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UNIVERSITÉ DE TOURSINSTITUT D'ÉTUDES LATINES ET CENTRE DE RECHERCHES

A. PIGANIOL

C A E S A R O D U N U M X ? I I I b i s

  Numéro spécial 

PRÉSENCE DE L'ARCHITECTUREET DE L'URBANISME ROMAINS

Actes d u Co l l oq ue

^ ^ ^ ï . â é s : ^ 13 d é c e m b r e 1981(PARIS ACADÉMIE D'ARCHITECTURE)

Hommage à Paul Dufournet

ÉDITÉS PAR 

:,>. R.^eBosyAirLiÊR 

avec l'aide du Conseil Scientifique de l'Université de Tours

PA R IST 1

SOCIÉTÉ D'ÉDITION « TJ5S  BETJJÎS LETTRES  »

1983

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ARCHITECTURE ET URBANISME DANSLA VISION D'HADRIEN A TRAVERS M. YOURCENAR 

PAR 

R. POIGNAULT  Professeur agrégé, Sablé 

Parmi les empereurs romains, Hadrien fut, avec Auguste, le sou-verain qui accorda le plus d'attention à l'architecture et à l'urbanisme.

Architecte lui-même à ses heures et encourageant l'évergétisme desnotables, il laissa derrière lui, au cours de ses voyages dans les pro-vinces, de nombreux édifices, restaurations, reconstructions ou cons-tructions entièrement nouvelles : temples, bains, portiques, théâtres,  bibliothèques, aqueducs, travaux portuaires, routes... Il modernisaItalica en Bétique, créa à Jérusalem la cité gréco-romaine d'AeliaCapitolina. Des villes entières naquirent aussi de son activité, commeAntinoé en Egypte, élevée à l'endroit même où périt son favori Anti-nous mais répondant aussi à des nécessités d'ordre politique et éco-nomique. (On pourrait citer encore Plotinopolis en Thrace, Hadria-

nothères en Asie mineure, Hadrianople en Epire...) Si Athènes doit  beaucoup à cet empereur (construction d'une « Athènes nouvelle »,d'une nouvelle bibliothèque, travaux au théâtre de Dionysos, érectiond'un Panthéon, achèvement de l'Olympéion...), Rome n'a pas été né-gligée : Hadrien y a en particulier reconstruit le Panthéon d'Agrippaen transformant son architecture, il a édifié le Temple de Vénus etde Rome, son propre Mausolée (l'actuel Château Saint-Ange), le Pons Aelius, et, à Tibur, la gigantesque Villa Hadriana.

Ces différents témoignages de l'activité de bâtisseur que déploya

Hadrien se retrouvent dans Mémoires d'Hadrien, mais ce que Mar-guerite Yourcenar met surtout en lumière, en recomposant la vieintérieure de l'empereur, ce sont les motifs qui l'ont poussé danscette voie.

L'empereur signale donc tout au long de ses Mémoires quelques-unes de ses nombreuses réalisations en exposant les motifs qui ontguidé son action. Et s'il ne s'attarde pas à la description des édifices,

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58 R. POIGNAULT

il dégage nettement les grandes lignes de son architecture 1 : il neveut pas s'en tenir aux formes traditionnelles d'une seule culture,mais fait appel tour à tour à la Grèce, à Rome, à l'Egypte, voire àl'Orient, appréciant chaque particularité. Ce qui caractérise son ar-chitecture, c'est la diversité et la richesse des matériaux employésainsi que le gigantisme et la recherche de formes nouvelles. L'empe-reur pense que, de son temps, on a fait le maximum dans le domainede l'innovation des structures (par exemple, la salle à coupole à l'Estde la « Piazza d'Oro » dans la Villa Hadriana : même si elle a étéinspirée en partie par la salle à coupole de la Maison d'Or, elle esttout à fait singulière 2 ; Hadrien va aussi prêter toute son attentionà l'emploi des couleurs : « Presque tou t ce que not re goût acceptede tenter le fut dé jà dans le monde des formes ; je passais à celuide la couleur »3. Ce qui compte à ses yeux c'est l'exploration des dif-

férentes possibilités, le suprême raffinement. La profusion des cou-leurs, après la profusion des formes : l'architecture hadrianienneoffre les aspects d'une architecture baroque destinée à traduire dansla matière les projets les plus évanescents et les plus audacieux enutilisant les ressources archi tec turales universelles : « Chaque pierreétait l'étrange concrétion d'une volonté, d'une mémoire, parfois d'undéfi. Chaque édifice était le plan d'un songe » 4.

Les causes profondes de l'activité d'Hadrien dans ce domainesont apparences dans ses Mémoires ; ce sont sensiblement les mêmesqui régissent sa politique de réformes dans la législation, l'armée,l'administration. La politique architecturale de l'empereur n'est pasun cas à part de sa politique générale.

Il s'agit avant t out d'assurer le bien-être de ses su je ts : « not reintérêt bien entendu sera de le (le = le genre huma in) servir »5.On peut remarquer là une correspondance entre la pensée de l'empe-reur et celle de M. Yourcenar qui, répondant au « questionnaire Mar-cel Proust » déclare que le comble de la misère c'est de « ne pouvoir rien, ou si peu, pour remédier aux souffrances et au désarroi du mon-de »6. Hadrien fait figure de dispensateur du bien-être terrestre, vou-lant servir la concorde, la justice et la paix 7, mais aussi assurer à sessujets un cadre de vie agréable par ses constructions et reconstruc-tions.

C'est ainsi qu'il va se comparer à un ouvrier qui s'est chargéde réparer tout ce qui, dans l'Empire , est usagé : « Je pensais (...) à

1. M. d'H., p. 141-143 en particulier.

2 . Cf. H. KAEHLER, Rome et son Empire, Paris, 1963, p. 132.3. M. d'H., p. 142.4. Ibid., p. 143.5. Ibid., p. 127.6. J . BLOT, Marguerite Yourcenar, Paris, 1971, p. 17 3 ; ID., ibid., p. 1 6 : * l'idéal

est d'ê tre utile, d'amélio rer la condition fa ite à l'homme , de servir la justice ».Cf. aussi M . YOURCENAR, Les yeux ouverts, p. 3 1 9 : « (...) no tr e mission d'homme,qui serait d'organiser un univers un peu meilleur ».

7. Cf. WEBER, Rom Herrschertum und Reich, Stuttgart, 1937, p. 145.

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LA VISION D'HADRIEN A TRAVERS M. YOURCENAR  59

l'ouvrier de la voirie appelé pour réparer une chaussée ou ressouder une conduite d'eau »8. VHistoire Auguste9 nous apprend qu'ainsiil a dû remédier aux désastres causés par des tremblements de terreet des inondations : « Il arriva de son temps plusieurs calamités pu-

  bliques, famines, maladies épidémiques, tremblements de terre :Hadrien apporta à ces maux tous les remèdes qui dépendaient de lui,et vint au secours de beaucoup de villes qui en avaient souffert degrands dommages. Il y eut aussi sous ce prince un débordement duTibre. » Il restaura aussi de nombreux bâtiments mis à mal par lefeu ou le temps. C'est en grande partie cette activité édilitaire déployéedans tout l'Empire qui valut à Hadrien le titre de « Restitutor  » quilui est accordé sur de nombreuses monnaies 1 0.

Très modestement l'empereur s'affirme comme un simple mail-lon entre le passé et le futur, destiné à prolonger la vie des monu-ments pour leur donner un passeport pour l'avenir. « J'ai beaucoupreconstruit : c'est collaborer avec le temps sous son aspect de passé,en saisir ou en modifier l'esprit, lui servir de relais vers un plus longavenir  ; c'est retrouver sous les pierres le secret des sources » u . On

  peut inférer cela des nombreux ouvrages de restauration de l'empe-reur. Il a accordé un soin particulier à honorer les grands hommesdu passé en relevant leurs tombeaux, ce qui témoigne d'un attache-

ment sentimental à la grandeur des siècles révolus. La constructionde l'Olympéion est présentée comme la continuation pure et simplede l'œuvre de son instigateur plusieurs siècles auparavant ; il en estde même pour le Panthéon à Rome, bien que l'édifice soit totale-ment différent dans sa réalisation et sa destination, Hadrien a recoursà une image navale pour éclairer ses intentions à propos d'Athènes :« un bât iment renfloué appareillait pour l'avenir »12 . Il veut fairerevivre dans cette ville l'époque de Périclès. Il ne désire pas fairefigure d'empereur singulier, mais s'insérer dans le nombre de ses

  prédécesseurs, prenant chez chacun ce qu'il estime bon, sans s'entenir au domaine architectural : « Même là où j'innovais, j'aimais à

8. Af. d'H., p. 138-139.9. V.H., 21, 5-6, traduction de Legay : « Fuerunt eius temporibus famés, pesti-

lentia, terrae motus, quae omnia, quantum potuit, procurauit multisque ciuita-tibus uastatis per ista subuenit. Fuit etiam Tiberis inundatio. » Par exemple,Hadrien répare les désastres causés par des tremblements de terre à Nicomédieet à Nicée : WEBER, Untersuchungen zur Geschichte des Kaisers Hadrianus,Leipzig, 1907, p. 127.

10. « Rest itutor i Achaiae » : Coh. II , p. 209, n° 1216. « Res titutori Afncae » :Coh. 1292-1295, cité par  WEBER, op. cit., p. 197. « Rest itutor Galliae » : Coh. 1247-1257, cf. WEBER, op. cit., p. 105. « Rest itutor Hispaniae » : Coh. 1258-1272, cf. WE-

BER, op. cit., p. 117. « Rest itutor Libyae » : Coh. 1278, cf. WEBER, op. cit., p. 120.« Rest itutor Nicomediae » : Coh. 1279-1282 ; cf. WEBER, op. cit., p. 155. « Restitu-tor Nicomediae : Coh. 1283-1284, cf. WEBER, op. cit., p. 128. « Res titutori Phry-giae » : Coh. 1286-1291, cf. WEBER, op. cit., p. 227. « Restitutori Siciliae » : Coh.1292-1295, cf. WEBER, op. cit., p. 197. « Rest itutori orbis t er rarum » : Coh. II, p. 185,n. 950, II, p. 213 sq., n. 1285.

11. M. d'H., p. 141.12. Ibid., p. 175.

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60 R. POIGNAULT

me sentir avant tout un cont inuateur » 13 . La référence à Augusterappelée par les historiens et surtout la volonté d'Hadrien de ne pasfaire paraître son nom sur les monuments qu'il a restaurés 1 4 peuvent

être à la base de cette idée chez M. Yourcenar. L'originalité mêmed'Hadrien tient à s'enchâsser dans la tradition, l'individualité duconstructeur, à se fondre dans l'anonymat des siècles. L'empereur est-il sincère ? Cette modestie devant l'Histoire cont raste for t avecles prétentions littéraires d'Hadrien vis-à-vis de ses contemporains,que les historiens dénoncent. Varius, multiplex, multiformis... Lerespect du passé est une idée maîtresse du prince des Mémoires.

Hadrien cherche à réparer non seulement les ravages du temps,mais encore ceux que Rome a pu commettre : d'après ses Mémoires,

il se sent redevable de ses bienfaits envers les provinces. Il rachèteen quelque sorte les fautes des Romains envers elles 1 5. Le cas de laGrèce le frappe surtout : « Les traces de nos crimes restaient partoutvisibles : les murs de Corinthe ruinés par Mummius, et les places lais-sées vides au fond des sanctuaires par le rapt de statues organiséau cours du scandaleux voyage de Néron » 1 6. De ses travaux à Athènes,il dit : « Je réparais sur place les rapines de notre Sylla » 1 7. L'aqueducde Carthage apparaît lui aussi comme un dû puisqu' il « repayait enquelque sorte les duretés des guerres puniques » 1 8. Hadrien fait ainsi

figure de rédempteur des fautes romaines. S'il se préoccupe des inté-rêts des provinces, c'est qu'il a pleinement conscience de leur valeur :« Rome n'est plus dans Rome : elle doit périr, ou s'égaler désormaisà la moitié du monde »19 . Rome ne doit plus se comporter en capitaledominatrice qui pille des peuples-sujets, mais elle doit associer toutesles provinces à la vie de l'Empire. Les historiens soulignent claire-ment l'attention qu'Hadrien porte à celles-ci 20 .

13. Ibid., p. 183.14. M. Yourcenar cite cette caractéristique d'Hadrien à deux reprises (M.

d'H., p. 183, 222-223), reprenant V.H., 19, 9 : « Bien qu'il e ût é levé des bâ ti me nt sen bien des endroits, jamais il n'y inscrivit son nom sauf au temple de son pèreTrajan. » (Traduction de H. Bardon : « cum opéra ubique infinita fecisset, num-quam ipse nisi in Traiani patris templo nomen suum scripsit ».)

15. De la même façon, il pens e avoi r « lavé (le Colisée) des souveni rs de Né-ron », Aï d'H., p. 182

16. M. d'H., p. 87 (c'est nous qui soulignons), id., n. 17.17. M. d'H., p. 175 ; sur le sac d'antiquités grecques sous Sylla, cf. par exem-

  ple, S. PEROWNE, Hadrian, Londres, 1960, p. 101-102.

18. M. d'H., p. 141.

19. Ibid., p. 124. A la différence du Sertorius de Corneille qui, affirmant« Rome n'est p lus dans Rome, elle est tout e où j e sui s » {Sertorius, III, 1), vou-lait s'approprier la cité, Hadrien, loin de s'assimiler à Rome, l'étend à toutl'Empire : Rome doit reconnaître la place capitale que tiennent les provinces.

20. ROSTOVTZEFF, The social and economic history of  the Roman Empire,Oxford, 1957, p. 125, note que les empereurs du II e siècle ne se sentent pas « em-  perors of the city of Rome or of the Roman citizens only, but emperors of thewhole Empire ». GREGOROVIUS, Der Kaiser Hadrian, Stuttgart , 1884, p. 6 1 , signa-lait déjà qu'Hadrien considérait l'Empire comme un tout. D'après S. PEROWNE,

op. cit., p. 54, Hadrien regarde l'Empire comme une famille de nations-sœurs :

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LA VI SI ON D'H ADR IEN A TRAV ERS M. YOURCENAR  61

Dans sa politique de constructions et de reconstructions, Hadrienvoit certes un devoir moral, une utilité économique et même reli-gieuse 21 , mais le sens pratique ne lui fait jamais négliger l'aspect

  plastique. L'architecte, l'urbaniste est aussi un esthète : il veut œu-vrer pour la « beauté du monde » en choisissant judicieusement lelieu et les matériaux des bâtiments. L'utile et le beau doivent doncaller de pair : « Creuser des ports, c'était féconder la beauté des gol-fes »22 . L'alliance du travail humain et de la nature permettra à la foisle développement des activités de l'homme et une sorte d'accomplisse-ment de la beauté du paysage, l'œuvre de l'architecte venant cou-ronner la nature : « Construire, c'est collaborer avec la terre : c'estmettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à

  jamais ; c'est contribuer aussi à ce lent changement qui est la vie

des villes »23

. L'Hadrien de M. Yourcenar pose le problème très actuelde l'intégration des constructions dans les sites, l'auteur mettant enrelief son souci esthétique : « (mon idéal) était enfermé dans ce motde beauté, si difficile à définir en dépit de toutes les évidences dessens et des yeux. Je me sentais responsable de la beauté du monde » 24 .

Pour assurer au mieux l'avènement d'un futur conforme auxvolontés de l'empereur et à l'intérêt du monde romain, il faut garantir l'ordre et la stabilité. C'est le but profond de son action d'architecte,d'urbaniste et de législateur. La civilisation est ordre, la barbariechaos. Entre le Titan et l'Olympien, Hadrien a choisi le second. Ilveut un monde harmonieux, « un monde bien en ordre »25 , aidé encela par les circonstances puisqu'il appartient à un temps où il peuts'adonner à « réorganiser prudemment un monde et non à extrairedu chaos une matière encore informe, ou à se coucher sur un cadavre

  pour essayer de le ressusciter »26 , et il rêve à un Etat qui deviendrait« ordre du monde, ordre des choses » 27 .

» 

La politique de construction apparaît à l'empereur comme un

moyen privilégié pour assurer la lutte contre les forces de chaos :

si Rome en constitue la tête, les provinces et l'Italie sont sur le même plan. Dans  M. d'H., l'empereur cosmopolite découvre même que le sang romain est souvent mêlé à celui des autres peuples et qu'il en est sans doute de même pour lesien propre : « je songeais aux gouttes de sang celte, ibère, punique peut-être,qui avaient dû s'infiltrer dans les veines des colons romains du municipe d'Ita-lica ; je me souvenais que mon père avait été surnommé l'Africain. La Grècem'avait aidé à évaluer ces éléments, qui n'étaient pas grecs », p. 242. L'empereur romain, l'ami de la Grèce, le grand voyageur, se découvre lui-même comme le

  produit de cet immense creuset de races qu'est l'Empire.

21. Ainsi dans les cités helléniques, Hadrien vise certes à les embellir, maisaussi à rehausser l'éclat des cultes grecs : J. BEAI/JEU, La religion romaine àl'apogée de l'Empire, Paris, 1955, p. 189.

22. M. d'H., p. 141.23. Ibid., p. 140.24. Ibid., p. 148.25. M. d'H., p. 149. Cf. les monnaies Tellus Stabil(ita), Coh. II, p. 224, n° 1425.26. M.d'H., p. 126.27. M. d'H., p. 124.

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62 R. POIGNAULT

la route qui va d'Antinoé à la Mer Rouge fait « succéder au désertl'ère de la sécuri té à celle du danger ; les construct ions militairessont considérées comme des digues destinées à contenir les barbares ;et surtout la ville est le symbole de la victoire de l'activité humaine

sur la nature improductive, le symbole même de la civilisation :« dans un monde encore plus qu'à demi dominé par les bois, le désert,la plaine en friche, c'est un beau spectacle qu'une rue dallée, untemple à n'importe quel dieu, des bains et des latrines publiques, la

  boutique où le barbier discute avec ses clients les nouvelles de Rome,une échoppe de pâtissier, de marchand de sandales, peut-être delibraire, une enseigne de médecin, un théâtre où l'on joue de tempsen temps une pièce de Térence » 2 9. Les historiens, de leur côté, sou-lignent l'importance de l'urbanisation pour Hadrien qui voulait ainsi

améliorer la vie provinciale et consolider l'Empire3 0

. Les échangescommerciaux de la même façon contribuent aux yeux d'Hadrien à lastabilité du monde, car ils sont aussi échanges d'idées et servent àla propagation de la romanisation 3 1 .

En effet, ce qu'Hadrien cherche à réaliser, c'est le développementde la romanisation compris comme l'accomplissement de l'hellénisa-tion. De même qu'il se montre comme le « continuateur » des princesqui l'ont précédé, de même, pour lui, Rome doit être la continuatriced'Athènes. D'ailleurs, une statue représente Hadrien avec une cui-

rasse figurant Athéna entre sa chouette et son serpent, couronnée par deux grâces, surmontant la louve romaine. On ne peut illustrer plusclairement les vues d'Hadrien 3 2 . Dans les Mémoires, Hadrien utiliseune comparaison florale pour montrer que l'Etat romain doit assu-rer l'héritage de la cité grecque : la fleur grecque serait stérile siRome n'était pas là pour véhiculer sa semence 3 3. Qu'Hadrien incitePhlégon à présenter dans ses Olympiades l'histoire romaine commele prolongement de l'histoire grecque 3 4 procède de la même volonté.Mais Rome n'aura pas seulement un rôle de transmission passive car 

Hadrien, tel que le conçoit M. Yourcenar, ne veut pas choisir entreRome et Athènes, mais concilier les deux apports. Athènes et Romesont complémentaires : c'est de ce mariage que dépend en partie la

28. Ibid., p. 141.29. Ibid., p. 143.30. Cf. ROSTDVTZEFF, op. cit., p. 365-366 : avec Auguste, Claude. Vespasien et

Trajan, il fut un des empereurs qui firent le plus pour urbaniser l'Empire.WEBER  {CAH, p. 3 1 6 ) note qu'avec Hadrien l'urbanisation de l'Empire a atteintun sommet. D'ORGEVAL, L'empereur Hadrien, œuvre législative et administrative,

Paris, 1950, p. 269 : « le règne d'Hadrien marque une grande époque dans l'his-toire de l'urbanisme antique ». Cette activité s'est principalement manifestéedans des pays destinés à être les bases des frontières militaires (Danube, AsieMineure, Afrique...), la cité apparaissant comme un rempart contre la barbarieavoisinante : ROSTOVTZBFF, op. cit., p. 366.

31. M. d'H., p. 109-110.32. S. PEROWNE, op. cit., p. 125-126.33. M. d'H., p. 124.34. Ibid., p. 235.

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LA VIS IO N D'HA DRIE N A TRAVE RS M. YOURCENAR  63

  pérennité de l'Empire, Athènes offrant l'humanité, l'ordre, la lucidité,mais aussi l'idéal, Rome « le sérieux, le « sens de la continuité »,le I goût du concret », « l'assiduité, la prévoyance, l'application au

détail »3 5

.Par toute sa politique, Hadrien veut assurer la Pax Romana qui

doit prolonger la vie de l'Empire 3 6. Il va très loin dans cette idée car il pense que la paix sera d'autant mieux maintenue qu'il y aura moinsd'exclus ; loin de rejeter hors des frontières les barbares et hors ducadre social les esclaves, il veut les englober dans les bienfaits del'Empire. Nécessité morale peut-être, mais surtout nécessité pratiqueà ses yeux, puisqu'il entend par là protéger Rome contre la menaced'anéantissement qu'il sent peser contre elle : « J'aurais voulu reculer 

le plus possible, éviter s'il se peut, le moment où les barbares au-dehors, les esclaves au-dedans, se rueront sur un monde qu'on leur demande de respecter de loin ou de servir d'en bas, mais dont les

  bénéfices ne sont pas pour eux »37 . Hadrien est hanté par le sentimentdu pouvoir dévastateur du temps. S'il espère encore ici tenter quel-que chose contre lui, l'épreuve de la guerre juive lui fera voir quel'éternité d'Athènes et de Rome est impossible3 8 ; et à la fin de sa vie,il considérera le problème avec sérénité pensant que le destin doits'accomplir : « L'avenir du monde ne m'inquiète plus ; je ne m'efforce

  plus de calculer, avec angoisse, la durée plus ou moins longue de la  paix romaine ; je laisse faire aux dieux a 3 9.

35. Ibid., p. 241-242 ; p. 192. M. Yourcenar fait parler Polémon, dans son dis-cours lors de la dédicace de l'Olympéion. du « mariage de Rome et d 'Athènes ».

36. Ibid.. p. 181, on retrouve encore l'image du navire : « Je 1' (=Empire ro-main) avais gréé comme un beau navire appareillé pour un voyage qui durerades siècles. »

37. M. d'H.. p. 129.38. Ibid., p. 261.Le rapport d'Hadrien au temps dans les Mémoires est très ambigu : tantôt,

dans les moments d'exaltation, il se vante d'assurer à Rome l'éternité, tantôt,  plus réaliste, il se contente d'espérer apporter à la civilisation gréco-romainecomme un sursis, tantôt il envisage sa ruine.

39. Ibid.. p. 313.