philologie guillaume de humboldt : la langue kawi et l...

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p h i l o l o g i e FUSION N°96 - MAI - JUIN 2003 28 introduction, sans doute son œuvre la plus accomplie sur la théorie gé- nérale des langues, est célèbre pour avoir fait l’objet de nombreuses édi- tions et traductions. Mais il ne s’agit que de l’introduction ! L’ouvrage, en trois volumes, qui applique en réa- lité la théorie au cas particulier de la langue kawi, reste une affaire de spécialistes, disponible uniquement dans les salles de lecture des biblio- thèques. (Dans une des traductions anglaises de De la langue kawi, il est même affirmé que les trois volumes prévus ne sont jamais parus. Un mensonge éhonté !). L’ouvrage de Humboldt débute par les mots suivants : « Si nous considérons leur habitat, leur mode de gouvernement, leur histoire et par-dessus tout leur langue, les peu- ples appartenant au fonds ethnique malais se trouvent plus étrangement liés avec des peuples de culture dif- férente que, sans doute, n’importe quel autre peuple de la Terre. Ils habitent seulement des îles et des archipels, répartis toutefois sur de grandes étendues afin d’apporter un témoignage irréfutable de leurs ca- pacités de navigateurs. [...] Si nous considérons dans son ensemble les membres de ces groupes ethniques auxquels on peut attribuer l’appel- lation “malais” au sens le plus strict MURIEL MIRAK-W EISSBACH Si Guillaume de Humboldt vivait aujourd’hui, il aurait été ravi de la découverte des inscriptions de Maui et se serait jeté corps et âme dans son étude. Dans un certain sens, le déchiffrement de ces inscriptions, montrant que la langue maori ap- partenait à un groupe linguistique de Polynésie, confirme en lui-même les propres découvertes de Humboldt. Celui-ci fut le premier à examiner de façon rigoureuse les langues de cette partie du monde et à établir scientifi- quement que toutes les langues de la région, de Madagascar jusqu’à l’est de l’île Pitcairn, font partie d’une même culture linguistique. Le dernier et plus remarqua- ble ouvrage de Humboldt, Uber die Kawi-Sprache ( De la langue kawi), traite de cette question. Cet ouvrage posthume, publié en 1836- 1839, a pour préface une longue introduction intitulée « Uber die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluß auf die geistige Entwicklung des mens- chengeschlechts » (« Sur la différence de structure des langues humaines et son influence sur le développement intellectuel de l’humanité »). Cette D ans les années 70, un cher- cheur d’origine néozélan- daise, Barry Fell, a fait une découverte étonnante en déchiffrant des inscriptions pro- venant des îles pacifiques et d’Irian Jaya, la partie occidentale de la Nou- velle-Guinée, et de Santiago du Chili. Fell a déterminé que ces inscriptions retraçaient l’expédition menée par deux personnages, Rata et Maui, au III e siècle avant J.-C., destinée à faire le tour de la Terre en partant d’Egypte. Selon Fell, ces inscriptions ont été écrites en un dialecte (lybien) de l’ancienne Egypte, et que celui-ci était à l’origine de la langue maori des îles polynésiennes. Guillaume de Humboldt : la langue kawi et l’existence d’une culture de langue malayo-polynésienne Guillaume de Humboldt fut le premier à examiner de façon rigoureuse les langues de la région allant de Madagascar jusqu’à l’est de l’île Pitcairn, et à établir scientifiquement que toutes les langues de cette région font partie d’une même culture linguistique. Pour prouver cela, il s’intéressa en particulier à la langue kawi.

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introduction, sans doute son œuvre la plus accomplie sur la théorie gé-nérale des langues, est célèbre pour avoir fait l’objet de nombreuses édi-tions et traductions. Mais il ne s’agit que de l’introduction ! L’ouvrage, en trois volumes, qui applique en réa-lité la théorie au cas particulier de la langue kawi, reste une affaire de spécialistes, disponible uniquement dans les salles de lecture des biblio-thèques. (Dans une des traductions anglaises de De la langue kawi, il est même affirmé que les trois volumes prévus ne sont jamais parus. Un mensonge éhonté !).

L’ouvrage de Humboldt débute par les mots suivants : « Si nous considérons leur habitat, leur mode de gouvernement, leur histoire et par-dessus tout leur langue, les peu-ples appartenant au fonds ethnique malais se trouvent plus étrangement liés avec des peuples de culture dif-férente que, sans doute, n’importe quel autre peuple de la Terre. Ils habitent seulement des îles et des archipels, répartis toutefois sur de grandes étendues afin d’apporter un témoignage irréfutable de leurs ca-pacités de navigateurs. [...] Si nous considérons dans son ensemble les membres de ces groupes ethniques auxquels on peut attribuer l’appel-lation “malais” au sens le plus strict

MURIEL MIRAK-WEISSBACH

Si Guillaume de Humboldt vivait aujourd’hui, il aurait été ravi de la découverte des inscriptions de Maui et se serait jeté corps et âme dans son étude. Dans un certain sens, le déchiffrement de ces inscriptions, montrant que la langue maori ap-partenait à un groupe linguistique de Polynésie, confirme en lui-même les propres découvertes de Humboldt. Celui-ci fut le premier à examiner de façon rigoureuse les langues de cette partie du monde et à établir scientifi-quement que toutes les langues de la région, de Madagascar jusqu’à l’est de l’île Pitcairn, font partie d’une même culture linguistique.

Le dernier et plus remarqua-ble ouvrage de Humboldt, Uber die Kawi-Sprache (De la langue kawi), traite de cette question. Cet ouvrage posthume, publié en 1836-1839, a pour préface une longue introduction intitulée « Uber die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluß auf die geistige Entwicklung des mens-chengeschlechts » (« Sur la différence de structure des langues humaines et son influence sur le développement intellectuel de l’humanité »). Cette

Dans les années 70, un cher-cheur d’origine néozélan-daise, Barry Fell, a fait une découverte étonnante en

déchiffrant des inscriptions pro-venant des îles pacifiques et d’Irian Jaya, la partie occidentale de la Nou-velle-Guinée, et de Santiago du Chili. Fell a déterminé que ces inscriptions retraçaient l’expédition menée par deux personnages, Rata et Maui, au IIIe siècle avant J.-C., destinée à faire le tour de la Terre en partant d’Egypte. Selon Fell, ces inscriptions ont été écrites en un dialecte (lybien) de l’ancienne Egypte, et que celui-ci était à l’origine de la langue maori des îles polynésiennes.

Guillaume de Humboldt :la langue kawi et l’existence d’une culture de langue malayo-polynésienne

Guillaume de Humboldt fut le premier à examiner de façon rigoureuse les langues de la région allant de Madagascar jusqu’à l’est de l’île Pitcairn, et à établir scientifiquement que toutes les langues de cette région font partie d’une même culture linguistique. Pour prouver cela, il s’intéressa en particulier à la langue kawi.

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[...], nous trouvons ces populations, pour nommer seulement les endroits où le linguiste dispose de documents étudiés de façon adéquate, à Java, Sumatra, Malacca et Madagascar (là où la langue se trouve dans l’état le plus original et le plus richement développé) ainsi qu’aux Philippines. Mais un grand nombre d’affinités verbales incontestables et même les noms d’un nombre significatif d’îles attestent que les îles proches de ces en-droits ont aussi la même population, et que la communauté linguistique malaise au sens le plus strict s’étend sur toute cette aire de l’océan Indien allant des Philippines aux côtes oc-cidentales de Nouvelle-Guinée, et des petites îles de la Sonde au détroit de Malacca. »

Humboldt continue, affirmant : « A l’est de la communauté malaise restreinte définie plus haut, depuis la Nouvelle-Zélande jusqu’à l’île de Pâques, puis vers les îles Sandwich au nord, puis enfin en retournant vers les Philippines, vit une population insulaire qui révèle les marques in-dubitables d’un ancien lien ethnique avec les races malaises. Les langues, dont nous avons aussi une parfaite connaissance grammaticale comme celles parlées en Nouvelle-Zélande, à Tahiti, aux îles Sandwich et aux Tonga, prouvent la même chose, grâce

à un grand nombre de mots similaires et de concordances essentielles dans leurs structures. »

Il écrit également : « En beau-coup d’endroits, nous rencontrons parmi eux des fragments d’une lan-gue sacrée qui leur est maintenant inintelligible, ainsi que la coutume, à certaines occasions, de ressusciter solennellement des expressions dé-suètes, [ce qui] prouve non seulement la santé, l’âge et la profondeur de la langue, mais aussi la préoccupation de changer la désignation des objets à travers le temps. »

Humboldt pensait que les peuples de cette région « semblent n’être ja-mais parvenus à la possession de l’écriture et, par conséquent, semblent avoir renoncé à la culture qui en dé-pend, bien qu’ils ne manquent pas de sagas fécondes qui aient marqué l’éloquence et la poésie dans des styles bien différents ». De tels travaux lit-téraires doivent, de ce fait, avoir été transcrits par l’écriture à une époque ultérieure. Humboldt ne considérait pas ces langues comme une dégéné-rescence mais comme représentant l’état initial du groupe malais. L’œu-vre qu’il a accomplie consiste à avoir soumis les principales langues con-nues à l’analyse comparative afin d’établir leur appartenance à une famille linguistique. Tout comme

pour le fonds ethnique, Humboldt spécifie que dans les deux vastes régions identifiées, les personnes appartiennent au même fonds. « Si nous entrons plus précisément dans les différences de couleur », dit-il, ils constituent « les plus ou moins Bruns clairs des Blancs en général ». En plus de ce fonds, il mentionne un groupe semblable aux Noirs d’Afri-que, surtout en Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Angleterre, Nouvelle-Ir-lande et aux Nouvelles-Hébrides. Etant donné que les langues de ces peuples n’avaient pas été transcrites, Humboldt ne pouvait pas les inclure dans son étude, sauf pour le cas spé-cifique de Madagascar qui sera traité par la suite.

La voie choisie pour venir à bout de cette énorme tâche n’était pas de comparer les vocabulaires de toutes les langues impliquées, comme s’ils étaient traités par un ordinateur. Humboldt préféra plutôt saisir ce qui constituait une caractéristique remarquable dans les langues – une singularité –, en l’occurrence la très forte influence indienne. Un coup d’œil sur la carte (figure 1) montre pourquoi il aurait été évident pour les Indiens de voyager vers les îles et de les peupler (néanmoins, comme l’a remarqué Humboldt, cela n’est pas homogène pour toute la ré-

Figure 1. La vaste région maritime s’étendant de Madagascar vers le Sud-Est asiatique, la Nouvelle-Zélande et la Polynésie. Humboldt a démontré que cette aire embrasse une seule culture linguistique malayo-polynésienne, appartenant à ce que l’on appelle aujourd’hui la famille des langues austriques.

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gion). Il trouva que le fonds indien, non seulement en ce qui concerne la langue mais aussi la religion, la littérature et les coutumes, a affecté le cercle malais « dans son sens le plus étroit », c’est-à-dire la région de l’océan Indien en elle-même. C’est là que fut trouvée une transcription alphabétique, et de type indien.

Pour Humboldt, cette extraord-inaire influence indienne posait deux questions. Il se demanda : « [...] toute la civilisation de l’archipel était-elle entièrement d’origine indienne ? Et, depuis la période qui précède toute la littérature et le développement le plus récent et le plus abouti de la langue, y a-t-il eu des liens entre le sanskrit et les langues malaises au sens le plus large qui puissent encore être démontrés dans les éléments communs du langage ? » Le senti-ment de Humboldt fut de répondre négativement à la première question et de supposer qu’il y avait eu « une véritable civilisation indigène parmi la race brune de l’archipel ». Il ne voyait aucune raison de penser que l’on « doive nier aux Malais le fait d’avoir créé une civilisation sociale par leurs propres soins ».

Quant à la seconde question, Humboldt inclinait à répondre par l’affirmative, à savoir que le contact Indiens-Malais avait été ancien et continu : « Sans mentionner tout de suite le tagalog, qui incorpore un grand nombre de mots sanskrits pour des classes d’objets totalement différentes, nous trouvons aussi dans la langue de Madagascar et dans celle des îles du Sud, jusque dans le pronom même, des sons et des mots appartenant directement au sanskrit ; et même les étapes pho-nétiques, que l’on peut voir comme un index comparatif des interactions, sont elles-mêmes différentes dans des langues comme celles du groupe malais au sens strict, dans lequel, comme en javanais, il existe aussi une influence visible de la langue et de la littérature indiennes qui fut exercée bien plus tard. Maintenant, la façon dont nous pouvons expliquer cela [...] reste bien sûr extrêmement discutable [...]. [Pour l’instant], cela suffit pour moi d’avoir attiré l’atten-tion sur une influence du sanskrit sur les langues du fonds malais, lequel diffère essentiellement de celui de la culture et la littérature qui leur ont été transplantés, et semble apparte-nir à une période antérieure et à des

relations différentes entre les peuples concernés. »

Par conséquent, pour conduire ses recherches, Humboldt mit l’accent sur la région à plus forte influence indienne, manifeste dans « l’épa-nouissement de la langue kawi, comme le croisement le plus intime des cultures indienne et indigène sur l’île qui a possédé le plus de colonies indiennes et le plus tôt », c’est-à-dire Java. Humboldt poursuit : « Je regar-derai toujours ici principalement vers l’élément indigène de cette union lin-guistique, mais le considérerai dans le cadre plus large de sa parenté et poursuivrai son déroulement jus-qu’au point où je penserai trouver son caractère le plus purement et pleinement développé dans la lan-gue tagalog. Dans le troisième tome, je m’étendrai sur tout l’archipel, re-tournerai aux problèmes déjà men-tionnés et essaierai ainsi de voir si cette voie, en même temps que ce qui a été vu jusqu’ici, pourrait conduire à un jugement plus correct des relations entre les peuples et les langues à tra-vers toute une multitude d’îles. »

Sa méthode était donc de com-prendre de la façon la plus appro-fondie la langue kawi (qui repré-sentait la plus haute expression de l’influence culturelle de la langue sanskrite), mais du point de vue de « l’élément indigène » que Hum-boldt reconnaissait devoir être la base identitaire de la totalité de ce

groupe linguistique. Ce qu’il s’est demandé était essentiellement de savoir ce qu’était la langue verna-culaire sous-jacente à l’influence sanskrite. Quelle relation y avait-t-il entre les langues du groupe stricte-ment malais et, ensuite, quelle était leur lien avec toutes les langues de ce vaste ensemble d’îles ?

Le nom kawi révèle en lui-même la dette profonde de cette langue envers le sanskrit (skr.). Dérivé de la racine ku signifiant « sonner » ou « résonner », kawi signifie en skr. « poète » et, dans des formes déri-vées, un « homme sage et instruit ». Le nom générique donné au mètre syllabique de la poésie kawi est se-kar kawi, qui veut dire « fleurs de la langue » et est dérivé du skr. sekhara – « guirlande ». Sekar – « fleur » – est l’expression usuelle pour désigner la poésie. Et dans le Brata Yuddha, le poème utilisé par Humboldt comme base de ses travaux sur la langue kawi, le mot dérivé kawind-hra signifie « un bon chanteur ». Le Brata Yuddha (ces mots signifient « guerre [du skr. Yudha] des ancê-tres de Bharata ») s’inspire du grand poème épique indien Mahabharata auquel appartient le Bhagavad Gita. Les noms des principaux personna-ges sont les mêmes, et le poème relate le déroulement de la guerre en sept batailles. Il s’agit seulement d’un exemple de la façon dont la culture kawi a assimilé la culture

Transcription de l’épopée kawi, le Brata Yuddha.

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religieuse indienne, ce qui est tout aussi évident en ce qui concerne son architecture.

L’influence indienne sur la cul-ture et la langue kawi est également manifeste dans la méthode caracté-ristique de comptage des années qui utilise des mots à la place des nom-bres, méthode connue sous l’appel-lation « chandhra sangkala ». Cette expression vient du sanskrit, le pre-mier élément signifiant « méthode » et le second signifiant « collection », « quantité » ou « addition », de la ra-cine kal, « compter ». Ainsi, chand-hra sangkala signifie « compter se-lon la méthode ». Par exemple, pour exprimer la date 1021, l’expression sanskrite serait sasipakshakhaike. On lit les syllabes de gauche à droite, mais elles se réfèrent à la date lue de droite à gauche. Ainsi, 1 est exprimé par sasin, signifiant « lune ». Il n’y a qu’une lune, d’où la correspondance. Pakha signifie « ailes » et exprime le chiffre 2 pour des raisons évidentes. Les autres syllabes kha et eka sont les ordinaux pour 0 et 1.

Après ce mode de comptage répandu dans la langue kawi, il fut pour ainsi dire amélioré de manière

à ce que non seulement les syllabes accolées constituent la date mais forment aussi une phrase ayant un rapport avec cette date. Prenons par exemple l’histoire du roi musulman qui avait voyagé vers Java dans l’es-poir de convertir à l’islam le roi de Majapahit et auquel il avait promis sa fille en mariage. L’entreprise con-nut des difficultés : beaucoup parmi la cour devinrent malades et mou-rurent, et sa fille également devint très malade. Le roi supplia le Tout-puissant de sauver sa fille si l’affaire réussissait, et de la sacrifier dans le cas contraire. Elle mourut en 1313, et l’événement fut daté comme suit :

Kaya (3) wulan (1) putri (3) iku (1).

Kaya signifie « feu », qui exprime, comme le skr. Agni, le chiffre 3. Wu-lan est le mot javanais pour « lune », c’est-à-dire 1. Putri veut dire « fille du prince » en skr. et correspond au chiffre 3 pour des raisons qui échap-pent à Humboldt. Enfin iku ou hiku est le pronom javanais désignant une personne lointaine (« elle, là-bas ») et correspond à 1. Ainsi, on pourrait traduire par « comme sur la lune était cette princesse » dans

la transcription de Humboldt. 3131, lu de droite à gauche, nous donne 1313.

Un autre exemple, plus évident, se réfère à la date légendaire de 1400, quand l’Etat de Majapahit fut con-quis par les Musulmans. Cette date s’exprime de la manière suivante :

Sirna (0) ilang (0) kirti-ning (4) bumi (1).

Sirna, particule passive sanskrite du verbe sri, signifie « détruit » et correspond donc à « rien », « zéro ». Ilang ou hilang est l’équivalent en javanais de « perdu » et correspond aussi à zéro. Kirti-ning veut dire « bonne eau » et signifie aussi en skr. « réputation ». La racine originale de ce mot est kri, qui veut dire « cou-rant » ou « bouillonnement », servant à la fois pour l’eau et la réputation. Les mots sanskrit et javanais dési-gnant un travail, quelque chose qui a été créé, proviennent aussi de la ra-cine kri (d’où notre verbe « créer »). A Java, le mot karte était utilisé pour exprimer un Etat possédant une ad-ministration ordonnée, c’est-à-dire un Etat dans lequel règnent paix et tranquillité. Il correspond au chiffre 4, de par sa signification « eau », car

Comparaison phonétique des alphabets latin, deva-nagari (sanskrit), kawi, d’autres alphabets malais (ci-contre) et de quelques écritures javanaises (ci-dessous).

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il y a quatre océans au monde. En-fin, bumi correspond au skr. bhumi, qui veut dire « terre » ou « monde » (au sens dérivé, « pays »). Et il n’y a qu’une seule Terre. Ainsi, on pour-rait lire « Perdu et parti est le travail [fierté] du pays », certainement une façon appropriée de caractériser l’événement.

La pénétration du javanais par le sanskrit (ce qui a dû être la langue des habitants de Java à l’arrivée des Indiens) va toutefois encore plus loin. Comme le montre Humboldt à travers un examen incroyable-ment minutieux du vocabulaire, de la morphologie et de la syntaxe, cette influence est déterminante. Les

exemples suivants l’illustreront.Dans le processus de création du

kawi, les mots sanskrits ont presque toujours apparu en javanais sous forme de substantifs, en particulier au nominatif singulier à partir du-quel ils se sont ensuite transformés, d’après les règles de morphologie du javanais, en verbes, adjectifs, etc.

Quelle manifestation de l’activité humaine exprime le mieux l’unicité de l’homme par rapport aux autres espèces ? Quelle activité, en même temps, démontre la multiplicité des diverses cultures développées par diffé-rentes civilisations humaines ? Comment, dans le monde et à travers l’histoire, est-il possible de réconcilier la vaste multiplicité de cultures diverses, comme la culture chinoise et la culture grecque, en montrant qu’elles sont deux ma-nifestations du même esprit humain ?

Ce sont des questions auxquelles répond la science de la philologie, l’étude des langues dans leur développement historique. Guillaume de Humboldt fut le fondateur de cette science moderne, et l’école de philologie du XIXe siècle fut la plus grande que le monde ait jamais connue. D’autres grands noms s’associèrent à Humboldt, et cette école inclut Franz Bopp, Rasmus Rask et Jacob Grimm.

Les principes universels du langage

Guillaume de Humboldt, proche collaborateur de poète allemand Friedrich Schiller, considérait l’étude du langage du point de vue de l’esprit humain – point de vue que l’on retrouve dans l’ensemble de ses travaux. Voyant dans l’homme le produit le plus élevé de la Création, Humboldt identifiait dans le langage l’expression la plus universelle des capacités de l’esprit. Pour comprendre comment l’homme conceptualise l’univers et organise les relations sociales, Humboldt s’est rendu compte qu’il fallait examiner la façon dont l’homme développe le langage. A travers l’étude de nombreuses langues (plus d’une cinquantaine, du basque aux langues amérindiennes, et du sanskrit au chinois), Humboldt réussit à démontrer les principes uni-versels du langage en général.

Tout en insistant sur des principes universels, dont l’existence se manifeste dans le fait que chaque langue peut être traduite vers une autre, Humboldt s’intéresse aux caractéristiques particulières d’une langue afin d’identifier son caractère national spécifique. Puisque le langage est la forme d’activité la plus immédiate que l’homme ait in-venté pour communiquer et pour examiner l’univers, alors la forme sous laquelle un peuple façonne son langage ex-prime le caractère national de ce peuple. Par conséquent, il est clair, dans les travaux de Humboldt, que la langue fournit la clé du caractère d’une nation.

La langue : un organisme vivant

Selon Humboldt, la langue n’était pas un système fixe comme peuvent le penser quelques linguistes modernes. La langue est un organisme vivant – une forme d’énergie – qui, au cours de l’évolution des peuples, varie, se déve-

La philologie : science de la langue et de l’histoire

loppe et aussi, dans certains cas, dégénère. Les accom-plissements d’une langue, comme le grec de la période classique, indiquent le progrès plus général de ce peuple et de cette culture. Par conséquent, Humboldt estime que l’enseignement du grec classique et l’étude de la culture grecque doivent être les moyens à travers lesquels l’esprit de développe. C’est l’extraordinaire programme éducatif que Humboldt élabora et introduisit en Prusse, largement basé sur l’étude des langues classiques pour former le caractère de l’élève, qui a établi les fondements du rayon-nement des sciences et de la culture en Allemagne, en Europe et aux Etats-Unis au XIXe siècle.

En observant la multiplicité du langage, Humboldt uti-lisa une approche comparative afin de voir comment dif-férents peuples réussissaient à résoudre la même tâche : celle d’exprimer des concepts. En même temps, l’approche comparative rendit possible d’établir scientifiquement le lien entre différentes langues et donc, historiquement, différents peuples. Les travaux sensationnels dans cette direction furent établis par un collaborateur de Humboldt, Franz Bopp, qui découvrit l’existence du groupe linguis-tique indo-européen. Bopp avait comparé les systèmes verbaux des langues, dont le sanskrit de l’Inde ancienne, les grec et latin classiques ainsi que différentes langues germaniques. En montrant que ces langues apparemment éloignées possédaient des systèmes verbaux et des con-jugaisons obéissant aux mêmes lois (et donc partageant la même structure « géométrique »), Bopp conclut que les langues doivent également être liées dans leur déve-loppement historique.

D’autres philologues, dont Jacob Grimm, avaient étudié la façon dont, à travers le temps, certaines différences phonétiques peuvent intervenir dans des mots de langues éloignées ayant la même signification. En comparant des groupes de racines de langues différentes – racines uti-lisées pour désigner les mêmes choses ou mêmes actions –, on peut découvrir les lois de variations phonétiques. Par exemple, si le mot désignant « père » est pitr en sans-krit et father en anglais, et si de tels exemples existent fréquemment, alors il apparaît que le son /p/ en sanskrit correspond au son /f/ en anglais.

L’étude de la philologie telle que la mena Humboldt ne fut pas un exercice académique, mais une recherche pas-sionnée pour découvrir les lois qui régissent les processus créatifs de l’esprit humain. Pour Humboldt, il n’y avait rien de plus réjouissant que de découvrir et d’apprendre une nouvelle langue. En 1803, il écrivit : « La cohérence in-terne, mystérieuse et prodigieuse de toutes les langues, mais par-dessus tout le plaisir extrême de pénétrer avec chaque langue nouvelle dans un nouveau mode de pensée et de sentiment, exerce sur moi une attraction infinie. »

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Les verbes ou les racines sanskrits ne sont jamais apparus comme tels en kawi, mais toujours sous une forme nominative. Ainsi, par exemple, le skr. bhukti (qui se réfère à l’acte de manger) devient b-in-ukti, ou, avec des changements de consonnes, ma-mukti. Dwija (« oiseau ») devient dwija ou dhwijangga par duplica-tion, procédé souvent utilisé pour des raisons poétiques afin d’allonger les syllabes. Ainsi, rana (« bataille ») devient rana ou ranangga ou ran-nanggana, etc. Le pluriel en kawi est souvent obtenu par répétition, ainsi le skr. wira (« guerrier ») devient wira wira (« guerriers »).

De même, le verbe est formé, de différentes façons, à partir du nominatif sanskrit. Par exemple, la syllabe um est insérée juste avant la consonne initiale ou après la voyelle initiale. Ainsi, le nom tiba signifiant « chute », devient un verbe (« tomber ») sous la forme tumiba ; le nom lampah, « voyage », devient le verbe « marcher » sous la forme lumampah. On peut aussi distin-guer le verbe du nom grâce à une consonne initiale différente : ainsi, neda signifie « manger », tandis que teda est « nourriture » ; nulis veut dire « écrire » et tulis « écriture » ; nitik, « prouver » et titik, « preuve ».

A cause de la prédominance du nom ou de la forme substantive, les expressions verbales sont souvent à la voix passive. Par exemple, on dirait littéralement : « ma vision était l’étoi-le », au lieu de : « j’ai vu l’étoile ». Le passif est formé grâce au préfixe ka-. Il n’y a donc en kawi aucune flexion verbale, contrairement au système flexionnel hautement développé du sanskrit. On doit donc saisir le sens de la phrase grâce au contexte et à l’ordre des mots. Toutefois, le kawi distingue les temps – passé, présent, futur – aussi bien que les modes, en particulier l’impératif et le subjonc-tif. L’exemple suivant donne une idée de la difficulté de s’imaginer com-ment lire une phrase : « Ainsi prière sa à trois-mondes être dite victoire à la bataille », ce qui veut dire : « ainsi fut dite sa prière aux trois mondes, pour la victoire au combat ».

S’il est difficile de saisir le sens, de par la succession de mots sans indi-cateurs grammaticaux, il y a cepen-dant, comme le souligne Humboldt, une « noble concision et un impact plus fort des images poétiques qui se suivent de façon immédiate ».

Guillaume de Humboldt conclut de ses travaux sur le kawi, qu’il existait « une forme plus ancienne de la langue nationale javanaise qui, toutefois, dans l’élaboration du savoir scientifique transplanté à partir de l’Inde, assimilait un nom-bre indéterminable de mots purement sanskrits et ainsi, grâce aussi à la particularité de sa diction exclusi-vement poétique, devint une langue figée provenant d’une forme usuelle. » C’était, toutefois, la langue de la population instruite, qui tomba au fur et à mesure en désuétude après l’émigration des derniers brahmanes de Majapahit vers Bali aux XVe et XVIe siècles.

Humboldt n’avait pas de don-nées claires concernant les repères chronologiques du premier apport de l’influence indienne à Java. Les annales de Java commencent avec l’ère d’Adji Çaka, à qui l’on attribue l’introduction de cette ère d’origine indienne en 74 ou 78 après J.-C. Ceci coïncide avec la période du brahmane nommé Tritresta, réputé pour avoir construit le premier Etat sur Java, juste après la soumission de l’île au joug hindouiste. L’impact considérable du sanskrit sur la lan-gue, plus important que sur toute autre langue du groupe malais, a conduit Humboldt à conclure que les colonisateurs indiens ont dû avoir le sanskrit comme langue usuelle, ce qui situe leur arrivée à une période très ancienne.

La datation du Brata Yuddha est également controversée : on parle de 706 après J.-C., mais aussi de 1079 après J.-C. L’alphabet en usage pour le kawi a dû être introduit par les Indiens et adopté par d’autres langues comme le basque et le tagalog. Humboldt considère qu’il s’agit du même alphabet que celui du javanais moderne, mais avec des signes différents et de nombreux sons en commun avec le sanskrit. Toutefois, il ne s’agit pas du simple alphabet sanskrit car le kawi a trop peu de consonnes et manque, par exemple, de toute la série des con-sonnes aspirées.

Humboldt ne savait pas s’il exis-tait un pré-alphabet pour le javanais mais il ne l’excluait pas.

Arrivé à ce point, on doit se demander ce qu’est le javanais. Si l’on met d’un côté tous les élé-ments sanskrits du kawi et que l’on examine ce qui reste de cette

langue (ce que Humboldt appelle le kawi non-sanskrit), s’agirait-il de la même chose que le javanais moderne ? Pour répondre à ces questions (qu’est-ce que le groupe linguistique malais et quelles sont ses relations avec les autres grandes familles linguistiques du monde ?), Humboldt élargit son étude afin de couvrir toutes les langues connues dans cette région.

Il fut le premier à le faire, et il ne s’agissait pas seulement d’un travail philologique monumental : c’était aussi un défi direct aux études lin-guistiques réalisées jusqu’alors. Il est à mentionner qu’avant les efforts de Humboldt, les seuls travaux sur la langue kawi étaient ceux provenant de colonialistes britannique ou hol-landais. L’un, sir Thomas Stamford Bingley Raffles (1781-1826), fut administrateur de la Compagnie des Indes orientales et gouverneur de Java de 1811 à 1815. Il est connu pour s’être emparé de Singapour pour le compte de la Compagnie en 1819. Il est l’auteur d’une Histoire de Java (1817). L’autre, John Crawfurd, fut résident à la cour du sultan de Java, et auteur d’une Histoire de l’ar-chipel indien (1820). C’est aussi bien les travaux de Raffles et de Crawfurd que les textes du Brata Yuddha, qui fournirent à Humboldt les données de base sur Java.

Il va sans dire que l’approche de Raffles n’était pas désintéressée. Son objectif principal avait été de falsifier les données, et en particu-lier de nier l’existence possible d’une civilisation et d’une langue javanai-ses indépendantes. Il considérait la langue kawi comme un idiome arti-ficiel utilisé par une caste de prêtres, une langue morte à usage rituel. La version du Brata Yuddha qu’il avait publiée comptait seulement 139 des 719 strophes. Humboldt, avide d’obtenir une meilleure version, obtint celle de Crawfurd, qui avait généreusement ajouté 19 strophes. Il apparaît que Raffles avait décidé d’omettre tout ce qui lui paraissait désagréable, c’est-à-dire beaucoup, en réalité.

Non seulement Raffles et Crawfurd s’étaient livrés à de telles manipulations flagrantes mais, selon Humboldt, ils avaient aussi commis de grossières erreurs de méthode. Ils avaient, par exemple, négligé de prendre en considération l’aire lin-guistique dans sa totalité et s’étaient

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limités à des régions beaucoup plus restreintes. Crawfurd, dans son ouvrage, considère seulement comme étant d’influence indienne la région allant de Sumatra à la Nou-velle-Guinée, et située entre les 11e et 19e parallèles. Humboldt déplore également le fait que Crawfurd igno-re les données démographiques de base de la région. En effet, dans cette aire linguistique réduite, vivent côte à côte des Noirs aux cheveux bouclés et des Blancs aux cheveux lisses, bien qu’il n’y ait plus de Noirs à Java et Sumatra. De surcroît, à Madagascar, vivaient, à l’époque de Crawfurd, des Noirs d’origine africaine aussi bien que des Malais et des Arabes, et tous parlaient exactement la même lan-gue. Comme le souligna Humboldt, ce fait extraordinaire signifie que cette langue commune remonte très loin dans l’Antiquité, depuis qu’elle a été effectivement remplacée par d’autres langues qui auraient été spécifiques à la population noire africaine. Rien que sur ces fonde-ments, selon Humboldt, il est ab-solument scandaleux d’avoir écarté Madagascar de l’aire d’étude.

Humboldt reproche encore aux « érudits anglais » d’avoir totalement ignoré la langue tagalog, présente dans la région (un autre Anglais,

William Marsden, avait reconnu l’importance du tagalog mais l’avait exclu, dit Humboldt, de son analyse de vocabulaire dans l’Archaeologia Britannica). Or, pour Humboldt, le tagalog était d’une importance cruciale parce que, d’abord, il pré-sente une très large similitude avec le malais, ensuite, il possède les réa-lisations grammaticales les plus ri-ches de toutes les langues du groupe malayo-polynésien, de sorte que l’on ne peut comprendre les grammaires des autres langues qu’à partir de ce développement (tout comme on ne peut comprendre le grec qu’à partir du sanskrit), puis la religion et la lit-térature arabes ou indiennes n’ont pas altéré les nuances originelles du tagalog et, enfin, il n’existe pas d’autre langue de la même famille qui ne possède autant de moyens d’aide à la recherche comme les dictionnaires et les grammaires, grâce surtout aux travaux des mis-sionnaires espagnols.

Sans doute, les « érudits anglais » ne voulaient pas découvrir la vérité sur les langues et sur les peuples de la grande civilisation océanique. Ce n’était pas le cas d’Humboldt. En réalité, celui-ci rejetait même le terme « polynésien » pour désigner cette catégorie, terme trop géogra-

phique et limité, lui préférant celui de « malais » qui désignait non seu-lement la culture et la langue mais aussi le peuple.

Le matériau linguistique sur le-quel travailla Humboldt était vaste. Il examina le vocabulaire, qui mon-trait « non seulement que ces peuples avaient établi plusieurs concepts avec les mêmes mots, mais qu’ils avaient également pris la même voie pour fa-çonner la langue en créant des mots possédant les mêmes sons selon les mêmes lois, et que ces mots possèdent par conséquent des formes gramma-ticales concrètes, empruntées les unes aux autres ». Cependant, il alla au-delà du vocabulaire, car « on ne peut pas considérer les langues comme un agrégat de mots. Chaque langue est un système par lequel le son est lié à la pensée. La tâche du linguiste est de trouver la clé de ce système ».

Dans cet esprit, Humboldt éta-blit une liste de plus d’une centaine de mots, depuis le malais (au sens propre, la langue parlée à Malacca), le bugi, le madécassien (ou mal-gache), le tagalog et les langues po-lynésiennes des Tonga, de Nouvelle-Zélande, de Tahiti et d’Hawaii. Les tableaux comparatifs, préparés par son élève Buschmann, présentent des similitudes frappantes comme le

Tableau I. Comparaison de différents termes dans la famille linguistique malayo-polynésienne. (Kr. désigne la langue développée et K. le kawi.)

Mal. Jav. Bugi Mad. Tag. Tonga N.Z. Tha. Haw.

mourir mati mati mate matte matay mate mate mate make pati fatte patay (mort) mate (mort) fate (mort) matte

fruit buah woh buwa voa bongaa fooa hodu hua voha auoy voua

année taun tahun taung taoune taon tow makahiki taun tau taonne

feu api hapi api afou apuy afi ahi auahi ahi genni af ai gni affe Kr. latu motté K. hapuyi langourou bahning

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montrent les quelques exemples du tableau 1 (le grand nombre d’exem-ples du malgache provient du fait que plusieurs sources ont été con-sultées, dont les dictionnaires et la traduction des Saintes Ecritures).

Toutefois, il ne s’agit pas seu-lement d’une ressemblance de vocabulaire. Grammaticalement, le pronom de la première personne du singulier est aussi le même : ahau (Nouvelle-Zélande), ahe, ahy (malgache). Le son /h/ se trans-forme pour d’autres langues (sauf Tahiti) en sons durs – gua, co, ku, aku – de la même façon que le latin ego provient du sanskrit aham, ou que le français « je » diffère de l’ita-lien « io ». On trouve également, à la troisième personne du singulier, une ressemblance extraordinaire, en particulier pour la forme possessive « son », « sa » : kapala-nia (malga-che) signifiant « sa tête » ; ang yna-niya (tagalog), « sa mère » ; to’na ahu (Tahiti), « sa robe » ; tônatoki (Nou-velle-Zélande), « sa hache » ; ana falle (Tonga), « sa maison ».

La parenté entre ces langues transparaît également dans la morphologie, la syntaxe et d’autres aspects linguistiques.

Dans la partie finale de son étude monumentale, Humboldt se tourne un peu plus vers l’est pour exa-miner les langues des mers du Sud (figure 1). Là encore, en comparant le vocabulaire de base et les lois de la syntaxe, il put exposer la nature et le degré de parenté de ces langues aussi bien que celles des branches orientales et occidentales du groupe malais.

La méthode utilisée par Hum-boldt est absolument remarquable car celui-ci s’est efforcé d’identifier l’exemple crucial qui prouvera la loi générale. Dans le cas des particules verbales, Humboldt lui-même dit que « cette découverte est l’une des plus importantes que j’ai faites dans mes efforts pour présenter tout le groupe linguistique malais comme une unité de système et de sons. Elle suffirait par elle-même à justifier les travaux que j’ai réalisés ». Cette dé-couverte était d’établir le lien entre les deux branches.

Le mot auquel Humboldt se réfère est un adverbe de temps. Si cette particule verbale est un adverbe de temps, dit-il, alors il est certain que d’autres particules verbales auront aussi cette fonction. « Le malgache

juga ou jua, [...] est un adverbe à significations variées et complexes, signifiant souvent “vide” ce qui veut dire qu’il est difficile de lui attribuer un sens. » Toutefois, poursuit-il, « dans le sens de “encore”, il fonc-tionne comme étant le marqueur des temps présents et imparfaits ». Le seul exemple qu’il donne pour ce mot est la phrase suivante : « Une énorme tempête se leva sur la mer, si bien que le petit bateau fut couvert par les vagues. » L’original est tatapi iya tidor juga. Humboldt donne un autre exemple, celui de tiada juga, signifiant « pas encore », qui a la fonction de placer le verbe au temps parfait (comme en français, « ce n’est pas encore arrivé »). Un autre exem-ple illustre qu’il s’agit du marqueur du plus-que-parfait, dans le sens de « déjà » (comme en français, « c’était déjà arrivé »). Humboldt remarque un fait curieux, à savoir que la particule verbale apparaît toujours après le mot qu’il modifie dans la branche malaise occidentale, et toujours avant le mot dans la bran-che orientale. Humboldt établit un tableau couvrant les divers sens de ce mot dans cette famille linguis-tique (tableau 2).

Tableau 2. Vue d’ensemble de la particule verbale de temps pour toute la famille linguistique malayo-polyné-sienne, telle qu’elle apparaît dans Sur la langue kawi.

Adverbe

juga 1. aussi, 2. seulement, seul, 3. tellement, 4. cependant, en outre, 5. encore, 6. déjà (lama juga déjà longtemps)jua 1. seul, 2. tellement, 3. encore

juga seul

huga 1. aussi, 2. seul, 3. tellement, 4. pourtant, cependant

coua 1. aussi, 2. pourtant, 3. davantage

gua loa avant, longtemps

Mal.

Kawi

Jav.

Mad.

Tonga

N.-Z.

Tah.

Haw.

Particule verbale

juga signe du présent, de l’imparfait, du parfait, du plus-que-parfait

gua signe du présent, quelques fois du prétérit

koa signe du parfait

ua signe du présent, du prétérit,du futur, de l’imparfait

ua signe de présent, de l’imparfait, du parfait

Pronom

itu juga le mêmesama et sama juga le même

hiyahika huga le même (hiyahika celui-là)

isicoua le même (isi celui-là) zanicoua le même

taua, aua celui-là

ua celui-là

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Arrivé à ce point, Humboldt fit un pas crucial. Il considéra ce qu’il avait établi comme le groupe malais pour le comparer avec, d’abord le chinois et ensuite les langues amérindiennes. Le groupe malais avait beaucoup d’éléments en commun avec le chi-nois : les langues des îles des mers du Sud formaient des mots différents par de très faibles changements de sons, presque imperceptibles pour une oreille étrangère. De plus, « ces langues rappellent le chinois, dans le sens où les mots indiquant une relation grammaticale suivent ou précèdent l’expression d’un concept indépendant de cette relation, de manière à ce qu’ils puissent, plus que pour les autres langues, être transcrits dans une écriture similaire à celle du chinois ».

Dans son analyse détaillée de trois langues du groupe des mers du Sud (Tonga, Nouvelle-Zélande et Tahiti), Humboldt identifia plusieurs carac-téristiques partagées avec le chinois, comme si l’on pouvait les écrire en idéogrammes. Ces caractéristiques sont : chaque mot pouvant être considéré en soi existe en soi dans l’ordre des mots, y compris ceux qui indiquent une relation gramma-ticale ; aucun de ces mots ne subit de changement dans le contexte de la phrase ; les mots grammaticaux ne se mélangent pas aux autres.

De même, il identifia plusieurs aspects communs avec les langues amérindiennes, mais spécifia que la construction grammaticale gé-nérale des deux groupes présentait des différences significatives. Un des aspects marquants des langues américaines est leur utilisation du pronom de la première personne du pluriel – « nous » – à la fois ex-clusif (« nous sans vous ») et inclu-sif (« nous dont vous »). Humboldt montra que cette caractéristique, dont on pensait qu’elle était unique en Amérique, était partagée par les langues du groupe malais, aussi bien en Malaisie même qu’aux Phi-lippines ou en Polynésie. *

Humboldt était convaincu de la fa-

çon dont de tels phénomènes étaient apparus au cours de l’histoire. D’un côté, il voyait l’océan, non comme un obstacle mais comme un fac-teur de relations entre les peuples. De l’autre, il reconnaissait qu’à la réalisation de ces contacts (comme entre la civilisation indienne et les populations insulaires), « la prédo-minance d’une civilisation comme celle de l’Inde, si ancienne et si cul-tivée dans chaque branche de l’ac-tivité humaine, s’engageait à attirer vers elle les nations pourvues d’une sensibilité alerte et animée. Il s’agis-sait toutefois plus d’un changement moral que d’un changement politi-que », et il se réfère à la manière dont l’hindouisme « prit racine parmi le peuple malais », montrant qu’« en tant que force spirituelle, cela stimula à nouveau l’esprit, mit l’imagination au travail et devint puissant grâce à l’impression suscitant l’admiration des peuples capables de développe-ment ».

Cela considéré, qu’aurait dit Guillaume de Humboldt s’il avait vu les inscriptions déchiffrées par Barry Felle, comme les pétroglyphes de Santiago du Chili, ceux de sa chère Java ou bien ceux de l’île Pitcairn ? En apprenant que le nom de capitaine de l’expédition était Rata, il serait sûrement exclamé : « Aha ! C’est fascinant, vous savez ! Parce que le nom ratu signifiait “roi” ou “prince” en javanais. » Comme il le remarqua : « Ce mot a été traité si explicitement comme un mot javanais qu’il a dé-veloppé des formes comportant des changements de sons indigènes et des changements de morphologie, com-me ngratu, signifiant “reconnaître quelqu’un comme roi”, et ngratonni, signifiant “gouverner”. » On trouve le même mot, souligna Humboldt, en malais proprement dit sous la forme ratu, et en soundanais (à Madura et Bali) ainsi qu’en tagalog sous la forme dato. Il existe de surcroît des légendes en Polynésie, à propos du dieu blanc nommé Maui, qui a créé le pays...

Humboldt aurait été intrigué à l’idée que les Egyptiens aient na-vigué vers l’est et laissé leurs ins-criptions tout au long de leur périple. Lui-même, dans ses travaux, avait cité des « récits obscurs » à propos d’Egyptiens qui avaient été bannis ou, pour une autre raison, avaient quitté leur terre natale pour les îles des mers du Sud.

Toutefois, ce qui l’aurait le plus ravi aurait été l’idée qu’il y avait bien une langue – le maori – dont les traces remontent au moins jusqu’au IIIe siècle avant J.-C., depuis les côtes de l’Afrique du Nord jusqu’à Java et plus vers l’est, aussi loin que l’île Pitcairn. Le maori, encore parlé de nos jours en Nouvelle-Zélande, est la forme moderne (très différente de forme mais très similaire de parenté) de l’ancien maori dans lequel Rata et Maui ont gravé leurs inscriptions. Que le maori ait été enraciné dans les archipels à l’époque de l’expédition égyptienne ou bien plus tôt, le fait est que cette langue est l’un des dialectes du vaste groupe linguis-tique malayo-polynésien, appelé « malais » par Humboldt.

Selon les témoignages archéo-logiques et historiques qui sont ap-parus depuis l’époque de Humboldt, les îles de Malaisie et de Polynésie furent peuplées, par vagues, de co-lons indiens et égyptiens à partir du troisième millénaire avant J.-C., au moins pour l’Inde, et du deuxième millénaire avant J.-C. pour l’Egypte. Les traces d’extraction d’or réalisée sur l’île de Sumatra au deuxième millénaire avant J.-C. révèlent une probable exploration égyptienne. Plus sûrement, ce sont les colons du fonds dravidien d’Inde qui ont constitué le peuple à peau foncée dont les premiers récits des archipels font allusion. Des recherches ont été effectuées sur des affinités entre les langues dravidiennes et celles de Pa-pouasie-Nouvelle-Guinée. Après les Dravidiens, les Aryens, de langue et de culture sanskrite, vinrent depuis l’Asie centrale vers l’Inde. De là, ils voyagèrent vers les îles. Ainsi, les vagues successives de peuplement depuis l’Inde, supposées par Hum-boldt, aussi bien que d’Egypte, expliqueraient ce que celui-ci avait trouvé : l’existence d’une couche sanskrite profonde dans le groupe malais, avant même que le sanskrit soit assimilé dans la langue kawi. En outre, de telles vagues de migration depuis l’Egypte montreraient les similitudes devenues manifestes dans les inscriptions de Maui, que l’on peut comparer à celles de Libye et d’autres sites d’Afrique du Nord.

Malheureusement, Guillaume de Humboldt mourut en 1835. Six ans plus tard, en 1841, un de ses plus brillants élèves, Franz Bopp, publia un ouvrage intitulé Uber

* Par rapport à cela, Humboldt nota également les découvertes, dans le Kentucky et le Ten-nessee, de sépultures révélant des pratiques funéraires semblables à celle des îles Sand-wich, Carolines et Fidji. Il nota aussi la con-clusion, tirée par un certain Hr. Mitchell, que des colons étaient arrivés là depuis la région malayo-pacifique.

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die Verwandschaft der malayisch-polynesischen Sprachen mit der in-disch-europäischen (De la parenté du malayo-polynésien avec l’indo-euro-péen), pour lequel il subit le feu de la critique. Bopp fut le génie qui avait pratiquement inventé la science de la philologie comparative en 1816, grâce à son étude sensationnelle sur les systèmes de conjugaison des langues indo-européennes (Du système de conjugaison du sanskrit comparé à ceux du grec, du latin, du perse et de l’allemand). Ensuite, dans son ouvrage de 1841, Bopp osa affir-mer qu’il existe une affinité entre ces langues que Humboldt avait réuni en une même famille et le groupe indo-européen (sanskrit, perse, grec, ger-manique, italique, etc.). Bopp était ainsi en train d’entreprendre la tâche à laquelle Humboldt n’avait pu avoir le temps de se consacrer, à savoir l’examen des liens organiques entre le sanskrit (la première des lan-gues indo-européennes) et le groupe malais. En 1890, un autre disciple de Humboldt, Carl Abel, en vint même à proposer un lien entre l’égyptien ancien et l’indo-européen, ce qui, en regard des inscriptions de Maui, induit de multiples implications.

Voici ce que raconte Abel dans une fameuse conférence dans la-quelle il présenta ses recherches : si les Européens du XIXe siècle dédiés à l’étude du grec et du latin avaient été déstabilisés par la découverte du lien entre les langues classiques et une langue indienne – le sanskrit – beau-coup plus ancienne, plus développée et peut-être en réalité l’ancêtre de leur langue maternelle (découverte universellement acceptée de nos jours !), c’était en partie à cause d’un sentiment de supériorité culturelle. Les « hellénistes et les latinistes, di-sait-il, ont toujours supporté de mau-vaise grâce leurs cousins linguistiques à la peau foncée » et ont évité l’idée selon laquelle tout devait être expli-qué du point de vue de la grammaire sanskrite. A présent, continue Abel, « après ces précédents, on devrait ne pas s’étonner si, au moment où l’égyptien demandait son admission au cercle indo-européen, le même ac-cueil glacial fût donné comme pour le sanskrit » (Discours au IXe Congrès des orientalistes, Londres, 1891).

Les études philologiques, du moins dans la tradition de grands esprits comme Humboldt, Bopp, Grimm, Abel et d’autres, n’ont ja-

mais été une recherche académique pour la gloire et l’honneur. Elles ont constitué une recherche passionnée permettant de sonder l’esprit hu-main dans sa capacité intrinsèque de créer le langage, et de tracer le processus à travers lequel les popu-lations se sont déplacées sur la Terre afin de l’occuper et de la développer, en communications fructueuses les unes avec les autres. Humboldt con-cevait la philologie dans cet esprit, en contribuant au processus de perfection de l’humanité, comme il l’écrivit dans De la langue kawi : « S’il y a bien une idée qui soit visible pour toute l’histoire dans sa valeur la plus étendue, si jamais une [idée] a prouvé la perfection, souvent contestée mais encore plus souvent incomprise, de l’espèce entière, alors il s’agit de l’idée d’humanité, des efforts pour élever les limites que les préjugés et les points de vue partiaux de toutes sortes placent parmi les hommes, sans égard à la religion, la nation ou la couleur de la peau, comme un vaste groupe intimement fraternel, un tout existant, pour la réussite d’un seul ob-jectif, du développement d’une force interne. [...]

« La langue embrasse plus que tout autre chose chez les Hommes : l’espèce entière. » n

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