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1 Youssouf Sylla [email protected] Post FrançAfrique Nouvelles tendances Septembre 2021 Présentation de l’auteur

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Youssouf Sylla [email protected]

Post FrançAfriqueNouvelles tendances

Septembre 2021

Présentation de l’auteur

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Youssouf Sylla [email protected]

Ancien journaliste, Youssouf Sylla travaille aujourd’hui dans le secteurfinancier après un passage dans une organisation internationalehumanitaire, le CICR. En plus d’une Maîtrise en droit obtenue en Guinée, ilest diplômé de troisième cycle en droit public (université de Paris 1Panthéon Sorbonne), en droit des affaires (université de Montréal) et enrelations internationales (IDERIC Paris). Il est aussi titulaire d’un DESS engestion publique à l’École nationale d’administration publique du Québec.M. Sylla est auteur du livre « Protection de l’environnement en période deconflit armé » paru le 3 juillet 2015 aux Éditions Presses AcadémiquesFrancophones et coauteur du livre « Qui est vraiment Charlie ? Ces 21jours qui ébranlèrent les lecteurs du Monde », paru le 11 juin 2015 auxÉditions François Bourin.

Résumé du livre

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Après les ravages, en partie, provoqués par la Françafrique dans la situa-tion politico sécuritaire de l’Afrique francophone, la majorité de la jeu-nesse et certains acteurs socio-politiques de cette zone, sont plus que ja-mais engagés à y tourner la page de l’influence débordante de la France.A cette dynamique interne, s’ajoute une autre dynamique externe, portéepar la Russie, la Chine et la Turquie, qui se positionnent en puissancesconcurrentes de la France dans son pré carré africain.

Face à ces mutations, à quoi sera réduit dans les années à venir, l’in-fluence de la France dans les affaires politiques et sécuritaires de l'Afriquefrancophone, et quels sont les défis les plus critiques que les Etats afri-cains devront relever ensemble pour équilibrer leurs relations stratégiquesavec les puissances du monde? Comment aussi éviter la répétition destravers de la Françafrique avec la Chine et la Russie? Ce livre invite àtoutes ces réflexions. Il va au-delà de la simple description de la França-frique. Il jette un regard inédit sur les nouvelles tendances qui légitimentla réforme en profondeur des relations franco-africaines.

Table de matières :AbréviationsAvant-proposPremière partie : Survol de la politique africaine de la France1. Général de Gaulle, précurseur de la Françafrique

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1.1. Le processus de décolonisation engagé par de Gaulle2. Georges Pompidou, le fidèle3. Valéry Giscard d’Estaing, l’affairiste4. François Mitterrand, le controversé4.1. Mitterrand dans son pré carré africain4.2. Rôle de la France dans le génocide Rwandais4.3. Rapport Duclert5. Chirac et Sarkozy, du paternalisme à l’arrogance6. Virage sécuritaire de François Hollande6.1. Engagement militaire en Centrafrique et au Mali7. Emmanuel Macron, homme de parole ?7.1. Promesses de Macron à Ouagadougou7.2. Discours ambivalent de Macron dans les crises politiques africaines7.3. Conseillers de Macron sur l’Afrique ?7.4. « CPA », une structure non officielle7.5. Structures officielles7.6. Action de Macron dans le Sahel8. Bilan des relations franco-africaines.B. Deuxième partie : Menaces à l’influence française en Afrique Francophone1. Menaces internes1.1. Les acteurs sociaux 1.2. Les leaders politiques charismatiques1.2.1. Ahmed Sékou Touré 1.2.2. Thomas Sankara1.2.3. Laurent Gbagbo 1.2.4. Paul Kagamé1.2.5. Ousmane Sonko2. Menaces externes2.1. Les relations sino africaines2.2. Afrique francophone au cœur du gigantesque projet chinois 2.3. Présence militaire chinoise en Afrique 2.4. Politique africaine de la Chine3. Russie et Afrique, la répétition de l’histoire 3.1. Du beau temps à la séparation en douceur3.2. Retour en force de la Russie en Afrique3.3. Présence militaire de plus en plus affirmée3.4. Offensive médiatique russe4. Turquie en Afrique, un acteur ambitieux4.1. Soft power

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4.2. Hard power5. L'Afrique face aux défis du partenariat diversifié5.1. Enjeux 5.2. De l’approche bilatérale à l’approche multilatérale

C. Troisième partie : Perspectives d’avenir des relations francoafricaines

1. Nouvelles tendances2. Réforme des relations politico sécuritaires entre la France et l’Afrique2.1. Pilier Paix et Sécurité2.2. Pilier Etat de droit et Démocratie

Abréviations

AKP (Parti de la justice et du développement) CPA (Conseil présidentiel pour l’Afrique)CPC (Coalition des patriotes pour le changement) CNRS (Centre national de la recherche scientifique)

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CEI (Commission Electorale Indépendante)ENA (Ecole Nationale d’Administration)FCFA (Communauté financière africaine)FPI (Front Populaire Ivoirien)FCSA (Forum sur la Coopération Sino Africaine)FACT (Front pour l'alternance et la concorde au Tchad)FPR (Front Patriotique Rwandais),IFF (Ichikowitz Family Foundation)MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali)MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola)ONU (Organisation des Nations Unies)ONUCI (Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire)PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité)RFI (Radio France Internationale) RECAMP (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix).URSS (Union des républiques socialistes soviétiques)TIKA (Agence turque pour la coopération internationale et le développement)

Avant-propos

Deux événements marquent les esprits dans les récents développementsdes relations franco-africaines. Le premier a eu lieu au Tchad et montreque la Françafrique est encore une réalité. Le second se passe au Mali etmontre à son tour que la page de cette Françafrique est en train de setourner. L’image des obsèques du président tchadien Idriss Itno Déby, tué

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selon la version officielle le 20 avril 2021 sur le front, les armes à la main,pendant qu’il combattait les rebelles du Front pour l'alternance et laconcorde au Tchad (FACT), a attiré l’attention de plus d’un. Au cours decette cérémonie, le président français Emmanuel Macron, par fidélité à cetallié historique de la France dans le Sahel, a accordé, dans lecontournement des règles constitutionnelles en vigueur au Tchad, sabénédiction à la transmission du pouvoir à son fils, Mahamat Idriss Deby,après une trentaine d’années d’exercice du pouvoir par le père. Commeses prédécesseurs, Macron venait de montrer qu’il a ses deux pieds dansla Françafrique. Ce réseau parallèle et officieux a vu le jour au temps dugénéral de Gaulle, à travers la fameuse Cellule africaine de l'Élysée, tenued’une main de fer par le redoutable Jacques Foccart. Composé de hautespersonnalités politiques franco-africaines, mais aussi du monde desaffaires, ce réseau permet à la France de conserver son influence politico-économique dans ses anciennes colonies d’Afrique, tout en protégeant leschefs d’Etat africains favorables à cette influence. Les relations du réseausont tissées et gérées au sommet des Etats et échappent à tout contrôledémocratique. Les populations africaines quant à elles, subissent lespratiques du réseau.

L'impact de la Françafrique, ce néologisme créé de toutes pièces par lepremier président ivoirien, Félix Houphouët Boigny, sur le continentafricain est tel que la nouvelle génération d'africains s'interroge si laFrance, dans ses relations avec l'Afrique francophone, n'est pas commeune chape de plomb à ses pattes, l'empêchant de voler librement vers sapropre destination? Même si la question mérite d’être amplementdiscutée, il n’en demeure pas moins, à travers les multiples interventionsfrançaises en Afrique, que la Françafrique a contrarié le développementdes dynamiques politiques propres à l’Afrique.

Les leaders politiques africains qui se sont opposés à la Françafrique ontété voués aux gémonies (cas du président Ahmed Sékou Touré enGuinée), tués dans des conditions non encore élucidées (cas de ThomasSankara au Burkina Faso) et mis à la disposition de la Cour pénaleinternationale de la Haye pour y connaître une extinction politique (cas deLaurent Gbagbo en Côte d’Ivoire). D'autres comme Ousmane Sonko auSénégal, à cause de leur rhétorique anti française, doivent certainementse trouver sous une stricte surveillance. Malgré tout, le charismatique PaulKagamé, a pu tenir tête à la France, et imposer un modèle de relationrespectueux de la souveraineté de son pays, le Rwanda. Depuis legénocide de 1994, le Rwanda se présente aux yeux d’un certain nombre

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d’africains, comme une sorte de laboratoire d’expérimentation du prochainmodèle de relations franco africaines.

A son tour, le développement au Mali de la situation politique (prise depouvoir par une junte militaire), sociale (montée en puissance dusentiment anti français au sein de la population) et sécuritaire (réductionpar la France de son dispositif militaire Barkhane dans le cadre de la luttecontre le terrorisme) a conduit ce pays à remttre en cause la préférencedes français au profil des russes, du moins sur le plan sécuritaire. PourParis, la signature d’un accord entre le Mali et les mercenaires du groupeWagner, proche de Kremlin, serait inconciliable avec la présence desforces françaises dans ce pays. Wagner est une entreprise militaire privéerusse présente sur différents terrains de conflits armés. Tout comme enCentrafrique, les russes remplacent de plus en plus les français en Afriquefrancophone sur le terrain sécuritaire, non sans soulever des inquiétudesen Afrique aussi. En effet, nombreux sont ceux qui craignent leremplacement de la Russafrique par la Françafrique: deux formes decoopération non transparentes qui consistent à avoir une mainmisepolitique, sécuritaire et économique sur le continent africain.

Outre la Russie, la France est sérieusement concurrencée dans son précarré africain par la Chine et la Turquie. Sans passé colonial dans lecontinent, ces pays offrent du moins sur papier, un partenariat d’égal àégal aux Etats africains. L’intérêt croissant de ces partenaires stratégiquespour l’Afrique, continent riche en matières premières, devrait poser pourla France en sa qualité d’ancienne puissance coloniale, d’importants défisà relever en matière de positionnement en Afrique francophone.

A ces facteurs externes, il y a aussi des facteurs internes qui s’opposentde nos jours à l’influence débordante de la France en Afrique. Il s'agit enparticulier de la jeunesse des pays francophones du continent. Unejeunesse décomplexée, hyper connectée, pour laquelle la France est unpays comme un autre, non un modèle de référence absolu, comme ce futle cas pour leurs aînés. Cette population est médusée face à l’existenced'obscurs accords de défense, souvent destinés à protéger certainsrégimes corrompus du continent, alors que la France sur la scèneinternationale est porteuse d’un discours universel sur la démocratie et lerespect des droits de l’homme.

Ainsi, le présent ouvrage vise à montrer dans une première partie, cequ’est en substance, sur le plan politique et sécuritaire, la réalité de laFrançafrique, en passant en revue la politique africaine des différentschefs d’Etat de la cinquième République. Dans une deuxième partie, il met

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en exergue les menaces qui guettent l’influence française en Afriquefrancophone. Enfin, dans la troisième partie, il s’agira de faire le point surles grandes tendances actuelles des relations franco-africaines, avant deproposer quelques pistes de réforme de ces relations, tout en évoquant lesdéfis à relever par l’Afrique dans le cadre de son partenariat avec lesacteurs internationaux de poids.

A) Première partie : Survol de la politique africaine de la France

1. Général de Gaulle, précurseur de la Françafrique

C’est avec le général de Gaulle, premier président de la cinquièmeRépublique, de 1959 à 1969, que fut enclenchée la décolonisation del’Afrique française. Nombreux sont les africains qui ont participé auxefforts de guerre aux côtés de l’armée française. « (…) Soumis à desbombardements de l’artillerie ou de l’aviation d’une extrême violence, ils

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furent nombreux à se sacrifier dans des combats de retardementmeurtriers de la campagne de France, en mai-juin 1940, comme àLa Horgne dans les Ardennes, à Aubigny dans la Somme ou à Wassignydans l’Aisne, puis à Chasselay au nord de Lyon.»1. Malgré ces sacrifices, lareconnaissance de l’Etat français à l’égard des tirailleurs sénégalais futtardive. C’est en novembre 2018, à Reims, que le président EmmanuelMacron a inauguré un monument dédié aux héros de l'Armée noire,installé au Parc de Champagne2. Sans compter que nombre d’entre eux futfusillé, le 1er décembre 1944, dans le camp de Thiaroye, près de Dakar,pour une simple réclamation de soldes.

Armelle Mabon, une universitaire française a mis en cause la versionofficielle des circonstances de ce massacre. Elle explique que «contrairement à ce qui a été affirmé, les tirailleurs sénégalais ne se sontpas regroupés de leur propre initiative. Ils ont reçu l’ordre de serassembler sur l’esplanade où ils allaient être tués. La veille au soir, lesofficiers avaient ordonné que des automitrailleuses soient disposées surl’esplanade. Entre 300 ou 400 hommes ont été tués. Pourtant le bilanofficiel ne fait toujours état que de 35 victimes.»3.

Il a aussi fallu l’arrêt « Diop » du Conseil d’Etat pour procéder au dégel deleurs pensions de retraite cristallisées depuis 1959. En substance, leConseil d’Etat avait jugé que « (…) la différence de situation existantentre d'anciens agents publics de la France, selon qu'ils ont la nationalitéfrançaise ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifiepas, eu égard à l'objet des pensions de retraite, une différence detraitement (…)».4

1.1. Le processus de décolonisation engagé par de Gaulle

La décolonisation de l’Afrique noire s’est réalisée de manière graduellemalgré le discours anticolonial tenu à l’époque par les soviétiques et lesaméricains5. Ce n’est qu’en en 1958 que le général de Gaulle proposera1 Journoud Pierre, « 1. De la contribution des colonisés à l’effort de guerre métropolitain à la répression brutale

des insurrections anticoloniales par la métropole 1940-1945 », dans : Hervé Drévillon éd., Histoire militaire de la France. II. De 1870 à nos jours. Paris, Perrin, « Hors collection », 2018, p. 485-503.2 Le Monde, « A Reims, un symbole de la reconnaissance « tardive » des tirailleurs africains », 6 novembre

2018.

3 Laurence Caramel (Le Monde), «Il faut arrêter avec le mensonge d’Etat sur le massacre de Thiaroye », 1er

décembre 2016.4 Conseil d'Etat, Assemblée, du 30 novembre 2001, 212179, publié au recueil Lebon.

5 Achcar et Catherine Samary, « L’Atlas Mondes émergents », 2012 Chapitre 3, pages 96 et 97.

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aux africains un projet de constitution qui prévoit la mise en place d’unecommunauté entre la France et ses anciennes colonies dans le continentafricain. Cette communauté était pour de Gaulle, « (…) un projetgéopolitique qui prend place dans son dispositif d’affirmation de la Francesur la scène mondiale.»6.

Dans le projet constitutionnel, les domaines sensibles de l’Etat (défense,affaires étrangères, monnaie, matières premières stratégiques) relevaientde la compétence exclusive du président de la République française. Lesaffaires locales, elles, des autres membres de la Communauté. Avec sonprojet soumis au référendum le 28 septembre 1958, de Gaulle conditionneles africains à choisir entre la continuité avec la France au travers de laCommunauté, ce qui signifiait un vote en faveur du «Oui» et la ruptureavec elle, ce qui signifiait un vote en faveur du «Non». Le «Oui» l’emportadans toutes les colonies, sauf en Guinée. Ce territoire accédera à sonindépendance, le 2 octobre 1958, sur fond de rupture avec la France. A partir de 1960, on assiste à une accélération de l’histoire. Le général deGaulle est comme contraint de se soumettre au verdict du temps. Il ajustesa stratégie à travers la loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin 1960.Cette loi ouvre une nouvelle ère, celle de la coopération tous azimuts avecles nouveaux Etats indépendants d’Afrique francophone.

Loin de ce qu’on pouvait imaginer, la décolonisation n’a pas mis fin auxinterventions françaises dans les affaires internes des jeunes Etatsafricains. Sans nul doute que pour de Gaulle, la France devait avoir uncontrôle sur le destin politique de ses anciennes colonies. Cette volontétrouve son illustration dans la réinstallation du président gabonais LéonMba au pouvoir, après qu’il eut été mis à l’écart par un groupe demilitaires, au profil de M. Jean-Hilaire Aubame, son ministre des affairesétrangères. Paris avait justifié le sauvetage de M. Mba, qui voulait imposerle parti unique dans son pays, par l’existence d’un accord de défense7.

Au-delà du Gabon, l’acte posé par de Gaulle donnera aux présidentsafricains liés à la France par un tel accord, un énorme sentimentd’assurance, en ce qui concerne leur pérennité au pouvoir. PhilippeDecraene notait à ce titre en 1969 que « (…) le régime gaulliste savait au

6 Turpin Frédéric, « 1958, la Communauté franco-africaine : un projet de puissance entre héritage de la IVe

République et conceptions gaulliennes ». In: Outre-mers, tome 95, n°358-359, 1er semestre 2008. 1958 et l'outre-mer français. pp. 45-58.

7Thomas Lenoir (L'Express), Février 1964: Le retour de M. Mba , 27 février 1964.

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besoin fermer les yeux sur certains désordres ou abus et avait accepté devoler militairement au secours de certains d’entre eux parmi les plussérieusement menacés.»8. Jacques Foccart, l'homme de confiance dugénéral et patron de la Cellule africaine de l’Elysée, avait la lourderesponsabilité de régler dans le détail, les interventions françaises enAfrique. Pendant neuf ans, de 1960 à 1969, «Foccart a été reçu par deGaulle tous les soirs, pendant une vingtaine de minutes. Au menu, lesdossiers les plus sensibles, notamment les affaires africaines »9. Lapolitique interventionniste du général de Gaulle a été poursuivie, sousdifférentes formes, par tous ses successeurs dans le but ultime demaintenir le leadership français en Afrique francophone.

2. Georges Pompidou, le fidèle

Proche collaborateur du général de Gaulle depuis plus d’une vingtained’années, il sera ensuite son premier ministre, avant d’être élu à son tourprésident de la République, de 1969 à 1974. Il restera fidèle à la politiqueafricaine du général malgré quelques tentatives d’ouverture sur l’Afriquenon francophone. Frédéric Turpin décortique la politique africaine dePompidou autour de trois axes : l’aide au développement, la protectionmilitaire et l’allégeance diplomatique. Les deuxième et troisième axesvisent d’une part, à multiplier et à renforcer la coopération militaire avecle continent, et d’autre part, à se servir de la masse d’Etats africains pouramplifier la voix de la France dans le monde10.

3. Valéry Giscard d’Estaing, l’affairiste

Il est président de 1974 à 1981. Les relations qu’il entretient avec certainschefs d’Etat africains sont d’une grande proximité. Ce fut le cas d'OumarBongo et de Jean Bedel Bokassa, respectivement présidents du Gabon etde Centrafrique. Avec Bongo, les liens sont si forts que ce dernier avait eule privilège, en 1975 et en 1979, de choisir les ambassadeurs françaisaccrédités dans son pays11. 8 Philippe Decraene (Monde diplomatique), « Les relations franco-africaines pourraient subir une mutation »,

consulté le 15 juillet 2021.9 Christophe Boisbouvier (Jeune Afrique), « De Jacques Foccart à Franck Paris, plongée au cœur de la cellule

africaine de l’Élysée », 15 septembre 2017.

10 Turpin Frédéric, « De Gaulle, Pompidou et l’Afrique (1958-1974), Décoloniser et coopérer », 2010, édition les

Indes savantes.

11 Daniel Bach, « Politique africaine de Valéry Giscard d’Estaing : contraintes historiques et nouveaux espaces

économiques », 1986, Université de Bordeaux I.

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Sous Giscard, la France est souvent intervenue militairement en Afrique,notamment au Zaïre, en Mauritanie et au Tchad. En 1979, elle a participéau renversement de Jean Bedel Bokassa pourtant sacré empereur un anauparavant, grâce à la bénédiction de Giscard. Bokassa était d’unegénérosité extrême avec Giscard. En 1973, alors qu’il était ministre desfinances, Giscard et ses deux cousins germains avaient reçu des mains deBokassa, une plaquette de diamants12.

4. François Mitterrand, le controversé

Homme de gauche et président de 1981 à 1995, il viendra avec l’ambitionde rompre avec la politique condescendante et affairiste de sesprédécesseurs à l’égard de l’Afrique. Il pose alors deux actes majeurs en1981. Il se débarrasse de Foccart, jusque-là incontournable dans lesrelations franco africaines et nomme Jean-Pierre Cot, ministre de lacoopération. Le Monde dresse de Cot un portait assez atypique dans le milieu franco-africain. Rocardien, il « ne prise guère les relations personnelles, quasiincestueuses, qui ont dominé jusqu’ici la politique franco-africaine. Fils dePierre Cot, ancien ministre de Léon Blum, ce juriste de haut vol, à qui toutsemble avoir réussi, préfère la concision à la palabre, les regards dans lesyeux aux caresses dans le dos »13. Le journal poursuit : « S’il ne connaîtguère le continent noir, il sait déjà qu’il veut « décoloniser la coopération», aérer le pré carré pour l’ouvrir à toutes les Afriques, lusophone,anglophone comprises. Certes, il consent à maintenir un lien privilégiéavec les Etats de l’ex-empire. Mais cela ne saurait, à ses yeux, êtreexclusif d’une diplomatie plus large, mondialiste, moraliste aussi. N’a-t-ilpas annoncé qu’il lirait les rapports d’Amnesty International épinglant lespays dans lesquels sa fonction le conduirait ?».

A ces premières heures d’euphorie, succède très rapidement le temps dela réalité. Un an plus tard, en 1982, Mitterrand change de position. Cotcommence à l’agacer, et il s’en débarrasse. Mais avant l’acte officiel, illaisse son premier ministre, Pierre Mauroy, annoncer indirectement partéléphone la nouvelle à Cot, alors que celui-ci dînait dans un restaurantparisien. Mauroy a en fait proposé à Cot d’être ambassadeur de France enEspagne, loin des réalités africaines.

12 Le Canard enchaîné, « Les grandes affaires », 10 octobre 1979.

13 Eric Fottorino, (Le Monde) « Les désillusions de Jean-Pierre Cot », 23 juillet 1997.

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4.1. Mitterrand dans son pré carré africain

En janvier 1983, Mitterrand prononce au Gabon un discours dans lequel ilvante les mérites du parti unique, tel qu’il existe chez Oumar Bongo. Ildira à cet égard à Bongo qu’: « En fondant le 12 mars 1968 le partidémocratique gabonais, parti unique, vous avez souhaité instaurer unedémocratie en s’inspirant de vos valeurs propres. Vous avez voulurassembler les gabonaises et les gabonais, forger une unité nationaled’autant plus indispensable que votre nation se compose de nombreusesethnies et de différentes communautés humaines.»14. Mitterrand reprenaitainsi à son compte, l’argument avancé à l’époque par les autocratesafricains pour empêcher l’émergence de la démocratie en Afrique.

L’espoir de changement de la politique africaine venait ainsi d’être enterré.Les vieilles habitudes reviennent en force, notamment avec l’arrivée deJean Christophe Mitterrand, fils du président, à la tête de la Celluleafricaine de l’Elysée. Les relations avec l’Afrique étaient devenues uneaffaire quasi familiale, gérées depuis l’Elysée. Comme ses prédécesseursqu’il critiquait tant, la politique de Mitterrand fut aussi critiquée,notamment au Rwanda. Mitterrand avait en effet apporté un soutienindéfectible au régime génocidaire de Juvénal Habyarimana, président duRwanda, ancienne colonie belge, de 1973 à 1994.

Toutefois, c’est sous le président Giscard d’Estaing qu’un Accord particulierd’assistance militaire fut signé entre le Rwanda et la France, le 18 juillet1975. Cet Accord permettait à la France de mettre à la disposition de lagendarmerie rwandaise des personnels militaires français dont elle avaitbesoin dans le cadre de son organisation et de son instruction. Au termede l’article 3 de l’Accord, ces personnels militaires français «ne peuvent enaucun cas être associés à la préparation et à l’exécution des opérations deguerre, de maintien ou de rétablissement de l’ordre et de la légalité »15.

Avec l’arrivée de Mitterrand aux affaires en 1981, la coopération militaires’approfondit avec le Rwanda. Le 20 avril 1983, un Avenant à l’Accordparticulier d’assistance militaire du 18 juillet 1975 est signé entre les deuxparties. Cet Avenant autorise désormais, ce qui était une évolutionmajeure, les personnels militaires français qui servent au Rwanda de

14 Allocution le 17 janvier 1983 de M. François Mitterrand au Gabon.

15 Assemblée nationale, accords de coopération avec le Rwanda.

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porter l’uniforme de cette armée et de prendre part à la préparation et àl’exécution des opérations de guerre. Un autre Avenant, celui du 26 août1992 à l’Accord particulier d’assistance militaire, viendra élargir lesbénéficiaires de l’assistance militaire française aux forces arméesrwandaises.

En effet, l’Avenant de 1992 était en réalité un moyen de régularisationjuridique de la participation des personnels de l’assistance militairefrançaise dans la préparation et l’exécution des opérations militairescontre le Front patriotique rwandais (FPR), qui avait commencé en 1990, às’en prendre militairement au régime de Juvénal Habyarimana.

Les raisons de l’engagement français au Rwanda sont expliquées parHubert Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée, devant une missiond’information parlementaire. Il déclarait qu’il «avait toujours vu leprésident François Mitterrand aborder fréquemment les questionsafricaines et se comporter en continuateur d’une politique anciennemenée depuis les indépendances. (…). Le président François Mitterrandestimait que la France devait assumer un engagement global de sécurité,(…), d’une part, parce que cette politique permettait aux pays africains dese contenter de budgets militaires très faibles et donc de consacrer plusde ressources à leur développement, d’autre part, parce que, dans cesrégions toujours menacées par l’instabilité, il considérait que laisser, oùque ce soit, un seul de ces régimes être renversé par une faction, surtoutsi celle-ci était minoritaire et appuyée par l’armée d’un pays voisin,suffirait à créer une réaction en chaîne qui compromettrait la sécurité del’ensemble des pays liés à la France et décrédibiliserait la garantiefrançaise.»16.

Malgré tout, une certaine évolution est constatée dans la politiqueafricaine de la France à partir du discours de La Baule en 1990. FrançoisMitterrand lie désormais l’aide économique française aux progrèsdémocratiques enregistrés dans les pays africains. Juvénal Habyarimanadonnera quelques signes d’adaptation à ce discours en acceptant de signerles accords d’Arusha, le 4 août 1993. Ces accords censés mettre fin à lacrise politique rwandaise consacraient notamment le partage du pouvoir,l’ouverture de l’espace politique et le retour des exilés tutsis. Pour lesextrémistes hutus, ces accords sonnaient le glas de leur suprématie. Ilsétaient donc loin de les convenir17. Quelques mois plus tard, le 6 avril1994, l’avion qui ramenait Habyarimana et le président burundais de Dar16 France, Assemblée nationale, Mission d’information sur le Rwanda, Rapport n° 1271.17 Mehdi Ba, «20e anniversaire des accords d’Arusha : quand la paix mène au génocide », 5 août 2013.

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El Salam (Tanzanie) est attaqué par un tir de missile à Kigali. Les deuxprésidents y perdent la vie. Le lendemain, 7 avril, commence alors legénocide des tutsis par les hutus, qui ne prendra fin qu’en juillet, faisantprès d’un million de morts.

4.2. Rôle de la France dans le génocide Rwandais

La très grande proximité de vues entre les présidents Mitterrand etHabyarimana sur la menace tutsie et le risque de basculement du Rwandadans le camp anglo-saxon, expliquent en grande partie le soutien accordépar Paris au gouvernement hutu de Kigali, avant pendant et après legénocide.

Après avoir obtenu en juin 2020 du Conseil d’Etat français18 le droitd’accès aux archives de François Mitterrand à l’Élysée concernant sapolitique au Rwanda, Raphaël Doridant et François Graner, expliquentdans un ouvrage collectif19 comment la France s’était rendue complice dugénocide des tutsis. Les auteurs excluent tout aveuglement ou erreur dela part des autorités françaises. Ils estiment que «le choix politiquedélibéré d’une poignée de responsables civils et militaires a été demaintenir le Rwanda dans la zone d’influence française, même au prixdu soutien discrètement accordé à un régime ami en train de commettreun génocide». Depuis 2014, François Graner, chercheur au CNRSchargeait déjà la France20. Selon lui, la France avait épousé en touteconnaissance de cause, les thèses racistes développées par les hutus àl’égard des tutsis, assimilés à des « cafards ». Il accuse ouvertement laFrance d’avoir pris, de 1990 à 1994, fait et cause pour l’armée rwandaiseen conflit avec le FPR. Il soutient que la France n’a pas cessé d’aider lesresponsables du génocide en leur fournissant des armes et en lesexfiltrant après le génocide vers le Zaïre à travers l’opération Turquoise.Selon Graner, Mitterrand partageait la même idée que les hutus sur leFRP, perçu comme parti de rebelles tutsis, venant de l’Ouganda et ayantpour but d’étendre l’influence anglo-saxonne sur le Rwanda francophone.Pour la France, la victoire du FPR sur les forces gouvernementalesrwandaises, signifierait la perte de son influence au Rwanda.

4.3. Rapport Duclert

18 Conseil d'État, 12 juin 2020, Archives du président Mitterrand sur le Rwanda.

19 François Graner et Raphaël Doridant, « L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda », février2020,

éd. Agone-Survie.

20 François Graner « Le sabre et la machette », 20 mars 2014, éd. Tribord.

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Un dernier rapport, celui de la Commission de recherche sur les archivesfrançaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis (1990-1994) aété remis au Président Emmanuel Macron le 26 mars 2021. Dans sesconclusions, le rapport Duclert, à la différence des conclusions de FrançoisGraner, dénie toute complicité des autorités françaises de l’époque dansle génocide. «Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprisegénocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer»déclare le rapport Duclert21. Il accuse cependant la France d’avoir desresponsabilités accablantes dans le génocide. Il déclare à ce titre que «LaFrance s’est néanmoins longuement investie au côté d’un régime quiencourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à lapréparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de cerégime. Elle a adopté un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutuincarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’«Ougando-tutsi » pour désigner le FPR. Au moment du génocide, elle atardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et acontinué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations.Elle a réagi tardivement avec l’opération Turquoise qui a permis de sauverde nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsisdu Rwanda exterminés dès les premières semaines du génocide. Larecherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes etaccablantes». Ce rapport montre que Mitterrand, pour des raisonsgéostratégiques, a fermé les yeux sur ce qui arrivait aux tutsis.

5. Chirac et Sarkozy, du paternalisme à l’arrogance

Le premier était chaleureux avec les chefs d’Etat africains, alors que lesecond, était un peu plus distant et intéressé par les affaires, avec uneattitude arrogante envers les africains. A Sarkozy qui a dit dans sondiscours controversé de Dakar que «Le drame de l’Afrique, c’est quel’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire »22, Chirac rétorqueque «L’homme africain est entré dans l’Histoire. Il y est même entré lepremier. On ne peut avoir à son égard que du respect, le respect que l’ona pour un ancêtre commun.»23. Malgré la différence de perception entre21 C’est le 5 avril 2019 que le Président E. Macron, à l’occasion de la commémoration du 25émé anniversaire du

génocide des tutsis a demandé à Vincent Duclert, historien, de prendre la direction d’une commission chargée de « consulter l’ensemble des fonds d’archives françaises relatifs à la période pré-génocidaire et celle du génocide lui-même », « de rédiger un rapport qui permettra » de jeter un regard critique sur le génocide des tutsi. Deux ans plus tard, en mars 2021, ce rapport a été remis à Emmanuel Macron sous le titre suivant : « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994).

22 Le Monde, « Le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy », 7 avril 2009.

23 Philippe Goulliaud (Figaro), « Chirac à contre-pied de Sarkozy sur l'homme africain », 12 juin 2009.

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les deux, ils ont perpétué à l’égard du continent, bien au-delà des mots, lamême politique paternaliste héritée du général de Gaulle.

Etant maire de Paris, Chirac déclarait en 1990 que le « multipartisme estune sorte de luxe que les pays en voie de développement, qui doiventconcentrer leurs efforts sur leur expansion économique, n’ont pas lesmoyens de s’offrir. »24. Tout au long de sa présidence, de 1995 à 2007, ilétait l’ami de certains présidents (Paul Biya au Cameroun, Denis Sassou-Nguesso au Congo Brazzaville…) qui continuent encore à diriger leurs paysd’une main de fer. En réalité, la démocratisation des régimes n’était pas lepoint fort de sa politique africaine.

Après Chirac, est venu Nicolas Sarkozy, de 2007 à 2012, avec la forteambition de nettoyer les relations franco-africaines de ses réseauxofficieux. Pour lui, il fallait débarrasser ces relations «des émissairesofficieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Lefonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doitprévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Ilfaut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et desambiguïtés »25. Même s’il avait fait disparaître la cellule africaine del’Élysée, cela n’a pas empêché les réseaux officieux de reprendre le dessussur les circuits officiels.

Ainsi, l’intervention militaire française en Libye et en Côte d’Ivoire trahit laposture de non-ingérence prônée par Sarkozy et traduit au plus hautpoint, la mise en avant de ses préoccupations personnelles dans lesrelations franco-africaines. L’intervention de Sarkozy dans les crisespolitiques africaines fut un désastre pour la paix et la sécurité dans lecontinent. Il s’est lourdement planté en Côte d’Ivoire et en Libye, paysdans lesquels il prétendait faussement apporter, comme un messie, ladémocratie et la liberté. Espérant en finir avec Laurent Gbagbo, gauchisteet anti français selon lui, il a pesé de tout son poids dans l’arrestation dece dernier et l’élection d’Alassane Ouattara à la présidence, son ami, etprotecteur à son avis, des intérêts français en Côte d’Ivoire.

Sur la Libye en 2011, Sarkozy avait réussi à mobiliser la communautéinternationale contre Mouammar Kadhafi26 malgré les doutes de l’Union24 Cyril Bensimon (Le Monde) « Jacques Chirac et l’Afrique, une amitié particulière », 26 septembre 2019.

25 Loïc Kuti (Survie) « Dossier Françafrique. La relève Sarkozy : rupture ou continuité ? », 1er juin 2007.

26 Après son élimination physique, les proches de Kadhafi ont largement fait état de largesses du régime libyen

lors de la campagne électorale de Sarkozy en 2007. Près de dix ans après, la justice française a finalement mis en examen le 12 octobre 2020, Sarkozy pour « association de malfaiteurs » dans le dossier des soupçons de

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africaine et les réticences de Barack Obama. Selon un rapport d’enquêtede la commission des affaires étrangères du parlement anglais, leprocessus décisionnel mis en avant pour justifier la chute de Kadhafi étaitcomplètement erroné. Le rapport indique que « Le gouvernementbritannique n’a pas pu vérifier la menace réelle que le régime de Kadhafifaisait peser sur les civils ; il a pris au pied de la lettre, de manièresélective, certains éléments de la rhétorique de Mouammar Kadhafi ; et ila échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de larébellion.»27.

Selon les propos de Sidney Blumenthal, conseiller de Mme Clinton, lesobjectifs du président français, en faisant tomber Kadhafi, étaient aunombre de cinq: « Le souhait d’obtenir une plus grande part de laproduction de pétrole libyenne » ; celui d’« accroître l’influence françaiseen Afrique du Nord » ; de « permettre aux armées françaises deréaffirmer leur position dans le monde » ; de « répondre aux (…) projetsde Kadhafi de supplanter la France en Afrique francophone » et, enfin, lavolonté d' « améliorer sa situation politique en France.».

En définitive, on peut raisonnablement conclure que la position de Sarkozysur Laurent Gbagbo et Kadhafi était biaisée. Il a usé et abusé du statut depuissance de son pays et de son influence dans le monde pour créer enLibye et en Côte d’Ivoire un épouvantable désordre.

6. Virage sécuritaire de François Hollande

Il hérite du fiasco de la politique africaine de Sarkozy, notamment enLibye et en Côte d’Ivoire. Connaissant peu l’Afrique, il n’échappe pas, luiaussi, au début de son quinquennat (2012-2017), à la règle qui consistepour chaque nouveau président français, à promettre la fin des réseauxparallèles qui dominent depuis les années « 60 », en toute opacité, lesrelations franco africaines.

6.1 Engagement militaire en Centrafrique et au Mali

Sous Hollande, cet engagement s’explique principalement par le risque departition du Mali et la crainte de voir se produire en Centrafrique ungénocide. En 2012, le président de Centrafrique, François Bozizé demandeurgemment à Hollande d’agir pour contrer la rébellion Séléka, composéeessentiellement de musulmans, qui était sur le point de s’emparer de

financements libyens de sa campagne de 2007.

27 Le Monde, « Royaume-Uni : des parlementaires mettent en cause la décision de Londres d’intervenir en

Libye»,14 septembre 2016.

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Bangui, la capitale. Bozizé est ensuite renversé et Michel Djotodia,musulman, est installé comme président. Cette situation fera révolter lesmilices d’autodéfense chrétiennes, les « anti-balakas », qui engagerontcontre la rébellion Séléka, un combat meurtrier. Le combat est d’ordrepolitique et confessionnel, avec un risque accru de génocide dans le pays.Avec le feu vert de l’ONU, la France lance l’opération Sangaris, de 2013 à2016, en vue de pacifier et de stabiliser le pays.

En Centrafrique, les raisons de l’intervention française sont apparemmentplus humanitaires qu’économiques. «Bien que Paris y soit le premierinvestisseur, les intérêts économiques français en Centrafrique sontdésormais peu importants. Les échanges commerciaux s'élèvent à à peine50 millions d’euros. A part France Télécom qui s’est installé à Bangui en2007 et l’inévitable Bolloré (qui gère le terminal porte-conteneurs du portde Bangui), les grands groupes français ne s’intéressent plus guère à cepays. Aréva, qui avait signé en 2008 un accord pour l’exploitation d’unemine d’uranium dans l’Est du pays, y a renoncé, après la catastrophe deFukushima » 28. Il y a aussi entre la France et la République Centrafricaineun partenariat de défense signé à Bangui le 8 avril 2010 qui couvre diversdomaines de coopération29. Parmi les domaines retenus par l’article 4, il ya la « Mise en œuvre de toute autre activité convenue d'un communaccord entre les Parties en fonction de leurs intérêts communs ». Cettedisposition offre aux deux gouvernements, une importante marge demanœuvre dans la détermination de tout autre domaine de coopération.Rédigée de manière astucieuse, cette disposition n’interdit pas d’incluredans la coopération, l’assistance à un gouvernement menacé derenversement.

Au Mali et dans toute la bande Sahélo saharienne, le contexte sécuritaires’emballe avec la forte pression militaire des djihadistes qui ne reculentdevant rien. La présence du terrorisme islamique dans cette partie del’Afrique menace les intérêts français. Le laisser faire est donc exclu et laFrance sous Hollande se voit dans l’obligation d’agir pour éliminer le mal àla source. En 2013, Hollande lance l’opération « Serval » pour sauver leMali d’une partition. Les djihadistes avaient déjà réussi un exploit, enmettant sous leur contrôle, le nord du pays. L’extension du contrôledjihadiste sur l’ensemble du territoire malien et sur les pays voisins, est

28 Vincent Jauvert(Le Nouvel Observateur), « Centrafrique. Pourquoi la France a intérêt à intervenir », 2

décembre 2013.

29 Legifrance., Décret n° 2011-1109 du 16 septembre 2011 portant publication de l'accord entre le

Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République centrafricaine instituant un partenariat de défense (ensemble une annexe), signé à Bangui le 8 avril 2010.

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particulièrement redoutée. En réponse, l’opération « Barkhane » estlancée en 2014 par Hollande. Elle remplace Serval. Dans l’espace Sahélosaharien, Barkhane vise à lutter contre le terrorisme avec l’appui de cinqEtats de la zone : le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie, et leNiger, tous membres du G5 du sahel.

Selon le ministère français des armées, « La stratégie sahélienne de laFrance vise à ce que les États partenaires acquièrent la capacité d’assurerleur sécurité de façon autonome. Elle repose sur une approche globale(politique, sécuritaire et de développement) dont le volet militaire estporté par l’opération Barkhane, conduite par les armées françaises. »30. LeG5 Sahel est institué sur la base d’un accord interétatique conclu le 19décembre 2014 entre ses cinq Etats membres. C’est une organisation quidans ses objectifs fait le lien entre la sécurité (lutte contre le terrorisme etle crime organisé), le développement et la démocratie. Le G5 Sahelsemble pleinement prendre conscience, que sans l’amélioration du niveaude vie des populations et la promotion des droits humains, il serait diificlede lutter efficacement contre le terrorisme et le crime organisé.

En ce qui concerne le Mali en revanche, la principale raison del’intervention française, du moins d’un point de vue militaire, est le risquede transposition en France et dans toute l’Europe, du djihadisme islamiqueprésent dans ce pays et dans l’espace sahélo saharien. Selon la revuestratégique de défense et de sécurité nationale (2017) « la contraction del’espace géopolitique, résultat de l’accroissement des interdépendances,facilite la propagation rapide des effets des crises, mêmes lointaines,jusque sur le continent européen »31. En ce qui concerne l’espace sahélosaharien, poursuit la revue, il est « porteur d’enjeux prioritaires pour laFrance en matière de lutte contre le terrorisme ». Car cette zone« connaît un risque d’enracinement durable des mouvances djihadistes ».Ce qui s’y passe représente une menace réelle pour la sécurité de laFrance et de l’Europe.

Après la suspension le 3 juin 2021 de sa coopération militaire avec le Mali,à la suite du deuxième coup d’Etat du colonel Assimi Goïta, la France, parréalisme, n’avait pas d' autre choix que de reprendre cette coopération.Ce qui fut fait le 2 juillet de la même année pour des raisons sécuritaires.Selon un communiqué du ministère français des armées, la « France adécidé la reprise des opérations militaires conjointes ainsi que desmissions nationales de conseil, qui étaient suspendues depuis le 3 juin

30 Ministère des armées, « Opération Barkhane ». 31 République française (Vie publique), « Revue stratégique de défense et de sécurité nationale », 2017.

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dernier. Ces deux piliers sont essentiels à l’autonomisation des forcesarmées maliennes et continueront d'être renforcés. Les groupesterroristes ont pour objectifs l'établissement, sur l'ensemble de l'Afriquede l'Ouest, de l'islamisme radical ainsi que la régression des libertés etdes droits humains. La France reste pleinement engagée, avec ses alliéseuropéens et américains, aux côtés des pays sahéliens et des missionsinternationales, pour s'y opposer.»32.

Finalement, Hollande s’est aussi retrouvé dans le piège de la Françafriquemalgré sa promesse de rompre avec elle. Il recevait à l’Elysée lesautocrates africains parce qu’il avait besoin d’eux pour conduire sapolitique sécuritaire en Centrafrique et dans le Sahel. Face à l’impuissancede l’Union africaine et à l’indifférence de la communauté internationale, ilconvient cependant de reconnaître que l’intervention de François Hollandefut déterminante pour éviter la partition du Mali et le pire en Centrafrique.

7. Emmanuel Macron, homme de parole ?

Dès son installation en mai 2017 à l’Elysée, Macron à son tour, n’échappepas à la règle. Il avait aussi promis la rupture dans les relations franco-africaines. Il a tenu certaines promesses, comme la restitution des œuvresd’art africain, la mise en place d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique etl’élucidation du rôle de la France dans le génocide rwandais. Sur lesquestions de sécurité et du respect des principes démocratiques enrevanche, il fait preuve d’un certain réalisme.

7.1. Promesses de Macron à Ouagadougou

Le 28 novembre 2017 à l’Université de Ouagadougou, Macron annoncequ’il prendra ses distances vis-à-vis des conflits politiques en Afrique. « Jesuis d’une génération où on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doitfaire, quelles sont les règles de l’Etat de droit mais où partout onencouragera celles et ceux qui en Afrique veulent prendre leursresponsabilités, veulent faire souffler le vent de la liberté et del’émancipation comme vous l’avez fait ici »33. Plus loin, il poursuit « Leprésident de la République française n’a pas à expliquer dans un paysafricain comment on organise la Constitution, comment on organise desélections ou la vie libre de l’opposition. Je n’attends d’ailleurs pas celad’un président africain pour ce qui concerne l’Europe». Son discours laisse

32 Ministère des Armées «Communiqué Reprise de la coopération opérationnelle entre l’opération Barkhane et

les Forces armées maliennes du 2 juillet 2021.

33Elysée, discours du président Macron à Ouagadougou.

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penser que le respect de la démocratie et de l’Etat de droit en Afrique nefigure pas dans son agenda.

Ainsi, pour ce qui est de la rupture avec la culture du secret, Macron apromis de rendre publiques les informations sur les circonstances de lamort de Thomas Sankara. «Tous les documents produits parl’administration française pendant le régime de Sankara et après sonassassinat seront déclassifiés et pourront être consultés par la justiceburkinabè.»34. Un an plus tard, poursuit le Monde, « un premier volet« des archives des ministères des affaires étrangères et de la défense » aété transmis, par voie diplomatique, au juge d’instruction militaire encharge du dossier ». Un deuxième lot provenant « de la présidencefrançaise » doit suivre dans les semaines à venir, indique l’entouraged’Emmanuel Macron».

L’autre promesse de Macron était la restitution des œuvres d’art africainspoliées pendant de la colonisation. Il déclare en substance : «Je veuxque d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutionstemporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique.»35. Il convientde rappeler que cette promesse est intervenue à un moment où certainesvoix se faisaient entendre sur la nécessité de réparer le tort historique quia consisté à vider l’Afrique de ses objets d’art. En juillet 2016, legouvernement béninois a officiellement demandé le « retour, au Bénin,des objets précieux royaux emportés par l’armée française lors de laconquête de novembre 1892.»36.

Un an après le discours de Ouagadougou, le rapport sur la restitution desbiens culturels africains localisés en France est remis au présidentEmmanuel Macron, le 29 novembre 201837. Dans leurs recommandations,les auteurs du rapport proposent la restitution rapide des objets acquisdans des conditions jugées anormales, notamment par la force, en troisétapes : La première s’étend de 2018 à 2019, la deuxième, de 2019 à2022 et la troisième, à partir de 2022. Toutefois, quelques obstacles

34 Sophie Douce, (le Monde) « Mort de Thomas Sankara : les premières archives françaises transmises au

Burkina », 17 décembre 2018.

35 Philippe Hansen (le Monde) « Restituer le patrimoine africain nécessite de concilier un objectif moral et une

évolution respectueuse de la loi », 11 novembre 2019.

36 Nicolas Michel (Jeune Afrique), « Art classique: le Bénin réclame à la France des pièces de son patrimoine »,

17 août 2016.

37 Le «Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » est

produit par deux universitaires (Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ) .

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juridiques (principe d’inaliénabilité des collections publiques) s’opposaientà la restitution. D’où la recommandation de réviser le code du patrimoinefrançais, en y insérant la disposition suivante: « Un accord bilatéral decoopération culturelle conclu entre l’État français et un État africain peutprévoir la restitution de biens culturels, et notamment d’objets descollections de musées, transférés hors de leur territoire d’origine pendantla période coloniale française ». Malgré l’opposition en France de certainsmilieux conservateurs au retour de ces objets d’art dans le continentafricain et contrairement à la pratique suivie en la matière par sesdifférents successeurs, Macron tiendra sa promesse38. Il restituera auSénégal en novembre 2019, le sabre d’El hadj Oumar Tall et au Bénin enjanvier 2020, vingt-six objets d’art. Pour surmonter les obstaclesjuridiques qui se dressaient sur le chemin de la restitution, songouvernement fera adopter par l’assemblée nationale, le 24 décembre2020, une loi relative à la restitution de biens culturels à la République duBénin et à la République du Sénégal39. L’article 1er de cette loi prévoit que«Par dérogation au principe d'inaliénabilité des collections publiquesfrançaises inscrit à l'article L. 451-5 du code du patrimoine, à compter dela date d'entrée en vigueur de la présente loi, les vingt-six œuvresprovenant d'Abomey conservées dans les collections nationales placéessous la garde du musée du quai Branly-Jacques Chirac, dont la liste figureen annexe à la présente loi, cessent de faire partie de ces collections.L'autorité administrative dispose, à compter de la même date, d'un délaid'un an au plus pour transférer ces œuvres à la République du Bénin ». Ason article 2 concernant le Sénégal, elle prévoit la même disposition40.

7.2. Discours ambivalent de Macron dans les crises politiques africaines38 Une des figures représentative de cette opposition est Emmanuel Pierrat, avocat et auteur du livre « Faut-il

rendre des œuvres d’art à l’Afrique? » publié en octobre 2019 aux éditions Gallimard. Dans une de ses interviews dans le journal le Figaro, le 13 décembre 2019, il s’en prenait ouvertement à la méthodologie de Savoy et Sarr dans l’élaboration de leur rapport. Il estime en effet que : « Le propos de ce rapport est simple: tout ou presque doit être restitué, et ce dans un délai très court. Les objets des collections publiques françaises sont présumés avoir été pillés, volés, quelles que soient les situations (faits militaires et missions scientifiques étant mis au même plan) dans un renversement de la charge de la preuve que nul n’avait ainsi osé esquisser auparavant. Les dons faits aux musées après 1960 seraient de même entachés d’un passé forcément colonial-coupable ».

39 Loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et

à la République du Sénégal.

40Un pays comme la Guinée est aussi fondé à réclamer à la France la restitution de ses biens culturels. En effet,

sept objets d’art appartenant à la Guinée sont répertoriés par le rapport de Bénédicte Savoy et de Felwine Sarr(page 204) : 1. Monnaie guinzé de 19 siècle, 2. Ensemble de monnaies guinzé de 20 siècle, 3. Modèle depirogue avant 1878, 4. Siège Cariatide (1751-1800 ?), 5. Statuette femme avant 1880, 6. Lance avant 1881, 7.Lance avant 1881.

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Dans quatre pays de l’Afrique de l'ouest, des crises politiques de natureconstitutionnelle se sont posées. Les positions contradictoires d’EmmanuelEmmanuel Macron dans des situations quasi similaires, ont fait douterplus d'un sur le respect de ses engagements de neutralité pris àOuagadougou. Mais aussi sur la cohérence de certains aspects de sapolitique africaine.

Alors qu’il s’engageait à Ouagadougou à ne pas se mêler des questionsconstitutionnelles des pays africains, on l’a pourtant vu formuler en 2020des critiques sur la réforme constitutionnelle engagée par le présidentguinéen, Alpha Condé. Il a jugé que ce dernier « a organisé unréférendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoirgarder le pouvoir»41. Il ne le félicitera pour sa réélection que le 30novembre 202042.

Au même moment, il jugeait recevables, les justifications avancées par leprésident ivoirien, Alassane Ouattara, pour briguer un troisième mandat43.Il y a là de toute évidence une politique de deux poids, deux mesures. Eneffet, dans la balance française, la Guinée et la Côte d’Ivoire n’ont pas lemême poids pour des raisons géostratégiques, historiques etéconomiques. A la différence de la Côte d’Ivoire, la Guinée n’abrite pas debase militaire française et ne fait pas partie de la zone FCFA. Autrement,les relations de proximité qui existent entre la France et la Côte d’Ivoiresont plus fortes. La France tient, comme à la prunelle de ses yeux, à lastabilité politique et sociale de la Côte d’Ivoire, cette copie rêvée de sonmodèle de décolonisation en Afrique.

La Guinée quant à elle demeure encore, malgré la normalisation de sesrelations avec la France depuis 1978, une exception dans son dispositif enAfrique. Tout en préservant l’essentiel avec la Guinée, Macron pouvait sepermettre une certaine liberté de ton avec ce pays, traditionnellementrécalcitrant à l’influence française. Pour preuve, Alpha Condé, lors de laConférence internationale sur l’émergence de l’Afrique tenue en mars2017 à Abidjan, invitait les africains « à couper le cordon ombilical avecla France »44De Sékou Touré à Alpha Condé, en passant par Lansana

41RFI, 20 novembre 2020.

42 Agence Ecofin, « Guinée : après l’avoir critiqué, Emmanuel Macron finit par féliciter Alpha Condé pour sa

victoire à la présidentielle », 1er décembre 2020.

43Jeune Afrique, « Pourquoi Emmanuel Macron n’a pas félicité Alpha Condé pour sa réélection », 1er décembre

2020.

44 Le Monde, 30 mars 2017.

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Conté, et éphémèrement par Dadis Camara, la politique étrangèreguinéenne est restée constamment orientée vers la Russie, héritière del’Union soviétique et la Chine, pays avec lequel elle a établi depuis le 4octobre 1959 des relations diplomatiques. Toutefois, avec la mise à l’écartdu président Alpha Condé à travers un coup d’Etat intervenu le 5septembre 2021, la Russie et la Chine perdent un allié de poids en Afriquede l’ouest. Mais il n’est pas certain, compte tenu des relations historiqueset économiques entre la Guinée et ces deux nations, que leurs relationsconnaissent un recul.

La deuxième crise politique ayant donné lieu à une autre ambivalencedans le discours de Macron est sa prise de position dans l'accaparementpar la force, du pouvoir au Mali et au Tchad. Le 25 mai 2021, le colonelAssimi Goita au Mali réussit par un coup de force à neutraliser Bah N'dawet Moctar Ouane, respectivement président et premier ministre pour« sabotage de la transition ». Quelques mois avant, le 18 août 2020, lemême Goita avait écarté Ibrahim Boubacar Keita, présidentdémocratiquement élu du Mali. Jugeant le deuxième coup de forceinadmissible, le président Macron décide en juin 2021 de mettre fin àtoute coopération militaire avec les nouvelles autorités maliennes. Mais lemois suivant, il est revenu sur sa décision.

Alors qu’il faisait preuve de beaucoup de fermeté envers le Mali, Macrons’accommodait bien de la transmission quasi dynastique du pouvoir auTchad. En effet, après l’assassinat d’Idriss Deby Itno le 20 avril 2021 parses opposants, son fils, Mahamat Idriss Deby, lui succèdera à la tête duTchad, sans pour autant que Paris n’émette la moindre critique sur laviolation des principes démocratiques.

7.3. Conseillers de Macron sur l’Afrique ?

Avant d’être président, il connaissait très peu l’Afrique où il a rarementséjourné. La presse évoque un stage de 6 mois effectué au Nigeria en2002 lorsqu’il était à l’ENA et un bref séjour en Algérie. Devenu président,un dispositif, officiel et non officiel, animé par des hommes et des femmesde confiance, proches de lui, le conseille dans sa politique africaine.

7.4. Conseil présidentiel pour l’Afrique, le « CPA », une structurenon officielle

Mise en place en août 2017, cette structure indépendante est aussi le fruitd’une promesse de campagne de Macron. Elle est composée de

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personnalités issues de la société civile et du monde des affaires. Sonobjectif est d’apporter à Macron un éclairage original des relations franco-africaines, différent mais complémentaire de celui des professionnels, enparticulier les politiques et les hauts cadres de l’administration. Sonvéritable rôle est de « relayer au président français les attentes de lajeunesse du continent et de prendre le pouls de la diaspora africaine »45.Depuis sa création, la coordination des activités du CPA est assurée pardes personnalités venues d’Afrique et proches de Macron. Le premier estle franco béninois Jules-Armand Aniambossou, de la même promotion quelui à l’ENA, la promotion Léopold Sédar Senghor (2002-2004).

Ancien ambassadeur du Benin en France, Jules-Armand assume désormaisles mêmes fonctions en Ouganda. Son successeur depuis 2019 est unautre franco béninois, Wilfrid Lauriano do Rego, expert-comptable, associédu Cabinet KPMG France. Les autres membres du CPA, une majorité defemmes, d’origine africaine sont des personnes talentueuses sansappartenance politique connue. Concernant ses activités, le CPA sepréoccupe plus des questions liées aux affaires, à la santé, à la place et aurôle de la diaspora africaine, que des questions politiques.

7.5. Structures officielles

Le rôle de conseiller politique auprès de Macron sur l’Afrique reste encorel’apanage des structures officielles de son gouvernement, en particulier leconseiller Afrique de l’Elysée et le ministère de l’Europe et des affairesétrangères. A l’Elysée, ce rôle est tenu par Franck Paris, conseiller Afriquede Macron. Franck Paris est aussi un camarade de promotion de Macron àl’ENA. Il est réputé pour sa grande discrétion et sa très bonneconnaissance de l’Afrique et des rouages de l’Union européenne àBruxelles. Il fut le conseiller sur les questions africaines de Jean-Yves LeDrian, ministre de la Défense sous Hollande. Franck Paris incarne unenouvelle génération, plus ouverte et engagée à faire évoluer les relationsfranco-africaines à travers la vision de Macron.

Ensuite, il y a Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affairesétrangères depuis 2017. Avant d’occuper ce poste, il était ministre de ladéfense sous Hollande. Principal responsable de la mise en œuvre del’engagement militaire français décidé par Hollande en Centrafrique, auMali et dans le Sahel, Le Drian est devenu un interlocuteur clef de lapolitique franco-africaine. En ce qui concerne la politique africaine, sonministère, celui de la défense, avait presque ravi la vedette au ministère45Yassin Ciyow (le Monde), « Le Conseil présidentiel pour l’Afrique fait son grand débat », 26 février 2019.

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des affaires étrangères alors dirigé par Laurent Fabius. Proche des chefsd’Etat africains et franc-maçon comme la plupart d’entre eux, Le Drian aréussi à mettre en place son propre réseau qui lui a valu l’appellation«Monsieur Afrique » de Hollande. C’est lui qui est désormais, depuisl’arrivée de Macron, le ministre des affaires étrangères.

Depuis le départ de Le Drian du ministère de la défense, celui-ci est dirigépar Florence Parly. En Afrique, cette diplômée de Sciences Po Paris et del’ENA œuvre à donner corps à la stratégie de la multilatéralisation del’action militaire en particulier dans le Sahel auprès des partenaireseuropéens et américains de la France.

7.6. Action de Macron dans le Sahel

Dans cette région, Macron a hérité d’une situation explosive par rapport àlaquelle, il lui était quasiment impossible de faire demi-tour. La présencedes djihadistes dans le Sahel constitue en effet une menace réelle pour lasécurité de la France et de l’Europe. Il poursuivra les efforts entrepris parson prédécesseur, Hollande. Dans le discours qu’il a prononcé àl’ouverture de la conférence des ambassadeurs en 2017, il dira que : « Ladécision de mon prédécesseur d’engager rapidement la France au Mali,plus largement au Sahel, a été l’honneur de notre pays et une bonnedécision. Cela reste un impératif »46. Il poursuit : « Nous devonségalement éviter que s’établissent en Afrique, en particulier au sud desfrontières de l’Algérie et de la Libye, les bases arrières devenues zonessanctuaires pour le terrorisme islamiste ».

Après la première victoire de l’armée française contre les djihadistes en2013 à travers Serval, la situation semble s’enliser sur le terrain quelquesannées après. En effet, « L’intervention française de 2013 avait créél’impression d’une victoire sur les djihadistes, qui avaient alors commisl’erreur stratégique de privilégier une lutte frontale contre des arméesconstituées. La force de frappe française les avait lourdementdésorganisés. Nombre de leurs leaders avaient ensuite été éliminés. Maisles groupes, à fort ancrage local, voire ethnique, se reconstituent et necessent depuis de gagner du terrain jusqu’à menacer lourdementl’équilibre fragile du Burkina Faso voisin. »47.

46 Elysée, le 15 août 2017.

47 Nathalie Guibert et Christophe Châtelot (le Monde) « Au Sahel, l’action militaire contre les djihadistes montre

ses limites », 29 novembre 2019.

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Ainsi, Macron est confronté à différents défis : des soldats français sonttués dans la région, on y assiste à une montée en puissance du sentimentanti français et les américains depuis l’année 2020 entendent se retirer duSahel48. A cela s’ajoutent les coups d’Etat à répétition au Mali, l’assassinatd’Idriss Itno Deby, un important allié de la France dans la région etl’incapacité du G5 Sahel de contrer la menace terroriste. Le franconigérien et chercheur au CNRS, Jean-Pierre Olivier de Sardan, estime que« L’armée malienne est un grand malade et les armées burkinabé etnigérienne ne sont pas préparées à ce type de guerre asymétrique, fautede stratégie, de chaîne de commandement compétente, de matérieladapté et de forces spéciales. De ce fait, et aussi en raison de l’absencede financements internationaux, le G5 Sahel, qui constitue la seulealternative crédible à la force « Barkhane », n’est pas prêt à prendre larelève »49.

Ces défis expliquent largement l’évolution de la stratégie de Macron dansla région. Cette évolution semble se faire dans deux directions. Lapremière est l’adaptation de la présence militaire française à l’importancede la menace. A observer de près l’évolution de l'action militaire françaisedans le Sahel, on se rend compte que la stratégie de Macron estprincipalement basée sur l'importance de la menace. Tant que la menaceterroriste dans le Sahel est jugée sérieuse, il aura tendance à y maintenirun dispositif militaire conséquent. Ce dispositif pourrait certes connaîtrequelques ajustements, comme c’est le cas de la force Barkhane depuis lemois de juin 2021, mais il sera difficile dans le court terme d’envisager,sauf par extraordinaire, sa disparition50.

Cette perception est confirmée par Macron au cours de la conférence depresse conjointe avec Mohamed Bazoum, président du Niger51. Dans sespropos liminaires, il indiquait que la présence militaire française dans leSahel « s'articulera autour de deux missions. La première consistera àpoursuivre la neutralisation et la désorganisation du haut commandementdes deux organisations ennemies. La deuxième mission se concentrera

48 Le Monde avec Reuters, « Retenir l’armée américaine au Sahel, la mission de Florence Parly aux Etats-Unis »,

27 janvier 2020.

49 Jean-Pierre Olivier de Sardan (le Monde), « Les pays du Sahel ne sont pas aujourd’hui à même de prendre en

main leur propre défense », 26 janvier 2020.

50 Francetvinfo Afrique, « Opération Barkhane : Emmanuel Macron annonce un "ajustement" des troupes au

Sahel », 19 janvier 2021.

51 Cette conférence faisait suite au Sommet du G5 Sahel tenu le 9 juillet 2021 par visioconférence.

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sur l'appui à la montée en puissance des armées de la région, largemententamée à travers plusieurs missions historiques (…) ».

La seconde orientation de la stratégie de Macron porte surl’européanisation de l’action militaire dans le Sahel. Cette stratégiesuppose la montée en puissance de la Task Force Tabuka mise en place enjanvier 2013. Officiellement, Tabuka « a pour mission de conseiller,d’assister et d’accompagner au combat les unités conventionnellesmaliennes dans la lutte contre le terrorisme. Elle est intégrée à l’opérationBARKHANE »52. Au cours de sa conférence de presse, il déclarait que « LaTask Force Takuba aura donc une mission de lutte contre le terrorisme.Elle s'inscrira dans un partenariat étroit et elle sera coordonnée depuis leposte de commandement de Niamey avec les armées du G5 Sahel. Elleaura une nation cadre, un État cadre, la France, et elle agrègera plusieursnations partenaires. Nous avons d'ores et déjà, aux côtés de la France,neuf partenaires européens. Nous avons sollicité plusieurs autrespartenaires non-européens et nous sollicitons sur des missions d'appuides partenaires africains ».

8. Bilan des relations franco-africaines

D’après ce que l'on peut en conclure, la décolonisation, dans lacompréhension du général de Gaulle fut en réalité une forme derecolonisation de l’Afrique francophone à travers deux supports juridiques.Le premier est la constitution de 1958 qui mettait en place, à vrai dire,une fédération appelée communauté franco africaine, ayant pour centrede gravité la France. Dans la communauté, la présidence française avaitl’exclusivité dans tous les domaines sensibles d’un Etat : la monnaie, ladéfense, la diplomatie, les ressources naturelles, etc. L’idée derrière lacommunauté était que les pays africains devaient encore apprendre sousle manteau français à être des Etats indépendants. C’est ce que refusa laGuinée, en optant directement pour son indépendance en 1958.

Le second support juridique est la loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin1960. Cette loi ouvre la porte à la coopération tous azimuts entre laFrance et ses anciennes colonies. Pour la France, le but est d’avoir uncontrôle décisif sur l’évolution des Etats de l’Afrique francophone. Lesaccords de défense et les accords monétaires mis en place permettentalors à la France d’atteindre ce but.. C’est à ce stade que la Françafrique,ce redoutable réseau parallèle des relations franco-africaines prend toutesa place et son importance.

52Ministère des Armées (France). « Barkhane : Les SIC arment la Task Force TAKUBA », 12 mai 2021.

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Autant elle permet à la France d’asseoir son influence en Afrique, autantelle assure aux chefs d’Etats africains inscrit dans les réseaux parallèles, lapérennité au pouvoir, même au prix d’un génocide comme cela a été vuau Rwanda. Tout ceci montre que les supports juridiques de larecolonisation de l’Afrique se sont construits avec l’assentiment decertains décideurs africains. Ceux-ci voyaient et continuent de voir dans larelation spéciale avec la France, une garantie contre tout risqued’éviction.

Les successeurs du général de Gaulle, sans exception, sont restés fidèles,chacun à sa manière, à cette forme de recolonisation par voie d’accordsde coopération. Dans les faits, la France n’a jamais cessé de considérerl’Afrique francophone comme sa propriété, sa chose. Toutefois, le lien decondescendance généré par ces accords de deuxième génération estaujourd’hui sous une forte pression pour diverses raisons. On peut citer lechangement générationnel en Afrique, le déséquilibre entre les ambitionset les moyens de la France dans le continent noir, l’intérêt croissant de laChine, de la Russie et de la Turquie pour l’Afrique, la montée en puissancedu sentiment anti français en Afrique francophone, le processus dedissolution du FCFA, etc. Ces facteurs justifient amplement un profondchangement dans les relations franco-africaines.

Pour les prochaines étapes, il convient d’envisager dès maintenant lessupports juridiques de troisième génération comme moyens d’équilibredes relations franco-africaines. Le sentiment d’une indépendance pluscomplète à travers la révision des accords de défense est une forteattente des populations africaines, surtout de la jeunesse. Ces accordsdevraient être extirpés de toutes les dispositions, qui ont longtemps servide fondement aux interventions unilatérales de la France en Afrique. Larevue des accords monétaires devrait aussi donner aux africains, laplénitude de leur souveraineté monétaire. Les supports juridiques detroisième génération devraient également être orientés vers la promotionde la démocratie, des droits humains, de la transparence dans la gestiondes affaires publiques, de la science et de la technologie et d’undéveloppement durable. A ceux-ci, s’ajoutent la lutte contre le terrorisme,le crime organisé et la défense de la langue française dans le respect desidentités de chaque pays de l’espace francophone.

Pour finir, disons que l’idée d’accords de troisième génération est plus quejamais d’actualité entre la France et l’Afrique

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B) Deuxième partie : Menaces à l’influence française en Afrique francophone

1. Menaces internes

En Afrique francophone, une bonne partie d’acteurs socio-politiques estfavorable à un véritablement changement de cap dans les relationsfranco-africaines. Il s’agit d’une jeunesse audacieuse, d'une société civileactive et de certains leaders politiques charismatiques.

1.1. Les acteurs sociaux

La société civile africaine se montre véritablement critique à l’égard de lapolitique étrangère de la France en Afrique, fondée à ses yeux, sur les« réseaux » occultes et le clientélisme. La présence militaire de la Franceen Afrique est aussi au cœur de certaines critiques.Si l’armée française futun moment adulée par les maliens, parce que considérée comme unearmée de libération de leur pays des mains de djihadistes à traversl’opération Serval lancée en 2013, cette armée est désormais perçue parune frange de la population, comme une armée d’occupation.

Cette perception va au-delà du Mali. Elle concerne les autres pays du G5Sahel. Dans ces pays, on assiste à la montée en puissance d’un sentimentanti français au sein des populations désabusées par les attaquesdjihadistes, que l’armée française n’arrive pas encore à contenir. Au Mali,les organisations de la société civile et certains leaders politiques sont aucœur des manifestations où le mot d’ordre est le départ des soldatsfrançais53.

L’artiste malien, Salif Keita, figure emblématique de la musique africaine,accuse ouvertement la France d’être responsable des tueries au Mali, paysdans lequel, estime-t-il, il n’existe aucun djihadiste54. La pression despopulations est telle que le président Macron a dû un moment exiger deschefs d’Etat du G5 Sahel, de larges clarifications sur leur volonté decontinuer ou non la lutte contre l’islam radical à travers l’opération«Barkhane»55.

53 Paul Lorgerie (le Monde), « Au Mali, le sentiment anti français gagne du terrain », 10 janvier 2020.

54 Pascal Lonkou Ye (lefaso) « Insécurité au Mali : L’artiste musicien, Salif Kéita, pointe du doigt la France », 17

novembre 2019.

55 Le Monde, « Macron conditionne la suite de l’opération militaire « Barkhane » à une « clarification » de la

part des pays du Sahel », 4 décembre 2019.

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De façon générale, on note dans le continent, comme l’a révélé lesrésultats du sondage effectué par l’Ichikowitz Family Foundation (IFF)auprès de 4 200 jeunes africains âgés de 18 à 24 ans et originaires de 14pays d’Afrique subsaharienne, la présence d’un sentiment anti français. Aen croire les résultats de ce sondage, ce sentiment est plus marqué chezles jeunes originaires des anciennes colonies françaises que ceux qui ne lesont pas. Les résultats indiquent en effet que « 71% des Gabonais, 68 %des Sénégalais, 60 % des Maliens et 58 % des Togolais ont une mauvaiseopinion de la France, qui fait bien meilleure figure auprès des Ghanéens(97% d’avis favorable), des Éthiopiens (93 %) et des Nigérians (87 %).»56

Force est de constater qu’en Afrique francophone, l’ordre ancien estvivement bousculé par la nouveauté. Il y a comme un décalage manifesteentre la classe dirigeante, composée en grande partie des aînés ayant unsouvenir encore vif des premières heures des indépendances du continent,et l’écrasante majorité des populations, constituée de jeunes. Il s’agitd’une jeunesse décomplexée, informée, connectée aux nouvellestechnologies de l’information et de la communication. Pour elle, la Franceest un pays comme tout un autre et non un modèle de référenceincontournable.Sur le plan purement politique, l’Afrique a toujours compté dans sesrangs, des leaders politiques charismatiques, partisans d’un modèle derelations équilibrées entre la France et l’Afrique. Parmi ces leaders, onpeut citer Ahmed Sékou Touré et Thomas Sankara57. Mais aussi LaurentGbagbo, Paul Kagamé et le jeune leader sénégalais, Ousmane Sonko, denos jours.

1.2. Les leaders politiques charismatiques

1.2.1. Ahmed Sékou Touré

Le 28 septembre 1958, Ahmed Sékou Touré a donné le ton en s’opposantau projet de communauté franco-africaine proposé par de Gaulle. Le moissuivant, le 2 octobre, la Guinée accédait à l’indépendance. Cette démarchedéfiante lui a valu la colère du général de Gaulle. Frédéric Turpin résumebien la situation en disant que «l’ostracisme belliqueux –suppression detoute assistance technique et tentatives de déstabilisations– que subit laGuinée de Sékou Touré à la suite de son « non » à la constitution et doncà la communauté s’explique par cette volonté gaullienne de ne pas

56 Olivier Caslin, (Jeune Afrique) « En Afrique, un sentiment anti-français bien ancré » du 18 décembre 2020.

57 Même décédés, Sékou Touré et Sankara, inspirent de nos jours, bon nombre d’africains.

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immédiatement vider de son sens la construction communautaireproposée aux autres territoires ».

Pourtant, la disponibilité de Sékou Touré après le vote de 1958 deconstituer une association d’Etats libres entre la France et la Guinée sur lefondement de l’article 88 de la nouvelle constitution était entière. Maiscela n’intéressait nullement de Gaulle58. Sékou Touré dû alors se tourner à l’époque vers les pays socialistes.L’Union soviétique viendra conforter la Guinée dans son choix en octroyantà ce pays un prêt de 140 millions de roubles en 1959. De 1960 à 1963,l’assistance soviétique envers la Guinée sera multiforme. Elle va de laconstruction d'une fabrique de conserves de fruits à l’exploitation de rizmécanisée. De la reconstruction de l'aérodrome et du port de Conakry à lamodernisation de l'équipement pour la construction de routes de béton.59

L’enthousiasme des officiels guinéens face à la main tendue de l’Unionsoviétique était à son comble. Après la signature d’un important accord decoopération à Kremlin entre les parties soviétique et guinéenne en 1959,le chef de la délégation guinéenne, en même temps, président del'Assemblée nationale, M. Saifoulaye Diallo, qualifiait la coopération guinéosoviétique de « tremplin qui permettrait à l'Afrique tout entière deconquérir sa liberté »60.

C’est seulement sous Giscard en 1978, qu’on assiste à la normalisationdes relations franco-guinéennes. Malgré tout, la Guinée est restée uneexception dans le dispositif français en Afrique francophone. Lessuccesseurs de Sékou Touré n’ont pas systématiquement remis en causece statut particulier de la Guinée. Le Général Lansana Conté n’était pasune star des sommets France Afrique, le Capitaine Dadis Camara, chef dela junte militaire qui le remplace momentanément à la tête de l’Etat diraque « la Guinée n’est pas une sous-préfecture de la France ». Enfin, lePrésident Alpha Condé, plus intégré que ses prédécesseurs dans lesmilieux politiques français pour y avoir longtemps vécu, se tourne de plusen plus vers les alliés historiques de la Guinée, la Russie et la Chine.Auprès de ceux-ci, il réussit à obtenir des appuis diplomatiques pourmettre à exécution certains de ses projets politiques, mêmes les pluscontroversés, comme la réforme constitutionnelle de 2020. Toutefois,

58 Guia Migani, « Sékou Touré et la contestation de l'ordre colonial en Afrique sub-saharienne, 1958-1963 ».

Monde(s) 2012/2 (N° 2) , pages 257 à 273. 59 Skorov G. L'aide économique et technique de l'URSS aux pays sous-développés. In: Tiers-Monde, tome 1, n°4,

1960. pp. 491-510

60 Le Monde, « Aide soviétique à la Guinée », 26 août 1959.

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depuis le renversement du régime d’Alpha Condé le 5 septembre 2021 parune junte militaire dirigée par le Lieutenant-Colonel Mamadi Doumbouya,la question de l’incidence de ce changement sur les relations entre laGuinée et la France se pose. On se demande, s’il y aura un rééquilibrage,à court et à moyen terme en faveur de la France, compte tenu del’importance des relations de la Guinée avec ses partenaires traditionnelsque sont la Chine et la Russie.

1.2.2.Thomas Sankara

Le 2 octobre 1983, deux mois après la prise de pouvoir par l’armée, lecapitaine Thomas Sankara annonçait lui aussi à son tour les couleurs,dans un ton révolutionnaire. Il affirmait alors que le premier objectif de larévolution Burkinabé est de « faire passer le pouvoir des mains de labourgeoisie voltaïque alliée à l’impérialisme aux mains de l’alliance desclasses populaires constituant le peuple »61. Déterminé, Sankara finissaittoujours ses discours par ce slogan : « La patrie ou la mort, nousvaincrons ! ».

L’exploitation des archives confidentielles de l’ambassade de France àOuagadougou a permis de se rendre compte de l’étendue del’incompréhension entre Sankara et Mitterrand. Le premier accusait lesecond d’être indifférent à sa révolution et de laisser ses opposants lecritiquer ouvertement en France. Il l’accusait également de «complaisancecoupable» pour avoir accueilli en France Pieter Botha en juin 1984 et PikBotha en février 1985, respectivement premier ministre et ministre desaffaires étrangères de l’Afrique du sud, pays où sévissait encorel’apartheid. En 1986, avant de prendre véritablement ses distances vis-à-vis deSankara, Mitterrand le jugera en ces termes : « C’est un hommedérangeant, le capitaine Sankara. [ ] Il ne vous laisse pas la consciencetranquille [ ]. J’admire ses qualités qui sont grandes, mais il tranche trop.Il va plus loin qu’il ne le faut. Je l’encourage mais pas trop. Ce n’est pasparce qu’il y a une jeune équipe dérangeante, quelquefois un peuinsolente, au verbe libre, que nous devons faire moins et nous retirer surla pointe des pieds [ ]. Vous avez 35 ans, j’en ai le double, il vous faudramûrir. »62. A la vérité, Mitterrand était agacé par le dirigeant Burkinabè. Lesévénements se précipitèrent et le 15 octobre 1985, Sankara est assassiné61 Thomas Sankara (2 octobre 1983), Discours d’orientation politique.

62 Frédéric Lejeal (Jeune Afrique), « Sankara et la France : secrets de famille », 22 octobre 2007.

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dans son pays à un moment ou ses relations avec les principaux alliés dela France dans la sous-région, la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boignyet le Togo de Gnassingbé Eyadéma, étaient exécrables. Le capitaine BlaiseCompaoré qui prend sa place devient pendant 27 ans, l’un des plus grandsalliés de la France en Afrique. Ceci, jusqu’ au 31 octobre 2014, date deson renversement par un mouvement populaire, radicalement opposé à satentative de modifier la constitution pour se maintenir au pouvoir63.

1.2.3.Laurent Gbagbo

Il fut un opposant historique à Félix Houphouët-Boigny, un pion sûr de laFrançafrique. Présidant aux destinées de son pays dans un contexte decrise politique majeure, de 2000 à 2010, Gbagbo, homme de gauche etnationaliste, était un contestataire émérite du leadership français en Côted’Ivoire. Considérée comme la « vitrine » de la France en Afrique, il étaitdifficile pour la France de laisser prospérer en Côte d’Ivoire, un pouvoirouvertement hostile à ses intérêts économiques et politiques.

Gbagbo avait aussi des griefs contre la France. Il a accusé Jacques Chirac,lors de la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002 contre sonrégime, de ne pas avoir apporté son assistance à l’armée ivoirienne envertu d’un accord de défense, datant des années « 60 », liant les deuxpays. Avec Chirac, la rupture totale viendra le 6 novembre 2004, après lebombardement d’une base militaire française dans la ville de Bouaké,tuant neuf soldats français et un civil américain64. Dans son verdict du 15avril 2021 sur cette affaire, la cour d’assises de Paris condamnera à laréclusion criminelle à perpétuité, les trois accusés poursuivis : deuxaviateurs ivoiriens (un serait déjà mort et l’autre couvert par une loid’amnistie) et un mercenaire biélorusse (jusque-là introuvable).

L’arrivée de Nicolas Sarkozy aux affaires après Chirac n’arrangera pas nonplus les choses. Dans un extrait de son livre entretien rédigé par lejournaliste français, François Mattei, Gbagbo, encore dans les griffes de laCour pénale internationale à la Haye, revient sur les moments forts de son

63 Jeune Afrique, « la lettre de François Hollande qui mettait en garde Blaise Compaoré », 30 octobre 2014.

64 Jean-Philippe Rémy et Jean-Philippe Rémy (le Monde) « WikiLeaks : les mystères du bombardement du camp

français de Bouaké en Côte d'Ivoire » du 15 décembre 2010. Après des années d’attente, expliquent les auteursde l’article, c’est le 29 mars 2021 que s’est ouvert en France, le procès des présumés responsables de ce bombardement devant la cour d’assises de Paris. Mais un mystère entoure certains aspects importants de cetteaffaire. En effet, selon un « mémo» obtenu par Wikileaks, les pilotes (biélorusses) des deux Soukhoï impliqués dans le bombardement de la base militaire française ont été arrêtés par l’armée française avant que celle-ci ne les autorise de se rendre au Togo.

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inimitié avec Sarkozy. Il déclare à cet effet que « Sarkozy ramène tout àlui. (…) Il était l’ami de Ouattara et il ne m’aimait pas, je l’ai toujours su.(…) Chez lui, à la place des idées, il y a l’arrogance. Georges W. Bushétait le symbole achevé de ce type d’homme. Ce sont des hommes sanspensée profonde. C’est dans cette catégorie que je classe Sarkozy. OuVillepin. Des arrogants, qui utilisent leur arrogance en lieu et place de lapensée. C’est comme cela qu’ils croient montrer que la France est grande,alors qu’ils prouvent seulement qu’elle est devenue petite »65 .

Le 28 novembre 2010, alors que le territoire ivoirien était divisé entre lesforces gouvernementales, pro Gbagbo (au sud) et les forces nouvelles, proOuattara (au nord), les résultats du deuxième tour de l’électionprésidentielle sont donnés dans des circonstances inédites. Selon leMonde, « C’est finalement le président de la CEI qui proclame les résultatsprovisoires, hors du délai de trois jours imparti par la loi électorale.L’annonce est faite à l’Hôtel du golf, le QG d’Alassane Ouattara, la missionde l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci), ayant refusé que cela se déroule chezelle. Alassane Ouattara est déclaré vainqueur avec une avance de 376000 voix »66.

Gbagbo, ne reconnaîtra jamais la victoire d’Alassane Ouattara, candidatpréféré des français, à son avis. Après un bras de fer entre les deux,Gbagbo fut chassé du pouvoir le 11 avril 2011, sous une pluie de tirsnourris par la partie adverse, appuyée par l’armée française67. Lesmalheurs de Gbagbo ne s’arrêtèrent pas le jour de sa chute. Loin s’en faut! Il dû faire aussi face pendant près d’une décennie à de gravesaccusations de crimes contre l’humanité devant la Cour pénaleInternationale dans le cadre du conflit inter ivoirien. Mais il estdéfinitivement acquitté le 31 mars 2021 par la chambre d’appel de cetteCour, sans qu’on ne sache qui est le véritable auteur du massacre des3000 civils ivoiriens pendant le conflit.

En livrant Gbagbo à la Cour pénale internationale, le clan Ouattara et laFrance espéraient sans nul doute le tuer politiquement, l’exclure à jamaisde la vie politique ivoirienne tout en le présentant au monde comme unvulgaire dictateur qui empêche son pays de vivre dans la paix et ladémocratie. La libération définitive de Gbagbo fait non seulement échec à65 Anna Sylvestre-Treiner (Jeune Afrique), « Laurent Gbagbo : de la présidence à la prison, les extraits en

exclusivité de son livre », 12 décembre 2018. 66 Laurent Bigot (le Monde), « Côte d’Ivoire : mais qui a gagné la présidentielle de 2010 ? », 27 mai 2016. 67 Christophe Boisbouvier (Jeune Afrique), « Laurent Gbagbo : le 11 avril 2011, les dernières heures du

président », 26 avril 2011.

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cette stratégie mais elle garde aussi en elle un potentiel de renversementdes cartes politiques dans son pays. Quelques indices permettent denourrir cette réflexion: les élections législatives du 6 mars 2021 ontpermis à sa formation politique, le Front populaire ivoirien (le FPI)d’obtenir huit sièges à l’assemblée nationale, après une absence d’environdix ans de toutes les compétitions politiques. Il y a aussi son retour enCôte d’Ivoire, le 17 juin 2021.

Au final, Gbagbo réussira-t-il à renaître de ses cendres ou préférera-t-ilpasser le témoin à une nouvelle génération dont son fils, Michel Gbagbo,député de la très populaire commune de Yopougon, à Abidjan, faitdésormais partie. Ou encore jouera-t-il le rôle d’un sage comme le luisuggère Alassane Ouattara ? Telles sont les questions auxquelles seul letemps permettra de répondre. Ce qui est évident, depuis son retour enCôte d’Ivoire, Gbagbo ne cesse de faire allusion à son retour sur la scènepolitique. Il se qualifie même de « soldat » au service de son peuple.

1.2.4.Paul Kagamé

Au pouvoir depuis 2000, Paul Kagamé est un véritable contestataire duleadership de la France dans son pays. Depuis qu'il est aux affaires, lefrançais n'est plus la seule langue officielle de son pays. Paul Kagamé estmembre d’une famille de l’ethnie tutsie qui avait trouvé refuge enOuganda pour fuir les persécutions des hutus au Rwanda. Il n’avait quequatre ans à l’époque. Son pays d’accueil lui ouvrira ses portes. Après desétudes secondaires, il rejoint la guérilla de Yoweri Museveni qui réussit às’emparer du pouvoir en 1986, en Ouganda.

Pour le récompenser, Museveni le propulsera à la tête des services secretsde l’armée ougandaise. En 1987, Kagamé s’implique dans la vie de ladiaspora rwandaise en Ouganda, en prenant une part active dans la miseen place d’une organisation politico-militaire, le FPR (Front patriotiquerwandais) dont le but est de chasser du pouvoir, le président hutu,Juvénal Habyarimana, un inconditionnel de la France dans la région.

La tension entre Kagamé et la France remonte à cette époque. Elle seraaggravée après les attaques militaires (les premières) du FPR contre lerégime de Kigali en octobre 1990, avant d’atteindre son sommet en 1994,au cours du génocide des tutsis par le pouvoir hutu. Depuis soninstallation à la tête de son pays en 2000, les relations entre Paul Kagaméet la France sont on ne peut plus exécrables. Autant, il accuse la Francede complicité dans le génocide des tutsis, autant la France aussi l’accused’être un des responsables du fait déclencheur du génocide de 1994.

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En effet, en mars 2004, le juge Jean Louis Bruguière accusait Kagaméd’être responsable de l’attentat qui a coûté la vie au président hutu,Juvénal Habyiarimana. Prenant mal sa mise en cause personnelle, PaulKagamé rompt le 24 novembre 2006, les relations diplomatiques entreson pays et la France. C’est en décembre 2007, lors du sommet Europe-Afrique, que Nicolas Sarkozy tentera de renouer le dialogue avec Kigali, enévoquant « des erreurs et des faiblesses » dans le cadre du génociderwandais. Il a fallu attendre 2009 pour que les relations diplomatiquesreprennent entre les deux pays. Ce réchauffement se traduira par unevisite de Sarkozy à Kigali en 2010, la première d’un chef d’État françaisdepuis le génocide. A son tour, Kagamé effectuera, en 2011, une visited’Etat à Paris68.

La dynamique timidement enclenchée par Sarkozy est renversée parKagamé sous François Hollande. Dans le cadre des préparatifs du 20èmeanniversaire du génocide des tutsis, Kagamé s’en prend ouvertement à laFrance, l’accusant de complicité dans le génocide. Selon l’homme fort deKigali « Les puissances occidentales aimeraient que le Rwanda soit unpays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui présenteraitl’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais c’estimpossible. Prenez le cas de la France. Vingt ans après, le seul reprocheadmissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauverdes vies pendant le génocide »69. L’attaque était si forte que la France aannulé sa participation aux cérémonies de commémoration du 20èmeanniversaire du génocide qui devait se tenir au Rwanda.

Avec Emmanuel Macron, les relations entre les deux pays sont en train deconnaître une certaine relance. Macron a préféré prendre le taureau parles cornes, en mettant en place un comité d’historiens français auquel il aouvert toutes les archives françaises au sujet du Rwanda. Le but était defaire la lumière sur la période tumultueuse qui va de 1990 à 1994. Cecomité qui a rendu son rapport le 26 mars 2021 a conclu aux« responsabilités accablantes » de la France dans le génocide des tutsis.Cependant, le rapport exclut toute complicité de sa part.

Pour Kagamé, «Le rapport montre que les plus proches conseillers duprésident Mitterrand savaient qu’un génocide contre les Tutsi était planifiépar leurs alliés au Rwanda.» « Malgré ces connaissances, le président adécidé de continuer à les soutenir, car il estimait que c’était nécessairepour la position géopolitique de la France. Les vies de Rwandais n’étaient68 Catherine Gouëset (l’express), « Chronologie des relations France-Rwanda (1975-2012) , 11 janvier 2012. 69 « Rwanda (Jeune Afrique) « La France annule sa participation aux commémorations du génocide », 5 avril

2014.

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que des pions dans le jeu géopolitique »70. En réalité, ce que l’homme fortde Kigali semblait attendre de Macron, c’était la présentation des excusesau nom de l’Etat français. Idée, catégoriquement rejetée par certainsresponsables politiques français au moment des faits. Il s’agit notammentd’Edouard Balladur (premier ministre de Mitterrand sous la cohabitation),d’Alain Juppé (ministre des Affaires étrangères), de Dominique de Villepin(directeur de cabinet de Juppé) et d’Hubert Védrine (secrétaire général del’Elysée).

En s’abstenant de présenter des excuses lors de sa visite à Kigali le 27mai 2021, Macron s’est mis sur le même diapason que les prochescollaborateurs de Mitterrand. Kagamé, semble s’en accommoder. Il jugeque les mots prononcés par son hôte « ont plus de valeur que lesexcuses ». Ce qui est évident, entre ces deux chefs d’Etat, il y a unevéritable volonté d’avancer sur le terrain de la réconciliation et de lacoopération économique, malgré certains dossiers non encore réglés,comme celui des présumés génocidaires rwandais qui vivent toujours enFrance.

Repentance ou pas, le génocide rwandais risque de peser, encorelongtemps, sur la conscience française, pays des droits de l’homme et dela démocratie. Cet épisode devrait en principe amener les responsablesfrançais de la politique africaine à revoir en profondeur leurs implicationsdans les affaires intérieures de leurs anciennes colonies. Le monde achangé, l’Afrique avec. Les sensibilités des citoyens sur les questions dedémocratie et des droits de l’homme sont plus que jamais fortes. Letemps de composer exclusivement avec les dirigeants africains dans le dosdes populations locales est révolu. Les mots « rupture », « partenariatentre égaux» et « fin du paternalisme » constamment prononcés par leschefs d’État français qui se succèdent, ne suffisent plus. Il faut des actesforts pour donner du sens à ces mots.

1.2.5.Ousmane Sonko

Ce jeune prodige de la politique sénégalaise secoue l’establishment dansson pays. Macky Sall, le président sénégalais voit en lui un redoutableopposant, car lors de l’élection présidentielle de 2019, il occupe la

70 Le Monde avec AFP (Le Monde), « Génocide des Tutsi : le président rwandais Paul Kagame « salue » le

rapport français »,7 avril 2021.

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troisième place. Mais en 2016, Macky Sall l’avait radié par décret n°2016-1239, des effectifs de la fonction publique pour « manquement au devoirde réserve ». Sonko qui travaillait dans l’administration fiscale menaçaitde faire un grand déballage sur le système de corruption au Sénégal.

Il tirera de cette mise à l’écart une popularité certaine auprès de lajeunesse sénégalaise. En 2017, il est élu comme député à l’assembléenationale sous la bannière d’un parti politique, le Patriotes du Sénégalpour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). Il s’y opposevigoureusement à la politique de Macky Sall. En 2018, il publie un livre« Pétrole et gaz au Sénégal, chronique d'une spoliation », dans lequel, ildresse un sévère réquisitoire contre le système incarné par Macky Sall etson clan. Il les accuse de malversations dans la gestion des ressourcesnaturelles du Sénégal71.

Début 2021, Sonko, fait face à de graves accusations de viol à caractèresexuel sur la personne d’une jeune fille de 20 qui travaille dans un salonde massage. Son immunité parlementaire est levée en février 2021 par unvote majoritaire à l’assemblée nationale. Autant Sonko a cherché àpolitiser son dossier pour éviter la confrontation sur le vilain terrain desmœurs, autant le pouvoir en place cherchait à judiciariser le dossier sur ceseul terrain, dans le but de détruire la réputation d’un rival, qui a le regardrivé sur la présidentielle de 2024.

Sonko dans sa rhétorique ne s’en prend pas seulement à Macky Sall, laFrance aussi est dans son collimateur. Il dénonce l’emprise de Paris surson pays et le FCFA, cette monnaie qui symbolise la perpétuation du liencolonial entre la France et l’Afrique. Même s’il n’accuse pas la Franced’être à l’origine des maux de son pays, il formule vivement le vœu que laFrance prenne ses distances par rapport aux affaires internes du Sénégal.« Il est temps que la France lève son genou de notre cou, qu’elle nousfoute la paix »72 dit-il. Sonko semble refléter dans ses prises de position,l’opinion d’une partie de la jeunesse franco-africaine et de son pays.Partisan d’une relation équilibrée entre la France et son pays, il estimequ’il convient aujourd’hui de « (…) poser la question simplement demanière générale en termes de relations équilibrées avec nospartenaires »73.

2. Menaces externes

71 Seydina Aba Gueye (voaafrique), « Portrait de candidat : Ousmane Sonko, l'étoile montante », 8 février 2019.

72 RFI, « Sénégal: l’opposant Ousmane Sonko repart à l’offensive », 2 juillet 2021.

73 Cyril Bensimon (le Monde), « Au Sénégal, une colère antifrançaise très ciblée », 26 mars 2021.

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Outre les facteurs internes qui mettent à mal l’influence française enAfrique francophone, il existe d’autres facteurs externes qui jouent lemême rôle. Ces facteurs sont incarnés par la Chine, la Russie et laTurquie. A la différence de la France, ces pays qui sont sans passé colonialen Afrique, s’abstiennent de tout discours moralisateur à son égard. Ils necessent de nourrir également dans le continent d’importantes ambitionséconomiques, politiques et géostratégiques.

2.1. Relations sino africaines

Elles débutent officiellement à partir des années « 50 » dans le sillage dela conférence de Bandung. Se réclamant du tiers monde, la Chine et lespays africains commencèrent dès cette année à tisser des relations pourl’avènement d’un nouvel ordre international attentif aux préoccupationsdes pays en développement. Les relations sino-africaines connaissentaujourd’hui un essor politique, économique et sécuritaire sans précédent.

Grâce au dynamisme de son économie, la Chine est présentée «comme laprincipale puissance commerciale mondiale, avec des exportations et desimportations passant de moins de 1 % des flux mondiaux en 1980 àrespectivement 11 % et 9 % en 2017. Elle est devenue la principaleimportatrice de matières premières, notamment le pétrole, le minerai defer, le cuivre, etc. Elle occupe également le deuxième marché mondialpour les biens d’investissement en capital fixe, après l’Union européennemais devant les États-Unis. Elle est devenue le principal marché pour lesvéhicules particuliers »74. Avec de tels avantages, la Chine est «désormais qualifiée de rivale stratégique dans les documents officiels del’administration américaine».

2.2. Afrique francophone au cœur du gigantesque projet chinois «une ceinture, une route »

La Chine considère l’Afrique comme un important marché pour sesproduits mais aussi comme une importante source d’approvisionnementen matières premières pour ses unités industrielles. A travers l’initiative «une ceinture, une route » lancée en 2013 par son président Xi Jingping, laChine est porteuse d’un projet planétaire ayant pour objectif de relier sonéconomie au reste du monde. Cette initiative repose sur cinq principes :ouverture et coopération, harmonie et inclusion, opération basée sur les

74 Patrick Allard (France, Vie publique) « États-Unis / Chine : le choc des puissances économiques », 16 mars

2020.

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marchés, bénéfice mutuel pour les pays participants et absenced’interférences dans les affaires politiques internes.

L’objectif de l’initiative est «de promouvoir le développement économiquerégional à très grande échelle et la prospérité conjointe via descoopérations mutuellement bénéfiques. Sa réalisation se traduit par laconstruction d’un nombre important d’infrastructures (routes, chemins defer, ports, aéroports, centres logistiques, oléoducs, gazoducs, réseaux decâbles de télécommunication) suivant un schéma cohérent et encomplément des réseaux existants. Elle donne lieu à la création, pour lespays en quête de décollage économique, de zones économiques etcommerciales spéciales dont certaines sur le modèle qui a donnénaissance à Shenzhen, à l’instauration d’un cadre juridique etinstitutionnel favorisant les investissements directs et les échangescommerciaux dans les pays participants, et à une stimulation deséchanges culturels et scientifiques »75.

L’initiative chinoise touche déjà l’Afrique francophone à travers le Sénégal.Diverses raisons expliquent le choix porté sur le Sénégal. La toutepremière est la fidélisation d’un pays instable dans sa relation avec laChine. En 1960, le Sénégal a reconnu la Chine avant de changer d’avis en1971. En 1995, il renoue avec Taiwan avant de normaliser, une nouvellefois, ses relations avec la Chine en 2005. A compter de cette date, laChine est devenue le deuxième partenaire économique du Sénégal aprèsl’Union européenne. Les autres raisons tiennent notamment au fait que leSénégal est un pays politiquement stable et économiquement ambitieux àtravers son projet « Plan Sénégal Emergent ».

La Chine «considère le Sénégal comme une porte d’entrée vers la régionde l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal est stratégiquement situé àl’intersection de l’Afrique subsaharienne et saharienne, et le port de Dakarest l’un des ports maritimes les plus grands et les plus efficaces le long dela côte ouest africaine. Le nouvel aéroport de Dakar, inauguré endécembre 2017, rivalise avec celui d’Abidjan et deviendra un hub detransport régional »76.

75 Gengxin Dai, Ke Dai, Meixing Dai ( Observatoire des politiques économiques en Europe de l’université de

Strasbourg), «Initiative « une ceinture et une route » : implications économiques pour l’Union européenne ». N° 39 - Hiver 2018.

76 Adrien Mugnier (Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie), « La ceinture et la route arrivent en

Afrique de l’ouest » consulté le 30 juillet 2021.

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Selon un rapport de la Banque mondiale, la réalisation du projet chinois«pourrait faire reculer la pauvreté modérée (soit un seuil de 3,20 dollarspar jour) au profit de 32 millions de personnes. L’étude estime égalementque les échanges commerciaux pourraient augmenter de 6,2 % à l’échellemondiale, et de 9,7 % pour les économies traversées par les corridors detransport. Enfin, globalement, la hausse du revenu mondial pourraitatteindre jusqu’à 2,9 %. En outre, dans celles à faible revenu plusparticulièrement, les investissements directs étrangers pourraient grimperde 7,6 %. Cependant, pour certains pays, le coût des infrastructures liéesà l’initiative risque de l’emporter sur les gains potentiels »77.

Le succès du projet chinois dépend de certains préalables. Il s’agit enparticulier de réformes ambitieuses dans les pays participants, del’amélioration de la communication et de la transparence des données surla dette et la commande publique. Mais aussi du respect des normessociales et environnementales78.

La Chine est assurément une opportunité à saisir par l’Afrique dans lecadre de la diversification de son partenariat dans le monde. Autant laChine a besoin d’elle pour ses matières premières, autant elle a aussibesoin des capitaux chinois pour son développement. Toutefois, il relèvede la responsabilité des gouvernements africains de s’assurer que lacoopération avec la Chine se construit sur des bases solides : respect desdroits humains, de l’environnement et des normes du travail.

2.3. Présence militaire chinoise en Afrique

Cette présence semble se justifier par les raisons suivantes : La protectiondes investissements chinois, la sécurisation des sourcesd’approvisionnement des industries chinoises en matières premières, laprotection des ressortissants chinois et l’extension de l’influence chinoiseen Afrique.

Divers actes sont posés par la Chine pour donner un contenu concret àcette présence. Premièrement, il y a le Forum Chine-Afrique sur la défenseet la sécurité. Le premier s’est tenu en 2018 à Beijing. Il a permis auxresponsables politiques et militaires des deux parties d’approfondir lesdiscussions sur les contours de leur coopération militaire. Ce forum a étél’occasion pour les responsables militaires des deux parties de discuter dessujets aussi importants que la sécurité régionale et le terrorisme. Il a

77Banque Mondiale (juin 2019), « L’économie des nouvelles routes de la soie: Opportunités et risques liés aux

corridors de transport ». 78 Banque Mondiale(Communiqué) « Le succès de l’initiative chinoise des « nouvelles routes de la soie »

dépendra de la mise en place de réformes profondes », 18 juin 2019.

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aussi permis à l’Armée Populaire de Libération (APL) chinoise de montrerses installations et son matériel militaire aux africains.

Deuxièmement, il y a l’installation en 2017 par la Chine, d’une importantebase militaire à Djibouti, la première à l’étranger. La France qui a aussiune base militaire dans ce pays francophone, « redoute un « effetd’éviction » la reléguant progressivement dans un statut de second ordrerisquant de lui faire perdre son accès stratégique privilégié. Celaperturberait son dispositif militaire régional, Djibouti étant sa seuleplateforme est-africaine d’entraînement et de projection interarmées versl’Afrique, le Moyen-Orient et l’océan Indien. Plus largement, la perceptiond’un déclin de l’influence française en Afrique affaiblirait son rang depuissance mondiale. Dès lors, le maintien d’une clause de sécuritéspécifique et de 1 450 soldats permanents, seuil de crédibilité des FFDj,ainsi que la relative « discrétion » sur les dérives du régime djiboutien nesont pas fortuits »79.

Troisièmement, il y a l’implication financière de la Chine dans certainesopérations de maintien de la paix en Afrique, à travers l’ONU. Selon lesstatistiques onusiennes, la Chine est devenue, sur le plan financier, ledeuxième gros contributeur (15.21%) aux opérations de maintien de lapaix de l’Onu dans le monde après les Etats Unis (27.89%). La Francevenant en sixième position (5.61%), après le Japon (8.56 %), l’Allemagne(6.09%) et le Royaume-Uni (5.79%)80.

Quatrièmement, il y a la présence d'un important contingent chinois auMali à travers la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations uniespour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Créée en 2013, cette mission apour but de soutenir les efforts de stabilisation de ce pays en proie à unecrise politique grave. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans leSahel, la Chine a apporté son soutien financier au G5 Sahel, en versantl’équivalent de 45 millions de dollars à cette organisation81. Sur la luttecontre le terrorisme dans cette zone, Paris et Pékin ont certainement desintérêts convergents82. Malgré le bénéficie commun que la Chine et laFrance pourraient tirer de la lutte contre le terrorisme en Afrique, il n’en

79Geostrategia « Base militaire chinoise à Djibouti : symbole d’un changement de posture stratégique », 8

janvier 2018.

80 Onu, « Comment sommes-nous financés ». Ces statistiques onusiennes couvrent la période 2020-2021. 81 Aboubacar Yacouba Barma (La Tribune Afrique), « G5 Sahel : 26 milliards de FCFA de la Chine pour la force

conjointe », 6 janvier 2019. 82 Sébastien Le Belzic (le Monde), « La France demande à la Chine de l’aider à lutter contre le terrorisme en

Afrique », 8 janvier 2018.

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demeure pas que sur le continent, les deux se positionnement enpuissances rivales.

2.4. La politique africaine de la Chine

« Laisser donc la Chine dormir, car lorsque la Chine s’éveillera le mondeentier tremblera ». La paternité de cette prophétie est attribuée àNapoléon 1er. Ensuite, Alain Peyrefitte en fera le titre de son ouvrage paruen 1974. Depuis quelques années, la Chine s’est effectivement réveillée etle monde, surtout occidental, en tremble.

Les relations de la Chine avec le monde extérieur sont régies par cinqprincipes, dits principes de la coexistence pacifique. Il s’agit du respectmutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ; de la non-agression mutuelle ; de la non-ingérence mutuelle dans les affairesintérieures ; de l’égalité et avantages réciproques ; et de la coexistencepacifique.

La Chine met en œuvre ces principes dans ses relations avec l’Afrique.Continent avec lequel, elle a partagé les mêmes revendications au coursde la Conférence de Bandung en Indonésie, dans les années 50. Présenteà cette réunion à travers son premier ministre Zhou Enlai, la Chine s’étaitalors associée à une des résolutions phares de la conférence, relative à lalutte contre le colonialisme et au non alignement des pays africains etasiatiques sur les deux blocs idéologiques qui dominaient le monde : lecapitaliste et le communiste. Pour la Chine l’esprit de Bandung resteratoujours d’actualité dans ses relations avec l’Afrique83. Ainsi, à ladifférence des puissances occidentales, la Chine ne se préoccupe guère dela nature politique des régimes en place dans le continent africain. Seulesles affaires comptent à ses yeux. Sa coopération avec le continent n’estsoumise à aucune conditionnalité politique, ce qui conforte largement dansleurs positions, les régimes enclins à violer les droits de l’homme et lesdroits des oppositions politiques. Pour Lu Shaye, ambassadeur de la Chineen France et à Monaco depuis 2019 et ancien « Monsieur Afrique » de laChine ayant commencé sa carrière diplomatique en Guinée (Conakry), lesafricains sont contre l’ingérence dans leurs affaires interne84 .

Des années 2000 à nos jours, l’esprit de la Conférence de Bandung s’estdavantage structuré et est désormais incarné par le Forum sur la83 Lan Xinzhen (beijingreview), « L'esprit de Bandung restera toujours d'actualité », 17 avril 2015. 84 Jean-Louis Gouraud (Jeune Afrique) « Les Africains sont contre l’ingérence, les Chinois aussi », 1er décembre

2011.

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Coopération Sino Africaine (FCSA) qui comprend trois niveaux: laConférence ministérielle qui se tient chaque trois ans. Elle rassemble lesministres des affaires étrangères des deux parties et ceux chargés de lacoopération internationale. Ensuite, la réunion de suivi des hautsfonctionnaires qui se tient avant la Conférence ministérielle. Enfin, laréunion préparatoire des hauts fonctionnaires qui se déroule quelquesjours avant la Conférence ministérielle. En juillet 2001, le FCSA s’est dotéd’une « Procédure » relative au mécanisme de suivi de ses décisions. Sonobjectif étant d’évaluer la mise en œuvre de ses décisions.

La première Conférence ministérielle du FCSA s’est tenue à Beijing du 10au 12 octobre 2000. Son objectif était de mettre entre l’Afrique et la Chineun cadre de «consultations sur un pied d’égalité, d’approfondir laconnaissance mutuelle, d’élargir les consensus, de renforcer l’amitié et depromouvoir la coopération ».

Les mécanismes de consultation entre la Chine et les Etats africainsconnaîtront de nouveaux développements depuis 2006, en particulier lorsde la Conférence ministérielle du FCSA à Beijing. Il a été décidé au coursde cette Conférence que les ministres des affaires étrangères africains etchinois des affaires étrangères devaient dorénavant se concerter lorsqu’ilsse réunissent à l’assemblée générale des nations unies.

Avec l’Afrique, la Chine fait feu de tout bois pour plaire et séduire. Dans lecadre de la lutte contre le covid19, la Chine déployé une impressionnantediplomatie sanitaire, en fournissant un important lot de vaccin auxafricains85. Ce n’est qu’en juin 2021, lors du sommet de G7 tenu auRoyaume uni, que les puissances occidentales ont promis de livrer d’ici2022, un milliard de doses de vaccins contre le covid19 dans les pays endéveloppement.

3. Russie et Afrique, la répétition de l’histoire

Héritière de l'Union soviétique, la Russie s’impose aujourd’hui dans lemonde, y compris en Afrique, comme une puissance incontournable qui nese fait pas dicter sa conduite par l’occident. La Russie joue sur diversregistres pour se faire accepter par les Etats africains : l’absence d’unpassé colonial, indifférence aux principes démocratiques promus par sesrivaux occidentaux, engagement à offrir une assistance militaire aux États

85 France Info « Covid-19 : la Chine fournit l’Afrique en vaccins », 20 janvier 2021.

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qui le souhaitent et opposition au sein du Conseil de sécurité des nationsunies, aux sanctions qui visent certains gouvernements africains accusésde violation des principes démocratiques. Derrière son engagement enAfrique, se trouve aussi sa grande ambition de promouvoir ses intérêtséconomiques.

3.1. Du beau temps à la séparation en douceur

Au début des années 60, dans le contexte de la lutte pour ladécolonisation de l’Afrique et de la guerre froide, l’Union soviétiqueapporte son aide militaire, politique et économique à de nombreux jeunesEtats africains, qui avaient fait du socialisme, un choix d’avenir. Ce fut lecas de l’Angola, ancienne colonie portugaise devenue indépendante àtravers le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA)86.

Mais aussi de l’Ethiopie qui à l’issue de la révolution de septembre 1974,mettra fin au règne de son empereur, Hailé Sélassié. L’Union soviétiquevoit dans cette révolution une occasion d’embarquer l’Ethiopie dans lenavire du communisme mais aussi une extraordinaire opportunité derépandre son idéologie dans la corne de l’Afrique. L’introduction desocialisme en Ethiopie permettait de « tester la validité des nouvellesthéories soviétiques sur la meilleure façon de s'assurer que les « Etats àorientation socialiste » du Tiers-Monde se maintiennent sur la voie d'un «développement non capitaliste » et d'une alliance avec l'URSS »87.Mengistu Hailemariam qui s’installe au pouvoir après le renversement del’empereur éthiopien, instaurera dans son pays, un système communisteet une véritable Terreur qualifiée de rouge. Compte tenu de la lassitude deses concitoyens et des bouleversements enregistrés au sein de l’Unionsoviétique sous Gorbatchev, il sera chassé du pouvoir en 1991.

D’autres pays africains, le Mozambique, l’Egypte sous Gamal AbdelNasser, pour ne citer que ceux-là, bénéficieront à leur tour de l’appuisoviétique. En ce qui concerne les pays d’Afrique francophone, on peutciter le Mali, le Bénin, l’Algérie et la Guinée. A ces années d’engagement

86 Le MPLA était soutenu à la fois militairement et idéologiquement par le Cuba et l’Union soviétique contre

l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) soutenue à son tour par l’Afrique du sud et les Etats Unis d’Amérique.87 Legum Colin, « L'Ethiopie : le nouvel allié africain de Moscou ». In: Politique étrangère, n°4 - 1984 - 49ᵉannée.

pp. 873-881.

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de l’Union soviétique dans les Etats africains d’obédience socialiste,succèderont dans les années 90, d’importants bouleversements en Unionsoviétique sous la présidence de Mikhaïl Gorbatchev. La conjonctureéconomique dans l’Union est telle qu’elle commence à s’interroger sur lerapport coûts-avantages de son engagement en Afrique. L’avenir mêmedu communisme en tant que système politique commence à inquiéter. Ason arrivée au pouvoir, Gorbatchev, de 1985 à 1991, mène dans sonpays, de profondes réformes économiques, politiques et sociales, à traversla perestroïka. En lieu et place de la réforme du système, c’est à sonimplosion qu’on assistera le 26 décembre 1991.

3.2. Retour en force de la Russie en Afrique

Il a fallu attendre le tournant des années 2000 pour voir la Russie,héritière de l’Union soviétique revenir en force dans le continent avec unevolonté affichée d’y promouvoir son influence et ses intérêts.

La grande retrouvaille russo-africaine a eu lieu à Sotchi (Russie), les 23 et24 octobre 2019 autour d’une thématique emblématique qui reflètel’ambition de Vladimir Poutine pour le continent: « Pour la paix, lasécurité et le développement». Dans son discours inaugural, Poutineannonce que « le renforcement des relations avec les pays du continentafricain et leurs organisations régionales est l’une des priorités de lapolitique étrangère russe »88. Dans la Déclaration finale de ce premiersommet Russo-africain, d’importantes résolutions sont prises. Il s’agit enparticulier de la mise en place d’un mécanisme de partenariat par dialogueet du renforcement de la coopération dans les domaines suivants:politique, humanitaire, scientifique, technique, sécuritaire,environnemental, commercial et économique.

Sous le chapitre du partenariat par dialogue, le sommet russo-africain deSotchi a décidé d’établir un « Forum du partenariat Russie – Afrique »chargé de coordonner le développement des relations russo-africaines.L’organe suprême de ce Forum est le sommet Russie-Afrique qui setiendra tous les trois ans. Entre les sommets, la Déclaration finale prévoitégalement la tenue en Russie des consultations politiques annuelles entreles ministres chargés des affaires étrangères de la Russie et de l’Afrique.

3.3. Présence militaire de plus en plus affirmée

Sur le plan militaire, la présence russe en Afrique ne se fait plus discrète.En 2020, le Soudan a signé avec la Russie un accord portant installation

88 Discours de Vladimir Poutine à la session plénière du Sommet Russie-Afrique

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d’un «point d’appui matériel et logistique» russe au Soudan »89. Il n’est unsecret pour personne, qu’il s’agit de la première base navale russe enAfrique, avec une capacité d’accueil de quatre navires et de 300 civils etmilitaires.

Depuis 2017, la Russie a signé des accords de coopération militaires avecune vingtaine de pays africains. Sur les 20 nouveaux accords, « dix ontété conclus avec des pays avec lesquels la Russie n’avait signé aucunaccord de coopération militaire auparavant. Des accords avec leMozambique et le Soudan ont pour objet de faciliter l’entrée de naviresmilitaires russes dans les ports des deux pays. Deux accords avec laRépublique Centrafricaine et le Soudan prévoient une coopérationrenforcée allant jusqu’à la création d’une représentation du ministèrerusse de la Défense au sein des structures homologues du payssignataire »90.

Parallèlement à ces accords, on assiste à un déploiement de conseillersmilitaires sur le continent à travers la société militaire privée Wagner,dont l’intervention est connue dans divers conflits : Syrie, Libye,Centrafrique, etc. Le Groupe est financé par Evgueni Prigojine, hommed'affaires, réputé proche du président Poutine. En Centrafrique, le détaildes activités du Groupe Wagner est très peu connu. On sait cependantqu'il y intervient en général dans la formation des forces de défense et lasécurisation des sites miniers. Trois journalistes russes qui ont tentéd’enquêter sur les activités du Groupe ont été retrouvés assassinés enjuillet 2018, dans le nord de la capitale, Bangui91.

Un pays francophone dans lequel la Russie s’est récemment implantée à lafois sur le plan militaire et politique est le Centrafrique, cette anciennecolonie française chroniquement instable depuis son indépendance en1960. La Russie apporte une précieuse aide au président ArchangeTouadéra, élu en 2016 et réélu en 2021, sur fond de graves tensions entrelui et les groupes armés réunis au sein de la Coalition des patriotes pour lechangement (CPC). Après sa réélection en janvier 2021, Touadéra peut toujours compter surl’aviation russe pour venir à bout de la Coalition des patriotes pour lechangement (CPC)92. Toutefois, l’engagement de la Russie n’est pas sanscontrepartie. A son tour, le Président Touadéra a offert aux entreprises89 Alain Barluet (Figaro), « La Russie ancre au Soudan sa base en Afrique », 16 novembre 2021.

90 Poline Tchoubar (Fondation pour la recherche stratégique), « La nouvelle stratégie russe en Afrique

subsaharienne : nouveaux moyens et nouveaux acteurs », 11 octobre 2019. 91Gaël Grilhot, Benoît Vitkine et Cyril Bensimon (le Monde), « Le mystère demeure autour de la mort de trois

journalistes russes en Centrafrique », 2 août 2018.

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russes, par le biais d’une « autorisation de reconnaissance minière »d’importantes opportunités d’investissement dans le secteur minier (or, etdiamant) de son pays93.

3. 4. Offensive médiatique russe

On ne saurait clore le chapitre du retour de la Russie en Afrique sansévoquer son offensive médiatique dans ce continent. Financés par desfonds publics, Russia Today, en abrégé « RTF » et Sputnik sont desmédias russes à vocation internationale. Ils travaillent à promouvoir lesintérêts de la Russie en Afrique. Ces médias comptent de plus en plusd’abonnés africains francophones sur les réseaux sociaux (Facebook etautres)94.

La stratégie de communication de la Russie pour asseoir son influence enAfrique porte sur quatre principaux axes : « le rappel que la Russie n’ajamais eu d’Empire colonial en Afrique ce qui l’absolvait de facto de toutesmauvaises intentions ; le rappel de l’engagement soviétique dans lesluttes pour les indépendances et la formation des cadres africains pourbattre le rappel des fidèles ; l’appel à la mauvaise conscience desOccidentaux sur les crimes de la colonisation qui seraient toujoursperpétrés de nos jours sous une autre forme et la volonté de lesculpabiliser ; l’image d’une armée russe, héritière de l’Armée rouge, quiserait un rouleau compresseur invincible et apte à défaire le terrorisme enAfrique et toutes les oppressions dont les Africains seraient encorevictimes » 95.

Les médias russes en Afrique et les autres sites pro-russes et anti françaissont accusés de se livrer à une propagande qui vise à ternir l’image de laFrance et de ses médias, comme RFI (Radio France Internationale) dans lecontinent. De telles critiquent ne laissent pas indifférents les officielsfrançais, à commencer par E. Macron qui dans une interview à JeuneAfrique répliquait en ces termes : « Il y a également une stratégie àl’œuvre, menée parfois par des dirigeants africains, mais surtout par des92 Borgia Kobri (Agence Ecofin), « RCA : la Russie compte renforcer son engagement militaire en faisant

intervenir son aviation »,13 janvier 2021.

93Jeune Afrique, « Centrafrique-Russie : la société minière de Evgenii Khodotov obtient un permis de

recherche », 14 septembre 2018.

94 Olivier Marbot (Jeune Afrique), «Médias : Russia Today et Sputnik considèrent l’Afrique d’un œil attentif », 19

août 2019.

95 Florent Hivert, (revueconflits), « La stratégie de communication russe en Centrafrique. Communiquer pour

masquer ses faiblesses », 17 avril 2020.

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puissances étrangères, comme la Russie ou la Turquie, qui jouent sur leressentiment postcolonial. Il ne faut pas être naïf sur ce sujet : beaucoupde ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présentsdans les médias francophones sont stipendiés par la Russie ou laTurquie »96. Plus que de la simple condamnation, de nombreux autressites d’informations défendant les intérêts français en Afrique, s’attaquentaussi à la Russie dans le cadre d’une véritable guerre informationnelle.

Ainsi, le réseau social Facebook dans sa politique de lutte contre lamanipulation des opinions, a bloqué de nombreux faux comptes liés auxintérêts français et russes97. Certains des comptes bloqués sont liés à despersonnes liées à l'Agence russe de Recherche sur Internet et à l'arméefrançaise98. Derrière cette confrontation médiatique se cache une véritablelutte d’influence en Afrique entre la France et la Russie.

4. Turquie en Afrique, un acteur ambitieux

Classée comme la 19ème économie du monde, la Turquie a clairementl'ambition de jouer dans la cour des grands depuis qu’elle est devenue unpays émergent. Son président, Recep Tayyip Erdogan, chef d’un partiislamo conservateur (AKP), se donne pour objectif en matière de politiqueétrangère, de rétablir, à travers la doctrine du « néo-ottomanisme »,l’influence de l’empire Ottoman partout où elle s’exerçait. Historiquement,l’Afrique figure dans la ligne de mire de cette doctrine. Emilien Kientzrappelle à ce titre que « la percée de l’Empire ottoman en Afrique débutaau XVIème. Cependant, les Mamelouks turcs s’étaient installés au Cairedès 1250 - c'est-à-dire avant même la naissance de l’Empire - et yrestèrent jusqu’à l’arrivée du sultan ottoman Selim Ier en 1517. Parailleurs, Alger, Tunis et Constantine intégrent l’Empire en 15345. Ensuite,les conquêtes ottomanes se succédèrent : la Cyrénaïque en 1521 parSoliman le Magnifique, Tripoli en 1551 par les Turcs de l’amiral Dragutainsi qu’une partie de Tunis en 1574».99.

96 Benjamin Roger et Marwane Ben Yahmed (Jeune Afrique), « Entre la France et l’Afrique, ce doit être une

histoire d’amour », 20 novembre 2020.

97 L’Express, « Facebook annonce le démantèlement d'une opération de désinformation russe en Afrique », 30

octobre 2019.

98 Francetvinfo, « Désinformation en Afrique : Facebook supprime de faux comptes gérés depuis la France et la

Russie », 16 décembre 2020.

99 Emilien Kientz, « L’influence de la Turquie en Afrique », Institut d'Études de Géopolitique Appliquée, 12

novembre 2020.

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Mais c’est à partir de 1998 que la Turquie initie une véritable politiqued’ouverture sur l'Afrique. La même année, l’Union africaine la déclarecomme un « partenaire stratégique ». En 2003, elle acquiert auprès decelle-ci, le statut de membre observateur. La Turquie à son tour a déclarél'année 2005 comme celle de l'Afrique. Pour la Turquie, ce continent estun espace d’opportunité, où il convient de prendre sa place en tantqu’acteur international de poids par une politique douce et une politiqueforte.

4.1. Soft power

Parmi les instruments utilisés par la Turquie pour conquérir l’Afrique, il y a« le soft power». Une politique d’influence douce qui trouve sa traductiondans la mise en place et l’approfondissement des liens économiques,commerciaux, culturels et diplomatiques. Le réseau diplomatique turcs’étend aujourd’hui comme une toile d’araignée sur toute l’Afrique. Ilexiste aujourd’hui plus d’une quarantaine d’ambassades turques dans lecontinent, contre trois seulement en 2003100. A son tour la TIKA, l’Agence turque pour la coopération internationale et ledéveloppement, créée en 1992, mène des actions dans le continent àtravers une vingtaine de bureaux. L’Agence draine l’aide publique turquedans les domaines suivants : infrastructure, agriculture et actionhumanitaire. Sur le plan commercial, on estime que « Les exportationsturques vers l’Afrique s’élèvent à 16 milliards de dollars ; elles n’étaientque de 5 milliards en moyenne au cours de la décennie 2000 »101. LaTurquie s’impose aussi dans le ciel africain à travers sa compagnieaérienne Turkish Airlines qui dessert plus d’une trentaine de paysafricains.

Pour bien pénétrer l’Afrique de l’ouest et le Sahel, la Turquie utiliser levecteur religieux (l’islam sunnite). Elle construit et rénove des mosquéesnotamment au Mali, au Niger et même au Ghana, de manière à conquérirle cœur des populations musulmanes. Le parti au pouvoir en Turquie,l’AKP reconnait que l’Islam est un instrument de sa politiqueinternationale. Il soutient à ce titre le réseau d’écoles de la confrérie deFethullah Gülen, née dans les années 60 en Turquie. Mais depuis larupture entre le président Edogan et Fethullah Gülen, l’Etat turc a fermé

100Joséphine Dedet (Jeune Afrique), « La Turquie en Afrique, une influence grandissante », 1er août 2018. :

101 Sébastien Abis (l’Opinion), «Quand la Turquie sème en Afrique», 6 novembre 2020.

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les écoles de cette confrérie sur son territoire et usé de tout son poidspour amener les chefs d’Etat africains à faire la même chose chez eux102.

Toutefois, la Turquie fait la promotion en Afrique d’un islam sunniteproche des frères musulmans, par opposition au wahhabisme prôné parl’Arabie Saoudite103. A la place du réseau de Fethullah Gülen, ce sontdésormais les fondations proches du pouvoir (Diyanet et Aziz MahmutHudayi) qui s’occupent de la mise en œuvre de la diplomatie religieused’Ankara en Afrique.

4.2. Hard power

Au-delà de sa politique d’influence douce, la Turquie se lance aussi dansune politique sécuritaire forte pour sauvegarder ses intérêts en Afrique. En2017, elle ouvre sa base militaire la plus importante « Camp Turksom » àl’étranger en Somalie. Son objectif est d’aider le gouvernement de ce paysà lutter contre les islamistes du groupe Al Chabab. Cette base a étéconstruite en deux ans « pour un coût de 50 millions USD et d’unesuperficie de plus de 4 km², elle a été présentée comme la plus grandebase turque à l’étranger. Il était prévu que « plus de 200 soldats turcs » yforment un total de 10 000 militaires somaliens, dont 1 500simultanément. »104. En Mai 2010, un accord de coopération en matièred’éducation et de formation militaire est signé entre la Somalie et laTurquie dans le but de reconstruire les forces de sécurité somaliennes.

Avec le Soudan, un important accord est annoncé en décembre 2017 sousle président Omar El-Béchir. Par cet accord, le Soudan s’engageait à céderpour 99 ans, l’ile de Suakin à la Turquie. Selon les autorités soudanaisesde l’époque, cet accord n'exclut pas un volet militaire. Mais ce projet futabandonné en avril 2019, date de reversement d’El Béchir par un coupd’Etat militaire.

En Afrique de l’Ouest, c’est avec le Niger, pays francophone, que laTurquie a signé le 21 juillet 2020, d’importants accords de défense. Cesaccords « visent à renforcer les capacités des forces de défenses et desécurité nigériennes qui luttent chaque jour contre le terrorisme et102 En juillet 2016, Erdogan accusait ceux qui voulaient le renverser d’être lié à l’influent prédicateur religieux

Fethullah Gülen, exilé aux Etats Unis d’Amérique depuis 1999.103 Morgane Le Cam (Le Monde), « L’influence croissante de la Turquie au Sahel suscite l’inquiétude », 5 août

2021.

104 Georges Berghezan (GRIP), « Turquie : une empreinte militaire de plus en plus pesante à l’extérieur » , 11

janvier 2021.

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l’insécurité au niveau des frontières avec le Nigéria, le Mali, le BurkinaFaso »105. Avec la stratégie d’ajustement de la force Barkhane dans larégion, on peut se demander si la Turquie, à travers ces accords dedéfense, ne compte pas se présenter comme une puissance alternative enmesure de se substituer à la France.

L’influence turque dans le Sahel et en Afrique de l’ouest ne laisse pas laFrance indifférente. Pas plus que son engagement sur le terrain religieux.En effet, depuis environ 10 ans, la France mène une lutte âpre contre lesdjihadistes musulmans dans le Sahel. Elle tire aussi une bonne partie deson électricité de l'uranium du Niger106. Florence Parly, ministre de ladéfense française, cite la Turquie parmi les pays qui cherchent àdiscréditer la France dans le Sahel et « à s’imposer, s’infiltrer dans lesinterstices»107. Comme dans d’autres contextes, il ne serait pas surprenantdans les prochaines années de voir la rivalité franco turque prendre del’importance en Afrique108.

5. L’Afrique face aux défis du partenariat diversifié

Comment faire en sorte que l’Afrique devienne dans le cadre d’unpartenariat diversifié, un continent d’avenir pour ses milliards d’habitantsà l’horizon 2050. Tel est le grand défi que les Etats africains doiventrelever. Le passé enseigne qu’ils ne pourront le relever qu’ensemble dansle cadre d’une union renouvelée. L'Afrique risque de perdre un autrerendez-vous avec l'histoire si elle aborde en rang dispersé les défis induitspar son partenariat diversifié avec les acteurs de poids de ce monde. Letemps est certainement venu pour elle, non pas par idéalisme, mais parréalisme, d'élaborer des stratégies communes profitables à sespopulations dans le cadre de son partenariat diversifié.

5.1. Enjeux

L’approfondissement prévisible du partenariat diversifié de l’Afrique avecles puissances occidentales (la France, le Royaume uni, les USA, etc) et

105 Niamey et les deux jours, « La Turquie et le Niger signent plusieurs accords de coopération dans les

domaines de la sécurité, la jeunesse et du sport », 22 juillet 2020.

106 Joëlle Stolz (Mediapart), « La rivalité franco-turque s'étend à l'Afrique », 21 novembre 2020.

107 Morgane Le Cam (le Monde), « L’influence croissante de la Turquie au Sahel suscite l’inquiétude », 5 août

2021.

108 Didier Billion (Iris), « Une préoccupante dégradation de la relation franco-turque »,3 septembre 2020.

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les puissances non occidentales (la Chine, la Russie, la Turquie, etc), est àla fois porteur de menaces et d’opportunités pour le continent africain.Parmi les menaces, il est possible d’identifier la perte de souveraineté desEtats à travers certaines formes de coopération militaire, économique etfinancière, le risque de conflits multiformes, la répartition inégalitaire desgains économiques et la dégradation de l’environnement. En ce qui concerne les opportunités du partenariat diversifié, il estpossible de retenir la diffusion de la prospérité dans le continent,l’amélioration de la sécurité continentale, la pacification des relationssociales, l’amélioration de la gouvernance économique et politique, letransfert du savoir, du savoir-faire et des technologies de pointe, lerayonnement international de l’Afrique et l’accroissement de son influencedans le monde.

Le grand défi de l’Afrique est donc de se donner la capacité de mitiger lesmenaces du partenariat diversifié et de créer les conditions quipermettront à ses populations de bénéficier amplement de sesopportunités. Ainsi, la passivité, l’attentisme et la réactivité sont desobstacles qui sont à extirper de sa démarche. Le partenariat diversifiéexige de l’Afrique, la pro activité, la mobilisation de ses ressourcesintellectuelles et l’élaboration d’une vision sur le long terme autour de sesplus importants besoins et attentes par rapport à ses partenaires de poids.

Contrairement à une idée reçue, l’Afrique n’est pas dans les oubliettes del’histoire. C’est un continent qui fait rêver et qui est convoité à causenotamment de la richesse de son sol et de son sous-sol. Ses perspectivesdémographiques la préparent à être un énorme marché dans lesprochaines décennies. Selon les prévisions, on comptera deux milliardsd’êtres humains sur le continent avec une écrasante majorité de jeunes enâge de travailler. Un rapport d’information de l’assemblée nationalefrançaise affichait en 2013 le titre suivant: « l’Afrique est notreavenir »109. Outre les transformations structurelles qui touchent lecontinent, les auteurs du rapport relèvent que de nombreux autresfacteurs, comme la proximité géographique et la communautélinguistique, font qu’une partie de l’avenir de la France est liée à l’Afrique.

Pour promouvoir leurs intérêts en Afrique, chaque partenaire stratégiquedu continent a une politique. On parle par exemple de la politique africainede la France, de la politique africaine de la Chine, etc. Dans chaque cas, ils’agit d’une stratégie bien mûrie et élaborée pour le long terme et visant à

109 France (Sénat), Rapport d'information n° 104 (2013-2014).

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promouvoir des intérêts politiques, économiques, commerciaux, culturelset militaires en Afrique. Différents moyens sont utilisés pour atteindre lesobjectifs d’une stratégie. Les moyens pacifiques (le soft power) et danscertains cas des moyens militaires (hard power).

Pendant ce temps, l’Afrique quant à elle manque de stratégie communevis-à-vis de ses partenaires tentaculaires. Des années 60 à nos jours,l’Afrique n’a pas encore réussi à réaliser son unité politique. Le projet desEtats Unis d’Afrique avec un gouvernement unique, chargé d’élaborer etde conduire une politique étrangère continentale n’a pas encore vu le jour.Sur le plan externe, les puissances coloniales qui sont loin de renoncer àleurs ambitions dans le continent n’y sont pas favorables. Sur le planinterne, les divisions entre les Etats dits « modérés » et les Etats dits « maximalistes », n’a pas permis de réaliser l’unité politique africaine. Enréalité, chaque Etat africain a sa propre politique de coopération avec unpartenaire extérieur. Cette politique est généralement construite sur labase des considérations historiques, économiques, sécuritaires, politiqueset culturelles.

5.2. De l’approche bilatérale à l’approche multilatérale

Cette approche bilatérale comporte plus d’inconvénients que d’avantageslorsque le partenaire extérieur est une puissance tentaculaire comme laChine ou la France. La différence entre les capacités de négociation et lataille économique, politique et militaire des parties en présence est telleque la partie africaine sortira rarement gagnante de l’approche bilatérale.Les limites du bilatéralisme face aux acteurs internationaux de poidsjustifient objectivement le recours à une approche multilatérale.

Les Etats africains doivent être capables à cet égard de construire unestratégie concertée, harmonisée et pourquoi pas commune face auxpartenaires extérieurs puissants. En Europe, c’est une approchemultilatérale qui a été utilisée avec le Canada pour conclure en 2016l’Accord de libre-échange avec le Canada. L’Union européenne utilise lamême approche dans le cadre de la négociation d’un partenariattransatlantique de commerce et d’investissement avec les Etats unisd'Amérique.

Ces exemples montrent à suffisance que l’approche multilatérale est lavoie la mieux indiquée pour la sauvegarde des intérêts des nations face àdes acteurs tentaculaires. En Afrique l’adoption d’une approche

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multilatérale dans l’élaboration d’une stratégie commune face auxpartenaires stratégiques de poids requiert au moins deux préalables.

Le premier est l’élaboration d’une stratégie propre à l’Afrique. Le contenude cette stratégie doit être africain avec une appropriation des thèmesclefs du partenariat. Ces thèmes portent généralement sur la sécuritécontinentale (accords de défense, lutte contre le terrorisme et les autresformes de crimes organisés incluant la cybercriminalité, autonomisationdes armées africaines dans la prise en charge de leurs défis sécuritaires,etc.), les relations politiques (respect de la souveraine nationale,coopération pour le renforcement de l’Etat de droit, etc.), ledéveloppement économique et industriel (coopération dans le cadre dudéveloppement économique, de l’industrialisation de l’Afrique, etc.), lecommerce (ouverture des marchés de part et d’autre, respect des normesenvironnementales et sanitaires dans le cadre des échangescommerciaux), le développement durable (responsabilité sociale etenvironnementale dans l’exploitation des ressources naturelles) et letransfert de technologie et du savoir (bourses d’études, échanges entreuniversités, etc.). Les Etats africains doivent élaborer des positionscommunes sur l’ensemble de ces questions de manière à permettre à unpartenaire stratégique d’avoir des interventions harmonisées dans lecontinent.

Cette approche permet de sortir du schéma de la coopération héritée de lacolonisation parce qu’elle va regrouper les Etats africains, non en fonctionde leur passé colonial ou de leurs langues officielles, mais en fonction deleurs préoccupations communes en termes de développement, de sécuritéet d’indépendance. Il s’agit d’une approche hautement pragmatique etréaliste qui permettra aux Etats africains de réaliser en matière departenariat diversifié avec les nations puissantes, des ententes sur desquestions d’intérêt général, sans perdre leur souveraineté.

Des années 60 à nos jours, le regard reste encore figé sur une Afriquemorcelée, artificiellement divisée. Le temps est venu pour que l’Afriques’unisse pour relever des défis communs, condition de sa survie dans unmonde où les prédateurs ont toujours profité de ses divisions, de ladifférence du régime entre ses normes fiscales, environnementales etsociales. Individuellement pris, les Etats africains ne sont pas encore enmesure de négocier d’égal à égal avec leurs partenaires stratégiques.C’est ensemble qu’ils pourront le faire.

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Le second préalable pour relever le défi d’un partenariat diversifié estl’existence d’une volonté politique forte chez les gouvernementsresponsables en Afrique. Il s’agit de gouvernements qui rendent compteaux populations, qui luttent contre la corruption et qui ne se maintiennentau pouvoir que par les seules voies démocratiques. Ces gouvernementssont en général les mieux à même de construire des stratégiescommunes, susceptibles de répondre aux attentes légitimes de leurspopulations. Cependant, les Etats qui présentent des failles démocratiquesimportantes sont généralement sans soutien populaire à l’interne et mêmesans crédibilité auprès de leurs partenaires étrangers qui auront ainsi lacapacité de les corrompre et de compromettre l’essor de leurs paysrespectifs.

En définitive, la prise de conscience par les Etats africains des limites del’approche bilatérale d’une part et l'élaboration des stratégies à fortcontenu africain par les gouvernements responsables autour de leurspréoccupations communes, sont les principales clefs de succès ducontinent africain dans le cadre de son partenariat avec les géants de cemonde.

C) Troisième partie : Perspectives d’avenir des relations franco africaines

Avant d’évoquer les propositions de réforme des relations franco-africaines, il convient au préalable de mettre en évidence les tendancesqui se dégagent de ces relations.

1. Nouvelles tendances

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La France et l’Afrique francophone d’aujourd’hui sont différentes de cequ’elles étaient dans les années 60, période où se nouent les liens decoopération tous azimuts entre les deux. Avec le temps, les élitespolitiques ont changé de part et d’autre, même si leur longévité en Afriqueest nettement plus importante110. Par opposition aux années 60, lacapacité de négociation des Etats africains s’est nettement améliorée.Après un demi-siècle d’existence en tant qu’Etats indépendants, la Francen’a plus à faire à des entités novices qui ont tout à apprendre. L’Afriquecompte désormais dans ses rangs des élites expérimentées et bienformées.

En Afrique, l’élite politique française regarde désormais au-delà des paysfrancophones. Le besoin de nouer des relations de toutes sortes avec lesEtats anglophones est de plus en plus présent. Selon une analyse deControl Risks, un cabinet de conseil international spécialisé dans la gestiondes risques et basé à Paris, la France « Voyant ses parts de marché enAfrique fondre au profit de la Chine ou de la Turquie, (…) réoriente sastratégie africaine ». Citant l’expert de l’assurance-crédit Coface, ControlRisks poursuit en expliquant que « les parts de marché à l’exportation dela France en Afrique ont diminué de moitié de 11% à 5.5% entre 2000 et2017, pendant que celles de la Chine passaient de 3% à 18%. La chuteest particulièrement marquée en Afrique francophone, où les parts demarché françaises ont fondu de 26% à 12%, avec des reculsimpressionnants notamment au Sénégal ou au Cameroun. Ce constatoblige la France et ses opérateurs économiques, s’ils veulent restercompétitifs, à repenser leur approche, sortir de leur pré-carréfrancophone, et investir les marchés anglophones. Pour le gouvernement,c’est aussi une opportunité de redéfinir la relation franco-africaine eninvestissant un terrain plus neutre, sans passif colonial, et de s’assurerque le pays reste un acteur clé sur le continent »111.

Au regard de la complexité et du coût des interventions dans les questionssécuritaires du continent africain, la France s’engage de plus en plus àconférer un contenu européen à ses interventions. C’est ce qui se passedans le Sahel où elle entend d’une part, réduire à hauteur de 40%, leseffectifs de l’opération Barkhane d’ici début 2022, et d’autre part, œuvrerpour la montée en puissance de la Task force européenne, Tabuka112. Cechangement de stratégie devrait être l’occasion pour la France et sespartenaires africains d’engager des actions pour assurer l’autonomie des110 Marwane Ben Yahmed (Jeune Afrique), « Longévité au pouvoir : par ici la sortie… », 11 novembre 2019.

111 Valentin Robiliard (control risks), La France à la conquête de l’Afrique anglophone », consulté le 15 juillet

2021.

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forces armées africaines dans la prise en charge de leurs propres défissécuritaires. Il s'agit là de la perspective la plus crédible sur le long terme,car elle favorise une grande responsabilité des Etats africains dans lagestion des conflits.

En Afrique francophone, on constate une sorte de lassitude par rapport àl’intervention directe de la France dans les affaires intérieures des pays.Une enquête révèle que « la France est devenue la cible privilégiée d’undiscours nationaliste exacerbé et sur lequel jouent habilement ses rivauxrusses, chinois et même turcs. Évoqué par plusieurs observateurs dès lesprémices de l’opération Serval, le danger a fini par se concrétiser  : hieraccueillis en libérateurs au Mali, les soldats français y sont aujourd’huiperçus comme des envahisseurs »113. L’Afrique n’est plus une arrière-courdans laquelle la France peut à sa guise comme par le passé, faire oudéfaire ce qu’elle veut sans le regard critique du monde. Même laFrançafrique est obligée de se faire discrète. Les interventions directes etspectaculaires dans les affaires africaines sont aujourd’hui inadmissibles.Le respect de la souveraineté nationale, des droits humains et desprincipes démocratiques sont devenus de très fortes exigences despopulations africaines.

En France comme en Afrique, il y a aujourd’hui une jeunesse ouverte aumonde par le biais des nouvelles technologies. Cette jeunesse partagequasiment les mêmes émotions face aux grands évènements comme laviolation des droits humains, les crises écologiques ou encore les criseshumanitaires et sanitaires. La jeunesse franco africaine aspire de la mêmemanière au bonheur, à la sécurité et à l’instruction. Elle condamne etrejette de la même façon, la corruption des élites politiques. Elle sepositionne en faveur de la transparence et de l’équité dans la gestion desaffaires publiques. Partisane d'une plus grande liberté d'expression, lajeunesse franco-africaine est massivement présente sur les nouveauxmédias et diffuse constamment ses opinions sur tous les sujets, même lesplus sensibles.

Même si la France et l’Afrique sont historiquement liées par une dette desang et par le partage d’une langue commune, la diversification dupartenariat s’impose de part et d’autre comme une source

112 Elise Vincent(le Monde), « La réorganisation de l’opération « Barkhane », savant exercice d’équilibrisme »,

10 juillet 2021.113 Benjamin Roger (Jeune Afrique) « À bas la France ! Enquête sur le sentiment anti-français en Afrique », 3

décembre 2019.

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d’enrichissement en expériences diverses et de survie sur le planéconomique. En Afrique francophone, l’idée d’un partenariat spécial avecla France est encore ancrée dans les esprits. Au regard de la force de sadiplomatie en Europe et au sein de la communauté internationale, laFrance reste un pays sur lequel l’Afrique peut compter pour la défense deses intérêts dans le monde.

Comme on le constate, les nouvelles tendances qui se dégagent desrelations franco-africaines sont plus prometteuses que menaçantes. Ellesportent en gros sur certaines thématiques majeures comme ladiversification du partenariat et l'ouverture, le besoin accru de coopérationdans le respect de la souveraineté de chaque partie, l’exigence detransparence dans les relations, une demande légitime de sécurité dechacun et de tous, le respect des droits humains et de la démocratie, etc.Pour donner un sens à ces tendances, il convient de les prendre encompte dans les perspectives d'évolution des relations franco-africainesdans les décennies à venir.

2. Réforme des relations politico sécuritaires entre la France etl’Afrique

Les propositions de réforme des relations franco-africaines ne tombent pasdu ciel. Elles ont un ancrage historique. Sur le plan de la sécurité, l’idée del’internationalisation des actions militaires françaises en Afrique remonte à1998, lors du sommet franco-africain de 1998 au Louvre (France). Aucours de ce sommet, la France proposera à ses partenaires africains, leprogramme de Renforcement des capacités africaines de maintien de lapaix (RECAMP). Ce programme s’appuie sur trois volets: la coopération,l'entraînement et l’engagement.

On peut retrouver dans un rapport du sénat français consacré à la gestiondes crises en Afrique, les deux limites qui justifient le recours à cetteinternalisation114. La première est d’ordre politique. Le rapport indiqueque « Les conditions politiques dans lesquelles s’effectuent d’éventuellesopérations militaires ont par ailleurs profondément changé. Elles sontmarquées par le renouvellement des générations au sein de populationsafricaines très jeunes, la circulation rapide de l’information et de

114 Sénat (Rapport), « La France et la gestion des crises africaines : quels changements possibles ? », 3 juillet

2006.

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nouveaux modes de mobilisation nationale sur le thème de la « deuxièmeindépendance », dont le phénomène des « jeunes patriotes » en Côted’Ivoire est une illustration».

La seconde est d’ordre financier. Elle s’explique par « Le coût d’uneintervention sur tout théâtre extérieur, en Afrique comme ailleurs, esttoujours élevé, du fait des moyens matériels et humains qu’elle requiert.Qu’il s’agisse d’une intervention directe, supportée par le budget duministère de la défense ou d’une opération de maintien de la paix desNations unies, dont la contribution française est imputée sur le budget duministère des Affaires étrangères, toute intervention affecte le budget del’Etat, avec des variations qui peuvent être considérables ».

A ces deux limites, on peut aujourd’hui ajouter une troisième limite : lanature asymétrique des conflits en Afrique comme dans le Sahel. Tout cecijustifie, en ce qui concerne la France, la nécessité de recourir à lamutualisation des efforts pour un meilleur un partage de risques, deresponsabilités et de coûts.

En ce qui concerne les initiatives d’extraction des relations franco-africaines des mains des hommes de réseaux parallèles, elles sont venuesnotamment de Jean-Pierre Cot, l’éphémère ministre de la coopération deMitterrand.

Ainsi, la réforme des relations franco africaines suppose la conclusionentre l’Afrique et la France d’accords de coopération de troisièmegénération par opposition aux accords de première génération(constitution de 1958 mettant en place la communauté franco africaine) etaux accords de deuxième génération (loi constitutionnelle de 1964mettant en place un cadre de coopération tous azimuts entre la France etles Etats africains).

Les nouveaux accords devraient conserver le caractère spécial desrelations franco-africaines et se montrer suffisamment respectueux de lasouveraineté des parties. Ainsi, la réforme proposée sur le plan politiqueet sécuritaire doit reposer sur deux grands piliers : un pilier « Paix etsécurité » et un pilier « Etat de droit et démocratie ». Ces deux piliersdevront être chapeautés par le sommet franco-africain, organed’orientation et d’impulsion.

2.1. Pilier Paix et Sécurité

Il aura pour vocation de mettre en place un cadre formel et transparent deconcertation entre les parties pour relever les grands défis sécuritaires,

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comme la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité et les autresformes de crimes organisés. Ce pilier doit mettre fin aux interventionsmilitaires unilatérales de la France en Afrique, adapter les accords dedéfense existants aux exigences de transparence et d’indépendance desEtats africains et œuvrer pour l’autonomisation des forces de défenseafricaines dans la prise en charge des défis sécuritaires du continent.

2.2. Pilier Etat de droit et Démocratie

Il doit être le lieu de concertation franco-africain sur les questions derenforcement de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits del’homme. Il devrait permettre, par la formation, les échangesd’expériences et autres formes d’assistance, la diffusion au sein des Etats,des meilleures pratiques démocratiques.

Enfin, la réforme des relations franco-africaines à travers ces deux piliersaura l’avantage d’instaurer, dans un cadre formel et transparentradicalement opposé aux réseaux de la françafrique, l’équilibre souhaitédans les relations franco-africaines, du moins sur le plan politique etsécuritaire.

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a) Turpin Frédéric, « 1958, la Communauté franco-africaine : un projetde puissance entre héritage de la IVe République et conceptions gaulliennes », Année 2008.3. Tiers-Mondea) Skorov G. « L'aide économique et technique de l'URSS aux pays sous-développé ». Année 1960. 4. Revueconflitsa) Florent Hivert, « La stratégie de communication russe en Centrafrique. Communiquer pour masquer ses faiblesses » du 17 avril 2020.III) INSTITUTIONS1. Nationales1.1. Assemblée nationale (France)a) Mission d’information sur le Rwanda, N° 1271. b) « La France et la gestion des crises africaines : quels changements possibles ? ». Année, 2006. Adresse : https://www.senat.fr/rap/r05-450/r05-450_mono.html1.2. Conseil d’Etat (France)a) Conseil d'État, 12 juin 2020, Archives du président Mitterrand sur le Rwanda. Adresse : https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-12-juin-2020-archives-du-president-mitterrand-sur-le-rwandab) Conseil d'Etat, Assemblée, du 30 novembre 2001, 212179, publié aurecueil Lebon. Adresse : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008029234/

1.3. Ministère des Armées (France)a) « Revue stratégique de défense et de sécurité nationale », année 2017. Adresse : https://www.defense.gouv.fr/dgris/presentation/evenements-archives/revue-strategique-de-defense-et-de-securite-nationale-2017b) « Opération Barkhane » du 12 juillet 2021. Adresse : https://www.defense.gouv.fr/operations/afrique/bande-sahelo-saharienne/operation-barkhane/dossier-de-reference/operation-barkhanec) « Barkhane : Les SIC arment la Task Force TAKUBA » du 12 mai 2021. Adresse : https://www.defense.gouv.fr/operations/afrique/bande-sahelo-saharienne/operation-barkhane/breves/barkhane-les-sic-arment-la-task-force-takubad) «Communiqué Reprise de la coopération opérationnelle entre l’opération Barkhane et les Forces armées maliennes » du 2 juillet 2021.

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Adresse : https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/communiques/communique_reprise-de-la-cooperation-operationnelle-entre-l-operation-barkhane-et-les-forces-armees-maliennes

1.4. Vie Publique (France)a) Patrick Allard , « États-Unis / Chine : le choc des puissances économiques », 16 mars 2020. Adresse : https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/273921-etats-unis-chine-le-choc-des-puissances-economiquesb) Felwine Sarr - Bénédicte Savoy , « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain - Vers une nouvelle éthique relationnelle », année 2018. Adresse : https://www.vie-publique.fr/rapport/38563-la-restitution-du-patrimoine-culturel-africain2. Internationales1. Nations Uniesa) « Comment sommes-nous financés ». Consulté le 12 août 2021. Adresse : https://peacekeeping.un.org/fr/how-we-are-funded2. Banque Mondialeb) « Le succès de l’initiative chinoise des « nouvelles routes de la soie » dépendra de la mise en place de réformes profondes ». Année, juin 2019. Adresse : https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2019/06/18/success-of-chinas-belt-road-initiative-depends-on-deep-policy-reforms-study-findsIV) MEDIAS1. Agence Ecofin a) Borgia Kobri, « RCA : la Russie compte renforcer son engagement militaire en faisant intervenir son aviation », 13 janvier 2021.b) « Guinée : après l’avoir critiqué, Emmanuel Macron finit par féliciter Alpha Condé pour sa victoire à la présidentielle », 1er décembre 2020.2. beijingreview a) Lan Xinzhen, « L'esprit de Bandung restera toujours d'actualité »,17avril 2015.3. Figaroa) Alain Barluet, « La Russie ancre au Soudan sa base en Afrique », 16 novembre 2021.b) Philippe Goulliaud, « Chirac à contre-pied de Sarkozy sur l'homme africain », 12 juin 2009. 4. Francetvinfoa) « Désinformation en Afrique : Facebook supprime de faux comptes gérés depuis la France et la Russie »,16 décembre 2020.

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b) « Covid-19 : la Chine fournit l’Afrique en vaccins » du 20 janvier 2021.c) « Opération Barkhane : Emmanuel Macron annonce un "ajustement"des troupes au Sahel », 19 janvier 2021.5. La Tribune Afrique a) Aboubacar Yacouba Barma (), « G5 Sahel : 26 milliards de FCFA de la Chine pour la force conjointe », 6 janvier 2019.6. Le Canard enchaînéa) « Les grandes affaires », 10 octobre 1979.7. LeFasoa) Pascal Lonkou Ye « Insécurité au Mali : L’artiste musicien, Salif Kéita, pointe du doigt la France », 17 novembre 2019. 8. Mediaparta) Joëlle Stolz « La rivalité franco-turque s'étend à l'Afrique », 21 novembre 2020. 9. Le Mondea) Cyril Bensimon, « Au Sénégal, une colère antifrançaise très ciblée »,26 mars 2021b) Cyril Bensimon, « Jacques Chirac et l’Afrique, une amitiéparticulière », 26 septembre 2019. « Le discours de Dakar de NicolasSarkozy », 7 avril 2009. c) Elise Vincent(le Monde), « La réorganisation de l’opération« Barkhane », savant exercice d’équilibrisme », 10 juillet 2021.d) Eric Fottorino, « Les désillusions de Jean-Pierre Cot », 23 juillet1997. e) Jean-Pierre Olivier de Sardan, « Les pays du Sahel ne sont pasaujourd’hui à même de prendre en main leur propre défense », 26 janvier2020. f) « A Reims, un symbole de la reconnaissance « tardive » destirailleurs africains », 6 novembre 2018.g) Laurence Caramel, «Il faut arrêter avec le mensonge d’Etat sur lemassacre de Thiaroye », 1er décembre 2016.h) Le Monde avec Reuters, « Retenir l’armée américaine au Sahel, lamission de Florence Parly aux Etats-Unis », 27 janvier 2020.i) Le Monde, « Aide soviétique à la Guinée », 26 août 1959. j) Le Monde avec AFP (Le Monde), « Génocide des Tutsi : le présidentrwandais Paul Kagame « salue » le rapport français », 7 avril 2021.k) Le Monde, « Macron conditionne la suite de l’opération militaire« Barkhane » à une « clarification » de la part des pays du Sahel », 4décembre 2019.

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l) Le Monde, « Royaume-Uni : des parlementaires mettent en cause ladécision de Londres d’intervenir en Libye», 14 septembre 2016. m) Nathalie Guibert et Christophe Châtelot (le Monde) « Au Sahel,l’action militaire contre les djihadistes montre ses limites » du 29novembre 2019.n) Philippe Hansen, « Restituer le patrimoine africain nécessite deconcilier un objectif moral et une évolution respectueuse de la loi », 11novembre 2019. o) Paul Lorgerie, « Au Mali, le sentiment antifrançais gagne duterrain », 10 janvier 2020. p) Paul Lorgerie, « Au Mali, le sentiment antifrançais gagne duterrain », 10 janvier 2020. q) Laurent Bigot (le Monde), « Côte d’Ivoire : mais qui a gagné laprésidentielle de 2010 ? », 27 mai 2016. r) Morgane Le Cam, « L’influence croissante de la Turquie au Sahelsuscite l’inquiétude », 5 août 2021. s) Sébastien Le Belzic (le Monde), « La France demande à la Chine del’aider à lutter contre le terrorisme en Afrique », 8 janvier 2018.t) Sophie Douce, « Mort de Thomas Sankara : les premières archivesfrançaises transmises au Burkina », 17 décembre 2018. u) Yassin Ciyow (le Monde), « Le Conseil présidentiel pour l’Afrique faitson grand débat », 26 février 2019.10. niameyetles2jours a) « La Turquie et le Niger signent plusieurs accords de coopération dans les domaines de la sécurité, la jeunesse et du sport », 22 juillet 2020. 11. RFIa) RFI, « Sénégal: l’opposant Ousmane Sonko repart à l’offensive », 2 juillet 2021.12. Voix de l’Amériquea) Seydina Aba Gueye, « Portrait de candidat : Ousmane Sonko, l'étoile montante », 8 février 2019.13. Nouvel Observateura) Vincent Jauvert, « Centrafrique. Pourquoi la France a intérêt à intervenir », 2 décembre 2013.14. Jeune Afriquea) Anna Sylvestre-Treiner, « Laurent Gbagbo : de la présidence à la prison, les extraits en exclusivité de son livre », 12 décembre 2018b) Benjamin Roger, « À bas la France ! Enquête sur le sentiment anti-français en Afrique », 3 décembre 2019.

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c) Benjamin Roger et Marwane Ben Yahmed (Jeune Afrique), « Entre laFrance et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour », 20 novembre 2020.d) Christophe Boisbouvier (Jeune Afrique), « De Jacques Foccart à Franck Paris, plongée au cœur de la cellule africaine de l’Élysée », 15 septembre 2017. e) Christophe Boisbouvier , « Laurent Gbagbo : le 11 avril 2011, les dernières heures du président », 26 avril 2011.f) « Centrafrique-Russie : la société minière de Evgenii Khodotov obtient un permis de recherche », 14 septembre 2018. g) Frédéric Lejeal (Jeune Afrique), « Sankara et la France : secrets de famille », 22 octobre 2007. h) Joséphine Dedet (Jeune Afrique), « La Turquie en Afrique, une influence grandissante », 1er aout 2018. i) Jean-Louis Gouraud (Jeune Afrique) « Les Africains sont contre l’ingérence, les Chinois aussi », décembre 2011.j) Mehdi Ba, «20e anniversaire des accords d’Arusha : quand la paix mène au génocide », 5 août 2013. k) Nicolas Michel (Jeune Afrique), « Art classique: le Bénin réclame à la France des pièces de son patrimoine », août 2016.l) « Pourquoi Emmanuel Macron n’a pas félicité Alpha Condé pour sa réélection », 1er décembre 2020. m) « La lettre de François Hollande qui mettait en garde Blaise Compaoré » du 30 octobre 2014. n) Olivier Caslin, (Jeune Afrique) « En Afrique, un sentiment anti-français bien ancré », 18 décembre 2020. o) Marwane Ben Yahmed (Jeune Afrique), « Longévité au pouvoir : par ici la sortie… », 11 novembre 2019. p) Olivier Marbot, «Médias : Russia Today et Sputnik considèrent l’Afrique d’un œil attentif », 19 aout 2019. 15. L’Express a) Catherine Gouëset, « Chronologie des relations France-Rwanda (1975-2012) », 11janvier 2012. b) « Rwanda (Jeune Afrique) « La France annule sa participation aux commémorations du génocide », 5 avril 2014. c) « Février 1964: Le retour de M. Mba », 27 février 1964. d) « Facebook annonce le démantèlement d'une opération de désinformation russe en Afrique », 30 octobre 2019.16. L’Opiniona) Sébastien Abis, «Quand la Turquie sème en Afrique», 6 novembre 2020.

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V) AUTRES SITES D’INFORMATIONS1. Controlrisks a) Valentin Robiliard, « La France à la conquête de l’Afrique anglophone », consulté le 15 juillet 2021. 2. Fondation pour la recherche stratégique a) Poline Tchoubar, « La nouvelle stratégie russe en Afrique subsaharienne : nouveaux moyens et nouveaux acteurs », 11 octobre 2019. 3. Geostrategia a) « Base militaire chinoise à Djibouti : symbole d’un changement de posture stratégique », 8 janvier 2018.4. GRIP a) Georges Berghezan, « Turquie : une empreinte militaire de plus en plus pesante à l’extérieur » du 11 janvier 2021. 5. Iris a) Didier Billion, « Une préoccupante dégradation de la relation franco-turque », 3 septembre 2020.6. Institut d'Études de Géopolitique Appliquéea) Emilien Kientz, « L’influence de la Turquie en Afrique »,12 novembre2020.7. Observatoire des politiques économiques en Europe de l’université de Strasbourga) Gengxin Dai , Ke Dai, «Initiative « une ceinture et une route » : implications économiques pour l’Union européenne ». N° 39 - Hiver 2018.8. Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soiea) Adrien Mugnier, « La ceinture et la route arrivent en Afrique de l’ouest » consulté le 30 juillet 2021.9. Surviea) Loïc Kuti, « Dossier Françafrique. La relève Sarkozy : rupture ou continuité ? », 1er juin 2007.