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Anciens élèves du lycée : les DRANS. DRANS, un nom que l’on retrouve sur les listes d’élèves, tout au long du XX e siècle. Tout a commencé en feuilletant un exemplaire de « librio » il y a un an. J’y découvrais un Maurice Drans, qui avait écrit de nombreuses lettres du front entre 1914 et 1918. Son lieu de naissance, Fresnay sur Sarthe, me le fit rechercher sur les listes et palmarès du lycée. C’est ainsi que commença cette recherche. Aujourd’hui après avoir retrouvé deux de ses enfants, je peux esquisser une saga des Drans au lycée. Almire Drans était commerçant à Fresnay. Il y eut 6 enfants : Maurice (1881), Jean (1889), Raymond (1891), James (1896). Deux filles, Andréa et Suzanne décèderont jeunes, la première à 1 ou 2 ans, le seconde en 1915 ou 1916, à l’âge de 28 ans. Les 4 garçons étudièrent au lycée. Raymond mourut très jeune, à 24 ans en 1913. Il était étudiant en Langues orientales. Jean fit une brillante carrière internationale dans les langues orientales, on peut suivre sa vie sur internet (google). Il décèdera en 1980, aux USA où il enseignait. James devint ingénieur agronome de l’école d’agriculture de Tunis, partit au Gabon puis s’établit en Argentine dans une immense estancia. Il disparut à la fin des années 40, dans des circonstances qui restent mystérieuses. Il ne fut jamais retrouvé. Voici ce qu’écrit Jean-Pierre Guéno de France-Inter sur Maurice : « […] Versé dans le 262 e régiment d’infanterie, Maurice fit, lors d’une permission, la connaissance de Georgette Clabault, une jeune orpheline avec laquelle il se fiança en 1916. Blessé trois fois pendant la guerre, Maurice épousa Georgette mais leur couple ne dura pas. Comme tant d’autres, Maurice devint instable et bohème. Il exerça mille et un métiers. Il resta toute sa vie homme de lettres et obsédé d’écriture. » Maurice écrira des milliers de lettres à Georgette. En voici un extrait : 21 mai 1917. Avant-hier, étant de corvée de soupe avec Nicolas Leroux, je passais ma main sur l’échine pelée d’une des pauvres haridelles de notre roulante. Pauvre bête, disais-je, lamentable qui cache une âme pacifique avec ton grand œil mélancolique fixé sur quelque rêve de prairie, tu ressembles à tes frères les hommes de la tranchée ! Tu peines et tes condamnée. Je l’ai revue ce matin, ayant terminé son temps sur la terre, les quatre fers en l’air et baignant dans son sang ; et tout de mèche, comme berçant son âme délivrée, sur une branche roucoulait une tourterelle. Nicolas m’a dit : »C’est quasi d’la chair humaine, comme nous c’te bête-là ; c’est sans malice, comme nous, les galériens de cette vie de misère ; on peut pas dire qu’elle ait fait du mal, ni qu’elle était une embusquée, malachtoui ! pendant que ces salauds d’l’Autorité s’engraissent de nos malheurs ». Je songeais à ce cœur silencieux, dédaigné, solitaire, qui fut un peu de sa douleur, de cette douleur qui s’en va avec la mort. Je songeait au bon trot qu’elle avait naguère, la bonne bête, hennissant sous sa crinière au vent. Je fermais les yeux et j’étais dans la voiture tirée par la Bichette sur la petite route de mon enfance, longeant la Sarthe qui coule entre les peupliers… Raymond en 2de en 1907 Maurice peut-être en 4 è vers 1905 Maurice en poilu, en 1917. Février 1917, en permission. Maurice Drans est le dernier du 2 è rang.

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Page 1: Photos du lycée Montesquieu du Mans - Anciens …montesquieu.lemans.free.fr/elevesoup1/dranspoursite1.pdfAnciens élèves du lycée : les DRANS. DRANS, un nom que l’on retrouve

Anciens élèves du lycée : les DRANS.

DRANS, un nom que l’on retrouve sur les listes d’élèves, tout au long du XXe siècle.Tout a commencé en feuilletant un exemplaire de « librio » il y a un an. J’y découvrais un Maurice Drans, qui avait écrit de nombreuses lettres du front entre 1914 et 1918. Son lieu de naissance, Fresnay sur Sarthe, me le fit rechercher sur les listes et palmarès du lycée. C’est ainsi que

commença cette recherche. Aujourd’hui après avoir retrouvé deux de ses enfants, je peux esquisser une saga des Drans au lycée.Almire Drans était commerçant à Fresnay. Il y eut 6 enfants : Maurice (1881), Jean (1889), Raymond (1891), James (1896). Deux filles, Andréa et Suzanne décèderont jeunes, la première à 1 ou 2 ans, le seconde en 1915 ou 1916, à l’âge de 28 ans. Les 4 garçons étudièrent au lycée.Raymond mourut très jeune, à 24 ans en 1913. Il était étudiant en Langues orientales.Jean fit une brillante carrière internationale dans

les langues orientales, on peut suivre sa vie sur internet (google). Il décèdera en 1980, aux USA où il enseignait.James devint ingénieur agronome de l’école d’agriculture de Tunis, partit au Gabon puis s’établit en Argentine dans une immense estancia. Il disparut à la fin des années 40, dans des circonstances qui restent mystérieuses. Il ne fut jamais retrouvé.

Voici ce qu’écrit Jean-Pierre Guéno de France-Inter sur Maurice :« […] Versé dans le 262e régiment d’infanterie, Maurice fit, lors d’une permission, la connaissance de Georgette Clabault, une jeune orpheline avec laquelle il se fiança en 1916. Blessé trois fois pendant la guerre, Maurice épousa Georgette mais leur couple ne dura pas. Comme tant d’autres, Maurice devint instable et bohème. Il exerça mille et un métiers. Il resta toute sa vie homme de lettres et obsédé d’écriture. » Maurice écrira des milliers de lettres à Georgette. En voici un extrait :

21 mai 1917. Avant-hier, étant de corvée de soupe avec Nicolas Leroux, je passais ma main sur l’échine pelée d’une des pauvres haridelles de notre roulante. Pauvre bête, disais-je, lamentable qui cache une âme pacifique avec ton grand œil mélancolique fixé sur quelque rêve de prairie, tu ressembles à tes frères les hommes de la tranchée ! Tu peines et tes condamnée. Je l’ai revue ce matin, ayant terminé son temps sur la terre, les quatre fers en l’air et baignant dans son sang ; et tout de mèche, comme berçant son âme délivrée, sur une branche roucoulait une tourterelle.

Nicolas m’a dit : »C’est quasi d’la chair humaine, comme nous c’te bête-là ; c’est sans malice, comme nous, les galériens de cette vie de misère ; on peut pas dire qu’elle ait fait du mal, ni qu’elle était une embusquée, malachtoui ! pendant que ces salauds d’l’Autorité s’engraissent de nos malheurs ».

Je songeais à ce cœur silencieux, dédaigné, solitaire, qui fut un peu de sa douleur, de cette douleur qui s’en va avec la mort. Je songeait au bon trot qu’elle avait naguère, la bonne bête, hennissant sous sa crinière au vent. Je fermais les yeux et j’étais dans la voiture tirée par la Bichette sur la petite route de mon enfance, longeant la Sarthe qui coule entre les peupliers…

Raymond en 2de en 1907

Maurice peut-être en 4è

vers 1905

Maurice en poilu, en 1917.

Février 1917, en permission. Maurice Drans est le dernier du 2è rang.

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D’autres lettres de Maurice Drans et d’autres soldats de la guerre de 14-18 peuvent être lues dans les deux librios « Paroles de Poilus ».

Maurice Drans eut trois enfants. Ils furent élevés par leur grand-mère, Louise, née Caillon, et connurent très peu leur père.

L’aîné Jean (1923-1971) mena la même vie de bohème que son père. Il fut élève du petit lycée au début des années 30.

Yves (1925) arriva en 5è en 1935 et passa son bac en 1943. Il eut une brillante carrière ( ?????). Il est adhérent à l’association des anciens élèves.

Suzanne (1929) habite dans le centre de la France. C’est elle qui possédait les lettres de son père. Elle suivit ses études à Berthelot, eut son bac à 15 ans en 1944, après avoir été accueillie avec ses condisciples, quatre ans au lycée de garçons. Licenciée en lettres classiques, elle enseigna en France mais aussi en Asie (Pnom-Penh de 58 à 62), en Afrique, au Sénégal et au Maghreb. Elle ne revit son frère Yves qu’après 40 ans sans contacts et ne connut son père qu’ en 1950, au Mans, deux ans avant sa mort.

Voici ce qu’elle dit de son père :J’ai retrouvé des traces de quelques métiers qu’il exerça de manière intermittente : boulanger vers 20 ans (sa

mère lui avait acheté un fonds à Paris, mais il l’a « mangé », disait-elle), employé chez Hachette durant 10 ans, tournant dans pas mal de films dont « Napoléon » d’Abel Gance, dans des petits rôles ou comme figurant. Quand j’ai fait sa connaissance au Mans, après le décès de sa mère, il venait de s’installer 24 rue R. Triger, où il vécut très peu de temps avec l’argent dont il venait d’hériter. Il avait de l’angine de poitrine et je l’ai soigné jusqu’au bout. Son grand ami était le Comte de Richemont, qui le recevait dans son château de Crannes. Henri Delgove et Jeanne Blin-Lefebvre, Présidente de la Société littéraire du Maine, aux séances de laquelle il participait, le fréquentaient aussi.

J’ai des centaines de lettres ― surtout les lettres de guerre 14-18 confiées à M. Guéno de France-Culture ― et toutes ses poésies qu’il recopiait de 1950 à sa mort en

calligraphie. Il avait aussi publié quelques pièces de théâtre, dont ‘Les Bienheureux » avec son ami le journaliste Marcel Travers ; il faisait partie de la Société des Gens de Lettres et de celle des « Auteurs et Compositeurs dramatiques ».

Sa vie a été assez difficile, je crois, après son divorce dans les années 30. En 7e il était condisciple de Maurice Blanc, resté son ami, tué en 1917, dont la mère et la sœur Germaine, sont demeurées amies de notre famille jusqu’à leur mort. M. Geneslay, ex-maire du Mans a veillé sur Germaine.

Je retrouve d’autres Drans au lycée: en 1913, Albert ; Jacques en 1948 (en 6e) et Jean-Michel en 1948 (en 6A2). Je n’ai pas trouvé de liens de famille mais je pense qu’ils existent. Cela donnera peut-être à certains de se lancer dans la généalogie…

Je remercie tout particulièrement Suzanne Drans pour son aide.

André Vivet.

En 1945.

En 1950.

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Documents, de gauche à droite : l’article de Jeanne Blin-Lefebvre pour ses obsèques en 1952 ; un poème calligraphié ; un abri de tranchée en 14-18 ; poème imprimé ; matinée littéraire salle des actes du lycée.

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Voici de larges extraits de la lettre que m’adressa Suzanne Drans, fille de Maurice, en janvier 2009.

La famille DRANS :

Almire DRANS , mon gran-père, mort en 1915 ou 1916. Commerçant à Fresnay-sur-Sarthe, puis directeur d’assurances au Mans, a fini sa vie dans sa ferme de Saint-Léonard-des-Bois avec son fils James. Il était, paraît-il, très intelligent mais pas facile à vivre.Louise DRANS, née CAILLON, mariée à 18 ans, a eu six enfants, dont trois morts jeunes. Elle était exceptionnelle, je m’en suis rendue compte trop tard, sa vie a dû être très pénible : 5 enfants à élever plus le commerce, puis 3 petits-enfants dont deux pendant la guerre, la nourriture à trouver, les bombardements qui ont ébranlé son cœur ; elle est décédée peu après en 1947, loin de ses enfants : Jean prisonnier au Japon, James déjà disparu, Maurice on ne savait où. Nous lui devons tous notre instruction supérieure.

Leurs enfants :Andréa, la 1ère née, morte à un ou deux ans.Suzanne, la 2de . Études ? Je ne sais. Elle était très belle et avait des talents artistiques. Elle décéda à 28 ans, en 1915 ou 1916. Mon père adorait sa sœur et a écrit plusieurs poèmes sur elle après son décès.Raymond (1889-1913). Il étudia le chinois aux L.O. D’après ses lettres, il était moins doué que ses frères, mais très travailleur. Il mourut à 24 ans de tuberculose.Maurice (1891-1952). Je ne sais rien sur son passage au lycée, il n’a pas dû avoir son bac.(…Note de AV)James(1896-.. ?). J’ai ses lettres du Gabon, très réalistes, bien écrites. Il est parti au front en 1916, à 20 ans. Il était aussi peu sentimental et sensible que Maurice était poète. (je rêvais pourtant de le rejoindre en Argentine où sa vie d’agriculteur toujours à cheval dans ces grands espaces me tentait). Il ne s’est pas marié.Jean (1908-1980). Le dernier « enfant terrible », paraît-il. Pas très brillant au lycée, il redoubla sa 1ère ou sa Philo, il fut un très bon étudiant en Sorbonne et aux L.O. Il obtint sa licence de lettres, des diplômes de japonais, de thaïlandais et de chinois. Il partit professeur à l’Université de Bangkok, puis en Chine et au Japon (Directeur de la Maison Franco-Japonaise), il fut mis en camp de détention à la fin de la guerre, revint en France pour un court passage, partit aux aux USA jusqu’à sa mort en 1980. J’allais le voir. Il était marié, sans enfants. Il a écrit beaucoup de livres de linguistique ; j’ai rapporté des USA nombre de manuscrits non publiés sur les langues du Sud-Est asiatique.

Les petits-enfants :Jean (1923-1971). Ma grand-mère l’avait mis au petit-lycée, il n’y fit, paraît-il, que des bêtises, elle ne put le garder ; il partit en pension puis avec mon père, il fit du cinéma en figurant, et une multitude de petits métiers. Je l’aimais beaucoup et l’aidais de loin. Il ne quitta pas Paris, fréquenta des artistes comme Mouloudji, il mourut jeune d’une affection cardiaque [Il n’avait pas d’enfant]. J’étais au Sénégal et j’en fus très affligée. Ma mère est décédée la même année, je l’ai à peine connue. (Georgette, née Clabault)Jean avait des dons d’artiste peintre et de poète.Yves (1925). Au lycée, il réussissait en toutes les matières et a eu le prix d’excellence chaque année. [Ayant passé le certificat avec mention, il obtint de passer directement en 5ème , à la rentrée 37, mais ce qui lui interdit le latin. Il passa son bac de Philo-Sciences, qu’il obtint avec mention, en 1943. Il fut M.I. au lycée et créa avec Maurice-Ian Hilleret un ciné-club. Maîtrisant trois langues (Anglais, Allemand, Espagnol) il fit carrière à Paris dans l’import-export, en particulier avec les colonies françaises et l’extrème-Orient. Il est marié, sans enfants.Suzanne (1929), Raymonde, Andréa, je porte les prénoms des trois enfants décédés jeunes. J’ai eu mon bac en 1945. Je n’ai pas eu d’enfants. [Élève à Berthelot, elle fut donc certainement scolarisée au lycée de garçons pendant la guerre]

Les autres DRANS ? Ils ne sont pas de notre famille. Albert était le seul autre Drans dont j’avais relevé le nom sur un bulletin des Anciens élèves, il a été tué, je crois, en 14-18. Un ami m’avait signalé des Drans pâtissiers à Fougères, et un camarade d’aviation des ailes du Maine m’en a signalé un autre dans son immeuble. Un troisième m’a écrit lors de l’édition du Librio sur les poilus et de l’article sur mon père du Maine-Libre, ce devait être Jean-Michel Drans, du Mans.

Je suppose que dans l’histoire du lycée, idée fort intéressante, vous n’avez pas oublié Jean Françaix, notre compositeur de musique trop méconnu. Il était condisciple et ami de mon oncle jean. Il avait été mon professeur de piano après osn père Alfred, et directeur éphèmère (car nommé par Vichy en 44) du Conservatoire du Mans (où tous les Drans sont allés, sauf mes frères).

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Je pense aussi à Claude Hilleret, fils de l’Inspecteur d’Académie, fusillé à 17 ans par les Allemands comme résistant. Il était ami de mon frère Yves et ne doit pas être oublié.

J’aimerais que l’on fasse un travail comme le vôtre au Lycée de jeunes Filles de la rue Berthelot, car je recherche en vain, sans ordinateur et sans savoir son nom de femme mariée, ma grande amie de lycée Colette BORDIER, perdue de vue.

Voilà beaucoup de détails qui vous seront sans doute inutiles, ils m’ont permis de ressusciter la mémoire de ces DRANS qui, d’après le notaire de famille et bien d’autres, étaient ‘de drôles d’originaux », des gens « inclassables et introuvables », de grands voyageurs qui se sont tous envolés loin du Mans dès la sortie du lycée. Pourquoi ? Je ne sais. Pour moi, je me suis envolée encore plus haut puisque j’étais brevetée pilote d’avion et de planeur à 20 ans, aux Ailes du Maine, puis instructeur, chef pilote à Kaoleck, au Sénégal, tout en y enseignant le grec et le latin, monitrice de planeur à Moulins, etc. A cette époque les filles ne bougeaient guère…

Suzanne DRANS

Les parties entre [] sont des notes que j’ai ajoutées. (A. Vivet)

Courrier adressé à André Vivet, par Suzanne Drans, fille de Maurice Drans, à la suite de la parution dans la lettre info 14 d’une étude sur sa famille.

Monsieur,

Je vous remercie doublement, pour avoir retracé l’histoire des Drans qui, grâce à vous, se prolongeront un peu après leur disparition, et pour m’avoir fait retrouver Colette Bordier-Chenin : elle m’a répondu avec la même gentillesse qu’autrefois malgré 60 années de séparation passées très différemment ; je suis heureuse d’avoir appris quelle grande famille elle a fondée – tandis que la nôtre s’éteint ! – et d’avoir quelque idée sur la vôtre – c’est curieux comme j’ai eu l’impression de bien connaître le visage de votre père, celui de 44.

J’ai pris grand intérêt aussi à lire les autres articles, à retrouver des noms connus : Mme Vannetzel fut mon professeur de lettres, Henri Delgove notre curateur après 1950, comme grand ami des Drans – il fit longtemps des recherches en Argentine après la disparition de James. M. Belaval, M. Raimbault, etc. Et M. Verdun-Louis Saulnier, qui fut professeur de 1ère de mon frère et le mien en Sorbonne.

J’ai aussi beaucoup apprécié l’article sur l’orgue : je n’en avais jamais soupçonné l’existence à l’intérieur du bâtiment connu, nous habitions rue Montesquieu, en face !

J’allais faire l’apprentissage de l’orgue à la cathédrale : petites orgues d’abord avant les grandes, tenues par M. Legeay. Il est vrai que, en ce temps de guerre, nous avons vu défiler en 44 des milliers d’ambulances de blessés allemands, non seulement dans la chapelle mais dans tout le lycée.

Vous avez remué beaucoup de souvenirs, pas toujours heureux ; pour mon frère aussi, je suppose.

Avec mes remerciements, je vous prie de croire, Monsieur, à ma considération.

PS. Il me revient en mémoire que le proviseur de ces années-là – était-ce M. Bréant ? – était sorti un jour du lycée, encadré par deux allemands, son visage cravaché était couvert de sang, mon frère était là, M. Bréant l’avait appelé : « Va vite dire à ma famille que les Allemands m’emmènent » (à la Kommandantur) ; ils avaient trouvé une inscription anti-nazie dans une classe.

C’était la vie du lycée sous l’occupation. Nous les filles de 6e – 10-12 ans – sous l’impulsion de Mme Rose Albrecht, fille d’un soldat tué en 39, avions chanté la Marseillaise à l’entrée d’un officier allemand, qu’accompagnait la directrice qui blêmit et nous dit « Mes enfants, vous ne savez pas ce que vous faites ». Si, nous savions, et l’Allemand tourna les talons illico. C’était en 40.