T . X I I !<••, P L . I I I .

PHILIPPE LE BON

UN

PORTRAIT DE PHILIPPE LE BON

M. F. Mazerolle, archiviste de la Monnaie, correspondant de la Commis-sion, a rencontré à l'exposition historique de Madrid — 1892-1893 — unportrait de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et en a offert à la Commissionune photographie d'après laquelle a été exécutée la reproduction en simili-gravure qui accompagne celte notice, pi. III. Ce portrait, propriété de lacouronne d'Espagne, était exposé sous le n° 20 de la salle XVI ; le cataloguepublié à Madrid par M. de Fortanet, en 1893, l'attribue, mais avec certainesréserves, à Van Eyck. M. Mazerolle pense plutôt que c'est une œuvre duseizième siècle, peut-être flamande ou du nord de la France, ainsi que leporterait à croire la légende dont il est accompagné. Ce portrait peint surboisa II. O'Ml et L. 0m27.

On peut le rapprocher de celui que l'on voit au musée d'Anvers et quisemble le prototype de tous les portraits de Philippe le Bon, y compris celuiqui a été gravé par Louys dans la série dite de Jonas Suyderhoef. C'est unpanneau de II. 0m 20 et de L. 0m 12 ; il a appartenu à Colbert, dont on voit lecachet au revers, et fut acheté à Besançon en 1827 par le baron Ertborn,ancien bourgmestre, qui l'a légué avec sa collection de gothiques au muséed'Anvers, où il est entré en 1840. L'âge du personnage, soixante ans envi-ron, ne permet pas de prononcer ici le nom de l'un des Van Eyck, puisquele dernier des deux frères, Jean, est mort en 1440, alors que Philippe le Bon,

2 UX PORTRAIT DE PHILIPPE LE UOX.

né le 30 juin 1390, à Dijon suivant la tradition, à Rouvres selon GeorgesChastcllain, indiciaire, c'est-à-dire historiographe du duc, avait seulementquarante-quatre ans. On tient plutôt pour Roger Van der Weyden, mort en1464, un très grand peintre assurément et dont l'œuvre paraît digne, maisces questions d'attribution sont tellement délicates, les plus habiles les déci-dant dans des sens si contraires, que le mieux est de ne prononcer aucun nom.11 en faut prendre son parti, les neuf dixièmes des œuvres de l'art ancien sontanonymes et le demeureront sans doute toujours, à moins qu'un documentvainqueur ne permette de percer le mystère. Et encore que devient-onquand on se trouve en présence de plusieurs exemplaires, répétition ou copiesdu temps, entre lesquelles, à moins d'une confrontation le plus souventimpossible, il est on ne peut plus délicat de faire un choix?

Le tableau de Madrid n'est donc très probablement qu'une œuvre deseconde main, une réplique officielle d'un portrait-type contemporain, celuid'Anvers ou tout autre ; il présente donc, mais un peu affaibli, comme unsurmoulage, l'image de l'avant-dernier et du plus grand des ducs bourgui-gnons. Il faut reconnaître que les princes de la maison de Valois, rois ouautres, étaient laids et n'avaient point reçu en partage celte beauté propreaux derniers rois capétiens directs; mais la laideur de Philippe le Bon estlaideur de prince. Il est intéressant de rapprocher son image peinte du por-trait que trace de lui à la plume Georges Chastellain :

« De stature il estoit moyennement haut homme, corporellement, à la» mesure de sa hauteur, et en tous ses membres, bras et jambes, trait à» linge sans excès (1); estoit gent en corsage plus qu'autre, droit comme un» jonc, fort d'eschine et de bras et de bonne croisure; a voit le col à la» proportion du corps, maigre main et sec pied, et avoit plus en os qu'en» charnure, veines grosses et pleines de sang; portoitle visage de ses peres» de séante longueur ; brun de couleur et estaint ; nez non aquilin, mais long ;» plein front et ample, non calve; chevelure entre blond et noir, coulisse

(1) Plutôt maigre que gras. — Linge, délié, mince, délicat : Lacurne de Sainte-Palaye, édit. de 1880,VII, 180, v» Linge.

UN PORTRAIT DE PHILIPPE LE BOX. 8

» (lisse) et unie ; barbe et sourcils de même aux crins ; mais avoit gros» sourcils et houssus et dont les crins se dressoient comme cornes en son» ire; portoit bouche en juste compas; lèvres grosses et colorées; les yeux» vairs, de fière inspection telle fois mais coutumierement amiables; le» dedans de son cœur se monstroit par son vis; et correspondoient toutes» ses mœurs à la tournure de sa face. » Œuvres de Georges Chastellainpubliées par M. le baron Kervynde Lcltenhove. Bruxelles, P. Heussner, 1865,t. VII, p. 213-219.

II. CHABEUF.