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Oxytanie#0 23 24 Un bâtiment très haut, de l’es- pace, une hygiène irréprochable : vous êtes bien dans la cave d’un viticulteur bio. « Plus il est naturel, plus le vin est fragile. Il faut l’élever dans de bonnes conditions. » S’il vendange à la main, Marc Fraysse pilote avec dextérité son camion élévateur. « On essaye de profiter au maximum de ce que la nature nous apporte » « FAIRE UN VIN 100 % PUR JUS DE RAISIN » , C’EST LE CREDO DE MARC PENAVAYRE DEPUIS 30 ANS. ET POUR CELA, IL FAUT DE LA PASSION ET DU TEMPSReportage photo Julien Rougny / Texte Céline Bousquet M arc Penavayre est un des pionniers du vin nature dans la région. « Il y a trente ans, on nous prenait pour des illuminés ! » se rappelle le vigneron de Vacquiers (Haute-Garonne), dans le terroir du Fronton. Aujourd’hui, son Château Plaisance est une valeur sûre, plusieurs fois récompen- sé, et qui s’exporte dans une douzaine de pays. « Les vins naturels, ce n’est plus un marché de niche, c’est une tendance forte. Ce sont les consommateurs qui poussent. Avant, ils ne regardaient pas trop ce qu’on mettait sur les vignes, mais maintenant on ne peut plus les esbroufer ! » À ses visiteurs, toujours plus nombreux, il montre avec fierté ses vignes vigoureuses, labourées à cheval, où l’herbe pousse en liberté. Nature et généreux comme son vin, Marc est intarissable quand il parle de son mé- tier. Viticulture bio, biodynamique, douce, naturelle… Qu’importe ! « On ne s’interdit pas la technologie mais on a banni toute technique phy- sique ou chimique directement sur le vin. Il n’y aucun intrant, ni filtrage ni collage. On n’est pas parfait mais on est droit. On es- saye de profiter au maximum de ce que la nature nous apporte avec le souci de faire un vin 100% pur jus de raisin. » Un objectif qu’il partage avec son fils ibaut, 27 ans. « On discute souvent mais on est toujours d’accord », taquine le fiston, prêt à prendre la relève. « Exactement comme je l’ai fait avec mon père, Louis, en 1991, précise Marc. Les pre- mières années n’ont pas été faciles mais il m’a laissé faire. » Encore aujourd’hui, renoncer au chimique, c’est deux fois plus de boulot et une grosse prise de risque. « Si on se loupe, on n’a pas de filet. » DE VIEUX CÉPAGES PEU ALCOOLISÉS Le domaine de 30 hectares s’est converti officielle- ment au bio en 2006. Dans les vignes et dans le chai, Marc met en application « les recettes des anciens » : « Quand on laisse faire la nature, vous savez combien il y a de levures vivantes dans le vin ? Entre un et dix milliards par millilitre ! Elles sont naturellement sur la peau du raisin au moment des vendanges. Nous, on fait le choix de les laisser vivre. C’est le principe d’un vin na- turel : il est vivant. Donc, comme nous, il passe par des cy- cles. Vous le goûtez un jour, il est bon, mais le lendemain c’est le contraire. En biodynamie, on essaye de toucher les vins quand ils sont dans les phases les plus statiques. On regarde la lune, la météo, le vent d’autan… » Pour laisser le temps aux levures naturelles de vivre leur vie jusqu’au bout, le vin passe deux hivers en élevage avant d’être mis en bouteille. « Pour faire des vins nature, il faut prendre son temps. » Une autre passion de Marc, c’est de « s’amuser » avec les cépages et les terroirs. Avec du jurançon noir il crée du « Rend son jus », ou détourne le principal cépage du Fronton pour faire du « Negret Pounjut », de la négrette pointue. « Ce sont de vieux cépages de la région, quasiment abandonnés, mais on a la chance d’avoir encore quelques vieilles vignes. Elles donnent un vin peu alcoolisé, très léger, parfait pour boire un coup entre copains sans avoir mal à la tête. Après tout, le vin, c’est ça : le partage, la convivialité ! » Et Marc en est un parfait ambassadeur. « Les levures sont naturellement sur la peau du raisin au moment des vendanges. Nous, on fait le choix de les laisser vivre. C’est le principe d’un vin naturel : il est vivant » Entre le Tarn et le Garonne, la petite zone d’appellation de Fronton (2 400 ha), bien connue des Toulousains tout proches, compte une quarantaine de vignerons indépendants, dont une dizaine a fait le choix du bio. Même blessé à l’épaule, Marc Penavayre ne peut s’empêcher de venir au chai accompagner Thibaut, qui procède au soutirage à la main pour réduire les dépôts de lie au fond des cuves. « Savoir qu’il prend la suite, ça donne de l’énergie », souffle le paternel. Père et fils, complices, posent devant la cuvée 2018, qui sera mise en bouteille l’année prochaine. Visitez Plaisance et le domaine des Boissières, et dégustez les vins de Marc Penavayre et Marc Fraysse, avec le club Oxytanie. Rendez-vous sur oxytanie.com

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Oxytanie#023 24

Un bâtiment très haut, de l’es-pace, une hygiène irréprochable : vous êtes bien dans la cave d’un viticulteur bio. « Plus il est naturel, plus le vin est fragile. Il faut l’élever dans de bonnes conditions. » S’il vendange à la main, Marc Fraysse pilote avec dextérité son camion élévateur.

« On essaye de profiter au maximum de ce que la nature nous apporte »

« FAIRE UN VIN 100 % PUR JUS DE RAISIN », C’EST LE CREDO DE MARC PENAVAYRE DEPUIS 30 ANS. ET POUR CELA, IL FAUT DE LA PASSION ET DU TEMPS…

Reportage photo Julien Rougny / Texte Céline Bousquet

M arc Penavayre est un des pionniers du vin nature dans la région. « Il y a trente ans, on nous prenait pour des illuminés ! » se

rappelle le vigneron de Vacquiers (Haute-Garonne), dans le terroir du Fronton. Aujourd’hui, son Château Plaisance est une valeur sûre, plusieurs fois récompen-sé, et qui s’exporte dans une douzaine de pays. « Les vins naturels, ce n’est plus un marché de niche, c’est une tendance forte. Ce sont les consommateurs qui poussent. Avant, ils ne regardaient pas trop ce qu’on mettait sur les vignes, mais maintenant on ne peut plus les esbroufer ! » À ses visiteurs, toujours plus nombreux, il montre avec fierté ses vignes vigoureuses, labourées à cheval, où l’herbe pousse en liberté. Nature et généreux comme son vin, Marc est intarissable quand il parle de son mé-tier. Viticulture bio, biodynamique, douce, naturelle… Qu’importe ! « On ne s’interdit pas la technologie mais

on a banni toute technique phy-sique ou chimique directement sur le vin. Il n’y aucun intrant, ni filtrage ni collage. On n’est pas parfait mais on est droit. On es-saye de profiter au maximum de ce que la nature nous apporte avec le souci de faire un vin 100% pur jus de raisin. » Un objectif qu’il partage avec son fils Thibaut, 27  ans. « On discute souvent mais on est toujours d’accord », taquine le fiston, prêt à prendre la relève. « Exactement comme je l’ai fait avec mon père, Louis, en 1991, précise Marc. Les pre-mières années n’ont pas été faciles mais il m’a laissé faire. » Encore

aujourd’hui, renoncer au chimique, c’est deux fois plus de boulot et une grosse prise de risque. « Si on se loupe, on n’a pas de filet. »

DE VIEUX CÉPAGES PEU ALCOOLISÉS

Le domaine de 30 hectares s’est converti officielle-ment au bio en 2006. Dans les vignes et dans le chai, Marc met en application « les recettes des anciens » : « Quand on laisse faire la nature, vous savez combien il y a de levures vivantes dans le vin ? Entre un et dix milliards par millilitre ! Elles sont naturellement sur la peau du raisin au moment des vendanges. Nous, on fait le choix de les laisser vivre. C’est le principe d’un vin na-turel : il est vivant. Donc, comme nous, il passe par des cy-cles. Vous le goûtez un jour, il est bon, mais le lendemain c’est le contraire. En biodynamie, on essaye de toucher les vins quand ils sont dans les phases les plus statiques. On regarde la lune, la météo, le vent d’autan… » Pour laisser le temps aux levures naturelles de vivre leur vie jusqu’au bout, le vin passe deux hivers en élevage avant d’être mis en bouteille. « Pour faire des vins nature, il faut prendre son temps. »Une autre passion de Marc, c’est de « s’amuser » avec les cépages et les terroirs. Avec du jurançon noir il crée du « Rend son jus », ou détourne le principal cépage du Fronton pour faire du « Negret Pounjut », de la négrette pointue. « Ce sont de vieux cépages de la région, quasiment abandonnés, mais on a la chance d’avoir encore quelques vieilles vignes. Elles donnent un vin peu alcoolisé, très léger, parfait pour boire un coup entre copains sans avoir mal à la tête. Après tout, le vin, c’est ça : le partage, la convivialité ! » Et Marc en est un parfait ambassadeur.

« Les levures sont naturellement sur la peau du raisin au moment des vendanges. Nous, on fait le choix de les laisser vivre. C’est le principe d’un vin naturel : il est vivant »

Entre le Tarn et le Garonne, la petite zone d’appellation de Fronton (2 400 ha), bien connue des Toulousains tout proches, compte une quarantaine de vignerons indépendants, dont une dizaine a fait le choix du bio.

Même blessé à l’épaule, Marc Penavayre ne peut s’empêcher de venir au chai accompagner Thibaut, qui procède au soutirage à la main pour réduire les dépôts de lie au fond des cuves. « Savoir qu’il prend la suite, ça donne de l’énergie », souffle le paternel. Père et fils, complices, posent devant la cuvée 2018, qui sera mise en bouteille l’année prochaine. ●

Visitez Plaisance et le domaine des Boissières,

et dégustez les vins de Marc Penavayre

et Marc Fraysse, avec le club Oxytanie.Rendez-vous sur oxytanie.com

On a beau être amateur de vin, on est un peu perdu entre les certifiés bio, ceux qui sont en conversion, les conventionnels qui pratiquent une viticulture raisonnée, les vignes à Haute valeur environnementale, les vins « naturels » qui ont le vent en poupe mais pas de reconnaissance officielle…. Et si les logos se sont mul-tipliés sur les étiquettes, on manque toujours de détails sur le contenu de la bouteille.Ce qui est certain, c’est que loin d’être un effet de mode, la viticul-ture bio s’est installée durablement en Occitanie, où elle représente près de 10 % du vignoble. Pourquoi faire du vin bio ? Tous les vignerons que nous avons rencontrés le font par conviction, bien avant de cher-cher à satisfaire des consomma-teurs toujours plus soucieux de leur santé et de l’environnement. Mais ils le font aussi pour ses qualités gustatives, tout simplement parce qu’ils les trouvent meilleurs, plus ori-ginaux, plus typés. Cette recherche d’authenticité a beau surprendre le palais à la première dégustation, elle a de plus en plus d’amateurs. Mais en fait, c’est quoi la différence entre un vin bio, un vin biodyna-mique et un vin naturel ? Et les sulfites alors, pourquoi les vigne-rons continuent-ils (presque) tous d’en mettre ? Quelques explications pour y voir plus clair.

Texte Céline Bousquet Photo Julien Rougny

Illustration François Sanz

LES VINS BIODYNAMIQUESDu bio et une philosophie✓ Les contraintes du bio, mais encore plus poussées, avec la recherche d’un équilibre entre la plante, le sol et son environnement inspirée par les travaux du philosophe autrichien Rudolf Steiner (1861-1925).✓ priorité à la biodiversité et à la santé des sols.✓ utilisation de préparations à base de plantes.✓ prise en compte de l’influence des forces célestes et terrestres, notamment le calendrier lunaire.

La certification bio a minima✓ Teintées d’ésotérisme, ces pratiques font débat dans le milieu viticole, ce qui n’empêche pas de nombreux domaines bio de les adopter.✓ Pas de certification officielle, mais deux labels (Biodyvin et Demeter), qui certifient que les vins remplissent leurs cahiers des charges. Ils doivent déjà être certifiés bio pour les obtenir.

LES VINS NATURELSDu bio et de la liberté✓ Les contraintes du bio, toujours plus poussées, avec les techniques les moins interventionnistes, dans l’objectif de faire du vin le plus naturellement possible.✓ Une quête d’authenticité portée par une jeune génération de vignerons en réponse à l’uniformisation des goûts de la viticulture conventionnelle.

Pas de reconnaissance officielle✓ On les dit aussi nature, purs, propres, libres, vivants… mais ils n’ont pas encore de réelle définition ni de reconnaissance officielle. ✓ La mention « vins naturels » n’est pas autorisée sur l’étiquette, mais la précision «sans sulfites ajoutés» peut être un indice.

LES VINS BIODes raisins et une vinification bio✓ Pas de produits de synthèse, pas d’herbicides, pas d’OGM.✓ Des additifs limités, un niveau de soufre inférieur au conventionnel.✓ Certains procédés physiques interdits ou restreints.

Des produits certifiés et contrôlés✓ Sur l’étiquette, mention «vin bio» obligatoire, avec le logo européen et le code de l’organisme de contrôle (FR-BIO-XX). ✓ En Occitanie, les viticulteurs en conversion peuvent désor-

mais arborer le logo CAB (Conversion vers l’Agriculture Biologique).

la référence

le bio +

le bio ++

À côté de ces trois grandes familles de vins « écolos », on peut aussi trouver des vins vegan, garantis sans produits animaux, des vignes certi-fiées Haute Valeur Environnementale, des Vignerons en développement durable, des labels Biocohérence, Agriconfiance… S’il est parfois bien difficile d’en saisir les nuances, ils sont à l’image d’un secteur en pleine révolution. Leur multiplication reflète la diversité des pratiques et des vi-gnerons. Ceux que nous avons rencontrés ne cherchent pas les labels mais sont engagés dans une démarche personnelle, qui fait sens pour eux. Ils sont d’ailleurs souvent plus exigeants avec eux-mêmes que les cahiers des charges. Pour savoir ce que vous buvez, rien de tel qu’aller directement à la cave ou chez les cavistes, de plus en plus nombreux à se spécialiser dans

les vins bio et naturels.

L’Occitanie est le PREMIER VIGNOBLE DE FRANCE, MAIS AUSSI

LE PREMIER POUR LE BIO, qui représente 10 % de la surface agricole

et 1  600 producteurs recensés.

20 % DES PESTICIDES appliqués en France le sont dans la vigne, qui ne

représente pourtant que 3 % de la surface agricole.

Pour avoir un VRAI IMPACT ENVIRON-NEMENTAL, il faut atteindre 50 %

du vignoble régional en bio d’ici dix ans, estime l’association interprofessionnelle

SudVinBio, qui veut faire de l’Occitanie la première région de vin bio au niveau européen.

Alors que la VENTE DIRECTE concerne seulement 5 % du vin vendu en France,

ce taux passe à 40 % pour le vin bio, qui se vend majoritairement en direct au consommateur à la cave, en ligne

ou lors des foires et marchés.

Les vignobles d’Occitanie offrent LA PLUS GRANDE VARIÉTÉ DE VINS D’APPELLATION réunis sur

un même territoire, un nombre sans équivalent au niveau mondial, avec une cinquantaine

d’Appellations d’origine protégée (AOP) et plus d’une trentaine d’Indications géographiques

protégées (IGP).

Tous les ans, Montpellier accueille Millésime Bio, LE PLUS GRAND SALON MONDIAL DU VIN BIO,

avec des milliers de producteurs et d’acheteurs du monde entier.

MOINS, MAIS MIEUX. Les dernières études montrent que si les Français

boivent de moins en moins de vin (100 litres en 1960, moins de 50 au-

jourd’hui), ils s’y intéressent davantage. Dans un marché national du vin qui recule, le secteur bio est LE SEUL

QUI PROGRESSE. Dans la région, il augmente de 5 à 10 % chaque année.

Avec ou sans sulfites ?

C’est lui qui nous donne mal au crâne : le dioxyde de soufre, ou sulfites. Mais c’est lui

aussi qui permet d’empêcher l’oxydation du vin et le développement de bactéries. C’est pour

ça, afin d’assurer une bonne conservation du vin, qu’il peut être utilisé en bio, en biodynamie et même chez les vignerons « nature », qui peuvent en ajouter lors de la mise en bouteille. Des doses cependant très limitées, loin de celles pratiquées en viticulture conventionnelle, jusqu’à cinq fois plus élevées.

Sur l’étiquette, impossible de voir la différence, surtout que le raisin produit naturellement du

soufre pendant la fermentation. Or, seule la présence de sulfites, et non l’origine ni

la quantité, doit être précisée dès qu’elle atteint 10 mg/litre.

Toujours plus bio

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