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Pour résoudre les difficultés de notre système scolaire, il faut accepter de modifier l’organisation de l’Education nationale. Le système de l’adminis- tration géante qui impose le même fonctionne- ment, les mêmes programmes et les mêmes méthodes à toutes les écoles, sans qu’elles puissent s’adapter aux besoins et aux aptitudes de leurs élèves, n’est plus adapté à notre temps. En s’appuyant sur des expériences étrangères réussies, cette étude propose un nouveau principe : que la collectivité finance l’enseignement, mais que la prestation d’enseignement soit assurée par des écoles indépendantes, librement créées et gérées, capables d’innover et de faire jouer l’émula- tion. Correctement conçu, ce système permet d'offrir un accès à tous les enfants sans conditions de ressources, un enseignement adapté à chacun, une garantie contre les dérives idéologiques ou sectaires et une gestion rigoureuse des fonds publics. Il peut être introduit en quatre étapes : 1) Le Parlement vote un cahier des charges que toutes les écoles doivent respecter. Il prévoit notam- ment des normes minimales de compétences et de diplômes pour les enseignants, l'obligation d'ensei- gner les règles civiques de base de notre pays et l'interdiction d'enseigner des principes qui leur soient contraires, pour éviter toute dérive sectaire ou communautariste. 2) Chaque école candidate établit un projet d'école, qui respecte le cahier des charges mais qui peut prévoir des programmes plus riches, des exigences plus grandes, des activités supplémen- taires. 3) Ce projet est soumis à l'agrément d'un organisme de contrôle qui détermine si le projet d'école est conforme au cahier des charges. 4) Si le projet est déclaré conforme, l'école peut passer un contrat avec la puissance publique, qui lui attribue une dotation financière annuelle, propor- tionnelle au nombre et à l'âge des enfants inscrits. L’école est ensuite régulièrement inspectée par l’organisme de contrôle, qui peut lui retirer l’agré- ment, et donc son financement public, si elle ne respecte pas son projet d’école. Les écoles sont les employeurs de leurs person- nels enseignants et administratifs. Elles peuvent se regrouper en réseaux, afin de partager des activités pédagogiques, éviter l’isolement intellectuel et offrir des évolutions de carrière aux enseignants. Chaque réseau d’écoles accumule ainsi de l’expé- rience, une culture et une identité propres qui permettront à terme dans notre société l’émergence de foyers intellectuels et spirituels nouveaux. Ce système possède en outre l’avantage de pouvoir démarrer avec un petit nombre d’écoles à statut expérimental. Et il ne remet pas en cause les droits des personnels d’enseignement actuels : ceux qui le souhaitent pourront être détachés dans les nouvelles écoles sans que leur statut ni le déroule- ment de leur carrière soient remis en question. Numéro 1 Septembre 2004 P our le pluralisme scolaire Philippe Nemo Résumé SOS ÉDUCATION

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Page 1: Pour le pluralisme scolaire - SOS Education...collectivité est intéressée à ce que l’éduca-tion de tous possède certains caractères. L’État, protecteur de l’intérêt

Pour résoudre les difficultés de notre systèmescolaire, il faut accepter de modifier l’organisationde l’Education nationale. Le système de l’adminis-tration géante qui impose le même fonctionne-ment, les mêmes programmes et les mêmesméthodes à toutes les écoles, sans qu’elles puissents’adapter aux besoins et aux aptitudes de leursélèves, n’est plus adapté à notre temps.

En s’appuyant sur des expériences étrangèresréussies, cette étude propose un nouveau principe :que la collectivité finance l’enseignement, maisque la prestation d’enseignement soit assurée pardes écoles indépendantes, librement créées etgérées, capables d’innover et de faire jouer l’émula-tion.

Correctement conçu, ce système permetd'offrir un accès à tous les enfants sans conditionsde ressources, un enseignement adapté à chacun,une garantie contre les dérives idéologiques ousectaires et une gestion rigoureuse des fondspublics.

Il peut être introduit en quatre étapes :1) Le Parlement vote un cahier des charges que

toutes les écoles doivent respecter. Il prévoit notam-ment des normes minimales de compétences et dediplômes pour les enseignants, l'obligation d'ensei-gner les règles civiques de base de notre pays etl'interdiction d'enseigner des principes qui leursoient contraires, pour éviter toute dérive sectaireou communautariste.

2) Chaque école candidate établit un projet

d'école, qui respecte le cahier des charges mais quipeut prévoir des programmes plus riches, desexigences plus grandes, des activités supplémen-taires.

3) Ce projet est soumis à l'agrément d'unorganisme de contrôle qui détermine si le projetd'école est conforme au cahier des charges.

4) Si le projet est déclaré conforme, l'école peutpasser un contrat avec la puissance publique, qui luiattribue une dotation financière annuelle, propor-tionnelle au nombre et à l'âge des enfants inscrits.

L’école est ensuite régulièrement inspectée parl’organisme de contrôle, qui peut lui retirer l’agré-ment, et donc son financement public, si elle nerespecte pas son projet d’école.

Les écoles sont les employeurs de leurs person-nels enseignants et administratifs. Elles peuvent seregrouper en réseaux, afin de partager des activitéspédagogiques, éviter l’isolement intellectuel etoffrir des évolutions de carrière aux enseignants.Chaque réseau d’écoles accumule ainsi de l’expé-rience, une culture et une identité propres quipermettront à terme dans notre société l’émergencede foyers intellectuels et spirituels nouveaux.

Ce système possède en outre l’avantage depouvoir démarrer avec un petit nombre d’écoles àstatut expérimental. Et il ne remet pas en cause lesdroits des personnels d’enseignement actuels : ceuxqui le souhaitent pourront être détachés dans lesnouvelles écoles sans que leur statut ni le déroule-ment de leur carrière soient remis en question.

Numéro 1 Septembre 2004

Pour le pluralisme scolaire

Philippe Nemo

Résumé

SOSÉDUCATION

Page 2: Pour le pluralisme scolaire - SOS Education...collectivité est intéressée à ce que l’éduca-tion de tous possède certains caractères. L’État, protecteur de l’intérêt

Au moment mêmeoù Napoléon

instaurait lemonopolescolaire, il

supprimait laliberté de la

presse.

A. INTRODUCTION

La situation de l’école est désastreuse enFrance, mais aussi dans de nombreux paysoccidentaux. Sans préjuger d’autres causessociologiques et culturelles, il y a d’abord, àl’origine de ce désastre, un problème de struc-tures.

L’éducation, en Occident, a été faite aulong des siècles par les Églises puis, de plusen plus, par les États. Or ces structures neconviennent plus à l’éducation dans lessociétés modernes.

Qui dit modernité, en effet, dit penséecritique et scientifique, refus des dogmescomme des idéologies, liberté de conscienceet liberté de penser. Ni les Églises, ni lesÉtats ne peuvent plus prétendre à unmonopole, ni même à un quelconque privi-lège dans la définition de ce qu’il fautapprendre à la jeunesse. Toute la vie cultu-relle, aujourd’hui, est libre. Ne peuventaujourd’hui revendiquer de monopolelégitime, dans la vie intellectuelle et cultu-relle, aucune institution scientifique oucentre de recherche, ni aucun organe depresse ou de médias, ni aucune maison d’édi-tion, ni en général aucun organismeculturel. Les sociétés modernes ne sont plusunanimistes. Elles sont pluralistes. Ellesrespectent certes le droit et l’État de droitqui le protège, mais, au-delà de ce consensus surles règles, il ne peut plus y avoir de consensus surles idées.

Cette situation de pluralisme dans lecadre de règles n’est d’ailleurs pas propre àla culture. Elle existe aussi dans la viepolitique, où elle a nom « démocratie », etdans la vie économique, où elle a nom« économie de marché ».

Or, en contradiction flagrante avec ce

droit commun du pluralisme, la Franceconnaît encore aujourd’hui une situationde monopole scolaire. Ce monopole – quin’existe dans aucun autre pays occidentalcomparable – est un héritage deNapoléon Ier, qui n’a été conservé par lesrépublicains, à l’époque de Jules Ferry,qu’en raison du combat acharné qu’ilscroyaient devoir mener contre les écoles del’Eglise. C’est donc une spécificitéfrançaise, mais dont il faut biencomprendre que nous ne devons pas êtrefiers. En effet, Napoléon n’était pas undémocrate. Au moment même où il créaitl’Université de France, ancêtre de notreÉducation nationale, il supprimait laliberté de la presse… Cela montre bien dequel esprit anti-démocratique relève lemonopole scolaire.

Celui-ci ayant été maintenu par lesRépubliques successives (car l’actuelle« école libre », outre qu’elle est quantitati-vement marginale, n’est pas libre de sesprogrammes), il en résulte une situationétrange. Aujourd’hui, en France, desfamilles qui ne lisent pas les mêmesjournaux, ne votent pas pour les mêmespartis, n’ont pas les mêmes soucis et projetsprofessionnels, les mêmes genres et stylesde vie, etc., sont contraintes de faireéduquer leurs enfants dans un même mouleet dans des écoles qu’elles ne peuventchoisir ni contrôler. Elles constatent enoutre que ce moule, conçu en principe dansle cadre de l’État démocratique neutre, esten réalité accaparé par des groupes parti-sans qui donnent à leurs enfants une éduca-tion politiquement orientée.

Elles ne peuvent donc percevoir cettesituation que comme une anomalie et undespotisme, auquel elles tentent de résisterpar tous les moyens passifs et actifs dontelles disposent.

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Première PartieLe constat

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Là où règne laliberté deconscience, il nepeut y avoir unmodèle éducatifqui fassel’unanimité.

Le comble est que le monopole, fait pourimposer l’uniformité, n’est même pluscapable d’assurer à l’œuvre éducative unminimum de cohérence. Tous les témoi-gnages, toutes les études1 montrent quel’Éducation nationale est devenue un bateauivre qui n’est plus piloté ni par le ministre,ni par son administration.

Cet échec n’est pas dû à la mauvaisevolonté ou à l’incompétence des personnelsde l’Éducation nationale. Il est la consé-quence inéluctable d’une situation objectiveà laquelle personne ne peut plus rienchanger, la libéralisation et la complexifica-tion de la société. Pas plus que le Gosplansoviétique ne pouvait gérer une économiemoderne complexe, un ministère de l’Édu-cation ne peut imposer un modèle éducatifunique à une société qui s’est singulièrementdiversifiée et qui, de toute façon, ne recon-naît plus à l’État une autorité intellectuelleet morale incontestable.

Dans ces conditions, nous pensons qu’ilexiste une formule simple et légitime suscep-tible de prendre le relais historique deséducations ecclésiastiques et étatiques : lepluralisme scolaire.

Nous proposons cette solution pour laFrance, mais nous sommes convaincusqu’elle est la solution d’avenir pour tous lespays occidentaux sans exception, dans la mesure oùtous sont devenus des démocraties plura-listes.

Les spécificités de l’école

Certes, la soumission au droit communde la liberté n’exclut pas pour l’écolecertaines spécificités. D’une part, l’enfancedoit être protégée, puisqu’on n’est éduquéqu’une fois et avec des résultats largementirréversibles. Les enfants ne sauraient êtreles « cobayes » humains d’expériencespédagogiques arbitraires. D’autre part, lacollectivité est intéressée à ce que l’éduca-

tion de tous possède certains caractères.L’État, protecteur de l’intérêt général et del’ordre public, doit veiller à ce qu’on yenseigne les règles de base de la viecitoyenne. Mais cela n’empêche nullementle pluralisme.

En matière de médecine ou depharmacie, par exemple, où il y va d’enjeuxnon moins vitaux que dans l’éducation, laliberté et le pluralisme existent, même s’il ya des contrôles a priori qui limitent etencadrent l’offre de services et de produits.En fait toute l’économie est plus ou moinsencadrée par des règles destinées à protégerle public : on ne vend pas n’importe quellenourriture ou boisson, on ne fabrique pasn’importe quels objets industriels, laconstruction de bâtiments est soumise à desnormes, etc. Mais personne, si ce n’est lesmarxistes, n’en déduit qu’il faut nationaliserla médecine, l’agriculture, les BTP et toutesles autres industries. C’est donc qu’il y a,dans l’intense attachement de certainesforces politiques au monopole éducatif, detout autres motifs que l’indispensableprotection de l’enfance – motifs que nousaurons à élucider.

Cet article expose les principes du plura-lisme scolaire et esquisse le schéma de ce quepourrait être un système scolaire pluralisteadapté aux sociétés démocratiquesmodernes.

Je formulerai d’abord les principes dupluralisme : ses raisons d’être profondestenant à la situation culturelle des sociétésmodernes, les inconvénients du monopolepublic, ceux, également, d’un abandon duservice éducatif au pur marché sans inter-vention financière de l’État. Puis je propo-serai une solution simple : découpler leproblème du financement de l’éducation decelui de sa prestation (Partie I. B).

Je pourrai alors décrire ce système oùl’éducation générale de base est financée parl’État, alors que la prestation éducative estassurée par différents organismes indépen-

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Dans les sociétésmodernes, il n’estplus nécessaire, nimême utile, d’être

d’accord sur lesmêmes idées et de

posséder lesmêmes savoirs. Ilsuffit que chacun

respecte les règlesmorales etjuridiques

communémentadmises.

dants (associations, fondations, entreprises).J’examinerai le statut des écoles, le cahierdes charges auquel elles devront seconformer, les procédures d’habilitation etde contrôle (Partie II.A).

J’esquisserai enfin le tableau du typed’organismes qui pourrait émerger à lafaveur d’un tel système de liberté : desécoles libres, certes, mais aussi des réseauxd’écoles, organismes ayant une taillecritique suffisante pour avoir des corpsprofessoraux bien formés et à la carrièresuffisamment diversifiée, et capables deconstituer de fortes traditions scolairesadaptées à notre temps. Je formulerai mêmel’hypothèse que ces organismes pourraientdevenir, dans notre monde déstabilisé etdésorienté, des foyers de renouveau intellec-tuel et spirituel (Partie II. B).

B. PRINCIPES DUPLURALISME SCOLAIRE

Lien social et pluralismedans la société

Il n’y a pas de société sans lien social.Mais la nature de ce lien a changé lors dupassage des sociétés archaïques auxpremières formes de l’État puis aux sociétésdémocratiques et libérales modernes.

Dans les sociétés archaïques, le lien socialest constitué par l’unanimisme : touscroient au mythe et pratiquent le rite, lasociété ne tient que si elle est un « groupe enfusion » dont tous les membres ont lemême esprit et les mêmes buts.

Depuis les Grecs, cependant, est apparuela pensée critique. Dès lors que sont obser-vées les lois de la démocratie, les opinionsdissidentes sont autorisées, elles sont mêmeperçues comme utiles au bien commun.

On ne retracera pas l’évolution qui aconduit de là au pluralisme idéologique,politique et économique qui prévaut dansles sociétés démocratiques et libéralesmodernes. Prenons pour acquis que, dansces sociétés, l’unanimité n’est plus requise. Ilfaut certes un consensus sur les « règles dejuste conduite » morales et juridiques quipermettent aux hommes de coopérer pacifi-quement, mais il n’est plus nécessaire, nimême utile, d’être d’accord sur les mêmesidées ni de posséder les mêmes savoirs.

Cette diversité ne doit pas être ressentiecomme une déchéance par rapport à un« paradis perdu » de concorde sociale. Elleest essentiellement bénéfique. La quasi-totalitédes richesses qu’a produites le mondemoderne ne sont à notre disposition que grâceà elle. C’est en effet l’augmentation de laquantité totale de savoir existant dans lasociété qui a permis, à environnementnaturel et capacités d’intelligence et detravail de l’espèce humaine inchangés, lesconquêtes immenses sur la nature et l’aug-mentation prodigieuse de la production etde la consommation qui caractérisent lessociétés modernes. Or l’augmentation dusavoir possédé globalement par la société n’aété possible que par la division du travail et dusavoir que permet le pluralisme. Il faut doncaccepter celui-ci comme un progrès irréver-sible de l’évolution culturelle. Revenir àl’unanimité appauvrirait dramatiquement lasociété : il ne pourrait tout simplement plusy avoir de société scientifique et industrielle.Exiger l’unanimité, c’est donc plus qu’uncrime, c’est une erreur que ne peuventcommettre que ceux qui ne comprennentrien à la sociologie et à l’économie dessociétés modernes.

Il y a cependant une condition indispen-sable pour que le pluralisme soit viable etfécond. C’est qu’il y ait effectivement unconsensus sur les « règles du jeu » social,c’est-à-dire sur les règles morales et juridi-ques de base. Pour pouvoir coexister etcoopérer de façon pacifique et efficiente, leshommes doivent avoir foi dans le droit,

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Pour assurer lacohésion de lanation, toutes lesécoles doiventenseigner lesrègles de la viecommune de lasociétédémocratique.Mais celan'implique pasqu'elles soientobligées de suivreles mêmesprogrammes etles mêmesméthodes.

l’État de droit et les institutions démocrati-ques. Sinon, les conceptions du monde, vies,savoirs et projets divers ne sont plus desréalités qui s’interfécondent, mais desmonades qui se heurtent. La société ne peutalors que s’abîmer dans l’anarchie.²

Lien social et pluralisme enmatière scolaire

Appliquons ceci au problème de l’école.Nous retrouvons, à ce niveau, la nécessitéd’une différenciation des savoirs commecelle de règles communes.

- Les familles qui ont des savoirs diffé-rents, des échelles de valeurs différentes, deschoix politiques différents, des genres et desstyles de vie différents, des projets profes-sionnels différents, ne peuvent admettrepour leurs enfants une école enseignant àtous les mêmes programmes.

- Mais tous les enfants d’un pays doiventêtre formés à respecter les mêmes règlesfondamentales de la vie civique.

Accorder ces deux exigences est parfaite-ment possible.

L’argument selon lequel il est vitald’assurer la cohésion de la nation et de lasociété, loin de condamner le pluralismescolaire, oblige seulement à conclure que,dans toutes les écoles, on doit impérative-ment enseigner les règles civiques de base dela société démocratique, et on ne doit pasavoir le droit d’enseigner des principescontraires.

Supposons donc un système scolairepluraliste, où sont enseignées à tous lesenfants les règles civiques de base de la sociétédémocratique, mais où, au plan des savoirs etsavoir-faire enseignés, ainsi que des méthodespédagogiques, il existe une vraie diversité. Enrésulte-t-il un éclatement social ?

Les exemples de la presseet de la science

Pour répondre, on peut observer leseffets du pluralisme dans le domaine de lapresse ou de la science, secteurs culturelscomparables à l’école, et où règne déjà laliberté.

Le pluralisme de la presse n’a pas conduità un éclatement de l’information. Quandtous les journaux sont libres, ils peuventcertes, par définition, exprimer des opinionsdiverses. Mais ils savent que s’ils diffusent defausses nouvelles, un ou plusieurs autresjournaux diront la vérité. Celle-ci sera doncfinalement connue du public. Toute tenta-tive de propagande et de manipulation estvouée à l’échec. Bien plus, les journaux demauvaise foi, ou trop évidemment orientés,seront discrédités. Le résultat de la liberté dela presse est donc d’obliger les journaux àune auto-discipline qui les conduit à être leplus objectifs qu’il leur est possible, que celaleur plaise ou non. En ce sens, la véritéobjective étant unique, les journaux quitendent vers elle se rapprochent entre eux.La liberté de la presse produit donc,paradoxalement, une convergence et nonune divergence de l’information. C’est bience que nous constatons dans la presse despays démocratiques, où les médias seressemblent finalement beaucoup etdonnent à peu près les mêmes informationsde base, même s’ils la commentent différem-ment.

Il en va de même pour la science.L’existence de laboratoires de recherchescientifique complètement indépendants lesuns des autres dans le monde entiern’aboutit pas à l’éclatement de la science, àl’émergence d’une multiplicité de physi-ques, de chimies ou de biologies disparateset incompatibles. Au contraire, tous leslaboratoires, ayant connaissance des résul-tats trouvés par les autres, reprennent cesrésultats à leur compte quand ils ont pu les

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Contrairement àl’État totalitaire,

l’Étatdémocratique

renonce à prendreen charge

la pensée et laconscience.

vérifier par leurs propres moyens, et ils lescritiquent quand ils ont des raisons objec-tives valables de le faire. Ainsi se dégagentdes théories qui recueillent l’agrément detous, parce que personne n’a pu leuropposer d’objections décisives. Leconsensus se construit sur ces théories préci-sément parce qu’à tout moment n’importequel scientifique pourrait les remettre encause. Là encore, donc, la liberté critique desscientifiques produit de la convergence etnon de la divergence.

Ce qui est vrai en matière de presse ou derecherche scientifique sera vrai en matièrescolaire. Il n’y a aucune raison de supposerque la liberté des écoles devrait se traduirepar un éclatement et une divergencetoujours plus grande des modèles scolaires.

Aucune école ne voulant offrir auxfamilles moins que ce qu’offre l’écoleconcurrente, bien peu se lanceront dans desexpériences trop radicalement originales.Mais toutes rêvant d’offrir, si possible,quelque chose de plus et de mieux que lesautres, elles se permettront l’initiativeheureuse qui fera la différence, sans remettreen cause les acquis auxquels tout le mondetient. Il y aura ainsi un mimétisme vertueux dupluralisme. On le voit déjà dans les nombreuxpays où existe la liberté scolaire.

C’est ce qui fait la force incomparable –pour ne prendre que cet exemple reconnude tous – du système des universités améri-caines. Ce système est authentiquementpluraliste, mais les universités se« marquent » les unes les autres comme desjoueurs de football sur un stade. Le résultatest que les universités se ressemblentbeaucoup à certains égards, mais que toutessont obligées de maintenir le niveau d’exi-gence le plus élevé possible. Elles laissentrarement passer une occasion de recruter unbon professeur, ou d’adopter unprogramme innovant, attendu par larecherche ou par l’industrie, ou de corrigerdes erreurs qui font baisser leur cote.Moyennant quoi toutes se maintiennent à

un haut niveau.

L’école d’État, concept

absolutiste ou totalitaire

Réfutons encore un argument souvententendu. Certains récusent tout pluralismescolaire au motif que l’école serait une« institution » – et ils se gargarisent de cemot solennel. Mais il y a là une confusionintellectuelle. Ou bien, par « institution »,on entend simplement une organisationhumaine plus ou moins durable, commeune association, une fondation... Si l’écoleest une institution en ce sens, rienn’empêche qu’il y ait une pluralité d’écoles,puisque le concept n’implique par lui-mêmeaucun monopole.

Ce n’est que si, par « institution », onentend une partie intégrante de l’appareil d’Étatque l’école ne peut être qu’unique – commedoivent l’être la justice, la diplomatie oul’armée.

Le problème est que la thèse selonlaquelle l’éducation est une fonctionorganique de l’État, au même titre que sesfonctions régaliennes, n’a été soutenue quetrès rarement dans l’Histoire. Dansl’Antiquité, elle n’a été adoptée qu’à Sparte,qui était un État totalitaire, où l’économieelle-même était dirigée par l’État, ainsi d’ail-leurs que les mariages et les naissances, et oùil n’existait aucune liberté de penser (et, dece fait, aucune pensée : on ne connaît aucunintellectuel, savant ou philosophe, spartiate ;Sparte est, à cet égard, l’anti-Athènes). AuxTemps modernes, l’éducation d’État n’a étéproposée que dans le cadre des utopies socia-listes, de Campanella à Rousseau et auxJacobins, ou par des monarques absoluscomme Louis XV ou Napoléon Ier, et endernier lieu par les régimes totalitairesfascistes et communistes.

La thèse de l’école-institution n’a donc

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Le pluralismescolaire est laseule formule surlaquelle il puisse yavoir un consensusdes citoyens.

de sens que dans le cadre d’une conceptionabsolutiste ou totalitaire de l’État. Au contraire,l’État démocratique et libéral se reconnaîtlimité par les droits de l’homme, ce quisignifie qu’il renonce à prendre en charge latotalité de l’existence humaine, et d’abord lapensée et la conscience. D’ailleurs un Étatdémocratique est, par définition, un Étatqui est contrôlé par l’opinion. Si c’est lui quiforge l’opinion, où est le contrôle ?Comme nous l’avons dit plus haut, l’écolemonopolistique, telle qu’elle existe enFrance, est une institution essentiellementanti-démocratique, contrairement à toutesles illusions que la propagande des républi-cains radicaux et des socialistes a répanduesà ce sujet.

Pluralisme scolaire etconsensus

J’affirme que, dans les pays où ladémocratie est parvenue à maturité, le plura-lisme scolaire est la seule formule sur laquelle il puissey avoir un consensus des citoyens. Étant donnéqu’ils sont habitués à jouir de la libertédans leur vie civique, leur vie profession-nelle et leur vie quotidienne, et qu’ils necroient plus en aucun dogme imposé d’enhaut, il est clair qu’on ne les mettra plusjamais d’accord sur une éducation uniquepour leurs enfants.

Quelque « grands débats nationaux » etautres « concertations » à grand spectaclequ’on organise sur le sujet, ils ne pourrontsouscrire aux mêmes contenus scolaires etaux mêmes styles d’enseignement, parcequ’ils ne croient tout simplement plus qu’ily ait une unique vérité en ces domaines. Ilsne seront plus jamais unanimes sur unemême méthode d’enseignement de lalecture et de l’écriture, sur une mêmemanière de narrer l’histoire, sur la place àaccorder aux diverses langues mortes,vivantes ou régionales, à l’informatique, auxactivités intellectuelles, sportives, artisti-ques, manuelles et techniques.

Il est moins probable encore qu’ils s’ali-gnent sur les mêmes options quant au style,détendu ou rigide, à donner à l’enseigne-ment, ou quant à la discipline, sévère oulaxiste, à imposer aux élèves, ou quant à laquestion de savoir si le professeur doit dire« tu » ou « vous » aux élèves et les appelerpar leur nom ou leur prénom.

C’est une prétention ridicule desupposer qu’ils sont tous d’accord sur le faitqu’on donne ou non une éducation sexuelleà leurs enfants, et sur le contenu éventueld’une telle éducation. Il est évidemmentillusoire de penser qu’ils puissent s’accordersur un même enseignement des valeurs.

Et ceci non pas parce que nos conci-toyens penseraient qu’il n’y a pas de véritésen ces domaines et que l’éducation, commeles goûts et les couleurs, dépend des seulschoix arbitraires de chacun ; mais parcequ’ils sentent que les vérités que tout lemonde recherche ne peuvent résulter que dela libre confrontation des opinions, et nonde l’imposition unilatérale de thèsesofficielles – surtout lorsque les personnagesofficiels de l’Éducation nationale ressem-blent désormais de moins en moins à dessavants, et d’ailleurs ne prétendent mêmeplus l’être.

En réalité, non seulement il est vain dechercher l’alignement de tous sur une véritéofficielle, mais un tel projet est par lui-même condamnable. Il ne peut être conçuque par des naïfs, qui n’ont aucun sens de lacomplexité de la société et de la relativité dessavoirs, ou par des despotes résolus àimposer de force leur propre vision dumonde (les deux vices peuvent fort biencoexister chez les mêmes hommes).

En revanche, je suis persuadé qu’il peut yavoir consensus sur la liberté même. Jepense que c’est là la clef. C’est la solutiondéfinitive, parce que seule pleinementlégitime, des querelles scolaires de notretemps, singulièrement en France, où l’édu-cation a été l’instrument de la mainmise des

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Quel citoyenraisonnable

refusera qu’autrui ait le

droit de fairedonner à ses

enfants l’éducation qu’il

souhaite dès lorsqu’il reçoit, de son

côté, pour sespropres enfants,

la mêmegarantie ?

partis politiques sur l’école, et où le peuple,dans ses profondeurs, n’a jamais oublié nipardonné ces abus.

Quel citoyen responsable et raisonnable de nosdémocraties refusera qu’autrui ait le droit de fairedonner à ses enfants l’éducation qu’il souhaite dès lorsqu’il reçoit, de son côté, pour ses propres enfants, lamême garantie ?

Cette règle du jeu claire, qui ne détruitrien et respecte les libertés de chacun, nepeut que satisfaire tous les citoyens debonne foi.

Nos concitoyens sont, dans l’ensemble,fair play en matière d’élections, de liberté dela presse, de libertés économiques et socialesde base, quelque jugement qu’ils portent surdes gens qui ne pensent pas comme eux, nevotent pas comme eux ou ne vivent pascomme eux. C’est que quelques siècles deluttes politiques et de guerres civiles leur ontappris, à leurs dépens, que « la démocratieest le pire des régimes à l’exception de tousles autres ». Ils savent que la discipline dupluralisme, si frustrante qu’elle soit àcertains égards, est en définitive bénéfiquepour tous.

Il n’y a donc aucune raison de penser quenos concitoyens ne supporteront pas lepluralisme scolaire et ne voudront pas sesoumettre, dans ce domaine comme dans lesautres, au droit commun de la liberté.

D’autant qu’ils en récolteront très viteles fruits : la pacification des esprits, ladépolitisation, la responsabilisation desacteurs éducatifs, l’apparition d’écolesinnovantes et correspondant mieux à leursvœux et à leurs stratégies de réussitehumaine et sociale.

Je crois très profondément que leshommes politiques qui auront le couraged’instaurer le pluralisme scolaire seront lesporte-parole d’une aspiration profonde desopinions publiques d’aujourd’hui. Ils s’atti-reront la même approbation réfléchie et

durable qu’ont méritée leurs prédécesseursdu XIXe siècle qui ont instauré le suffrageuniversel et la liberté de la presse.

Inconvénients dumonopole public

D’autant que les inconvénients dumonopole public sont bien connus. Je neferai ici que les rappeler. Ils sont triples : ledogmatisme, le despotisme politique,l’impotence des grandes bureaucraties.

Le dogmatisme. — Les systèmes publicsd’éducation et de recherche ne prétendentcertes pas, comme l’Église, être détenteursd’une Révélation et responsables de laperpétuation d’un dogme. Ils adhèrentformellement, au contraire, aux valeurscritiques de la science. Ils n’en sont pasmoins exposés au dogmatisme, qu’ils lesachent ou non. C’est une conséquenceinévitable de leur monopole.

Les programmes et les méthodes sontdécrétés par l’État et ils sont uniques.Aucune expérience dissidente n’estpossible : celui qui veut en tenter se trouvepar cela même marginalisé. Par suite, depuislongtemps, personne ne se risque à enproposer. D’autant que tout systèmescolaire public monopolistique est, pardéfinition, très grand (il a au moins ladimension d’un État ou d’une région), etqu’aucune initiative individuelle n’a face àlui le moindre poids. Dès lors qu’a été misen place un certain programme, avec uncertain choix des disciplines et une certainerépartition quantitative entre les disciplines,avec l’option prise, dans chacune d’elles,d’enseigner telle matière ou tel chapitre, lesystème se fige bientôt jusqu’à une cristalli-sation complète. Tous les enfants ont étééduqués dans le modèle, les professeurs yont été formés et ne savent enseigner quelui, le système s’auto-reproduit indéfini-ment. La condition structurelle de ce queKuhn a appelé les « révolutions scientifi-

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Le monopolescolaire negarantit pas laneutralité del’école. Aucontraire, cela atoujours été unprojet délibéré, dela part dessocialistesrévolutionnaires,de s’emparer del’école pourcombattre pied àpied l’influenceéducative desfamilles.

ques »3 n’existe pas. Impossible à un espritoriginal d’essayer un autre fonctionnement,quand bien même des preuves multiples del’échec du modèle officiel et de son inadap-tation aux nouvelles conditions du savoir,des pratiques professionnelles, ou de l’étatdu monde, auraient été données. Ou alors,cette adaptation se fait à un rythme traînantet toujours de façon inadéquate et insuffi-sante.

Le despotisme politique. — Le systèmescolaire ne se fige pourtant pas sur unmodèle neutre choisi par hasard. En réalité,presque partout dans les pays occidentaux,une certaine famille politique, organisée enpartis et syndicats, s’est emparée des grandssystèmes publics d’éducation. Tous ou presquesont devenus l’affaire de la gauche. Un « monopoledans le monopole » s’est ainsi créé etimposé.

Il y a à cela plusieurs raisons. D’abord, leprojet révolutionnaire de gauche consiste enune démarche utopiste où les idées et lesthéories ont une part essentielle. En effet, ladémarche de la gauche est de penser unordre social abstrait, qu’on essaie ensuite deplaquer sur la réalité. La droite, aucontraire, croit qu’il existe un « ordrenaturel » qui s’impose de lui-même quandon ne le contraint pas. Moyennant quoi, àdroite, l’accent est moins mis sur ladémarche intellectuelle qu’à gauche. Il enrésulte que les intellectuels sont en plusgrand nombre à gauche qu’à droite, et qu’in-versement les hommes de gauche sont surre-présentés parmi les intellectuels et doncparmi les professeurs. Cet avantage quanti-tatif initial s’auto-renforce à mesure que lessocialistes investissent les systèmes publicsd’enseignement et procèdent eux-mêmesaux recrutements ultérieurs.

Ensuite, qui dit système public d’ensei-gnement dit statut de fonctionnaire ouassimilé. Or ceci a toujours été l’idéal dusocialisme qui rêve d’une société sansmarché où tout le monde serait employépublic. Dès lors qu’étaient créés de grands

systèmes scolaires publics, un terrains’ouvrait où des cohortes de socialistes nepouvaient manquer de s’investir, en s’ybarricadant bientôt par le biais des organisa-tions syndicales.

Enfin et surtout, cela a toujours été unprojet délibéré, de la part des socialistesrévolutionnaires, de s’emparer de l’école etde combattre pied à pied, à cet égard,l’influence éducative des familles, des Églisesou des autres forces politiques et sociales. Laraison d’être de ce projet et de l’insistance dessocialistes à le mettre en œuvre sur le longterme, quelles que soient les difficultésrencontrées, est facile à discerner. On ne peut« changer la société » qu’avec des hommesdont les mentalités sont acquises auxprincipes révolutionnaires. Peu d’adultes lesont, parce que, dit la doctrine, ils sont« aliénés » par l’idéologie bourgeoise. Uneminorité révolutionnaire peut certess’emparer du pouvoir, puis exercer une dicta-ture. Elle luttera contre ses adversaires, selonle cas, en les « rééduquant », en les contrai-gnant ou en les exterminant, trois cas defigure effectivement rencontrés dans lessocialismes et communismes réels.

Cependant, il est clair qu’aucune de cessolutions n’est aussi radicale et durable quecelle qui consiste à s’emparer des enfants deses adversaires et à forger leurs mentalitésselon l’image qu’on souhaite de l’« hommenouveau ». Ce projet est même devenuprioritaire dans les pays occidentaux àmesure qu’il apparaissait clair que lespopulations étaient attachées à l’idéaldémocratique et que les socialistes neprendraient le pouvoir que par les urnes,donc en gagnant la bataille de l’opinion etde la culture. Tous les espoirs déçus de« grève générale » et d’« insurrection » sereportaient ainsi sur la prise de pouvoirméthodique dans les grands appareils cultu-rels, l’école en premier lieu (mais aussi,comme on sait, la presse, les médias, l’édi-tion, la culture subventionnée en général, etjusqu’à la publicité).

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La politique del’Education

nationale estélaborée par les

syndicatsd’enseignants,

c’est-à-dire pardes groupes

privés.

On peut s’étonner de la singulièreabsence de discernement des familles politi-ques non-socialistes qui, presque partout enOccident, ont laissé s’accomplir cette prisede pouvoir sur l’école par la gauche, dontelles ne pouvaient pas ne pas voir qu’ellesignifiait à terme leur propre disparition etcelle du type de société qu’elles prétendaientdéfendre. On peut même éprouver quelquessoupçons quant à la manière dont ceci a étéaccompli en France à l’occasion des politi-ques scolaires des gaullistes, tant à laLibération qu’à partir de 1958, à la faveurd’un « Yalta franco-français » dont lestermes auraient été : à la gauche l’école et laculture, à la droite l’économie. Ce sont lesgaullistes, en tout cas, qui ont mis en appli-cation le plan communiste Langevin-Wallon de création d’une école unique etmassifiée.

Mais ces critiques rétrospectives sontvaines. En réalité, le ver était dans le fruit etla partie était perdue dès lors qu’on acceptaitque l’école devînt un monopole public. Cardès ce moment, il n’y avait aucune possibi-lité que des critiques se fissent jour, qu’appa-russent des contrepoids ou des contre-modèles. Dans cette administration géante,préservée de toute concurrence, bientôtpréservée, même, d’un contrôle hiérar-chique normal du gouvernement, lesbureaucraties syndiquées ne pouvaient ques’étoffer toujours plus, devenir une forced’inertie toujours croissante et moins réfor-mable d’année en année.

Le résultat est là. En France, depuislongtemps maintenant, la prétendue« Éducation nationale » usurpe son nom,ou plus exactement il faut entendre ce nomau sens de la novlangue d’Orwell. D’unepart, elle « déséduque » bien plus qu’ellen’éduque. D’autre part, cela fait bienlongtemps qu’elle n’est plus « nationale »,puisque sa politique est élaborée et décidée,et l’institution est co-gérée, par les syndicatsde la fonction publique enseignante, c’est-à-dire par des groupes privés. Ces groupes,naturellement, n’ont jamais reçu de mandat

de la nation pour exercer dans les écolespubliques le rôle directeur qu’ils se sontarrogé. Leur prise de pouvoir a été l’effetd’un coup de force, et leur pouvoir ne semaintient, aujourd’hui encore, que par unrapport de force. Le ministre, seul représen-tant légitime de la nation, puisqu’il dépendd’un Président et d’un Parlement élus ausuffrage universel, n’a plus son mot à dire. Ilne peut prendre que les mesures dont il s’estassuré préalablement qu’elles avaient l’avaldes syndicats, et plusieurs ministres del’Éducation, en France, sont tombés fauted’avoir pris assez de précautions à cet égard.

Du coup, l’architecture générale del’enseignement primaire et secondaire, lalettre et l’esprit des programmes comme desméthodes, sont, depuis quarante ans, lerésultat des choix idéologiques faits par lagauche seule.

La situation est peut-être un peu diffé-rente dans d’autres pays occidentaux oùexistent, même au sein des systèmesscolaires publics, des éléments de plura-lisme, notamment du fait des autonomiesrégionales, comme en Allemagne, enEspagne ou, depuis quelque temps, en Italie.Mais je soupçonne que la gauche est globale-ment dominante partout où existe un fortsecteur public éducatif. Installée dans cesbastions, elle peut accomplir son œuvreidéologique partisane sur les enfants de toutl’électorat, et d’abord sur ceux de ses adver-saires politiques, en violation de toutejustice démocratique.

L’impotence des grandes bureaucraties. — Ledernier inconvénient du monopole publicest l’impotence et la paralysie des grandesbureaucraties publiques qu’il engendre.Comme je l’ai dit, le monopole impliquepar lui-même le gigantisme, puisque l’écoledoit être organisée sur une base homogène àl’échelle de l’État ou de la région.Indépendamment des questions idéologi-ques se pose alors un problème de gestion,qui devient majeur dans des pays comme laFrance où a été mis sur pied un statut de la

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Le monopolepublic surl'éducationentraîne une centralisation,une rigidificationet unebureaucratisationqui enlèvent enfait auxresponsableshiérarchiques toutmoyen de gérer lesécoles de façonrationnelle ethumaine.

fonction publique très rigide et très centra-lisé qui enlève en fait aux responsableshiérarchiques tout moyen de gérer les écolesde façon rationnelle et humaine.

Dans un système comme l’Éducationnationale française, aucune mesure ne peutêtre appliquée à quelques agents sans l’être àtous sur toute la surface de l’Hexagone. Il sepasse donc la même chose que dans l’éco-nomie des pays ex-soviétiques : une dégra-dation profonde du travail. Quoi que fasseun professeur de bien ou de mal, il ne peutrien lui arriver, ni en bien ni en mal, ni entermes de rémunération ni en termes deprestige. Il n’y a pas (sinon à la marge, parl’intervention des syndicats et donc demanière illégale et obscure), de gestionrationnelle du personnel qui permette derenvoyer ou d’affecter à un poste plusadapté un professeur négligent ou incompé-tent, ou de payer plus cher ou d’affecter àun poste ou dans un établissement plusprestigieux un meilleur professeur. Lessystèmes d’évaluation qui existent (notesdonnées par les inspecteurs et « points »attribués sur critères sociaux et d’ancien-neté) sont une mascarade qui a été souventdénoncée.

Dans ces conditions, la seule manièrepour un professeur de valoriser son travailet de progresser, c’est, à rémunération et àprestige donnés et intangibles, d’offrir enéchange toujours moins de travail, ou untravail de qualité toujours moindre.L’Éducation nationale française est ainsidevenue un secteur caricaturalement sous-productif, au sens même où était sous-productif l’appareil de production sovié-tique. Toutes les exceptions que l’on peutciter à cet égard – professeurs et directeursd’établissement passionnés par leur tâche,motivés par le contact de la jeunesse,donnant sans compter leur temps et leurénergie – sont des exceptions qui confir-ment la règle. Ces réussites existent, non pasgrâce au système, mais en dépit de lui, et ceserait évidemment un singulier sophismeque de porter au crédit du système ce qui se

fait en contravention formelle avec sesrègles. Cette dérégulation se traduit, notam-ment, par un nombre extrêmement élevéd’absences et de négligences, de talentsgâchés, de bonnes volontés découragées,une atmosphère générale de démotivation etde laisser-aller, voire de cynisme.

Le système que nous proposons ci-après,outre son mérite principal, celui d’assurer lepluralisme, aurait celui de faire profiterl’activité éducative des modes de manage-ment qui sont ceux des organisations« normales » de la vie économique. Dans lecadre d’organisations de petite ou demoyenne taille, entreprises, associations oufondations, il y aurait une gestion ration-nelle et humaine du travail, des personnelset des carrières.

Étant donné les inconvénients désas-treux du monopole public que nous venonsd’analyser, on pourrait croire que la bonnesolution consiste à supprimer non seule-ment tout monopole, mais toute interven-tion de l’État en matière éducative.L’éducation devrait relever de la seule initia-tive privée. Cependant, cette solution du« pur marché » présente également certainsinconvénients qu’il nous faut maintenantanalyser.

Inconvénients du pur ffimarché

L’éducation est de ces biens qui produi-sent ce que les économistes appellent des« externalités ».

Rappelons que les externalités sont leseffets engendrés par des biens ou des servicesqui sont collectifs par nature, c’est-à-direqui, une fois qu’ils sont produits, profitent àtoute une collectivité anonyme, sans qu’onpuisse limiter leur usage aux consomma-teurs qui les ont achetés (par exemple, lesinfrastructures de transport, d’énergie ou decommunication).

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Si l'éducationrelevait du seul

secteur marchand,la possession de

l'instruction seraitmal répartiesocialement.

On sait que la production de ces bienspose un problème économique spécifique.Dès lors, en effet, qu’ils ne peuvent êtrepayés que par une partie de ceux à qui ilsprofitent, l’entreprise privée qui prendraitl’initiative de les produire n’aurait pas deretour sur investissement suffisant. Doncaucune entreprise privée ne les produira. Ily aura « défaillance du marché ». Pourtantil peut s’agir de bien réellement vitaux, donttout le monde a besoin. La seule solution estalors de les faire financer par l’impôt. D’oùles « services publics » – la constructiondes routes, les transports en commun, maisaussi la météorologie nationale, certainesprestations de santé publique, etc.

Il n’est pas douteux que ce raisonnementest applicable au secteur éducatif. Lesactivités de ce secteur produisent en effet dela connaissance. Or ce bien quasiment immaté-riel est très aisément diffusable dans lasociété dès qu’il est produit. Il est doncproducteur d’externalités, et l’on peutcraindre que le service éducatif ne puisseêtre rendu efficacement par le seul marché.

Pour être plus précis, si l’éducation étaità 100% marchande, deux grands problèmesse poseraient4 :

Insuffisance et déséquilibre de la demande. —Seuls acquerraient de l’éducation ceux quien feraient la demande sur le marché, ensacrifiant pour cela d’autres consomma-tions possibles. Or l’expérience montreque seuls ceux qui sont déjà éduqués àquelque degré connaissent la valeur del’éducation pour leurs enfants. Les non-éduqués et les moins éduqués risqueraientdonc, sous contrainte d’un même budget,de choisir d’autres biens que l’éducation,ou de choisir moins d’éducation. Dès lors,l’éducation d’un certain nombre de citoyens pourrait nepas atteindre un certain seuil qui doit être atteint pourque la sécurité et le bien-être des autres citoyens nesoient pas compromis.

En effet, nous vivons dans une sociétécivilisée où nous supposons que tous les

êtres que nous croisons et avec lesquels nouscoopérons possèdent certaines connais-sances de base, qui permettent une viesociale efficiente et harmonieuse. Parexemple, nous ne croiserions pas volontiersun automobiliste qui ne connaîtrait pas leCode de la Route, et il ne peut le connaîtres’il ne sait pas lire. Nous n’entrerions pasdans une boutique si nous ne pouvionsprendre pour acquis que le commerçant saitcorrectement compter. Quand nous nousfaisons embaucher par un employeur, ouquand nous embauchons un employé, nousdevons pouvoir penser que l’homme aveclequel nous contractons connaît unminimum de droit du travail et les institu-tions politiques et judiciaires qui garantis-sent celui-ci, etc. Il est ainsi de notre propreintérêt que les hommes avec qui nousvivons aient reçu une éducation générale debase, même si leurs parents n’ont passouhaité la demander et la payer de leurspropres deniers.

Il est donc justifié de payer les impôtsnécessaires pour que tous reçoivent, entoute hypothèse, cette éducation (dumoins, je le répète, l’éducation générale de base,par différence, à la fois, avec l’éducationgénérale supérieure et avec l’éducation professionnelle,qui relèvent d’autres logiques). C’est lagarantie de ce que nous bénéficierons des« externalités positives » de l’éducationreçue par tous, et que nous serons protégésdes « externalités négatives » qui résulte-raient du déficit d’éducation des personnesavec qui nous devons vivre.

Insuffisance et inadaptation de l’offre. — Cen’est pas tout. Dans l’hypothèse d’unrégime purement marchand de l’éducation,les connaissances délivrées par les ensei-gnants ou les chercheurs se répandraient àcourt ou moyen terme au-delà du cercle desconsommateurs-payeurs. Il y aurait donc denombreuses personnes qui en bénéficie-raient sans les avoir payées. D’autant que,souvent, l’utilité de connaissances nouvelles,par exemple d’une nouvelle théorie scienti-fique, n’apparaît qu’après un long intervalle

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Le financement del’éducation parl’impôt n’impliquenullement que laprestation duservice éducatifsoit assurée pardes fonctionnairesd’État.

de temps. Il y a donc peu de chances que lescientifique d’aujourd’hui puisse les vendreà ceux qui ne peuvent encore en apprécier lavaleur.

Ainsi, les producteurs de connaissancesne seraient pas rémunérés à la hauteur duservice qu’ils rendent effectivement à lasociété. Par suite, ils n’auraient aucuneraison de rendre effectivement ce service.Mais alors, à terme, la société ne pourraitbénéficier du haut degré de savoir qu’ellepossède aujourd’hui parce que, dans lepassé, de nombreux enseignants ontenseigné et de nombreux chercheurs ontcherché.

On peut alors admettre que ce soit l’Étatqui, dans les sociétés modernes – commel’Église l’a fait dans les sociétés du passé –prenne en charge la médiation entre lesgénérations et que, de même que nous bénéfi-cions aujourd’hui des connaissances que lapuissance publique a payées hier à leursproducteurs, nos impôts paient aujourd’huiles producteurs des connaissances qui bénéfi-cieront aux générations futures. De ce secondpoint de vue, il est justifié que les professeurset les scientifiques soient rémunérés en partiesur fonds publics.

En résumé, si l’éducation et la rechercherelevaient du seul secteur marchand, la posses-sion de l’instruction serait, tout à la fois, socia-lement déséquilibrée (il y aurait une « écoledes riches » et une « école des pauvres »,comme on dit) et la production intellectuelleserait insuffisante, ce qui, sous ces deuxaspects, nuirait à l’intérêt général.

Faut-il donc rejeter le marché en matièreéducative ? C’est ce que concluent de

nombreux esprits au premier rang desquels,naturellement, les fonctionnaires de l’Éduca-tion nationale. Mais ce serait oublier lesgraves objections que nous avons formuléesau paragraphe précédent contre le monopolescolaire.

La solution : découpler, enmatière d’éducation, finan-cement et prestation

Le problème est-il donc insoluble ?Fort heureusement non.

Il se trouve en effet que les deux exigences –celle du pluralisme, que seule la libertééducative peut apporter, et celle du finan-cement collectif, que seule une interven-tion des pouvoirs publics peut assurer –sont parfaitement compatibles.

Le financement collectif de l’éducationpar l’impôt, en effet, n’implique nullementque la prestation du service éducatif soitassurée par des fonctionnaires d’État. Onpeut donc très bien (on le fait déjà dans denombreux pays, on le fait même couram-ment en France dans d’autres domainesque l’éducation) découpler, en matière d’éducation,le problème du financement de celui de la prestation.

Il suffit de conserver le principe de laperception d’impôts pour financer l’éduca-tion, mais de faire rendre le service éducatifpar une multiplicité d’organismes privésconcurrentiels, liés aux collectivités publi-ques par des contrats renouvelables².

Nous allons esquisser ce que pourraitêtre un système de ce type.

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1ère étape :le Parlement

établit un “cahierdes charges” qui

fixe les normesque devront

observer les écolesagréées, pour

recevoir unfinancement

public.

A. UN SYSTÈMESCOLAIRE PLURALISTE

POUR NOTRE TEMPS

Comment peut-on avoir à la fois uneéducation générale de base financée par lacollectivité et un système scolaire pluraliste ?Le principe est que la puissance publiquepasse des contrats avec des écoles agréées.

L’État, ou les collectivités locales,décident d’allouer une certaine somme àchaque enfant, différente selon les tranchesd’âge et le niveau d’études. Les écolesfonctionnent avec une dotation égale aunombre d’enfants inscrits multiplié par lasomme prévue pour chaque enfant dechaque niveau.

Mais il convient de faire droit aux objec-tions mentionnées au début de cet articlecontre une offre éducative qui serait affran-chie de toute réglementation. Toute écoledoit répondre à certaines exigences dequalité. Et toute école doit enseigner lesrègles morales et civiques de base de lasociété démocratique et ne doit rien ensei-gner qui leur soit contraire.

Pour résoudre ces deux problèmes, onposera que seule est éligible à un contratavec la puissance publique une école quirépond à un certain « cahier des charges »,fixé par la loi. On entendra par ce terme unensemble de normes conçues a minima, pardifférence avec un programme scolairecomplet. L’école pourra adopter lesprogrammes et méthodes pédagogiquesqu’elle souhaite, et en particulier ajouter descontenus ou des niveaux d’exigence, pourvuqu’elle observe les normes minimales prescritesdans le cahier des charges.

Le schéma pourrait être alors le suivant.

Le schéma de base

- Une école consigne par écrit un« projet d’école » conforme au cahier descharges. Elle indique les structures prévuesde l’établissement, le nombre et la qualitédes personnels, les méthodes pédagogiqueset les programmes.

- Elle fait une demande d’agrément à unorganisme d’agrément et de contrôle créédans ce but par l’État, organisme dont lacomposition et le statut garantissent lacompétence et la neutralité politique.

- Cet organisme accorde ou refusel’agrément, sur la seule base de la confor-mité du projet d’école avec le cahier descharges, et à l’exclusion de tout jugementde valeur sur le projet. La fidélité de l’écoleau projet agréé est ensuite garantie par uncontrôle régulier effectué par le mêmeorganisme, qui peut retirer l’agrément.

- Munie de son agrément, l’école a ledroit d’établir un contrat avec la puissancepublique.

- La puissance publique, en l’espèce,peut être, selon les diverses situationsnationales, l’administration centrale del’État (le ministère de l’éducation), lesadministrations décentralisées (parexemple, en France, les rectorats), ou lescollectivités locales (régions, départements,communes).

- L’organisme public signataire accordealors à l’établissement un financement

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Deuxième Partie

Le Projet

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2ème étape :chaque écolecandidate établitun “projetd'école”,qui respecte lecahier des chargesmais qui peutprévoir desprogrammes plusriches,des exigences plusgrandes,des activitéssupplémentaires.

pour l’année. Ce financement est égal aunombre d’enfants inscrits multiplié par lasomme prévue pour chaque enfant dechaque niveau, sans aucune discrimination.La dotation est globale, ce qui signifiequ’elle doit servir à payer les salaires despersonnels enseignants et administratifs etles frais de fonctionnement. L’école estlibre de répartir la dotation à son gré enfonction de son projet pédagogique (parexemple : payer plus cher des professeursqui auront des classes plus nombreuses, oumoins cher des professeurs ayant de pluspetites classes). Nous traiterons plus loinde la question des locaux, qui appelle dessolutions spécifiques.

- La collectivité publique signataire ducontrat contrôle la manière dont l’argentpublic est dépensé. Les comptes lui sontannuellement soumis. Ce contrôle finan-cier est distinct du contrôle pédagogiqueexercé par l’organisme national agréeur.Son but est de vérifier que tout l’argentpublic alloué a bien été dépensé pour lamise en œuvre du projet agréé et qu’il n’ya pas eu d’irrégularités.

- Le nombre et l’âge des enfants scolari-sables d’un pays étant des données connueset stables (ou prévisibles), la dotationglobale de l’État ou des collectivités localespour l’éducation générale de base est elle-même une donnée stable, et la seulevariable est la répartition de cette dotationentre les différentes écoles. Par conséquent,l’ouverture d’une nouvelle école ne peutêtre réputée être une cause de dépensessupplémentaires, contraires à l’intérêtgénéral.

L’organisme agréeur

L’organisme agréeur doit présenter lesplus grandes garanties de neutralité, étantdonné le caractère politiquement sensibledu problème posé et l’inévitable marged’interprétation que donneront les textes

législatifs, même soigneusement rédigés. Ildoit avoir, par ailleurs, une compétenceacadémique incontestée. Il peut êtreinstitué au niveau national dans des Étatscentralisés comme la France, au niveaurégional dans les États fédéraux commel’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne.

Ce pourra être, en France, une« autorité administrative indépendante »,type Autorité des Marchés Financiers (ex-COB) ou Conseil supérieur de l’audiovi-suel (CSA). On sait que ces organismessont composés selon une géométrie quitient compte de diverses contraintes,autonomie relative par rapport au gouver-nement, aux intérêts privés, aux forcespolitiques, partisanes et syndicales, sansque l’organisme dispose non plus d’uneindépendance indue par rapport auxdiverses expressions de la souverainetépopulaire.

Appelons-le « Commission d’agrémentet de contrôle des établissementsscolaires ». Il sera composé par exemple(toujours pour suivre le schéma desorganismes français cités ci-dessus) de 9 à12 membres, renouvelables tous les troisans par tiers, nommés par les diversesautorités de l’État, présidence de laRépublique, Parlement, Institut deFrance…

La Commission examinera lesdemandes d’agrément déposées par lesécoles et organisera le contrôle de leurfidélité à celui-ci sur le long terme. Elledevra également examiner les demandesd’agrément des certifications et diplômes(cf. ci-dessous). Ces deux fonctions ferontde la Commission un organisme assezimportant quantitativement. Elle disposerad’un budget et nommera les fonctionnaireset inspecteurs qui, sous ses directives,l’aideront à accomplir sa tâche.

Les décisions de la Commission serontsusceptibles de recours devant les tribu-naux administratifs.

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3ème étape :un organismeparfaitementneutre, type AFM(ex-COB) ou CSA,examine si le“projet d’école”respecte le “cahierdes charges”.

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Le cahier descharges prévoitnotamment des

normesminimales de

compétences et dediplômes pour les

enseignants etl'obligation

d'enseigner lesrègles morales etciviques de base

de la viecommune.

Le cahier des charges

Le cahier des charges sera une loi ; il nesera donc modifiable que par voie législa-tive.

Il fixera les normes que doiventobserver les écoles agréées, quels que soientleurs programmes et leurs méthodespédagogiques, leur niveau d’exigence, leursbuts intellectuels et professionnels.

Ces normes consisteront en unprogramme minimum, défini pour chaqueniveau scolaire, année par année ou cyclepar cycle (par exemple : maternelle,primaire, premier et deuxième cycles dusecondaire).

Pour chaque niveau, on indiquera lesdisciplines qui doivent être enseignées,avec, pour chacune, un nombre d’heuresminimum. Dans chaque discipline, onindiquera les matières et sujets qui doiventêtre étudiés, avec, là encore, des horairesminimaux. Par exemple, en France, leprogramme d’histoire devra comporter aumoins une certaine proportion d’histoirede France. On devra traiter un certaintemps minimum de l’Antiquité, du MoyenÂge, etc.

Pourvu que ces contraintes minimalessoient respectées, les dotations horaires etles programmes précis de chaque disciplineseront libres.

En ce qui concerne les méthodespédagogiques, le cahier des charges seraégalement très libéral. La taille des classeset autres groupes pédagogiques, l’emploi deméthodes « actives » ou « directives », laplace respective des cours magistraux, destravaux en petits groupes, des travaux surtable ou à la maison, etc., ne donnerontlieu qu’à des normes très générales.

Il en ira de même pour les questions dediscipline et de vie scolaire. Il sera loisible

aux écoles, en particulier, d’aménager leursemplois du temps de telle façon que lesfamilles puissent librement faire pratiquerà leurs enfants, extérieurement à l’école,toutes activités culturelles, artistiques,sportives, associatives ou religieuses de leurchoix.

Les normes prévoiront qu’une instruc-tion civique sera donnée, conforme auxprincipes démocratiques et libéraux surlesquels est fondé l’État : les déclarationsdes droits de l’homme, les normes constitu-tionnelles, les libertés publiques. Cetteinstruction civique comportera l’étude desgrandes institutions politiques, judiciaireset administratives de l’État et, en Europe,de l’Union européenne. En outre, il seraindiqué qu’aucun des autres enseignementsprévus ne peut être contraire à la lettre ouà l’esprit de cette instruction civiquecommune et obligatoire.

Le cahier des charges pourra fixer desnormes concernant les niveaux minimauxde compétences et diplômes académiquesque devront posséder les enseignants (àl’exclusion, naturellement, de toutdiplôme national décerné par le seul ensei-gnement public dont l’exigence serait unmoyen détourné d’imposer certainesnormes pédagogiques).

Le cahier des charges reprendra enfin,pour les bâtiments, les normes de sécuritéet d’hygiène, pour les personnels, lesnormes de bonne moralité, déjà en vigueurpour l’enseignement privé hors contrat.

Dès lors qu’ils respectent les normesindiquées dans le cahier des charges, lesprojets d’école seront entièrement libres.En particulier, ils pourront comporter desprogrammes plus riches, des niveaux d’exi-gence plus grands (par l’ajout de certainesmatières ou de certaines disciplines). Ilspourront également prévoir des enseigne-ments et activités pédagogiques dont lanature ou le coût comporteraient descharges financières supérieures à la

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4ème étape :si le projet d’écoleest agréé, l’écolereçoit unesubvention globaleannuelle,proportionnelle aunombre et à l’âgedes enfantsinscrits.

dotation publique prévue par élève pourl’éducation générale de base. Les établisse-ments seront libres de percevoir des fraisde scolarité supplémentaires dans ce but.

L’ensemble du projet pédagogique del’école devra être précisément consignédans le « projet d’école » soumis àagrément. Ainsi, la Commission pourras’assurer que rien dans le projet n’estcontraire dans la lettre ou dans l’esprit auxnormes minimales. Car si, par exemple,l’école d’une secte ou d’un groupe religieuxrespectait formellement les normesminimales, mais enseignait, par ailleurs,quelque doctrine contraire à la démocratieet à l’idéal scientifique, cela pourrait êtreun motif valable du refus ou du retrait del’agrément.

La Commission pourrait donnerd’abord un agrément de principe, permet-tant à l’école d’ouvrir (à ses frais et risques),puis, après une période probatoire où lesinspecteurs de la Commission auront puconstater de visu la réalité du fonctionne-ment de l’école et sa conformité effectiveau projet écrit, un agrément définitif.

Le contrat

Le contrat devra être établi entre l’écoleet une autorité publique nationale, régio-nale ou locale. En cette matière, lesformules précises peuvent être très diversesselon les coutumes administratives desdifférents pays. Mais les principes serontles suivants :

- Le contrat sera signé pour une périodeannuelle ou, pour des raisons pratiquesévidentes, pluriannuelle (par exemple, detrois à cinq ans).

- Il sera conclu avec une école agréée dèsqu’un nombre suffisant d’élèves y serainscrit, nombre variable selon le type et leniveau de l’école. On prévoira un engage-

ment écrit des parents à ne pas changer leurenfant d’école pendant un an. S’ils retirentl’enfant de l’école, ils devront le faireéduquer ailleurs, l’éducation étant obliga-toire, mais à leurs propres frais pour lapériode restante de l’année ; ils retrouve-ront leur droit à la gratuité à la rentréescolaire suivante. De même, si c’est l’écolequi renvoie l’enfant, ce qu’elle doittoujours avoir la possibilité de faire, il doitêtre prévu qu’elle rembourse la dotationpublique reçue au prorata du temps passédans l’école par l’élève. Ces engagements etprocédures permettront de maîtriser lescoûts.

- L’investissement immobilier repré-sente une part très importante du coût degestion d’une école. La loi prévoira doncdifférentes mesures à cet égard. Une école,par exemple, pourra louer des locaux enutilisant l’argent de sa dotation. Unecollectivité territoriale pourra égalementprêter des locaux à une école agréée pour ladurée du contrat. Ou encore, les écolespourront demander aux parents des frais descolarité supplémentaires pour leurpermettre d’amortir un investissementimmobilier (et naturellement, si elles sontjuridiquement des fondations ou desassociations, elles pourront recevoir deslocaux et autres capitaux d’origine privée).

L’important, dans ces différentesformules, est de veiller à ce qu’une écoleagréée ne puisse se constituer, avec ladotation publique, un capital immobilierqui resterait sa propriété après l’expirationdu contrat. Ce serait là l’occasion dedérives, puisque la part de la dotationpublique allouée à l’investissementimmobilier aurait été retirée par là mêmedu budget de fonctionnement de l’école, etqu’il serait bien difficile de dire si cetterépartition a été faite dans l’intérêt de laréalisation du cahier des charges. Il seradonc plus sain de compartimenter ces diffé-rents postes.

- Le contrat prévoira les modalités de

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Chaque école estsoumise à un

contrôle visant àvérifier qu'elle

respecte lestermes du contratpassé avec l'Etat.

soumission de l’école au contrôle financierdont il a été question plus haut.

- Le contrat sera renouvelable. Lesresponsables de la collectivité publique sebaseront, pour prendre la décision derenouvellement ou de non-renouvelle-ment, sur des critères objectifs comme lesévolutions démographiques, ou lesproblèmes d’ordre public qui se seraientposés dans l’école. Mais ils ne pourrontrefuser le renouvellement du contrat pourdes motifs de non-respect du cahier descharges : sur ce point, seule laCommission d’agrément et de contrôlesera compétente. Inversement, une écolepourra trouver avantage à louer sesservices, en fin de contrat, à une autrecollectivité territoriale. Il existera ainsi, encomplément de la concurrence des écolesentre elles, une concurrence des collecti-vités locales tâchant de « mériter » lesmeilleures écoles et les meilleurs profes-seurs.

Je n’ignore pas qu’un système de chèqueéducatif a également été proposé. Il consisteen ce que la dotation financière prévue parles pouvoirs publics pour chaque enfant dechaque niveau est remise directement auxfamilles, sous forme d’un « chèque » (utili-sable seulement, cela va sans dire, pourfinancer l’école). La famille choisit uneécole, lui remet son « chèque », et lesresponsables de l’école vont ensuiteconvertir ce chèque en ressource monétaireauprès des comptables du Trésor. Cesystème ne comporte aucune différence deprincipe notable avec le dispositif décrit ci-dessus, s’il reste entendu que seule peutrecevoir des chèques éducatifs une écoleagréée. Mais les différences pratiques sontimportantes, et il semble que le système descontrats pluriannuels, garantissant auxécoles une certaine stabilité, soit plusréaliste.

Le contrôle

L’agrément n’aurait aucun sens si, unefois le projet agréé, l’école pouvait s’enécarter en pratique. Il faut donc prévoir unprocessus de contrôle, consistant en visitessur place par des inspecteurs mandatés parla Commission d’agrément et de contrôledes établissements scolaires. Selon leprincipe classique en la matière, il faut queces inspections puissent avoir lieu de façoninopinée, et il faut en outre prévoir desmoyens humains et financiers suffisantspour que chaque école du pays puisse êtrecontrôlée à des intervalles suffisammentrapprochés.

L’inspection n’aura pas à porter dejugement qualitatif sur les écoles. Elle secontentera d’affirmer si, oui ou non,l’école, dans la réalité de sa pratique, s’estconformée au projet qui a été agréé.

Elle pourra délivrer des avertissements,puis, ceux-ci restant sans effets, retirerl’agrément.

Comme la décision originaire d’agré-ment, un retrait d’agrément à la suite d’uneinspection sera passible de recours devantles tribunaux administratifs.

Il faudra aussi prévoir des procédureslégères par lesquelles une école voulantmodifier son projet (pour ajouter ouretrancher des activités, des disciplines, desformations professionnelles, des prépara-tions d’examens et de concours, etc.) puisseobtenir un avenant à son agrément.L’inspection, ou un service spécial de laCommission, vérifiera que les change-ments envisagés ne compromettent pas laconformité de l’école au cahier des charges.

Le coût de ce dispositif de contrôle,relativement lourd, ne pèsera pas sur lebudget, puisqu’il ne croîtra qu’à mesure dela décroissance du secteur public monopo-listique, où l’on sait que les frais d’adminis-

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L'école a un statutde droit privé. Elleest l’employeur deses personnelsenseignants etadministratifs.

tration, ainsi que les gaspillages, sont consi-dérables.

L’école

L’école, organisme auquel est attribuél’agrément et avec lequel est signé lecontrat, est une personne morale de droitprivé, société, association ou fondation.

Cette entité juridique peut avoir un ouplusieurs établissements (à l’organismepublic signataire du contrat d’en tenircompte).

Si un groupe de professeurs entendmultiplier ses chances de contrat, à lui de sesubdiviser en entités juridiques distinctes,dont chacune devra obtenir l’agrément etle contrat. Cela n’empêchera pas cesdiverses entités de se regrouper, le caséchéant, sous un seul label et avec desactivités communes (cf. Partie II.B).

L’école sera l’employeur de ses person-nels enseignants et administratifs. Ceux-ciauront donc des contrats de travail destatut privé (ce qui n’empêchera pas que,dans une période de transition, des person-nels de l’enseignement public y soientdétachés sur la base du volontariat, leurssalaires étant, dans ce cas, défalqués de ladotation remise à l’école). Il y aura unmarché du travail classique : les profes-seurs seront concurrents pour accéder auxdifférentes écoles (où ils postuleront enfonction de leur prestige, ou pour desraisons pratiques à leur convenance), et lesécoles pour recruter leurs professeurs etpersonnels administratifs. Le corps ensei-gnant bénéficiera donc enfin de la gestionrationnelle et humaine qui prévaut engénéral dans les PME-PMI, si différente dela situation « kafkaïenne » que nousvoyons aujourd’hui couramment prédo-miner dans les bureaucraties géantescomme l’Éducation nationale française.

L’organisation interne de l’école seradéterminée par ses promoteurs eux-mêmesconformément aux contraintes juridiquespropres, respectivement, aux entreprises,aux associations et aux fondations. Commeil s’agira de personnes morales privées, lesécoles auront une totale autonomie degestion. Leurs relations avec l’environne-ment extérieur, en particulier, serontlibres. Elles pourront, par exemple, faireappel à des vacataires ou à des prestatairesextérieurs, dans le domaine de la formationprofessionnelle, ou des activités sportives,ou des activités culturelles, dès lors que leprojet d’école et le cahier des charges sontrespectés.

Certifications et diplômes

La liberté pédagogique accordée auxécoles du nouveau secteur libéralisé seraitun vain mot si était maintenu un systèmepublic monopolistique de certifications etde diplômes. Toutes les écoles seraientcontraintes de concevoir leurs programmeset méthodes en fonction de ce système(« pilotage par l’aval »), et la diversité etl’émulation recherchées seraient compro-mises.

Certes, en matière éducative commeailleurs, il faut des repères communs.Sinon, on ne pourrait organiser la circula-tion des élèves d’un établissement à l’autreet d’une région à l’autre, et les écoles elles-mêmes, les universités, les employeurs et lepublic ne sauraient pas à quoi s’en tenir surles qualifications acquises par les élèves auxdifférents âges et niveaux d’études. Sichaque école délivrait ses propresdiplômes, avec sa propre définition desconnaissances et aptitudes à acquérir àchaque niveau, le système deviendrait viteopaque.

Reconnaissons que les systèmes publicsmonopolistiques actuels ont l’avantageindéniable de fixer une structure claire,

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La loi définira uncahier des charges

des diplômes duprimaire et du

secondaire, qui necomportera que

des normesminimales.

Tout acteur dusystème

éducatif aura ledroit de créer des

examens et desdiplômes

conformes à cecahier des

charges et pourra,s’il le souhaite,élever le niveau

d’exigence.

parce qu’unique, des études – les classes duprimaire, du collège et du lycée – et desexamens qui les sanctionnent – BEPC,baccalauréat... Mais nous savons que cetavantage est compensé, et au-delà, parl’immobilisme, l’inefficacité et la dégrada-tion du système.

Il est clair que la plupart des diplômesde l’État ont tendu à perdre leur valeurdans le contexte de la massification del’école et de l’université qui a eu lieu enFrance. À quoi sert d’avoir un repèrefamilier comme le « baccalauréat », si leniveau de cet examen n’a cessé de baisserdepuis quelque trente ou quarante ans, etsi, par conséquent, d’autres repères se sontmis en place (mais clandestins et ésotéri-ques, connus seulement de quelques privi-légiés, au détriment du public et notam-ment des couches les moins favorisées, parexemple le fait qu’on a étudié dans uncertain lycée, ou qu’on a choisi certainesoptions, ou qu’on a été admis danscertaines classes préparatoires…) ?

Le problème est donc le suivant : il fautdes repères, mais il ne faut pas que ceux-cisoient fournis par la seule puissancepublique. Ce problème n’est pas insoluble,puisque l’expérience montre que la sociétécivile se passe souvent de l’État pour établirdes normes et certifications. C’est le casgénéral dans le domaine industriel. Mais çal’est aussi dans le domaine sportif : ce sontles fédérations sportives, par exemple, quiorganisent les diplômes sportifs, les compé-titions et les championnats, et non leministère de la Jeunesse et des Sports. Denombreux secteurs de l’enseignementtechnique et professionnel délivrent desdiplômes privés. Certains ont une grandevaleur, comme les fameux « Mastères »délivrés par la Conférence des GrandesEcoles.

Il est donc parfaitement réaliste d’envi-sager un système de certifications etdiplômes privés pour l’enseignementprimaire et secondaire.

Cependant, les mêmes soucis de protec-tion de la jeunesse et de sauvegarde du liensocial qui nous ont conduits à proposer lanotion d’« école agréée » satisfaisant àcertaines normes de qualité et garantissantl’enseignement des mêmes valeurs civiquesde base justifient qu’un système libre etconcurrentiel de certifications et dediplômes demeure encadré par une régle-mentation adéquate.

Je propose donc le schéma suivant.

En parallèle à la loi qui définira le cahierdes charges des écoles, une autre loidéfinira un cahier des charges des certifications etdiplômes.

Seront définis des certificats de find’étude pour chaque cycle (par exempledeux pour le primaire, deux ou trois pourle secondaire), de telle sorte qu’à toutmoment des élèves ayant suivi leurs étudespendant quelques années dans une écoleagréée puissent, sans problème, postuler aucycle supérieur dans n’importe quelle autreécole agréée. Il y aura notamment – cesera sans doute un des plus importants –un « certificat agréé de fin d’études secon-daires » correspondant au baccalauréatactuel.

Le principe du cahier des charges descertifications et diplômes agréés sera,comme pour les écoles, qu’il ne compor-tera que des normes minimales et ne fixerapas le programme précis des connaissanceset aptitudes qui doivent être acquises àchaque niveau. À charge pour les concep-teurs de chaque examen de donner chair àcette épure, et en particulier, s’ils le souhai-tent, d’élever le niveau d’exigences.

L’agrément sera donné par laCommission d’agrément et de contrôle desétablissements scolaires, dont ce sera là uneseconde tâche. La Commission, commepour les projets d’école, se contentera deconstater la conformité des programmes etdes modalités d’examen aux normes

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On pourraintroduire cenouveau systèmede manièreexpérimentale.Il faudrasimplementautoriser lacréation d’unnouveau secteurlibre à côté dessystèmes existants.Les professeurs etpersonnelsd’encadrement dusystème publicpourront êtredétachés dans lesnouvelles écolessans perdre leurstatut, avec undroit de retourdans la fonctionpublique.

établies dans le cahier des charges. Ellepourra retirer l’agrément à la suite d’ins-pections ayant révélé un écart par rapportà celui-ci.

Naturellement, il pourra y avoir aussi,comme aujourd’hui, toutes sortes dediplômes purement privés. Mais seul l’agré-ment officiel donnera aux titulaires ducertificat ou diplôme le droit de postulerdans toutes les écoles publiques et privées àl’entrée de chacun des cycles d’enseigne-ment. Ajoutons que l’obtention d’undiplôme agréé de niveau baccalauréat devradonner les mêmes droits que celui-ci pourl’entrée à l’université ou l’accès à certainsemplois de la fonction publique.

La valeur réelle du diplôme, cependant,dépendra de la réputation qui lui seraconférée sur le long terme par l’opinionpublique, les universités et les employeurs.Il y aura, dans la presse et les centresd’expertise du secteur, un classement desdiplômes et certifications. Par exemple, lecertificat de fin de premier cycle secondairedélivré par l’école X ou les écoles Y (cf. ci-dessous le chapitre sur les réseaux d’écoles),sera classé 1er, ou 100ème, ou dans lesecond tiers, ou en queue des certificats demême niveau. Il est clair que les certificatsmieux cotés ouvriront plus de portes.

Ceci a déjà lieu pour les diplômesuniversitaires à l’échelle internationale. Ilexiste, par exemple, une concurrence quasi-mondiale des diplômes des écoles decommerce et des MBA. Loin que cela aitcréé du désordre dans ce secteur, cela agrandement contribué à son dynamisme. Ilest à noter qu’en France même, malgrél’égalitarisme affiché et l’interdiction detoute concurrence officielle entre établisse-ments publics, des classements sont d’oreset déjà établis par la presse, chaque année,entre les lycées.

Tout acteur du secteur éducatif aura ledroit de concevoir des examens et diplômesconformes aux cahiers des charges et de les

faire agréer : les nouvelles écoles libreselles-mêmes, mais aussi des réseaux d’écoles(cf. Partie II. B), ou même des organismesprivés spécialisés, faisant passer desexamens aux élèves d’un grand nombred’écoles différentes. Les acteurs du systèmeéducatif libre auront en effet intérêt àdélivrer des certifications ayant la plusgrande notoriété possible, régionale, natio-nale ou même internationale. On verraainsi se reconstituer des « certificatsd’études primaires », des « brevets » et des« baccalauréats » de grande réputation,ayant meilleur aloi, le cas échéant, que lesdiplômes publics dégradés d’aujourd’hui.

Le public bénéficiera à leur égard d’unedouble garantie. D’une part, ces certificatsétant agréés, et pouvant se voir retirer leuragrément (cf. infra), ils ne pourronts’écarter des normes de qualité et decivisme édictées par la loi. D’autre part,comme ils seront privés, et qu’il y en auraplusieurs, ils ne pourront être galvaudés etperdre leur valeur sans que cela ne se sacheimmédiatement et sans que d’autres certifi-cations ne prennent le relais, étant signaléespar la presse spécialisée et les centresd’expertise, et bientôt préférées par lesfamilles.

On voit donc que nous envisageons,pour les certifications, un système obéis-sant aux mêmes principes fondamentauxque pour les écoles : liberté, pluralisme etdiversité des initiatives pédagogiques,assortis d’un contrôle qui fournisse aupublic les garanties nécessaires, et avec une« prime » pour ceux qui veulent etpeuvent faire plus.

Relations des écolesagréées avec les écolesexistantes

Le système esquissé ci-dessus estévidemment très novateur. Montrercomment et à quel rythme on pourrait

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Les écolespourront se

regrouper enréseaux, afin de

partagercertainesactivités

pédagogiques,éviter

l’enfermementintellectuel, etoffrir de vraies

carrières auxenseignants.

l’introduire en France dépasse le propos duprésent article. Je me contenterai ici dequelques réflexions qui peuvent avoir leurutilité dans l’hypothèse où un gouverne-ment et une majorité se décideraient à faireun pas dans la direction proposée. Je distin-guerai le court et le long terme.

À court terme, il s’agira d’introduire lenouveau système de manière expérimen-tale. Il faudra simplement autoriser lacréation d’un nouveau secteur libre à côtédes systèmes existants. Donc, au départ,seul un petit nombre d’écoles serontconcernées.

Dans cette situation provisoire, ilfaudra prévoir que des professeurs et despersonnels d’encadrement du systèmescolaire public puissent être détachés dansles nouvelles écoles sans perdre leur statutet leurs droits, et sans compromettre ledéroulement de leur carrière. Ils pourrontêtre mis en disponibilité de leur emploipublic et employés par les écoles sur unstatut privé, mais avec un droit de retourdans la fonction publique. Ou bien encore,ils pourront être « détachés », c’est-à-direpayés par leur administration d’origine etmis à disposition des nouvelles écoles. Ence cas, naturellement, comme on l’a dit,leurs salaires seront défalqués de ladotation publique attribuée à l’école.

La raison de prévoir ces aménagementsest que beaucoup de professeurs du publicseront probablement tentés par l’expé-rience des nouvelles écoles ; mais si celle-cidoit être trop coûteuse pour eux en termesde carrière, ils risquent d’y renoncer, ce quiserait dommageable pour le succès de laréforme envisagée.

À long terme, si le nouveau secteurréussit et s’étend, il deviendra un acteurpermanent de l’éducation en France. Aura-t-il à son tour le monopole, au détrimentdes écoles existantes ? Assurément non.

D’abord, un secteur privé hors contrat

pourra évidemment continuer à existercomme aujourd’hui.

Deuxièmement, l’actuel secteur privésous contrat (loi Debré) peut lui aussisubsister, puisque, d’une certaine manière,il est basé sur la même philosophie que lenouveau système proposé ici, si ce n’estqu’il n’a pas, lui, la liberté de sesprogrammes. Il aura simplement denouveaux concurrents ; à lui de relever ledéfi. De toute façon, beaucoup de profes-seurs et de directeurs d’école fonctionnantaujourd’hui avec le statut Debré serontparmi les premiers à se lancer dans l’aven-ture du nouveau système, qui répond bienmieux à leurs aspirations et à celles desfamilles qui leur font confiance.

Enfin, il y a des justifications perma-nentes à l’existence d’un reliquat d’ensei-gnement directement géré par l’administra-tion, dans certains cas bien déterminés. Parexemple dans des zones géographiques peudenses, où le nombre des enfants à scola-riser ne suffirait pas à faire vivre une écoleagréée. Ou pour des types d’enseignementcoûtant plus cher que ce qui peut êtrecouvert par la dotation normale des écolesagréées, ou posant des problèmes spécifi-ques : établissements pour l’enfanceinadaptée, pour les handicapés… Ou, enfin,pour des types d’enseignements rares etpeu demandés, mais jugés d’intérêt général.Et d’une manière générale, pour larecherche scientifique fondamentale etl’enseignement supérieur, dont nous nepouvons traiter dans le présent article.

B. LES RÉSEAUX

D’ÉCOLES

Le nouveau système, ainsi mis en place,aura pour acteurs de base des « écoles »,c’est-à-dire des entreprises, associations,fondations, qui seront indépendantes etdont chacune recevra l’agrément et serasignataire des contrats avec la puissancepublique. Cependant, en fonction de

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La Loi autoriserales écoles agrééeset subventionnées,à utiliser une partde leur dotationpour cotiser auxfrais communs duréseau auquel ellesse rattacheront.

certaines exigences pédagogiques, les écolespourront avoir intérêt à se regrouper enréseaux.

Inconvénients des écolesisolées

Dans le présent et le passé proche, l’édu-cation a été principalement réalisée par degrands systèmes, qu’ils soient publicsnationaux, publics régionaux, ou semi-publics (grands réseaux d’écoles privéesrelevant d’Églises établies). Quel que fûtleur statut, ils étaient « grands », ce termevoulant dire qu’il y avait de nombreuxétablissements appartenant au mêmesystème, des corps professorauxnombreux, des écoles de formation initialeet permanente des maîtres, des bibliothè-ques, centres de recherche, etc. On trouveaussi, dans le passé, de grandes congréga-tions enseignantes, Jésuites, Oratoriens,etc., et l’on peut remonter jusqu’auxuniversités médiévales, qui étaient grandeselles aussi, d’autant qu’elles étaient souventinternationales.

On ne peut soumettre de grandssystèmes, comme tels, aux procéduresd’agrément et de contrôle et aux procé-dures de financements prévus ci-dessus. Onserait confronté à des problèmes pratiquesinsolubles et, surtout, on risquerait dedonner à nouveau un blanc-seing et unmonopole de fait à de grandes bureaucra-ties impotentes. C’est pourquoi les écolesdu système pluraliste devront rester depetite taille. Mais elles peuvent être juridiquementet financièrement indépendantes sans rester isoléespour autant.

Une école isolée, en effet, aura du mal àformer ses professeurs, à leur offrir unecarrière attractive (comment peut-onpasser toute sa vie professionnelle dans lemême établissement ?). L’élève quiquittera l’école ne retrouvera pas ailleurs lamême pédagogie (dès lors, comment sa

famille le lui confierait-elle ?). Une écoleisolée sera également en danger de ferme-ture intellectuelle, d’enfermement dans ununivers moral confiné. Elle réagira peut-être à ce danger en s’exposant au dangerinverse, mais tout aussi grave, de s’ouvriraux vents de toutes les modes, ou de céderaux pressions inconstantes des familles etde l’environnement local.

Les écoles auront donc tout avantage àse regrouper en entités plus grandes.

Les réseaux d’écoles

Elles pourront le faire en créant desassociations ou des groupements d’intérêtéconomique (GIE). Ces groupes, pourpouvoir mener des activités pédagogiquescommunes, emploieront des salariés et, lecas échéant, auront des équipementspropres.

La loi devra prévoir la possibilité de cesregroupements, c’est-à-dire rendre licite,pour une école agréée et subventionnée,d’utiliser une part de sa dotation pourcotiser aux frais communs de l’associationou du GIE auquel elle se rattachera.

La constitution de réseaux sera de droitentre écoles agréées. Dès lors que les écolesmembres sont agréées, le réseau sera réputél’être, et l’emploi d’une part d’argentpublic pour le faire vivre sera donclégitime.

Mais il serait intéressant – on verra toutà l’heure pourquoi – que les réseauxd’école puissent être internationaux. Dansce cas, ils comprendront des membres qui,par définition, n’auront pas été agréésselon la procédure nationale, et dont onpeut se demander s’il est légitime qu’ilsbénéficient indirectement de la dotationpublique accordée aux membres agréés. Ilfaudra donc prévoir des règles permettantde s’assurer que les écoles étrangères ratta-

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Chaque réseauaura donc son

“école normale”,ses centres de

formationpermanente et

pourra cumuler del’expérience.

chées au réseau présentent les mêmesgaranties d’attachement aux valeurs scienti-fiques et démocratiques que celles énoncéesdans le cahier des charges national. Cettecondition sera facilement remplie avec lespays qui auront adopté un système compa-rable, notamment au sein de l’UnionEuropéenne et des autres pays occidentaux.Des accords internationaux pourront êtreconclus à ce sujet, stipulant que chaqueÉtat signataire reconnaît la valeur desagréments délivrés par les autres États(comme cela existe déjà en matière dereconnaissance de diplômes).

Avantages des réseauxd’école

La constitution de ces réseaux d’écolespermettrait d’atteindre une taille critiqueproduisant de grands avantages pédagogi-ques.

- Les réseaux auront une identité et unlabel. Ils seront constitués des écoles qui ontadopté les mêmes principes pédagogiqueset la même philosophie. Ils auront globale-ment les mêmes programmes, les mêmesméthodes pédagogiques, la même organisa-tion générale des études, et donc dessystèmes de certification homogènes,notamment en ce qui concerne le passaged’une classe à l’autre.

- Par suite, ils pourront offrir aux famillesla possibilité de retrouver pour leursenfants le même type d’école lorsqu’ellesdéménageront, y compris, si le réseau estinternational, d’un pays à un autre. Cetavantage fourni jusqu’ici par les grandssystèmes publics ne sera donc plus unprivilège exclusif de ceux-ci.

- Ils pourront fournir aux personnels ensei-gnants et administratifs un ensembled’emplois au sein desquels ils pourrontavoir une carrière combinant variation etprogression. On passera un certain nombre

d’années dans une école à un poste, puis despériodes comparables dans d’autres écoles,dans d’autres villes, à des postes plusimportants. Ces progressions de carrière seferont évidemment au mérite ou du moinsau choix, puisque, dans ce système, chaqueprise de poste sera le résultat d’un contratlibrement conclu entre le professeur et ladirection de l’école. Certains professeurs,sans doute, dans ces conditions, ne progres-seront que peu. Néanmoins, au sein duréseau, il y aura des types de progressioncoutumiers et progressivement codifiés,susceptibles de fournir aux intéressés unecertaine garantie et une certaine sécurité.Le personnel administratif, les directeursauront également une carrière au sein duréseau.

- Au sein du réseau, il pourra y avoir uncumul d’expérience : les méthodes, lesprogrammes, les principes de la discipline,et en général toutes les options pédagogi-ques qui auront été prises pourront êtretestés. Les erreurs seront repérées et corri-gées, les principes pourront s’affiner. Destraditions pédagogiques, mais aussi intellec-tuelles et morales, pourront se constituer –songeons au célèbre ratio studiorum desJésuites, qui était valide dans tous lescollèges de la Compagnie. S’accumuleraaussi une expérience administrative etpolitique relative à la gestion du systèmedes agréments et des contrats.

- Un point capital est que la constitu-tion des réseaux permettra de mettre desressources en commun pour créer des centresde formation des professeurs. Il n’y a pas en effetd’éducation qui se tienne sans professeursbien formés, et pas d’éducation cohérentesans professeurs spécialement formés dansl’esprit de la pédagogie que l’on entendmettre en œuvre. Il serait donc illusoired’espérer créer des écoles différentes avecdes professeurs issus des anciens moules, enparticulier les universités publiques dégra-dées. Mais une école isolée ne peut évidem-ment s’offrir le luxe de créer sa propre« école normale », à ses frais et à son seul

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Les réseaux aurontune identité,un label et uneproductionintellectuellepropre au corps.

usage. Ce sera l’un des principaux intérêtsdes réseaux de le permettre.

Chaque réseau aura donc son « écolenormale », primaire ou supérieure, selonque le réseau à fournir en maîtres estconstitué d’écoles primaires ou secon-daires. Les locaux, les salaires des profes-seurs, les frais de fonctionnement de cescentres de formation des maîtres serontune charge commune du réseau. L’école duréseau délivrera un diplôme qui qualifierale jeune professeur pour être employé danstoutes les écoles du réseau (sans donner dedroit strict à cet égard, les embauchesrestant contractuelles). À terme, unegrande proportion des professeurs duréseau sortira de l’école normale de cemême réseau et en aura obtenu le diplôme,ce qui sera une manière de constituer devrais corps professoraux, spirituellementunis et socialement soudés, qui donnerontle ton et l’esprit caractéristiques de ceréseau d’école.

- Il y aura également, dans les mêmescentres ou ailleurs et sous d’autres formes,une formation permanente des maîtres etpersonnels administratifs du réseau, consis-tant en colloques, congrès et séminaires oùse fera le « retour d’expérience », lepartage et la diffusion des expériencescumulées et des compétences collective-ment acquises, ainsi que la mise à niveauscientifique dans chaque discipline.

- Du coup, il pourra y avoir une produc-tion intellectuelle propre au corps, à savoiressentiellement des manuels et des livresscolaires, mais aussi des réflexions etrecherches concernant les questionspédagogiques et scientifiques. Les manuelset livres scolaires, en particulier, aurontune grande importance : ils serviront decolonne vertébrale aux enseignements duréseau et contribueront à préciser et àvaloriser l’image de celui-ci.

- Le « label » des réseaux d’écoles serale signe de leur identité. Il sera peu à peu

connu du public, c’est-à-dire des institu-tions et personnes physiques ou moralessituées en aval de l’école, les universités, lesemployeurs, mais aussi, en amont, desélèves et des familles qui doivent choisirune école. Le label jouera un rôle de recon-naissance et de simplification : on sauraque les écoles « X » ou « Y » (du nom deleur fondateur, ou d’un grand personnagede l’histoire de la culture, d’un saint, d’unsavant, d’un artiste, etc.), proposent teltype d’éducation, mettent l’accent sur telsprincipes, telles valeurs, pratiquent tel typede discipline. Des documents pourrontd’ailleurs être publiés à ce sujet, explicitantla philosophie profonde ou « charte » duréseau (comme cela se fait courammentdans les universités américaines).

- La constitution au sein des réseauxd’écoles d’expériences, de compétences,d’une culture et d’une identité communespermettront l’émergence dans nos sociétésde foyers intellectuels et spirituels nouveaux. Cartous ces professeurs et savants voués àl’éducation tiendront nécessairement àconcevoir et proposer à la société unvéritable modèle de païdéia. On ne forme lesjeunes que pour un avenir, et tout profes-seur doit se faire une certaine représenta-tion idéale de l’avenir pour enseigner enconscience. Cela même stimulera laréflexion scientifique et philosophique ausein du réseau.

- C’est dans cette perspective que laconstitution de réseaux internationaux, aumoins à l’échelle européenne et occiden-tale, prend tout son sens. Car notre tempsest caractérisé par la communication inter-nationale des idées et des hommes, par lamondialisation de l’économie, par lanaissance d’entités géopolitiques nouvellesqui, comme l’Union européenne, dépas-sent le cadre de l’Etat-nation traditionnel.Les hommes d’aujourd’hui ont doncbesoin de nouveaux repères.

Or les systèmes publics actuels ont étéconstitués pour l’essentiel au XIXe siècle, à

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La constitution ausein des réseaux

d'écolesd'expériences, de

compétences,d'une culture et

d'une identitécommunes

permettrontl'émergence dans

nos sociétés defoyers intellectuels

et spirituelsnouveaux.

une époque où l’État-nation était la perspec-tive prédominante. Ils gardent trace de ce« nationalisme » qui a eu sa justification,puisqu’il a permis de promouvoir la citoyen-neté à l’encontre des vieilles structuresféodales et communautaristes, mais qui estmanifestement désormais trop étroit.Songeons, par exemple, à la manière dont onenseigne en France l’histoire, la littérature oula philosophie : ces programmes ont étéétablis dans leurs grandes lignes entrel’époque de Victor Cousin et celle de JulesFerry, et ils n’ont été modifiés depuis lors quesur des points de détail. Ils méritent assuré-ment une refonte.

Le fait que les programmes scolaires soientà bien des égards mal adaptés au mondemoderne explique que l’influence éducatricede l’école soit aujourd’hui battue en brèchepar tous les vents des médias et des autresmoyens de communication extrascolaires,provoquant ainsi le grand désordre dontsouffre gravement la formation de la jeunesse.

Les réseaux d’école, surtout s’ils fonction-nent en partie à une échelle internationale,notamment européenne, pourront contri-buer à élaborer ces nouveaux programmesmieux adaptés aux aspirations de notre temps,à ses structures géopolitiques et à ses valeursintellectuelles et morales évolutives. Ilspourront ainsi allumer les foyers intellectuelset spirituels évoqués plus haut. Mais, commeils ne disposeront d’aucun monopole légal, laculture qu’ils proposeront sera toujours, pourles familles, un libre choix.

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Un secteuréducatif libre seradans un étatd’équilibredynamiquecombinantstabilité etinnovation. Au lieud’être contraintes,comme les écolesactuelles, des’aligner par lebas, elless’aligneront par lehaut.

Revenons, pour finir, sur l’objection tradi-tionnelle faite à l’idée de pluralisme scolaire, àsavoir qu’il provoquerait un éclatement desécoles et donc, virtuellement, du lien socialmême. L’expérience vécue de la Finlande, dela Suède, la Suisse ou des Pays-Bas montre quecette crainte est infondée. Les écoles, dans unsystème pluraliste, tendront à se ressemblerplus qu’à se différencier, ou, pour être plusprécis, elles se différencieront juste autantqu’il est nécessaire pour que toutes s’adaptent etprogressent.

Certes la liberté, en particulier la possibi-lité pour de grands réseaux d’écoles de seconstituer avec leur identité et leur label,rendra possible, par définition, une certainedifférenciation. Ce sera vrai surtout dans lespremiers temps de l’expérience où des aspira-tions diverses, trop longtemps étouffées,voudront s’exprimer. Mais il n’y a aucuneraison de penser que cette tendance à la diffé-renciation se prolongera et ira jusqu’à l’éclate-ment.

La liberté, en effet, ne vise pas la différencepour elle-même ; elle permet seulement dechoisir à tout moment ce qu’on juge lemeilleur et le plus désirable. Or ce ne sera pasl’intérêt des écoles de se lancer sur des lignesoù elles feraient absolument cavalier seul :elles auraient à redouter que des choix tropparticularistes détournent d’elles les familles.Mais, dès qu’elles verront qu’une formuleexpérimentée par une autre école réussit,qu’elle est appréciée par l’opinion et par lesexperts, elles voudront l’adopter à leur tour,et elles pourront le faire puisqu’elles serontlibres. En sens inverse, la même liberté leurpermettra d’être les premières à adopter une

innovation utile et de s’en prévaloir. Si laformule en question confirme les espoirsqu’on avait mis en elle, ce seront les autresécoles qui devront bientôt s’aligner sur l’écolepionnière. Il y aura ainsi un « mimétismevertueux » qui tendra à une élévationgénérale du niveau et de l’efficacité de l’ensei-gnement.

Dans un secteur éducatif libre, la mêmelogique sera à l’œuvre que celle qu’onconstate dans tous les secteurs de nos sociétésoù règnent liberté et concurrence. Il y aura unesprit de critique et d’innovation toujours enéveil. Le pluralisme, pour le moins, rendraimpossible que se perpétuent ad vitam æternamdes erreurs pédagogiques massives commecelles commises depuis des années par l’Édu-cation nationale, qui sont régulièrementdénoncées par tous les experts et cependantjamais corrigées, du fait de la paralysiegénérale et de l’électro-encéphalogramme platde notre « mammouth ». Un secteuréducatif libre sera dans un état d’équilibredynamique combinant stabilité et innova-tion.

En définitive, dans le domaine éducatifcomme dans la science et la presse, laliberté permettra certes la différenciation, maiscelle-ci ne sera que le détour structurelle-ment nécessaire d’une nouvelle forme deconvergence. Des écoles libres et concurren-tielles seront, par nécessité, aussi prochesles unes des autres que les écoles publiquesactuelles.

Si ce n’est qu’au lieu d’être contraintes,comme ces dernières, de s’aligner par le bas,elles s’aligneront par le haut.5

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CONCLUSION

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1 La liste en est longue et elle ne cesse des’allonger. On peut signaler, parmi celles qui ontmarqué l’opinion : Jacqueline de Romilly,L’enseignement en détresse, Julliard, 1984 ; Maurice T.Maschino, Vos enfants ne m’intéressent plus, Hachette,1983 ; L’école, usine à chômeurs, 1992 ; Parents contre profs,Fayard, 2000 ; Jean-Claude Milner, De l’école, Seuil,1984 ; Hervé Hamon et Patrick Rotman, Tant qu'ily aura des profs, Seuil, 1984 ; Guy Bourgeois, Le bacca-lauréat n’aura pas lieu, Payot, 1989 ; Guy Morel etDaniel Tual-Loizeau, L'horreur pédagogique, Ramsay,1999 ; Liliane Lurçat, Vers une école totalitaire ? L'enfancemassifiée à l'école et dans la société, François-Xavier deGuibert, 1998, 2ème éd., 2001 ; Thierry Desjardin,Le scandale de l'Education nationale, Robert Laffont,1999 ; Nicolas Revol, Sale prof, Fixot, 1999 ;Antoine Chareyre, L'Instit et le Mammouth, AlbinMichel, 2000, et tant d’autres dont chaque rentréescolaire apporte une riche moisson. Je me permetsde signaler aussi mes propres livres, Pourquoi ont-ils tuéJules Ferry ?, Le Chaos pédagogique (références ci-dessous,n. 4).

2 Nous ne pouvons développer plus avant, dansle présent article, ces thèses qui ne concernent passpécialement le champ éducatif. On en trouvera unexposé substantiel dans les grandes œuvres de laphilosophie sociale du XXe siècle, comme : KarlPopper, La Société ouverte et ses ennemis [1946], Seuil, 2vol., 1979 ; Conjectures et réfutations. La croissance du savoirscientifique [1963], Payot, 1985 ; Friedrich AugustHayek, La Constitution de la liberté [1960], LITEC,1994 ; Droit, législation et liberté [1973, 1976 et 1979],puf, coll. « Quadrige », 3 vol., 1995 ; MichaëlPolanyi, La Logique de la liberté [1951], PUF, 1989 ;Thomas S. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques[1962], Flammarion, coll. « Champs », 1972, etc.

3 Cf. Thomas S. Kuhn, La Structure des révolutionsscientifiques, op. cit.

4 Nous nous inspirons ici du remarquablechapitre consacré à l’éducation dans F.A. Hayek,La Constitution de la liberté, op. cit., Partie III, ch. 24,« Education et Recherche ».

5 Une première version de cet article est paruedans la revue espagnole « Persona y Derecho »,2004.

A propos de l’auteur : Philippe Nemo est ancienélève de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud,Docteur d’État ès Lettres et Sciences humaines. Il estprofesseur à l’ESCP-EAP, directeur du Centre derecherches en Philosophie économique de l’ESCP-EAP, maître de conférences à HEC. Publicationsconcernant l’éducation : Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ?,Grasset, 1991 ; Le Chaos pédagogique, Albin Michel,1993 ; « La fonction de “garderie” de l'école, une expli-cation de la dégradation de sa fonction pédagogique »,in R. Boudon, N. Bulle, M. Cherkaoui (dir.), École etsociété : les paradoxes de la démocratie, PUF, coll.« Sociologies », 2001.

Publiée par SOS Education, Ecole & Liberté est une collec-tion régulière évaluant la politique éducative et offrant despropositions de réforme. Les opinions exprimées dansEcole & Liberté sont celles des auteurs et ne reflètent pasnécessairement les points de vue de l’association.Contactez SOS Education pour obtenir une autorisation

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Fax : 01 45 81 10 98. Siteinternet : www.soseduca-tion.com

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