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Tous droits réservés © Collectif Liberté, 1982 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 16 jan. 2021 10:00 Liberté Pour non-liseurs Volume 24, numéro 6 (144), décembre 1982 URI : https://id.erudit.org/iderudit/30352ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Collectif Liberté ISSN 0024-2020 (imprimé) 1923-0915 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu (1982). Compte rendu de [Pour non-liseurs]. Liberté, 24 (6), 120–126.

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Page 1: Pour non-liseurs · Lolita et Ada, la profondeur de Loujine et de Pnine. Une œuvre rapide, éblouissante et forte; on en . 125 ressort comme épuisé d'admiration, et d'émotion

Tous droits réservés © Collectif Liberté, 1982 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 16 jan. 2021 10:00

Liberté

Pour non-liseurs

Volume 24, numéro 6 (144), décembre 1982

URI : https://id.erudit.org/iderudit/30352ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Collectif Liberté

ISSN0024-2020 (imprimé)1923-0915 (numérique)

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Citer ce compte rendu(1982). Compte rendu de [Pour non-liseurs]. Liberté, 24 (6), 120–126.

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POUR NON-LISEURS

FRANÇOIS HEBERT RENÉ LAPIERRE FRANÇOIS RICARD YVON RIVARD GUY TROTTIER

Deux classiques. L'un inédit (James Hadley Chase, Tu me suivras dans la tombe, Gallimard, Coll. «Série noire», 1982), l'autre réédité (Peter Cheney, Les Femmes s'en balancent, Gallimard, Coll. «Série noire», 1982, trad. Michelle et Boris Vian; le copy­right est de 1949).

— Deux trucs pas égaux, en tout cas, Mac. — Ouais, Nolan. Tout juste. — Chase a fini de picoler, si tu veux mon avis.

J'ai idée que le gars n'y est plus. La lumière blêmissait à intervalles réguliers sur le

visage de Nolan. Le rapide s'enfonçait à l'intérieur du golfe; à ce train-là Grandworth pouvait toujours cavaler.

— Ouais, que je fis. Un truc tordu. — Mais l'autre, bon Dieu, Mac: ça gaze. Drôle­

ment au poil, son machin. Je lui jetai un regard de côté: quand il parlait

comme ça Nolan ne blaguait jamais. Derrière les deux bouquins, comme d'habitude,

on voyait des paquets de Bastos blondes. R.L.

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Dans sa préface à Musique pour caméléons (Gal­limard), l'inventeur du «roman non roman» affirme que la plupart des écrivains «sur-écrivent» alors que lui préfère «sous-écrire», c'est-à-dire tendre à une sobriété de plus en plus grande. A la lecture de la plupart des nouvelles de ce recueil de Truman Capote, petites choses gentilles et parfaites, j'étais plutôt porté à croire que la virtuosité est une sur-écriture, qui prétend atteindre au silence en faisant, ici et là, quelques économies (un mot, un paragraphe, etc.). De même l'intérêt que Capote porte aux criminels ne suffit pas à investir sa prose du mystère ou de l'irrationnel qui lui manque. Comme quoi l'écriture ne saurait être une simple question de plus (de réel) et de moins (de mots). «A dix-sept ans, j'étais un écrivain accompli», dit de lui-même Capote. Hélas, c'était sans doute vrai. Y.R.

John Kennedy Toole (La Conjuration des imbé­ciles, Laffont, 1982, 408 p.) nous entraîne dans un voyage au bout de la bêtise, la plus féroce satire jamais écrite sur l'American way of life: un roman de génie. Ecrit au début des années 60, il n'est pas publié. L'auteur, qui s'estime un écrivain raté, se suicide en 1969 à trente-deux ans. Sa mère, qui entreprend de faire éditer le manuscrit, n'y parvient qu'en 1980. Il décroche le prix Pulitzer du roman en 1981. Et on a affaire à un grand livre, c'est-à-dire une grande écriture.

Avec la joyeuseté de l'iconoclaste, Toole brosse à la rigolade ce que les ordinaires violonistes des lettres donnent dans le drame et les gémissements: l'amour d'une mère et d'un fils, la misère sexuelle, l'ostracisme policier, le chômage, la déprime des banlieues, la peur des autres... tout cela emporté par la ligne de fond du comique et de l'absurde. Il raconte l'histoire de l'éléphantesque Ignatius J. ReiUy, l'homme à la casquette verte, génie destructeur à l'état pur, et cerveau-choc, même si l'on est surpris de constater que ce demi-dieu pète et rote à longueur de pages, se

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suce la moustache, se goinfre de Dr Nut et de hots-dogs crasseux, se masturbe à tour de bras avant de recopier ses pensées dans un cahier Big Chief ou avant d'écrire à sa fiancée, l'explosive Myrna Min-koff. Madame Reilly mère, elle, se poivre secrète­ment au vin chaud, joue au bouligne et se laisse courtiser par un vieux débris halluciné par la crainte des communisses. Dans cet olympe, pataugent aussi Gonzalès, le chef de bureau des pantalons Lévy; Gus Lévy le pdg de l'entreprise et sa femme, bigoudis / ménopause, accouplée du soir au matin avec une planche d'exercices; la vieille Miss Trixie, pan­toufles / chemise de nuit; la plantureuse Lana, cuir / fouet; Darlene, l'adorable idiote aux gros seins et au gros derrière et Jones, le noir le plus authentique jamais embauché dans un roman depuis Razibus Zouzou. Tous abrutis, ignares, méchants, envieux, cruels, obscènes. Tous géniaux parce que profondé­ment vivants dans un monde où l'on croise plus de fantômes, chemises en papier glacé / cravates en bande magnétique, que d'êtres humains.

Ainsi encore cet inimitable Ignatius J., homme exceptionnel, hors gabarit parmi les hommes du commun, qui écrit un essai contre le monde moderne et la société de consommation, mange des quintaux de pop corns et balade ses rondeurs néo-falstafiennes parmi les bas-quartiers de la Nouvelle-Orléans. Une sorte dTJbu Usa qui lance des anathèmes sur un monde en décomposition, sans surprise parce que sans risque, où tout est préparé, répété, convenu, et où les bourgeois bien-pensants — il en est à gauche comme à droite, suggère Toole — servent éternelle­ment de faire-valoir à quelque prince au nœud papil­lon. Comment et pourquoi, un anneau de faux or à l'oreille, un cimeterre de vrai plastique brandi vers le ciel, il finit à la une des journaux locaux, c'est ce qui, dans le fond, compte peu.

Ce qui compte, ce n'est pas seulement la farce fellinienne qui amuse la devanture mais le mouve­ment profond des personnages. Ce qui étonne, stupé-

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fie et ravit, c'est le talent de Toole pour camper ce personnage, ce gros gars donquichottesque, qui vit véritablement, est aussi généreusement charnel qu'un Fattie Arbuckle ou un Oliver Hardy, est une sorte de descendant de «grande gorge», de Gargantua. G.T.

L'ancienne et éphémère tradition chevaleresque qui aura été la gloire de l'Occident durant le règne des Hohenstaufen et aura inspiré les plus belles œuvres de notre patrimoine (le cycle du Graal, les œuvres de Dante, de Cervantes...) fait l'objet du dernier livre (traduit) de Julius Evola, Le mystère du Graal et l'idée impériale gibeline (Editions traditionnelles, Paris, 1982). C'est un essai remarquable par son ampleur, sa précision et sa profondeur. Evola examine les principes et antécédents du thème du Graal, issu pour une part du cycle olympien, pour une autre d'anti­ques légendes irlandaises, à quoi se superposent tardivement les influences chrétiennes, résolument étrangères voire hostiles à ces courants païens et soucieux de les récupérer, de les assimiler. Ensuite sont étudiées les étapes du cycle et ses différents motifs: le Graal lui-même (pierre? coupe? autre?), la lance et le «coup douloureux», et les protagonistes (les dieux, le roi pêcheur, les chevaliers, le prêtre Jean, les femmes, les animaux...). Enfin, l'auteur fait le compte des héritiers: les Templiers, les Cathares, les Fidèles d'Amour, les gibelins, les hermétistes, les Rose-croix et les francs-maçons. F.H.

Le Lapin de lune (Robert Laffont, 1982) n'est peut-être pas le meilleur livre d'Alain Gerber. Il n'a pas tout à fait la sincérité, ni cette sorte de vertu d'empathie qui faisaient la beauté du Faubourg des coups de trique (1979) ou de Le Jade et l'obsidienne (1981). Pourtant, c'est un livre réussi, et dont la réussite s'impose dans le cours même de la lecture. Au début, vous restez un peu sceptique: ce pays mi-sauvage mi-civilisé qui ressemble à la fois au Québec et à un décor de conte, ces personnages tout

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bons ou tout méchants, cette histoire un peu mélo, tout cela ne vous paraît guère prometteur. Mais voilà que peu à peu, à mesure que vous lisez (car vous lisez), que vous riez, que vous souriez, que vous jouissez des prouesses langagières de Gerber et de cette espèce de truculence qu'il a même dans des scènes qui seraient banales, voilà que le déclic se produit, et vous marchez, sans plus vous poser de questions, sans hésiter, sans vous retenir, vous mar­chez. Le récit, bientôt, vous captive, vous vous prenez à vous émouvoir, à aimer Lonnie et Joli-Dimanche, à déplorer la trajectoire de Vanessa, et vous avez faim de la suite, de la suite de la suite, et vous voudriez que ça dure encore et encore. Gerber, à nouveau, vous a eu. Et vous êtes content. F.R.

En relisant Les Jours et les nuits, roman d'un déserteur (Gallimard, Coll. «L'imaginaire»), je ne pouvais m'empêcher de songer au caractère juvénile de cette «science des solutions imaginaires» que pré­conisait Jarry et dont sont issus de nombreux romans contemporains. L'imaginaire et la dérision, comme pratique de la désertion, vieillissent aussi mal que les systèmes qu'ils condamnent ou boudent. Ubu désor­mais divertit. Pauvre Ubu! Y.R.

Machenka, le premier roman de Vladimir Nabo­kov (publié en russe il y a maintenant cinquante-six ans) n'avait jamais connu de traduction française avant l'année dernière (Marcelle Sibon, Fayard, reprise cette année au Seuil, Coll. «Points/roman», 221 pages): je ne comprends pas encore pourquoi. Alors que les rééditions de premiers romans s'avèrent le plus souvent décevantes, Machenka révèle au contraire dès le départ un écrivain entièrement formé, au style net et précis, infaillible. Le roman livre déjà tout Nabokov, ses personnages partagent déjà la complexité psychologique, l'habileté, l'intelligence de Lolita et Ada, la profondeur de Loujine et de Pnine. Une œuvre rapide, éblouissante et forte; on en

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ressort comme épuisé d'admiration, et d'émotion. R.L.

Il faut lire le terrible livre de Nicolas Born (La Falsification, Gallimard, 1982, 260 p.) pour prendre conscience que notre temps est devenu si démoniaque qu'il se trouve au delà des mots. Poète et romancier de l'Allemagne de l'Ouest né en 1937, Nicolas Born achève son chef-d'œuvre peu de temps avant de mourir en 1979.

Il montre les choses telles qu'elles sont, c'est-à-dire presque jamais comme dans les livres ou dans la tête des gens. C'est une eau-forte sur le rôle des médias dans une tragédie collective, comme celle du Liban. Description d'un pays qui vit de la mort. Pourrait s'intituler: Beyrouth, la guerre et les médias.

Un grand journal allemand envoie deux reporters à Beyrouth, il y a Georg Laschen — l'idéaliste des deux, il a une âme, elle est belle, il souffre — et il y a Hoffmann : c'est le cynique, il ne s'en fait pas trop, il veut son scoop. Car tout se vend: des armes, des renseignements, des photos, des informations, des enfants et des femmes. Et des soldats venus de partout et de nulle part se battent, tuent, contrôlent, arrêtent, fusillent, cela sans raisons très précises, dans un désordre généralisé où l'arbitraire est devenu la règle d'or, où la vie tient à la distraction d'un tireur d'élite, où il faut marcher vite pour être le moins possible une cible. De sorte que c'est la démonstration splendide de l'impossibilité d'informer...

Qui pourrait rendre compte de la réalité lors­qu'elle atteint comme ici les limites extrêmes de l'absurde et de l'horreur?

Ici raconter c'est falsifier, le commentateur est falsificateur. Ici tout reportage est mensonge. Entre ceux qui mettent en scène la mort des autres et ceux qui vendent aux journalistes les photos de ces morts, il y a une chaîne continue d'images, un butin de guerre qui finit quelque part dans une agence de presse.

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Que faire de cette chaîne — se demande notam­ment Georg Laschen — où nous figurons nécessaire­ment, à tel ou tel maillon, comme cadavre, comme photographe, comme lecteur? Que faire de sa belle âme?

La guerre est devenue intégralement pornogra­phique : il y a des trafiquants d'images comme il y a des trafiquants d'armes. G.T.

Dieu: reproduction interdite. Dans Diva, le héros, «absolument moderne», un jeune facteur (messager des Postes, avatar de Hermès, profane mais révolté, chevalier sur mobylette) s'éprend de la Dame, une chanteuse d'opéra, divine, dont la voix, merveilleuse parce que présente, unique et inimitable, l'appelle, et le film est sa quête, son aventure au sens médiéval. Et dans Fitzcarraldo, le héros, un aventu­rier déchu, échoué en Amazonie, rêve d'y bâtir son ciel, un opéra, en pleine forêt vierge : Herzog a fait un film ironique, bien sûr, qui montre un pauvre type (mais il y a de la noblesse dans ses intentions) mettant tout en œuvre pour faire franchir une montagne à... un vapeur! Grotesque? Evidemment : les temps sont à ça. On n'emporte pas en Paradis son paquebotl De même qu'une Diva, on ne l'écoute pas sur cassettes!

F.H.

Nouvelle culture, critique politique, modernisme graphique, sémiologie, nationalisme wallon: de ce mélange étonnant vient de sortir une superbe revue, Carré-Magazine, fondée à Liège par un groupe d'ar­tistes et d'intellectuels dont l'ami Jacques Dubois. Leur inspiration: «l'urgence de la parole», la nécessi­té de «rompre le silence dans un monde si proche d'être réduit au silence». Deux numéros parus, dont le second, sur la PEUR, offre un stimulant inventaire de nos frayeurs contemporains (et pas seulement belges). A lire. A suivre de près. L'adresse: 5, rue des Bouleaux, B.4900-Liège-Angleur, Belgique. F.R.