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^CS^^^'-X^HÂ, --'—^- ftffe^^, M^ T5" ^ m i Les cercles de legs Photo: Brigitte Longerich Entre «savoir rester» et «savoir partir» Une fois la cinquantaine amorcée, la plupart des travailleurs se trouvent confrontés à des questions fondamentales. Ils peuvent se retourner sur une vie riche d'expériences, satisfaits de ce qu'ils ont accompli. Pourtant l'interrogation revient, lancinante: qu'adviendra-t-il de tout cela après mon départ à la retraite? Et à quoi tout cela a-t-il servi? BRIGITTE LONGERICH LA cinquantaine correspond pour la majorité des travailleurs à la troisième étape de vie active en emploi, ce que les spécialistes appellent le troisième tiers de carrière. Une période de matu- rité et d'expertise, mais aussi de ques- tionnements et de projets, avec la pré- paration de la prochaine étape: celle de la retraite. C'est ce constat qui a poussé une équipe de spécialistes québécois à mettre sur pied des «cercles de legs», 52 qui sont des ateliers de rencontre per- mettant à des groupes limités de parti- cipants de se confronter aux questions qui les préoccupent et de préparer la transmission de leur legs. Cette ap- proche existe également en Suisse ro- mande depuis quelque temps. Age et travail «A 50 ans et parfois même avant, un travailleur peut être perçu - et donc se voir lui-même - comme étant sur le dé- clin sur le plan professionnel. L'enjeu est de taille: maintenir le cap d'une vie active et productive dans son dernier tiers de vie au travail pour être capable d'intégrer l'expérience acquise et de la partager avec la relève. Savoir rester, pour ensuite savoir partir», affirme Charlotte Morneau, l'une des spécia- listes à l'origine des cercles de legs. Le monde du travail est en mutation constante, et l'adaptation aux change- ments de rythme, de techniques, de communication et de rendement est parfois mal vécue par les travailleurs plus âgés. Selon les statistiques avan- cées par Promotion Santé Suisse en 2007, un quart des personnes de 50 ans n'exercent plus d'activité profes- sionnelle. Parmi celles-ci, 20% ont quit- té le monde du travail pour raisons de santé, les autres ont été licenciées ou ont opté pour un départ volontaire à la retraite, ou encore sont démotivés par les mauvaises conditions de travail. 20% des travailleurs sont à l'Ai dans les années qui précèdent la retraite. Et Krankenpflege 8/2009 Soins infirmiers

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Page 1: Photo: Brigitte Longerich «savoir rester» et «savoir ... · travailleur peut être perçu - et donc se ... Soins infirmiers. pourtant, ... infirmiers/ères en psychiatrie, qui

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Les cercles de legsPhoto: Brigitte Longerich

Entre «savoir rester» et«savoir partir»Une fois la cinquantaine amorcée, la plupart des travailleurs se

trouvent confrontés à des questions fondamentales. Ils peuvent

se retourner sur une vie riche d'expériences, satisfaits de ce

qu'ils ont accompli. Pourtant l'interrogation revient, lancinante:

qu'adviendra-t-il de tout cela après mon départ à la retraite?

Et à quoi tout cela a-t-il servi?

B R I G I T T E L O N G E R I C H

LA cinquantaine correspond pour lamajorité des travailleurs à la troisièmeétape de vie active en emploi, ce queles spécialistes appellent le troisièmetiers de carrière. Une période de matu-rité et d'expertise, mais aussi de ques-tionnements et de projets, avec la pré-paration de la prochaine étape: cellede la retraite.

C'est ce constat qui a poussé uneéquipe de spécialistes québécois àmettre sur pied des «cercles de legs»,

52

qui sont des ateliers de rencontre per-mettant à des groupes limités de parti-cipants de se confronter aux questionsqui les préoccupent et de préparer latransmission de leur legs. Cette ap-proche existe également en Suisse ro-mande depuis quelque temps.

Age et travail

«A 50 ans et parfois même avant, untravailleur peut être perçu - et donc sevoir lui-même - comme étant sur le dé-clin sur le plan professionnel. L'enjeu

est de taille: maintenir le cap d'une vieactive et productive dans son derniertiers de vie au travail pour être capabled'intégrer l'expérience acquise et de lapartager avec la relève. Savoir rester,pour ensuite savoir partir», affirmeCharlotte Morneau, l'une des spécia-listes à l'origine des cercles de legs.

Le monde du travail est en mutationconstante, et l'adaptation aux change-ments de rythme, de techniques, decommunication et de rendement estparfois mal vécue par les travailleursplus âgés. Selon les statistiques avan-cées par Promotion Santé Suisse en2007, un quart des personnes de 50ans n'exercent plus d'activité profes-sionnelle. Parmi celles-ci, 20% ont quit-té le monde du travail pour raisons desanté, les autres ont été licenciées ouont opté pour un départ volontaire à laretraite, ou encore sont démotivés parles mauvaises conditions de travail.20% des travailleurs sont à l'Ai dans lesannées qui précèdent la retraite. Et

K r a n k e n p f l e g e 8/2009S o i n s i n f i r m i e r s

Page 2: Photo: Brigitte Longerich «savoir rester» et «savoir ... · travailleur peut être perçu - et donc se ... Soins infirmiers. pourtant, ... infirmiers/ères en psychiatrie, qui

pourtant, un tiers souhaiteraient re-prendre une activité professionnelle.

Le maintien professionnel

Dans la philosophie des organisa-tions apprenantes, le salarié est placéau centre de la réflexion et considérécomme un partenaire privilégié, L'or-ganisation apprenante est définie com-me «une organisation capable de créer,acquérir et transférer de la connais-sance et de modifier son comportementpour refléter de nouvelles connais-sances». Une bonne gestion des sa-voirs, débouchant sur une évolutionconstructive, est fondée sur des rela-tions de confiance, le partage, la solli-citude et le droit à Terreur. Aucuneamélioration des conditions de travailne peut être envisagée sans un travailde fond sur les relations. La construc-tion des savoirs, tout comme la trans-mission des savoirs, ne peut avoir lieuque si l'entreprise reconnaît à tempsles signes d'épuisement ou d'obsoles-cence de ses collaborateurs et permetde créer pour chacun un stress opti-mal.

Maintien professionnel

L'individu et sonenvironnement

Le maintien professionnel dépendavant tout de l'environnement danslequel évolue le travailleur. Ainsi onparle d'obsolescence lorsque l'indi-vidu reçoit beaucoup plus de l'envi-ronnement qu'il ne lui en donne, alorsque l'épuisement résulte d'une situa-tion dans laquelle l'individu donnebeaucoup plus à l'environnementqu'il n'en reçoit.

Le maintien professionnel n'estpossible que lorsque l'équation entrece que l'individu donne à l'environne-ment et ce qu'il en reçoit est parfaite.

La qualité de l'environnement estprincipalement déterminée par lesrelations: 88% des «mainteneurs/euses» disent y parvenir grâce ausupport d'autres personnes, et 80%des difficultés des travailleurs/eusessont d'ordre médiatique et communi-cationnel.

Différentes analyses concernant larépartition des travailleurs ont mis enévidence que 20% d'entre eux présen-tent des indices d'épuisement, 16%présentent des indices d'obsolescence,et que 12% ont urgemment besoind'une transition. 52% seulement destravailleurs sont dans une situation «demaintien», autrement dit, à la bonneplace (lire également encadré).

Faire le point

Certaines entreprises - mais de loinpas toutes! - ont pris conscience del'importance de prendre soin des tra-vailleurs plus âgés et de favoriser leurmaintien professionnel. Mais chaqueprofessionnel peut également entre-prendre personnellement de «faire lepoint», grâce aux cercles de legs juste-ment. Au cours des séances, grâce à unquestionnement pertinent conduit parun(e) spécialiste et à l'effet miroir offertpar le groupe, les participants sontamenés à faire un bilan de leur carriè-re, d'envisager ce troisième tiers com-me porteur de vie et de clarifier la ma-nière dont ils souhaitent transmettreleur legs. Laurence Hamel, infirmièreaux HUG, relève les aspects extrême-ment positifs de la démarche: «On nepeut pas juste se dire: quand je partirai,adviendra ce qui adviendra. Les per-sonnes qui approchent de la retraitedisposent d'un savoir énorme, il fautleur donner la possibilité de le trans-mettre aux générations suivantes».Aux HUG, un système de mentorat aainsi été mis en place pour les jeunesinfirmiers/ères en psychiatrie, qui leurpermet de bénéficier de l'accompagne-ment de professionnels chevronnés.

Une démarche à systématiser

Les cercles de legs s'adressent à tousles milieux. Ils peuvent être organisés demanière intra-institutionnelle ou inter-institutionnelle, selon les objectifs pour-suivis. L'importance de la transmissiondes savoirs devrait être reconnue com-me un moyen essentiel du maintien enactivité des travailleurs: il y a là un po-tentiel de motivation considérable queles organisations ne peuvent négliger.Prendre soin de manière intelligente etsensible des personnes en fin de carriè-re permettrait non seulement de rédui-

Témoignages

«Préserver lamémoire collective»

Les cercles de legs sont fondés surune démarche personnelle de l'indivi-du désireux de donner un sens à sonparcours professionnel. Mais les bé-néfices sont également nombreuxpour les organisations, et les cerclesde legs mériteraient d'être introduits àlarge échelle dans les institutions, afinde préserver la mémoire collective etde ne pas perdre toute la richesse desavoirs accumulée par les collabora-teurs de longue date. Quelques témoi-gnages:

«Avant la démarche, je n'avais pasde réflexion consciente, ce qui veut di-re que je ne pensais pas avoir quelquechose à léguer».

«J'ai pris conscience de mon épui-sement -je fais un rééquilibrage à tra-vers des choix, un lâcher-prise et aus-si l'introduction d'espace et de tempspour la créativité et la réflexivité».

«Je me sens sereine et m'imagineque la retraite se fera avec moinsd'appréhension».

«Je vais mettre en place un nouveauprogramme pour l'acquisition de sa-voirs ainsi qu'une intervision avecmes collègues».

«Je vais identifier un successeur, te-nir à jour les procédures, transmettremon expérience et actualisant les con-tenus».

«Le legs, j'ai appris que cela pouvaitêtre une philosophie, c'est l'essencedu legs. Dégager la route devant lesgens.»

re le taux des personnes de plus de 50ans qui ont quitté la scène du travail,mais également d'assurer aux jeunes unappui solide pour leurs débuts dans lavie professionnelle. D

Cet article reflète en partie les réflexions échan-gées lors de la conférence donnée par Marie-Christine Willemin et organisée par Espace Com-pétences le 11 juin 2009.Espace compétences organisera en 2010 un pre-mier Cercle de legs: renseignements et inscrip-tions: www.espace-competences.ch. D'autres cer-cles seront également proposés dès 2010 parMarie-Christine Willemin, resneignements: www.service-avenir.net

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