES POURRAIENT BIEN SE CONJUGUER POUR DONNER ENVIE À CERTAINS [SPORTIFS] DE TROQUER DES MEMBRES DE CHAIR ET D’OS CONTRE DES JAMBES DE CARBONE.Daniela Cerqui, anthropologue à l’UNIL, dans un entretien sur le transhumanisme. Publié dans le magazine français Au fait, numéro 8 et sur L’Obs/Rue89.

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14 Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne

1562C’est le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont fait paraître dans des revues scientifiques en 2014 (d’après

Serval), au 22 décembre 2014.Si la diffusion de la connaissance passe par les périodiques spécialisés, les nombreuses thèses publiées l’an passé re-cèlent leur comptant de pépites. Comme par exemple le travail de Denis Ramelet, stagiaire-notaire à Lausanne. Parue chez Schulthess, son étude porte sur le prêt à inté-rêt dans l’Antiquité préchrétienne. Chacun sait que cette pratique est prohibée par l’Eglise catholique, dans le ju-daïsme et dans l’Islam. Mais d’où tombe cette prohibition ? Car, comme nous l’apprend l’auteur, ce type de prêt exis-tait en Mésopotamie et en Egypte, à des taux qui font pas-ser le petit crédit contemporain pour de la philanthropie.Une exception ressort dans le monde antique: le peuple d’Israël. La Torah mentionne le prêt à intérêt «avec désap-probation», tout comme l’Ancien Testament. Cela consti-tue même une violation du commandement qui proscrit le vol. Toutefois, cette interdiction ne s’applique pas aux étrangers de passage. Denis Ramelet emmène ensuite son lecteur vers la Grèce, où Pla-ton puis Plutarque critiquent cette pratique. Signalons que ce dernier s’en prenait aussi à «la tendance à s’endetter plutôt que de – et pour ne pas – renon-cer à certaines choses», une re-marque intemporelle. Aristote a également écrit sa détestation des gains produits par la monnaie engendrée par la monnaie.Au Ier siècle après J.-C., Tacite indique que «le fléau du prêt à intérêt est vraiment ancien à Rome ainsi que la cause la plus fréquente de séditions et de discordes». Pourquoi ? A cause de la servitude pour dettes. Au début de la Répu-blique, un créancier pouvait même enfermer, vendre ou mettre à mort son débiteur ! Plus loin, Denis Ramelet s’at-taque avec une gourmandise de juriste à un problème très ancien: le fenus unciarium, soit le taux d’intérêt maximal lé-galement autorisé. Or, ce chiffre (1% ? 8,33% ? 12% ? 100% ?) ne nous est jamais parvenu, ce qui a alimenté des que-relles d’experts sur plusieurs siècles. Dans sa conclusion, l’auteur ne cache pas son opposition au prêt à intérêt en soulignant son injustice fondamentale: la disjonction des profits et des risques entre le créancier et son débiteur. DS

6392 Le nombre de références faites à l’UNIL et au CHUV dans les médias suisses en 2014, selon la revue de presse Argus, au

22 décembre 2014. Dans le cadre d’une série d’interviews menées en octobre dernier avec des personnalités poli-tiques, Le Temps a régulièrement sollicité le regard de Georg Lutz, chercheur à la Fondation suisse pour la recherche en Sciences sociales (FORS). Ce centre de compétences est ins-tallé à l’UNIL. Il s’agissait de poser les enjeux des élections fédérales de cet automne. L’élection de Laetitia Guarino au titre de Miss Suisse, en octobre, a été très largement trai-tée par les médias. La jeune femme est étudiante en méde-cine à l’UNIL. En économie, un outil développé à la Faculté des Hautes Etudes Commerciales est utilisé par le Départe-ment américain du commerce. Il mesure les coûts cachés des délocalisations, et permet ainsi de plaider pour des… relocalisations aux Etats-Unis. La professeure Suzanne de Treville a été interrogée à ce sujet. La campagne qui a pré-cédé la triple votation fédérale du 30 novembre a été l’occa-sion pour les chercheurs de l’UNIL d’être présents dans les médias. L’automne dernier, les spécialistes de l’UNIL et du CHUV sont souvent intervenus au sujet du virus Ebola et des tests de vaccin menés à l’hôpital universitaire. Toujours à l’international, Laurent Keller, directeur du Département d’écologie et évolution, spécialiste des fourmis, a donné un entretien dans El País le 4 décembre. Le lendemain, sur le thème de la contestation écologique, le professeur Domi-nique Bourg a participé à une longue émission matinale sur France Culture (lire également en p. 61).A la même période, la création d’un laboratoire de réalité virtuelle, au croisement des sciences économiques et de la psychologie, a été l’objet de plusieurs reportages. C’est Ma-rianne Schmid Mast, nouvelle professeure à la Faculté des HEC, qui menait les visites. DS

LE PRÊT À INTÉRÊT,UN ANTIQUE FLÉAU

POLITIQUE, DÉLOCALISATIONS ET VIRTUEL

HISTOIRE

BRÈVES

L’UNIL DANS LES MÉDIAS PASSAGE EN REVUE

À LA BELLEEPOQUELe cinquième numéro de Monuments vaudois: La revue du patrimoine artistique vaudois, consacre un dossier à la «Belle Epoque de l’ar-chitecture», autour de 1900. Ainsi, deux ar-ticles traitent de Mon-treux : le premier se concentre sur la pro-motion de ses hôtels, et l’autre traite de l'ar-chitecte Louis Villard, le bâtisseur de l’ave-nue des Alpes. Pour les personnes qui pensent déjà bien connaître Lausanne, le texte consacré à l’ensemble bâti à l’angle des Ter-reaux et de la rue Mau-borget s’avère être une lecture pleine de surprises.Annuelle et richement illustrée, cette revue de recherche publie

des articles fouillés, mais très accessibles aux personnes intéres-sées par le patrimoine. Grâce à ces textes, des bâtiments et des lieux qui peuvent sem-bler connus reçoivent un éclairage nouveau. Parmi les auteurs fi-gurent aussi bien des étudiants de l’UNIL et des chercheurs que des historiens indépen-dants. DS

www.unil.ch/monumentsvaudois

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 15

LE PRÊT À INTÉRÊT,UN ANTIQUE FLÉAU

ÉCONOMIE, MÉDECINE ET BIOLOGIEÀ L'HONNEUR

La Fondation Professeur Dr Max Cloëtta a distingué deux scien-tifiques avec le Prix Cloëtta 2014, doté de 50 000 francs.Henrik Kaessmann, profes-seur au Centre intégratif de gé-nomique de l'UNIL et directeur de groupe au SIB Institut suisse de bioinformatique, est l’un d’eux. Ce chercheur est récom-pensé pour ses nouvelles décou-vertes dans le domaine de la gé-nétique moléculaire. La manière dont les mammifères supérieurs se sont diversifiés fait l'objet de débats chez les paléontologues et les généticiens moléculaires. Les travaux d’Henrik Kaess-mann ont acquis une grande re-nommée internationale. (RÉD.)

Le Prix Isabelle Musy a été attri-bué à Verónica Ponce de León, chercheuse en génie génétique, dans le groupe d'Yvan Arsenije-vic, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine, à l'Hô-pital ophtalmique Jules-Gonin de Lausanne. Dotée de 50 000 francs, cette distinction a pour objectif de soutenir la création d'une start-up romande et latine, «Innovation Therapeutics». Créée par la lauréate, l’entreprise sera consacrée notamment à la théra-pie cellulaire des yeux. La tech-nologie utilisée s'inscrit dans une véritable révolution dans le domaine du génie génétique. Le prix porte le nom de son instiga-trice, mécène passionnée. (RÉD.)

POLITIQUERECHERCHE

DES ARCHIVES EUROPÉENNES À DORIGNYL'Etat de Vaud accueille deux fonds d'archives de référence sur l'histoire du déve-loppement de l'idée européenne: Richard Niklaus de Coudenhove-Kalergi (1894-1972), et Vittorio Pons (1910-1995), secrétaire général de l'Union paneuropéenne internationale entre 1965 et 1995. Ces archives, qui représentent 60 mètres linéaires, sont ouvertes au public et les inventaires sont consultables en ligne (www.davel.vd.ch). (RÉD.)

Photo: Signature de la double convention de dépôt le 17 novembre 2014. Vincent Grandjean, chan-celier d’Etat, Pascal Broulis, conseiller d’Etat, Alain Terrenoire, président de l'Union paneuropéenne, Marco Pons (assis), secrétaire général de l'Union paneuropéenne, Gilbert Coutaz, directeur des Ar-chives cantonales vaudoises.

Docteure en philosophie de l’UNIL, spécialisée en logique, Marion Haemmerli a obtenu l’une des deux bourses remises chaque année par la Fondation Bourses politique et science. Depuis janvier, elle travaille au secrétariat des Commis-sions de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie, à Berne. Avec ses collègues, elle sera «chargée de fournir la documen-tation scientifique nécessaire aux parlementaires sur les dossiers en cours», explique cette chercheuse, également diplômée en mathématiques. Elle va assister aux séances des commissions, là où s’élaborent les lois. Le secrétariat est en effet responsable de s’assurer que la procédure est suivie correctement. Les instruments de réflexion, ainsi que la capacité à rassembler, s’approprier et synthétiser des informations complexes, acquises au cours de son doc-torat, lui seront très utiles. (RÉD.)

UN AN AU PALAIS FÉDÉRAL

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Nadia Chabane a été nommée au titre de professeure ordinaire, res-ponsable de la Chaire d'excellence Hoffmann dans le domaine des troubles du spectre de l'autisme et directrice du Centre canto-nal de l'autisme. Fruit du partena-riat entre l'UNIL et le CHUV avec le soutien de la Fondation Hoffmann et de l'EPFL, ce centre est le pre-mier du genre en Suisse. L’un des objectifs consiste à développer des méthodes de diagnostic en-core plus efficaces, afin de détec-ter plus précocement les troubles autistiques et mettre en place un suivi médical répondant aux stan-dards internationaux, en coordi-nation avec l'ensemble des autres institutions spécialisées. (RÉD.)

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Le «Prix Nobel d’économie» 2014 a été attribué à Jean Tirole, doc-teur honoris causa de l’Université de Lausanne dans le domaine des Hautes Etudes Commerciales. Ce titre lui avait été décerné le 31 mai 2013 afin de le récompenser pour l’ensemble de ses travaux concer-nant l’organisation industrielle. Jean Tirole a enseigné en tant que professeur invité à la Faculté des HEC dans le cadre du programme en Economie politique, dans les années 80. Depuis, il est revenu à Lausanne à plusieurs occa-sions pour des cours et des confé-rences. Jean Tirole est notam-ment président de la Fondation Jean-Jacques Laffont - Toulouse School of Economics (TSE). (RÉD.)

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ENTREPRISES La Faculté des hautes études commercialeswww.hec.unil.ch

FAUTEDans la grande majorité des cas, c’est le contexte de l’entreprise, et non l’individu, qui mèneaux prises de décisions non éthiques.© Thinkstock

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On pense que les dirigeants d’entreprises qui jouent avec la vie des consommateurs, par exemple, sont des pervers dépourvus de toute éthique. C’est faux, répondent les professeurs à la Faculté des HEC de l’UNIL Guido Palazzo et Ulrich Hoffrage. En réalité, c’est le contexte qui conditionnerait ce passage à l’acte des leaders qui ont par ailleurs des valeurs morales normales. TEXTE SONIA ARNAL

POURQUOI DES MANAGERS MÊME PAS

PRENNENT-ILS DES DÉCISIONS

IMMORALES?Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 17

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pour chacune des 12 500 000 Pinto produites, soit 137 millions de dollars.

Mais les ingénieurs et les dirigeants ont décidé que cela n’en valait pas la peine. Leurs raisons? Un simple calcul: Ford a estimé qu’il y aurait sans doute quelque 180 morts à cause de ce réservoir mal placé, et qu’il faudrait indem-niser les familles à hauteur de 200 000 dollars par décès, auxquels il faudrait ajouter le même nombre de brûlés graves à 67 000 dollars par victime. Le constructeur a encore ajouté quelques piécettes pour les véhicules incen-diés. Bref, laisser les Pinto rouler avec leurs défauts coûte-rait, à la louche, 50 millions de dollars, soit bien moins cher que de rappeler les véhicules pour les réparer.

De sang-froid, en toute connaissance de cause, les ingé-nieurs et les dirigeants ont donc choisi de vendre leur Pinto telle quelle, se disant qu’au fond, économiser une centaine de millions de dollars valait bien 180 morts et 180 blessés graves.

Une décision immorale? Oui. Pourtant, sur le moment, tout le monde chez Ford a trouvé cela parfaitement nor-mal et raisonnable.

«Le côté obscur de la force»C’est ce genre de cas concrets, tirés du monde des entre-prises, que Guido Palazzo et son collègue Ulrich Hoffrage utilisent pour expliquer comment des employés ou diri-geants aux valeurs morales tout à fait normales en arrivent à prendre des décisions dont les conséquences violent l’éthique et leurs propres codes de conduite.

Les professeurs enseignent tous deux à la Faculté des Hautes Etudes Commerciales (HEC) de l’UNIL, le premier l’éthique dans le monde des affaires, le second la théorie de la décision. A leurs élèves de Master, mais aussi pour la première fois cette année dans un MOOC (voir encadré p. 19), ils proposent un cours intitulé «Les prises de déci-sions immorales dans les organisations – un séminaire sur le côté obscur de la force».

Comme l’a observé Guido Palazzo, «l’explication géné-ralement admise, quand on parle de décisions immorales prises dans le monde du travail, c’est qu’il y a une pomme pourrie dans le panier, qu’elle a pu parfois un peu conta-miner les autres, mais que pour l’essentiel les fruits sont sains». En clair: la «mauvaise» décision, au sens moral du terme, a été prise par un cadre ou un employé dépravé ou méchant, qui portait le mal en lui, mais le reste de l’entre-prise fonctionne normalement.

On décide rarement seul«De tels cas peuvent bien sûr arriver, mais dans l’immense majorité des situations que nous avons étudiées, ce n’est pas du tout ce qui se passe, explique Guido Palazzo. Les employés et les managers étaient des gens parfaitement nor-maux, pas des “méchants”. C’est le contexte, et non pas un individu, qui mène aux décisions non éthiques. D’ailleurs,

Avec la crise du pétrole qui fait exploser les coûts des pleins en 1970, la demande pour les petits véhicules a pris l’ascenseur. Ne voulant pas laisser le mar-ché aux Japonais ou aux Européens, par exemple à Volkswagen, Ford a demandé à ses ingénieurs

de sortir une voiture dans ce segment en deux fois moins de temps qu’il n’en faut d’ordinaire pour produire un nou-veau modèle.

Préparée dans l’urgence, la Pinto souffre de ce contexte. Un défaut de conception apparaît avant même la commer-cialisation, révélé par des crashs tests en usine: le réser-voir, placé tout à l’arrière de la voiture, a de forts risques d’exploser et d’embraser les passagers si le véhicule est embouti lors d’un accident.

Une erreur à 137 millions de dollarsCette Ford finira même par être surnommée «le grill à 4 places». Minimiser ce défaut et rendre la voiture moins dangereuse – les failles de conception étaient telles que la rendre sûre était impossible – aurait coûté 11 dollars

GUIDO PALAZZODirecteur du Département de stratégie de la Faculté des HEC.Nicole Chuard © UNIL

ENTREPRISES

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dans les grandes organisations, une décision est rarement prise par une personne isolée. Si elle aboutit, c’est que tous y souscrivent ou y consentent.»

Est-ce à dire qu’ici aussi, c’est la faute à la société? «Non, je ne dis pas qu’il faut absoudre l’individu qui agit mal: il a une responsabilité individuelle indéniable, rétorque Guido Palazzo. Mais on sous-estime le pouvoir du contexte. Si on en reste au niveau psychologique, de la personne, sans s’intéresser à l’organisation, on passe à côté de la raison majeure pour expliquer les prises de décisions immorales – et on n’y mettra pas fin.»

Bien, mais dans une entreprise privée ou une adminis-tration publique, le contexte, c’est quoi, au fond? Les cher-cheurs distinguent trois éléments: la situation dans laquelle le manager prend sa décision (le temps qu’il a à disposition, la pression du groupe), le mode de fonctionnement de l’orga-nisation (quels types d’incitations elle met en place, d’éva-luations, sur quels critères sont basées les rémunérations), et enfin l’idéologie, la culture d’entreprise à laquelle se rat-tache l’organisation.

Ce n’est pas un seul élément, par exemple un temps insuf-fisant pour évaluer les conséquences de ses actes, qui pous-serait automatiquement un décideur à faire des choix peu ou pas éthiques, mais cette constellation de paramètres, qui, selon leur agencement, peut créer une ambiance favorable.

Ça ne tourne pas, EnronLe cas d’Enron montre bien comment les deux derniers élé-ments, soit le mode de fonctionnement et l’idéologie, se sont conjugués pour arriver au final à un désastre. Enron, active à l’origine dans l’énergie, a été l’une des plus grosses entre-prises américaines en termes de capitalisation boursière. Mais cet empire s’est écroulé en 2001 par le biais d’une fail-lite retentissante. Il est alors apparu que des pertes mas-sives avaient été sorties du bilan comptable par un tour de passe-passe, qui permettait d’enjoliver considérablement les résultats finaux.

Certes, le CEO d’Enron était mû par l’appât du gain, et il a clairement fraudé. Mais il n’a évidemment pas pu monter un tel système seul et à l’insu de ses employés. Beaucoup y ont participé et savaient qu’ils travaillaient à un projet illé-gal et moralement répréhensible.

Comment expliquer que des diplômés de Harvard ou d’autres universités prestigieuses, a priori partis pour faire une grande carrière dans des activités parfaitement morales, se soient retrouvés dans cette galère? D’abord, les années 90, c’est l’essor de la nouvelle économie, celle où on lance des start-up et où l’on fait fortune en quelques mois quand, dans l’économie de papa, il fallait une vie.

L’idéologie dominante est au rejet des valeurs tradition-nelles: les règles ne sont plus les mêmes, on en réinvente tous les jours. Dans cet environnement aux repères chan-geants, finir par se croire au-dessus des lois est un glisse-ment qui se produit tout seul. La hausse phénoménale du

«DANS LES GRANDES ORGANISATIONS, UNE DÉCISION EST RAREMENT PRISE PAR UNE PERSONNE ISOLÉE. SI ELLE ABOUTIT, C’EST QUE TOUSY SOUSCRIVENT OU Y CONSENTENT.»GUIDO PALAZZO

Un MOOC est un Massive Open Online Course, soit une «formation en ligne ouverte à tous». Ce genre de cours peut être suivi par n’importe qui dans le monde à n’im-porte quel moment. Il suffit de s’inscrire pour y avoir ac-cès. On le suit par intérêt pour un sujet, pour améliorer sa culture, mais aussi pour obtenir une certification – dans ce cas, il faut suivre les leçons et les devoirs selon un ti-ming défini par l’enseignant.

Le MOOC qu’ont donné Guido Palazzo et Ulrich Hof-frage, «Unethical Decision making in Organizations: a Se-minar on the dark Side of the Force» («Prise de décisions immorales dans les organisations: un séminaire sur le côté obscur de la force») a compté 43 000 inscrits, des étu-diants qui vivent en Suisse, ailleurs en Europe, en Asie, aux Etats-Unis, bref partout. Parmi eux, 3500 environ ont suivi chaque semaine la matière nouvelle mise en ligne.

Il s’agissait surtout d’un ou plusieurs films qui ex-pliquent et développent au travers d’exemples les concepts essentiels. «J’ai repris le cours que je donne depuis plusieurs années aux élèves de Master en HEC, mais il a fallu découper la matière autrement, et surtout, condenser au maximum», explique Guido Palazzo.

Les étudiants qui souhaitaient obtenir une certifica-tion à l’issue du cours ont par ailleurs dû répondre aux quiz qui parsèment les films, participer au forum de dis-cussion et écrire deux dissertations sur ce thème. «C’est vraiment un gros travail pour nous, mais nous nous inscri-vons dans la ligne souhaitée par la direction: ne pas pro-duire des MOOCs à tout-va, mais viser la qualité.» C’est ainsi que dans un domaine où bien souvent les profs se contentent de filmer tout simplement leur cours avant de le mettre en ligne, on a ici fait appel à un professionnel pour filmer et monter, à un illustrateur, etc... Bref un résul-tat très plaisant et limpide, même pour un néophyte. SA

UN COURS, 43 000 ÉTUDIANTS

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ENTREPRISES

prix de l’action a contribué à créer ce sentiment, auprès des managers et des employés, d’être les rois du monde, une race à part, supérieure.

La peur du licenciementEn outre, le système d’évaluation a instauré un climat qu’on peut qualifier sans exagérer de darwinien: le 15% des employés les moins performants étaient systémati-quement licenciés. Résultat: pour survivre, il faut faire du chiffre, peu importe comment, et surtout ne pas contre-dire ses supérieurs.

Cet exemple illustre comment un contexte, créé à la fois par l’idéologie d’une époque et la culture d’une entreprise, peut amener toute une organisation à adopter des compor-tements immoraux et illégaux. Sans que personne ne tire le frein à main.

Pourquoi d’ailleurs cette suspension de jugement, cette mise au placard des valeurs auxquelles un individu adhère normalement? Guido Palazzo parle «d’aveuglement moral» pour définir cet état. «Quand vous êtes dans un contexte comme celui d’Enron, dans l’absolu, vous êtes bien sûr libre de désapprouver ce qui se passe et de démissionner. Si très peu de gens le font, c’est parce qu’ils n’arrivent pas à prendre suffisamment de distance par rapport à ce qu’ils vivent. Vous avez travaillé dur au collège pour entrer à Har-vard, vous en ressortez avec un diplôme, vous êtes engagé par une des entreprises les plus prestigieuses des Etats-Unis. Si vous démissionnez après deux mois, vous savez que c’est très pénalisant pour la suite de votre carrière. Vous avez aussi des collègues, et la pression du groupe: tout le monde fait front, et, quand vous êtes le dernier arrivé, c’est très difficile de se désolidariser et de critiquer ce qui se passe en disant: “Non, ça n’est pas éthique, il faut arrê-ter ça tout de suite.”»

Les habits neufs de l’empereur fashion victimPour illustrer cet aveuglement moral, Guido Palazzo uti-lise un conte d’Andersen, Les habits neufs de l’empereur. L’histoire d’un souverain qui aime par-dessus tout être bien habillé. Cette fashion victim change de tenue toutes les heures. Arrivent dans son royaume deux arnaqueurs qui prétendent lui coudre un vêtement dans une étoffe extraordinaire, qui est invisible aux yeux des imbéciles. Ils se «mettent au travail», et quand il vient vérifier l’avan-cée des travaux quelques jours plus tard, l’empereur ne voit rien (forcément, il n’y a rien), mais n’ose pas le signa-ler de peur de passer pour un idiot. La même chose se pro-duit avec tous ses conseillers. Au final, le roi décide d’en-filer ses nouveaux atours pour parader devant son peuple, qui, abasourdi, n’ose pas réagir non plus. Seul un petit enfant crie «Le roi est nu!».

On voit bien ici que la peur de déplaire à un roi tyran-nique se conjugue avec l’élaboration d’un mensonge collec-tif, renforcé par cette menace de passer pour un idiot si on

dit la vérité. Résultat: seul un enfant, qui échappe à la pres-sion du groupe et à l’aveuglement collectif, ose parler vrai.

La morale en crise«Le style de leadership influence aussi l’ambiance dans une organisation, précise Guido Palazzo. Un manager tyran-nique, ou qui n’a pas l’intelligence de s’entourer de proches collaborateurs qui le challengent et le contredisent, créera aussi un contexte favorable à l’aveuglement moral, donc aux décisions immorales.» Tout comme les périodes de crise où le profit devient la seule finalité et où les discours des diri-geants empruntent leur vocabulaire à l’armée. Dès qu’il s’agit de «se battre à tout prix pour sa survie», ne «pas faire de quartier», «dégommer l’ennemi» et «faire front commun contre lui», c’est mauvais pour l’éthique.

L’administration n’échappe pas aux dérapagesNotons enfin que les administrations publiques, si elles sont moins soumises à la pression de la rentabilité, sont égale-ment des organisations à risque. «La routine est un facteur qui favorise l’aveuglement moral. On se pose peu de ques-tions sur la finalité de ce que l’on fait, on ne remet pas en question les processus, les règles, donc c’est aussi une forme de “culture d’entreprise” qui peut favoriser des pratiques collectives peu éthiques.» Enfin, chez les employeurs des marques pour lesquelles tous les jeunes diplômés veulent travailler, Google, Apple ou d’autres, c’est surtout la pres-sion du groupe qui est à craindre: «Il s’agit d’être cool, et d’avoir la même vision du monde que les autres – d’ail-leurs ces entreprises favorisent les activités communes en dehors du travail, pour les loisirs. C’est difficile dans cette ambiance d’endosser le rôle du vilain petit canard qui pense autrement – on est vite exclu.»

N’y a-t-il alors point de salut? «Tout le monde court le risque de se retrouver à prendre des décisions immorales qui, au fond, ne correspondent pas à son éthique, à ses valeurs personnelles. Personne n’est à l’abri, pas même les personnes très engagées dans une église – nous avons constaté que parce qu’elles ont l’habitude de croire à un dogme sans le questionner, en laissant leur esprit critique de côté, elles ont plus de chances d’être embarquées dans des décisions peu éthiques, et ce malgré leurs valeurs morales fortes.»

Est-ce à dire qu’au fond Guido Palazzo et son collègue Ulrich Hoffrage ne peuvent éclairer leurs étudiants que sur le passé, sans espoir de prévention? «La meilleure prévention est justement d’expliquer les mécanismes qui conduisent à l’aveuglement moral, décrire et analyser les contextes qui favorisent le passage à l’acte. Cela permet-tra à l’étudiant de reconnaître les situations à risque. Mais le plus important est de lui apprendre à ne jamais travail-ler comme un automate: il faut toujours garder son esprit critique, prendre le temps de rester en contact avec sa conscience, faire des choix en toute conscience.»

«LA ROUTINE EST UN FACTEUR QUI FAVORISE L’AVEUGLEMENT MORAL.»GUIDO PALAZZO

Les MOOCS proposés par l’UNILwww.coursera.org/unil

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J’aimerais bien continuer à avaler du thé noir et à gri-gnoter du chocolat tran-quillement. Ce n’est pas forcément mauvais, d’ail-

leurs. Mais ça change probablement mon «microbiote». Quelle est cette bestiole? En réalité, une foultitude de

bestioles puisque notre organisme se compose à 99% d’aliens minus-cules que sont les bactéries, cham-pignons, germes et virus divers. Une horde de microbes qui ne laissent à nos cellules humaines que 1% du territoire!

A l’UNIL-CHUV, le professeur Benjamin Marsland dirige plusieurs recherches sur ce thème. Deux ar-ticles issus d’études menées sur des souris ont récemment été pu-bliés dans la revue Nature Medicine et un troisième est en préparation. Nos intestins sont colonisés par un très grand nombre de bactéries, on le savait déjà. Certaines sont béné-fiques et donnent à nos cellules im-munitaires un signal correct, par-ticipant ainsi à leur éducation, et d’autres provoquent la panique dans notre système immunitaire qui s’emballe et peut alors déclencher une réponse inflammatoire inadé-quate. Depuis quatre ans, grâce aux

nouvelles techniques de séquençage de l’ADN, il a été possible d’identifier cette flore microbienne – ce micro-biote – dans nos poumons.

Précisons qu’une souris élevée en conditions stériles – son petit or-ganisme ne comporte aucun germe – se montre plus vulnérable aux al-

lergies. Le premier article, issu d’une étude réalisée sur des souris et soutenu par des recherches me-nées au CHUV avec des bébés et de très jeunes enfants, a permis à Ben-jamin Marsland de montrer que les bactéries colonisent les poumons dès les premiers instants de la vie, transmises par la mère et acquises au gré des interactions avec nos en-vironnements successifs. Une infec-tion virale peut aussi changer le mi-crobiote de l’enfant, perturbant ainsi le bon équilibre de celui-ci. On l’a dit: certaines bactéries affectent de ma-nière négative notre système immu-nitaire, ce qui peut induire des mala-dies allergiques telles que l’asthme, ou d’autres affections qui se déclen-cheront plus tard dans la vie.

Le deuxième article est issu d’une recherche menée par Au-rélien Trompette, sous la direc-tion du professeur Marsland. Cette étude montre que la dégradation

des fibres alimentaires par cer-tains types de bactéries produit des molécules qui vont non seulement changer le microbiote local, mais en-core pénétrer dans le sang et avoir un effet au niveau de la moelle os-seuse, là où mûrissent les précur-seurs d’une partie de nos cellules immunitaires. Une fois matures, ces cellules se dispersent dans l’orga-nisme, entre autres dans les pou-mons. Pour résumer: si nous dégra-dons des fibres issues notamment de fruits et de légumes, nous rendons nos cellules immunitaires moins susceptibles de s’emballer face aux éléments allergènes et donc réelle-ment protectrices.

En cours, une troisième étude porte sur la fumée de cigarette et autres polluants qui induisent une modification de l’environnement et du microbiote pulmonaires et en-gendrent une inflammation locale chronique, entraînant un déclin pro-gressif de la fonction pulmonaire. A un certain moment, on peut basculer dans la maladie (bronchite pulmo-naire chronique obstructive).

Ces études montrent l’impor-tance du microbiote, dont l’appari-tion et les transformations depuis la naissance, en fonction de nos modes de vie et sous l’effet du temps qui passe, peuvent entraîner différentes maladies. Tous les organes semblent concernés. Les bactéries qui colo-nisent la peau, par exemple, jouent un rôle clé dans l’apparition ou non de dermatites et autres affections. NADINE RICHON

Trois études récentes dirigées à l’UNIL par le professeur Benjamin Marsland mettent en évidence le rôle essentiel du microbiote, ces bactéries qui colo-nisent nos organes. Notre système immunitaire, notre peau et notre sensibilité aux allergies sont concernés.

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Le Musée cantonal de zoologie de Lausannewww.musees.vd.ch/musee-de-zoologie

NATURE

LE RETOUR DISCRETDU REDOUTABLEGRAND-DUC22 Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 23

RARELes 80 à 100 couples dénombrés en Suisse ne suffisent pas à assurer la sauvegarde de l’espèce. © Kletr / Shutterstock

Chassé, houspillé, torturé, le maître de la forêt avait fini par disparaître du canton de Vaud. Il revient majestueu-sement, accueilli comme un pape par les amateurs et les scientifiques. En Suisse, toutefois, ses effectifs ne sont de loin pas assez nombreux pour le placer à l’abri de la disparition. TEXTE VIRGINIE JOBÉ

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Une envergure frôlant le mètre 90, des serres effi-lées gigantesques, un vol parfaitement silencieux, de grands yeux orange qui scannent la nuit en même temps que ses hululements répétitifs: le Hibou grand-duc, renommé Grand-duc d’Europe,

fascine. Au moins autant qu’il effraie. Comme le loup et l’ours, il est devenu mythique tout en s’effaçant peu à peu de nos paysages.

C’est qu’à force d’être maltraité, le plus grand rapace nocturne du monde a fini par s’éclipser. «Le Grand-duc n’a probablement jamais complètement disparu de Suisse, mais on ne le voyait pas, on ne savait pas où le trouver», explique Pierre-Alain Ravussin, spécialiste des chouettes et des hiboux et biologiste, qui a obtenu une licence en Sciences naturelles à l’UNIL.

Aujourd’hui, le Bubo bubo se montre à nouveau, timide-ment. Trois couples ont été observés ces dernières années dans le canton de Vaud. Dont un à Saint-Triphon. Et cette fois-ci, plutôt que de le chasser ou de le crucifier sur une porte, on lui a déroulé le tapis rouge. Ou presque. En effet, les membres du spectacle Fabrikk de Karl’sKühne Gas-

senschau (KKG), prévu le 19 mai 2015 à la carrière des Andonces, se sont dépêchés de monter leur décor à l’au-tomne dernier afin de permettre au couple de roucouler durant l’hiver. De fin novembre à avril, interdiction de travailler à proximité des amoureux pour préserver les chances de reproduction.

«C’est la somme des mesures prises pour leur protec-tion qui, petit à petit, portent leurs fruits, se réjouit Daniel Cherix, biologiste et professeur honoraire à l’UNIL. Mais aussi et surtout, le fait qu’on ait pris conscience de la raré-faction de l’espèce. Les personnes sensibilisées n’hésitent pas à transmettre leurs observations. Les chiffres que l’on peut avancer sur les rapaces nocturnes, qui sont rares, existent en grande partie grâce aux amateurs qui passent du temps à les recenser. Il faut leur rendre hommage.»

Cependant, le professeur note que 80 à 100 couples dénombrés en Suisse ne suffisent pas à la sauvegarde du Grand-duc. Il en faudrait beaucoup plus pour l’estimer à l’abri d’une disparition. «Tant qu’on parle d’une centaine de couples, son avenir reste incertain. Idem pour le loup. S’il y a bien recolonisation, il n’y a pas encore de sécurité

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NATURE

pour que l’espèce survive à moyen terme. Toutefois, le Grand-duc a plus de chance de survivre en Suisse que le loup, très clairement.» Car cet oiseau impressionnant a plus d’un tour sous son aile.

En Suisse, il est apparu dans la première loi sur la pro-tection des animaux, en 1925. En même temps que l’Aigle royal et le loup. Au début du XXe siècle, son principal pro-blème, c’était la chasse. Tuer l’oiseau était «considéré comme un acte de salubrité», explique Pierre-Alain Ravussin. De plus, l’énorme rapace était un trophée de choix. «Quand j’étais conservateur au Musée de zoologie de Lausanne, j’ai visité toutes les collections scientifiques que possé-daient les collèges et gymnases du canton de Vaud, se souvient Daniel Cherix. Et j’ai découvert entre 150 et 200 Grands-ducs empaillés, un chiffre énorme. Les chasseurs les tiraient et les offraient à l’enseignant comme matériel de démonstration.»

Symbole de la sagesse chez les Grecs, du malheur chez les Romains, le rapace nocturne aux allures aristocratiques intriguait déjà l’Homme il y a 30 000 ans. «Dans la grotte de Chauvet en Ardèche (France), on a retrouvé une repré-sentation de Grand-duc, aux côtés de bisons, mammouths et autres mammifères. Comme il n’est pas mangeable, il devait figurer autre chose...»

Une force de la natureLe premier catalogue des oiseaux de Suisse listait huit sites vaudois occupés par l’animal en 1860. «Dès lors, il n’y a pas eu une donnée de Grand-duc qui n’ait été men-tionnée, répertoriée, précisée. On a un suivi exceptionnel pour cet oiseau», s’anime Pierre-Alain Ravussin. Un suivi qui montre que les effectifs du rapace n’ont fait que de diminuer. Parce qu’après l’avoir chassé, l’humain a com-pliqué son existence en fragmentant son territoire, en l’em-poisonnant à cause de ses pesticides dans les cultures ou encore en élevant des câbles de téléphérique où il s’élec-trocute. Néanmoins, ce qui a peut-être sauvé Maître hibou (oui, dans Bambi, il s’agit d’un Grand-duc), c’est sa formi-dable capacité d’adaptation... à l’Homme.

DANIEL AUBORTET DANIEL CHERIXPhotographe. Biologisteet professeur honoraire.Nicole Chuard © UNIL

PIERRE-ALAIN RAVUSSIN ET ALBERTINE ROULETSpécialiste des chouettes et des hiboux, biologiste. Biologiste, assistantede recherche à hepia.Nicole Chuard © UNIL

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 25

«Cette espèce supporte bien la captivité et se reproduit très vite, affirme Pierre-Alain Ravussin. Cela a permis de relâ-cher des individus dans des quantités d’endroits, en Suisse, en France et en Allemagne. Parfois de manière aberrante. En Allemagne du Sud par exemple, on a lâché des Grands-ducs dans tous les coins. Ils ont d’emblée montré des com-portements assez particuliers.»

Alors qu’on l’avait toujours vu se reproduire vers les grandes falaises, dans des milieux sauvages, il s’est ins-tallé dans des petites gravières, au pied de murs. Oppor-tuniste, le carnivore habitué aux lièvres et aux rapaces diurnes allait même attraper des rats dans les décharges. «Il est capable de nicher en ville, précise le biologiste. Quatre couples se reproduisent dans l’agglomération d’Helsinki, où ils mangent des pigeons. Un terrain ouvert permettant des déplacements faciles et des repérages de proies, avec des arbres pour se cacher, c’est l’idéal.»

Ainsi l’an passé, dans la cité d’Yverdon, un Grand-duc solitaire a fait son marché tous les soirs dans un dortoir communautaire de milliers de corneilles, freux et autres choucas. «Je pense qu’il s’agissait d’un jeune. Il attrapait un oiseau par nuit. Après deux mois, la communauté est par-tie ailleurs», relate Pierre-Alain Ravussin.

Gros pondeurLe retour d’un tel glouton, qui pèse environ trois kilos à l’âge adulte et peut avaler des hérissons voire des renar-deaux, va-t-il donc provoquer des ravages au sein de la faune? Au contraire, selon Daniel Cherix, cela restructure toute la chaîne alimentaire. «Les superprédateurs – c’est-à-dire les animaux qui, une fois adultes n’ont pas de pré-dateurs, comme le loup, l’ours, le grand requin blanc et le Grand-duc – sont des régulateurs d’autres prédateurs, ce

EN FAMILLEFemelle Grand-duc et ses deux petits, installés dans une falaise du côté d’Orbe, en 2013. La preuve que l’oiseau est de retour dans le canton de Vaud.© Pierre-Alain Ravussin

qui favorise la biodiversité. C’est lorsqu’ils disparaissent que cela devient dangereux, car les mésoprédateurs (les prédateurs secondaires comme le renard et l’hermine) aug-mentent et poussent au déséquilibre aux étages inférieurs.» Par ailleurs, puisqu’il ne s’attaque ni aux animaux domes-tiques, ni aux animaux de rente, sa réapparition n’inquiète pas les paysans.

Plus fort encore, le réchauffement climatique ne fait ni chaud ni froid au Grand-duc, qui supporte la chaleur esti-vale aussi bien que la neige hivernale. En Finlande ou sous un climat méditerranéen, il s’adapte. «Il n’est pas limité par la latitude ou la longitude, observe Pierre-Alain Ravussin. On le trouve au-delà du cercle polaire arctique et jusqu’en Afrique du Nord. C’est une espèce à répartition très large.»

Autre détail d’importance qui participe à sa survie: sa reproduction efficace. La femelle Grand-duc pond chaque année deux à quatre œufs, «contrairement au gypaète et à l’aigle qui n’ont qu’un petit à la fois», souligne Pierre-Alain Ravussin. En général, Monsieur et Madame restent fidèles. Et très territoriaux. Si le milieu est adéquat et qu’ils se reproduisent sans être dérangés, ils se montreront casa-niers et sédentaires.

«Les plus vieux couples sont ceux qui réussissent le mieux à se reproduire, indique le biologiste. Ce sont deux terreurs pour leurs voisins. Ils forment une association très efficace contre les prédateurs. Le mâle, toujours plus petit que la femelle, attaque sans aucune difficulté un Grand cor-beau qui tenterait de voler sa progéniture, et assure son ravi-taillement. La femelle s’occupe aussi de défendre le nid, mais également de l’incubation et de la surveillance des jeunes.»Madame Grand-duc choisit son mâle dès le mois de janvier, quand les prétendants se mettent à hululer pour l’attirer. Des sortes de «Uhu» (comme son nom en allemand) pro-

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fonds et pénétrants. «Lorsque le couple s’est formé, s’il échoue à sa tâche de reproducteur, puis de ravitailleur et défenseur, la femelle risque de le quitter.» Pendant l’accou-plement, qui a lieu entre les mois de février et mars, Mon-sieur hulule des «uhu» et Madame crie des «ooooo». Un com-portement que l’on retrouve chez les Chouettes hulottes, ajoute le spécialiste, mais pas chez les autres espèces de rapaces nocturnes.

Si puissant et si fragileCe colosse intelligent, au plumage mimétique qui le fait se fondre dans presque tous les paysages, a pourtant ses fai-blesses. Entre autres, il doit consommer de nombreux ani-maux pour garder de l’énergie. «Il faut qu’il puisse trouver assez de proies disponibles, relève Daniel Cherix. Mais aussi qu’il ne soit pas dérangé. Une fois qu’une espèce colonise un milieu, ce sont ces deux facteurs qui vont être décisifs à sa survie.»

Si la nourriture semble aujourd’hui abondante, elle peut encore contenir des pesticides néfastes. Les dégâts des PCB (polychlorobiphényles), des métaux lourds anciennement utilisés dans les cultures, se font encore ressentir. «L’année prochaine, la Confédération abordera la question de la réduc-tion des pesticides fortement utilisés en agriculture. On va rentrer dans une nouvelle période, qui pourrait donner des chances supplémentaires aux espèces sensibles, comme le Grand-duc.» Les amateurs d’ornithologie curieux peuvent

aussi devenir de véritables plaies pour le rapace nocturne. Un afflux de photographes durant la couvaison dérange la mère qui reste sur le qui-vive en permanence et s’épuise. Elle est même capable d’abandonner ses œufs si elle consi-dère que le lieu trop fréquenté inclut un trop grand danger.

«Il faut proscrire deux éléments lorsque l’on observe un rapace nocturne: les phares, qui effraient, et la repasse, à savoir diffuser un enregistrement de son chant pour le faire venir», insiste Pierre-Alain Ravussin. En effet, le mâle va croire qu’un concurrent le nargue sur son territoire et s’énerver dans les airs à sa recherche pour rien, plutôt que d’aller défendre la femelle en phase d’incubation, qui peut être attaquée par un véritable intrus.

Mais c’est surtout un sport de plus en plus tendance qui affole les Grands-ducs: la grimpe, qui se pratique dès avril, moment où les jeunes vivent encore dans le nid. «Ils occupent les falaises des rochers qui sont maintenant assaillies par les grimpeurs, critique Pierre-Alain Ravussin. On équipe de nombreuses voies, on les répertorie, on incite les gens à y aller. Si le grimpeur passe à côté d’un nid, la femelle s’en va. Et là, les Grands corbeaux viennent manger les œufs.» Il a fallu des années pour que l’OFEV publie des recom-mandations pour ne pas gêner le Grand tétras, malmené par les skieurs hors piste et les randonneurs. Daniel Che-rix remarque que pour l’instant, bien que l’on s’intéresse plus à lui, «ce n’est pas encore ancré totalement dans les mœurs de ne pas déranger le Grand-duc ».

RÉPARTITIONLa Suisse est divisée en un peu plus de 450 carrés de 10 km sur 10 km dans lesquels on tente de prouver la présence de l’espèce en période de reproduction, soit février à juin pour le Grand-duc. En rouge, les zones où il n’a pas été retrouvé lors de l’enquête 2013-2016 pour l’Atlas des oiseaux nicheurs de Suisse (en cours), alors qu’il était présent lors de l’enquête 1993-1996. En orange, les nouvelles présences trouvées. En vert, les régions où l’oiseau a été observé lors des deux enquêtes. Un carré peut signifier la présence de plusieurs couples.© Station ornithologique suissede Sempach. Relief © Institut pour la cartographie, ETH Zurich

La Station ornithologique de Sempachwww.vogelwarte.ch/home-fr.html

NATURE

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Dans Chouette... Un hibou !, les bio-logistes Albertine Roulet, Daniel Cherix et Pierre-Alain Ravussin,

accompagnés du photographe Daniel Aubort, racontent l’existence mouve-mentée des huit espèces de rapaces nocturnes, sur treize en Europe, qui investissent les nuits helvétiques. D’un côté les hiboux: Moyen-duc, Grand-duc d’Europe et Petit-duc scops. De l’autre les chouettes: hu-lotte, de Tengmalm, Effraie des clo-chers, Chevêche d’Athéna, Chevêchette d’Europe. Une distinction faite unique-ment par les francophones, explique Albertine Roulet, qui possède une maî-trise du Département écologie et évo-lution (DEE) de l’UNIL et travaille en tant qu’assistante de recherche à l’he-pia à Genève. «En français, on parle de hiboux pour les rapaces qui pos-sèdent des aigrettes et de chouettes pour les autres. En anglais, on utilise un seul mot pour les deux, owl. Et si, en allemand, deux termes existent, Eule et Kauz, ils ne distinguent pas les mêmes groupes qu’en français.» L’ADN du Grand-duc par exemple, le rapproche plus d’Edwige, la Chouette harfang d’Harry Potter, que tous les autres hiboux.

Comme le signale la scientifique, qui a passé de nombreuses heures sur le terrain, de jour et de nuit, à ob-server ces mystérieux oiseaux, la pré-sence des aigrettes, deux petits amas de plumes juchés sur les côtés de la tête des hiboux, continue à alimenter les discussions des scientifiques. A quoi

n’y niche plus depuis 1939. Ce mangeur de campagnols a, semble-t-il, perdu ses marques. «A cause de la dispari-tion de son milieu, commente la biolo-giste. Cette espèce est l’une des rares à construire un nid assez primitif, une sorte de petite cuvette, à même le sol. On l’appelle ainsi, car il vit dans des milieux humides. Des zones qui ont tendance à disparaître partout parce qu’elles ont été drainées.»

Des oiseaux rares à protégerTrois espèces sont en danger, deux autres potentiellement menacées, une autre voit ses effectifs diminuer à vue d’œil. «On essaie de trouver des me-sures de conservation spécifiques, sou-ligne Albertine Roulet. Par exemple, sur les terrains agricoles, on laisse des bandes herbeuses autour des champs, on maintient les vieux vergers. Des en-droits où ils peuvent chasser. Surtout, on tente d’éviter au maximum toute col-lision possible avec le trafic routier, fer-roviaire, les câbles des téléskis, etc.»

La première cause de mortalité du Grand-duc d’Europe reste l’électrocu-tion. Suivie de près par les accidents de télescopage, contre un pylône ou une voiture. Peut-être un jour verra-t-on fleurir sur les routes des panneaux, «Attention vol de Grand-duc»... VJ

TOUT SUR LA VIE DES RAPACES NOCTURNES EN SUISSEUn livre qui vient de paraître raconte la vie des cinq espèces de chouettes et des trois espèces de hiboux qui vivent en Suisse. Certains d’entre eux sont en danger, d’autres menacés.

servent-elles? Les hypothèses se mul-tiplient. «Certains estiment qu’il s’agit d’un moyen de communication au sein de l’espèce, une reconnaissance dans le couple par exemple. Les aigrettes, bien qu’elles ne soient pas des oreilles, pour-raient avoir un rôle d’aide au niveau du son. Une théorie les voit comme une structure qui permettrait de conduire le son plus facilement à l’oreille interne. Mais cela reste des caractéristiques dif-ficiles à vérifier. On pense aussi que certaines chouettes, comme celle de Tengmalm, ont perdu leurs aigrettes avec le temps.»

Un neuvième rapace nocturne, le Hibou des marais, également cité dans l’ouvrage, survole nos contrées mais

CHOUETTE... UN HIBOU !Par Daniel Cherix, Albertine Roulet, Pierre-Alain Ravussin, Daniel Aubort.Ed. du Belvédère (2014), 127 p.

HIBOU DES MARAISCette espèce survole nos contrées mais n'y niche plus depuis 1939. Photographie prise en Vendée.© Clément Caiveau

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MÉDECINE

DEMAIN, ON ESSAIE DE

DES ORGANES HUMAINSCertains animaux, comme la salamandre ou le poisson zèbre, possèdent d’étonnantes capacités pour réparer un membre sectionné ou un organe endommagé. La recherche médicale tente de reproduire ces mécanismes pour régé-nérer le corps humain. Explications de Thierry Pedrazzini, professeur associé à la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL. TEXTE MURIEL SUDANO-RAMONI

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CELLULES SOUCHESElles ont la capacité de proliférer rapidement et de générer n’importequel type de cellules. Ici, des cellules souches de souris. Microscope électronique à balayage. © Science Photo Library

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MÉDECINE

Les capacités de régénération de certains animaux fas-cinent depuis l’Antiquité. Pour preuve, les mythes, en particulier celui de l’Hydre de Lerne, ce monstre aqua-tique qu’affronte Héraclès et dont les têtes repoussent à double chaque fois qu’on en tranche une. Et ce n’est

pas qu’une légende: l’hydre, ce petit animal que l’on trouve dans des lacs comme le Léman, possède en effet la faculté de recréer en quelques jours un tentacule coupé. Les sala-mandres et certains lézards autosectionnent leur queue pour échapper à un prédateur sans que cela ne leur pose aucun problème puisqu’elle repoussera également. Plus fort, l’axo-lotl, cet amphibien originaire du Mexique, peut non seule-ment régénérer un membre sectionné, mais également les parties endommagées de son cœur ou de son cerveau. Ce champion de la régénération est actuellement visible au Mu-sée de la main UNIL-CHUV dans le cadre de l’exposition temporaire «Cellules souches: l'origine de la vie» (jusqu’au 22 février). Cette exposition, conçue dans le cadre du Pro-gramme national de recherche PNR 63, montre les capacités de régénération présentes dans le règne animal et explique comment la médecine essaie de reproduire ces mécanismes cellulaires complexes pour réparer le corps humain et soi-gner des maladies.

Les cellules souches, qui permettent le renouvellement de la queue de la salamandre mais aussi de plusieurs de nos tissus – le sang ou la peau –, intéressent particulièrement les chercheurs. Pourra-t-on, un jour, régénérer des organes dé-ficients, et même un bras ou une jambe? Probablement oui.

Quand on parle de cellules souches, on pense d’abord aux cellules embryonnaires et aux problèmes éthiques suscités par l’utilisation d’embryons humains. Si elles intéressent tant les chercheurs, c’est parce qu’elles présentent deux grands avantages: une prolifération rapide et une capacité de générer n’importe quel type de cellules.

Le pouvoir régénérateur des cellules souchesMais les cellules souches sont aussi présentes dans des tis-sus adultes: la moelle osseuse, où sont produits les globules rouges et blancs ainsi que les plaquettes sanguines, en est un parfait exemple. On connaît également bien celles de la peau qui cicatrise en peu de temps et de l’intestin dont l’épithélium se renouvelle naturellement tous les trois ou quatre jours. On sait aujourd’hui qu’il y a aussi des cellules souches dans notre cerveau et dans notre cœur, et peut-être même dans tous nos organes: «Nous commençons à comprendre que les éléments permettant la régénération sont présents dans le cœur et dans le cerveau, explique Thierry Pedrazzini, professeur associé à la Faculté de bio-logie et médecine de l’UNIL et directeur de l’Unité de car-diologie expérimentale du CHUV. On peut mesurer la capa-cité de renouvellement de ces organes, mais elle est faible et insuffisante pour réparer les dommages causés par un événement aigu comme un infarctus du myocarde ou un AVC. Ce qu’on aimerait, c’est pouvoir doper le système quand on en a besoin.»

Pour le faire, les chercheurs explorent plusieurs pistes. La première consiste à utiliser des cellules souches de type embryonnaires. Pour contourner le problème éthique, le Ja-

THIERRY PEDRAZZINIProfesseur associéà la Faculté de biologieet de médecine de l’UNIL.Nicole Chuard © UNIL

CELLULES SOUCHESCARDIAQUES

CARDIOMYOCYTES(CELLULES MUSCULAIRES DU CŒUR)

DIFFÉRENCIATIONLes cellules souchesisolées à partir de patients cardiaques peuvent produire des cellules musculaires lisses - pour former des vaisseaux sanguins - ou des cardiomyocytes.Source: Isabelle Plaisance

CELLULES MUSCULAIRES LISSES(VAISSEAUX SANGUINS)

La Faculté de biologie et de médecinewww.unil.ch/fbm

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ponais Shinya Yamanaka a réussi à reprogrammer le gé-nome de cellules somatiques adultes pour en faire des cel-lules pluripotentes induites (CSPi) qui présentent les mêmes caractéristiques que les cellules souches d’embryon. Ces CSPi auraient également l’avantage de supprimer le pro-blème du rejet puisqu’elles proviendraient du patient lui-même. Mais injecter des cellules souches pluripotentes dans un organe pour le réparer ne suffit pas: il faut encore s’as-surer qu’elles fabriquent les bonnes cellules et donc maî-triser leur différenciation. «Si on veut utiliser des cellules souches en thérapie, on ne peut pas se permettre qu’elles créent un autre type cellulaire que celui que vous visez, relève Thierry Pedrazzini: c’est difficile d’imaginer du muscle dans le cerveau! Et si certaines cellules ne se dif-férencient pas, des tératomes et des cancers pourraient se développer. Il faut donc instruire ces cellules pluripotentes pour qu’elles produisent ce qu’on veut. C’est extrêmement difficile: si vous voulez obtenir 100% de cardiomyocytes, la cellule musculaire du cœur, vous devez maîtriser chaque étape de la différenciation et orienter continuellement les cellules dans la bonne direction. Pour l’instant, nous n’y arrivons pas complètement.»

L’autre option est d’utiliser des cellules souches adultes déjà instruites à produire les cellules de l’organe dont elles sont issues – c’est typiquement ce que l’on fait chez les pa-tients leucémiques avec la greffe de moelle osseuse. Le pro-blème: elles sont rares dans le cœur ou le cerveau et ont très peu de capacité de prolifération, si bien qu’on ne peut pas fa-

cilement en produire des masses suffisantes pour les ame-ner en thérapie. Par ailleurs, même dans un seul organe, on trouve plusieurs types cellulaires. Il faut donc également contrôler leur différenciation. Les cellules souches adultes isolées chez des patients cardiaques ont par exemple une capacité à produire des cellules musculaires lisses pour for-mer des vaisseaux sanguins ou des cardiomyocytes (voir l’illustration ci-contre). Les chercheurs tentent donc de trou-ver des moyens pour activer les cellules souches directe-ment dans l’organe: «Nous essayons d’identifier les voies d’activation régénératrice, c’est-à-dire les signaux qui vont dire à la cellule souche de s’activer, de proliférer et de se différencier dans le bon type cellulaire, explique l’expert du CHUV. Si nous pouvons le faire directement dans l’or-gane, nous aurons gagné car nous n’aurons plus besoin d’isoler des cellules, de les faire proliférer in vitro et de les réimplanter chez le malade. Plusieurs études promet-teuses sont menées dans ce sens, et c’est aussi l’une des approches de notre laboratoire: chez l’animal, nous avons obtenu des résultats concrets que nous espérons pouvoir transférer en clinique.» Régénérer un organe sans cellules souchesLes cellules souches ne sont pas la seule voie explorée par la médecine régénérative. Le foie n’en contient pas et il dis-pose pourtant d’une bonne capacité de se régénérer grâce à la division de ses hépatocytes. Les chercheurs entendent donc instruire des cellules qui n’ont pas l’habitude de

«NOUS COMMENÇONS À COMPRENDRE QUE LES ÉLÉMENTS PERMETTANT LA RÉGÉNÉRATION SONT PRÉSENTS DANS LE CŒUR ET DANS LE CERVEAU»THIERRY PEDRAZZINI

HYDRECet animal micros-copique proche de la méduse, que l’on trouve dans les lacs commele Léman, a la capacité de régénérer desparties de son corps.© iStock

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se diviser – comme un neurone ou un cardiomyocyte – pour qu’elles reprennent une capacité prolifératrice. «Dans le cœur, des essais assez concluants prouvent que l’on peut trouver des voies pour induire cette division, relève Thierry Pedrazzini, même si cela n’est pas assez puissant pour ré-parer complètement l’organe. On a donc encore pas mal de travail pour réussir à récupérer d’un infarctus: c’est des milliards de cellules à remplacer!»

A Lausanne, dans le cadre du Programme national de re-cherche PNR 63, Thierry Pedrazzini et son équipe étudient le poisson zèbre dont le cœur se régénère naturellement. «Si vous enlevez chirurgicalement 20% du cœur de ce petit poisson, il retrouvera un organe normal en un mois, relève le spécialiste. C’est très spectaculaire! Beaucoup d’études ont été faites pour comprendre ce qui se passe dans ce cœur. Dans notre laboratoire, nous nous intéressons à ce qu’on appelle les micro-ARN, c’est-à-dire des modulateurs de l’expression des gènes. Nous en avons trouvé une qua-rantaine qui, après une blessure au niveau du cœur, sont modulés différemment chez le poisson zèbre que chez la souris. Nous avons réussi à reproduire une réponse régéné-ratrice de type poisson dans le cœur de la souris et à y faire proliférer des cardiomyocytes, ce qui a amélioré la fonction cardiaque. C’est modeste, mais ça marche!»

Une dernière approche est d’instruire des cellules diffé-renciées à produire un autre type cellulaire: «C’est très inté-ressant dans le cœur, car après un infarctus une grosse ci-catrice fibreuse se crée, explique le spécialiste lausannois.

L’idée est de pousser les fibroblastes présents dans le cœur à perdre leur identité pour produire du muscle. Le concept est prouvé et ça marche chez l’animal: on injecte dans la ci-catrice une instruction sous forme d’acide nucléique pour que les fibroblastes deviennent des cardiomyocytes. On est loin de redonner un cœur de bébé à une personne qui a eu un infarctus, mais si nous arrivons à améliorer la fonction et à ralentir le processus qui conduit à l’insuffisance car-diaque, nous aurons déjà fait beaucoup de choses!»

Jusqu’où irons-nous?Thierry Pedrazzini est plutôt optimiste sur l’avenir de ces techniques. Il s’attend, dans les cinq prochaines années, à des études spectaculaires qui pourront déboucher sur des essais cliniques. C’est un grand espoir pour les victimes d’infarctus et de maladies neurodégénératives. Par contre, pour faire repousser un bras ou une jambe, il faudra en-core attendre et certainement compter sur des interfaces entre biologie, bioengineering et sciences des matériaux. Savoir réparer indéfiniment des organes déficients nous ou-vrira-t-il les portes d’une vie quasi éternelle? «Prolonger la vie n’est pas un but en soi pour la médecine régénérative, conclut Thierry Pedrazzini. Ce que nous voulons, c’est of-frir aux gens la capacité de mourir en bonne santé, c’est-à-dire de récupérer une qualité de vie après un accident. Tout le monde peut admettre de mourir après une vie heu-reuse, mais si on doit être grabataire, vivre jusqu’à un âge avancé ne veut plus dire grand-chose.»

MÉDECINE

RECHERCHEEvaluation du potentiel des cellules souches pour réparer le cœur après un infarctus du myocarde, à l’Unité de Cardiologie Expéri-mentale. L’animal a été anesthésié pendant 15 minutes.Nicole Chuard © UNIL

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Lorsqu’un blessé arrive dans un centre pour grands brûlés, l’urgence est d’éviter les infections en recou-

vrant le plus rapidement son corps. Si la peau saine ne suffit pas, une biop-sie de peau non brûlée permet de pré-lever des cellules de l’épiderme que l’on met en culture pour constituer des greffes de culture. Au CHUV, le Centre de production cellulaire est capable de produire ces greffes de culture en dix à douze jours. A Lausanne, l’Unité de thérapie régénérative tente sans cesse de développer de nouveaux processus.

Biologiste et spécialiste de l’ingé-nierie tissulaire pour la régénération de la peau et des tissus musculo-sque-lettiques, Lee Ann Laurent-Applegate travaille sur la peau depuis les années 80. Elle et son équipe ont développé des banques de cellules progénitrices selon les bonnes pratiques de fabrication (en anglais: Good Manufacturing Practice, GMP), utilisables en clinique, et dépo-sé un brevet pour un pansement bio-logique composé de cellules progéni-trices de peau ensemencées sur une matrice de collagène. Ces cellules sont obtenues à partir d’une biopsie de peau fœtale de 2 cm2 et le don d’organe a été approuvé par le comité d’éthique du canton de Vaud. L’avantage des cellules progénitrices par rapport aux cellules souches est qu’elles sont déjà différen-ciées en un type cellulaire spécifique, ce qui les rend stables et faciles à culti-ver, alors que dans le cas de cellules souches, on court toujours le risque d’une dédifférenciation (elles changent

ments biologiques ont stimulé la régé-nération de la peau, de ce fait aucun des patients traités n’a eu recours à une autogreffe.» Ces pansements offrent d’autres avantages: ils peuvent être préparés rapidement, livrés en 48 heures et appliqués en une dizaine de minutes sur tout le corps; biodégra-dables, ils se nettoient facilement avec de l’eau (on change les pansements et on lave les grands brûlés deux fois par semaine environ).

Les essais cliniques de l’unité de thérapie régénérative sont en «stand by» depuis le changement de la Loi suisse sur les transplantations, qui depuis 2007 impose aux transplanta-tions de tissus et de cellules la régle-mentation établie pour les dons d’or-ganes. Ils reprendront prochainement. Son équipe, avec la collaboration des juristes du CHUV, a réglé la jurispru-dence pour ce programme et achevé la standardisation et la mise aux normes GMP des phases de création et d’utili-sation de son pansement biologique. Un travail long et ingrat pour obtenir le sésame qui lui permettra de pour-suivre la recherche clinique. «Nous suivons les premiers patients trai-tés avec les pansements biologiques depuis plus de dix ans et nous n’avons jamais constaté de problème. Mais je comprends qu’il faille mettre les pro-cessus de culture cellulaire et de fabri-cation de pansements biologiques aux normes imposées par la loi, c’est impor-tant pour la sécurité du patient», conclut Lee Ann Laurent-Applegate. MSR

LES CELLULES PROGÉNITRICESAU SECOURS DES GRANDS BRÛLÉSResponsable de l’Unité de thérapie régénérative du CHUV, la professeure Lee Ann Laurent-Applegate et son équipe ont développé un pansement biologique qui stimule la régénération de la peau des grands brûlés.

de type cellulaire). Les cellules issues de cette seule biopsie de peau permet-tront de préparer au minimum 1000 milliards de pansements biologiques.

Des essais cliniques prometteursEn 2005, deux essais cliniques – le premier en gériatrie sur des personnes souffrant d’ulcères des jambes récalci-trants, le second sur des enfants brû-lés au deuxième degré sur environ 20% du corps – ont montré l’efficacité de ce pansement et ses vertus inatten-dues. «Le pansement biologique devait servir à préparer le patient pour une autogreffe, explique Lee Ann Laurent-Applegate, mais l’étude a montré qu’en dix ou douze jours de traitement, la peau blessée était réparée. Les panse-

LEE ANN LAURENT-APPLEGATEProfesseure et responsable de l’Unité de thérapie régénérative du CHUV.Nicole Chuard © UNIL

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La Faculté de théologie et de sciences des religionswww.unil.ch/ftsr

RELIGION

FOOT, TÉLÉ OUEGLISE?

En devenant une affaire de conviction personnelle, la religion se révèle une option (presque) comme une autre dans le champ des loisirs. Une concurrence rude et multiple, comme nous le révèle la foisonnante enquête sur la religiosité en Suisse: «La religion à l’ère de l’ego». TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

Il n’y a pas si longtemps, en terres helvétiques, le plan-ning du dimanche matin était réglé comme du papier à musique. Pour beaucoup de personnes, c’était tou-jours l’église; le culte ou la messe selon sa confes-sion. La question ne se posait même pas, c’était la

norme. Aujourd’hui, les temps ont changé, comme nous l’explique la passionnante enquête de chercheurs lau-sannois et saint-gallois sur la religiosité en Suisse inti-tulée Religion et spiritualité à l’ère de l’ego. Quatre profils d’(in-)croyance (à paraître en 2015 chez Labor et Fides). L’individu est devenu roi, le seul maître de sa destinée.

En termes de mode de vie, de carrière, de loisirs, d’orien-tation politique ou sexuelle, tout n’est plus qu’une ques-tion de choix personnel.

«Dans le champ religieux ou spirituel, personne ne peut plus nous dire ce que nous devons croire ou ce que nous devons faire», explique Jörg Stolz, doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’UNIL et coau-teur de l’étude. «L’individu devient donc un consomma-teur, et le religieux une option parmi d’autres.» Ainsi, le dimanche matin, le service religieux se retrouve en concurrence avec le jogging, le match de foot, la sortie

DIMANCHEMême les parents très pratiquants doiventchoisir entre aller à l'église ou emmener leurs enfantsà la patinoire.© Thinkstock

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 35Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 35

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à ski ou le farniente devant la télé. «A l’ère de l’ego, paral-lèlement, précise Jörg Stolz, les personnes qui se décident pour la pratique religieuse le font de leur plein gré, parce qu’elles ont l’impression que cela leur fait du bien.»

Un loisir comme un autre?La religion serait-elle alors désormais considérée tel un loi-sir comme un autre? «Je dirais plutôt une activité comme une autre», souligne la sociologue des religions Mallory Schneuwly Purdie, coauteure de l’étude. «Au moment de leur temps libre, les gens se retrouvent à devoir faire des choix.» Et de relever, sur ce point, la façon dont s’organisent aujourd’hui les vies de famille: «On place le bien-être per-sonnel au-dessus du bien-être familial ou communautaire, on prend en compte les envies de chacun, ce qui complique d’autant plus l’insertion dans le religieux.» Ainsi, souvent, le dimanche matin, les parents même très pratiquants se retrouvent à devoir choisir entre aller à l’église ou accom-pagner leur enfant à la patinoire ou au manège...

Il existe d’ailleurs aujourd’hui une vraie problématique autour de la transmission, ou plutôt de son absence. En effet, de moins en moins d’adultes, même chez les très croyants, prennent en charge l’éducation religieuse de leurs enfants. Par manque d’outil ou, le plus souvent, par choix personnel. «A partir des années 60, les parents sont de l’avis qu’ils ne peuvent plus juste donner des ordres et imposer des pra-tiques à leurs enfants», explique Jörg Stolz. «Aujourd’hui,

on discute, on regarde les intérêts de chacun, on négocie. Et les enfants ont très fortement le sentiment qu’ils ont leur mot à dire. En matière de religion, les parents disent souvent qu’ils ne veulent rien imposer, que leur enfant choisira plus tard.» Ainsi dans l’étude, nombre d’adultes répondent qu’ils n’ont pas inscrit leur enfant au catéchisme du vendredi, car ce dernier a préféré le cours de danse ou de hockey...

Pour Mallory Schneuwly Purdie, cette liberté laissée à l’enfant n’en est pas vraiment une. «Beaucoup de parents de confessions mixtes font d’ailleurs ce choix. Mais, en n’ins-crivant pas leur enfant dans une religion, ils lui signifient déjà quelque chose: que le religieux n’est pas important, que ça ne sert à rien.» De fait, la non-appartenance se transmet beaucoup plus facilement que l’appartenance.

«Il est important de ne pas faire du religieux un Sonder-fall, un cas à part», tient à préciser la chargée de cours à l’UNIL. «On voit également de moins en moins de transmis-sions professionnelles, comme les petites PME qui se trans-mettaient de père en fils. De même pour les appartenances politiques. C’est extrêmement rare aujourd’hui de voir une famille entière soutenir un même parti.»

Les Etats-Unis et l’Australie sont confrontésau même phénomèneLe phénomène de la concurrence entre les loisirs et le reli-gieux ne se retrouve pas seulement en Suisse. Jörg Stolz cite deux études très intéressantes à ce sujet. La première aux Etats-Unis, lors de l’abolition dans certaines villes des Blue Laws, ces lois qui interdisaient aux magasins d’ouvrir le dimanche. «A ce moment-là, le taux de fréquentation des églises a fortement chuté», relève le doyen.

Et de commenter une seconde étude, en Australie cette fois, qui avait pour but d’interroger des personnes qui avaient l’habitude de fréquenter régulièrement une église et avaient ensuite arrêté ou réduit leur participation: «Deux raisons principales étaient invoquées par ces personnes: le fait que ce n’était plus obligé, et qu’ils avaient trop d’autres choses à faire.» Attestant par là même cette théorie de la concurrence…

Perte d’influenceComment, dès lors, expliquer que la religion, si impor-tante jusque-là dans notre civilisation, rythmant nos vies de la naissance à la mort, ait perdu autant de poids et d’in-fluence? «On parle de sécularisation principalement depuis les années 60, mais c’est vraiment un processus qui s’est fait sur des siècles», précise la sociologue. Et de remon-ter à ses prémices, au siècle des Lumières et l’affirmation de la raison de l’individu ainsi qu’aux révoltes populaires contre les gouvernements qui utilisaient le religieux pour asseoir leur pouvoir. «Peu à peu, les différentes institutions qui étaient contrôlées par le religieux ont pris leur autono-mie, le religieux n’étant aujourd’hui plus qu’une institu-tion parmi d’autres.»

JÖRG STOLZDoyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions.Nicole Chuard © UNIL

RELIGION

«EN MATIÈREDE RELIGION,LES PARENTS DISENT SOUVENT QU’ILS NE VEULENT RIEN IMPOSER,QUE LEUR ENFANT CHOISIRAPLUS TARD»JÖRG STOLZ

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 37

La modernisation des sociétés, l’acquisition de nouveaux savoirs, notamment scientifiques, ont également fortement affaibli la religion: «Avant, la religion répondait à beaucoup de questions qui nous paraissent aujourd’hui scientifiques ou médicales», ajoute Jörg Stolz, qui poursuit: «Mais si la religion avait perdu déjà beaucoup de son pouvoir dans les années 50, la société continuait cependant à se voir chré-tienne. Tout le monde se considérait comme catholique ou réformé. La religion n’était pas vue comme quelque chose que l’on choisissait ou délaissait librement.»

La sécurité joue contre la religionCe sont les années 60 qui connurent une véritable révolu-tion. Tout d’abord, d’autres valeurs furent mises en avant, telles que la liberté et l’individualisme. Ensuite, le boom économique changea également radicalement la structure de la société. Les nouvelles ressources permettaient alors toute une série de loisirs, que ce soit la voiture, la musique, le cinéma. Est-ce à dire que ce nouveau confort a joué un rôle dans la désertion du religieux? «Je parlerais moins de confort que de sécurité, corrige Mallory Schneuwly Purdie. On vit vraiment à présent dans un cadre sécuritaire. On n’a plus de guerre, on ne connaît pas de pénurie alimentaire ni de problèmes d’électricité: on sait que ça fonctionne. Cette sécurité fait qu’on a moins besoin de rechercher des justifi-cations à nos malheurs ni à prier pour que ça change. L’Etat social a finalement remplacé dans certains domaines l’ap-port du religieux.» Et de relever que «dans les passages de crise existentielle, dans les cas de divorce, de deuil ou de licenciement, les gens ont tendance à revenir au religieux, à demander de l’aide en regardant le ciel».

La religion en pièces détachéesLes loisirs ne sont, en effet, pas les seuls à être entrés en concurrence avec le religieux. «Les religions sont multifonc-tionnelles, les concurrences viennent donc de toutes parts», pose Jörg Stolz. Et de faire la liste: du lien social, qui peut être remplacé par le club de sport ou toute association, du senti-ment de sécurité, qui peut être atténué par les assurances privées, du réconfort, qui peut être pris en charge par les psychologues, des conseils, qui peuvent être aujourd’hui prodigués par toutes sortes de coaches.

Sans parler de la question du spirituel qui peut être relayée par moult pratiques alternatives (lire en page 38). «Voilà une des raisons pour lesquelles on voit les groupes religieux commencer à utiliser eux-mêmes le marketing reli-gieux», avance Jörg Stolz. «Ils comprennent qu’ils doivent rester concurrentiels.»

«La spiritualité alternative va très bien avec cette société de consommation, relève encore Jörg Stolz. Dans ce milieu, c’est un des principes: tout est possible. C’est véritablement l’ère de l’ego à son apogée: si ça te fait du bien, fais-le.» Mallory Schneuwly Purdie évoque, quant à elle, la notion de Do-it-yourself, de plus en plus présente en matière spirituelle:

«Les gens n’adoptent souvent plus le programme total d’une religion. On va préférer au produit fini, celui en pièces déta-chées pour pouvoir construire son truc perso.» Encore une fois, une attitude qui n’est pas exclusive au domaine reli-gieux: «En politique, les gens votent également de moins en moins pour un parti, mais pour une cause, au cas par cas...»

«On va vers moins de religion en Suisse»Jörg Stolz met cependant des limites à cette notion de mar-ché du spirituel: «On ne peut pas non plus dire que tout le monde est un consommateur du religieux et que toutes les religions sont en concurrence les unes avec les autres comme Apple et Samsung. L’église réformée n’est par exemple pas en concurrence avec les centres islamiques. Et tout le monde n’est pas sans cesse en train de se chercher une religion. On voit plus de gens qui sortent de l’Eglise que de gens qui en cherchent une autre.»

Dans l’analyse des différents types de croyants et d’in-croyants catalogués dans l’étude (lire en page 38), on per-çoit d’ailleurs très fortement que les glissements d’un type à l’autre vont le plus souvent dans le sens d’une désertion du religieux. La question s’impose: faut-il dès lors s’attendre à une extinction du christianisme? «Il est vrai que si les méca-nismes restent les mêmes, on va vers moins de religion en Suisse, répond Jörg Stolz. Mais il est tout à fait possible que le christianisme trouvera des moyens d’adaptation qui assure-ront sa survie – comme cela a été le cas depuis 2000 ans.»

MALLORY SCHNEUWLY PURDIESociologue des religions.Nicole Chuard © UNIL

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38 Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne

Les relations que les humains entre-tiennent avec la spiritualité sont tou-jours personnelles, donc extraor-

dinairement diverses. Pour mettre de l’ordre au sein de cette complexité, ce livre propose une nouvelle typo-logie, distinguant quatre types pou-vant englober la totalité des individus. Présentation.

17,5%LES INSTITUTIONNELS Les institutionnels accordent une grande valeur à la foi et à la pratique chrétienne. Il s’agit de membres actifs des Eglises catholiques, réformées ou encore de la plupart des églises évan-géliques. Ils croient en Dieu et sont convaincus que la vie n’a de sens qu’en Dieu et Jésus-Christ. Une large majo-rité se rend à l’église au moins une fois par mois et prie tous les jours. Au sein des institutionnels, l’étude isole encore deux sous-groupes: les établis (Eglise catholique ou protestante) et les évangéliques.

13,4%LES ALTERNATIFS Le groupe des alternatifs rassemble les personnes qui font état de croyances et de pratiques holistiques ou ésoté-riques. La spiritualité des alternatifs est très diversifiée (croyance en les pierres, les énergies cosmiques, les chakras, les techniques de respiration, etc.) Trois sous-groupes peuvent être

voir une dimension spirituelle parti-culière. On distinguera encore les dis-tanciés-institutionnels, les distanciés-alternatifs ou les distanciés-séculiers.

11,7%LES SÉCULIERS Il s’agit ici de personnes sans aucune pratique ni conviction religieuse. Ce groupe rassemble deux orientations très différentes: les indifférents et les adversaires de la religion. Les premiers ont une attitude totalement indiffé-rente face à la religion, l’Eglise, la foi mais aussi face à l’ésotérisme ou à la guérison spirituelle. Les seconds cri-tiquent souvent aussi vertement la reli-gion institutionnelle que la spirituali-té alternative, mais aussi les religions non chrétiennes. ASS

QUATRE TYPES D’(IN)CROYANCESMembres actifs d’une Eglise ou totalement imperméables à la foi, amateurs d’ésotérisme ou un peu croyants en quelque chose, mais de loin: les chercheurs lausannois et saint-gallois ont élaboré quatre profils, suite à leur enquête sur la religiosité en Suisse.

distingués: les pratiques de guérison et soin, celles de voyance et divination et enfin celles liées au développement personnel. A noter encore que les gens naviguent souvent énormément entre ces différents univers.

57,4%LES DISTANCIÉS Il s’agit du groupe le plus important. Il ne s’agit pas de personnes qui ne croient à rien. Elles pensent et agissent selon des conceptions religieuses et spirituelles, mais celles-ci ne sont pas particulièrement importantes dans leur vie. Ils peuvent aller parfois à l’église à l’occasion des grandes fêtes, mais pas plus. De même, ils peuvent recourir à l’une ou l’autre des tech-niques alternatives, sans toutefois y

RELIGION

ENQUÊTEMoins d'une personne sur cinq prie tous les jours.© Antonov Roman / Shutterstock

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 39

RÉFLEXION

L’ANTHROPO-LOGIE SE TIENT PRÊTE À ÉCOUTER,QUESTIONNER, DÉVOILER LES PROBLÈMESET, ESPÉRONS-LE,RÉVÉLER DES PERSPECTIVES ET DES SIGNI-FICATIONS QUI DÉPASSENT LES CONFLITS PARTICULIERS.

Je n’oublierai jamais le moment où la mystérieuse discipline de l’anthropologie s’est empa-rée de moi. J’étais un jeune diplômé en théorie politique

et je faisais un postgrade en Anthro-pologie sociale à la London School of Economics. Nous étions en 1990 et le monde de la guerre froide venait d’imploser.

Dans ma petite chambre, dans un appartement londonien non chauffé, je lisais mon premier livre d’anthro-pologie, Les Argonautes du Pacifique occidental (1922), fameuse étude de Bronislaw Malinowski sur les habi-tants des îles Trobriand en Mélanésie. Soudain, à la lecture d’un passage sur la magie insufflée depuis les canoës alignés sur l'eau devant la plage lors de la «Kula» (rituel annuel d’échanges de coquillages à forte valeur symbo-lique), je ressentis profondément ce que cela signifie de croire en l’effi-cacité de la magie, bien que je fusse moi-même strictement agnostique, avec peu d’inclinaisons personnelles pour la religion et la spiritualité.

Malinowski allait décrire plus tard la méthodologie de son fameux livre comme étant celle de «l’ethno-graphie», un ensemble de techniques permettant d’étudier les cultures de l’intérieur, en tentant d’appréhender ce qui fait pour les gens «la force de la vie». Cette empathie méthodologique sera finalement critiquée sur diffé-rentes bases épistémologiques, poli-tiques et historiques, mais un aspect

LE MONDE TEL QU’IL ESTET TEL QU’IL VOUDRAIT ÊTRE

essentiel du propos de Malinowski résistera à toutes ces critiques: le fait que l’anthropologie doive affronter, sans jugements ni présupposés théo-riques, l’étourdissant, le frustrant, parfois violent, quelquefois sublime et toujours complexe panorama de l’existence humaine.

En ce sens, l’anthropologie joue dans le cadre académique le même rôle que celui de l’université dans la société. Si la fonction première de l’université est d’incarner un bastion à la fois ouvert et volontairement isolé, de la pensée critique, de l’enseigne-ment, de la recherche et du service public dans un monde dominé par les intérêts particuliers – politiques, religieux, économiques, culturels – alors, j’aime à penser que l’anthropo-logie est un bastion d’ouverture épis-témologique, prêt à accepter le monde tel qu’il est, dans un milieu scienti-fique plus large où ce que Thomas Kuhn appelle «paradigme» décide de la légitimité des questions, domine les débats et structure les compréhen-sions particulières du monde social. En effet, l’anthropologie culturelle et sociale pourrait bien être la seule discipline libérée des paradigmes au sens de Kuhn.

Il y a le monde tel qu’il est, mais aussi le monde tel qu’il voudrait être – les pratiques et idées qui se déploient dans les domaines didactiques, idéo-logiques, politiques, éthiques et, de plus en plus, cosmopolitiques. C’est ici, à mon sens, que la boucle est bou-

clée, que le potentiel pleinement réa-lisé et même l’absolue nécessité de l’anthropologie se révèlent. Car c’est lorsque nous, êtres humains, imagi-nons des mondes alternatifs – plus justes, équitables et tolérants que le nôtre – que nous libérons notre pas-sion et notre énergie créatrice les plus fortes.

Or, cette dynamique de change-ment génère un puissant risque de conflits. Dans ces moments-là, la pré-cieuse discipline de l’anthropologie se tient prête à écouter, questionner, documenter, dévoiler les problèmes couche après couche et, espérons-le, révéler des perspectives inattendues et des significations qui dépassent les conflits particuliers.

MARK GOODALEProfesseur à la Faculté des sciences sociales et politiques

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La section d’histoire de la Faculté des lettreswww.unil.ch/hist

HISTOIRE

QUAND LES SUISSES EFFRAYAIENTLES PRINCES ET LES ENFANTSEntre Morgarten (1315) et Marignan (1515), les guerriers confédérés ont accompli tellement d’exploits militaires qu’ils passaient pour invincibles. Histoire d’une époque bien révolue durant laquelle les Suisses attaquaient leurs voisins... TEXTE JOCELYN ROCHAT

Oubliez l’image paisible du soldat suisse dans son uniforme impeccable qui aide les vieilles dames à monter dans le train. Les guerriers confédérés qui arrivent dans la plaine de Marignan, à la mi-sep-tembre 1515, font peur aux enfants. Parce qu’on les

voit comme «un peuple sauvage, des montagnards féroces comme des bêtes», nous dit une chronique allemande du début du XVe siècle.

Ces guerriers inquiètent encore leurs contemporains parce qu’ils ont trouvé le moyen de vaincre les chevaliers. «Les Suisses ne combattaient pas dans un état d’esprit che-valeresque. Ils n’avaient pas pitié des nobles, n’hésitaient pas à les tuer et ne faisaient pas de prisonniers, ce qui a

contribué à leur réputation», explique Roberto Biolzi, un as-sistant diplômé à l’UNIL, qui écrit actuellement une thèse sur la guerre dans les Etats savoyards à la fin du Moyen Age. Les terribles «sylvestres» (sauvages des forêts), ou en-core «alpines inclementes» (habitants des Alpes dépour-vus de clémence) sont également craints pour leur pra-tique du pillage, et brillent surtout par leur efficacité sur les champs de bataille.

Les premiers succèsTout a commencé à Morgarten, en 1315, il y a 700 ans cette année, quand les Schwytzois ont attaqué l’armée du duc Léopold, un Habsbourg. «Là, on est dans le mythe.

LANSQUENETEN ROUGETableau de FernandHodler (1895).Winterthur, StiftungOskar Reinhart.Le peintre a consacrédifférents tableaux àMarignan. Ils ont fait scandale en 1897:l’ensemble avait étéjugé «trop brutal»(lire Allez savoir ! No 39, septembre 2007).© akg-images / André Held

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On connaît cette bataille par tradition orale, et la seule source contemporaine, Jean de Winterthour, n’est pas fiable dans son récit des événements. Ça a dû être de la guérilla, voire une embuscade: les Schwytzois ont surpris une troupe en marche, en exploitant le terrain. Ce guet-apens aurait fait très peu de pertes côté suisse, alors que bon nombre de chevaliers des Habsbourg ont été tués ou se sont noyés dans le lac.»

Le deuxième épisode de cette geste helvète se déroule à Sempach, en 1386. Cette fois, les Confédérés tuent le duc Léopold III et anéantissent son armée, essentiellement com-posée de nobles. Ces deux morceaux de la légende militaire suisse ont eu des conséquences importantes. «Morgarten a eu un écho régional. Cet épisode a rallié de nombreuses villes aux Waldstätten. Alors que Sempach a eu un rayonne-ment au niveau international, en montrant que les Suisses disposaient d’une infanterie capable de gagner contre des chevaliers», explique Roberto Biolzi.

Les Confédérés vont encore sortir renforcés des Guerres de Bourgogne (1474-1477), où les habitants des forêts, épaulés par de nombreux bourgeois depuis Sempach, ont

continué à massacrer des nobles sur les champs de ba-taille pour devenir «les dompteurs des princes». La seule promesse de leur présence dans un conflit fait désormais réfléchir les belligérants. «J’ai étudié une bataille entre le duc de Savoie Amédée VIII et Francesco Sforza de Milan, où le simple fait d’annoncer dans sa correspondance de guerre qu’on a recruté des Suisses inquiète l’ennemi», ra-conte Roberto Biolzi.

Comment battre les chevaliersSi les Confédérés sont à ce point effrayants, c’est parce qu’ils ont mis au point une nouvelle tactique militaire. «Au Moyen Age, la cavalerie dominait les champs de bataille, avec le chevalier comme principal protagoniste», explique l’his-torien de l’UNIL. Pourtant, au début du XIVe siècle, cette arme montre ses limites. Dans les Flandres, des piquiers flamands ont battu une armée de chevaliers. Un exploit que les Confédérés vont rééditer à de multiples reprises, grâce à leur infanterie considérée comme «la meilleure du monde». «Aujourd’hui, les Suisses imitent entièrement la phalange des Grecs. Ils forment comme eux des épais et solides bataillons et se maintiennent de la même manière dans le combat», écrit Machiavel dans son Art de la guerre.

Face aux chevaliers, lourdement équipés, les Confédé-rés opposent une armée de fantassins, les fameux «carrés suisses». Ils se rassemblent dans un hérisson compact, pro-tégé par de longues piques, avec, au cœur de ce dispositif, des porteurs de hallebardes, très légèrement équipés. «Dès que le combat était engagé avec la cavalerie, les Suisses ouvraient les rangs et les hallebardiers se faufilaient pour faire un massacre», raconte Roberto Biolzi.

Au risque de surprendre les fans de football du XXIe siècle, il faut rappeler que les Confédérés n’étaient pas confi-nés en défense. Leur tactique était opportuniste. «Les carrés suisses attaquaient, rappelle Roberto Biolzi. A Marignan, les Suisses sont arrivés et ils se sont avancés dans le but de s’emparer de l’artillerie française, comme ils l’avaient fait contre l’armée du duc de Bourgogne. C’étaient des spé-cialistes de la victoire éclair: Morgarten, par exemple, n’a apparemment duré que deux heures.»

Que faisaient les Suisses en Italie?Offensifs sur le champ de bataille, les Confédérés du XVIe siècle s’avançaient encore très loin, au-delà de leurs fron-tières, puisqu’ils ont connu leur plus terrible défaite non loin de Milan. Une situation qui surprend forcément un paisible Helvète de 2015, habitué à laisser ses voisins se battre sans intervenir. Que venaient donc faire ces soldats confédérés aussi loin de leurs bases?

Ils s’étaient engagés dans les Guerres d’Italie (1494-1559), un conflit dont la complexité défie tout résumé suc-cin. Mettons simplement que les Confédérés sont entrés dans la Péninsule aux côtés du roi de France Charles VIII en 1494. Ce dernier prétendait au trône de Naples, et il

HISTOIRE

ROBERTO BIOLZICet assistant diplômé écrit actuellement une thèse sur la guerredans les Etats savoyards à la fin du Moyen Age.Nicole Chuard © UNIL

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avait décidé de faire campagne en Italie, avec, notamment, l’aide de mercenaires suisses. Mais, «pour différentes rai-sons – on parle notamment de salaires impayés – les rap-ports se détériorent, et les Confédérés comprennent qu’ils pourraient gagner des territoires en Italie tout seuls», ra-conte l’historien de l’UNIL.

Car, chose inimaginable à notre époque, «les Suisses de 1515 étaient une puissance militaire. Ils ont accompli des exploits considérables, qui leur ont donné des visées ex-pansionnistes pendant un siècle, entre le XVe et le début du XVIe ». Entre 1513 et la défaite de Marignan en 1515, les Confédérés sont au sommet de leur puissance et de leur réputation. «La ville de Milan est même devenue un pro-tectorat suisse», ajoute Roberto Biolzi.

La victoire oubliée de Novare, en 1513En 1513, à Novare, en Lombardie, les Confédérés ont rem-porté leur dernière grande victoire sur un champ de ba-taille majeur contre une puissance militaire étrangère. Ce jour-là, les carrés suisses ont taillé en pièces l’armée du roi Louis XII (le successeur de Charles VIII), et ont forcé

le roi de France à quitter la Péninsule. Cette victoire im-pressionnante (paradoxalement oubliée dans les manuels d’histoire) explique que les Confédérés se retrouvent face à une armée française deux ans plus tard, pour la «re-vanche» de Marignan.

Entre-temps, François Ier est monté sur le trône, et il re-vient en Italie avec le légendaire chevalier Bayard («sans peur et sans reproches») pour affronter à nouveau les Confé-dérés, dans ce que les chroniqueurs de l’époque ont ap-pelé «La bataille des géants».

D’un côté, il y avait la France, le colosse démographique de l’Europe. Pourtant, ses 18 millions d’habitants n’étaient que peu représentés sur le champ de bataille, puisque l’os-sature de l’armée était constituée de nobles, épaulés par des mercenaires. Côté suisse, la Confédération comptait 1 petit million d’habitants installés dans 13 cantons sou-verains mais liés entre eux par des traités (Uri, Schwytz, Unterwald, Lucerne, Zurich, Glaris, Zoug, Berne, Fribourg, Soleure, Schaffhouse, Bâle et Appenzell, sans oublier des accords signés avec des ligues grisonnes et des dizains valaisans).

MARIGNANLa célèbre bataille de 1515, peinte par un artiste contemporain. Miniature sur parchemin attribuée au Maître à la Ratière (vers 1515). Musée Condé, Chantilly.© Photo Josse / Leemage

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HISTOIRE

Battus par l’or et la politiqueExaltés par le cardinal valaisan Mathieu Schiner, les Confédérés s’avancent vers leur objectif initial à Mari-gnan: l’artillerie de François Ier qui pouvait représenter un formidable butin. Les 200 canons tonnent et font des dégâts terribles dans les carrés suisses, qui n’ont pris que douze pièces à la fin de la journée. La bataille reprend le lendemain, toujours aussi furieuse, toujours aussi indé-cise. «Les Suisses étaient même en train d’encercler l’en-nemi, et probablement de gagner quand sont arrivés les 12 000 Vénitiens qui avaient été envoyés au secours de François Ier. De tels renforts, le deuxième jour de la ba-taille, ont forcément fait la différence. Mais, sans cela, qui peut bien dire ce qui se serait passé», observe Ro-berto Biolzi.

Contrairement à la légende qui s’écrit en France de-puis 1515, François Ier a surtout gagné la bataille grâce à ses choix politiques (son alliance avec les Vénitiens) et à son or (qui a dissuadé une partie des Suisses, notam-ment les Bernois et les Fribourgeois, de se battre). Cela dit, la défaite est suffisamment cuisante pour laisser des traces durables dans les esprits suisses. D’abord parce que les pertes sont effroyables. «Avec 5 à 8000 morts chez les Français, et 9-10 000 chez les Suisses, c’est de-venu l’une des batailles les plus meurtrières. 30% des ef-fectifs suisses y ont trouvé la mort, et 15% des Français», raconte l’historien de l’UNIL.

La défaite de Marignan sera encore longuement évo-quée dans le contexte de la Réforme, qui va bientôt diviser les paroisses suisses. Notamment par Zwingli, qui a as-sisté aux deux batailles de 1513 et de 1515 comme aumô-nier, et qui va présenter Marignan comme «une punition divine contre ces mercenaires suisses engagés par des princes étrangers et menant la guerre par appât du gain».

Une défaite, mais tant de gainsDésastre humain et politique, Marignan n’a surtout pas été une catastrophe économique. «Au contraire! Même battus, les Confédérés ont signé un traité très favorable avec la France. Les Suisses obtiennent 400 000 écus d’or, et des accords permettant à François Ier d’engager des sol-dats confédérés», rappelle Roberto Biolzi, qui voit encore dans cette convention un changement majeur et durable dans le destin du futur pays, car «les Suisses basculent dans l’orbite française, où ils vont rester jusqu’à la Révo-lution française, ce qui aura des incidences très impor-tantes sur leur développement».

Enfin, cette participation – apparemment désastreuse – aux guerres d’Italie a quand même permis aux Confé-dérés de gagner des territoires. «On l’oublie souvent, mais cette campagne marque l’entrée du sud du Tessin actuel dans la Suisse», rappelle Roberto Biolzi. La Levantine était déjà sous protectorat d’Uri, et Bellinzone comme le comté de Mendrisio (conquis en 1521) sont désormais acquis.

Les «géants» sont chassés d’ItalieEt la neutralité, souvent considérée comme la «leçon de Marignan»? Au soir de la bataille, personne n’y pense. Ce n’est qu’avec les années que, petit à petit, la défaite san-glante deviendra le point de départ de la célèbre tradition qui consiste à ne pas attaquer ses voisins (lire en p. 50). Mais, en 1515, ces terribles «alpestres» restent des soldats belliqueux, puisque d’innombrables mercenaires helvètes vont désormais louer leurs bras noueux au roi de France ou au pape, autre grand admirateur des soldats suisses.

Du coup, quand il faut trouver une morale à cette his-toire vieille de 500 ans, Roberto Biolzi observe que 1515 est surtout le début d’une série de défaites pour les Confé-dérés, désormais enrôlés dans l’armée française. Ils se-ront encore battus à La Bicoque (en 1522), et surtout à Pa-vie (1525), par des armées impériales, qui bénéficient des armes à feu portatives espagnoles, une nouvelle arme ap-pelée à régner sur les champs de bataille.

Après ces deux désastres, François Ier, le vainqueur de «la bataille des géants», se voit forcé de rentrer chez lui avec ses mercenaires suisses, et d’abandonner toute pré-tention sur les terres italiennes. Ainsi, note l’historien de l’UNIL, «Marignan me fait surtout penser que personne ne gagne jamais une guerre».

SUISSESLes carrés suisses de Marignan, tels qu’onles imagine en 1909. Image trompeuse, puisque les hommes qui en sortaient étaient armés d’une hallebarde, plus efficace contreles chevaliers que cette grande épée. «Charge des Suisses à Marignan». D’après Robida. © akg-images

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En 1515, au soir de Ma rignan, qui pense à devenir neutre ?Certains, mais pas dans un sens mo-derne du terme. A la fin du Moyen Age, la neutralité n’avait pas du tout la connotation positive qu’elle peut avoir aujourd’hui. Les Confédérés vivaient alors dans un monde où l’on faisait une claire distinction entre la guerre juste et injuste. Dans un ordre féodal repré-senté par l’empereur, lui-même tenant son pouvoir directement de Dieu, ne pas prendre position en faveur de la cause juste était peu apprécié.

Pourtant, cette défaite a eu une in-fluence sur les Suisses ?Une influence très importante. Les Confédérés ont signé des traités de paix avec le roi de France qui ont débouché sur le versement de sommes considé-rables, et des offres d’engagement pour des mercenaires. Le service à l’étranger est devenu une industrie, qui a aussi of-fert aux Suisses l’accès à des marchés étrangers à des conditions privilégiées.

Avec ces accords, il devenait plus in-téressant de se battre sous contrat pour la France que d’aller attaquer un territoire voisin. La neutralité n’est donc pas une simple décision politique, mais aussi un processus économique...Oui. Il n’y a pas eu une prise de conscience disant que, à partir de tel ou tel moment, la Suisse allait rester neutre. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle que l’on a commencé à parler de Marignan comme du début de la neu-tralité suisse, et ce sont des juristes, et non des politiciens, qui ont, les pre-

gique prime. Neutraliser cette zone qui séparait l’Autriche et la France, l’Italie et les principautés de l’Allemagne, était, selon le traité, dans l’intérêt général de l’Europe. A cause, notamment, des traversées des Alpes, qui avaient une grande importance stratégique.

Et ce Congrès provoque de grands débats en Suisse ?Non, pas tellement. Peter Lehmann, doctorant en histoire à l’UNIL, qui tra-vaille sur Pictet de Rochemond, le dé-légué suisse au Congrès de Vienne, a constaté que dans les revues, les jour-naux ou la littérature politique, il n’y a pas un grand débat autour de l’origine de la neutralité en 1815.

Il faut donc attendre 1895...Oui, c’est cette année que paraît la pre-mière «Histoire de la neutralité», que l’on doit à l’archiviste zurichois Paul Schweizer. C’est un livre important, qui va défendre cette vision, finalement très tardive, d’une Suisse qui aurait suivi de-puis Marignan une tradition très claire et originale de neutralité.

Si ça n’a pas été un choix politique, comment s’est donc développée cette neutralité ?Avec beaucoup de pragmatisme. C’est une construction tranquille: avec le temps, les Suisses ont découvert les avantages de cette neutralité. Avec beaucoup de chance, aussi, et d’intelli-gence politique, la Confédération a tou-jours essayé d’équilibrer ses faveurs et les intérêts de ses élites et ne pas trop s’exposer aux risques des aventures mi-litaires de ses grands voisins.

AU SOIR DE MARIGNAN,LA SUISSE N’EST PAS DEVENUE NEUTRESelon la légende, les Confédérés auraient compris avec la terrible défaite de 1515 qu’ils ne devaient plus atta-quer leurs voisins. En réalité, la Suisse a découvert ce concept de neutralité longtemps plus tard, explique Béla Kapossy, historien des idées et professeur associé à l’UNIL. PROPOS RECUEILLIS PAR JR

miers, réfléchi à trouver une définition. Dans les livres destinés à l’enseigne-ment du droit international, on a com-mencé à faire une distinction entre le droit de guerre, le droit de paix et le droit de neutralité. Le premier qui a développé cette idée, en 1758, c’est un Neuchâtelois, Emer de Vattel, dans son «Droit des gens». Ensuite, cette vision est devenue un standard dans les livres du XIXe siècle, et son importance s’est accrue sous l’influence des Etats-Unis, qui voulaient aussi être neutres.

Et puis, il y a 1815...Oui, au Congrès de Vienne, à la fin des guerres napoléoniennes, la neutralité perpétuelle de la Suisse est décrétée par les différents pays et elle devient un acte de droit public européen. En 1815, c’est surtout le territoire suisse qui est neutralisé, pour des raisons stra-tégiques. Dans les documents d’époque, le langage géographique ou géostraté-

BÉLA KAPOSSYHistorien des idéeset professeur associéà l'UNIL.Nicole Chuard © UNIL

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LE CALCULAUSSI A SON HISTOIRE

MATHÉMATIQUES

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Depuis l’Antiquité, les êtres humains ont fait preuve d’incroyables astuces pour pouvoir calculer. Ils ont utilisé des cailloux, des jetons, des boules et même leurs doigts avec lesquels ils pouvaient compter jusqu’à 9999 ! Puis sont apparus les chiffres arabes, d’origine indienne en fait, qui ont enfin permis les calculs écrits. C’est cette histoire méconnue et passionnante qu’Alain Schärlig, professeur honoraire à l’UNIL, conte au fil de ses livres. TEXTE ÉLISABETH GORDON

BOULIERCet outil de calculest encore utilisé denos jours. © ThinkstockN

ous les utilisons quotidiennement, sans leur prêter la moindre attention. Rien, en effet, n’est plus banal pour nous que d’écrire les nombres à l’aide de chiffres arabes et de les disposer en co-lonnes pour faire les quatre opérations élémen-

taires. 1, 2, 3... et même le fameux O: ces symboles qui nous sont aujourd’hui familiers ne sont arrivés en Eu-rope qu’au XIIe siècle.

Alors, comment faisait-on auparavant? Cette question, Alain Schärlig a été l’un des premiers à la poser. «J’ai tou-jours été intéressé par le concret», dit ce professeur ho-

noraire de l’UNIL, qui enseignait à HEC les «méthodes quantitatives d’aide à la décision, c’est-à-dire l’art d’uti-liser les maths pour améliorer les choix dans la gestion des entreprises».

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MATHÉMATIQUES

Une fois à la retraite, ce mathématicien, qui est aussi titulaire d’un doctorat en Economie politique, s’est pas-sionné pour l’histoire du calcul. Il a déjà écrit à ce sujet huit livres (tous publiés aux Presses polytechniques et uni-versitaires romandes), dont deux avec Jérôme Gavin, pro-fesseur de mathématiques au Collège Voltaire à Genève.

Difficile de compter avec des lettres ?«Comment les anciens Grecs se débrouillaient-ils pour faire une addition, alors qu’ils avaient une numération qui, pour nous, est aberrante?» En déchiffrant une stèle funéraire que lui avait confiée le Musée d’art et d’histoire de Genève, Alain Schärlig y a découvert une table de Pythagore sur laquelle figuraient des chiffres. Mais ceux-ci étaient repré-sentés sous forme de lettres qui étaient les initiales de leur nom: par exemple la lettre Δ (delta) est l’initiale de «déka» qui signifie dix, et Π celle de «penté», c’est-à-dire cinq. Cette numération permettait certes d’écrire des nombres. Mais une fois ceux-ci placés les uns en dessous des autres, il était impossible de les additionner. Imaginez un écolier à qui l’on demanderait combien font ΡΚΓ+ ΥΜΔ ?

Additionner avec des cailloux...Les Grecs ont trouvé la parade. Comme l’a découvert le mathématicien, «ils s’en tiraient en mettant des cailloux sur une plaque de marbre sur laquelle étaient gravées des colonnes». L’une d’elles correspondait aux unités, une deu-xième aux centaines, une troisième aux milliers, etc. et d’autres encore aux fractions. On plaçait alors des cailloux dans ces colonnes pour former des nombres, «puis en fai-sant glisser les cailloux les uns contre les autres, on obte-nait le résultat de l’addition». C’est ainsi qu’est né l’abaque (du nom de la plaque de pierre utilisée), une machine qui est en fait le lointain ancêtre de nos calculettes.

... ou des jetons«En poursuivant mes recherches, je me suis rendu compte que les Romains, puis les gens du Moyen Age, avaient le même problème que les anciens Grecs, car ils utilisaient des chiffres romains», dit Alain Schärlig. Des lettres encore – C (cent), L (cinquante), X (dix), I (un)... – qu’il était tout aussi impossible d’additionner que des Δ et des Π.

Eux aussi se sont tirés de ce mauvais pas en ayant recours à des tables de calcul, conçues sur le même prin-cipe que celui des abaques, «à cette différence près qu’ils employaient des jetons et qu’ils avaient remplacé les colonnes par des lignes».

Le boulier russe est toujours utiliséDes cailloux et des jetons aux boules, il n’y a qu’un pas que le professeur honoraire de l’UNIL s’est empressé de franchir pour s’intéresser aux bouliers. Ceux-ci sont faits de cadres en bois renfermant des tiges sur lesquelles on déplace les perles de bois.

Le boulier russe comporte quatre tiges horizontales, cha-cune d’elles comprenant quatre perles claires, suivies de deux noires, puis de quatre autres claires. «Cela répond au “phénomène pas plus de quatre” qui tient compte du fait que l’œil humain ne peut pas dénombrer plus de quatre objets d’un coup», explique Alain Schärlig. Ce boulier est toujours utilisé en Russie, «parfois même pour vérifier les calculs faits avec des calculettes ou des caisses enregis-treuses». Il suffit d’ailleurs d’entendre les cliquetis dans certains magasins pour s’apercevoir de la dextérité de celles et ceux qui les emploient.

Chinois et Japonais calculent aussi avec des boulesApparu vers le XIIe ou le XIVe siècle, le boulier chinois est lui aussi fondé sur le «phénomène pas plus de quatre». Chaque tige, verticale cette fois, «contient, dans un cadre intérieur, cinq perles noires ou foncées qui valent 1 et, dans un cadre supérieur, deux autres qui valent 5». Le principe est le même que celui que l’on utilise au jeu de jass pour compter les points, lorsqu’on trace quatre coches parallèles barrées par une oblique, pour indiquer qu’une équipe a cinq points.

ALAIN SCHÄRLIGProfesseur honoraire.Nicole Chuard © UNIL

DU ZÉRO À LA VIRGULE. LES CHIFFRES ARABESÀ LA CONQUÊTE DEL’EUROPE 1143-1585. Par Alain Schärlig.PPUR (2010), 296 p.

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Les Japonais ont ensuite simplifié le système et leur bou-lier ne renferme que quatre boules inférieures valant 1 et une seule supérieure valant 5. Dans les trois modèles de boulier, on retrouve toutefois la méthode de calcul inven-tée par les Grecs: une colonne représente les unités, une autre les dizaines, etc. et il suffit de faire glisser les perles pour faire des additions – «ou les soustractions, qui sont les opérations inverses».

La fausse position: poser le faux pour calculer le vrai Parmi les astuces qu’avaient inventées les mathémati-ciens de l’Antiquité pour compter, il y avait aussi une éton-nante méthode nommée «la fausse position». Elle consiste, lorsqu’on doit résoudre un problème (que nous appelons du premier degré), à poser un résultat dont on sait qu’il est faux. Lorsqu’on fait la preuve, on sait que le nombre que l’on trouve n’est pas le bon, mais il suffit alors de faire «une règle de trois pour avoir la solution, explique Alain Schärlig. On raisonne ainsi: si le nombre que j’ai choisi me donne tel résultat, quel est celui qui conduit à la réponse que je cherche?».

Cette technique était déjà utilisée par les Egyptiens 2000 ans avant notre ère, puis elle a traversé les siècles en passant par la Chine et le monde arabe jusqu’à la Renais-sance. «Elle a permis, pendant des millénaires, de se pas-ser de l’algèbre.» On peut toujours s’amuser à l’utiliser et ainsi «résoudre de tête les problèmes de robinets qui rebutent tant les écoliers».

Vieux livre d’arithmétiqueLe hasard fait parfois bien les choses. En parcourant un marché aux puces, Alain Schärlig est tombé sur un ouvrage écrit en 1619 par un Bernois, Johann Rudolf von Graffenried. «C’est l’un des premiers livres d’arithmétique en allemand et il contient toutes les opérations nécessaires aux commerçants de cette époque.» C’était une décou-verte, car même en Allemagne, pays pourtant réputé dans l’histoire du calcul, «mes collègues ne connaissaient pas cet ouvrage».

Mais une autre surprise attendait le mathématicien genevois. «Ce bouquin de 700 pages commence en défi-nissant les chiffres que nous appelons arabes.» Signe qu’à l’époque, ceux-ci étaient encore mal connus. Cette obser-vation a conduit le professeur honoraire à s’intéresser à l’arrivée des chiffres arabes en Europe.

De l’Inde à l’Europe, en passant par BagdadCes chiffres que l’on appelle arabes sont en fait nés en Inde, avant le Ve siècle de notre ère. Mais ce n’est que bien plus tard que nos ancêtres ont commencé à les utiliser. «Ils sont arrivés à Bagdad au IXe siècle et ils ont fait l’objet d’un ouvrage publié par le mathématicien perse Al-Khwa-rizmi, aux alentours de 825. Ce livre est parvenu chez les moines de Tolède, en 1143, puis il a été popularisé par

Léonard de Pise, dont le manuscrit date de 1202.» Ce n’est donc qu’au XIIIe siècle que les chiffres arabes, «dont la gra-phie s’était entre-temps un peu transformée», ont pu être utilisés par les Européens.

Les premiers calculs écrits«Les nombres écrits par ce moyen sont plus concis, mais leur principal avantage est d’avoir permis le calcul écrit», souligne Alain Schärlig. Leur invention a en effet changé la face du calcul et des mathématiques.

«En chiffres romains, trois cents s’écrivait CCC (trois fois cent), trente, XXX (trois fois dix) et trois, III (trois fois un). Personne n’avait pensé que dans chaque cas, il y a le mot “trois”. Les Indiens ont donc trouvé un signe indiquant combien il y avait d’unités, de dizaines, de centaines, etc.» En l’occurrence, le symbole 3.

La naissance du zéroPour faire des additions, il suffisait alors de tracer des colonnes (représentant de gauche à droite les milliers, les centaines, les dizaines et les unités) à l’intérieur desquelles on plaçait les nombres les uns au-dessous des autres. Mais au Ve siècle de notre ère, «il s’est trouvé quelqu’un pour constater que ces colonnes n’étaient pas très pratiques et qu’on pouvait les abandonner», constate Alain Schär-lig. Cependant, si l’on écrit deux mille vingt-trois, en l’ab-sence de colonnes, «cela ne fonctionne plus. Il fallait donc créer un chiffre qui signifie “rien”». De là est né le 0, qui nous est, lui aussi, venu par Bagdad au IXe siècle. «Ce “rien” était toutefois considéré comme diabolique par l’Eglise, et c’est sans doute pour cette raison que les chiffres arabes ont mis tant de temps à s’imposer en Europe.» Où ils ont permis le développement des mathématiques. Mais c’est une autre histoire.

ABAQUETable de compte datant d’avant 1536, conservée au Musée du Châteaude Thoune. Pour faire des additions, on dépla-çait des jetons dans les bandes représentant les unités, les dizaines, les centaines (ici, de livres) etc., ainsi, en bas, que les subdivisons de l’unité mo-nétaire (sous et deniers). © DR

SUR LES DOIGTS,JUSQU’À 9999. LA NUMÉ-RATION DIGITALE DES AN-CIENS À LA RENAISSANCE. Par Jérôme Gavin et Alain Schärlig. Editions Presses Po-lytechniques et Universitaires Romandes (2014), 164 p.

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Liste complète des livres écrits par Alain Schärlig, dont certains avec Jérôme Gavinwww.ppur.org

MATHÉMATIQUES

Les habitants de la Grèce antique fai-saient usage de leurs doigts pour compter et cette méthode a per-

duré jusqu’à la Renaissance. Elle était «enseignée aux enfants et, à l’époque, tout le monde savait de quoi il s’agis-sait. On en trouve donc très peu de des-criptions dans la littérature», constate Alain Schärlig.

La première présentation détail-lée de la numération digitale est donc tardive. On la doit à Bède le Vénérable (vers 672-735), un moine anglo-saxon extrêmement instruit qui, le premier, a expliqué très précisément la posi-tion des doigts dans un ouvrage écrit en 725. «A la main gauche, précise le professeur honoraire de l’UNIL, on montrait les unités avec trois doigts (le medium, l’annulaire et l’auriculaire) et les dizaines avec le pouce et l’in-dex. La main droite était réservée aux centaines et aux milliers.» Mais pour lire les nombres indiqués, il fallait être attentif et observer non seulement les doigts, mais aussi la position des pha-langes (voir dessin).

Montrer, mais aussi calculerCette numération digitale permettait non seulement «de montrer les chiffres, mais aussi de calculer», souligne Alain Schärlig. Grâce à elle, il devenait pos-sible de faire la somme «de nombres tellement grands qu’ils dépassent la possibilité d’une addition au moyen de cailloux».

et de la droite pour écrire les chiffres trouvés, les uns après les autres, sans gaspiller du papier.» C’est ce qui fait dire aux auteurs que la numération digitale était «un entre-deux. Elle peut être considérée soit comme une amélio-ration du calcul mental, parce qu’elle permet de retenir les résultats inter-médiaires sur les doigts, soit comme une facilitation du calcul écrit, parce qu’elle permet d’éviter l’écriture des retenues».

Les chiffres ont valeur de symbolesSi ce procédé de calcul est aujourd’hui tombé complètement dans l’oubli, «on en trouve de nombreuses traces dans les sculptures, les peintures et les icônes byzantines», souligne le mathé-maticien genevois. Voilà qui éclaire d’un jour nouveau les étranges posi-tions des doigts des sujets représen-tés. Pour les Anciens, les chiffres avaient en effet une signification: «Le deux, premier nombre pair, était fémi-nin et le trois, le premier des impairs, masculin. Quant au six, il était consi-déré comme le symbole de la perfec-tion». C’est pour cette raison, explique Alain Schärlig, que «Saint-Augustin a écrit que Dieu a créé le monde en six jours, pour montrer que ce monde est parfait». Proposition qui ensuite a été retournée par l’Eglise, les chrétiens affirmant que c’est parce que Dieu a créé le monde en six jours que le chiffre six exprime la perfection. EG

COMPTER SURLES DOIGTS JUSQU’À... 9999En utilisant nos deux mains, nous ne pouvons montrer que des nombres allant de un à dix. Les Anciens, eux, faisaient beaucoup mieux: poussant très loin l’art d’utiliser les phalanges, ils étaient capables de compter jusqu’à 9999. Cette «numération digitale» fait l’objet du dernier livre en date écrit par Alain Schärlig, professeur honoraire à l’UNIL, et Jérôme Gavin.

Au tout début du XIIIe siècle, le mathé-maticien italien Léonard de Pise a exploité cette méthode pour multi-plier entre eux des nombres pouvant contenir jusqu’à neuf chiffres. «Il avait élaboré un système de petites croix, la “crocetta”, pour multiplier d’abord les unités, puis les dizaines et les uni-tés, et ainsi de suite. Il se servait de sa main gauche pour faire des retenues

NUMÉRATIONVoici comment les Anciens comptaient sur leurs doigts, selon la description précise qu’a faite Bède le Vénérable en 725. Le «3» ressemble au «9», la différence s’exprimant dans la position des phalanges.Dessins de Deyrmon

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 51

Tout a l’air plutôt calme dans les locaux de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) à Berne. Et pourtant:

«La grippe aviaire a commencé ce matin en Allemagne». Nathalie Ro-chat, porte-parole de l’OSAV, est pa-rée pour les appels téléphoniques et les mails qui ne vont pas tarder à déferler. Depuis que les offices vé-térinaires et de la sécurité alimen-taire ont fusionné début 2014 pour devenir l’OSAV, c’est désormais toute la chaîne alimentaire qui est repré-sentée par un même organe: des textiles à la nourriture, en passant par les tatouages. «Aujourd’hui, au programme, il y a aussi les antibio-tiques et la viande de cheval. La rou-tine n’existe pas chez nous !» La com-municatrice ponctue ses phrases de clins d’œil bienveillants, qu’adou-cissent encore davantage des des-sins de poissons et de tortues sur le mur en arrière-plan dans son bureau.

«J’ai grandi au zoo de Servion!» s’amuse celle qui a passé son enfance entourée d’animaux et se rêvait à l’origine vétérinaire. «Mais, un jour, j’ai eu le déclic: je ne verrais que des animaux malades.» La jeune femme s’oriente donc plutôt vers la biologie, qu’elle étudie à Lausanne et termine son cursus, en éthologie, à Zurich à la pointe du domaine. «J’étais la seule à bouger, c’était l’époque où Erasmus débutait et ils manquaient d’étu-diants.» Elle bénéficie du coup d’une bourse pour traver-ser le Röstigraben. Ce qu’elle recommande vivement à tous les étudiants. «J’ai pédalé en allemand les six pre-miers mois, mais après c’était bon!» Un effort dont elle dit ressentir les effets positifs jusqu’à aujourd’hui dans sa carrière professionnelle.

Sa formation achevée, Nathalie Ro-chat se voit proposer un poste chez Pro Natura, où elle travaillait déjà en tant que monitrice durant ses études. «J’étais passionnée de faune sauvage mais dans mes expériences sur le terrain, il manquait la communica-tion. Je voulais m’engager pour la protection des espèces, ce qui reste mon fil rouge jusqu’à aujourd’hui.»

Elle officiera durant dix ans en tant que responsable jeunesse, puis coordinatrice des campagnes chez Pro Natura. Elle y rencontre son ex-mari, donne naissance à trois en-fants qu’elle veut «faire grandir de manière bilingue». Après huit ans à Bâle, la famille s’installe donc dans la région des Trois-Lacs et Nathalie Rochat cherche un autre poste. Elle tombe alors sur une annonce: res-ponsable des relations publiques des radios de l’Arc jurassien, et se dit: «Qui ne tente rien n’a rien». Et obtient le poste. «Face à une journaliste de la maison. C’est l’allemand qui a fait le

poids.» Trop modeste? Pourtant, cinq ans plus tard, alors qu’elle n’a pas postulé – «Ils m’ont bien eu!» – Nathalie Rochat est élue présidente des radios romandes. «C’était encore une fois grâce à l’allemand!» Vraiment? «Disons, à 80 %, mais il était évident que j’avais envie de m’enga-ger et que j’avais l’esprit réseau.»

Et puis après quelques années, les animaux ont com-mencé à lui manquer... Elle tombe alors, par hasard, sur une annonce de l’OSAV. «Il restait deux jours pour pos-tuler, je l’ai fait sur un coup de tête.» Nathalie Rochat dit croire à sa bonne étoile. Si elle n’aura finalement jamais ef-fectué la thèse dont elle rêvait sur les ours, elle se retrouve dans un poste où elle concilie sa passion première et ses compétences de communicatrice. CYNTHIA KHATTAR

NATHALIE ROCHATDiplôme de biologieen 1995.© Luca Da Campo / Strates

La communauté des alumnide l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

DE LA RADIOAUX ANIMAUX

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Depuis 1974, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu plus de 90 arrêts contre la Suisse. Contrariée, l’UDC a lancé une initiative qui vise à faire primer le droit interne sur le droit international. Notre pays vit-il vraiment sous la coupe de juristes installés hors de nos frontières ? Que faire quand notre démocratie directe heurte les conventions internationales ratifiées par la Suisse ? TEXTE DAVID SPRING

DROIT

SOMMES-NOUS SOUS LE JOUG

DE STRASBOURG?DES JUGES

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Le 19 novembre dernier, Ueli Maurer aurait pro-posé à ses collègues du Conseil fédéral de dénon-cer la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), ratifiée par la Suisse en 1974. Rapportée par la NZZ, cette attaque s’inscrit dans une offen-

sive menée par l’UDC contre la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg, gardienne de la Conven-tion. Quelques semaines plus tôt, le 25 octobre, ce parti a lancé son «Initiative populaire pour faire appliquer les décisions du peuple – le droit suisse prime le droit étran-ger». Si le texte cible les traités internationaux au sens large, la CEDH est citée de nombreuses fois dans les do-cuments d’accompagnement fournis. Autre motif d’agace-ment pour l’UDC: des initiatives acceptées par le peuple suisse, comme l’interdiction de construire des minarets en 2009 ou le renvoi automatique des étrangers crimi-nels en 2010, ne sont pas en tant que telles compatibles avec la Convention. Que deviennent les droits populaires dans ce contexte ?

Outre-Manche, certains partis politiques critiquent encore bien plus fortement la Cour et menacent de dé-noncer la Convention si le Parlement ne peut s’assurer un veto face aux arrêts rendus. L’un des points de friction réside dans le fait que les personnes privées de liberté perdent l’exercice de leurs droits politiques au Royaume-Uni, quelles que soient la durée de la peine et la gra-vité des faits reprochés. Une législation que la Cour

AUDIENCEJuges de la Cour euro-péenne des droits de l’homme, le 3 décembre 2013 à Strasbourg.© Reuters / Vincent Kessler

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a indiqué comme étant contraire à la CEDH en 2005, dans l’arrêt Hirst1). Ce dernier n’a jamais été pris en compte par les autorités britanniques.

En dix points, Allez savoir! livre les clés d’un débat qui va animer la Suisse. Avec Barbara Wilson, professeure asso-ciée de droit international public et de droit constitutionnel suisse à la Faculté de droit, des sciences criminelles et d'ad-ministration publique, experte des droits de l’homme. Ainsi qu’avec Guillaume Lammers, avocat-stagiaire chez Kasser Schlosser avocats, dont la thèse toute récente porte sur les liens entre la démocratie directe et le droit international.

QU’EST-CE QUE LA CEDH ?IAdoptée le 4 novembre 1950, la Convention est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. «Il s’agit de l’instrument in-ternational relatif aux droits de l’homme le plus ancien au niveau régional, et peut-être le plus important», note Bar-bara Wilson. Il garantit des droits fondamentaux, comme par exemple le droit à la vie, à un procès équitable, au res-pect de la vie privée et familiale ou à la liberté d’expression. Au fil des années, des protocoles additionnels ont enrichi le texte. Par exemple, le 6 et le 13 interdisent la peine de mort, respectivement en temps de paix et en toutes circonstances.

La CEDH est une création du Conseil de l’Europe, qui a été fondé, au sortir de la guerre, sur la démocratie, la préé-

minence du droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il compte 47 Etats membres, dont la Suisse depuis 1963.

QU’EST-CE QUE LA COUR EUROPÉENNEDES DROITS DE L’HOMME ?II

Instituée en 1959, la Cour est la gardienne de l’interprétation de la CEDH. Installée à Strasbourg, cette juridiction inter-nationale statue sur des requêtes individuelles ou étatiques alléguant des violations de la CEDH. A ce jour, elle a rendu 17 000 arrêts et reçu plus de 640 000 requêtes, dont la vaste majorité a été déclarée irrecevable. Il faut en effet épuiser toutes les voies de recours internes de l’Etat partie, et subir un «préjudice important», avant de pouvoir recourir à Stras-bourg. Sur le plan juridique, «la Cour fait une interprétation dynamique de la Convention, qui évolue conformément aux changements de société, ainsi qu’aux développements de la technologie et de la médecine», ajoute Barbara Wilson. La Cour définit la Convention comme un «instrument vivant qui doit s’interpréter à la lumière des conditions de vie ac-tuelles». Les arrêts qu’elle rend «sont contraignants pour les Etats concernés», précise la professeure. «Mais ceux-ci ont en principe le choix des mesures à prendre pour leur appli-cation. Ensuite, le Comité des Ministres, un organe politique intergouvernemental, en surveille l’exécution.» De plus, la Cour ne peut pas abroger ou modifier une loi nationale: c’est aux Etats parties de le faire, le cas échéant.

COMMENT LA COUR A-T-ELLE FAITÉVOLUER LE DROIT ?III

En 1981, les actes homosexuels entre hommes constituaient des infractions en Irlande du Nord. Habitant de Belfast, Jef-frey Dudgeon a recouru à la Cour en tant que victime po-tentielle, un cas rarement admis à Strasbourg 1). Le requé-rant a obtenu gain de cause, et la Cour a déclaré que toute loi qui réprimait l’homosexualité était contraire à la CEDH. Pour appuyer sa décision, «la Cour a analysé la législation des autres Etats du Conseil de l’Europe et constaté qu’il existait un large consensus vers la dépénalisation», note Barbara Wilson.

Autre exemple avec l’affaire Christine Goodwin contre le Royaume-Uni 1), qui impliquait une transsexuelle devenue femme après une opération. Sa nouvelle identité sexuelle n’étant pas reconnue officiellement, la requérante ne pou-vait pas épouser un homme. La Cour a indiqué qu’elle pou-vait se plaindre «d’une atteinte à la substance même du droit au mariage – art. 12 CEDH –, car Christine Goodwin n’avait aucune possibilité de se marier», précise Barbara Wilson. Depuis cette affaire, les Etats doivent prévoir la reconnais-sance juridique d’une nouvelle identité sexuelle. Dans un tout autre domaine, la Cour a affirmé plusieurs fois l’impor-tance de la protection et de la confidentialité des sources pour les journalistes 3), lorsque des Etats font pression pour obtenir leur divulgation.

DROIT

GUILLAUME LAMMERSAvocat-stagiaire chez Kasser Schlosser avocats. Futur docteur en droit de l'UNIL.Nicole Chuard © UNIL

Centre de droit comparé, européen et internationalwww.unil.ch/cdcei

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 55

Si la Cour s’est penchée sur l’euthanasie – affaire Gross contre la Suisse de 2013 1) –, «elle est très réticente à inter-venir sur la question du début de la vie. Dans l’affaire Vo contre la France 1) (2004), elle a indiqué que si le droit de l’enfant à naître existe, il est implicitement limité par les intérêts et les droits de la future mère», se souvient Bar-bara Wilson. Le champ d’application de la Convention est, on le constate, extrêmement large. Aussi, «dans les pays du Conseil de l’Europe, des milliers de juges nationaux sont obligés de se renseigner sur les arrêts rendus et d’en tenir compte dans leurs décisions s’ils veulent éviter le risque d’une condamnation de leur Etat à Strasbourg», ajoute la professeure.

LA CONVENTION, LA COURET LA SUISSEIV

«En 1974, la ratification de la Convention a été l’objet d’un débat au Parlement : doit-on la soumettre au référendum, ou pas ? Il n’y était pas tenu à l’époque», rappelle Guillaume Lammers. Finalement, cela n’a pas été fait. Jusqu’à fin 2013, 5940 requêtes ont été enregistrées contre la Suisse 2). L’es-sentiel d’entre elles ont été déclarées irrecevables. Au final, une ou plusieurs violations de la Convention ont été consta-tées par la Cour dans 93 affaires, soit moins de 1,6 % des cas.

«Certains arrêts de la Cour ont mené à une amélioration de la procédure et de la garantie des droits fondamentaux en Suisse», estime Barbara Wilson. Par exemple, dans l’af-faire «F. contre la Suisse» 1), en 1987. A l’époque, une dispo-sition du Code civil prévoyait que la partie «coupable» dans un divorce pouvait se voir interdire de se remarier pendant une période allant jusqu’à trois ans. «Un certain M. F., qui s’est vu appliquer cette “sanction”, a recouru à Strasbourg et a eu gain de cause: la Cour a en effet jugé que cette légis-lation était contraire à l’art. 12 de la CEDH», détaille la pro-fesseure. Notons enfin que plusieurs articles de la Consti-tution suisse de 1999 sont inspirés de la Convention. Par exemple, l’art. 25 alinéa 3, qui assure une protection contre l'expulsion, l'extradition et le refoulement dans certaines circonstances, reflète les garanties de l’art. 3 de la CEDH.

EST-ON SOUS LE JOUG DE JUGES ÉTRANGERS ?V

Le principe de la subsidiarité de la compétence de la Cour, ainsi que de la marge d’appréciation des pays, existe depuis longtemps dans sa jurisprudence. Le Protocole additionnel n° 15, en cours de ratification, va l’ancrer dans le préambule de la Convention. De plus, «les Etats ont accepté la compé-tence de la Cour en connaissance de cause», explique Bar-bara Wilson. De son côté, Guillaume Lammers estime que l’on ne doit pas parler de juges «étrangers, mais internatio-naux. La Cour n’est pas un autre pays qui nous impose ses décisions.» Les juges, parmi lesquels figure la Suissesse Helen Keller, sont élus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, en vertu de l’article 22 de la Convention.

QUI PRIME ? LE DROIT SUISSEOU LE DROIT INTERNATIONAL ?VI

Le droit international impératif, qui interdit par exemple la torture, le génocide ou l’esclavage, prime dans tous les cas. Ensuite, «le droit interne doit être interprété conformément au droit international, ce qui est possible dans la grande ma-jorité des cas», note Barbara Wilson. De son côté, le Tribu-nal fédéral est tenu par la Constitution suisse (art. 190) d’ap-pliquer le droit international. Dans l’arrêt 139 I 16 de 2012, ce dernier a traité du cas d’un Macédonien condamné pour trafic de drogue, et qui devait être expulsé par le canton de Thurgovie. Or, le TF a indiqué que «les alinéas 3-6 de l'art. 121 introduits dans la Constitution fédérale par l'initiative pour le renvoi [des criminels étrangers] le 28 novembre 2010 ne sont pas directement applicables et nécessitent une trans-position par le législateur; ils ne priment pas sur les droits fondamentaux ou les garanties de la CEDH». Clairement, certaines normes internationales ont le dessus.

DUBLIN CONTRE STRASBOURG ?VIILe 4 novembre dernier, l’arrêt Golajan Tarakhel contre la Suisse 1) a suscité une certaine agitation. Cette famille afghane, qui comprend cinq enfants, devait être renvoyée vers l’Italie, soit le pays dans lequel la première demande

BARBARA WILSONProfesseure associée de droit international public et de droit constitutionnel suisse.Nicole Chuard © UNIL

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56 Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne

d’asile de ces migrants a été enregistrée. Ceci en confor-mité avec le règlement Dublin II. Les requérants ont alors plaidé que leurs conditions d’hébergement et de vie dans la Péninsule étaient mauvaises, en particulier pour des mi-neurs, et contrevenaient notamment à l’art. 3 de la Conven-tion (qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants). Le Tribunal administratif fédéral les a débou-tés en 2012. Saisie à son tour, la Cour de Strasbourg a rendu un arrêt qui oblige la Suisse à obtenir des garanties au sujet de l’accueil réservé à ces demandeurs d’asile, notamment en ce qui concerne la conservation de l’unité familiale et la protection contre un traitement contraire à l’art. 3. Quelques semaines plus tard, notre pays les a obtenues de la part des autorités italiennes. Barbara Wilson approuve l’arrêt de la Cour : «Pour la Cour, malgré les obligations des Etats en vertu du règlement Dublin II, il est impossible de ren-voyer des personnes vers un pays où elles risquent sérieu-sement de subir une violation de l’art. 3 de la Convention.»

QUE FAIRE AVEC LES INITIATIVESQUI NE RESPECTENT PAS LA CEDH ?VIII

Dans la même ligne, la professeure estime que l’initiative sur le renvoi automatique des étrangers est inapplicable. «En l’état, elle ne permet aucune pesée des intérêts. Or, il faut analyser les intérêts de chaque personne à rester en Suisse et notamment ses circonstances personnelles. A-t-elle une famille, des enfants, etc. ? De toute manière, on ne peut pas renvoyer une personne vers un pays où elle risque de mau-vais traitements, voire la torture ou la peine de mort.» De son côté, Guillaume Lammers estime que l’initiative en tant que telle est en partie applicable, si le renvoi n’est pas auto-matique. «Mais cette manière de faire s’écarte en partie de la volonté des initiants.» La mise en œuvre du texte, avec plus ou moins de souplesse, fait toujours l’objet de négocia-tions âpres aux Chambres. De manière générale, le futur docteur en droit estime que «faire voter le peuple sur une initiative inapplicable revient à poser une mauvaise ques-tion, et à agir contre les droits populaires». Pour lui, il est ainsi certain que l’interdiction de la construction de mi-narets est contraire à la Convention et que la Suisse sera condamnée en cas d’application de l’article constitutionnel.

Comment sortir de l’ornière ? «En invalidant les textes qui sont clairement impossibles à appliquer, comme une éven-tuelle réintroduction de la peine de mort. Pour les autres, nous devons vivre avec l’idée que certaines modifications constitutionnelles introduites par voie d’initiative ne pour-ront pas entièrement déployer leurs effets.» Guillaume Lam-mers déplore au passage que plusieurs initiatives aient été rédigées de manière tellement précise qu’elles ne laissent au-cune marge de manœuvre au moment de leur mise en œuvre.

Dans sa thèse, qui devrait être publiée au printemps, il propose la création au niveau fédéral d’un «droit d’initia-tive populaire en matière internationale». Cela existe déjà dans cinq cantons (VD, BE, ZH, SH et SZ). Concrètement,

il permettrait de demander au Conseil fédéral de conclure, renégocier ou dénoncer un traité. Par exemple, «au lieu de devoir se prononcer sur une initiative qui attaque de biais la Convention, le peuple devrait répondre à la vraie ques-tion : voulez-vous la dénoncer, oui ou non ?». Par ailleurs, la possibilité de présenter une initiative populaire tendant à dénoncer la CEDH existe déjà aujourd’hui, par le biais de l’initiative constitutionnelle. Enfin, l’avocat-stagiaire fait re-marquer au passage que, même si l’UDC triomphe avec sa nouvelle initiative, «ce n’est pas parce que la primauté du droit interne sur le droit international est introduite dans la Constitution que la Cour ne va plus condamner la Suisse».

QUE SE PASSE-T-IL SI ON NE RESPECTEPAS UN ARRÊT ?IX

Les chars ne vont pas débarquer de Strasbourg. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe fera pression sur l’Etat concerné. Les reproches peuvent aussi être exprimés dans d’autres tribunes, comme les différents comités des Nations Unies. «La mauvaise publicité peut suffire : presqu’aucun pays n’aime être vu comme ne respectant pas les droits de l’homme», note Barbara Wilson. Les sanctions pourraient aller jusqu’à l’exclusion du Conseil. Cette procédure a été mise en marche en 1969, contre la Grèce des «colonels». Mais le régime a coupé les ponts avec l’institution européenne et la Convention juste avant cette exclusion. Le Royaume-Uni ne respecte pas l’arrêt Hirst1) sur le droit de vote des déte-nus cité plus haut, pourtant rendu en 2005, ni d’ailleurs les arrêts subséquents rendus en la matière qui vont dans le même sens que l’arrêt Hirst.

PEUT-ON DÉNONCER LA CONVENTION ?XL’article 58 prévoit cette possibilité pour les Etats Parties. Barbara Wilson et Guillaume Lammers ne peuvent toutefois envisager cette option. «En 2015, il est inimaginable pour un Etat démocratique et développé de dénoncer une conven-tion relative aux droits de l’homme», appuie la professeure. «Ce serait une négation de nos valeurs traditionnelles, au-delà des questions juridiques.» Pour elle, dans un tel cas, la Suisse serait aussi obligée de reconsidérer son adhésion au Pacte II de l’ONU, qui garantit presque les mêmes droits ci-vils et politiques que la CEDH. De plus, bien des articles de cette dernière ont été traduits dans la Constitution fédérale et dans de nombreuses constitutions cantonales.

«Va-t-on vraiment vouloir quitter le Conseil de l’Europe et être mis au ban des nations pour quelques arrêts de la Cour portant sur des cas particuliers ?», s’interroge l’avo-cat-stagiaire. Une telle réaction semble disproportionnée. Mais ce sera peut-être un jour au peuple d’en décider.

1) Références des arrêts sur www.unil.ch/allezsavoir2) «40 ans d’adhésion de la Suisse à la CEDH : Bilan et perspectives». Rapport du Conseil fédéral du 19 novembre 2014.3) www.echr.coe.int/Documents/FS_Journalistic_sources_FRA.pdf

DROIT

«EN 2015, ILEST INIMAGI-NABLE POUR UN ETAT DÉ-MOCRATIQUE ET DÉVELOPPÉ DE DÉNONCER UNE CONVEN-TION RELATIVE AUX DROITS DE L’HOMME »BARBARA WILSON

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Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 57

2010d’être fier autant qu’il est fier d’être modeste. «Les Vaudois ont un hu-mour et une faconde que je n’ai ja-mais retrouvés ailleurs», ajoute le Dr ès Lettres de l’UNIL, qui vient de lancer un magazine romand d’his-toire et d’archéologie baptisé Passé simple. «Cet humour joue sur le non-dit et la litote. On ne dit pas “J’aime-rais boire un verre”, mais “Je ne suis pas contre”. On ne dit pas “J’aime le blanc” mais “Je ne déteste pas ça”. Le répertoire humoristique vaudois compte aussi une variété infinie de qualificatifs pour désigner l’idiot: topio, niolu, taborniau, toyet, niobet, nianiou, bofiot, alapiat, agnoti, etc...»

Justin Favrod y voit un signe. On s’en sert volontiers pour rabaisser tout ce qui dépasse, se distingue et apparaît vite ici comme arrogant. «Dans ce canton, la grandeur est un sujet de préoccupation permanente. La raison en est selon moi – mais ce n’est qu’une explication personnelle – que les Vaudois ont longtemps été les sujets des Bernois.»

A lire l’histoire officielle, l’occu-pation bernoise a été terrible. Pour-tant, c’est tout le contraire, affirme l’historienne et professeure associée de l’UNIL Danièle Tosato-Rigo qui s’est intéressée, plutôt qu’à l’iden-tité vaudoise, forcément «plurielle et insaisissable», à «la construction du discours identitaire vaudois». C’est ainsi qu’elle a pu démonter un mythe

tenace et montrer comment la libé-ration du Pays de Vaud en 1798 a été fabriquée... un siècle plus tard, à l’occasion du premier Centenaire de l’indépendance.

Dans l’article paru en 2010, Lau-rent Flutsch, directeur du Musée ro-main de Lausanne-Vidy, remontait plus loin dans le passé pour signa-ler que le premier banquier suisse connu n’est autre que le père de Ves-pasien, un Italien qui fit carrière en Asie avant de s’installer à Avenches. A la même époque, les Romains in-troduisent la viticulture et déve-loppent la technique du verre soufflé. C’est depuis lors, écrit l’archéologue humoriste, que «l’on peut littérale-ment boire un verre».

Avec le recul, l’essentiel de «l’iden-tité» moderne des Vaudois repose sur des apports étrangers: la langue ger-manique, puis latine, et enfin le fran-çais, un apport des Savoie. Le protes-tantisme est un héritage des Bernois, et le nom de «Vaudois» dérive du germain, «Wald». Quant à celui de «Romand», il découle naturellement de «Rome».

C’est peut-être cela, l’identité vau-doise. Un brassage extraordinaire-ment riche d’origines et de méta-morphoses qui font que le Vaudois, loin d’être immuable, ne ressemble à nul autre. Alors pourquoi ne pas le lui concéder: y en a point comme lui. DS

Justin Favrod, Dr ès Lettres de l’UNIL, historien et jour-naliste, se souvient de l’aver-tissement de Chessex: les «vrais Vaudois» sont en train

de disparaître. «C’était dans les an-nées 60, mais récemment encore, un confrère journaliste suggérait qu’il fallait se dépêcher de faire le por-trait d’un “vrai Vaudois” pour les mêmes raisons. Le Vaudois est une sorte d’espèce en voie de disparition mais qui réapparaît tout le temps.»

Ce pays est fier de son patri-moine, et, aujourd’hui encore, ne manque jamais de le rappeler, écri-vait Michel Beuret dans Allez savoir! en 2010. A l’instar de feu le conseiller fédéral, le Vaudois Jean-Pascal Dela-muraz, qui affirmait que son canton est bien un pays complet dans la me-sure où il produit tout (le sel, le pain, le vin) et offre tous les paysages de Suisse (Alpes, Préalpes, Jura, Pla-teau et bien sûr son lac). Cette suf-fisance expliquerait en apparence l’expression bien vaudoise “Y en a point comme nous”.»

C’est pourtant tout le contraire. «La première occurrence de cette formule remonte au début du XIXe siècle, assure Justin Favrod, et j’ai découvert que son usage est avant tout celui de l’autodérision, d’une iro-nie envers soi-même.» Si le Vaudois a conscience que son pays est beau et riche, il a toujours un peu honte

VEILLE-TOI!Y EN A POINT COMME NOUSIl y a quelques années, Allez savoir! avait posé la question de l’identité vaudoise. Existe-t-elle ? A quoi res-semble-t-elle ? Comment l’histoire l’a-t-elle façonnée ? Plusieurs historiens de l’UNIL apportaient avec humour des réponses aussi nuancées que ce sujet.

C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR !

Texte paru dans Allez savoir ! No 48, novembre 2010. Archives du maga-zine : http ://scriptorium.bcu-lausanne.ch

L’ESSENTIEL DE «L’IDENTITÉ»MODERNE DES VAUDOIS REPOSE SUR DES APPORTS ÉTRANGERS: LA LANGUE GERMANIQUE, PUIS LATINE, ET ENFIN LE FRANÇAIS, UN APPORT DES SAVOIE.

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58 Allez savoir ! N° 58 Septembre 2014 UNIL | Université de Lausanne4 Allez savoir ! N° 51 Mai 2012 UNIL | Université de Lausanne4 Allez savoir ! N° 51 Mai 2012 UNIL | Université de Lausanne

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Pourquoi devons-nous vaincre le vieillissement ? Parce qu’il tue des gens!» C’est ainsi qu’Aubrey de Grey, chercheur à l’Univer-sité de Cambridge, entamait

sa conférence lors de l’évènement TEDGlobal à Oxford, en juillet 2005. Il a répété régulièrement dans les médias que la personne qui vivrait 1000 ans était peut-être déjà née.

Même si cette idée prête à sou-rire, elle est prise au sérieux dans certains milieux fortunés, généra-lement anglo-saxons et libertariens, qui ne demandent qu’à prolonger leur existence à coups de thérapies expérimentales et de dollars. Comme l’immortalité n’est pas que l’affaire des transhumanistes, mais touche tout le monde d’une manière ou d’une autre, la lecture d’un récent ouvrage collectif paru récemment chez Favre paraît utile.

Dirigé notamment par Jean-Da-niel Tissot, médecin-chef du Service régional vaudois de transfusion san-guine et professeur à l’UNIL, L’im-mortalité, un sujet d’avenir se com-pose d’une succession d’articles rédigés par des chercheurs et des personnalités de tous horizons. Tour à tour scientifiques, littéraires ou très personnels, les textes emmènent le lecteur du côté de la génétique, du droit, des fourmis, de l’Antiquité, de la religion, de l’histoire de l’art, des mathématiques ou encore de la psy-chiatrie. Dès lors, il est inutile d’en at-tendre une réponse à la question: «Où

dois-je m’inscrire pour devenir im-mortel ?». Par contre, l’ouvrage per-met de dégager une vue d’ensemble sur un sujet qui tourmente les hu-mains depuis l’époque des cavernes.

Par exemple, certains animaux sont capables de réparer leur propre corps (lire en p. 28). D’autres vivent des siècles. Mais une forme d’im-mortalité peut être atteinte par des espèces entières. Elisabeth Gordon, journaliste et collaboratrice d’Allez savoir!, ainsi que Laurent Keller, di-recteur du Département d’écologie et évolution de l’UNIL, consacrent un chapitre aux fourmis. Elles doivent leur succès à la qualité de leur or-ganisation sociale. Les «invasives» ont même réussi à former des «su-percolonies», sortes d’archipels de fourmilières qui vivent en bonne en-tente. Un phénomène sans équiva-lent dans le règne animal, comme

l’écrivent les auteurs, pour qui il est inutile de «chercher à éradiquer ces insectes. Toutes les tentatives faites en ce sens, notamment pour bar-rer la route aux espèces nuisibles, se sont soldées par des échecs. Pré-sentes sur terre depuis plus de 100 millions d’années, les fourmis proli-fèrent et poursuivent inexorablement leur expansion. Ce qui confère aux formicidés une pérennité proche de l’immortalité.»

Il est possible de plonger en-core plus loin dans l’infiniment pe-tit, grâce à un autre chapitre. Mé-decins et chercheurs UNIL-CHUV, Sabine Waeber et Gérard Waeber se demandent si l’immortalité ne serait pas nichée dans nos gènes. Se cache-rait-elle dans la transmission d’infor-mations, d’une génération à la sui-vante, grâce à l’ADN contenu dans le noyau de nos cellules ? Le problème, c’est que ce dernier mute et se réar-range rapidement. Il ne peut donc pas servir de support stable. Seules les cellules tumorales se multiplient à l’infini tant qu’on les maintient in vitro, c’est-à-dire tant qu’on les main-tient dans une forme de pérennité artificielle «pathologique». Il ne faut donc pas espérer, dans la biologie, davantage que la transmission par-tielle d’un héritage. Les deux auteurs renvoient à des champs plus vastes, «comme celui de l’esprit ou de l’âme ou vers d’autres cieux... à la re-cherche de l’éternité plutôt que de l’immortalité». DS

« «

L’IMMORTALITÉ, UN SUJET D’AVENIR. Dirigé par Jean-Daniel Tissot, Olivier Garraud, Jean-Jacques Lefrère et Philippe Schneider.Favre (2014), 436 p.

POUR EN FINIRAVEC LA MORTUn ouvrage collectif, qui rassemble des textes de nombreux chercheurs et personnalités, traite du besoin de l’être humain d’atteindre l’immortalité, que ce soit grâce à la technologie, à l’art ou à la religion.

LIVRES

ORPHÉEET EURYDICE Œuvre de Jacopo Vignali (1592–1664), conservée au Musée de Tessé(Le Mans).© AKG-images

Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 59

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FILMS & LIVRES

La révolution cubaine est en marche, 1961, le photographe vaudois Luc Chessex quitte Lau-sanne pour La Havane. Pendant près de quinze ans, il sera le

témoin privilégié de l’évolution po-litique et sociale de l’île. En janvier 2013, il retourne à Cuba pour le ver-nissage d'une exposition de ses pho-tos de l’époque, qu'il a offertes à un centre culturel de la capitale. Francis Mobio, chargé de cours en Anthropo-logie visuelle à l’UNIL, l'accompagne et réalise, caméra au point, un portrait du photographe: Mille trois cent vingt-cinq fois trente-six.

Mise en scène minimalisteLes deux hommes font connaissance à l’Université de Lausanne, à l’occasion de la projection d’un autre documen-taire de Francis Mobio. La suite, ils

la construisent ensemble. Mille trois cent vingt-cinq fois trente-six ne cor-respond pas seulement au calcul qu’il faut effectuer pour obtenir le nombre de photos que Luc Chessex a réalisées à Cuba, «c’est également une véritable rencontre» entre deux hommes.

Fruit d’une démarche mi-ethno-graphique, mi-documentaire chère au réalisateur, le film n’a pas pour vocation de briller par son aspect tech-nique. La mise en scène est minima-liste, ce qui ne fait que renforcer la relation qui unit Luc Chessex à ses interlocuteurs. Francis Mobio utilise sa caméra comme un outil permet-tant d’aller à la rencontre du photo-graphe, «ne cherchant pas à faire un film sur lui, mais plutôt avec lui, en respectant sa relation à Cuba». Luc Chessex nous replonge dans sa vie des années 60. On y croise certains

de ses amis, comme le photographe Enrique de la Uz qui, presque mira-culeusement, a retrouvé sur les étals d’un marché l’appareil photo utilisé par Luc Chessex dans les années 60. Un modèle Alpa qu’il redécouvre non sans émotion, près de quarante ans après son départ de l’île. Des anec-dotes avec Castro et des photos, ou-bliées dans un tiroir pendant des dé-cennies, refont surface.

Le film regorge de conjonctions étonnantes puisque le Vaudois y re-trouve, par hasard, ses compères de l’époque: Claude Champion et Jacques Pilet. Les trois acolytes évoquent un documentaire réalisé ensemble en 1980. Les deux films, Mille trois cent vingt-cinq fois trente-six et Quand il n'y a plus d'Eldorado, sont aujourd’hui ré-unis dans un coffret DVD: Por los ca-minos del mundo. MA

Chargé de cours à l’UNIL, Francis Mobio a réalisé un por-trait du photographe Luc Chessex. Son film nous replonge dans le Cuba des années 60.

«CE FILM ESTLE PRODUIT DE LA RENCONTRE ENTRE DEUX HOMMES»

Luc Chessex devant l’affiche de son exposition à Cuba, en janvier 2013.

LA VIE CUBAINEDU PHOTOGRAPHE LUC CHESSEX

POR LOS CAMINOSDEL MUNDO Association des Amisde Luc Chessex,Claude Champion,Francis Mobio.DVD. VPS prod. (2014)

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60 Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne

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SAINT-MAURICE CÉLÉBRÉE

Issu d’un mémoire de master, le livre d’Alexandre Dafflon nous plonge dans un monde peu étudié, celui des jeunesses campa-gnardes. Cet assistant diplômé à la Faculté des sciences sociales et politiques s’est immergé depuis plusieurs années dans un mi-lieu dont les fonctionnements échappent aux citadins. L’ouvrage est traversé par les parcours de vie de quatre membres de ces sociétés, aux profils très différents. Sans jugement de valeur, ni rien cacher de la question de l’alcool, le texte balaie un grand nombre d’idées reçues. DS

IL FAUT BIEN QUE JEUNESSE SE FASSE !ETHNOGRAPHIE D'UNE SOCIÉTÉ DE JEUNESSE CAMPAGNARDE.Par Alexandre Dafflon. L’Harmattan (2014), 258 p.

Le pionnier Rodolphe Archibald Reiss, fondateur de l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne en 1909, constitue le fil rouge de cet ouvrage au graphisme soigné. Son travail sur plusieurs crimes et attentats commis dans le canton de Vaud au début du XXe siècle est détaillé, documents, expertises et pho-tographies à l’appui. Spécialiste du domaine, l’historien Nicolas Quinche retrace ainsi la naissance de la police scientifique, et plus largement celle de l’identification par les traces.Une lecture passionnante. DS

EXPERTS DU CRIME SUR LES BORDS DU LÉMAN.Par Nicolas Quinche.Nouvelles Editions (2014), 349 p.

L’ouvrage de Dominique Bourg, professeur à la Faculté des géos-ciences et de l’environnement, s’inscrit dans l’actualité des luttes, souvent violentes, qui se jouent en France autour du mi-litantisme écologique. D’où vient-il ? Quels courants de pensées le sous-tendent ? Qu’est-ce que l’écologie politique ? Du com-bat contre la pollution ou le nucléaire à l’opposition aux gaz et huiles de schiste ou aux OGM, l’ouvrage couvre une longue his-toire. Il est enrichi d’incroyables documents, affiches, tracts et dessins, dont certains datent du XIXe siècle. DS

QUAND L’ÉCOLOGIE POLITIQUE S’AFFICHE.40 ANS DE MILITANTISME GRAPHIQUE.Par Dominique Bourg. Plume de carotte (2014), 137 p.

Très bien illustré, cet ouvrage collectif narre de manière détail-lée l’histoire de l’église de Romainmôtier. Il traite aussi bien de la sculpture monumentale que des décors peints. Outre la présen-tation des résultats des recherches archéologiques, ce livre re-trace en particulier les restaurations qui ont eu lieu tout au long du XXe siècle, et des nombreuses questions que ces interven-tions successives posent aux spécialistes, surtout lorsque l’on parle d’un bâtiment aussi admiré et aimé. DS

ROMAINMÔTIER RESTAURÉE – 1991-2001.Par Brigitte Pradervand, Nicolas Schätti (dir.). Cahiers d’archéologie romande 145 (2014), 221 p.

L’Expo 64 fait l’objet d’un ouvrage collectif, auxquels participent de nombreux chercheurs de l’UNIL. Né d’un colloque, mais très accessible, le texte couvre l’ensemble d’un «champ de tensions» qui n’a de loin pas été exempt de controverses: du pavillon hé-rissé de pointes installé par l’armée aux dispositifs cinématogra-phiques, sans oublier un délicieux article sur les liens entre les Radicaux et l’Expo ou les aspects architecturaux et artistiques. Une iconographie souvent étonnante complète ce livre. DS

REVISITER L’EXPO 64.Par Olivier Lugon et François Vallotton (dir.).Presses polytechniques et universitaires romandes (2014), 438 p.

C’estl’établissement religieux le plus ancien d’Europe à être toujours en activité et il fête cette année ses 1500 ans. L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune a été

fondée en 515 et n’a, depuis, jamais fermé ses portes. Parmi les manifestations organisées pour célébrer son anniver-saire, un livre à paraître ce printemps retrace la riche his-toire du lieu. Dirigé par les chercheurs Bernard Andenmatten

(UNIL), Laurent Ripart (Université de Savoie) et Pierre-Alain Mariaux (Université de Neuchâtel), l’ouvrage se compose de deux tomes, le pre-mier consacré à l’histoire, l’archéo-logie et l’architecture de l’abbaye, le second à son trésor sacré.

«Ces dernières années, d’impor-tantes recherches menées sur place ont permis de reconsidérer le passé

de l’abbaye», explique Bernard Andenmatten, professeur à la section d’Histoire. Les archives ont ainsi fait l’objet d’un reclassement et d’une numérisation durant quinze ans, de nouvelles fouilles ont été organisées sur le site archéologique et le trésor lui-même est particulièrement étudié.

Constitué de reliques conservées dans d’admirables pièces d’orfèvrerie, c’est en effet «ce trésor qui fait principa-lement la renommée de l’abbaye de Saint-Maurice, ajoute le professeur Andenmatten. De nombreux visiteurs y faisaient halte sur la route de l’Italie, en passant par le Grand Saint-Bernard ou le Simplon.»

L’abbaye a néanmoins failli disparaître vers 1800. Mais la fondation du collège de Saint-Maurice l’a sauvée. «Une institution catholique au niveau intellectuellement élevé qui avait pour objectif de former l’élite valaisanne.» Le col-lège est encore aujourd’hui dirigé par des chanoines. L’ou-vrage qui lui est consacré vise d’ailleurs «à ne pas mettre en évidence uniquement l’époque médiévale, mais toutes les périodes», précise Bernard Andenmatten. Avec notamment des contributions de l’historien de l’art Dave Lüthi, qui évoque les transformations architecturales aux XIXe et XXe siècles, et de Mgr Roduit lui-même, abbé de Saint-Maurice, auteur d’une postface faisant le point sur l’histoire récente de l’abbaye.

Le 18 avril prochain, un colloque autour de la laïcité sera organisé. Historiens et philosophes seront réunis pour dres-ser un état des lieux des relations entre l’Eglise et l’Etat en Suisse romande et évoquer le retour de la religion dans la société laïque. CK

L’ABBAYE DE SAINT-MAURICE D’AGAUNE 515-2015.Deux volumes. Sous la direction de Bernard Andenmatten, Laurent Ripart et Pierre-Alain Mariaux. Editions Infolio (parution Pâques 2015).

Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne 61

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FORMATION CONTINUE La Formation Continue UNIL-EPFLwww.formation-continue-unil-epfl.ch021 693 71 20

Les jeux accompagnent l’Humanité depuis l’Antiquité. La créativité dans ce domaine ne faiblit pas de nos jours, bien au contraire. Aux dés, aux cartes et à l’as-sortiment proposé par les casinos se sont ajoutées des loteries électroniques de plus en plus sophisti-

quées, tandis que l’offre de jeux sur Internet s’est élargie et se diversifie par l’intermédiaire des smartphones et des réseaux sociaux. «On estime qu’environ 2% de la popula-tion a un problème de jeu excessif dans les pays industria-lisés», note Mélina Andronicos, psychologue responsable de recherche au Centre du jeu excessif (CHUV), installé en plein cœur de Lausanne.

La recherche, notamment en neurosciences, a démontré que l’activité de jeu démesurée doit être considérée comme une addiction sans substance, qui peut occuper une place considérable dans la vie des personnes concernées. «Mal-heureusement, très peu d’entre elles consultent et de ma-nière trop tardive. En effet, elles mettent en moyenne cinq à sept ans pour le faire, tant il est difficile d’admettre que l’on a un souci», ajoute la chercheuse. Les conséquences sont lourdes: perte de l’emploi, conflits familiaux, isolement, en-dettement. Elles peuvent se cumuler avec des probléma-tiques parfois préexistantes, comme par exemple l’alcoo-lisme ou la dépression.

Toutefois, le jeu excessif se dépiste et se traite. «Notre but consiste à former des personnes relais et à informer le pu-blic, afin que cette addiction ne soit plus un tabou et que les patients consultent plus tôt», souligne Mélina Androni-cos, également coordinatrice du Certificate of Advanced Stu-dies (CAS) «Jeu excessif», une formation continue proposée par l'UNIL et le CHUV, qui connaîtra sa troisième édition dès novembre 2015.

Mélange des mondesCette dernière intéressera de nombreux professionnels, comme les assistants sociaux, les éducateurs, les infirmiers, les médecins et les psychologues, mais également les profes-sionnels de l’industrie du jeu impliqués dans les programmes de prévention. Un mélange des mondes qui, dans les deux volées précédentes, a très bien fonctionné. Comme le CAS proposé à Lausanne constitue le seul dans son genre, il at-tire également des Français et des Belges, ce qui enrichit l’échange des approches et permet aux participants de se constituer un réseau. Accessible sur dossier, la formation se compose de six modules qui peuvent être suivis séparément. Ils couvrent tout le domaine: introduction au jeu excessif et aux addictions comportementales, prévention, comorbidi-tés, mobilisation des proches, entretiens et plans d’accom-

L’intérêt pour le poker, les loteries électroniques ou le casino par exemple, peut tourner à l’addiction chez cer-taines personnes. Une formation continue permet de mieux dépister, orienter et prendre en charge ces dernières.

MIEUX COMPRENDRE, TRAITERET PRÉVENIR LE JEU EXCESSIF

MÉLINA ANDRONICOSCoordinatrice de la formation et psychologue responsable de recherche au Centre du jeu excessif (CHUV).A gauche, travail en sous-groupe supervisé par le Dr Charly Cungi.© DR / Nicole Chuard © UNIL

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NOUVELLE FORMATION

Dans les hôpitaux, les écoles, les homes, les prisons ou encore aux guichets des services sociaux, «la question de la diversité religieuse se pose aujourd’hui de manière forte», note Irene Becci, professeure assistante à l’Institut de sciences sociales des religions contemporaines et res-ponsable académique d’une nouvelle formation qui porte sur ce sujet.

Le personnel des institutions étatiques gère en effet au quotidien des situations où la liberté de croyance, réguliè-rement jugée comme étant une affaire privée, et le cadre du service public, laïc et neutre, divergent parfois. Com-ment réagir lorsqu’on est employé et bien souvent dénué de formation dans ce domaine? Des cantines scolaires aux derniers instants de la vie en milieu médical, de nom-breuses occasions de malentendus, d’incompréhensions, voire même de frictions peuvent surgir.

Le cursus proposé, d’une durée de trois jours et demi, vise justement à donner les informations et les outils néces-saires pour appréhender la diversité religieuse dans la pra-tique professionnelle. Mais Irene Becci insiste: «Il s’agit aussi de poser des limites: la sécularité doit conserver sa place dans les services de l’Etat, car c’est elle qui permet les échanges.»

D’emblée, un bagage théorique est fourni. L’établisse-ment d’un portrait des différentes religions qui se côtoient en Suisse et en Europe, enrichi de données chiffrées, consti-tue le point de départ de la formation. Les aspects légaux sont ensuite traités. Des études de cas, des moments de mise en commun des expériences des participants, ainsi qu’une table ronde sur la médiation sont prévus. Pour col-ler aux demandes particulières, des ateliers spécifiques, par exemple sur la prison ou l’école, sont proposés. Les discussions entre les participants et les nombreux interve-nants, issus en majorité du monde de la recherche (Faculté de théologie et de sciences des religions de l’UNIL, HES-SO et HEP), s’annoncent riches.

«Nous aimerions que les personnes interrogent leurs pré-conceptions et leurs pratiques, par exemple face aux tenants de religions dites controversées, ou très peu répandues», ajoute Irene Becci. La manière dont les médias influencent les perceptions de certaines croyances fait également par-tie du programme. Une journée supplémentaire optionnelle, centrée sur l’accompagnement et la médiation spirituelle, est proposée à destination des professionnels religieux, comme les aumôniers DS

www.formation-continue-unil-epfl.ch / face-diversite-religieuse

FACE À LA DIVERSITÉRELIGIEUSEEN INSTITUTION

pagnement des patients, gestion des situations de crise et conclusion de la thérapie. Chaque module comprend trois jours de cours en «présentiel», du jeudi au samedi. A côté des volets théoriques indispensables, les intervenants utilisent les exercices ou les jeux de rôle pour fournir un certain sa-voir-être aux «étudiants», qui sont une dizaine par édition.

Plateforme en ligne et patient virtuelL’un des aspects originaux du cursus réside dans une pla-teforme en ligne astucieuse qui donne du grain à moudre aux participants. Chez eux, entre les jours de cours à Lau-sanne, ils se plongent dans un matériel supplémentaire très structuré. Des lectures et des capsules vidéo avec des docu-mentaires, des publicités, des extraits de films, des spots de prévention ou encore des conférences données par des cher-cheurs du domaine de l’addiction alimentent la réflexion. Ces éléments sont suivis d’exercices sous forme de «quiz» desti-nés à ancrer les notions abordées.

Plus fort encore: les organisateurs proposent de suivre un patient virtuel en ligne, incarné par un comédien. Les étudiants sont amenés à suivre ce dernier comme dans une vraie prise en charge clinique à travers plusieurs entretiens. Concrètement, pour chaque entretien qui dure une trentaine de minutes, le patient explique sa situation au travers d’une série de séquences et après chacune d’entre elles, les par-ticipants doivent décider ce qu’ils disent au patient en sé-lectionnant l’interaction la plus adéquate dans une liste de réponses possibles, ce qui les mène à des réponses vidéo du patient, et ainsi de suite. Dans ce même suivi, l’étudiant devra gérer les proches qui interagissent également dans l’exercice. Un parcours formateur, nourri à la fois par des cas réels et par la recherche. La réussite d’un examen en ligne permet ensuite de valider l’apprentissage. «Les personnes qui n’ont jamais pratiqué la formation à distance et qui sont peu habituées à être sur Internet s’y retrouvent très vite», rassure Mélina Andronicos. Un système de tutorat s’ajoute encore à la richesse de l’enseignement.

Le CAS se conclut par un travail de diplôme à réaliser dans le cadre professionnel, suivi d'un passage devant un jury. «J’attends des participants qu’ils soient dynamiques, volontaires, innovants et curieux», indique la psychologue. Le domaine du jeu excessif évolue au gré de progrès tech-nologiques. Il ouvre des champs de recherche nouveaux. S’ils le suivent dans son entier de novembre 2015 à mai 2017, les «étudiants» décrochent 18 crédits ECTS. Ces der-niers peuvent être valorisés dans d’autres cursus, comme par exemple le Master of Advanced Studies en Sciences et Organisation de la Santé proposé par l’Ecole Romande de Santé Publique, ainsi que dans le cadre du Diploma of Ad-vanced Studies en addictions mis sur pied par la Fédération romande des organismes de formation dans le domaine des dépendances. DS

www.formation-continue-unil-epfl.ch/jeu-excessif-cas

2%C'EST ENVIRONLA PROPORTION DE LA POPULATION QUI SOUFFRED’UN PROBLÈMEDE JEU EXCESSIF, EN SUISSE.

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64 Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne

RENDEZ-VOUS Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve sur www.unil.ch, rubrique mémento.

Janvier à mai

CONFÉRENCES CONNAISSANCE 3Une sélection de rencontres avec les enseignants et les chercheurs de l’UNIL et du CHUV, dans le canton de Vaud. Toutes les confé-rences ont lieu à 14h30. www.connaissance3.ch 021 311 46 87. Entrée libre pour la communauté universitaire (prix public 15.-; prix adhérent 10.-).

Lu 2 février, LausanneLa série télévisée Les experts Par Pierre Margot - Casino de Montbenon, salle Paderewski, Allée E.-Ansermet 3.

Lu 16 février, LausannePerception sensorielle et genèse du plaisir. Par Pavel KuceraCasino de Montbenon, salle Paderewski, Allée E.-Ansermet 3.

Ve 20 février, AigleAdam, Eve et le mal dans la Bible et les écrits apocryphes juifs et chrétiens. Par Frédéric AmslerHôtel de Ville, salle F. Rouge, Pl. du Marché 1.

Lu 23 février, LausannePermis de toucher. Par Francesco Panese. Casino de Montbenon, salle Paderewski, Allée E.-Ansermet 3.

Lu 2 mars, La Tour-de-PeilzSommes-nous tous des criminels ?Par André Kuhn. Salle des Rem-parts, Pl. des Anciens-Fossés 7.

Lu 16 mars, La Tour-de-PeilzLa famille dans tous ses états?Par Suzette Sandoz. Salle des Rem-parts, Pl. des Anciens-Fossés 7.

Lu 16 mars, LausanneLe marché suisse de l'art au XXe siècle : les raisons d'un succès.Par Sébastien Guex. Casino de Montbenon, salle Paderewski, Allée E.-Ansermet 3.

 Jusqu’au 31 mai

ALPHABRICKLes textes de Lovecraft et Tolkien, ainsi que la saga Star Wars, ont généré des univers qui s’étendent bien au-delà des œuvres. Des illustrations de John Howe et Benjamin Carré, des dioramas en Lego, ainsi que des livres et objets rares permettent de s’en rendre compte. Yverdon-les-Bains. Maison d’Ailleurs. Ma-ve 14h-18h, sa-di 11h-18h. www.ailleurs.ch. 024 425 64 38

Du je 26 février au sa 7 mars

VERNISSAGEUn texte de Václav Havel, mis en scène par Matthias Urban. Véra et Michael invitent Ferdinand Vanek à célébrer leur nouvelle décora-tion d’intérieur. Le couple juge et conseille son hôte, jusqu’à en deve-nir blessant. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. Ma-je-sa 19h. Me-ve 20h30. Di 17h. www.grange-dedorigny.ch. 021 692 21 24

Jusqu’au di 22 février

LAB/LIFEDeux expositions sur la vie de labo-ratoire, la recherche en biologie et médecine, ainsi que sur les cellules souches (lire également en p. 28). Des rencontres avec des chercheurs et des soirées sont organisées (voir le 5 février). Lausanne. Musée de la main UNIL-CHUV. Ma-ve 12h-18h, sa-di 11h-18h. 021 314 49 55.www.museedelamain.ch

 Me 11 février

VERTIGES DE L’INDEFrédéric Tinguely donne un éclai-rage historique et contextuel de la vision qu’ont les voyageurs français de l’Inde au XVIIe siècle. Leur ex-périence reflète souvent une vision ethnocentrique de l’altérité indienne, mais aussi un ébranlement de leurs certitudes culturelles. Lausanne.Palais de Rumine, Aula. 19h. www.bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63

Di 15 février

GUSTAV MAHLERPAR L'OSULLa Symphonie no 6 de Gustav Mah-ler, par l’Orchestre Symphonique et Universitaire de Lausanne. Direc-tion : Hervé Klopfenstein. Concert suivant : Requiem de Antonin Dvorak, les 7 et 8 mai (lire ci-contre). Lausanne. Palais de Beaulieu. 18h. www.osul.ch

Je 5 février

LES NIGHTS DU MUSÉETous les premiers jeudis du mois,un cocktail de culture avec DJ,performances et expériences dans une ambiance à haut risque derencontres ! Lausanne. Musée dela main UNIL-CHUV.De 19h à minuit. Dès 16 ans.Entrée : 5.-.www.museedelamain.ch.021 314 49 55

Je 5 février

FUNKY BOY+FOURTYves Tenret compose sa trilogie « FFF » (Funky Boy, Fourt et FaireDépression) aux éditions Médiapop entre 2012 et 2014. Qu’il y explore la forme du fragment, du roman bio-graphique ou de l’essai fictif, il y développe un ton drôle et hargneux ! UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. 19h. www.grangededori-gny.ch. 021 692 21 24

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Sa 7 février

SÂDHUDans le cadre du festival de films Ciné au Palais, proposé par les mu-sées cantonaux, la BCU Lausanne invite le réalisateur Gaël Métroz pour parler de sa rencontre exception-nelle avec un homme saint de l’Inde, qui vit depuis huit ans dans une grotte de l’Himalaya. Lausanne. Pa-lais de Rumine, Aula. 18h30. www.bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63

Je 12 au sa 14 février

LE LABOUREUR DE BOHÊMEUn homme perd sa bien-aimée dans des circonstances tragiques. Révolté, inconsolable, incapable de supporter ce qu’il considère comme une injustice, il s’engage dans un duel verbal contre la Mort. Par l’Organon. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. Je 19h, ve 20h30, sa 19h. www.grangededorigny.ch. 021 692 21 24

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Du lu 20 avril au di 3 mai

FESTIVAL FÉCULEDes centaines d’étudiants imaginent des projets artistiques dans le cadre de leurs études. Ils se confrontent au jeu théâtral, à la mise en scène, à la caméra et au montage, à la danse ou encore au chant et à l’im-provisation. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. www.gran-gededorigny.ch (programme dès mars). 021 692 21 24

 Du je 19 au di 22 mars

LE CHAT DU RABBINLa bande dessinée de Joann Sfar in-troduit son lecteur à la culture juive séfarade qui rayonnait à Alger dans les années 30. Ce récit célèbre en musique les dialogues entre un chat très futé et son maître. Par la Cie La Fourmilière. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. Je 19h, ve 20h30, sa 19h, di 17h. www.grangededori-gny.ch. 021 692 21 24

Je 7 et ve 8 mai

REQUIEM D'ANTONIN DVORAKLe Chœur universitaire de Lausanne et l’Orchestre Symphonique etUniversitaire de Lausanne inter-prètent le Requiem d’Antonin Dvorak. Direction: Fruzsina Szuromi et Hervé Klopfenstein. Lausanne. Cathédrale, 20h30. www.asso-unil.ch/choeur

Me 20 mai

CES VOISINS INCONNUSDer Mann mit den zwei Augen de Matthias Zschokke. Un roman acerbe et brillant qui met en scène un héros moderne dans un monde vide de sens. Lecture bilingue (all/fr) par l’auteur et sa traductrice, Patricia Zurcher. Modération Marie Fleury Wullschleger. Lausanne. Palais de Rumine, Aula. 19h. www.bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63

Je 28 au di 31 mai

MYSTÈRES DE L’UNILPendant quatre jours, les cher-cheurs accueillent les curieux,petits et grands, dans leurs labo-ratoires. De nombreux ateliers sont organisés. La « durabilité » sera au cœur de cette dixième éditiondes portes ouvertes de l’UNIL, qui explorera également la forêt de Dorigny. UNIL-Sorge.www.unil.ch/mysteres

Ve 29 mai

DIES ACADEMICUSCette cérémonie annuelle est ouverte au public. Elle mêle allocu-tions, remises de prix et de docto-rats honoris causa, ainsi que des intermèdes musicaux. L’occasion de partager un moment important de la vie de l’institution. UNIL-Amphimax.Auditoire Erna Hamburger, 10 h. www.unil.ch

 Du ve 13 au di 15 mars

LES CLOWNSLe Boudu vit dans une grotte. Zig et Arletti lui rendent visite. Ils échangent quelques caresses et ouvrent une bouteille. Ils déam-bulent jusqu’à un théâtre et essaient de jouer le « Roi Lear » ! Par la Cie L’entreprise. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny. Ve 19h, sa 20h30, di 19h. www.grangededori-gny.ch. 021 692 21 24

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 Sa 9 et di 10 mai

INAUGURATION DELA MAISON DE LA RIVIÈREWeek-end d’ouverture plein de sur-prises. Les infrastructures s’insèrent dans une région dont les occupants ont contribué et contribuent à en construire le charme et à en perpé-tuer l’histoire. Tolochenaz. Maison de la Rivière. www.maisondelari-viere.ch. 021 802 20 75

Me 25 mars

MONTER LE FILM,MONTRER L’AUTREComment le montage d’un film construit la figure de l’Autre ? Karine Sudan vient parler de son travail, à travers des extraits de deux films : L’Expérience Blocher et L’Abri. Modération Alain Boillat. Lausanne. Palais de Rumine, Aula.19h. www.bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63

Je 26 au sa 28 mars

BERTHOLLETBerthollet, boucher de son village, décide d’aller retrouver sa femme décédée. Sauvé in extremis par ses voisins, c’est la visite du pasteur du village et une promesse faite à celui-ci qui lui redonnent le goût de vivre. Texte de Ramuz. UNIL-Mou-line. Théâtre La Grange de Dorigny. Je 19h,ve 20h30, sa 19h. www.gran-gededorigny.ch 021 692 21 24

Dès février

LES DÉCOMBRES DE LA FINITUDELe Cabanon accueille Tarik Hayward, lauréat de la Triennale de sculpture de l’UNIL. Il interrogera la relation du travail de l'artiste avec l'environne-ment fermé de la galerie. UNIL-Dori-gny. Anthropole. Le Cabanon. Du lu au ve de 8h à 19h et sa de 10h à 17h. www.lecabanon-unil.ch

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66 Allez savoir ! N° 59 Janvier 2015 UNIL | Université de Lausanne

Etudiant à la Faculté des lettres, Daniel Maggetti ne connaissait rien à la littérature romande. Il fera pourtant son mémoire sur Nicolas Bouvier, en 1985,

à un moment où la critique littéraire ignorait encore largement l’écrivain-voyageur, et sa thèse portera sur L’Invention de la littérature romande (Payot, 1995). La découverte d’un uni-vers littéraire implique pour lui l’ana-lyse critique, l’étude des manuscrits, mais aussi l’écriture personnelle et l’édition de textes. Il codirige ainsi, jusqu’à sa disparition en 2005, la revue Ecriture. Il a reçu en 1997 le Prix Michel-Dentan pour Chambre 112 et en 2008 le Prix Lipp Suisse pour Les Créatures du Bon Dieu (deux livres parus à L’Aire).

Intéressé par le XIXe siècle, il est venu à Lausanne pour étudier la littérature française. «La littéra-ture romande au XIXe siècle est labo-rieuse, à quelques exceptions près. En revanche, les auteurs romands du XXe siècle peuvent rivaliser avec leurs homologues français. Cathe-rine Colomb n’est pas moins bien que Nathalie Sarraute», estime-t-il. Il se souvient avec émotion d’un «moment extraordinaire» avec Alice Rivaz, vaillante octogénaire qu’il put rencontrer grâce à un mandat de recherche donné par la profes-seure Doris Jakubec. Daniel Mag-getti poursuit son exploration de la littérature romande à l’Université de Zurich comme assistant de Roger Francillon. Ce dernier lui confiera le secrétariat d’édition d’une Histoire de la littérature en Suisse romande, quatre volumes qui connaîtront en 2015 une réédition actualisée.

Dès 1999, Daniel Maggetti rejoint le «chantier Ramuz» lancé par Doris Jakubec, qui aboutira à la publication des romans dans la Bibliothèque de La Pléiade et à celle des Œuvres com-plètes chez Slatkine, travail achevé en 2013. Nommé professeur de lit-térature romande et francophone, il a pris dès 2003 la succession de Doris Jakubec à la tête du Centre de recherches sur les Lettres romandes de l’UNIL. Fondé en 1965, le CRLR aura 50 ans en 2015, un anniversaire placé sous le signe de Gustave Roud.Le poète vaudois (1897-1976), égale-ment photographe, traducteur, cri-tique d’art et éditeur, représente selon Daniel Maggetti «un objet idéal pour retracer l’histoire culturelle de la Suisse romande au XXe siècle». Le programme est riche: plusieurs expo-sitions – dont une au Musée de Pully,

Venu du Tessin, il est tombé dans la littérature romande lors de ses études à l’UNIL. Aujourd’hui, le professeur Daniel Maggetti dirige le Centre de recherches sur les Lettres romandes.

réalisée avec Philippe Kaenel, sur le thème «Gustave Roud et les images», et une autre à la Maison de l’écri-ture et de la littérature de Montri-cher exploitant le fonds Gustave Roud du CRLR –; une installation de Sté-phane Goël et Grégoire Mayor sur le souvenir du poète dans la région du Jorat; l’ouverture d’un site donnant accès au fonds photographique Gus-tave Roud de la BCU; un ouvrage col-lectif sur les différentes facettes de l’auteur; une édition de la correspon-dance réalisée par une étudiante du Master de spécialisation...

Daniel Maggetti travaille aussi avec des étudiants de l’ECAL qui réa-lisent des courts métrages sur des auteurs vivants. Chez lui, il étend la lessive qui déborde avec trois adoles-cents, fait des gâteaux... et s’occupe de ses abeilles. NADINE RICHON

LE BONHEUR DE DÉCOUVRIR

CAFÉ GOURMAND

UN GOÛT DE L’ENFANCECelui des boulettes de viande de ma mère.

UNE VILLE DE GOÛT ?Utrecht, pour un petit-déjeuner complet à la hollandaise.

AVEC QUI PARTAGER UN REPAS ?Avec le patricien romain Apicius.

DANIEL MAGGETTI sur la terrasse du Café

des Artisans à Lausanne.© Nicole Chuard

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