popper, karl, des sources de la connaissance et de l'ignorance (1960, rivage)

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    essources de la connaissanceet de l ignorance

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    Collection dirige p r Lidia reda

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    Karl R Popper

    Des sourcesde l connaissanceet de l ignorance

    Traduit de l anglais p r Michelle-Irneet Marc B de aunay

    Rivages pochePetite Bibliothque

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    Des sources de l connaissance et e ignorancea dj et publi par les ditions Payot en 1985,en guise de prface dans le recueIl d essaisConjectures et rfutations

    1963, 1965, 1969, 1972, Karl Popper 1985, ditions Payot pour la traduction franaise

    1998, ditions Payot Rivagespour l prsente dition

    106, bd Samt Germain - 75006 ParisISBN 2-7436-0330-5ISSN 1158-5609

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    Le peu que je sache, Je veux nan-moins le faire connatre afin qu unautre, meilleur que je ne suis, dcouvrel vrit et que l uvre qu il poursuitsanctionne mon erreur. Je m en rjoui-rai pour avoir t, ma/gr tout, causeque cette vrit se fasse jour.

    Albert DRER

    Mme l rfutation d une thorie laquelle je suis attach me rjouitdsormais, car l aussi l science rem-porte un succs.

    ohn C ECCLES

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    Ainsi l vrit se fait connatre elle-mme ..SPINOZA

    Chacun porte avec lui une pierrede touche { J pour distinguer { J lvrit{ Jdes apparences.

    locKE

    il nous est impossible de penser quelque chose que nous n ayonsp s auparavant senti p r nos sensexternes ou internes.

    HUME

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    Je crains que le titre choisi pourcette confrence n'aille choquer certains esprits critiques. En effet, si les sources de la connaissance ne fontpas problme, et il en et t de mmepour les sources de l'erreur", l en vatout autrement des sources de l'ignorance". L'ignorance est quelque chosede ngatif: elle est l'absence de connais-

    1 Cet essai reprend le texte lu le 20 janvier1960. l'invitation de la British Academy, dans lecadre de sa "Confrence philosophique" annuelle.Cette confrence a d abord p ru dans les Procee-dings o the British Academy 46, 1960, avantd'tre publie Londres, en 1961, par OxfordUniversity Press.

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    sance. Et comment donc assigner dessources une absence?2 Telle estl'objection que m'a oppose un de mesamis, alors que je lui faisais part du titreque j'avais choisi de donner cetteconfrence. Press de rpondre, je mejustifiai impromptu par une rationalisation et lui expliquai qu'il y avait dans

    2 Descartes et Spinoza sont mme alls plusloin, et ils ont affirm que l erreur aussi, et nonpas seulement l'ignorance, est un dfaut une, privation, de connaissance, qui affecte mme lebon usage de la libert cf Descartes, Principes,1' partie, 33-42, ainsi que les troisime et quatrime MditatIOns; Spinoza, thique, deuximepartie, prop. 35 et scolie, ainsi que Les Principesde la philosophie de Descartes, premire partie,prop. 15 et scolie). Nanmoins, comme AristoteMtaphysique, e 1046 a 30-35,1052 a 1 et Cat-gories, 12 a 26-13 a 55), ils s'intressent galementcf, par exemple, thique, deuxime partie,prop. 41) la cause de la fausset (ou del'erreur).

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    l tranget de cette formulation uneffet voulu. t de prciser que celle-citait destine attirer l attention surun certain nombre de doctrines philosophiques dont on ne parle jamais et,parmi elles (outre la doctrine du carac-tre manifeste e l vrit), tout sp-cialement la thorie u complot obs-curantiste conspiracy theory of igno-rance) qui interprte l ignorance nonp s comme un simple df ut deconnaissance, mais comme l ouvragede quelque puissance inquitante, origine des influences impures et malignesqui pervertissent et contaminent nosesprits et nous accoutument de m nireinsidieuse opposer une rsistance laconnaissance.

    Il n est p s certain que ces explications aient eu raison des doutes misp r mon ami1..mais elles l ont rduit usilence. Vous tes dans une situation

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    ES SOURCES E LA CONNAISSANCE

    diffrente, car votre silence tient auxrgles institutionnelles qui rgissent laprsente sance. Force m est doncd esprer que j ai, pour le moment, suffisamment dissip vos doutes et que jepuis consacrer le dbut de mon proposau terme oppos - aux origines de laconnaissance et non celles de l ignorance. Je reviendrai d ailleurs tout l heure aux sources de l ignorance,ainsi qu la doctrine du complotcontre la connaissance.

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    Le problme que je me proposede reprendre, d ns la prsente confrence, non seulement pour l examiner nouveaux frais mais avec l espoirde le rsoudre, n est peut-tre qu unaspect de la vieille querelle qui aoppos l cole philosophique anglaiseet l cole continentale: la controverseentre l empirisme classique de Bacon,Locke, Berkeley, Hume et Stuart Mill etle rationalisme ou intellectualisme classique de Descartes, Spinoza et Leibniz.Dans cette controverse, en effet, l coleanglaise soutenait que le fondementultime de toute connaissance, c est

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    l observation, tandis que l cole continentale affirmait que c est la visionintellectuelle des ides claires et distinctes.a plupart des questions dbattuesdans cette controverse demeurent tout fait actuelles. Non seulement l empirisme, qui continue d tre la philosophie dominante en Angleterre, a

    conquis les tats-Unis, mais mmedans le reste de l Europe c est dsormais cette doctrine que l on tient leplus souvent pour la vraie thorie de laconnaissance scientifique L intellectualisme cartsien n a malheureusement t que trop souvent dformpour devenir l une ou l autre desvariantes modernes de l irrationalisme.

    Je tenterai de montrer que les divergences qui sparent ces deux coles,empiriste et rationaliste, sont moinsimportantes que les similitudes qu elles

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    laissent apparatre, mais aussi qu ellessont toutes deux dans l erreur. Telle esten effet ma position, bien que je soismoi-mme un empiriste et un rationaliste d un style particulier. Je considreque si l observation et l raison ontchacune un rle important remplir,leurs fonctions respectives diffrentnanmoins de celles que leurs classiques champions leur ont assignes.Je chercherai montrer, tout particulirement, que ni l observation ni l raison ne peuvent tre dftnies comme lasource de la connaissance, ainsi qu ona prtendu le faire jusqu ici.

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    Ce problme relve de la thorie dela connaissance ou de l pistmologie,domaines qui passent pour les plusabstraits, les plus abscons et les plusvains de la philosophie pure. Hume,par exemple, qui est l un des matresen la matire, avait prdit qu en raisonde leur caractre abstrait et lointain etde leur absence d incidence concrte,aucun lecteur n ajouterait foi, pendantplus d une heure, ses conclusions.L attitude de Kant tait diffrente. Ilestimait que la question Que puis-jesavoir? tait l une des trois questionsessentielles qu un tre humain pt

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    poser. Russell, mme si son temprament philosophique le r pproche plutt de Hume, semble prendre sur cepoint le parti de Kant. t je pense queRussell a raison d'attribuer l'pistmologie des consquences pratiqueseffectives pour la science, la morale etmme pour la politique. Il explique eneffet que le relativisme pistmologique ou l'ide qu'il n'existe p s devrit objective, tout comme le pragmatisme pistmologique, c'est--direl'ide que la vrit est synonyme d'utilit, nourrissent d'troits rapports avecl'autoritarisme et les conceptions totalitaires .

    Les positions de Russell sont videmment contestes. Rcemment, certains philosophes ont entrepris de

    1 f B Russell, Let the People Think Londres,Watts, 1941, pp 77 sq.

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    thmatiser l impuissance constitutiveet l absence d incidence concrte detoute philosophie authentique et, partant, ainsi qu on peut le supposer, de lathorie de la connaissance. leursyeux, la philosophie ne saurait, par sanature mme, avoir d effets importants,et elle ne peut en consquence influern sur la science n sur la politique. Orje considre, quant moi, que les idessont des choses dangereuses, qu ellesont un pouvoir et qu il a pu parfois sefaire que mme des philosophes enaient produit. D ailleurs, il ne fait pasde doute que cette doctrine nouvellede l impuissance constitutive de la philosophie est trs largement rfute parles faits.En ralit, le problme est tout faitsimple. Les convictions librales - lacroyance en la possibilit d une socitrgie par le droit, d une justice gale

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    pour tous, de droits fondamentaux, etl ide d une socit libre - peuventsans difficult persister aprs qu on areconnu que les juges ne sont pasinfaillibles et risquent de se tromperquant aux faits et que, dans la pratique,lors d une affaire judiciaire, la justiceabsolue ne s accomplit jamais intgralement. Mais il est difficile de continuer croire en la possibilit d un ordre rgipar le droit, en la justice et en la libert,ds lors qu on souscrit une pistmologie qui enseigne qu il n y a pas defaits objectifs, non seulement dans telleaffaire particulire mais dans n importequelle autre, et que le juge ne sauraitavoir commis d erreur quant aux faitspuisque, leur endroit, il ne peut pasplus se tromper qu il ne peut avoir raison.

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    IIIL important mouvement de libra-tion qui a dbut avec la Renaissance

    pour aboutir, travers les divers pi-sodes de la Rforme, des guerresde Religion et des guerres rvolution-naires, ces socits libres que lespeuples anglophones ont le privilgede connatre, a t inspir tout aulong par un optimisme pistmolo-gique sans prcdent une reprsenta-tion extrmement optimiste du pouvoirqu a l homme de discerner le vrai etd accder la connaissance.a doctrine du c r ctre m nifestee l vrit est au fondement de cette

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    reprsentation optimiste et nouvelle dela possibilit de la connaissance. Lavrit peut tre voile, mais elle peutse rvlerl . Et si elle ne se dvoile pasd'elle-mme, il nous est possible de lafaire se rvler. ter son voile n'estsans doute pas ais, mais, ds lors quela vrit nue et rvle parat, noussommes en mesure de la voir, de la distinguer de l'erreur et de savoir qu'elleest effectivement la vrit.C'est sous le signe de cette pistmologie optimiste, dont Bacon et Des-

    1 Cf les CItatiOns places en exergue: Spinoza, Court trait, chap. XV ou encore, thique,deuxime partie, scolie de la prop. 4 : Tout demme que la lumire fait paratre elle-mme et lestnbres, de mme la vrit est sa propre norme etcelle du faux ; e la Rforme de l entendement,35 36 ; Lettre LXXVI e alina in fine) ; Locke ela conduite de l entendement, 3 cf galementRomains, l, 19)

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    cartes ont t les principaux reprsen-tants, que sont nes la science et latechnique modernes. Ceux-ci nous ontappris qu il n y avait jamais lieu d invoquer d autorit en matire de vritpuisque les sources de la connaissancetaient en chacun de nous: soit dans lafacult perceptive qui permet l observation minutieuse de la nature, soitdans cette intuition de l esprit qui sert distinguer le vrai du faux, rcusanttoute ide dont l entendement n a pasune connaissance claire et distincte.

    L homme a la f cult e connatre:donc, il peut tre libre. Cette formuleexprime la relation qui lie l optimismepistmologique et les conceptionslibrales.

    a relation inverse existe galement.L absence de confiance dans le pouvoirde la raison, dans la facult qu al homme de discerner la vrit va

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    presque toujours de pair avec uneabsence de confiance en l homme.Ainsi, dans l histoire, le pessimismepistmologique se trouve associ une doctrine proclamant l perditionde l homme, et l tend revendiquerl institution de traditions fortes et laprotection d une puissante autorit quipuissent sauver l homme de la btise etdu vice (l pisode du Grand Inquisiteurdans es rres aramazov de Dos-toevski illustre de manire frappantecette thorie autoritariste et montre lresponsabilit qu ont assumer ceuxqui se trouvent investis de l autorit).l y a sans doute entre le pessimismeet l optimisme pistmologiques lamme diffrence, pour l essentiel, quecelle qui spare, quant la thorie de laconnaissance, traditionalisme et ratio-nalisme (j emploie ce dernier terme dansune acception largie o l s oppose

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    l irrationalisme et recouvre aussi bienl intellectualisme cartsien que l empirisme). On peut en effet comprendre letraditionalisme comme l ide qu enl absence d une vrit objective et susceptible d tre distingue de la faussetl faudrait choisir entre l adhsion l autorit de la tradition et le chaos;tandis que le rationalisme a bien vi

    demment toujours revendiqu pour lascience empirique et la raison le droitde critiquer et de rcuser toute tradition et toute autorit parce que celles-cireposent sur la draison pure et simple,les prjugs ou le hasard.

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    V

    Qu une discipline mme aussi abstraite que l pistmologie pure ne soitpas aussi pure qu on pourrait le croire(et que le pensait Aristote) et que lesides qu elle nonce puissent aucontraire avoir, dans une large mesure,comme motifs et comme origineinconsciente des esprances caractre politique ou des dsirs utopiques,voil qui pose problme et devraitconstituer une mise en garde pourl pistmologue. Que peut-il doncfaire cet gard? Moi-mme, entant qu pistmologue, je suis m parun unique intrt : dcouvrir la vrit

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    quant aux problmes que l pistmologie se pose, que cette vrit s accordeou non avec mes ides politiques. Ormes attentes et mes positions politiques ne risquent-elles pas de m influencer de manire inconsciente?l se trouve que je ne suis pas seulement un empiriste et un rationalisted un genre particulier, mais galementun libral (au sens anglais du terme);or c est prcisment parce que je suisun libral que j estime qu il y a peu dechoses qui soient plus importantespour un libral que de soumettre lesdiverses thories produites par la pen-se librale un examen critiqueapprofondi.C est en procdant un examen dece type que j ai dcouvert le rle qu ontjou certaines thories pistmologiques dans le dveloppement de lapense librale et, en particulier, les

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    diffrentes formes qu a revtues l optimisme pistmologique. Et j ai dconvenir, en tant qu pistmologue,qu il me fallait rejeter ces thoriescomme irrecevables. Cette expriencepeut servir montrer que nos rves etnos attentes ne dterminent pas nces-sairement les rsultats que nous pro-duisons et que, pour rechercher lavrit, la meilleure mthode consistepeut tre commencer par soumettre la critique nos croyances les pluschres. Ce projet pourra sembler retors certains, mais non ceux qui veulentdcouvrir la vrit et ne s en effrayentpas.

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    vL examen de l pistmologie opti-miste contenue dans certaines ides lib-

    rales m a fait dcouvrir un agrgat dedoctrines qui, bien qu elles soient sou-vent admises de manire tacite, n ont past, pour autant que je sache, explicite-ment discutes ni mme aperues p r lesphilosophes ou les historiens. Parmi cesdoctrines, la plus fondamentale est celle,dj invoque, du caractre manifestede la vrit. a plus trange, curieuseexcroissance de la premire, est celle ducomplot obscurantiste.J appelle doctrine du caractre m ni-feste de la vrit, comme vous le savez

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    dj, cette conception optimiste qui veutque la vrit, ds lors qu elle est dvoiledans sa nudit, soit toujours reconnaissable comme telle. Par consquent, si lavrit ne se rvle pas d elle-mme, ilsuffit de la dvoiler ou de la dcouvrir. nn y a pas lieu, ensuite, de poursuivre unquelconque dbat. Nos yeux nous ontt donns afm de contempler la vrit,et la -lumire naturelle de la raisonpour nous permettre de l apercevoir.C est cette doctrine qui fonde l enseignement de Descartes omme deBacon. L optimisme pistmologique.de Descartes repose sur la notion de laver cit s dei qui est essentielle. Ceque nous percevons clairement et distinctement tre vrai doit l tre effectivement car, s il en tait autrement, Dieunous tromperait. Par consquent, lincombe la vracit divine de rendrela vrit manifeste.

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    On trouve chez Bacon une doctrineanalogue, qui serait celle de la veraci-tas naturae la vracit de la Nature.a Nature est un livre ouvert. Qui l tu

    die avec un esprit pur ne saurait semprendre Il succombera l erreurseulement si son esprit est entach deprjugs.Cette dernire considration montreque la doctrine du caractre manifestede la vrit se trouve dans la ncessit derendre compte de l erreur. a connaissance, c est--dire la possession de lavrit, n a pas besoin d tre explique.Mais comment se peut-il que nous tombions dans l erreur ds lors que lavrit est manifeste? a raison est chercher dans notre refus coupable devoir cene vrit, pourtant manifeste, oudans les prjugs que l ducation et latradition ont gravs dans notre esprit,ou encore dans d autres influences per-

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    nicieuses qui ont perverti la puret etl innocence originelles de notre esprit.L ignorance peut tre l ouvrage depuissances qui conspirent nous maintenir en cet tat, contaminer notreesprit en y faisant pntrer la faussetainsi qu nous aveugler pour nousempcher de voir la vrit manifeste.Ce sont par consquent ces prjugs etces puissances hostiles qui constituentles sources de l ignorance.

    La version marxiste de cette thorie du complot obscurantiste est bienconnue: c est la conspiration de lapresse capitaliste qui dforme et censure la vrit afin d installer dans l esprit des travailleurs de fausses idologies. Parmi celles-ci, les doctrinesreligieuses occupent bien videmment une place minente. Il est surprenant de constater quel point cettethorie manque d originalit. La figure

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    du prtre imposteur et dvoy quimaintient le peuple dans l ignorancetait l un des grands strotypes duXVIIIe sicle et, si je ne me trompe, l undes thmes de la pense librale. Cettefigure a sa source dans la reprsenta-tion protestante du complot fomentpar l glise catholique, ainsi que dansles ides des dissidents qui tenaient undiscours analogue l gard de l gliseanglicane l Cette croyance tonnante en l exis-tence d'une conspiration est la cons-quence quasi inluctable de la repr-sentation optimiste qui veut que lavrit et, partant, le bien triomphentncessairement ds lors qu'on laisse

    1. J ai indiqu ailleurs qu'on pouvait retracer lagnalogie de cette reprsentation en remontantjusqu Critias, l oncle de Platon. f The penSociety and s Enemies Londres, Routledge,1945 0 6), chapitre 8 section II.

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    la vrit des chances quitables. Ques affrontent la vrit et la fausset; at-on jamais vu la Vrit avoir le dessousen une rencontre franche et loyale2 Ainsi, lorsque la vrit miltonienne setrouvait vaincue, force tait de conclureque la rencontre n avait pas t francheet loyale : si la vrit manifeste nel emporte pas, c est que des puissancesmalignes l ont repousse. Il apparatdonc qu une attitude de tolrance fonde sur une foi optimiste en la victoirede la vrit risque d avoir des assisesinsuffisantes i . Celle-ci est en effet sus-

    2 J Milton. Pour la libert de la presse sansautorisation ni censure. Areopagtttca ParisAubier-Flammarion. 1969, p. 271 (traductionmodifie). Cela n est pas sans rappeler le proverbe franais: a vrit triomphe toujours.

    3 f l article de J W N Watkins sur Milton,The Ltstener. 22 janvier 1959 [ Milton s Vision ofa Reformed England , pp. 168-172 N des T ]

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    ceptible de se transformer en une tho-rie du complot qui serait difficilementconciliable avec la tolrance.

    Je ne prtends pas que cene visiondu complot n ait jamais renferm lamoindre parcelle de vrit. Mais elleconstitue pour l essentiel un mythe, etil en va de mme de la doctrine ducaractre manifeste de la vrit dontelle est issue.Il est bien vrai que la vrit estsouvent difficile aneindre et qu ellepeut aisment tre nouveau perdueaprs qu on l a trouve. Des croyancesfausses parviennent quelquefois per-durer pendant des sicles de maniresurprenante, au mpris de toute exp-rience, et ce, qu elles tirent ou nonleur force de l existence d un complot.L histoire des sciences, celle de lamdecine en particulier, fourmilleraitd excellents exemples cet gard. Et le

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    schma gnral de la thorie du complot en est lui-mme l illustration: j entends par l l ide errone selonlaquelle tout vnement mauvais est imputer la volont mauvaise d unepuissance malfique. Diverses variantesde cette conception ont russi survivre jusqu aujourd hui.Ainsi, l pistmologie optimiste deBacon et de Descartes ne saurait trevraie. Mais ce qui est le plus tonnantdans l histoire de cette conception,c est sans doute le fait que cette pistmologie au demeurant fausse a tla principale source d une rvolutionintellectuelle et morale sans prcdent.Elle a encourag les hommes penserpar eux-mmes. Elle les a conduits esprer qu ils pourraient, grce laconnaissance, se librer eux-mmes etlibrer autrui de la servitude et dudnuement. C est elle qui a rendu pos-

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    sible la science moderne. C est elle quia inspir la lune contre la censure etla rpression de la libert de pense.Elle est devenue le fondement de laconscience non conformiste, de l indi-vidualisme, et elle a donn un contenunouveau la dignit humaine; c estd elle qu est venue l exigence delumires universelles, qu est n le dsirneuf d une socit libre. Cene conception a fait que les hommes se sont sen-tis responsables l gard d eux-mmescomme d autrui, et elle leur a imprimla volont d amliorer non seulementleur propre sort, mais aussi celui deleurs semblables. Nous avons ll exemple d une ide contestable qui adonn naissance une multituded ides lgitimes.

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    VIMais cette pistmologie errone a

    eu aussi de terribles consquences. adoctrine qui affirme le caractre manifeste de la vrit - que celle-ci estvisible pour chacun pour peu qu onveuille la voir - est au fondement depresque toutes les formes du fanatisme. Car seule la dpravation la plusperverse peut faire que l on refuse devoir la vrit manifeste; seuls ceux quiont des raisons de craindre la vritconspirent afin d en empcher la manifestation.Cette doctrine, cependant, ne faitpas qu engendrer des fanatiques - des

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    individus habits par la conviction quetous ceux qui n aperoivent pas lavrit manifeste sont ncessairementpossds du dmon - elle peut aussiconduire l autoritarisme, mme si ellele fait par des voies moins directes quene le ferait l pistmologie pessimiste.l en est ainsi simplement parce queen rgle gnrale, la vrit n est pasmanifeste. Et cette vrit prtendumentmanifeste demande donc constamment tre produite par interprtation etaffirme, mais aussi tre toujoursrinterprte et raffirme. l faut uneautorit qui prescrive et fIxe rgulirement ce qui doit tre tenu pour la vritmanifeste; or celle-ci peut en arriver s acquitter de cette tche dans l arbitraire et le cynisme. Ds lors, bien despistmologues dus se dpartirontde leur optimisme antrieur pour difIer une magnifique thorie autorita-

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    riste, inspire p r une pistmologiepessimiste. Platon, le plus minentd entre eux, me parat incarner ce typed volution tragique.

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    VIIe platonisme a jou un rle dcisifdans la prhistoire de la doctrine car

    tsienne de la veracitas dei d aprslaquelle notre intuition intellectuelle nenous trompe pas puisque Dieu estvrace et ne saurait nous tromper; end autres termes, notre entendement estsource de connaissance parce queDieu est source de connaissance. Cettethorie a une longue histoire qu onpeut aisment faire remonter au moinsjusqu Homre et Hsiode.nos yeux, l usage qui consiste citer ses sources semble naturel chezl rudit ou l historien, et cela nous sur-

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    prend sans doute un peu de dcouvrirqu'il nous vient des potes; il en estpourtant ainsi. Les potes grecs citentles sources de leur connaissance.Celles-ci sont de nature divine: ce sontles Muses. Gilbert Murray remarque queles potes piques grecs tiennent toujours des Muses non seulement ce quenous appellerions leur inspiration, maisbel et bien leur connaissance des faits.Les Muses sont prsentes et connaissent toutes choses ( .) Hsiode ( ...)explique toujours qu'il est redevable auxMuses de son savoir. l admet bien l'existence d'autres sources de connaissance(...) Mais, le plus souvent, ce sont lesMuses qu'il consulte . . ) Et Homre faitde mme lorsque, par exemple, il chantela composition de l'arme achenne

    1. G. Murray. The Rise of th reek EpIeOxford. Clarendon Press. 1924. p 96

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    Comme le montre cette citation, lespotes avaient coutume de se prvaloirnon seulement des sources divines deleur inspiration, mais aussi des originesdivines de leur savoir - des divinsgarants de la vracit de leurs rcits.

    On retrouve prcisment les mmesinstances chez deux philosophes, Hraclite et Parmnide. Hraclite se dcrit,semble-t-il, comme un prophte quiparle d une bouche gare (...) possd du dieu - de Zeus, source detoute sagessez. Quant Parmnide, onpourrait presque le prsenter comme lejalon manquant de cette trajectoire quirelie Homre ou Hsiode Descartes.L'toile qui le guide et l'inspire, c'estcette desse Dik dans laquelle Hra-

    2 H Die1s et W Kranz, ieFragmente er r-sokratiker Berlin, Weidmann, 1951-1952, DK B 92,3 ; cf 93 41 64 50

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    clite (E 28) voit la gardienne de lavrit. Parmnide la dcrit comme lagardienne et la dtentrice des cls de lavrit et comme la source de tout sonsavoir. Or Parmnide et Descartes ontdavantage en commun que la simpledoctrine de la vracit divine. En effet,la divinit garante de la vlit dit Parmnide que, pour distinguer le vrai dufaux, il doit se fier au seul logos et nonpas aux sens de la vue, de l oue et dugot j Le principe mme de sa thoriephysique qu il fonde, comme le faitDescartes dans sa conception intellectualiste de la connaissance, estidentique celui de la physique cartsienne c est l impossibilit du vide, lancessaire plnitude du monde.

    3 f ibid. Hrachte, B 54 123, 88 et 126,l allusion que celui-ci fait aux changements v -

    s ~ l e s q u i prodUisent des contralfes VISibles

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    Dans l Ion, Platon distingue de faontrs prcise entre l inspiration divine- la possession divine du pote - etles sources ou origines divines de laconnaissance vraie4 . Il accorde que lespotes sont inspirs, mais il leur refusetoute autorit d ordre divin pour laconnaissance des faits dont ils se prvalent. Nanmoins, la doctrine de l origine divine de la connaissance occupeune place centrale dans sa clbrethorie de la rminiscence qui garantit,dans une certaine mesure, la possession des sources divines de la connaissance chaque individu (il s agit en

    4 Ce thme est repris de manire plusdtaille dans le Phdre, en particulier partirde 259 e . en outre. en 275 b-c. Platon distinguemme de faon explicite. ainsi que H Chernissme ra fait observer. entre les questions portantsur l ongine de la connaissance et celles quiconcernent sa vnt.

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    l'occurrence de la connaissance del essence ou nature des choses, et nonde celle qui porterait sur des faits historiques bien prcis). D'aprs le Mnon81 b-d), l n'est rien que notre meimmortelle n'ait appris avant notre naissance. En effet, comme toutes les idessont parentes, notre me doit tre leur

    sur toutes, Elle les connat donctoutes: elle connat toutes choses , Ennaissant, nous oublions, mais nous pouvons nous ressouvenir et retrouvernotre savoir, mme si c'est seulement demanire partielle: ce n'est que si nouscontemplons nouveau la vrit quenous la reconnatrons. Toute connaissance est don re-connaissance -rminiscence, souvenir de l'essence ou

    5. Sur les rapports entre parent et connaissance, cf egalement hdon 79 d. Rpubltque611 d et Lo S 899 d.

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    de la vritable nature que nous avonsjadis connue6 .Cette doctrine prsuppose donc quenotre me se trouve dans un tat divind omniscience tant qu elle appartient aumonde ternel des ides, des essencesou des natures vritables, avant quenous ne naissions. Pour l tre humain, lanaissance est une chute: c est dchoird un tat naturel ou divin de connais-sance; l rsident donc l origine et lcause de l ignorance humaine (on trouveici en germe l ide que l ignoranceconstitue un pch ou, du moins, qu elleest lie au pch; c f Phdon 76 d).De toute vidence, la thorie de larminiscence et la doctrine de l origineou de la source divine de notreconnaissance sont troitement lies.De manire parallle, l existe aussi un

    6 f Phdon 77 e sq. 75 e.

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    rapport troit entre l thorie de l rmi-niscence et la doctrine du caractremanifeste de l vrit: si alors mmeque nous sommes plongs d ns unoubli coupable, nous apercevons lavrit, nous ne pouvons manquer dela reconnatre pour telle. Par cons-quent, au terme de l'anamnse, l vritretrouve le statut qui est le sien: elle estce qui n'est pas oubli et n'est pas cachaltbs), elle est ce qui est manifeste.Socrate le montre dans le passageadmirable du non o il aide unjeune esclave dpourvu d'instruction retrouver la dmonstration d un casparticulier du thorme de Pythagore.

    On voit ici l uvre une pistmologieoptimiste qui prfigure le cartsianisme.Or il semble que, dans le Mnon Platona eu conscience du caractre extrme-ment optimiste de sa thorie, puisqu'il ladfmit comme une doctrine qui rend

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    l homme dsireux d apprendre, de chercher et de dcouvrir.Mais Platon a d se laisser gagnerpar le dsenchantement: on trouve eneffet dans la Rpublique (et aussi dansPhdre les linaments d une thoriepessinliste de la connaissance. Dans laclbre allgorie de la caverne (514 sq.),il montre que le monde de l expriencesensible n est qu une ombre, qu unreflet du monde vritable. Mme sil un des prisonniers s chappait de lacaverne et se trouvait en prsence dumonde rel, il ne pourrait le voir et lecomprendre qu au prix de difficultspresque insurmontables - pour nerien dire de celles qu il prouvera tenter de le faire comprendre ceux qu ila laisss derrire lui. Les obstacles quientravent la comprhension du monderel sont d ordre suprahumain, et trsrares sont ceux - s il s en trouve - qui

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    puissent accder cet tat divin o lemonde vritable devient intelligible, l tat divin de la connaissance vraie, del epistm.

    e pessimisme de cette thorie vautpour la grande majorit des hommes,mais non pour tous (elle enseigne eneffet que quelques individus - leslus - sont en mesure d atteindre lavrit. Pour ceux-ci, elle tmoigne d unoptimisme encore plus marqu, pour-rait-on dire, que ne le fait la thorie ducaractre manifeste de la vrit). C estdans les Lois que les consquencesautoritaristes et traditionalistes de cetteconception pessimiste se trouvent pleinement dveloppes.

    a philosophie platonicienne nousfait ainsi passer, pour la premire fois,d une pistmologie optimiste unepistmologie pessimiste. Chacune deces deux conceptions est au fonde-

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    ment d une des deux philosophies,diamtralement opposes, de l tat dela socit: d un ct, le rationalismeantitraditionaliste, antiautoritaire, rvolutionnaire et utopiste la Descartes,et, de l autre, le traditionalisme autoritariste.

    Il est fort possible que cette volution soit lie au fait que l ide de lachute pistmologique de l hommepuisse recevoir non seulement l interprtation optimiste qui est celle de lathorie de la rminiscence, mais aussiune autre interprtation, en un senspessimiste.Pour celle-ci, c est la chute del homme qui voue l ensemble - ou lagrande majorit - des mortels l ignorance. Il semble qu on puisse percevoirdans l allgorie de la caverne (et sansdoute aussi d ns le rcit du dclin dela cit, lorsque les Muses et leur divin

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    enseignement se trouvent ngligs;f Rpublique 546 d) l cho d une intressante formulation antrieure de lamme ide. Il s agit de la doctrine parmnidienne selon laquelle les opinionsdes mortels sont des illusions et proviennent d une convention mal fonde(cette conception est peut-tre issue decelle de Xnophane, pour qui touteconnaissance humaine est pure conjecture, ses propres thories n tant dansle meilleur des cas que semblables lavrit7 . Cette convention mal inspireest le fait du langage: elle consiste donner des noms ce qui n a pasd existence. L ide de la chute pistmologique de l homme se trouve peuttre, comme Karl Reinhardt le suggre,dans les formules de la desse qui indi-

    7 Le fgmem de Xnophane auquel nous faisons allUSion i I est le fragment B 35

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    quent le passage de la voie de la vrit celle de l opinion trompeuse8 ,Mais tu apprendras aussi comment l opi

    nion trompeuse,Destine tre prise pour vraie, se frayait unpassage travers toutes d1es L J

    8 Cf K Reinhardt, Parmenides und die Ge-schichte er grtechischen Philosophie, Francfort.Klostermann. 1959. p. 26; cf galement, p 5-11,pour les deux premiers vers cits ici B 1 vv. 31-32 e troisime vers correspond au fragment B 8v. 60 cf Xnophane, B 35), le dernier, B 8 v. 61.

    Voici la traduction anglaise propose parPopper:

    But you shall also lean how it was that delu-sive opinion,

    Bound to be taken for real, was forcing its waythrough all things ..

    Now of this world thus arranged to seemwholly like truth 1 shall tell you ,

    1ben you wtll he nevermore led astray by thenotions of mortals. (N. des T)

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    Je vais prsent te parler de ce mondeassembl de manire paratre tout faitsemblable la vrit;Ainsi, tu ne seras plus j m is gar par lesnotions des mortelsPar consquent, bien que la chutesoit le fait de tous les hommes, la vrit

    peut cependant tre rvle aux lus parla grce - mme celle du monde irreldes illusions, des opinions, des notionset des dcisions conventionnelles propres aux mortels: du monde irrel del'apparence, destin tre admis commerel et tre, comme tel, approuv9.Deux aspects essentiels ont influencla philosophie platonicienne: la rv-

    9 Il est intressant d'opposer cette conceptionpessimiste de la ncessit de l'erreur l'optimismed un Descartes ou d un Spinoza, qui LettreLXXVI,

    lin 5) meprise ceux qui rvent d esprits impursnous inspirant des ides fausses semblables desides vraies veris similes)

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    lation recueillie par Parmnide et saconviction qu un petit nombre peutatteindre la certitude l'gard dumonde immuable de la ralit ternellecomme de celui, irrel et changeant,de la vrisimilarit verisimilitudeYoet de l'illusion. C'est l un thme quePlaton, partag entre l'esprance, ledsespoir et la rsignation, a constamment repris.

    10 Popper n'emploie pas ici le terme anglaisverisimilitude avec le sens plus proprement technique qu'il lui assignera plus tard. en l'opposantnotamment ,probabilit . J Bouveresse avaitsuggr. par exemple n Critique. n ~ 327-328,qU'on le traduist par, vriproximit mais nousretiendrons, pour notre part, la traduction ,vrisimilarit , propose parJ R. Ladmiral dans le cadredu Sminaire de traduction philosophique de ParisX-Nanterre. qui a le mrite de restituer la gnalogie comme l logique du choIX terminologiquepopprien N. es T

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    VIIIMais ce qui nous intresse ici, c estl pistmologie optimiste de Platon, la

    thorie de la rminiscence prsentedans le Mnon Toutes deux prfigu-rent, selon moi, non seulement l intel-lectualisme cartsien, mais aussi lesthories aristotlicienne et, plus parti-culirement, baconienne de l induc-tion.En effet, les questions judicieusesde Socrate aident l esclave de non se ressouvenir et retrouver cetteconnaissance oublie que son meavait en partage avant la naissance,alors qu elle connaissait toutes choses.

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    Je pense que c'est cette clbremthode socratique, dsigne dans leTbtte comme art de l'accouchement,ou maeutique, qu'Aristote faisait allusion lorsqu'il affirmait que Socrate avaitinvent la mthode inductive.Selon moi, Aristote et Bacon entendaient moins par f t induction le faitd'infrer les lois universelles partird'observations particulires qu unedmarche nous conduisant jusqu'aupoint d o nous pouvons intuitionnerou apercevoir l'essence ou la naturevritable d une chose2 Or tel est prci-

    1. Mtaphysique. M. 1078 b 17-33; f galement 987 b 1.

    2. Chez Aristote. le tenue d' induction epa-gg) dsigne au moins deux choses diffrentesque l'auteur met parfois en relation. Dans le premier cas, il s'agit d une dmarche qui nous faitsaisir intuitivement le principe gnral PremiersAnalytiques. 67 a 22 sq. su la rminiscence dans

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    sment, comme nous l avons montr,l objectif de la maeutique de Socrate:son but est de permettre l anamnse oude nous conduire; et la rminiscenceelle-mme est la facult de voir la vri-le Mnon; Seconds Analytiques, 71 a 7). Dans lesecond, nous avons affaire une mthodeTopiques, 105 a 13 156 a 4; Seconds Analy-tiques, 78 a 35 81 b 5 sqq.) qui procde l partirde cas (individuels), selon une dmarche positive,et non pas de nature critique ou recourant descontre-exemples. a premire mthode mesemble tre la plus ancienne et celle que Ion peutle plus aisment rapprocher de la maeutiquesocratique, avec son caractre critique et sescontre-exemples. a seconde parat tre issued un effort pour systmatiser l induction d unpoint de vue logique ou encore, comme le ditAristote Premiers Analytiques, 68 b 15 sqq.),pour construire un syllogisme valide partir de1 induction , pour tre valide. celui-ci doit videmment tre un syllogisme dnduction parfaiteou complte (numration complte des cas). et

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    table nature ou l essence d une chose,ces ides dont nous avons eu connaissance avant notre naissance, avantnotre chute. Ainsi, les deux procds,la maeutique et l induction, ont desobjectifs identiques. Aristote enseignaitd ailleurs que le rsultat de l induction- l intuition de l essence - devaits exprimer par la dfinition de cetteessence.

    Si nous examinons plus attentivement ces deux dmarches, nousconstatons que l art socratique de lamaeutique consiste avant tout poserdes questions destines dtruire lesprjugs, les fausses croyances quisont souvent le fait de la tradition oulnduction ordinaire. au sens qu a le terme d nsla seconde dmarche, n est qu une fonne affaiblie(et non valide) de la premire cf The penSociety op cit. chap. 11 note 33),

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    de la coutume du moment, les faussesrponses qu inspire une prsomptueuse ignorance. Socrate, quant lui,n'a pas la prtention de savoir. Aristotedfinit son attitude en ces termes:Socrate interrogeait et ne rpondaitpas, car il avouait ne pas s a v o i r ~ .Par consquent, sa maeutique n estpas une technique qui vise enseigner une quelconque croyance mais,au contraire, nettoyer ou purifier(cf l'allusion l Amphidromia inThtte 160 c) l'me de ses faussescroyances, de son semblant de savoir,de ses prjugs. Elle y parvient ennous apprenant mettre en ques-

    3 Rfutations sophistiques 183 b 7; cf galement Tbtte 150 c-d, 157 c, 161 b

    4 Il s'agit de la fte des nouveau-ns que l'onport i t en courant, autour du foyer, le cinqUimeJOur aprs la naissance (N. des T

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    tion les convictions qui sont lesntres.L induction baconienne comporteun dmarche essentiellement iden-tique.

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    Voici le contexte dans lequel oprethorie baconienne de l induction.Dans le Novum Organum, Bacon dis-tingue entre vritable mthode etfausse mthode. e nom qu il donne la premire, interpretatio naturae ,est d ordinaire traduit par l'expressioninterprtation de la nature , et celuide la seconde, anticipatio mentis ,par anticipation de l esprit 1. Si ces tra-ductions paraissent aller de soi, ellesn'en sont pas moins trompeuses. Par

    1 f Novum Organum. notamment I XXVI(N. des T

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    interpretatio n tume O Bacon entend,me semble-t-il, la lecture ou, mieuxencore, l dchiffrage du livre de laN a t u r e ~

    En anglais moderne, le termed interprtation a indniablementune connotation subjective ou relativiste. Lorsque l'on parle de l'interprtation du Concerto de l'Empereur parRudolf Serkin, on sous-entend qu'ilexiste diffrentes interprtations etqu on se rfre celle de Serkin. Nousne voulons videmment pas suggrerpar cette remarque que cette interprtation n'est pas la meilleure, la plusvraie n la plus proche des intentions

    2. Dans un passage clbre de Il Saggiatore(section 6) que M Bunge m'a aimablement rappel, Galile parle du grand livre qui est ouvertdevant nous, c'est--dire l'univers [opere VIp. 2321; cf galement Descartes, Discours de lmthode, premire partie,

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    de Beethoven. Mais quand bien mmenous n'en saurions imaginer de meil-leure, le fait de parler d' interprta-tion.. implique qu'il existe d'autresinterprtations ou d'autres lectures pos-sibles, sans que l'on s'interroge poursavoir si, parmi ces autres lectures, cer-taines offrent une vrit quivalente.J'ai employ ici le terme lecturecomme synonyme de celui d'. inter-prtation , non seulement parce qu'ilsont des sens trs voisins, mais aussiparce que l'volution du sens de lec-ture et de lire a t analogue celled' interprtation et d' interprter , sice n'est que pour lecture l'acceptionplus ancienne et l'acception modernedemeurent toutes deux parfaitementusuelles. Dans l'nonc J'ai lu la lettrede Jean , le terme est employ au senshabituel, sans connotation subjective.Mais les noncs: Je lis ce passage de

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    la lettre de Jean tout fait diffmmment ou plutt Je fais de ce passageune lecture trs diffrente offrent desexemples d une acception plus tardivedu mot -lecture., qui introduit un lment de subjectivisation ou de relativisation.

    Or je prtends que la significationd interprter (sauf au sens de traduire.) a volu exactement de lamme manire, si ce n'est que le senspremier - sans doute celui de lire voix haute l'intention de ceux qui nepeuvent lire eux-mmes. - a pratiquement disparu. l'heure actuelle,mme la formule qui prescrit que lejuge doit dire le droit interpret thelaw signifie que celui-ci dispose d unecertaine latitude pour le faire, tandisqu l'poque de Bacon le sens et t:le juge a le devoir de dire le droit telqu'il est, de l'exposer et d en faire la

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    seule application qui soit juste. Inter-pretatio juris (ou legis a ce sens-lou alors dsigne le fait d exposer ledroit des non-juristes3. Dans une telleoptique, l interprte de la loi ne dispose d aucune libert ou, du moins, iln en a pas plus que le traducteur jurqui traduit un document juridique.Par consquent, traduire par l interprtation de la nature ne convientpas; il faudrait y substituer quelquechose comme -la (vraie) lecture de lanature H par analogie avec -la (vraie)lecture du droit. Je pense que ce quevoulait dire Bacon, c est: lire le livrede la Nature tel qu il est ou, mieuxencore, dchiffrer le livre de la Nature.Il faudrait en effet que la formule rete-

    3 f Bacon De augmentis , VI XLVI etT Maniey. he Interpreter[.l Obscure Word5 andTerms used in tbe Lawes oftbis Realm. s 1 1672.

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    nue exclue toute ide d'interprtationau sens moderne du terme et, en particulier, elle ne doit pas suggrer l'ided un effort pour interprter ce qui estmanifeste dans la nature, la lumired hypothses ou de causes non manifestes; car l s'agirait alors de l antici-patio mentis, telle que la comprendBacon. C'est d'ailleurs, selon moi, uneerreur que d'attribuer Bacon l'ideque sa mthode inductive puisse pro-duire des hypothses - ou des conjectures - puisque l'induction baconienneproduit une connaissance certaine etnon pas conjecturale.Quant au sens de l'expression anti-cipatio mentis l n'est que de citerLocke: Les hommes s'abandonnent auxpremires anticipations de leur esprir.

    4 e l conduite de l entendement. Paris.Vrin, 1975 (u .ld Y Michaud), 26

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    Il s'agit quasiment d une traduction deBacon, et celle-ci fait clairement appa-ratre qu anticipatio signifie prjug , voire superstition . On peutciter aussi l'expression anticipatiodeorum , qui signifie avoir des dieuxdes reprsentations naves, primitivesou superstitieuses. Mais on peut appor-ter plus de clart encore; prjug. (cfDescartes, Principes, l 50) vient d unterme juridique et, s'il faut en croire leOxfordEnglish Dictionary, c'est Baconqui a introduit le verbe to prejudgedans la langue anglaise, avec le sens dejuger au pralable de manire dfavorable , c'est--dire en passant outre

    aux obligations du juge'.Ainsi, les deux mthodes qu voqueBacon sont; 1) le dchiffrement du5 Cf Advancement of Learning. Londres,

    Dent, 1973. 1. V 2 (N. de T.)

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    livre ouvert de la Nature , qui conduit la connaissance ou epistm et 2) leprjug de l esprit qui prjuge de laNature mauvais escient ou mme lamjuge et conduit la doxa ou prsomption pure et simple, ainsi qu unemauvaise lecture du livre de la Nature.Cette seconde mthode, que Baconrcuse, constitue en ralit une mthodeinterprtative, au sens moderne duterme. C est celle des conjectures ouhypothses (mthode dont je me trouved ailleurs tre un partisan convaincu).Mais comment se prparer faire dulivre de la Nature une lecture correcteou fidle? La rponse de Bacon estcelle-ci : il convient d liminer denotre esprit toutes les anticipations,conjectures, suppositions ou prjugs6 .Diverses dmarches sont ncessaires

    6 Novum Organum 1 LXVIII LXIX injzne.

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    cette purification de l esprit. Il faut sedbarrasser de toutes sortes d idolesou fausses croyances largement rpan-dues, car elles gauchissent nos obser-vations Mais l s agit galement, l instar de Socrate, de chercher toutessortes de contre exemples qui nouspermettront de faire justice de nos pr-jugs quant ce dont nous voulonstablir la vritable essence ou nature.Comme Socrate, nous devons, en puri-fiant notre esprit, prparer notre me contempler la lumire ternelle desidesB : l est ncessaire d exorciser nosimpurs prjugs par l invocation decontre exemples9 .C est seulement aprs avoir ainsipurifi nos mes que nous pouvons

    7 Ibid 1 XCVII.8 Cf saint Augustin. a Cit e Dieu VIII. 39 Novum Organum II, XVI. sqq.

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    entreprendre de dchiffrer avec application le livre ouvert de la Nature, lavrit manifeste.our toutes ces raisons, l induction

    baconienne (mais celle d Aristote galement) me parat tre, pour l essentiel,identique la m eutique de Socrate:il s agit, en liminant les prjugs, deprparer l esprit afin qu il puisse reconnatre la vrit manifeste ou lire dans lelivre de la Nature.

    a dmarche cartsienne du doutemthodique est, elle aussi, essentiellement du mme type : c est une mthodepour liminer tous les prjugs erronsde l esprit afin d accder au fondementinbranlable que constitue la vrit vidente par elle-mme.Nous discernons mieux prsentque, pour une pistmologie optimistede cet ordre, la connaissance est l tatnaturel ou pur de l homme, l tat du

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    regard innocent capable de voir lvrit, tandis que l'tat d'ignorancersulte de la blessure inflige ceregard innocent lors de la chute del'homme, blessure qu'un processuscathartique peut partiellement gurir.Nous comprenons mieux aussi pour-quoi cette thorie de la connaissance,sous sa forme cartsienne mais gale-ment sous la forme que lui confreBacon, demeure en son fond unedoctrine de nature religieuse, pourlaquelle la source de tout savoir estl'autorit divine.

    On pourrait dire que l'pistmolo-gie baconienne, sous l'influence desessences ou natures divines de lphilosophie platonicienne et de l'oppo-sition, classique chez les Grecs, entrel vracit de la nature et le caractreillusoire de la convention d'originehumaine, substitue la Nature Dieu .

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    C est peut-tre ce qui explique qu ilfaille nous purifier avant de pouvoirpprocher la desse atura ds lors

    que nous aurons purifi notre esprit,nos sens eux-mmes, qui sont parfoistrompeurs (et que Platon tenait pourirrvocablement impurs), deviendrontpurs. l faut conserver leur puret uxsources de la connaissance, parce quetoute impuret risque de se transformer en une source d ignorance.

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    xMalgr le caractre religieux deleurs pistmologies respectives, lesattaques que Descartes et Bacon ontformules contre les prjugs et cescroyances traditionnelles auxquelles

    nous adhrons par ngligence ouinsouciance sont l vidence d inspiration antiautoritaire et antitraditionaliste. Ces philosophes nous demandenten effet de nous dfaire de toutes noscroyances, except celles dont nousavons nous-mmes aperu la vrit.r ces attaques visaient assurmentl autorit et la tradition. Elles relevaient

    de cette lutte contre l autorit dont8

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    l poque tait coutumire, de la luttecontre l autorit d Aristote et la tradition scolastique. Les hommes n ont pasbesoin de cette sorte d autorit ds lorsqu ils peuvent percevoir le vrai pareux-mmes.Nanmoins, je ne pense pas queBacon et Descartes soient parvenus librer leur pistmologie de touterfrence une autorit, et ce, moinsparce qu ils en appelaient une autorit de typ religieux - la Nature ouDieu - que pour un autre motif, plusprofond encore.Malgr l orientation individualistede leur pense, ils ne sont pas alls jusqu faire appel notre esprit critique, votre jugement ou au mien; ils ontsans doute pens que cela risquait deconduire au subjectivisme et l arbitraire. Mais, quelle qu en ft la raison,ils ne sont assurment pas parvenus,

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    mme s ils le souhaitaient vivement, penser en ne se rfrant plus uneautorit. Ils n ont pu que remplacerune autorit - celle d Aristote et descritures - par une autre. Chacund eux se rfrait une autorit nou-velle: l un, l autorit des sens, l autre, l autorit de l entendement.Cela signifie que Bacon et Descartesont t impuissants rsoudre cettegrande question: comment reconnatreque notre connaissance est chosehumaine - trop humaine - sans sousentendre en mme temps qu elle n estque fantaisie et arbitraire individuels?Ce problme avait pourtant taperu et rsolu il a longtemps: toutd abord, semble-t-il, par Xnophane,puis par Dmocrite et, ensuite, parSocrate (le Socrate de l Apologie pluttque celui du Mnon). Le rsoudre c estcomprendre que si tous nous sommes

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    sujets l erreur et nous trompons souvent, individuellement et de manirecollective, cette ide de l erreur et de lafaillibilit humaine en implique prcisment une autre: l ide de la vritobjective cette norme que nous n atteignons pas ncessairement. En consquence, il ne faut pas considrer que ladoctrine de la faillibilit relve d unethorie pessimiste de la connaissance.D aprs cette doctrine, nous sommesen mesure de rechercher la vrit, lavrit objective, mme si, le plus souvent, nous manquons de beaucoupnotre but. i nous avons le respect de lavrit, nous devons rechercher celle-cien cherchant obstinment mettreau jour nos erreurs : par une critiquerationnelle et une autocritique de tousles instants.rasme s est employ redonner vie l enseignement socratique - ensei-

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    gnement dcisif malgr la modestiedu propos: Connais-toi toi-mme etreconnais ainsi combien tu connaispeu Mais cette attitude a fait place la croyance dans le caractre manifestede la vrit et cette forme nouvelle deconfiance en soi qu'ont incarne etenseigne, sous des modalits diffrentes, Luther et Calvin, Bacon et Descartes.

    cet gard, l est important d'obser-ver la diffrence qui spare le doutecartsien du doute socratique, ouencore de celui d'rasme ou de Montaigne. Alors que Socrate met en ques-tion la connaissance ou la sagessehumaines et persiste dans ce refus detoute prtention la connaissance ou la sagesse, Descartes rvoque touteschoses en doute, mais uniquementpour parvenir la possession d'uneconnaissance absolument certaine

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    car l dcouvre qu un doute hyperbo-lique le conduirait mettre en questionla vracit divine, ce qui constitue uneabsurdit. Aprs avoir dmontr que ledoute universel est absurde, l conclutque nous pouvons tre assurs deconnatre, que nous pouvons tre sages- condition de faire, grce lalumire naturelle de la raison, la diffrence entre les ides claires et distinctes, qui nous sont inspires parDieu, et toutes les autres ides, quiproviennent de cette source impurequ est notre propre imagination. Ainsi,le doute cartsien n est qu un simpleinstrument maeutique, servant tablir un critre de l vrit et, partant,une mthode susceptible de nous assurer connaissance et sagesse. Mais pourle Socrate de l Apologie, la sagesserside dans la conscience que nousavons de nos limites, dans le fait de

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    savoir combien chacun de nous saitpeu de choses.C'est cette doctrine de la faillibilitconsubstantielle de l'homme que Nico-las de Cues et rasme (qui se rfre Socrate) ont reprise; et c'est sur cettedoctrine humaniste.. (par opposition la doctrine optimiste du ncessairetriomphe de la vrit, sur laquelle Mil-ton faisait fond) que Nicolas de Cues etrasme, Montaigne, Locke et Voltaire,suivis par John Stuart ill et BertrandRussell, ont fait reposer leur doctrinede la tolrance. Qu'est-ce que latolrance?.. demande Voltaire dansson Dictionnaire philosophique et ilrpond: C'est l'apanage de l'humanit. Nous sommes tous ptris de fai-blesses et d'erreurs; pardonnons-nousrciproquement nos sottises, c'est lapremire loi de la nature. Plus rcem-ment, on a fait de la doctrine de la

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    faillibilit le fondement d une thoriede la libert politique, c est--dire del mancipation par rapport la coercition

    1 f F A Hayek. The Constttution ofLibertyLondres. Roudedge. 1960. pp 22 et 29

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    XIBacon et Descartes ont rig l observation et la raison en autorit nouvelleprsente en ch cun de nous. Mais ils

    ont ainsi scind l homme en deux etinstitu une instance suprieure, quifait autorit en matire de vrit - lesobservations pour Bacon, l entendement chez Descartes - et uneinstance infrieure. C est la secondequi forme notre moi commun, le vieilhomme qui est en nous. Car si la vritest manifeste, c est toujours nousmmes qui sommes seuls comptablesde l erreur. C est nous, avec nos prjugs, notr ngligence, notr obsti-

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    nation, qu en revient la faute; noussommes nous-mmes la source denotre ignorance.Nous sommes donc scinds en unepartie humaine, nous-mmes, sourcede nos opinions faillibles doxa), denos erreurs et de notre ignorance, etune partie suprahumaine, les sens oul entendement par exemple, source dela vritable connaissance epistm),qui exercent sur nous une autoritquasi divine.Mais l y a un problme. Noussavons en effet que la physique cartsienne, remarquable maints gards,tait errone. Or elle ne se fondait quesur des ides qui, de l avis de Descartes, taient claires et distinctes eteussent donc d tre vraies. Quant l autorit des sens comme source deconnaissance, le fait qu on ne puisses en remettre eux tait dj connu

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    des Anciens, mme avant ParmnideXnophane et Hraclite, par exemple,en avaient conscience, ainsi, bienvidemment, que Dmocrite puis Platon.

    Il est curieux que cet enseignementsoit demeur lettre morte pour nosempiristes modernes, y compris pourles phnomnalistes et les positivistes;or, dans la plupart des problmes queceux-ci soulvent comme dans lessolutions qu ils proposent, il n y est pasfait rfrence. En voici la raison: cespenseurs croient que ce ne sont pasnos sens qui se trompent, mais nousmmes qui nous garons tandis quenous interprtons ce qui nous estdonn par nos sens. Nos sens disentvrai, mais nous risquons de nous trom

    per lorsque, par exemple, nous tentonsde formuler dans le langage un lan-gage de convention, cr par l homme9

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    et imp rf it - ce que nous disent nossens. C est notre description par lebiais du langage qui est fautive, parcequ elle est susceptible d tre entachede prjugs.

    Ainsi, notre langage, humaine institution, se trouvait en dfaut Mais l ons aperut alors que le langage aussinous avait t donn et que cetaspect tait dcisif: en lui s taientdposes la sagesse et l exprience deplusieurs gnrations, et nous n avionspas lui imputer notre incapacitventuelle en bien user. e langageest donc devenu, lui aussi, une autoritdont la vracit interdit qu il puissenous tromper. Si nous succombons latentation et usons du langage aveclgret, c est nous qui sorrunes causedes difficults qui en rsultent. Car leLangage est un Dieu jaloux, il ne laissepas impuni celui qui prend son verbe

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    la lgre mais le plonge dans lestnbres et le chaos.Ds lors que nous mmes et notrelangage (ou le mauvais usage que nousen faisons) portons cette responsabi-lit, l devient possible de conserveraux sens (voire au langage lui-mme)leur statut d autorit caractre divin.Mais cette opration ne peut se fairequ au prix d un accroissement del cart sparant cette autorit de nous-mmes: les sources pures qui nousdonnent de la vrace desse Natureune connaissance ayant autorit, nous-mmes qui sommes d une impuretcoupable; Dieu et l homme. Comme jel ai indiqu, cette notion d une vracitde la nature, que je crois pouvoir liredans Bacon, vient des Grecs; elle estimplique dans l opposition traditionnelle entre la n ture et la conventiond origine humaine qui, s il faut en

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    croire Platon, nous vient de Pindare.que l on peut reprer chez Parmnideet que lui-mme, comme certainssophistes (Hippias, par exemple) et,pour une part, Platon lui-mme, assimile l opposition entre la vritdivine et l erreur, voire la faussethumaine. Aprs Bacon et sous soninfluence, l ide du caractre divin etde la vracit de la nature, l ide quetoute erreur ou fausset tient aucaractre trompeur des conventionshumaines ont continu de jouer unrle dcisif, non seulement dans l histoire de la philosophie, de la science etde la pense politique, mais aussi danscelle des arts de la reprsentationvisuelle. On l observe, par exemple,dans les thories trs intressantes qu adveloppes Constable propos de lanature, de la vracit, des prjugs etdes conventions et que E H Gombrich

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    cite dans L Art et l Illusion 1 Cetteconception a galement exerc uneinfluence d ns l histoire de la littratureet mme dans celle de la musique.

    1 Cf notamment, d ns l ouvrage cit E HGombrich, L:Art et 11llusion Paris, Gallimard,1971 trad. G Durand), les premier et dernier cha-pitres N des T

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    XIIL ide tonnante qui veut qu onpuisse statuer de la vrit d un nonc

    grce une investigation de ses sources- c est--dire d une enqute portantsur son origin peut-elle s expliquerpar une confusion logique susceptibled tre dissipe? Ou bien sommes-nousrduits en rendre compte par desconsidrations touchant aux croyancesreligieuses ou la psychologie - enfaisant intervenir l autorit parentale,par exemple? Je pense que l on peuteffectivement faire apparatre, en l occurrence, une faute logique qui tient l troite analogie qui s tablit entre le

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    sens des mots, des termes ou desconcepts que nous employons et lavrit des noncs ou des propositionsque nous formulons cf notre tableau) .

    On constate aisment qu'il y a bienune certaine relation entre l sens desmots que nous employons et leur histoire ou leur origine. Du-point de vuelogique, le mot est un signe conventionnel; pour la psychologie, c'est unsigne dont le sens se trouve ftx parl'usage, l'habitude ou des relationsd'association. Du point de vue qui estcelui de la logique, le sens d un mot esteffectivement ftx par une dcision ini-

    1. Ce tableau cf p 105), utilis id pour la premire fois a t r pris par Popper en plusieurs occasions et figure notamment in objecttve KnowledgeAn Evolutlonary Approach Oxford, ClarendonPress, 1972 pp. 124 et 310 ainsi que dans l Quteinacheve. Paris, Calmann-Lvy, 1981 (trad. M.Bouin-Naudin et R Bouveresse), p. 6 N des T.)

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    tiale - une sorte de dfInition ou deconvention prenre, une manire decontrat social originel; en psychologie,on peut dire que ce sens a t fIxlorsque nous avons appris, pour la premire fois, employer ce mot, alorsque se constituaient nos habitudes etnos associations en matire de langage. Les petits collgiens anglais ontdonc raison, d'une certaine manire,quand ils dplorent le caractre inutilement artificiel de cette langue franaisequi dit pain pour bread, alors quel'anglais est, leurs yeux, tellementplus naturel et transparent, puisqu'ildit pain pour pain et bread pourbread ,2. lis sont parfaitement enmesure de comprendre la part de

    2 L'anglais pain signifie douleur , et Popperjoue sur l'homonymie entre franais pain etanglais pain N. des T.

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    convention inhrente tout usage,mais ce que leur dolance exprime,c'est l'ide qu'il n'y a pas de raisonpour que les conventions premires- celles qui sont telles leurs yeux -ne soient pas contraignantes. S'ils semprennent, c'est tout simplementqu'ils oublient qu'il peut y avoir plusieurs conventions premires qui toutessont, au mme degr, contraignantes.Mais qui n'a pas, ft-ce de manireimplicite, commis ce genre d'erreur?Ne nous sommes-nous pas, pour laplupart d'entre nous, trouvs surpris dedcouvrir qu en France mme les trsjeunes enfants parlent couramment lefranais? Cette navet nous fait bienvidemment sourire; or nous ne songeons pas sourire du policier quidcouvre que le vrit ble no du prsum Samuel Jones est en fait JohnSmith , alors qu'il y a l un lment

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    rsiduel de cette croyance magiquequi veut que nous acqurions du pou-voir sur une divinit ou un esprit dslors que nous sommes parvenus connatre son vr i nom: en profrantcelui-ci, nous avons le pouvoir d invoquer ou de convoquer cette divinit.

    Que le vrai sens d un mot ou sonsens propre soit son sens premier, c estl une ide courante mais qui peut toutaussi bien tre dfendue d un point devue logique. Si nous comprenons cesens, c est que nous l avons correctementappris - nous le tenons d une autoritdigne de foi de quelqu un qui connaissait la langue. Cela montre que le problme du sens des mots est effectivementli celui es sources investies d autorit,ou encore celui des origines de l usageauquel nous nous conformons.l n en va pas de mme pour la vritd un nonc, d une proposition. En

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    effet, il peut arriver chacun de com-mettre une erreur factuelle, mme endes matires o son jugement devraitfaire autorit, comme lorsqu il s agit dedire son ge ou d indiquer la couleurd un objet dont on vient d avoir l ins-tant mme une perception claire et dis-tincte. Et quant son origine, l noncpeut fort bien avoir t faux alors qu iltait formul et correctement comprisds le dbut. Un mot, en revanche, ancessairement eu, aussitt qu il a tcompris, un sens propre.En consquence, si nous faisonsrflexion sur la manire dont le sens desmots et la vrit des noncs se trouventrfrs leurs origines respectives et surles diffrences qui distinguent ces deuxprocessus, nous ne sommes plus enclins penser que la question de l originepuisse avoir une grande incidence surcelle de la connaissance ou de la vrit.

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    Le sens et la vrit comportent nanmoins une profonde analogie; et ilexiste une conception philosophique- laquelle j ai donn le nom d essentialisme3 - qui s efforce de lier si troitement le sens et la vrit qu il devientpresque impossible de rsister la tentation qui consiste traiter les deux lments de la mme manire.

    Pour expliquer brivement ces difficults, nous nous reporterons nou-veau au tableau des Ides en observantles rapports qui s instituent entre sesdeux colonnes.

    3. Popper a dj employ ce terme dans deprcdents ouvrages. La paternit semble devoiren tre attribue P. Duhem qui utilise celui-cidans son ystme du monde, Paris. Hermann1954 t VI pp. 451-509. pour caractriser la doc-trine scotiste du franciscain Franz von Mayroni

    t vers 1329) et celle de Nicolas Bonet t 1360)N. des T).

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    Comment les deux parties de cetableau sont-elles relies? Nous voyons,inscrit dans la colonne de gauche, letenne dfinitions . Or une dfinitionest une manire d monc, de jugementou de proposition, et est donc du mmeordre que ces lments qui appartiennent la colonne de droite (cela ne ruined ailleurs pas la symtrie du tableau prsent, tant donn que les drivations,elles aussi, oprent au-del des limitesdu typ d lments - noncs, etc. -reprsents dans la colonne o elles setrouvent places: de mme qu une dfinition s exprime l aide d une squenceverbale de nature particulire plutt quepar un mot, de mme une drivation sefonnule au moyen d un typ particulierde squence d'moncs et non d unnonc). Et le fait que les dfinitions,qui intetviennent dans la colonne degauche, n en soient pas moins des non-

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    cs indique qu elles peuvent, d une cer-taine manire, servir de lien entre lesdeux colonnes du tableau.

    les DSIGNATIONS,les T RM Sou les CONCEPTS

    MOTS

    les IDESc est--dire

    p uv nt tre exprimessousfonne de

    suscephb/es d treDOUS DE SIGNIFICATION

    SENS

    DFlNmONS

    et leurpeut se reduire

    gr e es celui / celle de

    les mON Sles PROPOSmONSou les rnroRi S

    AFFIRMATIONSVRAIES

    DRIVATIONSCONCEPTS NON DFINIS PROPOSmONS PRIMTIlVES

    vouloir ainsi tablir (plus qu dterminerp r reduction) leurSENS VRIT

    entr ne une rgression l infini

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    Qu'elles assument pareille fonction,c'est bien ce qu'affirme la doctrine philosophique que je dsigne sous le nomd essentialisme n. En effet, pour cettedoctrine (tout particulirement selon saversion aristotlicienne), une dfinition est l'nonc de l'essence ou de lanature d'une chose. Mais, dans lemme temps, cette dfinition formulele sens d'un mot - du nom qui sert dsigner cette essence (chez Descartes,mais aussi chez Kant, le mot corpsdsigne quelque chose qui a pouressence l'tendue).Aristote, comme tous les autres philosophes essentialistes, considrait enoutre que les dfinitions so t desprincipes. c'est--dire qu'elles don-nent lieu des propositions primitives(comme tous les corps sont tendus.,)qui ne peuvent tre drives d'autrespropositions et qui constituent en tota-

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    lit ou en partie le fondement de toutedmonstration. Elles sont en cons-quence au fondement de toute science4Il convient d ailleurs d obseIVer que cedernier lment de doctrine, s il repr-sente une composante importantedu credo essentialiste, est nanmoinsdpourvu de toute rfrence dequelconques essences C est ce quiexplique que des adversaires nomina-listes de la position essentialiste, telsHobbes ou mme Schlick5 , aient pu ysouscrire.

    Il semble que nous soyons prsenten mesure d expliciter la logiqueinterne de la conception qui veut queles questions d origine puissent rsoudre

    4 Cf The pen Society op ci/ en particulierles notes 27 33 du chapitre 11Cf son A/lgememe Erkenntnis/ebre Berlin,Springer, 1925 p 62

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    celles qui touchent la vrit de fait.En effet, si la seule origine peut dterminer le vrai sens d un mot ou d unterme, elle est en mesure de dterminer la vraie dfinition d une notionimportante et donc de dcider d unepartie au moins des principes quesont les dfinitions des essences ounatures des choses et qui sont aufondement des dmonstrations quenous produisons et, partant, de notreconnaissance scientifique. Il r ssort doncqu il existe des sources de la connais-sance qui ont autorit.

    Or l faut bien comprendre que laconception essentialiste se mprendlorsqu elle suppose que des dfinitionspeuvent accrotre notre connaissancedes faits (mme si celle-ci peut influersur celles-l en tant qu elles sont desdcisions relatives des conventions,et mme si ces dftnitions procurent

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    des instruments susceptibles, leurtour, d'avoir des effets sur la formationdes thories et, par l, sur l'volutionde notre connaissance). Ds lors qu oncomprend que les dfInitions ne pro-duisent jamais une connaissance fac-tuelle de la nature ou de la naturedes choses , on aperoit aussi la failleque prsente la liaison logique que cer-tains philosophes essentialistes ontessay d'instituer entre la question del'origine et celle de la vrit factuelle.

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    XIIILaissons prsent ces rflexions engrande partie historiques pour en venir

    aux problmes eux-mmes et leursolution.Cette partie de l expos consisteraen une critique de l empirisme, tel qu ils exprime, par exemple, dans cette formulation classique de Hume i jevous demande pourquoi vous croyez un fait particulier L.J il faut que vousm indiquiez une raison; cette raisonsera un autre fait en connexion avec lepremier. Mais comme vous ne pouvezprocder de cette manire n infini-tum, il faut qu la fm vous terminiez

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    sur un fait prsent votre mmoireou vos sens, ou il faut que votrecroyance soit tout entire sans fondementI.Le problme de la validit de l empi

    risme peut, dans ses grandes lignes,tre formul ainsi : l observation estelle la source ultime de notre connaissance de la nature? Ou, dans la ngative, quelles sont les sources de laconnaissance?En effet, par-del les remarques quej ai pu faire et mme si mon commentaire de certains points de la philosophie de Bacon a pu leur enlever, auxyeux des partisans de ce philosophecomme d autres penseurs empiristes,

    1. Enqute sur fentendement humain Paris,Aubier, 1977 (trad. A Leroy , section V premirepartie, p. 9 ; f galement l exergue emprunt la section VII. deuxime partie, pp 108-109

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    une part de leur intrt, ces questionsdemeurent poses.Le problme de la source de nosconnaissances s'est trouv reformul

    nagure de la manire suivante: quandnous affirmons quelque chose, l fautjustifier cette assertion; mais, alors, lnous faut tre en mesure de rpondre certaines questions :Comment le savez vous? Quellessont l s sources de votre affirmation? lCe qui, pour l'empiriste, revient demander:Sur quelles observations ou quelssouvenirs d'observation) repose votreassertion? l Or cette suite de questionsne me parat pas du tout satisfaisante.Tout d'abord, la plupart de nosassertions ne sont pas fondes sur desobservations, mais sur toutes sortesd'autres sources. La question Comment le savez-vous? a de grandes

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    chances de recevoir des rponses prcises, comme Je l'ai lu dans le Times,voire Je l'ai lu dans l EncyclopaediaBritannica , et non pas : Je l'aiobserv ou Je le sais par une observation que j'ai faite l'an dernier.Mais, rtorquera l'empiriste, d'ocroyez-vous que le Times ou l Encyclo-paedia Britannica tienne cette information? Il est certain qu'en poursuivantsuffisamment l'enqute, on aboutira des constats d observations q[ectuspar des tmoins oculaires (constatsqu'on appelle parfois noncs pro-tocolaires ou, pour reprendre votreterminologie', noncs de base ).

    2 Pour cette terminologie, ses enjeux et l ensemble de la problematique des noncs debase , cf La Logique de la dcouverte scienti-fique, Paris, Payot, 1973 (trad. Ph Devaux etN Thyssen-Rutten), pp. 31,40 et 100 sq N es T.

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    Certes, poursuivra l empiriste, les livresprocdent pour une grande partd autres livres. Et l historien, parexemple, travaille partir de docu-ments. Mais, au terme du processus,ces livres ou ces documents doivent,en dernire instance, avoir t crits partir d observations. Autrement, l faudrait les tenir pour de la posie, de lafiction ou un tissu de mensonges, etnon pour des tmoignages. C est en cesens que nous autres empiristes affirmons que l observation est ncessairement la source ultime de la connais-sance.

    Voici pour la dfense de la positionempiriste, ainsi que certains positivistes de mes amis continuent de lafaire valoir.Je tenterai de montrer que cetteposition ne tient pas plus que celle deBacon, que la solution du problme

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    des sources de la connaissance ne vapas dans le sens de la rponse empiriste et qu en fm de compte, c est cettemanire de poser le problme entermes de sources ultimes - desources dont on invoquerait l autorit,comme on en appelle une juridictionou une autorit suprieures - qu ilfaut rcuser parce qu elle repose surune erreur.

    Je montrerai d abord que si nouspoursuivions l enqute et posions auimes et ses correspondants la question des sources de leur information,jamais nous n aboutirions, en ralit,

    ces observations de tmoins oculairesauxquelles croient les empiristes. Nousverrions au contraire que chaque taperendrait ncessaire la poursuite del enqute qui se compliquerait alors enfaisant en quelque sorte boule deneige.

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    Prenons par exemple un typed assertion pour laquelle on pourraitraisonnablement se satisfaire de larponse Je l ai lu dans le Times:l information que le Premier ministrea dcid d avancer de plusieurs joursson retour Londres . Supposons uninstant que quelqu un mette en ques-tion cette affirmation ou prouve lebesoin d en contrler la vrit par uneenqute. Comment procder? Si cettepersonne a un ami au 10 DowningStreet, le moyen le plus simple et leplus direct sera de tlphoner cetami; et si celui-ci corrobore l information, l investigatim aura trouv saconclusion.

    Autrement dit, l enquteur cherchera, si c est possible, vrifier ouexaminer lef it mme qui est l objet del assertion, au lieu de remonter lasource de l information. Or, d aprs la

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    thorie empiriste, l'assertion Je l'ai ludans le Times n'est que la premiretape d une procdure de justificationconsistant rechercher la source dernire. Quelle est donc l'tape suivante?

    l Y a au moins deux possibilits.L'une serait de remarquer que Je l'ailu dans le Times est galement uneassertion, et de demander: D'osavez-vous que vous l'avez lu dans leTimes et non dans quelque autre quotidien qui lui ressemble beaucoup?L'autre est de poser au Times la question de ses sources. a rponse la premire de ces questions pourrait tre Le Times est le seul journal que nousrecevions et l nous parvient toujours lematin , ce qui soulve son tour touteune srie de nouvelles questions relatives aux sources, mais nous en resterons l. La seconde question, elle, peutinciter le rdacteur en chef du Times

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    rpondre: H Le cabinet du Premierministre nous a tlphon. n cettetape du processus, l faudrait, selonles empiristes, poser la question Quelleest la personne qui a reu l'appel? ,puis se faire communiquer le protocoled'observation; mais l conviendraitgalement de demander celle-ci:D'o savez-vous que la voix entenduetait bien celle d'un responsable des

    services du Premier ministre? , et ainside suite.Cette fastidieuse srie de questionsne saurait aboutir une conclusionsatisfaisante, et ce po