pneumopathie grave avec méningoencéphalite compliquant une varicelle chez un sujet...

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Pneumopathie grave avec méningoencéphalite compliquant une varicelle chez un sujet immunocompétent Primary varicella infection in an immunocompetent patient resulting in severe pneumonia and meningoencephalitis Observation Un patient de 51 ans, tabagique chronique à raison de 40 paquets années, vacciné contre la varicelle et sans notion de contage varicelleux récent, a présenté dans un contexte fébrile (température à 39 8C), suite à une éruption cutanée prurigineuse généralisée, une dyspnée d’aggravation progres- sive, accompagnée d’une toux sèche et d’un syndrome confu- sionnel. L’évolution a été marquée trois jours plus tard par la survenue d’une détresse respiratoire nécessitant une intuba- tion et une ventilation artificielle. À l’examen neurologique, le patient était inconscient (score de Glasgow à 9) avec une raideur de la nuque et un syndrome pyramidal du côté droit. Il existait une éruption cutanée généralisée faite de lésions d’âges différents (figure 1). La tomodensitométrie thoracique objectivait un aspect en verre dépoli des deux champs pulmo- naires avec de multiples adénopathies médiastinales et un épanchement pleural liquidien bilatéral plus marqué à gauche (figure 2). L’IRM cérébrale montrait des lésions en hypersignal T2, Flair et diffusion, sus- et sous-tentorielles, rehaussées de façon hétérogène après injection de produit de contraste (figure 3), sans signes de vascularite cérébrale sur les séquen- ces angiographiques. La ponction lombaire ramenait un liquide clair hypercellulaire avec 200 globules blancs/mm 3 (90 % de lymphocytes) et une protéinorachie à 0,62 g/L (N < 0,40 g/L). La recherche du virus varicelle-zona (VZV) dans le sang et le liquide céphalorachidien par PCR (polyme ´ rase chaine re ´ action) était positive, et le bilan d’immunodépression (sérologie VIH, marqueurs tumoraux et électrophorèse des protéines sériques) était négatif. Le patient a reçu un traitement antiviral par aciclovir 10 mg/kg toutes les 8 heures en intraveineux pendant 15 jours. L’évolution a été marquée par la régression des signes respiratoires et des troubles de la conscience, avec la persis- tance d’une hémiparésie droite spastique. Le scanner cérébrale de contrôle montrait la présence de trois hypodensités séquel- laires au niveau du centre ovale droit et gauche, et occipital droit (figure 4). Commentaires Le principal intérêt de cette observation est la combinaison de trois localisations varicelleuses classiques mais rarement présentes ensembles : cutanée, pulmonaire et neurologique. La localisation pulmonaire est la plus fréquente des complica- tions graves de la maladie chez l’adulte [1,2]. L’existence d’un tabagisme est un facteur de risque classique de survenue d’une pneumonie varicelleuse [36]. La plupart des compli- cations neurologiques ont lieu en l’absence de signes cutanés, contrairement au cas présenté, et le spectre des complications neurologiques centrales potentielles est large : cérébellite, méningite, méningoencéphalite, myélite et vascularite [710]. L’atteinte des vaisseaux cérébraux de petit calibre est responsable, par un mécanisme ischémique, d’une démyé- linisation pouvant évoluer vers une nécrose irréversible [810]. L’atteinte pulmonaire est souvent de bon pronostic, contrairement à l’atteinte encéphalique qui reste grevée d’une mortalité lourde et de séquelles invalidantes [11]. Le pronostic de l’atteinte neurologique est lié au terrain et à la forme clinique (les méningoencéphalites et les vascularites cérébra- les ayant un moins bon pronostic) [12,13]. Dans les pneumo- nies à VZV, il a par ailleurs été récemment suggéré que la constatation lors de la fibroscopie bronchique d’importantes ulcérations de la muqueuse bronchique pouvait constituer un facteur pronostique [13,14]. La précocité de l’instauration du traitement antiviral par aciclovir en intraveineux semble également être un facteur pronostique, 10 jours paraissant suffisants en cas de pneumonie, mais 14 jours étant recom- mandés par certains auteurs en cas d’encéphalite. Presse Med. 2014; //: /// en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com 1 Lettre à la rédaction tome // >n8/ > / LPM-2367 Pour citer cet article : Oumerzouk J et al., Pneumopathie grave avec méningoencéphalite compliquant une varicelle chez un sujet immunocompétent, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.11.010.

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Page 1: Pneumopathie grave avec méningoencéphalite compliquant une varicelle chez un sujet immunocompétent

Presse Med. 2014; //: /// en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

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Pour citer cet article : Oumerzouk J et al., Pneumopathie grave avec méningoencéphalite compliquant une varicelle chez un sujetimmunocompétent, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.11.010.

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Primary varicella infection in animmunocompetent patient resulting in severepneumonia and meningoencephalitis

Observation

Un patient de 51 ans, tabagique chronique à raison de40 paquets années, vacciné contre la varicelle et sans notionde contage varicelleux récent, a présenté dans un contextefébrile (température à 39 8C), suite à une éruption cutanéeprurigineuse généralisée, une dyspnée d’aggravation progres-sive, accompagnée d’une toux sèche et d’un syndrome confu-sionnel. L’évolution a été marquée trois jours plus tard par lasurvenue d’une détresse respiratoire nécessitant une intuba-tion et une ventilation artificielle. À l’examen neurologique, lepatient était inconscient (score de Glasgow à 9) avec uneraideur de la nuque et un syndrome pyramidal du côté droit.Il existait une éruption cutanée généralisée faite de lésionsd’âges différents (figure 1). La tomodensitométrie thoraciqueobjectivait un aspect en verre dépoli des deux champs pulmo-naires avec de multiples adénopathies médiastinales et unépanchement pleural liquidien bilatéral plus marqué à gauche(figure 2). L’IRM cérébrale montrait des lésions en hypersignalT2, Flair et diffusion, sus- et sous-tentorielles, rehaussées defaçon hétérogène après injection de produit de contraste(figure 3), sans signes de vascularite cérébrale sur les séquen-ces angiographiques. La ponction lombaire ramenait un liquideclair hypercellulaire avec 200 globules blancs/mm3 (90 % delymphocytes) et une protéinorachie à 0,62 g/L (N < 0,40 g/L).La recherche du virus varicelle-zona (VZV) dans le sang et leliquide céphalorachidien par PCR (polymerase chaine reaction)

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était positive, et le bilan d’immunodépression (sérologie VIH,marqueurs tumoraux et électrophorèse des protéines sériques)était négatif. Le patient a reçu un traitement antiviral paraciclovir 10 mg/kg toutes les 8 heures en intraveineux pendant15 jours. L’évolution a été marquée par la régression des signesrespiratoires et des troubles de la conscience, avec la persis-tance d’une hémiparésie droite spastique. Le scanner cérébralede contrôle montrait la présence de trois hypodensités séquel-laires au niveau du centre ovale droit et gauche, et occipitaldroit (figure 4).

Commentaires

Le principal intérêt de cette observation est la combinaison detrois localisations varicelleuses classiques mais rarementprésentes ensembles : cutanée, pulmonaire et neurologique.La localisation pulmonaire est la plus fréquente des complica-tions graves de la maladie chez l’adulte [1,2]. L’existenced’un tabagisme est un facteur de risque classique de survenued’une pneumonie varicelleuse [3–6]. La plupart des compli-cations neurologiques ont lieu en l’absence de signes cutanés,contrairement au cas présenté, et le spectre des complicationsneurologiques centrales potentielles est large : cérébellite,méningite, méningoencéphalite, myélite et vascularite[7–10]. L’atteinte des vaisseaux cérébraux de petit calibreest responsable, par un mécanisme ischémique, d’une démyé-linisation pouvant évoluer vers une nécrose irréversible[8–10]. L’atteinte pulmonaire est souvent de bon pronostic,contrairement à l’atteinte encéphalique qui reste grevée d’unemortalité lourde et de séquelles invalidantes [11]. Le pronosticde l’atteinte neurologique est lié au terrain et à la formeclinique (les méningoencéphalites et les vascularites cérébra-les ayant un moins bon pronostic) [12,13]. Dans les pneumo-nies à VZV, il a par ailleurs été récemment suggéré que laconstatation lors de la fibroscopie bronchique d’importantesulcérations de la muqueuse bronchique pouvait constituer unfacteur pronostique [13,14]. La précocité de l’instauration dutraitement antiviral par aciclovir en intraveineux sembleégalement être un facteur pronostique, 10 jours paraissantsuffisants en cas de pneumonie, mais 14 jours étant recom-mandés par certains auteurs en cas d’encéphalite.

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[(Figure_2)TD$FIG]

Figure 2

Tomodensitométrie thoracique. A. Fenêtre médiastinale, montrant des adénopathies médiastinales antérieures latéro-trachéales etsous-carinaires (flèche orange), avec un micronodule calcifié du lobe supérieur droit (flèche jaune) et un épanchement pleural liquidienbilatéral plus marqué à gauche (flèche rouge). B. Fenêtre parenchymateuse, montrant un aspect en verre dépoli des 2 champspulmonaires (flèche bleue), avec un épanchement scissural bilatéral (flèche verte) et un nodule pulmonaire stellaire du lobe inférieurdroit (flèche noire), sur un poumon emphysémateux (flèche mauve).

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Figure 1

Lésions d’âges différents (macules, papules et vésicules) avec des croûtes et des érosions post-vésiculeuses, intéressant le tronc et lacuisse.

Pour citer cet article : Oumerzouk J et al., Pneumopathie grave avec méningoencéphalite compliquant une varicelle chez un sujetimmunocompétent, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.11.010.

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3 Lettre à la rédaction

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Figure 3

IRM cérébrale en coupes axiales. Multiples foyers en hypersignal T2, Flair et diffusion, au niveau de la région fronto-pariétale droite et gauche, occipitale droite, du splénium ducorps calleux et de l’hémisphère cérébelleux gauche, sans oedème périlésionnel ou effet de masse. Ces lésions sont rehaussées de façon hétérogène après injection du produitde contraste, avec un coefficient apparent de diffusion augmenté sur les séquences de diffusion.

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Figure 4

Tomodensitométrie cérébrale sans injection du produit de contraste, coupes axiales. Présence de 3 hypodensités séquellaires au niveaudu centre ovale droit et gauche, et au niveau occipital droit.

Pour citer cet article : Oumerzouk J et al., Pneumopathie grave avec méningoencéphalite compliquant une varicelle chez un sujetimmunocompétent, Presse Med (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.11.010.

Lettre à la rédaction

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

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Jawad Oumerzouk1, Abdelhafid El Jouehari1, Amine Raggabi1,Hanae Achour2, Mohamed Abdellaoui3, Ahmed Bourazza1

1Service de neurologie,hôpital militaire d’instruction Mohamed V, Madinat-Al-Irfane,

Rabat, Maroc2Service de dermatologie,

hôpital militaire d’instruction Mohamed V, Rabat, Maroc3Service de radiologie,

hôpital militaire d’instruction Mohamed V, Rabat, Maroc

Correspondance : Jawad Oumerzouk,Service de neurologie,

hôpital militaire d’instruction Mohamed V, Madinat-Al-Irfane,Rabat, Maroc.

[email protected]

Reçu le 18 mars 2013Accepté le 4 novembre 2013

� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.11.010

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