pierre bourdieu critique et réflexivité comme attitude analytique- damon golsorkhi- isabelle...

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PIERRE BOURDIEU : CRITIQUE ET RÉFLEXIVITÉ COMME ATTITUDE ANALYTIQUE Damon Golsorkhi, Isabelle Huault Lavoisier | « Revue française de gestion » 2006/6 n o 165 | pages 15 à 34 ISSN 0338-4551 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2006-6-page-15.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Damon Golsorkhi et Isabelle Huault, « Pierre bourdieu : critique et réflexivité comme attitude analytique », Revue française de gestion 2006/6 (n o 165), p. 15-34. DOI 10.3166/rfg.165.15-34 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 05/06/2015 18h32. © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 05/06/2015 18h32. © Lavoisier

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Management et sciences sociales / Agir stratégique et structuration

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  • PIERRE BOURDIEU : CRITIQUE ET RFLEXIVIT COMMEATTITUDE ANALYTIQUEDamon Golsorkhi, Isabelle Huault

    Lavoisier | Revue franaise de gestion 2006/6 no 165 | pages 15 34 ISSN 0338-4551

    Article disponible en ligne l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2006-6-page-15.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Damon Golsorkhi et Isabelle Huault, Pierre bourdieu : critique et rflexivit comme attitudeanalytique , Revue franaise de gestion 2006/6 (no 165), p. 15-34.DOI 10.3166/rfg.165.15-34--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Lobjet de cet article est

    danalyser lapport

    potentiel des travaux

    de Pierre Bourdieu pour les

    sciences des organisations.

    Les principaux concepts

    de cette sociologie sont

    prsents, avant de mettre

    en vidence quelques

    pistes dapplication

    possibles en sciences

    de gestion. La dimension

    rsolument critique de

    luvre, qui valorise la part

    de rflexivit dans le travail

    du chercheur pour

    renouveler les pratiques

    scientifiques, est enfin

    souligne.

    Les grands auteurs en sociologie prsentent sou-vent des potentialits importantes pour lessciences des organisations et un nombre impor-tant dentre eux, classiques et contemporains, sont abon-damment cits2. Etonnamment, alors que les travaux dessociologues franais sont de plus en plus utiliss ltranger, ils restent sous-exploits par la communautde chercheurs franais. Ces sociologues fournissentpourtant des cadres thoriques robustes, lesquels ont ttests empiriquement de manire abondante et systma-tique dans leurs champs dorigines.Parmi ces sociologues franais, Pierre Bourdieu, hritierde grands penseurs europens comme Emile Durkheim,Karl Marx et Max Weber, tient une place singulire. Ladiversit des objets empiriques de ses recherches cache

    M A N A G E M E N T :L E S C O N S T R U C T E U R S PAR DAMON GOLSORKHI,

    ISABELLE HUAULT1

    Pierre Bourdieu:critique et rflexivit commeattitude analytique

    1. Les auteurs remercient F. Allard-Poesi et B. Leca pour leur relectureet leurs critiques. Quils soient cependant exonrs de toute responsa-bilit pour les erreurs ventuelles.2. Cet intrt sincarne ces dernires annes dans deux numros sp-ciaux de revues europennes de rfrence entirement consacres deux sociologues classiques : Organization sur Norbert Elias, vol. 8, n 3, 2001 et Organization Studies sur Max Weber, vol. 26, n 4, 2005.

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  • lunicit du cadre thorique dont les basessont jetes dans les annes soixante, mmesi lvolution de luvre bourdieusienne estmarque par quelques contradictions et unecertaine htrognit (Corcuff, 2003).Depuis le dbut des annes 2000 et plusparticulirement depuis sa mort survenueen janvier 2002, laura de Pierre Bourdieudans les sciences des organisations nacess de crotre. Bien que les travaux fran-ais le mobilisant soient rares (Moingeon,1993 ; Moingeon et Ramanantsoa, 1995 ;Ramirez, 1998, 2001, 2003 ; Gomez, 2002 ;Gomez et al., 2003) il existe indniable-ment un effet Bourdieu. En tmoignelengouement au symposium qui lui taitconsacr au colloque de lAcademy ofManagement (Leca, 2005) o lon a purelever la prsence de plus de deux centschercheurs. titre dexemple, il a t citdans 25 articles de Human Relations entrejanvier 2000 et janvier 2005, dans 38 textesde Organization entre fvrier 1999 et sep-tembre 2005 ou encore dans 24 articles deOrganization Studies entre mars 2003 etseptembre 20053.Pourtant, lemprunt aux travaux de Bour-dieu dans ces champs de recherche nestpas nouveau. Des textes prcurseurscomme ceux de Ranson, Hinings et Green-wood (1980), de Willmott (1981) et deDiMaggio (1983) en thorie des organisa-tions ou dAnderson (1983) et de McCrac-ken (1986) en marketing ont ouvert la voie.Lirruption de Bourdieu en sciences de ges-tion fut particulirement notable dans lesannes 1990. On compte ainsi de nombreux

    textes en marketing (Firat et Venkatesh,1995 ; Holbrook, 1999 ; Holt, 1995 ; 1997 ;1998), mais aussi dans le domaine dumanagement (Pentland, 1992 ; Orlikowskiet Yates, 1994 ; Tsoukas, 1996 ; Walker,Kogut et Shan, 1997, Nahapiet et Ghoshal ;1998 ; Oakes et al., 1998 ; Bradbury etLichtenstein, 2000 ; Feldman, 2000).Ce succs tient sans doute au caractreimpressionnant et ambitieux de luvre etau potentiel que celle-ci reprsente pour lessciences de gestion. En effet, le projet bour-dieusien, qui vise analyser les phno-mnes de reproduction, et dnoncer lalogique de domination, permet de mettre jour les effets parfois violents quexercentles structures sociales sur les agents. Au-del des rapports conomiques entreclasses sociales, il souligne aussi la pr-gnance des dimensions historico-culturelleset symboliques. Une lecture historiquemontre dailleurs que ds les premiers tra-vaux en Algrie (1958, 1963, 1964) jus-quaux dernires publications empiriques(2000), thoriques (2001a) ou militantes(2001b), la dmarche critique est omnipr-sente. ce titre, la finalit a toujours t ledvoilement des dominations.Cette sociologie ouvre ds lors une brchepour poser les bases dune approche cri-tique en sciences de gestion en France4dont la proccupation ne serait non pas,celle de la connaissance pour le manage-ment mais celle de la connaissance dumanagement (Alvesson et Willmott, 2003).Elle constitue en effet un rfrentiel pouranalyser et mettre nu les pratiques mana-

    16 Revue franaise de gestion N 165/2006

    3. Ce qui nest pas le cas des quatre revues de lAcademy of Management o le taux de citation des travaux de Bour-dieu reste marginal.4. De faon tonnante, en France, pays do est issu un grand nombre de penseurs critiques de la thorie du social,il nexiste pas, contrairement dautres pays, de courant critique en management.

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  • griales et les dominations qui en sontissues, mais elle dessine galement deslignes daction pour les chercheurs (Golsorkhi, 2005).Lobjectif de cet article ne saurait tre unerevue exhaustive des travaux de PierreBourdieu. Il souhaite plus simplement

    souligner le caractre prometteur de cetteuvre pour les sciences des organisations.Aprs avoir prsent les principauxconcepts de cette sociologie, nous en souli-gnerons le caractre systmique, en non-ant quelques pistes dapplication possiblesen sciences de gestion. Dans une dernire

    Pierre Bourdieu 17

    BIOGRAPHIE

    Bourdieu est n en 1930 Denguin dans les Hautes-Pyrnes dans une famille pluttmodeste. Il entre en 1951 lENS de la rue dUlm aprs trois ans de classe prparatoireau lyce Louis-le-Grand et obtient son agrgation de philosophie en 1954. Aprsquelques mois de professorat au lyce, il part pour lAlgrie afin deffectuer son servicemilitaire et y reste en tant quassistant la facult des lettres dAlger entre 1958 et 1960.Ce sjour en Algrie marqua jamais sa carrire de sociologue puisque cest la suitede ses travaux empiriques sur la Kabylie que les bases de son cadre thorique ont tposes. Sen suivent quatre dcennies de travaux et de publications avec, comme datesmajeures, sa nomination en tant que directeur dtudes lEHESS en 1964, la crationde sa revue en 1975 (Actes de la recherche en sciences sociales), sa nomination en 1982au Collge de France la chaire de sociologie, la mdiatisation de son engagement poli-tique en 1995 et sa mort en janvier 2002. Bourdieu a produit plus de 40 ouvrages et 200articles sur des champs aussi varis que lducation, le monde de lart et de la littrature,la mthodologie, le champ acadmique, la recherche et la science, llite, la misresociale, la politique ou encore le logement. Toutefois, lors des dix dernires annes de savie, il produisit surtout des essais thoriques ou militants. La rumeur laisse entendre queRaymond Aron, en tant que mentor du jeune Bourdieu et avant leur rupture en 1968,disait de lui quil tait probablement le plus prometteur et le plus dou des quatre enfantsterribles de la sociologie franaise (Boudon, Bourdieu, Crozier et Touraine). Aujour-dhui, les faits confirment cette rumeur, puisque cest le sociologue franais le plus lu, leplus traduit et le plus cit de ces quarante dernires annes. Son succs dpasse les fron-tires de la sociologie, car de nombreuses disciplines des sciences sociales sinspirentlargement de ses concepts et de sa perspective.Principaux ouvrages : Le Mtier de sociologue (1968), La reproduction (1970), Esquissedune thorie de la pratique (1972), La Distinction. Critique sociale du jugement (1979),Le sens pratique (1980), Questions de sociologie (1980), Ce que parler veut dire (1982),Homo Academicus (1984), La Noblesse dtat. Grandes coles et esprit de corps (1989),Rponses (1992), Les rgles de lart (1992), La misre du monde (1993), Mditationspascaliennes (1997), La domination masculine (1998), Les structures sociales de lco-nomie (2000), Science de la science et rflexivit (2001).

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  • partie, nous mettrons en vidence la dimen-sion, rsolument critique, de la thorie quivalorise la part de rflexivit dans le travaildu chercheur, afin de renouveler les pra-tiques scientifiques.

    I. RETOUR LA SOURCE:LES CONCEPTS BOURDIEUSIENS

    La thorie bourdieusienne peut tre explici-te grce un nombre restreint de conceptsinterdpendants et en interaction. Pourapprhender le fonctionnement de la tho-rien encore faut-il prcisment caractriserces concepts. videmment, la sociologiebourdieusienne ne se rduit nullement la mcanique simplifie que nous expo-sons. Lensemble est plus complexe etsophistiqu, mais lexplicitation de luvresous une forme schmatique permet demieux en comprendre le sens, de mettre jour les liens entre concepts et les lina-ments de la dynamique globale. Ces l-ments sont mobiliss dans la quasi-totalitdes analyses sur les champs littraire etartistique, politique, acadmique, cono-mique, ducatif ou scientifique. Le champest le mtaconcept qui structure la pensede Bourdieu, base de toute analyse se rcla-mant de ce courant. Cest un point dentrequi induit ltude de cinq autres concepts,auxquels il est trs troitement associ : lecapital, lhabitus, les pratiques, la doxa etlillusio.

    1. Structure structure : le champcomme point de dpartLe monde social est constitu par desespaces structurs de positions, les

    champs (Bourdieu, 1966). Ces derniersjouissent dune autonomie relative et sontagencs de manire conflictuelle autour depositions (Bourdieu, 1972) que diffrentsagents sociaux occupent par rapport auvolume et la structure du capital dispo-nible et dtenu. La position des agents dansle champ dtermine leurs marges demanuvres. Chaque champ est dot den-jeux, de rgles de fonctionnement, dint-rts caractristiques, dobjets et dagentspossdant lhabitus spcifique du champ.La configuration du champ dpend despositions des agents, du rapport de force etde la lutte qui en dcoulent (Bourdieu,1980a). Ds lors, une dimension consub-stantielle du champ est la lutte autour delacquisition des diffrentes formes de capi-taux (Bourdieu, 1997b). Les champs appa-raissent ainsi comme des lieux de concur-rence et de lutte, habits par des dominantset des domins. Chaque champ est linsti-tutionnalisation dun point de vue dans leschoses et dans les habitus (Bourdieu,1997a, p. 144)5. Il enferme les agents dansses enjeux propres qui, partir dun autrepoint de vue, deviennent invisibles ou dumoins insignifiants ou mme illusoires(Bourdieu, 1997a, p. 140).

    2. Dterminant des positions et causedes luttes : le capitalLe capital est une ressource, au sens large,qui se dcline sous quatre formes (Bour-dieu, 1979, 1992b, 1993, 1997a) : a) le capital conomique li aux ressourcespatrimoniales ou au revenu, b) le capitalculturel quil sagisse du capital ltatincorpor (culture, langage, connaissance

    18 Revue franaise de gestion N 165/2006

    5. Le concept de champ fut dailleurs un des premiers concepts bourdieusien tre peru comme utilisable en tho-rie des organisations (DiMaggio, 1983 ; DiMaggio et Powell, 1983).

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  • des codes sociaux, etc.) ou du capital ltat institutionnalis (diplmes et titres) ;c) le capital social , ensemble des rela-tions et rseaux que lindividu peut action-ner, d) le capital symbolique enfin,expression de lautorit et de la lgitimitquinduisent les autres formes de capitalpour lagent dans un champ donn. Chaquechamp possde ces quatre formes de capi-taux, de manire invariante. On peut aussi ytrouver des capitaux spcifiques, tels que lecapital scientifique pour le champ de larecherche. Lespace social est ainsi pensde faon multidimensionnelle et ne serduit pas aux ressources dordre cono-mique, ce qui dmarque luvre duneconception strictement marxiste.

    3. Lhabitus en tant que systme de dispositions durables pour laction et le langage Sicut vestis corpus, ita habitus animamvestit (lhabitus habille lme comme levtement le corps)6. Lhabitus (Bourdieu,1980a, 1980b, 1992a, 1992b)7 dun agentest un acquis incorpor de faon durablesous forme dun ensemble de dispositionsqui sacquirent au cours du processus de socialisation. Lhabitus est le gnra-teur , lorganisateur des pratiques etdes reprsentations des individus. Il estintimement li au champ et intervient demanire rcurrente dans les pratiques desagents quil faonne. Lhabitus est dyna-mique puisquil sactualise dune manireincrmentale et historique (Bourdieu,

    1997a). Il est produit par le conditionne-ment social. Il autorise et limite les actionsdes agents dont il est la source. Il induitdes conduites objectivement adaptes lalogique du champ social concern et, cetitre, il est la base dune conomie despratiques. Lhabitus se traduit par desstyles de vie et par des jugements. Vri-table matrice de toutes les questions perti-nentes travers laquelle nous apprhen-dons le monde, lhabitus guide noscomportements. P. Corcuff (2003) parleainsi des structures sociales de notre sub-jectivit qui se constituent au travers denos premires expriences (habitus pri-maire), puis de notre vie dadulte (habitussecondaire).

    4. La pratique comme lexpressiondagir des agentsLa pratique dsigne lactivit socialeconcrte des agents (Bourdieu, 1972,1980a) ayant pour grammairegnrative lhabitus acquis dans unchamp donn. La pratique est une formedactivit, rsultat de conditions historiqueset sociales. En outre, elle est le produitdune dialectique entre la structure socialeobjective exprime sous forme de codes etde contraintes et la structure structuranteincorpore dans le corps sous forme dhabi-tus. Elle suppose un sens pratique qui per-met lagent dajuster son habitus auxconditions objectives du champ, maislhabitus son tour cadre les pratiquesdans un champ donn.

    Pierre Bourdieu 19

    6. Cit par Hran (1987), p. 389.7. La vritable explicitation de ce concept par Bourdieu date de sa postface du livre de Panofsky (1967) et il appa-rat comme un concept fort complexe et polysmique (Hran, 1987).

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  • 5. Naturaliser la situation du champ :la doxa comme dogme inconscientLa doxa (Bourdieu, 1997a, p. 30) est un ensemble de croyances fondamentales quinont mme pas besoin de saffirmer sous laforme dun dogme explicite et conscient delui-mme . La doxa est un ensemble deprsupposs insparablement cognitifs etvaluatifs dont lacceptation est impliquepar lappartenance mme (au champ)(Bourdieu, 1997a, p. 145). Elle formate linterprtation des choses, puisquelleguide notre comprhension du mondesocial, eu gard au champ auquel on appar-tient. Elle dlimite lespace de discussionlgitime, excluant comme absurde ouimpensable toute tentative pour produireune position non prvue. La doxa revt unecharge politique car elle normalise et lgi-time un ordre social donn.

    6. Lillusio comme intrt pour jouer avec les rgles du champLillusio est un voile (Bourdieu, 1997a,p. 25) qui consiste en un ensemble de croyances fondamentales dans lintrt dujeu et la valeur des enjeux, inhrent cetteappartenance (au champ). Cet intrt pourle jeu permet lagent de construire un sens sa vie, en linsrant dans le jeu des enjeuxdu champ. Lillusio se forme partir delhabitus primaire et spcifique, mais aussipar la doxa qui incorpore dans les individusun ensemble de pratiques et de croyancestacites, impenses et non explicitables. Ilest de lordre de la routine, de laction, deschoses que lon fait.

    II. LA DYNAMIQUE DU SYSTME BOURDIEUSIEN

    Les concepts bourdieusiens ne sexprimentpleinement que lorsquils sont situs dans une logique globale dinteraction etdinterdpendance. Lobjectif est de four-nir ici quelques pistes de conversationsconceptuelles approfondir et ce, travers la dynamique macro-micro8 et le lien (habitus) (capital) + champ = pratique (Bourdieu, 1979). Dans cette perspective,les pistes dapplication potentielles ensciences de gestion sont nombreuses.

    1. Le systme bourdieusien et la reproduction des pratiquesLe raisonnement situ et localis, consistant ne regarder que lactivit concrte desagents, pour se focaliser sur leurs seulespratiques, ne permet gure de comprendrela reproduction de celles-ci. La reproduc-tion des pratiques dpend ainsi de plusieursparamtres : du maintien de la structure du champ entermes de position et du volume des capi-taux dtenus par les agents ; du maintien de la doxa et de lillusio duchamp par les dominants ; du degr dautonomie du champ et de lacapacit, pour les dominants, fermer lac-cs des capitaux aux domins, notammentpar la fixation de rgles qui se naturalisent(la doxa) en devenant des dispositions etdont le respect cre un intrt (lillusio). Lalogique de la distinction entrine alors ladomination (Cabin, 2000) ;

    20 Revue franaise de gestion N 165/2006

    8. Certains auteurs parlent de trois niveaux (micro-meso-macro) pour expliciter la dynamique de la thorie bour-dieusienne (zbilgin et Tatli, 2005). Nous prfrons rester fidles , suivant en cela Bourdieu qui plusieursreprises sous des acceptions varies, appelle une conception nintgrant que deux niveaux. Dautres lectures sontencore possibles comme celle dEverett (2002).

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  • de lhabitus primaire, produit historico-culturel de la socialisation. Cet habitus pri-maire oriente et facilite ladmissiondans un champ (professionnel par exemple)qui, son tour, inculque dautres disposi-tions, plus spcifiques, que lon appellehabitus secondaire.La dynamique macro-micro se rvle alorsassez simple : les pratiques ne sont renduespossibles au niveau des agents que grce lhabitus et au volume des capitaux dte-nus. La capacit dajustement, dadaptationet dimprovisation des agents dpend de ladotation en capitaux et de ltendue de leurshabitus. Cet habitus est lui-mme form par

    lintgration de structures objectives dumonde social, le champ, dans lequel lindi-vidu volue. Les deux types de structures(structures le champ et structurante lhabitus) dterminent les pratiques desagents. In fine, lagent bnficie dune capa-cit dajustement et dimprovisation, maispar rapport ces deux types de structures,et dans la limite de la doxa et de lillusio.Dans cette perspective, les pratiques setransforment si les domins sont en mesurede changer les rgles du jeu du champ, pourfaire voluer la nature des capitaux valori-ss et les modalits de leur dotation9. Celadpend de la capacit des agents se munir

    Pierre Bourdieu 21

    Figure 1SYNTHSE DE LA DYNAMIQUE DES PRATIQUES

    9. La thorie bourdieusienne a souvent t accuse par ses dtracteurs, de focaliser lattention sur la reproduction,en ignorant toute possibilit dvolution. Or les crits de Bourdieu soulignent bien que les champs sont potentiel-lement ouverts au changement, parce que le capital et les positions des agents y sont parfois contests.

    Source : daprs Golsorkhi (2005).

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  • de capitaux provenant dautres champs,pour crer des perturbations et de nouvellesrgles du jeu non matrises par les domi-nants. Cette modification influence la struc-ture du champ et les positions tablies.Lvolution de la dotation des capitaux, delhabitus, des pratiques et de la structure duchamp modifie la doxa et, par l mme,lillusio.Ainsi, analyser lvolution des pratiques,sans comprendre la structure de lhabitus etdu champ, devient hautement problma-tique. Le schma de la figure 1 synthtisecette dynamique thorique.

    2. Les perspectives dutilisation ensciences de gestion : larticulation des niveaux danalyseLanalyse bourdieusienne peut clairer denombreuses problmatiques de recherchedans divers domaines tels que le marketing,la thorie des organisations, le managementdes systmes dinformation, la gestion desressources humaines ou encore le manage-ment stratgique. Nous nous focalisons icisur deux exemples.Lun des courants de recherche actuels en management stratgique, la stratgiecomme pratique (Whittington, 1996 ; Jarzabkowski, 2005) ou la stratgiecomme activit (Johnson et al., 2003)pourrait constituer un terrain dapplication.En se focalisant sur le lien processus-contenu et le rapport micro-macro, cetteapproche naissante tente danalyser le curmme de lactivit stratgique. Le but est decomprendre et dexpliquer, comment lastratgie se fabrique au quotidien par lespratiques, le langage, les routines, lesrgles bref, par lactivit sociale auniveau microscopique. Mais celle-ci est relier au niveau organisationnel et plus

    gnralement au niveau institutionnel etenvironnemental. Ds lors, le lien avec uneperspective bourdieusienne devient troit. titre dexemple en effet, pour tudier lafabrique du changement stratgique et orga-nisationnel, lobjectif consisterait expli-quer la gense dlments visibles commela culture, les pratiques, les routines, lesrsistances () Lenjeu serait celui dudvoilement de la dimension cache desactions et des discours sur les phnomnesorganisationnels et stratgiques, afin decomprendre leur reproduction. Lechercheur, ne se satisfaisant plus de ltudedu visible , chercherait plutt com-prendre ce qui engendre et maintient la cul-ture (lhabitus, la doxa et lillusio), lori-gine de la reproduction des pratiques(lhabitus, la dotation en capital et la doxa),les raisons pour lesquelles certains agentsluttent pour maintenir les rgles du jeu duchamp (dotation en capital et positions dansle champ) ou encore les causes pour les-quelles les agents portent un intrt pourdes rgles du jeu pourtant dsutes (lillusio). Il apparatrait ainsi que mme lesorganisations les plus dmocratiques enapparence peuvent aboutir des modes dedomination, fonds sur des processus sub-tils de socialisation et de croyances. Cer-taines techniques de management peuventmme sassimiler dans cette perspective un vritable travail de naturalisation de larelation de domination.Par ailleurs, une autre piste prometteuse delutilisation de la sociologie de Bourdieusinscrit plus particulirement dans la pers-pective no-institutionnelle en thorie desorganisations et concerne la problmatiquedu travail institutionnel (Lawrence etSuddaby, 2006). En effet, Lawrence et Suddaby dans un texte de la deuxime di-

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  • tion Handbook of Organization Studies(juin 2006) dfinissent le travail institution-nel, comme des actions dlibres dindi-vidus et dorganisations visant crer,maintenir ou perturber les institutions .Dans ce cas prcis, le cadre bourdieusienpermettrait de dmontrer comment lesdominants maintiennent leurs positionsdans un champ en contrlant laccs auxcapitaux, en fixant les rgles du jeu, en ali-mentant et en protgeant la doxa. Elle per-mettrait aussi de souligner comment desdomins dun champ, prts changer lesrgles du jeu, doivent aller chercher horschamp les capitaux ncessaires pour per-turber, voire changer les institutions, etcomment le maintien dune institution estfond sur une lutte incessante entre desagents appartenant un champ [] Ensomme, une comprhension systmique dela sociologie de Bourdieu pourrait per-mettre de mieux mettre en exergue lesmcanismes de reproduction des institu-tions, le but tant de dcrire, de comprendreet danalyser les dterminants de la domi-nation, objet central de la sociologie deBourdieu, et dimaginer les stratgies pos-sibles pour sen affranchir. La marge demanuvre des agents et la libration tienten effet la prise de conscience, permise oufacilite par la thorie sociologique, de lasituation relle des rapports sociaux (Cas-tel, 2004).En un sens, la perspective bourdieusiennepourrait tre la base du renouveau denombreuses lectures en management. Ellepermet larticulation des niveaux danalyse,ce qui est lune des difficults tradition-nelles en thorie des organisations. Elleparticipe galement au repositionnement(r-encastrement) de lagent au sein ducontexte organisationnel, le champ englob,

    dans lequel il opre, contexte lui-mmeinsr dans un mtacontexte, le champenglobant (Bourdieu, 2000). La thoriepourrait, au fond, contribuer la compr-hension du fonctionnement systmique denombreux phnomnes organisationnels,tels que la reproduction, le maintien et lechangement des pratiques au niveau micro-scopique, la domination inconsciente dansles organisations, la fabrique de la stratgie,la culture organisationnelle, lentrepreneu-riat institutionnel ou encore le travail insti-tutionnel.Finalement, le projet gnral de Bourdieuest bien de dmontrer que cest autour descapitaux que les luttes de pouvoir dans unchamp se jouent. Le volume du capital pos-sd par les agents dfinit leurs positions.Ceux qui disposent dune dotation impor-tante en capital ont intrt la reproduction.Les autres sefforcent de faire voluerlquilibre des forces en introduisant denouvelles rgles du jeu, pour promouvoirdes types de capitaux non possds par lesdominants. Pourtant, les domins ne peroi-vent pas toujours quils doivent lutter pourle changement des rgles du jeu et pourlacquisition de nouveaux capitaux, en rai-son de la doxa et de lillusio du champ,transmis par le biais de lhabitus. Pris par lejeu social, les domins ignorent la logiquede la diffrenciation, et donc la domination.En ce sens, les normes sont inculques, parune socialisation et par des processus ido-logiques, ce que Bourdieu appelle la vio-lence symbolique. Celle-ci occulte les rap-ports de classe et de domination. Lesdomins adhrent lordre dominant enmconnaissant ses mcanismes et soncaractre arbitraire. Cette soumission nesten rien une servitude volontaire, elle estsimplement leffet dun pouvoir qui sest

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  • inscrit dans le corps des domins, sous laforme de schmes de perceptions et de dis-positions (Bourdieu, 1997a, p. 247).Ainsi les processus de recrutement dans lesorganisations peuvent tre lus, launedune telle grille thorique. Laccession auxpositions dominantes dans les entreprisespasse majoritairement par le fait davoir faitou non sa scolarit dans une cole presti-gieuse (Cadin et al., 2003). Les comp-tences effectives ou les qualits que lonpeut saisir travers les mthodes de slec-tion classique, nont finalement pas grandchose voir avec ce processus de dfensede positions dominantes, parce que les jeuxsont faits davance .En dernire analyse, la lutte des agentspour garder des positions ou les faire vo-luer est au centre de toute la pense bour-dieusienne. Mais cette conception cri-tique de la vie sociale, sajoute galementune conception critique de la vie acad-mique et scientifique, variante de la pre-mire. Cest lobjet des rflexions de lau-teur depuis 1968 (Passeron et al., 1968) cefut aussi lobjet de son dernier cours aucollge de France (Bourdieu, 2001a). Letroisime volet de cette prsentation y estconsacr.

    III. LA CRITIQUE ET LA RFLEXIVIT COMME

    ATTITUDE ANALYTIQUEDeux dimensions guident la dmarche deBourdieu en tant que chercheur : ladoptiondune posture critique qui sincarne dansune sociologie du dvoilement, et unelogique de rflexivit sur la position acad-mique.

    1. Une dmarche critique et militanteLattitude scientifique consiste mettre enexergue la ralit des mcanismes dufonctionnement social. Cette ralit estcache, puisque la doxa et lillusio ne per-mettent pas aux agents et aux chercheursqui ltudient de lapprhender (Bourdieu,1997a). La dmarche critique adopte nestalors pas un jugement mais une pratique.Elle tend montrer les mcanismes sous-jacents et gnrateurs de la production et de la reproduction des pratiques insti-tues (Bourdieu, 1997b). Le rle duchercheur/lacadmique dans cette entre-prise est central. En effet, le scientifique estcelui qui devrait permettre aux agents decomprendre leurs pratiques, leur habitus, levolume du capital leur disposition, lesleviers daction pour faire voluer leurspositions dans le champ. Ceci ne peutsoprer que par le dvoilement de la doxaet de lillusio propre au champ, base de lanaturalisation des dominations (Bourdieu,1997a).Lenjeu de la dmarche scientifique estalors de dvoiler la structure de la ralit endrangeant les tenants de lordre tabli et demettre jour des rapports de domination,par nature dissimuls, enfouis au plus pro-fond des psychismes et des corps, intriori-ss par les agents. Il sagit, selon la lecturequen fait R. Castel (2004, p. 308), dednoncer la mconnaissance des rapportsde force qui, pourtant, sont lorigine desrapports de sens10. Selon Bourdieu, seulesles sciences sociales sont en mesure dedmasquer et de contrecarrer les stratgiesde domination et elles doivent choisir entredeux parties : mettre leurs instruments

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    10. Cest en cela que nous trouvons de fortes rminiscences weberiennes dans la sociologie de Bourdieu.

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  • rationnels de connaissance au service dunedomination toujours plus rationalise ouanalyser rationnellement la domination (Bourdieu, 1997a, p. 121). Dans cette pers-pective, les sciences des organisationsseraient condamnes la rupture critiqueavec les vidences premires, et devraientdonc procder la dnaturalisation, au dsenchantement , cest--dire lhisto-ricisation de leurs objets (Huault, 2004).Comme lcrit Bourdieu (1980b, p. 26), onpeut mettre la science au service de la ges-tion de lordre tabli, en cherchant destechniques qui le mnagent etlamnagent . En ce sens, on pourraitrduire les sciences de gestion une ing-nierie sociale ayant pour fonction de fourniraux managers une rationalisation de leurconnaissance pratique. Mais selon Bour-dieu, cette sorte de science trouve seslimites, en ce quelle ne peut jamais oprerde mise en question radicale. Or, la fonctionde toute science sociale nest pas tant deservir quelque chose, autrement dit quelquun, mais de comprendre le mondesocial et organisationnel. Cest l sa fonc-tion proprement sociale.Cette posture critique trouve une illustra-tion rcente dans lanalyse, par Bourdieu(2000) du champ conomique. Tout lenjeude son ouvrage Les structures sociales delconomie, est de dnaturaliser les loisconomiques. Selon lauteur, la logiqueconomique nest pas neutre, car au-del dela pure objectivit des rapports cono-miques se cachent des rapports de domi-nation. En ce sens, le monde social est toutentier prsent dans chaque action cono-mique (Bourdieu, 2000, p. 13). Ds lors,Bourdieu part en guerre contre la mise enparenthses initiale de lenracinement

    social des pratiques conomiques, pourreconstruire, au contraire, la gense des dis-positions conomiques de lagent. La mise jour de lhabitus conomique consistepour lauteur souligner que la conduiteconomique socialement reconnue commerationnelle est le produit de certaines condi-tions sociales. Les prfrences et les gotsdes agents conomiques sont le produit deleur placement et de leurs dplacementsdans lespace social, cest--dire de lhis-toire collective et individuelle.Dans la mme perspective, lespace de len-treprise est compris comme un champ dedomination et comme un lieu de rapports deforces. Les luttes au sein des quipes diri-geantes lillustrent de faon prgnante(Bourdieu, 2000). Les dirigeants sont vuscomme engags dans la lutte de concur-rence au sein du champ de pouvoir de len-treprise. Dans les socits les plus grandes,souligne Bourdieu, lorientation vers luneou lautre des fonctions majeures de len-treprise est troitement lie lespce decapital scolaire possd et des trajectoiressociales et scolaires gnratrices de disposi-tions spcifiques. En ce sens, les thoriesmanagriales, dans leur grande majorit,surestiment la part laisse aux stratgiesconscientes des dirigeants par rapport auxcontraintes structurales et aux dispositionsdes agents.Au final, la sociologie de Pierre Bourdieuest empreinte dun sceau critique qui a pourobjectif le dvoilement des dominations. Enmontrant la logique des champs, il sagit de confondre ceux qui tirent les ficelles , demettre nu les coulisses du social, puisqueseule une prise de conscience descontraintes peut desserrer ltau descontraintes (Castel, 2004, p. 309).

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  • 2. Une posture rflexivePourtant, le dvoilement des dominationspar le chercheur rencontre des obstacles.Bourdieu montre ainsi que le scientifiqueest souvent aveugl par sa situation deSkhol et sa raison scolastique (Bourdieu,1984, 1997a) et ne peut dvelopper un rap-port pratique la pratique (Bourdieu,1997a). La Skhol sassimile au loisir stu-dieux qui permet de considrer la rechercheet le jeu qui se cre autour de celle-cicomme une fin en eux-mmes (Bourdieu,1997a). Cette situation de retrait cre une rification de la raison du chercheur etde sa position. Son seul but devient la pr-servation de la position acquise au sein duchamp scientifique dans lequel il volue.Suivant en cela une sociologie relationnelle,Bourdieu souligne que les agents(chercheurs) sont lis entre eux par des rela-tions. Ces relations sont structures autourdenjeux, dobjets et dintrts spcifiquesqui produisent des luttes pour la reproduc-tion des capitaux (ou lmergence de nou-veaux capitaux). Le statu quo est le rsultatde la reproduction des deux formes de capi-taux spcifiques au champ scientifique(Bourdieu, 1984, 2001) :1) le capital scientifique li la reconnais-sance des pairs et laccumulation de tra-vaux scientifiques. Il est peu institutionna-lis et peut tre fustig plus facilement quela seconde forme de capital ;2) le capital temporel, est lexpression dupouvoir institutionnel. Il est li aux accsaux moyens de production (comme lesfinancements) ou de reproduction (tellesque les positions institutionnelles). Il sob-

    tient par cooptation et insertion dans lesgroupes dinfluence. Lautonomie duchamp scientifique nest donc que partielleet elle dpend dautres champs, notammentconomique et politique (Bourdieu, 2001).Les intrts de connaissance senracinentainsi dans des intrts sociaux, stratgiques ouinstrumentaux.Cette situation cre un monde part, lechamp acadmique, avec sa propre rationa-lit (la raison scolastique) qui, en raison deses enjeux et de sa dynamique endoga-mique, produit de lpistmocentrisme(Bourdieu, 1984, 2001). Celui-ci consiste ne pas traiter les objets que lon tudie parun rapport pratique la pratique, mais enprojetant sur une pratique donne la thorieque lon a construit pour lexpliquer11(Bourdieu, 1992a, 1997a). Lpistmocen-trisme scolastique engendre alors uneanthropologie totalement irraliste, impu-tant son objet ce qui appartient en fait lamanire de lapprhender.Afin de comprendre la ralit de la pratiquedes agents et de neutraliser cet effet scolas-tique, lenjeu pour le chercheur est de fairede l objectivation participante (Bourdieu,1992a, 2001, 2003). Lobjectivation (ausens de connaissance scientifique) du rap-port subjectif du sociologue son objet (saparticipation lobjet quil analyse) faitpartie des conditions de scientificit de sarecherche (Corcuff, 2003). Il sagit dunexercice particulirement difficile, parceque lobjectivation participante demande larupture des adhrences et des adhsions lesplus profondes et les plus inconscientes,celles, bien souvent, qui font l intrt

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    11. Bourdieu (1997) relve que dans sa description paisse ( thick description) dun combat de coqs, lanthro-pologue C. Geertz prte aux Balinais un regard hermneutique et esthte qui nest autre que le sien.

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  • mme, de lobjet tudi pour celui qui ltu-die, tout ce quil veut le moins connatre deson rapport lobjet quil cherche connatre (Bourdieu, 1992a, p. 224).Cette objectivation nest possible que parun effort de rflexivit sur la connaissancede ses propres prsupposs historiques. Larflexivit correspond ce travail par lequella science sociale, se prenant elle-mmepour objet, se sert de ses propres armespour se comprendre et se contrler (Bourdieu, 2001a, p. 173-174). En ce sens,elle constitue un moyen efficace de renfor-cer les chances daccder la vrit enfournissant les principes dune critiquetechnique . Cette approche est bien desgards diffrente de lapproche relativisteclassique en sociologie des sciences qui, eninsistant sur son caractre historique, relati-vise la production de la connaissance. Aucontraire, Bourdieu ambitionne de faireprendre conscience aux scientifiques delinfluence de leur habitus primaire (celuide leur histoire familiale et ducative) etsecondaires (celui de leur champ scienti-fique), afin de rduire les effets de ceux-cisur la production de la connaissance et derendre cette dernire plus objective. Encela, la rflexivit et son corollaire, lob-jectivation participante, sont une oprationde rduction de la relativit scientifique,puisque le chercheur ne tente plus dimpo-ser son point de vue thorique pour inter-prter les pratiques des agents, mais essaiede comprendre galement le point de vuedes agents dans la ralit de leurs pratiques(Bourdieu, 1997a). La capacit pour lesociologue de considrer la relation quilentretient avec son objet constitue unmoyen damliorer la qualit scientifiquede ses travaux. Il sagit dun processusdauto-analyse du rapport lobjet, de son

    propre parcours social pour rendre larecherche plus rigoureuse.Cependant, ce travail est dlicat, en raisondes rgles du jeu du champ scientifiquedans lequel le chercheur volue. Un certainnombre dobjets crent une doxa et un illu-sio quil est souvent difficile de remettre encause, puisque cela pourrait avoir desconsquences pour ceux qui sont bien ta-blis dans le champ scientifique (Bourdieu,1984). Les conditions dexercice de larflexivit et dune production scientifiqueadquate dpendent donc de lautonomiedu champ scientifique par rapport auxautres champs qui peuvent interfrer dans larpartition des capitaux, notamment leschamps politiques et conomiques.En dernire analyse, la dmarche de Bour-dieu permet un retour des mthodologiesplus rflexives qui tentent de comprendreles actions humaines et organisationnellespar un rapport pratique la pratique. Pourchapper lenfermement scolastique,Bourdieu (1997a) prconise dailleurs de nepas se drober aux tches considrescomme les plus humbles du mtier dechercheur, telles que lobservation directe,les entretiens, le codage des donnes oulanalyse statistique.

    CONCLUSION

    Lutilisation de la sociologie de Bourdieu,dont le bilan thorique et empirique estconsidrable, peut tre fconde pour lessciences de gestion. Or, on peut regretterque ce cadre thorique soit encore insuffi-samment exploit dans nos champs derecherche ou que son utilisation demeuresouvent parcellaire, ignorant de ce fait lesinterdpendances entre concepts, le carac-tre systmique de cette pense et, sa pos-

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  • ture rsolument critique. La transpositiondes concepts bourdieusiens en sciences degestion en effet sest, pour linstant, tradi-tionnellement opre de manire instru-mentale et slective, les rduisant une bote outils , branlant ainsi la dyna-mique densemble et son esprit critique.Le texte dOakes et al., (1998) quidmontre lvolution des pratiques dans unchamp institutionnel constitue, en ce sens,une illustration assez symptomatique de lafaon dont la sociologie bourdieusienne estutilise. En effet, Oakes et al. ne traitentque de la dynamique des pratiques en rela-tion avec le champ. Ils ludent pour unegrande part lexplicitation des autresconcepts-cls de la sociologie de Bourdieu,cest--dire lhabitus, la doxa et lillusio,ainsi que linteraction de ces dernires avecles pratiques, le capital et le champ.Ainsi, en est-il aussi du concept de pra-tique qui fonde cette fois-ci lapproche base sur la pratique 12 en managementdes connaissances (Brown et Duguid, 1991,2001 ; Gherardi, 2000) et en managementstratgique (Whittington, 1996 ; Johnson et al., 2003 ; Jarzabkowski, 2005). Nul nyparle vraiment de laspect systmique de lapense bourdieusienne. Un seul concept la pratique est extrait de lanalyse, ce quicarte linfluence dautres dimensions.Dailleurs la quasi-totalit des travauxrcents qui mobilisent Bourdieu, ne le fontque dans cette perspective fragmente(Levina et Vaast, 2005 ; Everett et Jamal,2004 pour la pratique ; Mutch, 2003 pourlhabitus ; Lounsbury et Ventresca,

    2003 pour le rtiquetage de la thoriebourdieusienne13 ; Hoffman et Ventresca,2002 pour le concept de champ). En optantdans cet article pour une autre comprhen-sion des travaux de Bourdieu, nous avonssouhait montrer que cette sociologie relvedabord dune approche systmique etdune posture critique, consistant dvoilerla domination. Elle revient aussi faireprendre conscience aux chercheurs deslimites de leurs rapports avec la ralitquils tudient.Cependant, il est sans doute ncessaire desouligner les limites dune uvre partiale etpartielle. En effet, Bourdieu a parfois sus-cit une admiration aveugle voire idolo-gique parmi les intellectuels et les socio-logues qui lont frquent ou ont travaillavec lui (Onfray, 2002 ; Encrev et Lagrave,2003 ; Pinto et al., 2004 ; Mauger, 2005).Mais, linverse, de nombreuses critiquesont port bien plus sur lengagement poli-tique du chercheur (Prost, 1970 ; Verds-Leroux, 1998 ; Schneidermann, 1999), quesur son travail scientifique. Nietzsche cri-vait ce que nous faisons nest jamais com-pris, mais toujours seulement lou oublm 14. Ceci rsume bien le ton des cri-tiques formules lgard de la sociologiede Bourdieu et de sa personne. Les attaquesdordre plus scientifique soulignent quant elles la partialit de la thorie bourdieu-sienne (Lahire, 2001), des contradictions etune htrognit manifeste (Corcuff,2003) ou encore le manque dapprofondis-sement quant la dynamique systmique(Caill, 2005). Ces deux derniers points

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    12. Practice-based view .13. Les auteurs classent la sociologie de Bourdieu dans un nouveau structuralisme qui est selon eux plus large et plus complet que le structuralisme classique .14. Nietzsche, Le Gai savoir, paragraphe 264, p. 162, uvres compltes, tome 2, cit par Onfray (2002).

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  • sont trs probablement lorigine dunepartie des interprtations partielles deluvre de Bourdieu dans les tudes enmanagement.Dans cette veine, des critiques, sommetoute assez classiques, sont formules lgard de la thorie. Daucuns lui repro-chent sa focalisation trop exclusive sur lesmcanismes de reproduction. Ainsi, cettesociologie fixiste, se trouverait dans uneimpasse pour expliquer le changement, lesvolutions de la position des agents, la pro-duction de nouveaux habitus dans un systme social tout entier intrioris. Ledterminisme social serait ds lors particu-lirement prgnant, dans un paradigme oles agents (les domins en particulier) sontdpouills de tout esprit critique (Favereau,2001, p. 293). O. Favereau formule sa cri-tique en termes plus radicaux encore. Lin-terprtation bourdieusienne consisterait voir les socits comme des machines reproduire, selon des modalits sophisti-ques mais implacables, sans dfaillancesni lacunes. Elle occulterait la prise encompte de niveaux intermdiaires, commeles organisations, entits dcisionnelles et rgulationnelles o se jouent pourtantdes processus de ngociation permettantdchapper la reproduction.Toutefois, luvre est traverse par des ten-sions, entre lhabitus, comme abolition dutemps par la reprise du mme , et la strat-gie, en tant quaction et histoire (Bensa,2004). De nombreux dfenseurs de luvre(Castel, 2004) ont ainsi soulign que lha-

    bitus ntait en aucun cas un automatismede rptition, le pouvoir contraignant delhabitus dpendant des conditions socialesde sa formation dans le pass et des condi-tions sociales de sa mise en uvre dans leprsent. Les habitus peuvent se trouverconfronts dans bon nombre de cas desconditions dactualisation diffrentes decelles dans lesquelles ils ont t produits.Lhabitus occupe lespace entre structure etactivit humaine, dterminisme historiqueet volontarisme. La marge de manuvredes agents tient surtout leur capacit prendre conscience de la situation relle desrapports sociaux et cest en ce sens, que lathorie sociologique peut tre dune grandeutilit. La connaissance des dterminismesest en effet un puissant facteur dmancipa-tion et de libert. Parce quelle dnaturalise,dit Bourdieu, la science sociale dfatalise15(1980b, p. 46).Malgr les critiques, les controverses et lesdbats, luvre de Bourdieu marque incon-testablement lensemble des thories dusocial. En effet, elle constitue une penseparticulirement stimulante dans sa concep-tion, complexe dans les subtilits et lesnuances quelle contient, difficile dans lat-titude scientifique quelle exige. Cest pro-bablement sur ce dernier point, en particu-lier sur la dimension critique, que lapportpour les sciences des organisations est leplus notable, mme si, dans ce champ pr-cis, cette posture est rarement mise en reliefdans les relectures de son uvre16. En effet,la position de radicalit, en ce quelle

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    15. Bourdieu na jamais eu de cesse de rappeler que les sciences sociales ne mriteraient pas une heure de peine sielles ntaient pas en mesure dorienter, mais galement de transformer, et mme de transformer assez profond-ment la volont (Bouveresse et Roche, 2004).16. Larticle de M. zbilgin et A. Tatli paru dans lAcademy of Management Review en 2005 est en ce sens embl-matique.

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  • conduit aller plus loin dans le dcryptagede phnomnes sociaux, produit de nom-breux effets de connaissance (Castel, 2004).Car le systme critique bourdieusien nesarrte pas la dnonciation. Il offre un

    cadre rflexif, fond sur lobjectivation par-ticipante, et une conversion du regard pourmieux apprhender la ralit de nos pra-tiques et, de faon plus gnrale, celle despratiques organisationnelles.

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