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Quand on ne sait pas ce qu’est la vie Comment pourrait-on savoir ce qu’est la mort Confucius PETIT MANUEL DE SURVIE pour âmes voyageuses Balthazare Chazard © Société des Gens de Lettres

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Quand on ne sait pas ce qu’est la vie

Comment pourrait-on savoir ce qu’est la mort Confucius

PETIT MANUEL DE SURVIE …pour âmes voyageuses

Balthazare Chazard © Société des Gens de Lettres

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Quand on ne sait pas ce qu’est la vie Comment pourrait-on savoir ce qu’est la mort ? Confucius A la force des mots, issus de notre attente Nous gagnons sur la nuit des roseraies neigeuses Jean Vasca -Poète/chanteur

Illustration : Peinture sur toile - « La Grande Famille » -René Magritte- Copyright protégé : Société des Gens de Lettres.

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L’ESCALIER DE CRISTAL

Chaque vie, chaque être est une fractale, Dont nous pouvons descendre l’escalier de cristal

Par les chiffres après la virgule du π 3,1416… Et où nous nous retrouvons semblables, Reflets holographiques de l’Univers.

Chacun est un prophète qui, heureusement, s’ignore Si tu cherches une réponse Ouvre n’importe quel livre, à n’importe quelle page Au besoin, demande aux pierres ton chemin.

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Chapitre I Manou n’était pas née à Montmartre. Elle y vivait, néanmoins, depuis bien longtemps déjà, comme une vraie parisienne. Elle aimait ce quartier, son quartier, comme elle aimait son appartement au sixième étage. Peut-être aurait-elle aimé une autre ville, un autre quartier, un autre appartement, si elle avait été heureuse ailleurs. Mais voilà, c’est là qu’elle avait connu le bonheur, avec Milo. Sa canne dérapa sur un pavé et les jambes lui manquèrent. Elle s’affala dans la rue. Des passants se précipitèrent pour l’aider. Plus de peur que de mal, les genoux un peu maculés de poussière, mais rien de grave, elle remercia et reprit sa route avec plus de précaution. C’est vrai qu’elle commençait à se faire vieille, elle devait faire plus attention. A tout. Souvent, elle se demandait de quoi elle allait bien pouvoir mourir.

C’est une question que l’on est en droit de se poser lorsqu’on atteint sa 94ème année. Elle était un peu lasse, certes, mais elle allait encore partir en vacances sur la côte d’Azur, par le T.G.V. Elle avait déjà fait expédier sa valise, elle n’aurait plus, ainsi, qu’à l’ouvrir en arrivant ; sa fille l’accompagnerait en voiture jusqu’à la gare. Mais tout de même, elle partait seule -se disait-elle avec une pointe de fierté.

Cependant, Manou ne profita pas de ses vacances comme les autres années. Avec cet imbécile d’animateur qui s’était cru obligé d’annoncer au micro qu’elle était

la doyenne du club, comment aurait-elle pu encore espérer séduire de sa conversation quelque septuagénaire ? Et puis, elle ne supportait plus le soleil, aussi devait-elle sans cesse s’en préserver. Elle n’avait plus assez d’équilibre, non plus, pour s’aventurer bien loin sur le chemin de la plage, sa chute, l’autre jour à Montmartre, l’avait échaudée. Si elle allait tomber et se casser quelque chose, ici, loin de chez elle ! Ici, d’ailleurs, elle en avait conscience, elle n’avait plus ses repères familiers et quand elle s’éveillait le matin, souvent, elle ne savait plus où elle était. Etait-ce vraiment inquiétant ? Elle ne savait pas.

Venir de si loin pour ne profiter ni du soleil, ni de la mer, ni de la compagnie des hommes, à quoi bon ! Elle détestait les vieilles femmes et leur bavardage, leurs histoires, leurs maux. Mais elle refusait de partir avec ses enfants ou petits enfants. N’être pour eux qu’un boulet n’aurait guère été satisfaisant pour l’illusion d’indépendance qu’elle tentait de préserver. D’autre part, dans les clubs de vacances, les tranches de réservation pour les retraités n’étaient pas les mêmes. Il leur fallait laisser la place, les pleins mois d’été, aux actifs et aux enfants. On colmatait ainsi les trous des mois creux avec les vieilles personnes. On évitait de mélanger les « genres » pour une question de rentabilité. D’ailleurs, les actifs ne tenaient guère à avoir sous les yeux, pendant leurs vacances, les images vivantes de leur état futur. Cela les angoissait, les gênait. Les jeunes avec les jeunes, les vieux avec les vieux, bien parqués par catégories.

Les plaisirs quotidiens de Manou étaient de plus en plus restreints, elle devait bien l’admettre. Même la nourriture, ici, ne lui convenait pas et les facéties de l’animateur l’assommaient.

Pour la première fois de sa vie, elle se perçut comme une personne déplacée. De retour dans son appartement, Manou se sentit à nouveau désorientée, elle ne

reconnaissait plus rien. Ses meubles, ses bibelots, ses livres, lui paraissaient étrangers, presque hostiles. Il commença à pleuvoir tous les jours et elle ne sortit quasiment plus.

Sa fille, Florence, prenait régulièrement de ses nouvelles par téléphone, mais Manou lui mentait : elle disait que tout allait bien, qu’elle venait juste de rentrer de promenade…

La télévision fut bientôt seule à rythmer sa vie.

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Un matin, toutefois, Manou voulut appeler Florence pour qu’elle vienne lui faire quelque course éreintante, mais elle ne se souvenait plus du numéro. Elle dut consulter son petit carnet noir. C’était pourtant un numéro qu’elle connaissait par cœur, elle en était certaine. Elle resta un moment, la main sur le téléphone, puis décida d’aller plutôt voir son docteur. Ce n’était pas bien loin : quelques pâtés de maisons, une rue à traverser, et puis le ciel s’annonçait juste gris, il ne pleuvait pas.

Le médecin ne décela rien de particulier. Il ordonna une nouvelle série d’analyses et lui prescrit quelques vitamines. La vieille dame rentra chez elle sans les acheter.

Le lendemain, à son réveil, quand Manou voulut se lever, elle fut prise de tremblements. Elle réussit à prévenir sa fille, qui arriva dans la journée. Florence habitait la campagne, non loin de Paris. Elle décida sa mère à venir s’installer quelque temps dans sa grande maison, afin de mieux veiller sur elle, pressentant qu’elle se nourrissait mal. Elle promit de passer régulièrement arroser les plantes et ramasser le courrier.

Elle ne savait pas, alors, que Manou ne reviendrait jamais dans son appartement. Mais cette idée, fugitivement, effleura sa mère. Aussi celle-ci glissa-t-elle la petite

photo de Milo en médaillon dans sa trousse de toilette. Sait-on jamais… par précaution. Le jardin de Florence était agréable. Il avait cessé de pleuvoir tous les jours et

l’automne fut très doux et ensoleillé. Sous le grand parasol, Manou passait de longs moments de tranquillité. Apparemment, elle ne pensait à rien, mais comment savoir ? Elle semblait écouter les oiseaux, elle caressait un peu le chat et contemplait les rosiers. Florence s’efforçait de lui faire de bons petits plats, mais elle n’avait pas faim. C’était dommage. Le soir, la famille avait coutume de regarder la télévision ; assise sur le canapé, Manou s’endormait vite. Sa fille lui conseillait alors d’aller plutôt se coucher… car elle ronflait quand elle dormait.

Peu après Noël, Florence tâta le terrain. Elle demanda à sa mère si elle avait envie de retourner dans son appartement, à Paris. Manou dut convenir que même si « sa vie d’avant » lui manquait, elle ne se sentait plus capable de vivre seule. Elle reconnut également qu’elle était certainement mieux ici, auprès de Florence, plutôt qu’avec des gens, des étrangers, qui viendraient s’occuper d’elle à domicile. Et puis, à quoi bon vivre encore à Montmartre si elle ne pouvait plus en profiter. Alors toutes deux conclurent qu’il fallait vider l’appartement, lui donner un bon coup de peinture et le mettre en location.

Quelque temps plus tard, Florence annonça à Manou que l’appartement était loué à un jeune couple dont la femme était enceinte. Elles se réjouirent de cette prochaine naissance dans l’appartement, qui avait résonné naguère, entre ses murs, de tant de gaieté et de bonheur.

Un matin de printemps, dans sa chambre, Manou voulut s’installer dans le fauteuil, près de la fenêtre, mais elle glissa à côté. Quand Florence entra avec le petit déjeuner, elle la trouva par terre en chemise de nuit, prostrée, toute gelée. Elle n’avait pas bougé, pas appelé. Sa fille ne sut pas depuis combien de temps elle gisait ainsi, car elle ne répondit à aucune de ses questions. Florence demanda le secours du S.A.M.U. Elle ne pouvait soulever sa mère ; celle-ci criait, d’ailleurs, dès qu’on la touchait, mais ne savait rien dire de son état.

Manou resta une semaine à l’hôpital, en observation. Elle n’avait rien de cassé, mais

perdit d’un coup toute sa mobilité, toute son indépendance. Elle refusait de manger. Bientôt elle ne parla plus. Elle ouvrait à peine les yeux quand on la sollicitait. Elle paraissait être entrée dans une sorte de somnolence chronique.

L’infirmière en chef prit Florence à part et lui fit comprendre qu’il fallait s’attendre au pire. Certes, Manou ne souffrait de rien en particulier, mais elle était usée et ses forces l’abandonnaient. Plus exactement, elle lui dit que « sa mère laissait tout aller ». On l’avait alimentée quelque temps avec une sonde, mais elle semblait ne plus rien assimiler. Le médecin avait alors ordonné un scanner, les échographies et les radios n’ayant fourni aucun résultat probant. -Vous savez, elle est tout de même dans sa 94ème année ! ajouta l’infirmière.

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-Oui, répondit Florence, bien sûr, mais moi je l’espérais centenaire… Manou mourut.

… elle voyait les infirmières s’agiter, sa fille lui tenir la main et les larmes couler sur son visage. Elle voyait ce vieux corps, sur ce lit d’hôpital, mais elle n’avait déjà plus rien à faire avec lui. Elle était attirée vers un cône de lumière. Elle revit en un instant le visage de ses parents, de ses sœurs, de son mari, de sa fille, de ses amis, de ses amants… puis défilèrent les moments les plus heureux et malheureux de sa longue vie. Soudain, elle fut aspirée par le tunnel lumineux, entourée de sons délicats et d’un tourbillon de couleurs extravagantes. Tournoyant comme une plume dans ce halo magnifique, Manou volait sur les ailes de ses 21 grammes… les 21 grammes de son âme humaine. Les 21 grammes de sa conscience.

Manou fit l’expérience de la courbure de l’espace, elle s’engouffra dans un improbable trou de vers et passa d’un monde à l’autre avec légèreté.

Elle avait souvent pensé à la mort et n’en était pas effrayée. Elle avait toujours eu la

certitude que la mort était une porte qui ouvrait sur un ailleurs, un passage qui menait à une renaissance.

Un plan s’était alors élaboré peu à peu dans son esprit. On ne peut pas dire que Manou croyait au Paradis, ni même qu’elle croyait en Dieu, si

ce n’est par une obscure superstition Elle avait été, comme beaucoup de femmes de son époque, élevée dans la foi chrétienne mais n’était guère pratiquante, détournée de la religion par les bondieuseries de sa propre mère. Tout juste priait-elle le soir dans son lit, pour s’endormir plus facilement. Rien ne vaut un « Notre Père… » pour vous vider l’esprit et vous aider à accoster doucement sur les rives bienfaisantes du sommeil. Simplement, elle avait beaucoup lu, car Milo aimait flâner sur les quais et y acheter des livres. Toute sorte de livres, principalement d’Histoire, mais aussi des romans policiers. Milo adorait les romans policiers. Manou pas du tout. Elle affectionnait plutôt les nouvelles de science-fiction et les recueils de pensées orientales. Elle prenait également grand intérêt à l’astronomie et à la nouveauté du big-bang. Milo, qui connaissait ses goûts, ne manquait jamais de lui ramener de ses escapades chez les bouquinistes quelques nourritures pour l’âme et les rêves.

Ainsi, Manou croyait-elle en la réincarnation. Du moins à quelque chose qui y ressemblait. Elle avait apprécié, récemment, pour l’avoir vu à la télévision : « 21 grammes », un film remarquable d’Alejandro Gonzales Inarritu. Ces 21 grammes qui, paraît-il, sont soustraits au poids du corps, lors de la mort, selon les expériences du médecin américain Duncan McDougall, réalisées au début du XXe siècle. On pouvait en déduire que c’était le poids de l’âme… ou de la conscience. Bien que la conscience soit une structure, un mode de fonctionnement, plus qu’une réalité physique. Alors on pourrait dire que l’âme est la quintessence de la conscience, une sorte d’huile essentielle…

Voilà quelles étaient les déductions auxquelles Manou était parvenue, vers la fin de sa vie. C’est Milo qui lisait les romans policiers et c’est elle qui était devenue fin limier.

Milo l’emmenait au théâtre, au cinéma, à l’opéra, aux courses. Elle menait avec lui une vie très parisienne. C’était un homme hors du commun : un joueur. Son absolu penchant pour l’indépendance l’avait conduit à devenir représentant de commerce, alors qu’il aurait pu être chef d’entreprise. Manou, à ses côtés, prit goût à s’habiller, à porter des chapeaux. Elle n’était pourtant qu’une petite vendeuse de lingerie fine. Lui, conjointement aux timbres -dont il était collectionneur attentif et précautionneux- et aux livres d’Histoire -qu’il affectionnait et ordonnait avec la même tendresse- s’adonnait à d’interminables parties de bridge, de tarot, d’échecs, de dames, de jacquet, qu’importe… Il potassait également, assidûment, les journaux des courses. Il gagnait, souvent. Il perdait, beaucoup.

Le couple n’était pas parvenu à équiper son intérieur du moindre réfrigérateur, ni du plus petit aspirateur, du moins avait-il évité un déménagement en achetant ce logis aimé.

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En effet, l’immeuble, mis en vente par appartements, les occupants du 6ème gauche avaient fait une bonne affaire en en devenant propriétaires, à une époque où l’immobilier était au plus bas. Quoique Milo fut hostile au crédit, il dut, néanmoins, en passer par là, tant la perspective de vivre ailleurs lui était insupportable…

On pouvait dire, sans aucun doute, que ces deux-là s’étaient aimés et qu’ils avaient, ensemble, bien profité de la vie.

Ils n’avaient eu qu’un enfant, Florence ; leur existence indépendante et si bien remplie de plaisirs partagés ne leur avait pas laissé le loisir d’en faire beaucoup plus…

Milo mourut trop tôt, trop jeune, à soixante ans à peine. Il abandonna Manou en pleine

force de l’âge, veuve prématurée. Le cœur avait lâché. Le cœur, son point faible. Son cœur de vieux libertaire n’avait pas résisté à la fête de mai 68. Il avait battu trop fort, un beau soir de grève générale, pour ce fol espoir : imaginer et réinventer sa vie !

Manou n’était pas femme à se résigner, ni à mourir de chagrin. D’ailleurs Milo ne l’aurait pas voulu. Bientôt à la retraite, elle s’était lancée alors dans la vie de jeune fille qu’elle avait manquée durant sa jeunesse laborieuse. Elle avait dû en effet travailler dur, dès treize ans, pour nourrir ses parents et ses sœurs -son père paralysé par l’arthrite ; dans un temps sans sécurité sociale, sans indemnités de chômage, sans retraites. Un temps difficile, vécu dans une laide campagne et qu’elle tenait à oublier.

Elle s’inscrivit dans un club de théâtre pour retraités, au nom prometteur de « l’Âge d’Or ». Monter sur les planches : le rêve de toute une vie. Elle apprenait scrupuleusement ses rôles, que ses petits-enfants lui faisaient répéter avec sérieux et un brin de malice. La famille, les amis, et les amis de ses amis, étaient conviés lors des représentations, où elle jouait toujours, remarquablement, des personnages difficiles. Elle impressionna son monde avec une magistrale interprétation d’Hécube, reine de Troie, dans une pièce de Jean-Paul Sartre, sans oublier La Dame de chez Maxim, de Georges Feydeau, qu’elle campait avec brio.

Elle voyagea un peu. Elle prit quelques amants. Elle s’occupa de ses petits-enfants. Elle vieillit doucement, confortablement.

Elle délaissa peu à peu le théâtre pour les conférences. Elle devint passionnée de cosmologie, de médecines douces et parallèles, de culture indoue. Puis, dernièrement, elle s’était initiée à l’informatique et surfait sur le Net comme une vieille routarde.

Un plan, donc, avait germé dans sa tête bien remplie. Peut-être en contemplant les rosiers de Florence. Peut-être inspiré par le chat ou dicté

par les oiseaux. Au cours de ses longues rêveries, dans l’ombre du grand parasol, lui revenaient sans

cesse des images du film de Stanley Kubrick : « 2001, l’odyssée de l’espace ». Elle l’avait regardé tant de fois qu’elle en connaissait toutes les séquences. Elle avait, certes, médité sur le monolithe étrange, mais restait marquée par le vieil astronaute entouré de livres vides, allant de la table au lit, et puis du lit au lit, et qui, pensait-elle, lui ressemblait un peu. Jusqu’à l’image finale de ce bébé traversant l’espace/temps, qui la hantait.

Elle n’avait plus rien à perdre. C’est Milo qui avait été joueur et c’est elle qui tentait son va-tout.

Manou s’était laissé mourir. C’est le cœur de Milo qui avait battu pour les utopies de mai 68 et c’est Manou qui

faisait sa révolution. L’avenir sur cette Terre lui semblait bien terne, désormais, malgré la sollicitude de sa

fille et de son gendre. De ses petits et arrières-petits enfants, qui passaient l’embrasser le dimanche. Des promenades en voiture, où elle avait l’illusion de se mouvoir, mais où elle ne portait plus le moindre intérêt au paysage ; d’ailleurs, elle n’aimait pas la campagne.

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Elle ne voyait poindre à l’horizon… qu’un fauteuil roulant. Du fauteuil à la table et puis du lit au lit… son astronef était resté dans son

appartement, mais c’était pour elle toujours un même décor jauni, fané, passé, qu’elle trimballait avec sa vieillesse.

Et puis il y avait eu la promesse du bébé. Un bébé dans son appartement… Et le rêve avait germé doucement. Elle flottait dans les nuages. Elle traversait leur épaisseur ouatée sans aucune

difficulté. Elle perçut des présences attentives et douces qui la guidaient dans l’espace. Un espace indéfini, bleuté, où elle avait cependant l’impression de se mouvoir, comme si elle nageait dans le ciel. Quoiqu’elle ne fût jamais une bonne nageuse, elle n’avait là plus peur de perdre pied : elle avait complètement perdu pied, mais aucune angoisse ne l’étreignait.

Toute notion de temps lui était étrangère. Elle planait, bienheureuse. Elle entendait la musique céleste et des bruissements d’ailes. Etait-ce ceux des anges ?

Que voyait-elle ? De la neige ? Des pentes neigeuses à perte de vue ! tant de blanc ! ou alors glissait-elle sur un toboggan de nuages ? Y avait-il une destination à cet incroyable parcours ?

Des voix, oui, des voix l’interpellaient ! Mais prononçaient-elles seulement son nom ? Du moins, on l’appelait. On lui parlait. Quelle langue ? Qu’importe puisqu’elle comprenait : on l’invitait à s’asseoir sur un divan.

Un divan bleu, immense, qui semblait, ma foi, confortable. Elle s’assit donc, dans sa chemise de nuit blanche. Fine. Elle s’y connaissait bien en lingerie. Mais cette chemise-là était longue, bien trop longue, avec une traîne, comme celle d’une robe de mariée, s’étirant en un interminable cordon d’argent qui se perdait dans les nuages. Elle était là, blanche, sur un divan bleu.

Puis, près d’elle, elle perçut une ombre blanche, une même chemise, puis d’autres encore, sur le grand divan bleu. On aurait dit des fantômes. Les chemises recouvraient toutes les formes, dont on ne distinguait aucun trait. Ainsi que des vêtements jetés sur un vaste canapé, des housses de fauteuil abandonnées, les chemises, pourtant, étaient habitées et se gonflaient parfois imperceptiblement. Plutôt faisaient des vagues, des plis dans les plis. Comme si quelque brise légère agitait leur étoffe fine.

Devant les ombres blanches posées sur le grand divan bleu incurvé : un mur de nuages.

Bientôt elle vit –mais voyait-elle ?- un tableau lumineux apparaître. Des lumières dorées clignotaient, se rejoignaient en formant des lettres, des lettres qu’elle reconnaissait. Des noms familiers qu’elle identifiait. Des destinations ? Un tableau de départ d’aéroport ?

Des noms de galaxies, de systèmes solaires, de planètes s’affichaient peu à peu. Aldébaran, dans la constellation du Taureau ! Une de ses préférées. Alpha du Centaure… et la planète Manu-Manu. Bételgeuse, Andromède !

Des galaxies lointaines peuplées de systèmes solaires lointains et de planètes tout aussi lointaines, un peuple de mondes dont elle eut soudain le souvenir. Un flot d’images tournoya autour d’elle, elle contemplait le cœur des galaxies, les nébuleuses, les myriades de soleils, les naines blanches et les géantes rouges. Elle faisait partie de leur course. Elle avait, d’ailleurs, toujours su cela. Elle avait déjà vécu sur quelques unes de ces planètes, au cours de ses différentes vies. Ses différentes vies… elle se souvenait de toutes à présent. Une vingtaine, tout au moins, peut-être même plus… Ainsi son âme, sa fleur de conscience, s’enrichissait, se renforçait-elle, à chaque incarnation. Elle venait, ainsi, d’arriver de la Terre, transportée par la bulle de 21 grammes de son astronef céleste.

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Toute une mémoire lui était restituée. Une mémoire perdue, elle le savait, à chaque incarnation, à chaque chute dans la matière.

La mémoire totale de l’Univers. Une grande bouffée d’amour et de bonheur l’envahit. C’était comme des retrouvailles

espérées depuis bien longtemps, dont elle avait rêvé si souvent qu’elle n’était plus tout à fait sûre qu’elles se produisent un jour, et qui se réalisaient, enfin !

Le Royaume ! Elle avait réintégré le Royaume ! Elle était revenue au bercail, dans l’éternité de la beauté et de l’amour. Plus rien ne la séparait de rien, elle faisait UN avec le TOUT. L’allégresse qui la saisit

était au-delà de toute forme de bonheur, c’était une plénitude, une merveilleuse certitude, un élan infini d’amour et de tendresse. Juste, elle était. Et juste elle serait. De toute éternité.

Un clavier virtuel glissait sous ses mains, qui n’étaient pas des mains, d’ailleurs, mais

des formes transparentes comme un corps de méduse. Il lui fallait choisir une destination. Si elle désirait une destination… car elle pouvait rester là, sur ce divan, pour un morceau d’éternité. Une manne la rassasiait. Tous les choix, tous les possibles lui étaient ouverts.

Mais ce n’était pas tout. Un listing entier de formes vivantes apparaissait. Une débauche d’inventions, de la coccinelle au dindon, du kangourou à la girafe, de la panthère noire au rouge-gorge, de la baleine bleue, à la pieuvre, mais aussi des tournebus1 aux graffetons, des rhibonotrons ainsi que des poucifères aux swatzings et aux drimouzes, enfin, toutes les formes de vie que l’Univers, depuis son origine, avait essayé de faire fonctionner sur toutes les planètes habitables. Elle n’avait qu’à choisir. Si elle voulait choisir.

Elle pouvait partir ou rester. Elle était investie d’une liberté absolue. Aucune contrainte, aucune pression, aucune obligation ne la sollicitait.

Ici, tout n’était qu’amour total. Il n’y avait pas de jugement, pas de mérite… que de la conscience.

Ici, tout n’était que compréhension, beauté et émerveillement. Se souvenait-elle encore de son plan ? Avait-elle d’ailleurs un plan ? Un désir ? Un désir… un désir de vie. Un désir de mer. Un désir de soleil et de printemps. Un

désir de Terre, un désir d’humanité. Un désir de caresses et de corps enlacés. Un désir de musique et de chansons légères, de peinture, d’images, de danse. Un désir de travail et d’effort. Un désir d’attente et de sensations. Un désir de visages. Un désir de sourires et d’humour. De cuisine et de bon vin. De jeu et d’incertitude…

Tout est possible mais rien n’est gratuit. Elle avait accès au Grand Livre de l’Univers et elle « voyait ». Elle voyait le Monde et l’état du Monde…

1 Inutile de chercher ces bestioles dans le dictionnaire…

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Chapitre II L’Univers, après le Big-Bang, s’est associé, complexifié, de quarks en quarks,

d’atomes en atomes, de soleils en soleils, de galaxies en galaxies, d’amas en amas ; issus de la poussière des premières générations d’étoiles, explosées, mortes au champ d’honneur, d’autres systèmes solaires se sont formés, entourés de planètes, où se sont agrégés les nouveaux éléments fraîchement cuits au cœur des étoiles défuntes : ces grands chaudrons célestes. Et toujours d’atomes en atomes, de molécules en molécules, la matière a continué de s’associer et de se complexifier pour former le minéral, le végétal et l’animal, puis… l’Homme.

La conscience s’est installée peu à peu, comme une structure, un fonctionnement, issue de l’intériorité, dès la plus minuscule corde vibrante se refermant sur un espace.

C’est une constante de la matière que de s’approprier, de faire SOI, l’espace qui la circonscrit.

L’occupation des lieux : il faut penser pourtant qu’elle ne peut être qu’ÉPHÉMÈRE ! On arrive, on pose son sac, on accroche sa veste. On installe ses objets de toilette, déjà,

on occupe. On marque son territoire. On établit ses frontières. On place ses bibelots, ses vêtements, ses couleurs, ses odeurs. Comme les animaux, on prépare son nid, sa tanière, son lit. C’est bien ! On en a besoin pour s’y reconnaître, pour se reconnaître !

Mais d’abord, et c’est primordial ! il faut prendre possession de son corps. Car habiter son corps, c’est déjà habiter quelque part ! Et, même dans le plus petit des espaces, on peut poser ses marques, placer ses jalons, jusqu’à ce que… Dans le cercueil ? C’est encore une occupation des lieux. Il est vrai que le seul moyen d’occuper le moins de place possible, d’être vraiment du goût de l’éphémère, c’est l’incinération. Les cendres s’éparpillent… Bien sûr, on s’interroge. On est en droit de se demander quel volume de cendres « ils » mettent réellement dans l’urne. Si ce sont vraiment les cendres du défunt… ou… des cendres quelconques… comment savoir ? Y a-t-il eu des enquêtes de consommateurs ? Un service après vente ? Sérieusement, « ils » pourraient mettre n’importe quoi dans les urnes -des bulletins de vote, par exemple- on n’y verrait que du feu, et, ça ne changerait pas grand chose. Occuper une part de terre, au cimetière, c’est encore beaucoup, surtout si les concessions sont perpétuelles. Quel doux euphémisme ! Elles sont de toute façon perpétuelles pour celui qui les occupe ! Condamné à perpétuité à la mort du corps, seul organe sensoriel par lequel on « saisit » le monde –comme au mode informatique- seul intermédiaire.

Alors, quand il n’y a plus d’intermédiaire, qu’advient-il ? On redevient le Monde, l’Univers lumineux, uni et illimité. On n’est plus du vivant saisissant : le mort saisit le vif ! on devient du mort passif.

Binôme en indivis, développé au fil de l’évolution, le corps perçoit l’Univers de manière réceptive et le cerveau le saisit de manière active/pénétrante. Cet ensemble cohérent -du moins supposé tel- a une valeur dans le « tout » qui dépasse la somme des parties. C’est un supplément d’âme. N’est-ce pas justement ce supplément qui échappe à la mort ? Ce supplément est une création/symbiose de quelque chose, « pris » à l’Univers : sa com préhension. Donc, et dans une moindre proportion que notre corps, un peu de sa texture et de son essence, un reflet de son être. Un hologramme. Une fractale, irréductible à l’infini. Une sorte de 3, 14159265358979… Cette accumulation, ce petit « plus », semble dépendre des personnes. Non de leur poids… mais de leur degré de conscience. Nonobstant qu’avec le même corps, doté du même cerveau, il se devrait d’être identique. Ce petit « plus », donc, forme une bulle d’énergie, un condensé qui ne peut se dissoudre par enchantement. Pas de corps sans conscience, pas de conscience sans corps… mais le corps subtil, l’âme, forme un champ. Un chant… Un champ magnétique ? Un chant de baleine ? Un roucoulement de pigeon ?

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Mais revenons à l’occupation des lieux, tellement dérisoire et tellement pensée comme perpétuelle par toutes ces cités orgueilleuses aux démesurés gratte-ciels, qui sont autant de tours de Babel, dont il ne restera rien, un jour…

Car, comme une évidence, que reste-t-il des autres cités orgueilleuses qui les ont précédées, dont même le nom mythique nous est à peine parvenu ? Il n’est nullement besoin que viennent les « galactiques » ou les Elohim, pour détruire Sodome et Gomorrhe ! Le temps, les tsunamis, les guerres, la désaffection et la déshérence feront leur œuvre. Quoi ? Un espace avec murs, un espace sans murs ? Et voilà le même lieu occupé différemment. Il suffit de constater le changement qu’apporte le percement d’une porte ou d’une fenêtre dans un endroit familier. Le vide étrange ouvert soudain par un immeuble démoli. Les villes du futur seront sans murs, virtuelles, faites de champs de force, malléables à l’extrême, colorées, décorées, selon le goût du jour. Ephémères… elles ne laisseront pas de traces lourdes de leurs fondations… pas de ruines…

Pourquoi avons-nous sans cesse besoin de murs et de frontières ? Est-ce une peur de nous dissoudre qui nous habite ? Et qui nous pousse à habiter ?

Ce besoin de se couper de l’infinitude de l’Univers, c’est justement la protection, l’affirmation du SOI. Il existe dès la plus infime particule.

L’Energie est Première, sans Genèse, permanente et inaliénable par construction. Elle ne cesse de se transformer, de danser, de vibrer, de produire. De se fondre en trous noirs avant d’exploser à nouveau en de multiples big-bangs, qui jettent sur le Tapis Vert, les Dés du prochain Univers.

Il naît d’une virtualité du Vide... un Zéro se forme d’une volute… Et par cette ouverture, voilà qu’une poignée de particules, de graines éjectées du

bouillonnement du Vide, de quelque compression de trou noir, roulent sur le tapis du Champ des Merveilles.

Née d’un orgasme vibratoire, d’une sorte d’éjaculation céleste, la semence se répand… coup de dés prodigieux ! 421 magistral !

C’est BIG ! Et ça fait BANG ! En attente sur le quai 9 ¾

Trois quarks à l’échelle de Planck Propulsés sur l’échelle de Richter Grimpent à l’échelle de Jacob… Petit poème cosmique

Mais dès que quelque chose naît… apparaît la symétrie. La symétrie : le double, le placenta, l’ombre -et la lumière… La matière et l’antimatière, les particules et les antiparticules, l’envers et l’endroit. De

l’un que l’on partage, sort toujours le deux, puis le multiple. L’Univers est mathématique. La flèche du temps et le déploiement de l’espace/temps ont engendré une brisure de

symétrie, nécessaire pour que quelque chose advienne, que quelque chose devienne. C’est l’once de conscience, de désir et de choix qui fait que l’immensité virtuelle

devient une réalité. Que la fonction d’onde s’effondre en particule. Croire n’est pas suffisant, il faut comprendre. Sans le gazon fertile que forme le tissu de l’espace/temps et qui relie tout ce qui existe

dans l’Univers, rien ne serait possible. L’Univers tisserand, le Grand Ancêtre Canut, a brodé cette toile fabuleuse, dont les cordes vibrent dans le moindre électron, le moindre photon, le moindre neutrino qui la traversent ; à tout flocon de rêve, à toute once de désir, à tout grumeau de haine, à toute poussière d’avidité, à tout soupçon d’amour.

Tout est sensible dans l’Univers et les lois qui le régissent sont les mêmes jusqu’en ses plus infimes recoins. Rien de ce qu’il advient, de ce qui devient, qui ne soit perçu par son être.

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Dans l’immédiateté d’un au-delà de la vitesse de la lumière. Un hyper-espace inconnu à ce jour ; car ce qui a été uni, reste à jamais corrélé, par des connections intimes qui s’appartiennent. Un de ces paradoxes auquel ne voulait pas croire Einstein.

-Dieu ne joue pas aux dés ! disait-il ! Eh bien, dans l’Univers, on joue bien aux dés, simplement, ce n’est pas Dieu qui

joue… La conséquence inattendue de la connaissance de la structure de l’Univers implique

une plus grande conscience de la portée de nos actes et de nos choix. De ce long voyage de maturation à travers la matière : les particules élémentaires, le

minéral, le végétal et l’animal, la conscience humaine est issue et s’est façonnée peu à peu. Mais les règles qui régissent les sociétés humaines sont rigides, lourdes et

contraignantes, élaborées pour la survie des espèces. Elles dérivent du modèle animal. Elles ne s’exercent que sur des « territoires », par la loi du plus fort -ou du plus malin,

par le combat, le besoin, jamais par l’amour, que l’on croit, à tort, être le propre de l’Homme. Seuls un Gandhi, un Luther King et quelques autres, trop rares cependant, ont ouvert une nouvelle manière d’être au monde, sur les traces d’un Bouddha, d’un Jésus. Nos lois ne sont faites que de vengeance et de pénitence, jamais d’interrogation, de compréhension et d’amour. A la loi du Talion s’est substituée une justice toujours répressive, qui n’a exclu ni les tortures les plus sophistiquées, ni la peine de mort, malgré le « tu ne tueras point ! » de Moïse -jamais respecté par aucune des religions du Livre.

Condamner les hommes n’a jamais cessé d’être, de même que condamner les peuples en leur faisant la guerre. Si au fil des époques, par une étrange coquetterie… nous nous somme attachés à faire la distinction entre civils et militaires, ce n’est en fait qu’une vaste escroquerie pour apaiser la conscience des âmes sensibles. Et, symétriquement, un peuple n’est jamais innocent des choix de son armée.

Chacun sait les dégâts occasionnés par les mines et les rockets, quant aux bombes, Hiroshima et Nagasaki en ont démontré les ravages, ainsi que le peu de cas fait de la vie humaine, par l’ensemble des peuples de la planète. Peuples réduits à des pièces sur un échiquier. Nous appelons cela, simplement, de la Politique !

Il faut du temps, bien du temps, de l’espace, encore de l’espace, pour que les choses évoluent, pour que les peurs se dissipent, pour que l’éducation et la culture portent leurs fruits. Pour que, sur l’Arbre, mûrisse le fruit de la Connaissance.

Celui dont on ne peut manger… avant d’être, soi-même, devenu ce fruit. Nous avons bâti nos civilisations sur la violence du meurtre, de l’injustice, de

l’esclavage, sur la prostitution à l’argent, sur le mépris de l’autre et de tout ce qui vit, et nous voudrions à présent que nos enfants soient beaux et sains. Ils sont juste gras et laids. Ou exsangues et tragiques.

Comme des silex, les os de nos charniers remontent des profondeurs de la terre et la violence fondatrice, enfouie depuis des siècles, envahit nos écrans. L’amoncellement de nos déchets est sur le point de nous submerger. Comme une ancienne pellicule photo, plongée dans un bac de révélateur, la pellicule-Terre, impressionnée par notre passé, nous dévoile aujourd’hui une image dérangeante. Cette épiphanie nous bouscule, comme un noyé-assassiné qui referait surface, bouffi de reproches et de ressentiments. Nous récoltons juste ce que nous avons semé. Nous, les « Monsanto » de la planète Terre.

Il serait temps d’ajouter quelques grammes à notre âme et conscience. Personne ne voudrait-il la paix sur cette Terre ? Il est urgent de se rendre compte que

tout le monde veut la guerre !

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C’est, du moins, ce qu’exprime la montée aux extrêmes de la violence, de cette humanité médiatique et mercantile. Cette société de consommation, qui se veut de communication, mais n’est qu’une société de faussaires, propageant des informations frelatées, déformées, écrites dans les cabinets.

Ce que reflètent les murs taggués de nos villes en est l’illustration la plus flagrante : toutes ces scarifications sur les murs, ces tatouages sur les peaux sont l’indice d’un besoin d’appartenance, d’une désespérance de laisser quelque trace. Autant de cris gravés pour dire « j’existe », je suis « moi », au milieu de cette bouillie cacophonique, véritable Enfer du Musicien1 ; de cette entropie galopante à tout délayer, mélanger, récupérer, refroidir, amoindrir.

Quant à la souffrance et aux maladies, elles sont de notre fait. Elles sont les conséquences de notre convoitise, de notre mépris de la nature, de notre ignorance et de notre méconnaissance de nous-mêmes. De la méconnaissance de l’ordre et des lois du Monde, des lois de l’Univers.

Nous devrions suivre harmonieusement des lois harmonieuses et dissoudre toutes les rigidités de nos cultures sclérosées et statiques, de nos croyances obsolètes.

Nous sommes entièrement responsables de nous-mêmes, de notre corps. Nous sommes les seuls maîtres de nous-mêmes.

Personne n’a le pas sur nous, personne ne nous regarde, ne nous juge, ni ne nous guide, que nous-mêmes. Nous sommes libres…

La plupart des animaux savent se soigner en prélevant ce qu’il leur faut dans la nature. On l’observe facilement chez les chats mais aussi chez les grands singes, qui connaissent les plantes qui les guérissent. L’Homme a perdu ce savoir, réservé à présent aux spécialistes, aux lobbys pharmaceutiques et à quelques tribus qu’on dit sauvages et arriérées.

Cependant, dans les sociétés « premières » et primitives, dès la disharmonie de l’âme –qui engendre les symptômes du corps- l’Homme avait à sa portée toutes les plantes de la nature, dont il connaissait les vertus de mémoire ancestrale. Sinon, on réunissait la famille, le village, et le chaman tentait de rétablir l’équilibre ; la plupart du temps, il y parvenait, il y suffisait. Les morts, quand venait leur heure, rejoignaient tranquillement les ancêtres ; ils continuaient à faire partie de la famille.

Jusqu’à ce que la horde des colonisateurs n’envahisse l’espace vital de ces populations et ne propage ses microbes ainsi que ses certitudes mortifères -les désorganisant à jamais- elles vivaient en harmonie avec le Monde. Et le Monde, comme elles, avait une âme.

Dans nos sociétés, dites modernes, ou mieux, postmodernes ! on se déresponsabilise de son corps au profit de la médecine toute puissante. Si on pense en avoir une, on confie son âme à Dieu. Sa vie aux politiques. Sa pensée aux critiques de télévision. Sa nourriture aux multinationales. Sa mort aux maisons de retraites. Et les morts à nos pleurs. Cessez de pleurer sur les morts ! Ils sont déjà ailleurs et vos cimetières sont vides. Quand vous pleurez sur les morts, c’est sur vous-mêmes que vous pleurez ! N’attendez pas de résurrection quand il n’y a que transformation, mutation et changement ! Evolution… L’Univers se transforme au fur et à mesure de son expansion, au fur et à mesure du développement d’une plus grande intensité de conscience.

Cependant l’Univers est une équation simple. Si simple que nous peinons à la concevoir. Einstein eut cet éclair de génie de mettre en équation l’énergie. Il a, pour ainsi dire, mis Dieu en équation : E = mc²

Le vide que l’on croyait vide est finalement grouillant d’activité. 1 L’enfer du Musicien –Peinture de Jérôme Bosch, faisant partie du triptyque du Jardin des Délices.

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Rien n’est jamais statique et toute chose n’est en somme qu’un événement. Une conjonction dans la conjoncture. Chacun est un nœud, chaque être, chaque objet. Nous sommes des grumeaux d’énergie, condensés en matière, dans le tissu de l’univers.

Nous créons tous notre propre gravité. Nous avons nos lignes de force et nos champs de répulsion. Chacun de nous est en mesure d’arrêter le temps dans ses moments parfaits. Nous avons tous notre relativité personnelle.

Il est certain qu’au sein des milliers de milliards de galaxies peuplant l’Univers,

tourbillonnent des milliards de milliards de systèmes solaires, autour desquels gravitent des milliards de milliards de milliards de planètes.

Parmi ces planètes, il paraît inévitable –selon les lois de probabilité- que quelques milliards soient habitables et que la vie et la conscience s’y développent parallèlement. La forme humaine n’est sans doute pas la seule qui soit apte à développer un cerveau conscient de lui-même. Mais elle est peut-être une des plus adaptée à affronter l’immense champ des possibles.

La pieuvre, le dauphin, la baleine, ainsi qu’une foultitude d’autres espèces, ont développé une grande intelligence dans le milieu marin. Nous ignorons, cependant, jusqu’à ce jour, quel est leur degré de conscience.

D’autre part, le milieu aquatique est limité, restreint aux océans, et, s’il fut le berceau de la vie sur la Terre, il demeure cependant peu apte aux grands travaux de forge et au développement des techniques -qui passent par le Feu, que seul l’Homme maîtrise. Qui sait pourtant si les abysses ne recèlent pas quelque créature-phénomène, capable de replier l’espace/temps, comme l’avait imaginé Franck Herbert dans Dune, avec la Guilde des Navigateurs ?

Quant aux lois de l’aérodynamique, elles prévoient des ailes pour voler mais l’espace à portée de vol d’oiseau reste quelque peu réduit, même si de beaux espoirs furent fondés sur la libellule !

L’Homme a la faculté de façonner des outils qui prolongent son corps, sans l’encombrer de vains artifices. Il a su, au fil du temps, inventer et modeler ce qui lui manque : pour se déplacer plus vite sur terre, dans l’eau et dans les airs, tout en restant relativement protégé. Tout en gardant lui-même sa grande mobilité. C’est un modèle d’économie du vivant.

La conscience réflective étant une structure émergente de la plus grande complexité, elle a dû apparaître ailleurs dans l’Univers. Humaine ou non humaine.

Toutefois, ce que nous appelons humanité, ne relève pas de l’Homme proprement dit. Car l’humanité de l’Homme reste à démontrer. Sa capacité d’altruisme et d’amour reste sujette à caution. Du moins, dit-on pudiquement que l’Homme n’est qu’une promesse, mais qu’il n’est pas encore… Il est en hominescence… selon Michel Serre.

Ce qui importe, précisément, c’est son degré de conscience et ce qu’il fait de cette conscience. Il est vrai que si elle ne lui sert qu’à produire, vendre et consommer, l’Homme perd beaucoup de son intérêt. Si son existence sur cette Terre se résume à ces gesticulations auxquelles il se soumet, il se réduit lui-même à l’état de pantin sans âme. Et, parallèlement, l’Univers pourrait tout aussi bien n’être qu’un décor virtuel, un « fond d’écran », identique à celui d’un ordinateur.

L’intelligence et la curiosité ont cependant poussé l’humanité sur la voie de la connaissance et elle a réalisé des prouesses d’ingéniosité pour se rendre maitresse de son milieu naturel. Mais en ce qui concerne la connaissance de soi, l’Homme est encore bien loin du compte. Il se perçoit toujours comme une machinerie complexe, alors que son corps est un instrument de musique hors pair, où s’exercent les forces de la nature, qui jouent en virtuose sur les pianos du cœur et les violons de l’âme. Ainsi qu’a su le chanter le poète, Léo Ferré.

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Néanmoins, la plupart des humains traitent ce Stradivarius comme un simple cageot, tant ils restent ignorants d’eux-mêmes, tant ils se manquent de respect. Le gros cerveau dont ils se targuent ne fonctionne qu’en sous-régime.

L’Homme ne fait que tout interpréter à sa petite mesure, à travers son prisme restreint. Il risque certes, à court terme, de passer, comme les dinosaures, au compte pertes et profits de l’Univers. Car l’Univers est excellent comptable, il équilibre toujours son bilan : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Dans la course à la performance -dont il se veut le champion- le « petit homme », si justement analysé par Wilhelm Reich1, est en passe d’être disqualifié !

Un certain Charles Darwin a pourtant mis à jour une partie des lois de l’évolution.

Elles s’appliquent à tout l’Univers. Dans la course à la performance et à la survie, ces noiseux de Terriens semblent bien mal partis !

1 « Ecoute, petit homme ! » W. Reich. Ed. P.B.P.

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Chapitre III -L’Homme est si vulnérable ! -Qui dit cela ? -C’est moi ! Une forme lumineuse prenait soudain la parole. Un homme de lumière contrebalançait

ces pensées peu amènes. -Comme tu es sévère ! disait-il… L’Homme a du mérite, il vient de si loin ! Jeté sur la

Terre sans mode d’emploi, il se laisse facilement berner, abuser par ses sens. Il a peur. Il n’a pour se défendre que son intelligence et, comme Ulysse, sa ruse. L’amour n’est pas inné ! L’amour vient de la compréhension et de la compassion, nées elles-mêmes d’une plus grande conscience de ce qui fait «l’autre ». Pour véritablement aimer, il faut d’abord cesser d’avoir peur. Car aimer ce n’est pas posséder, ni asservir et ce n’est pas non plus simplement répondre à un besoin. Non, aimer, c’est voir dans le noir ! Ecouter.

Bien sûr, les Hommes confondent amour et désir. Ils disent « je t’aime » à tort et à travers, mais qu’importe, ils éprouvent leur sensibilité. Et ils ne peuvent évoluer que par les autres, qu’avec les autres. Tout le secret des choses est dans la relation. Il faut approfondir la relation, pour permettre à la beauté d’émerger.

L’intériorité de tous les hommes est la même que l’intériorité de toutes les femmes. Au cœur de chaque particule, de chaque grain de sable, de chaque être vivant, il y a la beauté de l’Univers qui sommeille et qui se reflète, comme une étoile au fond d’un puits.

Pourtant chacun à son identité. A chaque entité vivante, correspond un corps parfait, une réalisation idéale, à quoi elle

tend, tout au long de son existence. Et il n’y a que la relation qui puisse accomplir ce prodige. Certes, des routes sont plus faciles à cheminer que d’autres, des compagnonnages plus

délicats à affronter, il y a tant de blessures ! Mais vivre ne revient qu’à éprouver le monde et être humain, à tenter de le guérir et de le réparer.

Toute violence est une souffrance exprimée, qui se heurte à la surdité de l’autre. Il est curieux que l’Homme, dans l’ensemble de ses représentants, ne saisisse pas que

l’Univers ait besoin de la conscience pour établir une relation profonde. Plus la conscience de l’Homme grandit, plus grandit celle de l’Univers. Et plus se révèle leur beauté réciproque.

A quoi servirait la splendeur de l’Univers, s’il n’y avait d’yeux pour le voir ? A quoi servirait son étonnante complexité, s’il n’y avait d’intelligence pour

l’appréhender ? A quoi sert la beauté d’une femme –intérieure ou extérieure… s’il n’y a un homme

pour l’apprécier ? Et la force d’un homme, s’il ne peut l’éprouver ? Un chef d’œuvre enfermé dans une cave n’a aucune existence. Cependant, on ne peut pénétrer à l’intérieur des choses, comme à l’intérieur des êtres,

qu’avec amour. Sinon on reste à la surface. On ne peut pas non plus rentrer par effraction, sous peine des plus grands dommages. Et l’interdiction de manger du Fruit ne vient que du fait… qu’il n’est pas mûr…

Mais il est vrai qu’en ce début de XXIe siècle, l’Homme est en train de bugguer. Il lui faudrait changer d’air… changer d’aire… changer d’ère… faire une transition de phase pour passer à l’étape suivante !

Einstein disait qu’aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l’a engendré.

Les formes, sous les chemises, s’agitaient quelque peu. Des remous paraissaient les secouer. Leur blancheur s’estompait, pour laisser s’installer les couleurs.

Les paroles de l’homme de lumière semblaient avoir ravivé les esprits.

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Cependant, nulle voix humaine n’avait retenti. Rien n’avait troublé la musique céleste. Les formes se comprenaient bien au-delà des mots, comme de l’intérieur.

La chemise de Manou devint rouge… elle glissait vers la confusion… ce qu’elle se disait dans le secret de son âme, avec tant d’arrogance, était soudain perçu par le tout un chacun !

Comme elle était honteuse de son peu de modestie et de son manque évident de compassion, durant ce monologue intime. Il est vrai qu’il y avait longtemps qu’elle n’avait pu échanger des idées avec un partenaire qui ait eu quelque chance de les comprendre. Oui, très longtemps… depuis Milo…

-Milo ? Emile ? Emile Chazard ? -Tu penses tout haut ! je te l’ai fait remarquer bien souvent… Manou était de plus en plus confuse. Elle avait rêvé, élaboré un plan dans son esprit, souhaité quitter son vieux corps, mais

dans tous ses projets… elle n’avait pas pensé à Milo, elle ne l’avait pas inclus. Il était sorti de sa vie, mais il était également sorti de sa mort. -Je commençais à trouver l’éternité bien longue, sans toi ! ajouta l’homme de lumière. -Que veux-tu, j’ai traîné… rétorqua Manou, mais je sais que tu n’aurais pas aimé que

je fasse autrement ! Même si j’ai vécu plus de temps sans toi qu’avec toi, tu m’as souvent manqué !

-Disons, quelquefois… Ah ! Comme elle aurait voulu lui sauter au cou, le serrer dans ses bras, pour le lui

démontrer, lui marquer son amour ! Mais que ferait d’une chemise, un homme de lumière ? Autant tenter d’étreindre du feu avec un courant d’air ! Une pointe de ressentiment l’aiguillonnait pourtant. C’est bien lui qui l’avait quittée, abandonnée, comme un qui part, soudain, chercher des allumettes !

-Mais toi -qui fais ce que tu veux de ton éternité… pourquoi n’es-tu pas déjà dans une autre vie ?

-Je t’attendais… Manou passait doucement à l’orange… la surprise, la joie, la tendresse, le regret, se

disputaient son âme. Elle n’avait pas espéré cela. Plutôt… elle n’y avait pas pensé du tout. Elle avait dû se passer de Milo pour continuer à vivre. Et la vie avait pris le dessus. Elle avait été contrainte à faire le deuil de sa relation avec lui, à une époque où elle

n’était pas encore parvenue aux conclusions de son grand âge. Elle n’espérait pas le retrouver. Quand elle avait commencé à sérieusement envisager la réincarnation comme étant

une chose possible, voire probable… elle y avait inclu, immédiatement, le fait que Milo avait dû s’investir, depuis longtemps, dans une autre vie. Vie, dont elle ignorait tout.

Bien sûr, elle avait divagué quelque peu… Etait-ce lui, le pigeon venu si fréquemment cogner à son carreau, depuis le balcon ? Lui, le chat demeuré tant d’années son compagnon affectueux ? Lui, investi dans la vie du premier fils de leur fille Florence, né à peine un an après la mort de son grand-père ?

Puis, elle avait jugé cela stupide et réducteur. Il y avait tant de chemins à explorer dans différentes vies, que Milo, si épris de liberté, si joueur, avait dû se trouver quelque destin plus excitant que les toits de Montmartre, les coussins du salon de l’appartement, ou la vie bucolique avec Florence ! lui qui aimait tant les plaisirs de la ville.

-Ah si ! le pigeon, c’était moi ! et puis j’ai compris que ce n’était pas ma place… Comme tu l’as pensé si bien, j’avais mieux à faire. Mais à cette époque, ce n’était qu’un coup de dés…et, je me suis fait écraser par une voiture. Ici, vois-tu, je fais quelque chose de très utile… justement : j’accueille les nouveaux venus ! On se doit d’occuper son éternité d’une manière ou d’une autre et je n’aurais pas voulu te manquer lorsque tu repasserais par M…

-M ?

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-L’aurais-tu oublié ! Ici, nous sommes à M : le Mystère, la Matrice, la Mère, la Méthode, le Moule, le Milieu : le Cœur du Royaume !

Tu étais, toutefois, assez bien préparée –si l’on peut dire- au Grand Voyage. Tu as tout de suite reconnu le Royaume et tu t’es souvenue de tes différentes vies. Mais il n’en est pas de même pour toutes les âmes de passage.

La plupart ont murée vivante leur mémoire, l’ont enfouie parfois si profond, qu’elle ne peut ressurgir immédiatement. Pourtant… tous les êtres sont déjà passés par M !

-J’ai bien eu quelques flashs de vies, comme antérieures, du moins venues « d’ailleurs ». Mes voyages, mes rencontres, me suggéraient parfois des images inédites. Mais je me demandais, conjointement, si je n’étais pas en train de devenir gâteuse… ou si certaines de mes lectures ne m’égaraient pas quelque peu. On n’est jamais sûr de rien…

-Comme tu doutes de toi-même et de ton entendement ! -Ma foi ! -Surtout n’y mets pas de foi ! Quand j’en vois le résultat sur les âmes qui m’arrivent !

Prêtes aux grands sacrifices, avides de punitions, molles de repentir ! Comme de petits enfants fautifs, attendant le juste châtiment du Père. Seulement, il n’y a pas de père ici. Nous œuvrons simplement pour les guider un peu, avant que ces pauvres âmes ne fassent le genre de bêtises que j’ai fait moi-même : revenir en pigeon…ou je ne sais quelle autre absurdité ! Ce n’est que de la souffrance inutile, car il n’est pas facile, après avoir été homme, de se plier à la vie de pigeon et à la contingence que cela implique.

L’attitude des humains envers les animaux est alors encore plus désespérante. Transparents ! sans sensibilité, sans âme ! Ils nous perçoivent, presque dans leur ensemble, comme des objets, des meubles, au même titre que les arbres, les fleurs, les montagnes et les mers : un décor posé-là pour leur seul agrément ! Ils se pensent très différents et totalement à part, tant ils se sont coupés du Monde.

Ils ont d’ailleurs tendance à traiter de même leurs enfants, qui comptent pour du beurre, qu’ils croient sourds et aveugles, qu’ils bousculent au passage, tant ils ne les voient pas : des détails ! avant de n’être que du bétail qu’ils envoient mourir à la guerre ! sous prétexte de défendre leurs biens éphémères.

Il faut laisser l’évolution se faire doucement. Il est douloureux de retourner en arrière. La conscience accumulée par l’âme ne peut se perdre. Tous les êtres l’acquièrent degré par degré. D’ailleurs, les prochains humains, comme tu l’exprimais tout à l’heure, vont devoir se charger d’un petit supplément d’âme : la nouvelle génération va passer à 23 grammes !

-J’en étais restée à 21… pensa Manou. -Tu ne t’en es pas rendue compte, mais cela fait quelques décennies que vous êtes à

22 ! Le niveau vibratoire de la Terre s’est sensiblement élevé. -Ah ? Pourtant, il y a toujours autant de guerres, de violences et d’atrocités ! -Tu ne t’attaches qu’au côté négatif des évènements ! Cependant énormément de

personnes isolées, mais aussi des communautés entières, atteignent une plus grande ouverture d’esprit, une meilleure perception de leur place dans le Monde. Ces gens œuvrent souvent dans l’ombre, on ne parle pas d’eux au journal télévisé, mais leur apport est essentiel.

-C’est vrai que je désespérais un peu. -Il ne faut pas ! Il faut avoir confiance en la créativité de l’Univers ! Toutes les idées

nouvelles, par les perceptions les plus fines, les suppléments d’amour, voyagent dans le Champ des Merveilles et nourrissent les consciences en attente et en demande. Cela fonctionne comme les grandes découvertes : elles émergent simultanément dans divers lieux de la planète. C’est une sorte de maturation du champ de la conscience. Une lente maïeutique. Bientôt viendra le temps de plus de collaboration et d’entraide entre les Hommes, de moins de prédation !

-Cela ressemble à un vœu pieux ! Presque à la méthode Coué !

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-Non ! C’est le sens de l’évolution ! Mais… tu ne m’écoutes plus… je sens tes questionnements…

-Oui, c’est vrai… Je suis si troublée, si émue, aussi… pourquoi es-tu parti si tôt ? -C’était involontaire… cependant, vois-tu, j’avais à faire et j’ai beaucoup appris en

choisissant de demeurer ici. Toi, qui avais une jeunesse à rattraper, tu sais qu’il y a des accomplissements qu’on ne peut réaliser que seul. Chacun sa route, chacun son chemin. Le mien passait par là. Il y a tant de travail pour ramener les âmes à la mémoire d’elles-mêmes !

La plupart des humains vivent en « étrangers » dans leur corps et dans leur vie, sans se rendre compte un instant de leur immense chance d’avoir, justement, une liberté d’être et de penser.

-Et il y a de plus en plus d’étrangers sur la Terre... -Ils ont perdu leurs repères. Ils quittent bien souvent leur ville ou leur village, en quête

d’une terre promise, qui n’est en fait qu’un mirage. Et au bout du voyage, ils ne trouvent que rejet et asservissement. C’est bien devant sa porte qu’il faut balayer. Chez soi, en soi, qu’il faut transformer quelque chose pour se développer, afin de se réapproprier-là son repaire. Et, parallèlement, trop d’humains sont déracinés des ailes. Il leur faudrait une révolution, au sens propre du terme, afin de retrouver une tradition « première », à laquelle ils pourraient se ressourcer. Ils sont victimes de toutes les idées insensées qui circulent. Des mythes qui perdurent depuis la nuit des temps. Toute une imagerie naïve mais tenace. Des idées reçues, inculquées, qui les induisent à concevoir, chacun dans leur esprit, des scénarios déformés, aberrants. Ah ! Si tu savais pour qui on me prend quelquefois !

-Mais, comment distinguer l’identité d’un homme de lumière ? Sans ta façon si particulière de toujours me renvoyer la balle, moi-même… je n’aurais jamais su.

-C’est vrai… mais d’aucuns me demandent s’ils sont au Paradis ou en transit pour l’Enfer… Comment leur dire que l’enfer et le paradis n’existent que sur la Terre !

Ici, il n’y a que des nuages. Ainsi, d’autres réclament leur dû avec véhémence : où sont les vierges ? Cela m’a mis

un peu dans l’embarras, cette histoire de vierges et j’ai dû me documenter… je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient dire. Je ne connaissais pas les mille et une histoires que se racontent les hommes. A présent… je sais. Je connais toutes les histoires.

Ici, évidemment, les âmes ont la liberté de faire ce que bon leur semble. Mais encore faut-il qu’elles le fassent en connaissance de cause. Nous ne sommes que quelques uns à choisir de rester pour aider et chacun ne le fait, il faut bien l’avouer, que pour des raisons personnelles. Ainsi, moi, j’ai pu intégrer un enseignement et une multitude d’expériences que je n’aurais sans doute pas eu le temps d’accumuler au cours de plusieurs nouvelles vies. Tant de choses…

-Des choses que j’ignore ? -Oui… parce que ce sont des choses qui tiennent du secret des âmes… et d’autres, plus

« terrestres », que je ne t’ai jamais dites. -Moi qui croyais bien te connaître ! -On ne sait jamais tout d’un être. Lui-même, souvent, se découvre des profondeurs

inconnues, des zones de mystères, insondées, insondables. Moi, vois-tu, je souffrais de mon fils…

-Ton fils ? Tu as un fils ? Mais… avec qui ? -Voilà bien une question de femme ! l’important, cependant, c’est que j’en ai eu un.

Bien avant de te connaître, avant même de venir à Paris. Après la première guerre mondiale, ma mère s’est trouvée veuve, à Lyon, et moi, par

là même, orphelin. Elle dirigeait seule une usine de soieries, où je l’aidais en étant son comptable et quelque peu son secrétaire ; mais cela, tu le sais. Tu te souviens aussi, certainement, que je suis issu d’une longue lignée de canuts.

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-Ta grand-mère, je crois, connut quelque célébrité ! -Oui, elle avait tissé le velours de la robe de la reine Victoria, quand elle fut sacrée

impératrice des Indes, en 1876 ! Elle se prénommait Thérésine. À Lyon, j’étais insouciant ! Fils unique gâté par ma mère et sans l’autorité d’un père,

je ne pensais qu’à m’amuser. La guerre, qui devait être la dernière, avait laissé dans les esprits tant d’horreur et de désespoir que les gens avaient besoin d’oublier cela dans la légèreté et le tourbillon de la vie. J’étais moi-même, accessoirement, basse chantante à l’opéra comique, où l’on donnait souvent La Belle Hélène ! Le Barbier de Séville ! J’aimais jouer, déjà, aussi j’aimais séduire. Comme un coq dans un poulailler, j’avais beau jeu auprès des ouvrières de ma mère.

Mais, ce qui est inévitable se produisit, l’une d’entre-elles tomba enceinte. C’était justement en 1930, la soierie lyonnaise se ressentait déjà du krach américain de 29. C’était certes le moment où ma mère aurait eu le plus besoin de moi, cependant… je fus incapable de lui avouer que j’avais séduit une de ses ouvrières mais que, conjointement, je ne comptais nullement l’épouser. J’avais 22 ans ! C’est jeune pour un homme…

Nous nous sommes enfuis à Paris. A Paris, on peut vivre sans que les voisins ne sachent rien de vous et sans qu’ils s’en inquiètent.

-Moi qui ai toujours cru que tu étais venu pour chercher du travail, parce que ta mère avait fait faillite !

-Ma mère a effectivement fait faillite, après ! Moi, je suis parti sur un coup de tête, une querelle opportune m’en ayant fourni le prétexte ; la jeune ouvrière m’a rejoint, dès que j’eus trouvé un emploi et de quoi nous loger. Elle s’appelait Marguerite. Nous nous sommes installés dans le bas du 18ème, dans une rue rebaptisée depuis, où j’avais déniché une chambre. -Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ? -Tu aurais été jalouse… et puis, à quoi bon ? Je n’en étais pas fier. -Pourtant ta mère -qui n’avait pas la langue dans sa poche- n’aurait pas manqué d’y faire un jour allusion devant moi ! -Elle n’en a jamais rien su. Elle avait d’ailleurs oublié cette ouvrière, demeurée peu de temps dans son atelier. J’ai quelques fois cité son prénom, parmi d’autres, sans éveiller en elle le moindre souvenir. Seule une photo sépia, prise en groupe dans la cour de l’usine et que ma mère conservait dans un album, portait trace de son passage. Ce fut là mon secret, mon seul jardin privé. -Mais l’enfant ? -Il est né à Paris, nous l’avons appelé Jean. Mais il nous fallait gagner notre vie tous les deux et nous l’avons mis en nourrice. Tous les travailleurs mettaient leurs enfants en nourrice, à cette époque, s’ils n’avaient une voisine, une mère, une tante ou une sœur en mesure d’en prendre soin. -Donc, tu as reconnu cet enfant, il portait ton nom ? -Oui… mais, il est mort en nourrice. Il avait à peine deux ans. Il a pris la fièvre, soudainement. Et voilà. Il n’y avait pas d’antibiotiques à cette époque. Nous n’avons pas même su vraiment de quoi il était mort. Peut-être une méningite. Ensuite… Marguerite et moi nous sommes séparés. Elle est retournée à Lyon et moi je suis resté. J’étais magasinier chez Renault, à Billancourt. Puis, je t’ai rencontrée quelques années plus tard, peu avant les grandes grèves de 1936 qui ont débouché sur le gouvernement du Front Populaire : les premiers congés payés et la semaine de travail de quarante heures. La suite, tu la connais. -Mais cet enfant est enterré quelque part ! -Certes… mais tu sais que les cimetières ne sont là que pour rassurer les vivants. -Mais encore ? -Eh bien, il est enterré dans le petit village de la nourrice, où la commune offrait des concessions perpétuelles pour une bouchée de pain. Le village est dans l’Oise.

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-Tu t’y rendais parfois ? -Jamais… -Mais alors, de quelle nature était ta souffrance, ton regret ? -D’avoir été ainsi éloigné de mon fils et de l’avoir si peu connu. Quelle pouvait être la signification de ce bref passage ? Tu sais que je n’étais pas croyant en quoi que ce fût, sinon en l’Homme. Et, comme toi, j’ai toujours voulu comprendre. Mais la souffrance reste aux vivants, qui ne savent pas la gérer.

-Tu en as de belles ! Gérer la souffrance, alors que nous la subissons ! -Parce que nous ne comprenons pas. Tout ce que nous ne comprenons pas nous fait souffrir et nous tourmente. Et nous n’avons pas d’explication quand une séparation cruelle advient brutalement. C’est un arrachement… qui dure. -L’attachement que nous éprouvons pour les êtres que nous aimons ne se commande pas. Il fait partie du tissu de nous-mêmes, tressé d’émotions et de souvenirs. -Mais il se surmonte… chacun fait son deuil. Toi-même… -On se doit de le faire, pour survivre ! Mais rien n’efface jamais le scandale de la mort. -Nous ne pouvons, certes, pas tout comprendre, cependant, ni la vie, ni la mort ne sont jamais absurdes. Et nous méconnaissons la nécessité des âmes de faire leur chemin. Parce que, de ce chemin, nous ignorons tout. Les êtres ne nous appartiennent pas, même si nous éprouvons pour eux des sentiments intenses. Et au-delà de notre histoire commune, il demeure en chacun une part de mystère, une part antérieure et profonde, qui poursuit son évolution. Et puis, il faut bien prendre en compte que nous induisons, aussi, des situations. Vois-tu, j’avais désiré Marguerite et je ne voulais pas l’abandonner enceinte, mais je n’aimais pas Marguerite. Cela, personne n’y peut rien. Si nos routes se sont croisées, nous n’avions pas les mêmes aspirations. Il y a toujours un pivot secret qui réunit les couples. Une similitude profonde. Une symétrie. Pour Marguerite et moi, c’était la jeunesse, l’insouciance ; mais aussi la même absence de père, tous deux morts à la guerre. Cet enfant nous a liés un temps, mais que serait-il advenu de nous s’il avait vécu ? Nous nous serions certainement séparés malgré tout, un jour ou l’autre. La vie nous mûrit. Les manques se résorbent d’eux-mêmes et… le pivot se dissout quand les choses à faire ensemble sont accomplies, révolues. -Ce n’est, effectivement, jamais par accident que les routes se séparent, en saisir le sens évite de répéter sans cesse les mêmes schémas. Les forces qui nous animent habitent notre inconscient, elles nous révèlent, en agissant, un projet profond de nous-mêmes : le désir qui nous fait vivre.

-Précisément, ce petit être, que lui avons-nous donné pour qu’il vive ? Voilà les questions que je me posais. Bien sûr, beaucoup d’enfants ont survécu à de tels traitements, mais lui, pourquoi était-t-il venu, alors ? J’avais fini par penser que je ne serais probablement jamais monté à Paris, sans lui. Et… que je ne t’aurais pas rencontrée. Peut-être n’était-ce que cela, sa mission. Cependant un fils, cela ne se remplace pas. C’est une perte irréparable. Un morceau de soi qui disparaît. Voilà ce que je ressassais. Et j’avais toujours mal à mon fils… Quand Florence est née, ma souffrance s’est ravivée d’un coup. J’ai failli mourir… souviens-toi. Le jour de sa naissance, alors que je me trouvais à des centaines de kilomètres de toi et du bébé, j’ai été fort maladroit en sciant un arbre, j’ai mal évalué son point de chute et il m’est tombé sur la hanche. Le choc fut si violent que les ligaments du cœur se sont distendus dans ma poitrine. C’est du moins ce que m’a dit le médecin allemand, puisque j’étais prisonnier en Autriche, au stalag 17. Je m’étais porté volontaire pour couper du bois, afin d’échapper au confinement malsain des hommes désœuvrés. Je n’avais aucune nouvelle de toi, mais les informations me sont parvenues quand même, par les voies invisibles… mais bien réelles.

-Cependant… tu ne pouvais avoir oublié la date de notre dernière nuit d’amour !

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-Certes ! C’était encore la drôle de guerre. J’avais, pour te rejoindre, signé une fausse perme… Ensuite, ce fut la débâcle et nous ne nous sommes pas revus, mais je recevais tes lettres. Au stalag, on m’a déclaré mort, ou presque. Mais contre toute attente, je me suis rétabli. Ensuite, j’en ai joué pour me faire porter « inapte », ce qui m’a permis d’être rapatrié. Alors, cette fois, j’ai pu assumer mon rôle de père ! sinon je serais resté prisonnier quatre années de plus, comme les autres.

Mon cœur, néanmoins, en est resté fragile. Puis Florence s’est mariée et, lors de ce printemps de 1968, j’ai appris, je ne sais comment, qu’elle était enceinte. -C’est moi qui ai dû te le dire ! je le soupçonnais à quelques petits détails que je connaissais bien. -Cela s’est ajouté aux évènements de mai 1968, me rappelant la ferveur des grandes grèves de 1936. Le tout a eu raison de mon cœur chancelant. Et je n’ai pas connu mon petit-fils. Il est probable, d’ailleurs, que je ne l’aurais pas supporté.

Cependant, dans l’espace/temps, tout est engrammé, encodé, et archivés nos cheminements. La traçabilité des âmes est inscrite en traînées de feu. C’est là, le domaine des chamans. Homme de lumière, j’ai pu « voir ». Et toute ma souffrance, alors, mes doutes, ma culpabilité, se sont envolés à jamais, faisant place à une joie profonde.

-Ces visions intérieures, de même que notre mutuelle compréhension, sont des choses indicibles, difficilement communicables.

-Ce que l’on perçoit correspond toujours à une réalité dont on ne distingue pas toujours la catégorie, par manque de repères et d’expérience, d’ignorance de la topographie du « terrain ». Mais nier les perceptions mène à la folie.

-Crois-tu que les âmes aient ainsi, comme nous, l’opportunité de retrouver ceux qu’ils ont aimés et perdus ?

-Se retrouver à M demeure assez rare… c’est un choix particulier que de séjourner ici. Plus de corps pour éprouver la vie ! nous ne pouvons agir sur rien ! ne nous restent que les échanges d’idées et de sentiments, les états d’âme. Si nous pouvons, de l’intérieur, contempler la splendeur de l’Univers, nous ne pouvons y participer. C’est très frustrant, malgré tout. C’est le prix à payer de l’homme de lumière. Ici, quand les âmes assument le bilan de leur vie, elles se jettent presque immédiatement dans une autre, pour progresser. Pour jouer une autre partie qui n’ait pas la même donne.

Certaines âmes choisissent de vivre une nouvelle vie auprès des êtres auxquels elles étaient très attachées. Mais en s’incarnant, elles perdent toute mémoire… Ce qui ne les empêchent pas de se rencontrer, de se retrouver, de tisser d’autres liens, encore et encore. La sexualité est une chose passagère, tandis que la relation, elle, est continue.

-Heureusement que nous perdons toute mémoire de nos tribulations passées ! Nous n’aurions pas, autrement, la fraîcheur d’âme nécessaire pour aborder à nouveau les réalités d’un monde qui se transforme sans cesse. Nous serions encombrés de souvenirs inutiles qui ne sont, somme toute, qu’anecdotiques et qui ne nous constituent pas. Seuls subsistent le gain de l’expérience acquise, formant notre supplément d’âme, et, comme tu l’exprimes si bien, la relation, l’attirance, que nous éprouvons pour certains êtres dès la première rencontre.

-Mais aussi la répulsion… car nous retrouvons souvent nos ennemis d’hier ; ce sont ceux, d’ailleurs, qui nous font le plus progresser, ceux-là mêmes qui nous obligent à mieux nous définir. Louons nos ennemis ! ainsi que tous les petits tyrans ! Quant à l’attirance, que l’on attribue aux phéromones, c’est vrai qu’elle demeure dans le domaine de l’extrêmement subtil… Souviens-toi que je t’ai suivie dans la rue ! C’est une attitude cavalière que je n’avais encore jamais osée mettre en pratique, malgré ma qualité de coureur de jupons.

-Comme il ne m’était pas arrivé de répondre à quelqu’un qui m’abordait de la sorte ! et je suis allée à ton rendez-vous…

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-Tu es arrivée en retard… -A cause d’un inventaire inopiné décrété par mon patron. Mais tu m’as attendue ! -Plus d’une heure… cela aussi était exceptionnel, je ne m’attardais guère avec les

femmes ! -Toutes les rencontres qui sont des retrouvailles sont exceptionnelles. -Peut-être que toutes les rencontres sont des retrouvailles… -Dans une vie précédente… oui ! tu étais mon père et nous vivions sur Manu-Manu… -Dans le système solaire d’Alpha du Centaure ! Nous y faisions de la recherche au sein

d’un laboratoire sophistiqué, perché sur la canopée d’une forêt tropicale. Notre étude portait sur les grands drimouzes à huit pattes et leur période de reproduction ainsi que sur les mutations des poucifères. Et puis tu as choisi de t’embarquer pour une mission d’exploration interstellaire. Tu étais une jeune femme aventureuse, belle, avec les oreilles… juste un peu plus longues que celles des humains de la Terre… J’ai beaucoup souffert de ton départ, car ce voyage, qui n’a duré pour toi que quelques années, a compté pour des décennies à l’échelle de temps de notre planète. Selon la cruelle loi de la relativité…

-J’ai suivi celui que j’aimais… dans cette vie-là ! Notre meilleur ami commun, dans la dernière ! Mais toi, précédemment, tu étais astronome et j’étais ton élève.

-Un élève imaginatif et curieux, à qui j’ai eu bien du plaisir à transmettre mon savoir. -Te souviens-tu quand je fus comédienne sous ce même prénom d’Adrienne ? -Bien sûr ! La Lecouvreur ! le théâtre était ma passion et ce fut une de mes meilleures

vies. J’étais, à cette époque, un tragédien connu, je t’écrivais des pièces sur mesure. Tu étais mon égérie ! Notre différence d’âge n’ôtait rien à notre affection, mais permettait que nous demeurions bons amis, lorsque tu me délaissais pour quelque amoureux transi.

-J’ai connu, il est vrai, moult tribulations… J’ai en mémoire d’avoir été Crétoise et d’avoir porté ces robes étonnantes qui nous laissaient les seins nus1.

-Nous ne nous connaissions pas encore à cette époque… -Non… j’aimais à la folie un prince magnifique. Il arborait des coiffes à plumes et

avait un penchant pour les jeunes éphèbes. Je l’ai suivi de vie en vie, mais toujours il m’échappait… que je sois homme ou femme. Cette fascination, pour un être qui restait pour moi une énigme, n’était que souffrance vaine. J’ai enfin compris que je ne convoitais qu’un leurre, un reflet narcissique. La dualité des sexes est une réalité intérieure à épanouir en nous et son exhibition n’est que caricature.

-Au plus loin que je me souvienne de notre relation, j’étais ton frère aîné, toi ma sœur ravissante !

-Oui ! Et je suis morte jeune… de phtisie. -Nous nous sommes, tous deux, rencontrés et aimés, tant de fois ! On se doit de

cheminer l’intégrale des chemins. La maturation lente de l’âme est parfois difficile. -Justement, celle des corps ne l’est pas moins et voilà que remonte en moi, inscrit dans

ma souche profonde, un souvenir très ancien : Celui de mon état de grande éléphante… meneuse de troupeau, têtue, tenace et sage.

Courageuse, je sillonnais les pistes de la savane. Les mêmes ornières, les points d’eau, aller toujours plus loin, chercher du foin, et la fatigue dans mes genoux, l’usure de mes gros pieds. Le soleil sur ma peau grise, je me souviens de tout ! Puis enfin venait une halte et les bains de boue salvateurs. Et de nouveau sur le sentier, toutes mes filles ! les jeunes males et les petits, trottinant et cherchant à tâtons les mamelles, de leur humide trompe menue.

Notre marche tonitruante faisait résonner le sol dur comme la peau d’un tambour. Nous avons tracé les premiers chemins, arpenté le domaine. Nous étions grands, à la mesure de notre espace. Les Hommes n’étaient alors que des brindilles sur notre passage. La Terre était à nous, pour nous. 1 Voir illustrations à la fin du roman.

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-Quand je fus loup dans le grand Nord, j’ai connu, moi aussi, la solidarité du clan et les liens de la meute. Les longues courses dans la neige. Le plaisir, le plaisir pur. Ah ma louve ! quelle fourrure, quelle odeur ! Quelle tendresse elle m’a donné ! Et des portées de louveteaux ! Les lacs gelés… nos cris dans l’ombre, comme un long chant jeté dans la nature, vers le ciel étoilé. L’appel du grand large.

Je frémissais de tout mon corps quand la Lune enfin se levait au dessus de la blanche plaine. Nous restions tous deux à hurler notre raison d’être, dans la pureté de la nuit.

-Petit rongeur, serpent et bien d’autres états, tant de formes diverses qui m’ont donné la vie, me laissent un souvenir uniforme d’urgence et de nécessité, mais d’instants fulgurants. Et j’ai gardé, une impression très vive de mon existence de panthère, auprès des grands mâles distraits. La jungle est une si luxuriante merveille. J’ai mis au monde, moi aussi, de beaux petits. Qui dira l’extase de journées passées à l’ombre des fougères ? Les yeux mi-clos, lissant avec amour nos somptueuses fourrures à coups de langue délicats.

La chasse et l’excitation de la course ! L’instant où le bond nous porte sur la proie, où les griffes font ployer son échine. Puis les fabuleuses délices de la chair tiède. Les bains dans les fraîches rivières ! Et les jeux des plus jeunes, inlassables, adorables, jusqu’à l’épuisement qui les foudroie soudain, les jetant dans un profond sommeil. Vaincus, repus, bienheureux.

Quelle belle vie ! Quelle bonne vie j’avais, du temps où je faisais partie de la forêt Silva, j’étais sauvée, alors !

-Mais tous, un jour, nous fûmes aussi mangés… -C’est vrai. Et nous gardons en nous, tatouée dans le tréfonds, la mémoire de cette

douleur. D’abord de la surprise, puis de cette panique, devant la perte de nos forces. Sans secours ni recours.

-Ah ! Tu nous fais remonter loin ! Baleine ! Ce fut aussi un grand moment pour moi ! Peut-être le passage où j’ai acquis le plus de sagesse. En ces temps-là les eaux du Monde nous appartenaient et nul humain de venait troubler nos rêves… mais nous avons eu le malheur, justement, de les rêver ! Une méditation de cétacés qui perdurait, issue d’une obscure époque où nous n’étions pas encore retournés à la mer : une vieille nostalgie de mammifères qui souhaitaient évoluer mais qui avaient choisi -peut-être à tort- une autre route, une toute autre voie, au sein des grands océans. Les dauphins faisaient ces mêmes rêves, qui sont devenus un vrai cauchemar : l’homme est advenu !

-Tu veux dire que, si génétiquement, nous sommes issus des grands singes, nous le devons au rêve des baleines ?

-Je l’ai toujours pensé ! seuls les rêveurs ont le pouvoir de créer des mondes et les êtres qui les habitent. Les rishis indous, les Indiens d’Amérique, les aborigènes d’Australie, aussi, pensaient le Monde, quand le Monde était un Jardin où il faisait bon vivre.

Les grands singes ruminent mais rêvent peu. Leurs songes sont faits de luttes intestines, de cheminements tortueux au sein de leurs organes. Il faut être zen et savoir méditer pour rêver efficacement. D’ailleurs, c’est sans doute pour cette raison que les ancêtres des baleines ont choisi de retourner au sein des océans… Afin de retrouver la paix et le silence, ainsi que la fluidité du milieu aquatique.

Du temps des dinosaures, si lourds et si terribles, les petits mammifères vivaient encore dans l’ombre. Et pour sauver leur progéniture du saccage, ces innovateurs ont fait de la rétention d’œuf… ils ont inventé l’utérus. La Terre était en tumulte incessant et ne raisonnait que de combats sauvages, de soubresauts féroces. Mais tant de pesanteur a fini par user ces pauvres dinosaures ! les a exténués même… jusqu’à l’extermination. Et si une opportune météorite a quelque peu poussé à la roue… la roue de Fortune, qui ne cesse de tourner… elle n’a fait que terminer le travail, en abolissant le règne d’une espèce à bout de souffle.

-Ne nous en reste que les oiseaux… -Avec les oiseaux, nous avons hérité du meilleur !

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Nous avons tous, d’ailleurs, au cours de nos diverses transmigrations, traversé une vie d’oiseau. Le prodige de leur vol aérien reste inscrit dans nos cellules, codé au cœur secret de notre ADN ! Nous en retrouvons l’essence et les facultés, la nuit, quand nous est donnée la grâce de survoler le Monde. La sensation est forte et bien vivace. Et le petit matin nous trouve tout ébaudis, au creux des draps froissés de nos lits défaits, quand nous nous réveillons…

-Les beaux oiseaux nous ont légué un bien précieux cadeau : la parure. La mode et ses attributs de séduction. La débauche des couleurs et des formes. L’astuce et l’artifice pour séduire les belles. Sans parler de leurs chants. Quels grands baratineurs !

-Les baleines chantent aussi… -Leurs modulations sont des grincements de fantômes, des aubades de sirènes qui

plongent ceux qui les écoutent dans des abîmes de réflexion et de sidération. Des voix d’un autre monde qui reflètent une étrange pensée, exotique et saisissante. Profonde et inhumaine. Saura-t-on jamais si ce sont des lamentations, des pleurs infinis, ou des cris de joie. Leurs chants viennent de contrées où il n’existe pas de chant…

Mais je fus aussi un bon cheval ! A la jambe légère et à la robe ambrée ! Cependant, et pour mon malheur, une amazone me montait…

-C’était moi, sans aucun doute… -Crois-tu ? Elle m’étrillait bien ! me flattait l’encolure, me curait les sabots… -Alors, peut-être pas… -Bref ! par un beau jour, au milieu d’un sentier, je pris peur… d’une simple souris ! un

bien petit mulot ! -Les chevaux voient le monde beaucoup plus grand que ne le jaugent les humains… -Eh bien… je bronchai ! me cabrai ! et ma cavalière en fut désarçonnée ; elle en perdit

la vie. Et moi… je fus conduit à l’abattoir. -Oh ! -Et je me suis retrouvé à tisser une toile –déjà- comme araignée… -Bien sévère punition ! -Que non ! pas de punition ! c’est la Grande Roue qui tourne ! Elle est automatique,

comme les machines à laver… pour nous, les animaux. Si j’avais peur de si petit, je me devais de naître plus petit à mon tour, pour comprendre de quoi il retourne… j’y ai beaucoup gagné ! L’araignée est une grande artiste ! Une acrobate de génie ! Une brodeuse hors pair ! Peut-être même a-t-elle, du Monde, tissé la toile…

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Chapitre IV -Nous pouvons, par le corps, nous renvoyer bien loin… le cœur de nos cellules en

porte la mémoire. Dès le premier instant où le spermatozoïde de notre géniteur rejoint l’ovule de notre mère porteuse, toutes les phases de nos métamorphoses se revivifient en nous.

-Pourquoi nous y soustraire ? Ainsi gardes-tu encore des traits de cette Eugléna : ce sympathique protiste, qui, se scindant en deux, oubliait toujours quelque chose de l’autre côté… ce qui a fini par ouvrir l’ère merveilleuse de la reproduction sexuée.

-Mais toi, Milo, que crois-tu donc ? Tu conserves la curiosité extravagante de ce « mauvais poisson » qui, le premier, tenta de prendre nageoire sur la terre ! Le premier à se hasarder hors de l’eau, faisant le pari fou de respirer… dans l’air !

-C’est certain… d’ailleurs, j’ai même réussi à fixer le hasard dans mon nom… Ah ! Si nous pouvions vraiment garder mémoire de nos éléments constitutifs, quand nous étions poussières d’étoiles…

-Comment se souvenir de cette incandescence ? -Eh bien… si nous étions juste capables de nous en souvenir un peu, nous

comprendrions mieux d’où nous venons ! -Mais cela nous éclairerait-il sur où nous allons ? …et… sais-tu mon projet ? -Je pensais que tu l’avais oublié… -C’est à dire… je n’en suis plus si sûre. -C’était ton choix… -Je manquais, peut-être, d’un peu de clairvoyance… sais-tu bien ? je voulais revenir

dans mon appartement et… je pensais intégrer la vie du bébé de ma locataire… -Assurément ! -Tu parles comme un livre ! -Je ne parle pas ! Je pense ! Et je réponds à ta pensée ! -Allons-nous nous disputer ? -Tu es si vive pour une morte ! -Mais pourrais-tu m’aider ? -Non ! Je ne peux rien ! C’est dans la vie, avec un corps, que l’on peut changer

quelque chose, pas ici ! Je ne peux que penser, te comprendre, te raconter encore… -Me raconter ? Mais quoi ? -Eh bien ce que j’expose aux âmes de passage, qui sont si réfractaires au souvenir de

soi : leur histoire ! Ah ! C’est une thérapie de choc ! Mais qui veut la fin, veut les moyens ! L’âme humaine aime tellement les histoires, les contes, les scénarios excitants, que je

finirais par slammer, par rapper même, s’il le fallait. Du spectacle ! On veut du spectacle ! Je vais leur en donner, moi, du spectacle ! à cette société qui n’est QUE du spectacle ! Crois-moi, ils demanderont à être remboursés ! Ils fracasseront les fauteuils ! Peut-être même passeront-ils de l’autre côté de l’écran…

Et s’ils parlent de Dieu -les humains n’ont que ce mot-là à la bouche- qu’ils sachent d’où il vient et à quoi il ressemble !

-Comme tu y vas ! -De l’audace et de l’imagination, voilà ce qu’il nous faut ! Sinon, nous resterons

encore un bon morceau de temps à stagner et à gaspiller de l’espace. Ah ! Les humains ont les phrases ! Mais ils n’ont pas les mots. Les mots leur manquent. Les mots, les vrais, ceux qui ont une puissance, ne peuvent

venir que de l’intériorité. Ils ont alors une forme, une densité telle, qu’ils prennent corps. Mais il faut savoir murmurer à l’oreille des mots, pour les apprivoiser… sinon, ils vous dominent, vous emportent dans leur course folle, ou s’étiolent et se vident de sens, pour ne plus former que des phrases… creuses.

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Les humains font de la littérature ! Ils connaissent bien la recette ! Pour faire beau, on sort tous les jolis mots du dictionnaire, sans parler de ceux,

nombreux… dont la définition exacte nous échappe sans cesse ; afin de démontrer que l’on est un grand professionnel qui connaît bien son affaire et qui a parfaitement retenu les leçons de Bernard Pivot1.

Mais… c’est juste du maquillage pour cacher qu’on n’a rien à dire. Et on étend les phrases sur toute la surface d’une histoire, racontant la vie de

personnages qui n’ont guère plus d’épaisseur que leur auteur. On dissèque ses états d’âme, sans jamais en dévoiler le cœur. Et le lecteur se retrouve dans des situations débiles avec des dépressifs, des impuissants de toute sorte, dont le sort lui est aussi indifférent que celui d’une guigne.

On ne voit bien qu’avec le cœur et les choses du cœur se disent simplement, juste avec des mots bleus. Sans oublier que ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement2 !

-Quel réquisitoire ! Je ne t’avais pas connu orateur, mais pour quelqu’un qui ne parle pas, tu penses bien.

-En changeant notre manière de penser, non changeons notre réalité, a dit Krisnamurti. Et plutôt que de croire en des sottises tristes, autant croire à des rêves lumineux.

Si tu descends par l’Escalier de Cristal, la spirale secrète lovée dans la mémoire, tu

atteins les eaux souterraines, la nappe phréatique de ton être. Sens-tu tournoyer, en toi, les galaxies ? Sens-tu couler dans tes veines le grand fluide de l’Univers ? Non ? C’est que tu as été castré, coupé du Monde, par l’ignorance et la peur !

Il te faut reconquérir tes royaumes pour être véritablement humain. Autrement, tais-toi, ne revendique rien, ne te plains pas ! Tu es tout juste bon à tomber à genoux, à te sentir infiniment misérable, accablé que tu es d’on ne sait quel péché originel, et, à chouiner comme un chien battu.

L’énergie chargée d’information développe un réseau de connections. Tu peux te prosterner devant l’énergie. La prier. La saturer de toutes tes attentes. Mais elle est un peu dure d’oreille. Chaque Big-Bang -comme chaque réincarnation- laisse-t-il l’énergie sans mémoire ? Elle a sans doute son propre Escalier de Cristal… Ce qui est certain, c’est qu’elle évolue, qu’elle n’est pas immuable, même si elle est éternelle.

-C’est ce que tu exprimes aux âmes de passage ? -A peu près… avec des variantes… -Ça décoiffe ! -Cela les fait passer, sous leur chemise, par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. C’est

une sorte de remise en forme, un bain de jouvence, dans les teintures originelles. Si j’emprunte ce mode exalté, presque grandiloquent, c’est pour que mon auditoire soit

attentif, qu’il soit impressionné. L’humour n’est pas de mise à M et c’est dommage… Tu connais mon penchant, que je dois réprimer… pour être, quelque peu, pris au sérieux.

-Je vois… -Tu n’as rien vu, encore ! J’essaie de leur donner envie d’avoir envie, pour allumer

leur vie ! -Ah ! Cela, je connais ! -Bien sûr, quelqu’un l’a soufflé à l’oreille de l’auteur… -Car il y a des souffleurs ? -C’est Gabriel ! Il faut bien réanimer un peu tous ces chanteurs vieillissants.

1Présentateur d’émissions littéraires, à la télévision du XXe siècle ; grand défenseur de la langue française et de l’orthographe. 2St-Exupéry, J.M. Jarre, Descartes…

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-Mais n’avais-tu pas l’intention de me raconter Dieu ? -Nous y venons… toi qui t’intéressais tant au Big-Bang, t’es-tu jamais demandée ce

qu’il y avait, avant ? -Eh bien… justement, c’est la grande question… -Vais-je t’étonner si je t’explique que nous venons du « moment Dieu » ? - ??????????????????? -Il n’y a que l’Energie qui SOIT, tu le sais, infinie, éternelle, par construction. Elle a

en elle la perfection de n’être pas statique. Que peut-il advenir à un être parfait ? Elle ne cesse de se transformer, de danser, de s’étendre et de se contracter. Les Indous

l’ont personnifiée dans Shiva. Elle n’a nul vouloir. C’est sa propriété. Elle n’a d’autre pouvoir que ce perpétuel mouvement, cette éternelle fin, cet infini recommencement. Elle engendre, par cette dynamique, tout un processus d’évènements. Sa force passe par tous ses états, c’est encore sa propriété, tu me suis ?

-Que ferais-je d’autre ! -Eh bien, tu l’as appris, tu l’auras lu, tout du moins, dans la presse… Les étoiles

massives, les gros soleils s’effondrent dans la gravité à la fin de leur vie et deviennent des trous noirs, festonnés de deuil. Trous noirs, ogres voraces, qui happent toute la matière qui passe à leur portée, qui grossissent, qui enflent et d’où plus rien de sort. Mais, sais-tu bien ce qui se passe à l’intérieur d’un trou noir ?

-L’astrophysicien Stephen Hawking a tenté de le décrire ; un autre, Léonard Susskinds a même entamé un pari avec lui, à ce propos. Pari qu’il a gagné.

-C’est juste ! L’information ne se perd pas à l’intérieur des trous noirs et… souviens-toi ! …nous allons descendre !

-Je me concentre… -Au début, c’était bien. Arrachés les éléments superflus qui formaient notre apparence, notre parure en sorte, il

ne subsistait plus que nos noyaux nus, serrés les uns contre les autres. Même cet espace infime, qui demeure toujours entre deux entités, avait totalement disparu. La répulsion naturelle qui fait que deux forces ne se mélangent jamais complètement s’était considérablement réduite. La promiscuité s’était installée jusqu’à engendrer une familiarité singulière. A vrai dire nous étions parfaitement mélangés.

-On dirait une nuit d’amour… -C’en est une… Chaque parcelle de nous-mêmes était touchée par les parcelles des

autres et cet état d’intense communication était sublime. Nous nous sentions interpénétrés, possédés, possédants, dilatés, vainqueurs, extatiques, car peu à peu NOUS étions !

-Un peu orgiaque, non ? -Qu’importe le mot ! C’est toujours cette même extase que nous recherchons dans la

sexualité. Et là nous l’éprouvons. Nous courons après dans la drogue et nous l’imaginons dans le mysticisme. Mais, ne m’interromps pas !

… Il n’existait plus pour nous aucune individualité. Par cet effet même, plus de choix, plus de défense, plus de réserve -de petit quant à soi- plus aucune subjectivité. Nous restait le seul plaisir pur d’exister.

C’est alors que naquit cet étrange sentiment d’allégresse, de légèreté, de subtilité, de liberté. Nous étions à présent dans le délire et le feu, nous nous inter-réchauffions, nous nous roulions en spirales superbes, en volutes dorées, scintillants, odorants, secoués que nous étions d’une grande fièvre.

-C’est torride ! -C’est ce que tu voulais, non ? Cependant… avec le temps, qui se condensait, se courbait et s’enroulait, tout comme

la lumière, le mouvement se réduisait. Nous devenions peu à peu une chose compacte et dure.

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L’instant de la fluidité était passé ainsi que le moment des couleurs et des saveurs… Tout devenait noir et immobile, terriblement pesant, terriblement chaud mais nous

avions acquis une conscience étonnante de nous-mêmes. Nous étions un TOUT insécable, une boule d’amour intense, une intelligence

inimaginable, puisque chaque parcelle de nous-mêmes savait et sentait absolument tout de toutes les autres parcelles. D’ailleurs, il n’y avait plus de parcelles puisque nous n’étions plus qu’un TOUT parfaitement immobile, sans le moindre angström de vide, uni d’un amour absolu et incommensurable, doué d’une pénétration profonde de toute chose, d’une puissance invincible et illimitée. Ce TOUT avait atteint la singularité finale d’être gros comme un dé…

Un DÉ… à coudre ou à jouer… un DÉ… SIR… qui sait ? C’est dans cet état que NOUS-TOUS-UN passâmes dans le degré infini de l’éternité,

de l’autre côté du temps. Le MOMENT-DIEU ! Cette plénitude atteinte, cet équilibre fantastique réalisé, où NOUS-TOUS-UN devient

UNIQUE, UNIS, UN, le contenu et le contenant, l’omniprésent infini, cette harmonie n’a pas d’histoire.

Elle est hors du temps et hors de l’espace. C’est le repos du guerrier, la halte sublime, absolue et parfaite, le divin dans son

TOUT et dans son RIEN, l’apothéose grandiose, la gloire sacrée, l’alpha de ce qu’on appelle DIEU, le point oméga de l’ennui…

-Tu racontes bien… -Ne trouble pas l’éternité, de ton bavardage incessant ! D’ailleurs, voilà, c’est fait !

BIG ! BANG ! TOUT a éclaté en une boule de lumière ! Dans des milliards de degrés de chaleur TOUT a recommencé à se disperser à 300 000

km/seconde, recréant son espace et son temps ! A nouveau les dés sont jetés et nous roulons sur le Grand Tapis Vert d’un nouvel

Univers ! … mais cela tu le sais… je t’ai vue le penser. -Oui, et je m’en souviens ! Aveugles et sourds, déchirés, séparés, arrachés à la

béatitude, nous nous heurtions à nous-mêmes. Ecartelés ! Traversés, percés, éclatés de lumière, ivres de chaleur, bombardés de toute part, nous réussîmes cependant à nous regrouper par quarks. Puis par noyaux.

Roulés dans l’espace, à l’aube du temps, nous retrouvions nos vieilles attirances, nos anciennes répulsions. La violence et l’affolement de la population des photons nous submergeaient sans cesse. Mais peu à peu, la température s’abaissa et leurs forces déclinèrent, nous trouvant assemblés, déjà, en Hydrogène, en Hélium ! flanqués des électrons reprenant leur ronde incessante, compagnons inséparables de notre positivité. Le fluide de l’espace nous portait, déployé pour nous comme un grand tapis par le Temps Tisserant, espace-temps insécable, duo créé par nous-mêmes, dès notre premier mouvement, notre premier instant.

Dans ce vaste océan qui se déroule et qui roule, la Force chantait ! et la Matière résonnait ! organisant déjà le chaos de sa danse incessante. Shiva est de retour !

-Tu as vraiment l’âme d’une tragédienne ! Bravo ! Je n’aurais su mieux faire. J’ajouterai pourtant...

Combien de temps ? Combien d’espace faudra-t-il pour ordonner le Grand Puzzle à nouveau dispersé ? Pour réunir NOUS-TOUS-UN en une singularité finale ? Car de cette éternité, nous gardons toujours la nostalgie. Elle demeure tatouée en nous, indélébile. C’est cette éternité qui nous relie, ce « moment Dieu », qui nous fait appartenir à une même famille : La Grande Famille, qu’a si bien peint René Magritte.

-Tu as, toi-même, l’âme d’un peintre, tu devrais y songer. -J’ai suivi le chemin des mots, un parcours parallèle, mais irréversible. Et ce n’est pas

le discours qui compte, mais l’exemple, car montrer vaut toutes les paroles : c’est du cinéma.

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Le théâtre y excelle aussi. La danse et le mime dessinent les formes en action. Avec la sculpture, ils rejoignent le domaine du corps profond, là où il se modèle. On approche alors de la biologie et Shiva n’est pas loin. Mais pour l’instant je suis metteur en scène, scénariste et juste un peu décorateur. Si à M on ne peut rien concrétiser, du moins peut-on imaginer !

-Et tu joues en soirées et en matinées ! -Je joue sur l’éternité… la séance est permanente… je tiens à moi tout seul le ministère

de la Culture et de l’Education. -D’ailleurs, cela ne devrait pas être laissé aux mains des fonctionnaires, qui n’ont rien

à en dire, autant avoir des programmes vidéo ! A se demander si les gouvernements ne considèrent pas l’école juste comme une garderie. Il nous faut des artistes, des philosophes, des créateurs, pour ré enchanter le savoir de l’Humanité. Brasser les cultures ! Cesser de bourrer la tête de nos enfants de données inutiles et commencer par l’essentiel : l’être et son histoire.

-Tu fais une excellente grand-mère. -Vois-tu, ce qui me chagrine et que j’ai constaté, en vivant auprès de mes petits

enfants, c’est qu’on ne laisse plus à ces gamins aucun répit, nul espace pour se retrouver un peu. Aucune vacance. Dès qu’ils ne font rien, on s’inquiète ! Il faut sans cesse les occuper, les faire jouer à quelque chose, leur donner des images à se mettre sous l’œil. Les gaver. Mais qui célèbrera les vertus de la rêverie ? Les fenêtres qu’ouvre la lecture ? Qui osera dire combien est nécessaire un peu de calme et de silence et le jeûne d’une dose d’ennui ?

-Si les enfants pouvaient seulement n’avoir plus le cœur à se battre ! Déserter toutes les guerres !

-La violence est un boomerang envoyé par la société des adultes, elle-même prise dans l’engrenage d’une dure compétition. Elle revient, éclatant sur tous les écrans en images d’une inimaginable brutalité, d’une incomparable barbarie. Aucun domaine n’est épargné. Les enfants, pâte malléable, sont le reflet du monde dans lequel ils vivent. Mais ce sont eux qui bâtissent celui de demain et je suis consternée de voir le peu d’armes qu’on leur donne pour lutter contre les faux semblants, les leurres et tous les pièges à la consommation qui leurs sont tendus. Je m’inquiète…

-Tu es sur le point, cependant, d’être à nouveau un de ces enfants ! -Oui… et en me réincarnant, j’aurai tout oublié. Cependant… après cette première

séance de remise en forme… comment réagissent tes âmes ? -Eh bien, cela va t’étonner… elles en redemandent ! Elles veulent savoir la suite du

feuilleton ! Que veux-tu, on les a habituées ainsi, dans cette époque. -Tu ne vas pas te plaindre et regretter le temps passé ! -Non, bien sûr ! Il faut savoir faire le bilan, surtout à M ! Bouddha, je peux bien te le dire, a mis son corps de lumière en position de lotus et

refuse de sortir de sa méditation. Il donne, certes, un bel exemple de contemplation et de non-violence, mais ne nous est plus d’aucun secours.

Jésus… ne s’est jamais remis de son incarnation. Il pleure des rivières d’avoir été si peu compris. Il gémit quand il entend ses paroles à ce point déformées. Il devient blanc comme un cierge de Pâques dès qu’il perçoit le clou que, sans cesse, on enfonce. Il pense que la souffrance est inutile, qu’elle est juste là pour signaler que l’on s’est trompé. Que sans elle, il n’y aurait plus aucun garde-fou. Rien, pour nous éviter les errements stériles. Rien pour nous enseigner les lois de l’Univers ! Il ne peut plus supporter les âmes éperdues qui le glorifient. Il a un sentiment d’échec… et personne ne peut le faire changer d’avis : il ne veut plus s’incarner. C’est son choix et c’est sans appel. D’ailleurs, il ne demeure plus à M. Il préfère marcher sur les nuages… et prêcher dans les déserts intergalactiques.

-Que ceux qui ne se sont jamais illusionnés lui lancent la première météorite ! Je n’imaginais pas qu’il y ait autant de défections chez les hommes de lumière ! Et… Allah ?

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-Ah !… Allah est devenu si grand que M ne peut plus le contenir ! Il est, par force, lui aussi, toujours en déplacement à l’extérieur. Il a imaginé, cependant, un nouveau challenge à sa mesure : le tour de l’Univers en solitaire, sans assistance et sans escale. Il est en course avec Jéhovah. Chacun d’eux espère remporter le trophée du Grand M, le trophée Magellan… cette épopée va leur prendre au moins 80 parsecs d’éternité…

-Mon Dieu ! -Oh ! pas toi ! Tu ne vas pas t’y mettre aussi ! Tu sais, Jésus regrette…il fait son mea

culpa. Il reconnaît avoir quelque peu abusé des ses dons de chaman. Il répète qu’il faudrait que quelqu’un se décide à dire aux humains qu’ils sont les seuls à pouvoir faire des miracles. Qu’il leur suffit juste de croire en eux ! Mais nous manquons de messagers… ici, il faut toujours être au four et au moulin.

-Prends un peu de vacances ! -Je voudrais bien t’y voir ! Je ne peux pas abandonner mes âmes ! -Ah, je te reconnais bien là ! Tu ne voulais pas abandonner Marguerite enceinte ! Tu as

été fait prisonnier parce que tu as refusé d’abandonner tes blessés ! -J’étais brancardier et ils étaient à l’abri dans les grottes de l’Ailette, jamais les

Allemands ne les auraient trouvés. -Tu as juste oublié que tu ne parlais pas allemand et tu as failli te faire fusiller. On t’a

pris pour un franc-tireur, un maquisard ! Tous tes camarades, eux, s’étaient enfuis. -C’est vrai, je m’étais porté volontaire… mais mes blessés ont été sauvés ! -Oui, et à présent, ce sont les âmes ! Mais à quoi cela sert-il, puisqu’elles auront tout

oublié, une fois qu’elles se seront réincarnées ? -Il faut considérer cela comme un soutien scolaire. Des cours de rattrapage, de

recyclage. Après quoi, les âmes peuvent au moins faire un choix plus judicieux, mieux savoir où œuvrer et où on a le plus besoin d’elles. Certaines, même, décident de rester… un peu… c’est un choix humanitaire !

-Et… Saint Pierre ? -Tu demandes des nouvelles de la famille, ou c’est de la simple curiosité ? -Les deux… -Pierre a conservé longtemps les clés de M… mais elles ne lui ont jamais servi à rien :

M est sans portes et sans clés ! Il a fini par s’incarner ailleurs… -Mais enfin, tous les saints, les mystiques, les prophètes ? -Tous réincarnés ! Ah ça ! Ce sont les plus rapides à quitter M ! Toujours dans

l’urgence d’assouvir un besoin pressant, d’éprouver de nouvelles aventures. Tu sais, ce ne sont que des hommes… et ce qui les distingue du commun des mortels, ce n’est que la teneur de leur discours.

Ceux qui restent, et il faut l’accepter, ne furent pas toujours, de leur vivant, les êtres les plus recommandables. Cependant, ce sont les meilleurs à la tâche ! ceux qui comprennent le mieux le sens du jeu.

Ceux qui sont là n’ont pas eu peur de se salir le corps ni de se tâcher l’âme. Ils en savent, sur ses profondeurs obscures, beaucoup plus que les saints, les moines et les bonnes sœurs : ces êtres exemplaires qui n’ont jamais pratiqué, eux, que l’évitement, prient le temps de leur vie et méditent hors du monde. Ils ressemblent à l’opposition ! toujours à critiquer mais refusant de prendre le pouvoir. Gouverner et se gouverner, voilà ce qu’il faut apprendre, sans se barder d’interdictions et de concepts ! Sans se soustraire au Monde et aux problèmes qu’il soulève !

-Y a-t-il aussi des femmes ? -Evidemment ! D’ailleurs, celles de petite vertu ont bien le plus grand cœur. Elles

accueillent en elles toute la peine du monde. -Et… les anges ?

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-Les anges… mais c’est nous ! Beaucoup ont déserté… et à part Gabriel, personne n’est plus ici, de l’ancienne équipe.

-Une question, encore, cependant me taraude… le Diable ? -Ah ! Le Diable ! tu le tires par la queue, il te chie une pendule ! -Quoi ? -Mais oui ! Il faut mettre les pendules à l’heure ! Le Diable et le Bon Dieu ne sont

jamais que les deux visages de Janus ! Encore un effet de la symétrie. Comme l’image du Bon Dieu s’est dissoute… celle du Diable également. Tout cela n’était plus que de très vieux décors. Remisés, puis brûlés, tant ils nous encombraient. Ils s’empilaient, dans le Grand Hangar, avec ceux de l’Olympe. Toute cette imagerie, désuète à notre époque, se doit d’être renouvelée. Il nous faut de nouvelles fresques ! Et bien d’autres héros ! Nul n’est maître du Monde ! Le temps des Rois, des Empereurs, des Dieux, est achevé, obsolète ! Il faut en terminer avec l’opposition… du Bien et du Mal ! La lutte des classes ! Il nous faut unir les contraires ! Réconcilier les couples contrariés ! Aller plus haut, plus loin, plus profond !

-Il est vrai que la Révolution de 1789 commence à doucement faire son œuvre. Après tant de régressions, de stagnation, la Démocratie et les Droits de l’Homme gagnent, peu à peu du terrain… ainsi que l’abolition des privilèges, proclamée la nuit du 4 août. Regarde ! Toi qui t’intéresses encore aux affaires de la Terre… et qui as intégré le hasard dans ton nom… eh bien, le président américain, Barak Obama, a lui réussi le prodige d’incorporer l’abolition des privilèges dans sa date de naissance. Si ce n’est pas un signe !

-Il serait temps, pour vous, de savoir lire les signes et d’en apprendre le langage muet ! Mais il est certain qu’un sourd n’entend pas ce qu’il veut ! Vous avez pensé et agi, durant le XXe siècle, comme si Einstein, son e = mc² et sa relativité n’avaient pas existés. Comme si la mécanique quantique et son principe d’incertitude n’avaient pas vu le jour. Et ne parlons pas de la théorie des cordes et de son développement extrême, la théorie M ! Vous n’avez tenu aucun compte de cette nouvelle donne. Vous n’avez rien intégré, rien changé à votre système de pensée.

On peut s’interroger sur cette occultation des réalités scientifiques dans les cerveaux bornés de la population planétaire.

-Là, c’est toi qui es dur… -Pas du tout ! Je dis : s’interroger. L’ignorance ? certes ! La paresse ? pas moins ! Ces réponses sont insuffisantes. J’en ai d’autres… Ce qu’il faut comprendre c’est que ces cerveaux contemporains, fonctionnels mais

non-pensants -fonctionnaires en quelque sorte- n’ont aucun scénario à mettre à la place des vieilles imageries Saint Sulpiciennes. Et le Néant les hante ! Seulement dans l’Univers, toujours selon ses lois, le néant n’existe purement et simplement pas et le Vide est grouillant.

Ainsi, les films d’horreur, bâtis inlassablement par les humains sur le même scénario, ne sont que les images de ce qui les taraude. Il en ressort toujours quelques vieux monstres récurrents : des morts-vivants et des vampires, quand ce ne sont pas des aliens et de méchants extra-terrestres. Mais ce ne sont que leurs propres démons. Des épouvantails pour effrayer les moineaux que tout cela ! Le miroir de leurs peurs et de leurs angoisses.

Et si la psychanalyse a permis à l’Homme d’intégrer ses démons, il serait bon que la philosophie et la science lui donnent les moyens d’intégrer également ses dieux.

Mais qu’a l’humanité dans ses tiroirs, à mettre à la place du vide qui l’habiterait si elle venait à dissoudre ses anciennes « croyances » ? Eh bien, justement… rien !

Ah ! Il est grand temps de lui peindre un nouveau paysage ! Avec des personnages quelque peu rafraîchis ! « Car ma vie, car mes joies, aujourd’hui, ça commence avec toi ! », chantait bien Edith Piaf. Les humains sont si prestes à rayer toute antériorité, dès que surgissent de nouvelles amours, que ne font-ils de même avec ce qui encombre leurs caves et leurs greniers ! Et leur nouvel amour ne saurait-il être simplement le PRÉSENT ?

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-Aussi, plus d’ailes et plus de plumes ? -Mais ce sont des bêtises ! Et d’aucune utilité pour accueillir les âmes. -C’est dommage ! j’aimais bien l’idée ! Cependant… les anges gardiens ? -Tu crois qu’il n’y a pas suffisamment de travail avec les âmes ! Quand les humains se donnent la peine d’avoir un peu plus de conscience et de

réceptivité, d’intuition ! quand ils se surpassent –et ils savent le faire- ils activent leur double lumineux et n’ont besoin de personne. S’il fallait s’occuper des affaires des vivants, nous n’y suffirions pas ! Et je ne cesserai jamais de le répéter : nous n’avons aucun pouvoir sur la Terre ! Ici non plus, d’ailleurs. Que de l’amour, des sentiments et… des idées !

Tu n’as pas compris ! Ce n’est pas d’en haut que l’on peut changer les choses. Seuls les humains peuvent se changer eux-mêmes. Et ils sont responsables de ce qu’ils pensent. Comme ils sont responsables de ce qu’ils mangent et de ce qu’ils deviennent. Ce sont eux qui font leurs lois ! Qui écrivent leurs livres ! Qui tournent leurs films ! Eux qui décident intégralement de leur vie ! C’est à eux qu’il appartient de se mettre en accord avec l’Univers. Et il en est ainsi de tout ce qui vit à travers les galaxies.

Mais que crois-tu donc ? Le vivant a toujours su faire preuve d’imagination. Et la matière s’active. Le plus primitif des noyaux devait déjà se démener pour se sortir d’affaire. Ah ! tu vas avoir droit à la suite du programme… tu comprendras mieux !

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Chapitre V -Nous en étions restés à une naissance chaude, douloureuse et mouvementée ! -Toutes les naissances se ressemblent… le bébé Univers a crié quand il a pris son

souffle. Puis il a fait une formidable poussée de croissance. Une bouffée d’expansion fabuleuse a étendu son horizon. La force, dans la distorsion, s’est scindée en quatre domaines, qui chacun nous retient désormais sous sa coupe en des lois immuables.

En grandissant, l’Univers s’est peu à peu refroidi. Pour l’anniversaire de son million d’années, nous avons commencé à ressentir les premiers effets de la Gravitation : la maîtresse force ! qui jamais ne nous oublie, ni jamais ne nous lâche. Discrète et efficace comme un percepteur. Plus nous prenons de l’importance, plus elle se manifeste, plus elle se fait sentir.

Au fil du voyage, rappelle-toi cela ! nous nous étions regroupés par nuages de sympathie. Mais petit à petit, cette force supérieure -la gravité- divisait les groupes, les contractait et les obligeait à tourbillonner comme des Derviches Tourneurs. En leur centre, renaissait un foyer de chaleur. Nous virevoltions tous autour de ce foyer retrouvé, et malgré notre nostalgie encore vive d’avoir été séparés du Grand Tout, nous y trouvions quelques compensations…

Bientôt eurent lieu les premières naissances. Deux noms de baptême firent rage parmi les populations : Etoile ! Soleil ! certains préféraient Star, Sun, Stern ou bien encore Asteri et Ilios, mais qu’importe ! ce ne sont que les variations de la résonance à l’environnement et ce fut là l’effervescence, la joie ! l’occasion d’une fête.

Des cataractes d’atomes en fusion allumèrent leurs feux pour les belles géantes bleues, les oranges et jaunes ainsi que pour les sombres beautés rouges.

Et que roulent les boules ! Les foyers se regroupaient, à présent en villages, en cités, en métropoles, que l’on

appela Galaxies, Amas, Superamas. Tout ce joli monde s’enivrait d’allégresse dans le rire déchaîné du Temps et de l’Espace.

Nous étions les grumeaux de matière de cette énergie, lancée par le Big-Bang à 300000 km/seconde, filet jeté, champ de force, toujours en expansion.

Chacun traçant son sillon de gravité, autour de nous se courbe l’espace, se ralentit le temps, comme la marée sur les écueils, relativisant notre existence…

Une ère nouvelle commençait. Ce fut le temps de la Grande Cuisine ! Nous nous jetions en chœur dans le chaudron des Etoiles, pour les faire vivre. Mais

peu à peu, dans ce brasier infernal, nous nous mîmes à nous associer entre briques, pour de nouvelles constructions. Nous mijotions la potion magique…

Au menux : la solidarité ! Au panoramix : la chaleur ! Depuis le Grand Bang, nous étions restés très rudimentaires, il est vrai… voire un peu

rustres. Entre les Hydrogènes à une brique, les Héliums à deux briques et quelques Lithiums à trois briques, le paysage était restreint.

-C’est quoi, cette histoire de briques ? -C’est une façon imagée d’exprimer les protons –mais aussi les neutrons, dont le

nombre varie, selon les isotopes- qui sont le matériau de base, de toute notre construction. -Eux-mêmes composés des quarks, les inséparables triplés, descendus du quai 9 ¾ ! -C’est cela ! Harry Potter nous est parfois d’un grand secours… Donc, dans les Temps Primordiaux, le change est simple : un proton vaut une brique ! -C’est bien payé ! -Tu ne vas pas nous refaire le Fond Monétaire ! En ces temps ancestraux, nous nous

contentions de peu, mais la Matière Première valait…

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-Ne dis pas de l’or ! Il n’existait pas encore ! -Je ne dis rien… juste, j’exprime qu’un proton vaut une brique. C’est la seule monnaie

d’échange. D’ailleurs, que veux-tu donner, si ce n’est de l’intériorité ? La venue au monde de nos premières étoiles, nous força à nous remettre en question. -Il en est souvent ainsi, avec les enfants : il devient nécessaire d’augmenter les

ressources. -Justement ! Et nous entreprîmes de grandes fusions, dans le ventre de nos protégées. -Déjà du capitalisme ! -Non, de l’association ! Cela nous a permis de sortir de nouveaux produits. Le plus

réussi, sans conteste, fut notre modèle à six briques : Carbone. C’est lui qui nous donnera par la suite tant de satisfaction. Lui qui fit notre renommée mondiale et fut à l’origine de notre fortune : une innombrable descendance !

C’est vrai que nous étions bien dépités, avec les Héliums qui ne voulaient s’accrocher à rien. Et nous en devenions très excités ! Dans toute notre agitation, nous réussîmes, par hasard, à coincer trois Héliums ensemble.

-En ce temps là, le hasard n’allait pas chercher loin… -Je te le concède… mais le miracle s’est produit : vloum ! ça a pris ! nous avions

réussi le noyau de Carbone ! Pourquoi en rester là ? Carbone était de bonne composition et, en lui accolant encore un noyau d’Hélium, nous sortîmes Oxygène du four !

Galvanisés par notre réussite, nous enfournions à tout va, dans des chaleurs souveraines ! ajoutant des briques, inlassablement, pour sortir Néon, Sodium, Magnésium, Aluminium, Silicium, Phosphore, Soufre ! Nous étions rendus à seize briques, un sacré paquet ! Mais le feu fléchissait…

C’est alors que sont apparus les Neutrinos. Spider men des instants critiques, Zorros engendrés par la chaleur, mais nullement soumis aux forces nucléaires et électromagnétiques –qui régissent nos briques/noyaux- Casques Bleus de l’Evolution Cosmique, leurs hordes légères traversèrent les Etoiles avec aisance et déferlèrent, évanescentes, dans l’espace, redonnant du souffle au brasier. Le principe des nanoparticules, produisant de maxi-effets.

-Cela tient du scénario des films catastrophe ! -Avec de multiples rebondissements, comme il se doit ! Cependant, grâce aux

Neutrinos, nous allions cuire Chrome, Manganèse, Fer, Cobalt, Nickel, Cuivre, Zinc et bien d’autres. Trente briques ! Te rends-tu compte ?

-Un sacré pactole ! -Pas encore… mais regarde qui arrive : Argent et ses quarante sept briques, et bientôt,

oui, le voici dans toute sa splendeur : Or ! soixante dix neuf briques ! Qui dit mieux ? -Plomb… et ses quatre vingt deux… -Eh oui, ça devient lourd. Nous étions limite. L’édifice en devenait instable. Encore

quelques cuissons et il fallut nous arrêter. D’ailleurs, nous étions essoufflés, la chaleur du four atteignait les cinq milliards de degrés et… nous risquions de tout faire brûler.

Quand nous cessâmes notre Grande Cuisine, après avoir cuit tous nos noyaux, le

ventre de nos étoiles se contracta, comme le ventre de toutes les mères avant l’accouchement. C’est alors que se produisit le drame. Sans que nous nous en soyons rendu compte, nos étoiles avaient vieilli… nos soleils

s’étaient épuisés, et nous n’avions plus de ressources. La pénurie, la misère ! rien pour les alimenter, épuisés, nous-mêmes de tant d’efforts.

-C’est le moment où les spectateurs sortent leur kleenex… -Certes ! De contractions en contractions, les astres éclataient comme des grenades,

répandant dans l’espace les précieux noyaux. Nos briques s’envolaient, s’éparpillant à tous vents dans la Piscine intergalactique… Cacophonie en Sous-Sol, ruinant tous nos efforts.

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Nos pauvres étoiles terminaient leur existence en supernovae. Les plus petites perdaient leur corolle, comme une vieille perd ses cheveux. Certaines, inconsolables, arrachant ce qu’il leur restait de voiles, se refermaient sur elles- mêmes et s’effondraient dans la douleur noire. C’était la désolation. Le « jour d’après* » ! (*film de Roland Emmerich)

Arrêtons-nous un instant, au cœur de cette histoire palpitante, pour rendre un dernier hommage aux étoiles mortes au champ d’honneur de l’évolution. Ces mères-porteuses pleine d’abnégation, qui ont tout sacrifié à leurs enfants.

-Amen ! -Attends, tu es incorrigible ! je tiens à leur dédier un petit poème de ma composition : Comme des roses sans pétales ayant perdu leur splendeur Tourbillonnent les pulsars sur leurs noyaux effondrés Sombrent les trous noirs dans la gravité Pleurent les naines blanches, dénudées en avalanche Mais de leurs robes rutilantes, de leurs lambeaux arrachés

Marée fertile et abondante, dentelles irisées L’Espace et le Temps Préparent un Grand Lit Brodé… Ce Lit accueillera les Merveilleux Amants d’une nouvelle Super Production, dont on

parle déjà chez les Peoples. Seules ont filtré quelques bribes d’informations. C’est un scoop en quelque sorte : « Dans le mitan du lit, la rivière est profonde Tous les chevaux du roi pourront y boire ensemble… » …. Mais chut ! Pas d’indiscrétion ! -Tu es incroyable et anachronique, tout de même, avec tes citations ! Dans un temps

où il n’y a ni lit, ni rivière, pas plus que de chevaux et de rois ! -J’anticipe ! voilà tout !… à présent tournons la page du Grand Livre… Notre abattement fut de courte durée. Et notre progéniture, elle, était bien loin d’être à

bout de souffle. Nés des étoiles-soleils, nos noyaux-briques se comportaient comme tous jeunes gens

qui échappent à leur famille : ils formaient des bandes chahuteuses qui ne désirent rien tant que se dépenser. Quoi de mieux qu’une fête, pour fédérer les énergies !

As-tu remarqué ? L’Univers adore les fêtes ! Et voilà que s’organisent des bals gigantesques, sur les scènes intersidérales. Moulés dans leurs gaines, gelés dans leurs gemmes, les cristaux, les gaz, déclenchent

des torrents de jazz et s’articule bientôt un vaste opéra-rock. Un super-concert se met en place. Attention ! Ça va commencer !

Pleins feux sur la diva, la nouvelle héroïne : LA MATIÈRE ! Ska, funky, reggae, hard rock, rap et techno, valse lente, tango, paso-doble, rumba,

salsa, samba et même menuet, ils ont tout joué, tout chanté, tout dansé. L’Univers n’est plus qu’une immense île de Wight, un gigantesque Woodstock,

tourbillonnant dans l’espace. Et le concert dura longtemps… Des milliards d’années… de quoi faire rêver le plus fanatique des cinglés de musique. -Frères, à vos iPod ! -Toujours poussés par la force de gravité, cette nouvelle vague repartait pour un tour

de Manège Enchanté. La Grande Roue qui engendre les étoiles et les galaxies.

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Mais avec de l’argent de poche, cette fois-ci. Jeunesse dorée, va ! Elle possède, comme atout majeur, tous les matériaux, mais aussi les premières complexités. C’est ce qui la rend si nerveuse, si émouvante, si exigeante même, et si compétitive. Toute cette belle jeunesse s’avère innovante et créative, sans aucune commune mesure avec les anciennes générations. Il faut dire que les enjeux sont différents, le Monde a changé.

Comme chacun a pu le constater, c’est une manie chez les adolescents que de s’échanger tout ce qui leur tombe sous l’atome. Ils sont un peu fêlés, aussi, il faut le dire ! Voire extravagants ! Jeunes, enfin…

On raconte que ce sont les rayons cosmiques qui les perturbent, comme s’ils avaient besoin de ça ! Mais de dissociations en jonctions, ils arrivent à produire une NOUVELLE CHIMIE, ces rejetons ! Leur nouveau truc, c’est la molécule.

-Les jeunes se plaisent à inventer de nouveaux jeux, parfois même, dangereux. -Sans risque, le jeu n’a pas d’attrait. Et s’il est interdit… il n’en a que plus de sel.

Cette population juvénile de noyaux réussit à créer des associations baroques, auxquelles nous n’avions pas même songé, limités que nous étions par nos bonnes vieilles briques basiques.

Il est nécessaire de laisser de l’espace aux choses pour qu’elles deviennent. Et si elles ont besoin d’espace, c’est que le temps leur est, aussi, indispensable… Ne rien imposer ! Ah, il ne faudrait faire que des propositions ! Exciter, inciter, inspirer, à force de Patience1…

C’est justement ce que nous offre le Principe d’Incertitude* : l’éternelle roulette qui gère l’Univers. Le Principe même de la Liberté… (*Enoncé par W. Heisenberg, il pose qu’il est impossible de mesurer la vitesse d’une particule et simultanément de la localiser précisément)

Ça tourne ! Rien ne va plus ! Je prends ! Je passe ! Je veux ! Je vois ! Comment suivre ? C’est comme le bonneteau... La virtualité de l’onde, la conscience qui engendre le choix : la réalité du désir. Et nos petits monstres inventent de nouveaux systèmes. Ils forment de grands

monômes de cristaux, mais c’est très sélectif ! Il faut avoir sa carte pour y entrer, un peu comme dans les grandes écoles. Arrogants, ils se considèrent comme une génération de surdoués. Evidemment… il y a bizutage ! Et ce sont eux qui inaugurent les premiers ballets roses.

-Déjà ? -Oui Madame ! c’est la nouvelle mode ! La plus courue, c’est la « catalyse ». C’est

simple comme bonjour : un petit malin -qui veut s’amuser un peu- s’entremet entre deux particules afin de leur donner des sensations fortes. Dès qu’il y réussit, elles en sont si saisies qu’elles se collent entre elles, alors, oups ! il se fait la malle ! Et il recommence un peu plus loin avec deux nouvelles petites choses. De quoi abréger les jours des étoiles-mères, qui épuisent leur énergie en nuits blanches.

-Ce ne sont que des plaisanteries de potaches… -Notre Carbone n’est pas le dernier à jouer à ce jeu-là. Résultat : l’apparition d’une

myriade de molécules-sœurs. Tu vois que le petit jeu n’était pas innocent ! Cette nouvelle population change la trame de la société.

-Je te trouve, soudain, bien conservateur… -Attends de voir ! Cela favorise l’entrée en scène de nouveaux venus. -Le brassage de population est toujours vivifiant. -Tu ne crois pas si bien dire, car ceux-ci sont promis à de brillantes carrières, tel

Azote, issu de Carbone et d’Oxygène. -Il a de l’avenir, ce petit Azote, il ira loin ! -En effet, c’est lui qui jouera le premier rôle dans la nouvelle Super Production qui se

prépare. On en sait un peu plus à présent. Du moins, on en connaît le titre : MOLECULE-VIE ! 1-Patience dans l’Azur –Hubert Reeves Ed. Seuil

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Grand-papa Hydrogène peut être fier : toutes ses filles et tous ses fils sont en train de fertiliser l’espace intergalactique !

-Peut-être devrais-tu faire une pose de publicité ! -Sans doute, mais nous sommes sur une chaîne publique ! Il n’y a plus de publicité…

sinon… j’aurais venté les mérites du nouveau produit qui se prépare à être lancé sur le marché et qui est promis à un succès phénoménal, jamais vu, inimaginable ! Le « truc » dont personne ne voudra plus se passer dans l’avenir : la VIE ! le gadget des planètes !

L’organisation entre ce que nous appelons le « vivant » et le « non vivant » n’est qu’une transition de phase… rien de plus… elle amène de nouvelles propriétés, comme à chaque degré de complexité. Et la propriété émergente du vivant : c’est la reproduction. D’abord par duplication, puis par séparation. Plus tard… en inventant la sexualité pour apporter de la diversité… et du dialogue.

Cependant, bien avant l’apparition de la vie -comme nous l’entendons- la matière n’a cessé de se démener et de s’organiser, préparant le terrain, de trouvaille en trouvaille, de complexité en complexité.

-C’est le moment de distribuer un peu de manne à tes âmes, qui me semblent pâlir la chemise…

-Mais non ! elles vont très bien, les âmes ! Elles sont attentives et toi tu vas me les déconcentrer !

-Ce n’était qu’une façon de les laisser souffler… -Ce sont les baleines qui soufflent, quand elles refont surface ! L’instant que les

pêcheurs choisissent pour les harponner. Il vaut mieux rester immergé dans l’histoire… la force du conteur, c’est d’hypnotiser

son auditoire… … Dix milliards d’années se sont écoulées depuis le Big-Bang. -Comme le temps passe ! -Aujourd’hui tout le staff est en place pour un nouvel épisode. On va pouvoir

commencer le tournage. Les techniciens sont prêts et tous les figurants ont été convoqués. Nous avons, cependant, dû fournir un gros travail de repérage et il nous faut quelque peu situer la planète où nous avons choisi de planter le décor :

… Parmi les milliards de superamas et d’amas de galaxies qui composent l’Univers… …l’amas de la Vierge… -Plan général sur l’amas de la Vierge ! … Dans l’amas de la Vierge, une galaxie : La Voie Lactée… -Zoom avant ! … Parmi les centaines de milliards de soleils, qui tournent dans les bras spiraux

de la galaxie-La Voie Lactée : un Soleil de banlieue… -Rezoom avant ! … Autour de ce Soleil de banlieue : neuf planètes… -La caméra suit, s’il vous plait ! … Dans ce chapelet de neuf planètes, perle parmi les perles… …la troisième planète : LA TERRE ! -Travelling avant ! Ca y est on démarre ! projecteurs ! action ! A vrai dire, au début… on n’y voit pas grand chose… et on n’y comprend pas grand

chose, non plus. Comme tous ceux qui font de la figuration, on ne sait pas trop pourquoi on est là. On attend les « vedettes »… C’est sûr qu’on est venus parce qu’on a vu de la lumière :

ce Soleil qui émerge à peine de ses langes.

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On était entre poussières interstellaires, on avait déjà beaucoup voyagé et des bandes de gaz nous cherchaient des noises.

On s’est tous mis à tourner, à celui qui rattraperait l’autre. En fait, on a fini par s’amalgamer. Les copines particules en sont devenues toute rouges et on a vu leur ventre s’arrondir. Mais chacun sait comment se comportent les particules en chaleur !

Toute la bande s’est mise à ressembler à une boule glauque. Ca bouillait là-dedans ! on n’arrêtait pas de recevoir des gnons et puis d’en donner. Ensuite, les esprits se sont un peu calmés.

On a pris la bonne décision : on a évacué les gaz… mais ils sont restés là, tout autour de nous, à nous faire la gueule, à nous encercler, tout condensés qu’ils étaient !

Les parents sont arrivés pour nous mettre d’accord. Grand-papa Hydrogène et son frère -qui se ressemblent comme deux gouttes- ont empoigné la petite Oxygène de la bande des gaz et… ils lui ont fait H2O ! la totale !

Du coup, un déluge d’Eau nous est tombé sur la tête ! Ça nous a drôlement refroidis. Et puis les voisins s’y sont mis aussi, et les tempêtes, et les éclairs, qui se sont déchaînés. Le tonnerre s’est mis à gronder comme un furieux, les vents à nous hurler aux oreilles ! Quelle dérouillée on a pris ! Quelle dégelée ! On a frôlé l’overdose !

Quand tout a été un peu calmé, on a compté nos abattis mais les décors étaient quand même dans un piteux état ! Les 2/3 de notre planète de tournage étaient sous l’eau…

Beaucoup d’entre nous s’y ébattaient gaiement. Tout le monde a commencé à dire que c’était plus agréable que le froid des espaces galactiques et que, de toute façon, le temps des échauffourées, des colères rouges, tout ça, c’était du passé, fini !

Alors, on s’est organisés. Les forcenés de la castagne, les irréductibles, on les a enfermés sous le manteau…

Depuis, ils éructent sporadiquement par les bouches d’aération, quelquefois, ils cherchent à s’évader, mais malgré leurs torrents de lave, on arrive à les contenir. Il faudra bien qu’ils se calment avec le temps.

Entre atomes on a essayé de sympathiser. Mais chez les gaz, ils ont formé tout de suite un nouveau clan. Ils ne sont que cinq mais ils restent à l’écart. Pourtant on les connaît bien !

-Tu parles ! On était en Etoile avec eux ! -Oui, il y a Néon, Argon, Krypton, Xénon… et Hélium, l’aîné ! -Ils se font appelé « les nobles » ! quels crâneurs ! Par contre, Carbone est très liant ! il a toujours autant de facilité à se faire des amis,

mais le chouchou de tous, c’est Oxygène. Depuis son aventure avec Grand-papa et Tonton Hydrogène, tout le monde la connaît et on ne cesse de l’inviter. C’est la vraie coqueluche ! C’est même l’égérie de la bande des métaux. Quand ils se réunissent, ils s’appellent « Les Oxydes », c’est leur nom de groupe.

Azote, lui, traîne toujours son nez partout, et malgré son air effacé, il ne cesse pourtant de se rendre indispensable. Quant aux molécules, elles ont voulu se fédérer. Elles ont organisé de grandes manifs, des chaînes interminables, où elles nous enferment pour rigoler. Elles disent qu’il faut se structurer et noyauter les îlots indécis ! C’est de la propagande, tout ça ! Elles font des plans, et tout ! A la dernière réunion, on est arrivé tout de même à se mettre d’accord sur une stratégie. On a décidé de reprendre l’ancien jeu de Carbone : la catalyse. Ça marche super bien, c’est un bon plan ! Mais à présent, il est préconisé d’y jouer en groupe…

-Remarque, ça épice le jeu… -Ça te plait, n’est-ce pas ? Ça ne m’étonne pas de toi… -Les mœurs évoluent, selon les époques. On ne joue plus aujourd’hui comme on jouait

hier. Et puis, il y a jeu et jeu… -Les méthodes sont nouvelles, il est vrai.

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-Dans ce jeu-là… il faut faire ressortir la personnalité de l’acteur et même ses défauts. C’est la méthode de l’Actors Studio !

-Eh bien, là, c’est Grand-papa Hydrogène qui fait travailler tout le monde à de nouveaux rôles. Et il ne ménage pas sa peine, il arrive même à se démultiplier, à être partout à la fois !

-Tu vois qu’il est injuste de reprocher cela à certains, qui ne cessent de s’agiter ! -Nous essayons, quant à nous, toutes les combinaisons possibles, toutes les positions.

Il y en a qui disent qu’on ne sait pas où vont nous mener toutes ces libertés, toutes ces innovations et… que ça pourraient bien nous conduire à l’anarchie ! Sans compter les maladies que ces multiples échanges risquent d’engendrer ! Mais, les Ultras-Violets nous poussent à la création et notre étoile Soleil nous encourage chaleureusement. Que demande le peuple ?

-Toujours du pain et des jeux ! -Pour les jeux, tout le monde est servi, pour le pain… cela ne va pas tarder à poser

quelques problèmes… mais encore une fois, j’anticipe ! Et pour l’instant, la planète n’est plus qu’un grand chantier en ébullition. Il n’y a plus qu’un seul mot d’ordre :

« MOLÉCULEZ - VOUS ! » Il y a des slogans qui fédèrent, il n’y a pas à dire ! On se demande tout de même : mais où sont les « vedettes » ? Quant au metteur en scène, lui non plus, il n’est jamais là. Il faut qu’on prenne toutes

les initiatives, toutes les décisions. Tous seuls. Alors, nous avons eu l’idée de fonder une Nouvelle Grande École. Mais ce n’est pas là

une école du pouvoir, mais celle de la VIE qui, dans ces circonstances, est la seule en mesure d’octroyer quelques diplômes vraiment utiles.

Nous avons pris pour professeurs ceux qui avaient le plus d’expérience, ceux qui avaient déjà un nom dans le métier. C’est Grand-papa Hydrogène, bien sûr, qui supervise les programmes, avec Carbone, Oxygène et Azote. Ceux là, depuis qu’ils sont responsabilisés, ils bossent comme des fous !

Ils ont commencé par former quatre bases. La base est ce qu’il y a toujours de plus important, dans toute entreprise d’envergure et c’est sur elle que tout repose. Eh bien là, il y en a quatre, pour que ce soit plus équilibré, plus solide. On les nomme : « Les Nucléiques ».

Ah pour ça ! ils ont innové ! Rends-toi compte : pas de jeunisme cette fois-ci ! Ils ont engagé quatre grand-mères : Adénine, Cytosine, Guanine et Thymine !

-Un peu désuet, certes ! les deux miennes s’appelaient Augustine et Onestine ! -Moi, d’un côté, j’avais Thérésine, la tisseuse… et de l’autre, Joséphine, à la

biscuiterie Vignal. C’était des bases, elles-aussi, crois-moi ! de sacrés numéros ! -Toute société prend appui sur les générations précédentes. Et plutôt que de mépriser

les anciens, d’isoler les vieilles personnes, faudrait-il peut-être un peu plus les honorer. Il est hors de doute que chacun avec ses moyens a, dans l’ensemble, fait ce qu’il a pu.

-Précisément, leur travail, à ces mamies, c’est de fabriquer des gènes qui sont les maillons d’une chaîne. Elles n’arrêtent pas de tricoter ! La chaîne terminée se présente comme deux serpents enroulés autour d’un bâton, une double hélice, qu’elles appellent -et ça c’est bien un truc d’ancêtres !- acide désoxyribonucléique ! C’est trop long comme nom de scène ! Et bien difficile à retenir, alors, on préfère dire : ADN, c’est un code entre nous.

Il paraît que cet ADN a toutes les qualités et qu’il va décrocher le premier rôle. Les mamies lui ont adjoint un messager : ARN ! qui est l’attaché de presse chargé de leur publicité.

Nous qui pensions que les vedettes viendraient d’ailleurs, eh bien, c’est comme pour le metteur en scène, il semble bien que non. Mais ce n’est encore qu’une rumeur et dans le milieu du spectacle, les gens sont bavards et mauvaise langue.

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Dans cette nouvelle école, Grand-papa Hydrogène, Carbone, Oxygène et Azote -qui en composent le comité directeur- n’ont voulu recruter que des élèves qui possèdent leurs quatre qualités. Un secrétaire c’est avéré nécessaire et le petit Soufre a été engagé.

Après beaucoup d’auditions et de sélections, le comité a retenu vingt candidats. Pas un de plus. Ils ont un sacré look et déjà un nom de groupe : « Les Acides Aminés » !

Ils jouent des séquences qu’ils appellent des « Protéines ». -Je ne sais pas si nous allons nous y retrouver avec tous ces pseudos ? -Que veux-tu, c’est leur nom de scène et puis, c’est leur langage. On ne peut rien y

changer ! c’est ainsi qu’ils comptent devenir célèbres. Car ils prétendent pouvoir jouer toutes les pièces du répertoire, en accompagnant ADN. Ils projettent même de faire des créations. C’est à voir !

Seulement, le problème, de nos jours, c’est de gagner sa croûte ! Parce qu’il faut énormément d’énergie pour jouer comme cela, sans arrêt.

-Tu m’étonnes ! et toi tu es infatigable ! je me demande où tu trouves les piles ! -Je me branche sur l’Univers… mais c’est vrai que c’est épuisant ! -Peut-être pourrait-on s’accorder… une petite récréation… -Pour jouer à la marelle, pendant que tu y es ! -Ecoute ! j’ai déjà fait glisser le palet jusqu’au ciel… attends, si tu me pousses, je fais

demi-tour et … je redescends ! -Toujours aussi vive à prendre la mouche ! -Là, ce n’est pas la mouche, mais bien la poudre d’escampette !

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Chapitre VI -Je vois que tu es toujours là ! -Oui… j’ai eu l’impression de te décevoir… et vraiment, je ne le voudrais pas. J’ai la

vie devant moi, parbleu !… alors pourquoi chipoter pour un instant d’éternité et quelques fourmis dans la chemise. J’ai fait le tour du divan bleu et je suis à nouveau toute ouïe !

-Et où en étions-nous ? -Je crois, à la difficulté de gagner sa croûte… -Oui ! cela nous amène à la pénurie d’énergie ! -Et au krach de 29 ?… -Tu mets toujours la charrue avant les bœufs ! -Ne me chicane pas ! C’est toujours toi qui anticipes ! -Bon… reprenons… …Depuis le Grand Déluge, tout le monde mange grâce au Secours Populaire des

océans et chacun apprécie la Soupe Chaude de ces premiers Restos du Cœur. Mais là aussi, il a fallu s’organiser. Une nouvelle société de molécules a ouvert des magasins. On y trouve des sucres et des alcools.

-Pas de prohibition, à cette époque ! -Non ! la consommation immodérée est même conseillée. Et chez le concurrent, on

peut se procurer des graisses. La compétition est rude et c’est le plus performant, évidemment, qui vend le mieux. Le commerce se développe rapidement…

-Ah ! Tu ne dénigres plus le commerce ! -C’est du commerce de molécules… Il s’agit de rendre à César ce qui est à César et à

l’Energie ce qui est à Nous. Et Nous passons notre vie à commercer, à échanger, à troquer. -Mais elle n’existe pas encore ! celle que nous appelons -vulgairement, je te l’accorde-

la VIE ! -Cependant les molécules s’activent ! Des entrepôts de stockages se sont même avérés

nécessaires. C’est ainsi qu’est née la société ATP, fondée par Grand-Ma Adénine. Ah ! il n’était pas question, ici, de faire faillite ! Elle s’est associée à trois frères Phosphates et à une molécule.

La planète est en pleine croissance économique et la consommation s’avère galopante. -J’en connais qui vont pâlir à Matignon… -Le tout est de mettre au point le bon plan de relance. Grâce à la catalyse, nous

assistons à une explosion démographique extraordinaire. Certaines molécules, à force de former des chaînes, se sont refermées sur elles-mêmes.

Elles ont juste décidé d’être chez elles. Elles habitent ! Elles s’arrangent un intérieur coquet, tapissé de graisses, pour être à l’abri de l’eau ; elles se fournissent chez ATP pour les sucres. Elles ont même des domestiques pour évacuer les déchets. C’est le confort moderne !

Notre Super Production avance à petits pas, séquence par séquence… mais tous les plans se mettent en place.

Les échecs sont systématiquement éliminés. Notre enfant chéri se transforme au fil du scénario et c’est la Grande Étape, le seuil

suprême, où MOLECULE–VIE devient CELLULE ! -Nous y voilà ! Tout s’est enclenché depuis que nous avons réussi à intégrer ADN et le cousin ARN -

son messager- dans le cœur de l’action. Ils se donnent la réplique avec le groupe « Acides Aminés » et ils peuvent rejouer la pièce à l’infini, sans se tromper –ou presque.

Alors, on a formé plusieurs troupes qui essaiment tout azimut ! Chacune de ces troupes a réussi à monter des créations à succès, dont les noms sont

restés célèbres : « Bactérie » ! « Algue bleue » ! et tant d’autres !

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Quand la troupe devient un peu trop importante, elle se sépare d’elle-même en deux troupes identiques qu’on appelle cellules.

Cette faculté de se produire et de se reproduire permet d’apporter la Culture-Vie dans les coins les plus perdus et les plus reculés des Grands Océans Primitifs.

Bien sûr, c’est long… Ça fait déjà deux milliards d’années qu’on est en tournée, mais tout le monde est content ! Seulement…ça coûte très cher en énergie.

-Il fallait s’y attendre ! -Mais la Vie a de la ressource, ne l’oublie jamais ! Les sucres se font de plus en plus rares et on se bat pour des alcools fossiles ! -Là, tu anticipes sur « Soleil vert1 » ! -Cette fois, c’est la matière, qui a anticipé pour nous. Nonobstant que chez ATP, c’est

le marasme ! Il n’y a plus rien dans les rayons ! Les queues sont interminables, et même au marché noir, on ne trouve pas grand chose à se mettre sous la molécule. La population est inquiète et mécontente. C’est la pénurie ! L’état de crise !

-Ça n’arrive pas qu’aux autres ! -On a frôlé le pire, la catastrophe, mais voilà que la naissance d’une nouvelle industrie,

gérée par la Sté Photosynthèse & Co va révolutionner l’alimentation de la planète. Elle est tout à fait écologique puisqu’elle ne marche qu’à l’énergie solaire.

C’est ainsi que l’on prend conscience que la Vie a pratiquement tout inventé. Mais nous en faisons peu de cas, nous nous pensons tellement supérieurs ! Et quand on est à court d’idée, plutôt que de faire : la la la, la la la… eh bien, il n’y a qu’à copier sur elle. Et, je ne veux plus t’entendre !

Les matériaux sont simples : de l’eau, du gaz carbonique et l’aide des nouveaux pigments « in », qui font une percée spectaculaire : « Les Chlorophylliens » -qu’on appelle les VERTS. On stocke ainsi l’énergie des photons solaires pour en fabriquer du sucre. Du coup ATP est renflouée et la croissance redémarre.

Fini le vieux mode de fermentation réducteur pour obtenir du sucre, avec lequel le rendement était médiocre et le gaspillage certain. A présent, on utilise un nouveau procédé révolutionnaire : la respiration !

Les conséquences en sont étonnantes. Oxygène, qui, malgré sa notoriété, végétait dans des rôles subalternes -même si elle

figurait dans tous les bons plans- va devenir l’héroïne essentielle de la « suite », que la Production entend bien tourner à présent.

-Dis donc… on est déjà en saison VI, dans ta série ! -Et ce n’est pas terminé ! …Suivons, à présent, notre héroïne, la belle Oxygène ! Photosynthèse & Co va lui

rendre un immense service : ils vont tout bonnement la licencier, la jeter sans préavis dans l’atmosphère, comme une malpropre, malgré la réaction des syndicats !

-J’espère qu’elle est allée aux Prud’hommes ! -C’est elle qui va leur permettre de respirer, à ces preux hommes… beaucoup,

beaucoup plus tard… En attendant, libre de tout contrat, elle va être aussitôt embarquée dans une aventure qui la mènera très loin et très haut : aux sommets de la gloire !

D’abord, ce fut un peu dur pour Oxygène, réduite à errer comme une SDF, elle satura même le Fer des océans de ses jérémiades. Mais Azote ne voulut pas la lâcher et, contre toute attente, la bande des nobles -les crâneurs- lui apportèrent leur soutien. Oh ! pas grand chose, sans doute, mais c’est le geste qui compte. Azote et Oxygène se sont mariés en grandes pompes, avec pour témoins, les gaz nobles et leur petit-cousin Radon. Grand-papa Hydrogène envoya un cadeau mais Photosynthèse, revancharde, leur expédia sa fée Carabosse, Dioxine ! 1Film de R.Fleischer où, l’humanité, en période de grande pénurie, recycle les vieux en nourriture.

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Ils firent, d’abord, un super voyage de noce : Croisière autour de la planète ! Emerveillés par la vue que l’on a de là-haut, les jeunes mariés décidèrent de s’y

établir. Peu à peu, ils colonisèrent toute l’atmosphère. -La colonisation pourrait-elle avoir du bon ? -Pas de polémiques inutiles, s’il te plait ! Ainsi, Oxygène qui avait tant donné d’elle-même, réduite à l’exil par une Société

Multinationale –qui poursuit d’ostracisme ses descendants, jusqu’à nos jours …- devint la grande prédatrice des Temps Nouveaux : l’Oxydante de la planète.

Cette ascension allait changer la face du Monde ! … et ne me parle pas de la longueur du nez d’Oxygène !

La Production mit aussitôt en place de nouvelles grilles de tournage, de nouveaux programmes. Elle voulait une suite à « LA CELLULE ».

On se mit au marketing ! On travailla d’arrache-pied pendant trois milliards d’années. -De quoi vous obtenir une bonne retraite ! -On ne pensait pas du tout à la retraite, à cette époque. La VIE ne faisait que

commencer. Ah ! Ce ne fut pas triste ! Tous les architectes furent convoqués. Tous les artistes aussi. On faisait des plans, des dessins, des esquisses et beaucoup de gribouillis…

D’abord, on a mis au point les « Eucaryotes »… d’accord, personne connaît… n’empêche que le prototype était génial. On l’appela Euglena, joli nom pour un protiste ! Mais, souviens-toi ! je t’en ai déjà parlé… parce que… tu lui ressembles un peu…

-Ne sois pas désobligent ! -Nullement ! Elle est tout à fait charmante ! Précédemment, pour Algue Bleue et pour Bactérie, quand ADN rendait sa copie, la

cellule se séparait en deux filles-mères, qui répliquaient toujours la même chose. C’était lassant à la fin.

-De quoi faire baisser l’audimat ! -Oui… les « Acides aminés » avaient beau jouer leur séquence avec une pêche d’enfer,

c’était toujours la même musique. La population, d’ailleurs, manquait d’entrain. Mais, avec Euglena, tout changea ! Elle enrichissait et mélangeait les gènes d’ADN, selon son humeur. Elle choisissait les

élus dans la bande des « Acides », selon les jours et les nuits, inventant toujours de nouvelles combinaisons, de nouvelles histoires… comme Shéhérazade, pour ne pas mourir.

Bref ! Elle a inventé la SEXUALITÉ ! -Ah ! Tu m’en vois flattée… -Seulement, avec la VIE, il y a un petit inconvénient… Si sa Loi en est la perpétuelle évolution… sa symétrie, eh bien, c’est la MORT ! En effet, il est impossible de changer de costume indéfiniment, quand on ne voyage

qu’avec un petit bagage. Et pour la Production, le bagage n’est jamais suffisant. Elle en veut toujours plus ! toujours plus ! Il faut sans cesse s’adapter dans un monde en mouvement. Les nouvelles techniques détrônent les anciennes. Le Monde est en constante restructuration. Si bien que toute la population n’arrive pas à suivre. Et, comme il n’y a pas de place pour les bouches inutiles, alors, les chômeurs, les vieux, les malades, sont abandonnés sur le bas-côté de la route… recyclés dans le Composte.

-Cet Univers est impitoyable ! -Oui ! Nous sommes, à jamais à l’image du Monde qui nous structure. Mais, vois-tu,

la vie, dans la mort, ne se ressemble plus. Elle perd là toute identité. Ce qui perdure, justement, c’est l’âme des choses. Une idée. Un symbole. Un nom. La minuscule lueur, le microgramme indestructible, qui s’enrichit à chaque Tour de Roue. Tora. Rota. Taro.

Râ…

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Et cette Euglena était tout à fait géniale dans sa cellule ! et tellement jolie avec ses petites inclusions : On avait placé ADN dans une bulle spéciale, qu’on appela noyau -de la cellule. On piqueta quelques pigments verts de chez Photosynthèse, pour faire végétal… Une pincée de pigments rouges avec un atome de Fer, pour respirer… Des trous pour ingérer, phagocyter et digérer, pour faire animal… Des flagelles qui rentrent et qui sortent à volonté, pour sentir ce qui se passe dehors et même… un petit stigma sensible à la lumière !

Un modèle de luxe, quoi ! -Une vraie DS1 ! -C’était une révolution, effectivement. Et quand on a produit en série une colonie

d’Euglena, celles de devant développaient des flagelles qui tâtent, pour avancer ! Celles de derrière se spécialisaient dans la reproduction ! et celles du centre passaient leur temps à digérer ! Etonnant, non ?

-J’aime quand tu me compares à ce prototype ! -Attends un peu ! Ensuite… on a fédéré ces nouveautés dans une super carrosserie, au

design tout a fait novateur, beaucoup plus adapté à voyager dans le temps… -Comme la DeLorean2! -En effet ! C’est elle qui va nous propulser vers l’avenir ! Mais il fallait choisir ! le tournant était crucial, la divergence, fondamentale. Voici les

deux options : Ou bien fabriquer sa propre nourriture, sans rien demander à personne, en puisant dans

les ressources naturelles - être VÉGÉTAL ! Ou bien manger sur le dos des autres, en leur pompant leur énergie - être ANIMAL ! -Et alors ? -On a fait les deux ! Car Euglena avait un vice… -Tu recommences à être désagréable ! -Que veux-tu, c’est très féminin, elle n’était jamais à l’heure ! C’était plus fort

qu’elle ! Etait-ce par coquetterie, pour se faire attendre et désirer ? Nul ne le sait ! -Toutes les forces du mâle n’y ont jamais rien compris. -Tout du moins, quand elle se divisait, comme toute bonne cellule qui se respecte, elle

n’était jamais prête ! Tantôt elle avait oublié le végétal ! tantôt l’animal ! tantôt les flagelles ! Bref ! elle était tête en l’air, quoi… mais tellement féminine !

-Mmmmm… -Seulement, la cellule une fois divisée, séparée, la bifurcation était irréversible. Ainsi,

Euglena engendra deux lignées demi-sœurs, enfin… cousines. Dans la LIGNÉE VÉGÉTALE, pour améliorer le rendement médiocre, il fallait

augmenter les surfaces exposées au Soleil. Et les choix furent cruels, drastiques et définitifs. -Il fut interdit de quitter sa chaise longue de bronzage et obligatoire de prendre racine

pour se nourrir. -Il ne fut plus autorisé de se mouvoir qu’en rampant, tout en gardant toujours la

meilleure exposition au Soleil. -Il ne fut permis de communiquer que par caresses, couleurs, un peu plus tard, odeurs. -Et surtout, il ne fut pas accordé de toucher l’autre pour se reproduire ! Il fallait

attendre le bon vouloir des courants marins, ensuite des vents et ultérieurement… des insectes butineurs.

Le bagne, en quelque sorte. L’enfer vert ! Les végétaux ne furent plus qu’une usine alimentaire. Des cellules en batterie ! Ce fut, il faut bien le dire, à l’aube des temps de la VIE, la branche sacrifiée.

1Ancien modèle de voiture Citroën 2La voiture de Retour vers le futur- Film de R. Zemeckis

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La lignée végétale et tous ses descendants, sont les esclaves sur le dos desquels nous allions prospérer, nous, l’autre lignée, L’ANIMALE !

Tu vois que tu as tort de reprocher aux Hommes certaines erreurs qu’ils ont commises, ainsi que la cruauté de leurs civilisations. Cela aussi est inscrit dans leurs gènes ! Pauvres Hommes qui pensaient avoir, au moins, inventé quelque chose : au moins un peu de MAL !… eh bien non, même pas…

Il va leur falloir, d’ailleurs, beaucoup d’efforts pour le penser, en prendre réellement la mesure et peut-être le dépasser, pour enfin faire œuvre humaine.

Cependant, les résultats d’exploitation des végétaux furent remarquables, ainsi que les

dividendes ! Le règne végétal sortit des océans et partit à la conquête de la terre ferme. Envahisseur redoutable, rien ne l’arrête, hormis le manque d’eau. Son armée est terriblement tenace, stoïque et patiente. Sa population s’implante n’importe où et compense sa perte de liberté par des formes luxuriantes, des couleurs éblouissantes, toujours à la pointe de la mode. Peintre et sculpteur de génie, son expression corporelle et artistique est supérieure à toute autre.

Sa performance fut tout à fait extraordinaire et sa réussite éclatante. Sans cette lignée, son abnégation et son courage, jamais nous n’aurions pu réaliser les

autres épisodes de la Production. Que les végétaux soient à jamais remerciés et cités à l’ordre de tous les Mérites ! La LIGNÉE ANIMALE, libérée des contingences domestiques, se trouva libre de ses

mouvements. Forte du soutien logistique du Manteau Vert, elle entama sa propre conquête. Ce fut l’heure de tous les dangers ! Le parcours du combattant. L’heure, aussi, de toutes les expériences, de toutes les imaginations. Pas question de

prendre un bain de soleil, comme la lignée voisine ! La liberté se paye cher… -Alors, nous voilà bientôt rendus au temps où ton « mauvais poisson » va tenter de

sortir de l’eau ! -Mais oui ! Cela prendra, néanmoins, encore bien des millénaires. La Grande Histoire du vivant, ensuite, est mieux connue, mais celle-ci mérite d’être

un peu plus racontée, aux âmes, aux enfants, enfin… à tous les Hommes. Ce sont nos racines les plus profondes, les plus obscures. Cependant ces ancêtres sont

toujours présents dans notre corps. Ils font partie de notre Arbre plus sûrement et plus certainement que tout aïeul lointain -dont ne nous restent que quelques vagues gènes et juste un nom inscrit dans un registre de mairie.

Ces premiers vivants sont notre base organique. Il faut soigner son Arbre ! le revisiter, le vivifier, le remercier ! -Tout vivant, si j’ai bien compris, vient du ventre des mères : les premières cellules ! -Exactement. La progéniture vient toujours du ventre des mères. Dans la souche

animale, c’est le féminin XX, qui en est la base. Il devient urgent de réviser le mythe, incomplet et inexact que colportent indéfiniment les mauvaises traductions de la Bible.

Il paraît pourtant évident que pour créer –induire- un Y, qui est le chromosome du mâle et que lui seul génère, il a fallu couper un morceau de l’X féminin et non le contraire !

D’ailleurs, la démonstration est simple : -Les deux chromosomes XX produisent une femelle. -Les deux chromosomes XY produisent un mâle. -Les deux chromosomes YY ne sont pas viables. Dans tous les cas de figure, la base demeure toujours le X féminin, préfixe à tous les

suffixes. L’homme naît toujours d’une femme… et non le contraire.

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-C’est la culture patriarcale qui a inversé les rôles, parce qu’elle ne pouvait supporter l’idée de sa véritable origine. Cette tentative de brouiller les cartes, de maquiller ainsi la vérité, semble un peu dérisoire et ne révèle qu’une incompréhension, une indicible détresse, une incapacité à appréhender le réel. Une manipulation à des fins… politiques.

-C’est exact, car avant l’invention de la sexualité et donc… l’invention du mâle ! la cellule-mère ne produisait que des cellules-filles, dans un univers d’une monotonie et d’un conformisme désespérants.

-Selon ce que tu m’as remis en mémoire -par ta cession de rattrapage- la création, ou plutôt, l’induction du « différent », du mâle, met en scène le jeu, la joute, la séduction, l’échange, l’extériorité nécessaire qui sauve de l’uniformité. Somme toute, le dialogue !

-C’est la démonstration, dont parlait Einstein, qui prouve que pour sortir d’un système fermé, qui tourne en rond et qui se mord la queue –si je puis m’exprimer ainsi- il est nécessaire de prendre une direction spatiale supérieure. C’est de la géométrie dans l’espace !

-Je te perpendiculaire et tu m’horizontales1 ! -Pour ainsi dire ! Tout en prenant appui sur son support de base, le système est capable

d’évoluer dans une direction spatiale différente qui est le principe-même de la spirale et de la double hélice ADN, semblable aux serpents qui s’enroulent autour d’un bâton.

-Comment, alors, arriver à persuader, à convaincre les hommes que, nous les femmes, nous les mères qui les avons engendrés, avons terriblement besoin de leur force, de leur différence, de leur verticalité, de leur fragilité tendre ? Eux, ces arbres-chênes puissants, face à nous, flexibles comme des roseaux !

-J’ai appris, pour ma part, que soumises à vos cycles lunaires, vous aviez grand besoin de notre soleil !

-Mais votre pluie nous est tout aussi nécessaire ! -Pareillement, éprouvons-nous l’irrésistible envie de nous régénérer au feu de votre

étoile ! et d’y plonger notre doigt borgne obsédé de gant2 … -Sinon, la femme est sèche et l’homme sans lumière. Mais on peut également jouir de

tout ! sans qu’il soit nécessaire de le justifier et de détourner, aussi, la réalité ! -Néanmoins, ces différends nous entraînent si loin, qu’il est urgent de les résoudre. -Jusqu’à la représentation de Dieu, qui a toujours été masculine ! et toute tentative

d’imagerie féminine, violemment éradiquée ! -L’homme est Dieu et la femme Satan ! -C’est un peu facile, non ? Les Grecs nous avaient déjà personnifiées en Pandore, qui

incarnait toute les calamités du Monde, qu’elle avait laissées -par curiosité- échapper de sa boîte !

-Les Grecs prétendaient également qu’elle était insatiable et jamais contente ! -De même que ta « Super Production », Pandore en demande toujours plus à la VIE.

Toutefois, étant donné le traitement réservé aux femmes, on serait mécontente à moins ! C’est de la pure jalousie, de la part des hommes, que de nous envier notre plaisir, quand eux, déjà fatiguent ! Et c’est sans doute pour nous faire payer le désir qu’ils ont de nous, qu’ils n’ont cessé de nous mépriser, de nous vendre, de nous battre, de nous insulter, de nous brûler, de nous violer, de nous voiler, de nous exciser et de nous infibuler !

Dans la Rome antique, on n’apprenait pas à lire aux femmes ! A quoi bon ? Encore au Moyen Âge, nous n’avions pas d’âme ! Ensuite, il nous fallait l’autorisation de notre mari, pour ouvrir un compte en banque ! Quant au droit de vote, nous ne l’avons obtenu qu’avec le général De Gaule !

-Dis-moi, Molière avait déjà décrit les femmes raisonneuses, dans quelques une de ses pièces ! 1Chanson de Luciole 2Claude Nougaro/Audiberti, chanson : Rue Saint-Denis

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-Tout à fait ! le saint homme ! Il les aimait, pourtant, et les connaissait bien. Son œil appréciait à sa juste valeur toute la comédie humaine. Il savait peindre avec les mots. Toutefois, il va falloir véritablement revoir votre copie, messieurs les machos patriarches, donneurs de leçons !

-L’image de la femme, il est vrai, est loin d’avoir été totalement réhabilitée et le Monde a besoin des femmes. -Car les hommes fatiguent ! D’autre part le sexe fait toujours tache dans les livres de prières, alors que c’est le sexe qui donne la vie. A force de contorsions, les hommes en sont arrivés même à suggérer un cas de parthénogenèse, pour justifier la grossesse de Marie.

-Ah ! Encore les vierges ! Les vierges hantent les nuits des hommes, surtout des hommes qui ne font pas l’amour.

-Quant à être enceinte par l’opération du Saint Esprit, d’autres ont tenté de le raconter depuis. Mais, ça n’a pas marché ! Les filles-mères -comme on les nomme si joliment- ont été continûment montrées du doigt. Que ne montre-t-on du doigt les fils-pères !

-C’est qu’il faut courir vite ! Du moins, ai-je assumé, tu ne peux le nier… -Tu n’es pas, toi-Milo, un homme comme les autres, tu fais partie de ces précurseurs

élevés par les femmes, ce qui change la donne. La Grande Guerre avait bien décimé la gente masculine ! Mais voilà deux mille ans que les humains se torturent les méninges, retournent et brodent tous les cas de figure pour justifier l’injustifiable : la virginité de Marie ! Et c’est Gabriel qui aurait annoncé la venue de l’Esprit Saint fécondateur ! -On a utilisé son nom ! On l’a d’ailleurs compromis dans bien d’autres mensonges ! C’est pour cela qu’il ne veut plus s’occuper des affaires de la Terre. Et s’il est toujours là, il est aux Affaires Etrangères. Il gère le département des exo-planètes.

-Cependant, cette histoire de virginité m’a toujours beaucoup choquée. Qui a jamais pensé à la virilité bafouée de ce pauvre Joseph, victime d’un déni de paternité ?

-Je sais. Je suis passé par là… l’aurais-tu oublié ? -Comment oublier ces choses-là. Et quand tu as évoqué la perte de ton fils, d’ailleurs,

as-tu pensé à moi ? -C’est vrai, cette symétrie, je l’avais un peu mis de côté ; toi, tu n’as pas serré ton

enfant dans tes bras. -Non, j’aurais aimé le faire. Mais il a quitté mon corps avant même de naître. Cette

violence m’a marquée au fer rouge. J’étais mariée, alors, à un autre que toi. -Ce mariage fut pour nous une infinie source d’ennuis, un obstacle difficile à franchir. -Nous n’avons pas mesuré son importance, quand nous vivions ensemble, heureux,

dans notre appartement. C’était avant la guerre. J’avais été mariée, alors ? la belle affaire ! mais dans quelles conditions !

-Tu as subi, bien jeune, la violence d’un mari ; tu m’en avais peu dit. -J’avais à peine dix neuf ans, et, ce beau maçon italien, je l’ai aimé ! J’étais un peu

pressée, c’est vrai, de quitter ma famille. Mais mon maçon buvait. Sa vie n’avait pas été simple, certes, elle était rude, aussi. Néanmoins, quand je fus enceinte et que lui rentrait saoul, je ne pouvais supporter ses avances. Il cassait alors une chaise ou bousculait le chat. Jusqu’au jour où, furieux de mon refus, il me décocha ce coup de pied au ventre, qui fut fatal à mon bébé, à six mois de grossesse. Un garçon. Sans nom ni sépulture. Je l’ai beaucoup pleuré. Mais jamais plus son père ne m’a touchée. L’Est et son Territoire m’ont parus bien lugubres. Je suis partie. Comme toi, je me suis enfuie à Paris. Et j’ai trouvé refuge, quelle ironie ! chez les demoiselles de la Légion d’Honneur, à St-Denis, par l’entremise de ma marraine. La bonne fée a su veiller sur moi, en me recommandant à cette adresse providentielle. Sinon, arriver seule de sa province, dans la capitale, est une grande épreuve. La ville vous noie, vous submerge. Si tout y est possible, rien n’est gratuit. Un peu plus tard, en 1936… nous nous sommes rencontrés.

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-Et puis, il y a eu la mobilisation générale, en 1939 ! et ce que l’on a surnommé : La drôle de guerre. En effet, les deux camps étaient établis de chaque côté de l’illusoire ligne Maginot, et, il ne se passait rien ! Là où j’étais cantonné, nous allions même, à tour de rôle -Français et Allemands- dans le même champ, la nuit, chercher des pommes de terre ! Quand il nous arrivait de changer de quartiers, nous chargions des ânes, rends-toi compte ! pour porter notre barda. Mais… tu me manquais tant !

-Tu me manquais aussi ! Mais toi, du moins, avais-tu ton régiment, à Briançon ! -Les chasseurs alpins ! je leur faisais des crêpes ! et j’avais demandé à être

brancardier. Ainsi j’étais certain, au moins, de ne tuer personne : je ne portais pas de fusil ! -Moi, je comptais les jours, passés sans toi. -Nous nous écrivions tous les jours ! -J’ai donné, d’ailleurs, toutes tes lettres à Florence, en souvenir de toi ! afin qu’elle

puisse suivre, ainsi, ton épopée. -Ah ! J’ai pris quelques risques pour te rejoindre, car nous n’avions pas le droit de

nous rendre à plus de cent kilomètres du cantonnement, établi alors près de Lyon. Mais j’étais débrouillard et j’ai embrouillé les tampons : j’ai signé moi-même une fausse perme et je suis parti pour Paris.

-Vingt quatre heures ! -Cela a suffi… je ne connaissais rien de ce qui m’attendait mais ma pulsion de vie m’a

poussé à venir te rejoindre. Et quelle nuit nous avons passé ! Cette nuit du 8 mai 1940 ! -Qui m’a laissé des traces… -Eh oui… c’est la vie ! Lorsque tu m’as écrit que tu « craignais » d’être enceinte, moi,

j’en étais ravi ! heureux ! malgré la débâcle et son cortège de mauvaises nouvelles. -Mais j’étais seule, bien seule et je me morfondais. La guerre –qui là, n’avait plus rien

de « drôle »- l’incertitude, la solitude, ma première expérience malheureuse, cela a suffi à me faire perdre espoir. J’ai douté de l’amour, douté de l’avenir, même douté de la vie. Ce bébé, je ne le voulais pas ! mais la petite âme, là, était bien accrochée… Je tenais, à l’époque, le rayon horlogerie d’un grand magasin ; mais j’eu beau sauter et soulever des caisses dans la réserve… rien n’y fit ! J’étais enceinte ! C’était l’heure !

-Et je t’ai envoyé, plus tard, du camp de prisonniers, une série de prénoms pour le bébé à venir, dont nous ne pouvions, alors, qu’ignorer le sexe. Mais c’est là que le problème s’est posé. Selon la loi, il allait porter ton nom de femme mariée. Le nom de l’infanticide. Encore une ironie du sort ! Nous n’avions pas même songé à mettre quelques sous de côté pour que tu divorces, tout à notre bonheur. La guerre, n’était pas dans nos plans !

-Nous nous aimions ! Qu’est-ce qui aurait bien pu nous séparer ? -L’Histoire ! L’imprévu ! comme toujours. J’ai fait des démarches auprès de

l’administration allemande pour reconnaître l’enfant à venir ; elle a même accepté de transmettre une lettre à la mairie de notre arrondissement.

-J’y suis allée, moi-même… mais la loi est la loi, il n’y avait rien à faire. Seulement déclarer l’enfant né de mère inconnue ! rends-toi compte ! Je n’ai pu m’y résoudre. Trop de ces équations à plusieurs inconnues ! On m’avait déjà soutiré le père, voilà qu’on voulait à présent éliminer la mère !

-Bon, ce n’est pas un drame ! il a porté le nom de ton premier mari… -Un Florentin ! -Je l’ignorais. Pourtant, son origine est réapparue dans le chapeau des prénoms ; il ne

voulait rien lâcher, celui-là : j’avais choisi, innocemment, Florence, si le bébé était une fille. -Moi-même, dans l’instant, je n’ai pas fait la connexion. Mais le hasard a poussé le

palet jusqu’à faire naître l’enfant, le même jour que mon maçon. -Faudrait-il en conclure que l’Univers a le sens de l’humour ? -Un humour grinçant et caustique !

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-Pourtant, je penche à croire que c’est notre inconscient qui nous fait ces blagues douteuses. Cette origine, j’ai cru la méconnaître, mais tu avais dû m’en parler. Quant à la date, là, je me perds en conjectures. C’est toi qui as dû y travailler avec moi ! Une sorte de revanche…

-Quel joli cadeau d’anniversaire, pour mon Italien, qu’un enfant qui n’est pas de lui ! -Ou bien n’est-ce qu’un passage de « témoin », un relai ? -Bref ! Quand, enfin libéré, tu as réussi non sans mal à revenir de la zone libre -siège

de ta garnison, où les Allemands t’avaient administrativement renvoyé- Florence avait cinq mois. Et nous avons encore, à Paris, tout essayé. C’était trop tard ! nous a-t-on répondu.

-La seule solution pour moi, a été d’adopter ma fille. -Mais surtout, il ne fallait pas dire au juge que tu en étais le père. Cela aurait-été un

mauvais point pour nous. J’aurais été, alors, une femme adultère à la bien triste moralité. Toi, un vil séducteur… mieux valait pour le droit que tu sois un père adoptif. L’amour n’a pas de place dans la loi.

-Il est heureux que tu sois parvenue à divorcer -grâce à la complaisance de notre concierge- car ton mari avait changé d’adresse et nul ne savait où il habitait. Puis, nous avons réussi à enfin nous marier. Florence avait neuf ans quand j’ai pu l’adopter.

-Devoir, pour un père, adopter son propre enfant, c’est tout de même un comble ! -N’est-ce point ce qu’a fait Joseph ? Du moins est-ce le rôle qu’on lui a fait jouer. -Pauvre Joseph ! Et Jésus, avec ses deux parents ainsi privés de sexe, se voit enfermé

dans un cliché, une image de famille sans plus de densité que les figures des jeux de carte. -Le dogme a même zappé ses frères et sœurs… pour mieux nommer cette simulation,

une sainte famille. Sur de pareilles bases et un tel modèle, que construire ? -Une société qui marche sur la tête et méprise son corps, inversant les rôles et les

responsabilités. Plaçant un dieu tout puissant dans un ciel d’où il dirigerait le Monde, selon sa volonté, dont les voies sont impénétrables et les désirs obscurs. Mais qui, dans son immense condescendance, irait jusqu’à engendrer lui-même le meilleur d’entre les hommes ! Un démiurge assisté d’une armée d’anges voletants, porteurs de messages divins, destinés aux petits enfants en bas âges que sont les humains.

-Ce dogme dépouille les hommes de leur puissance et confisque, au passage, leur imaginaire.

-Néanmoins, l’élan chrétien a suscité la dévotion des âmes et mené l’art à des sommets remarquables ; les bâtisseurs de cathédrales ont réalisé des merveilles, qui sont autant d’hymnes à l’amour. Autant de havres de paix, où se recueillir, au milieu du tumulte.

-C’est juste. C’est le génie humain qui a produit tant de beauté. Cette spiritualité canalisée, montant avec ferveur vers un être suprême, peut tout aussi bien s’exprimer, vis à vis de la splendeur de l’Univers, Grand Être en Devenir dont nous faisons partie intégrante. En habitant nos corps, notre seul bien, enfin nous pouvons « être » et combler ainsi ce besoin d’avoir, expression de notre vide intérieur.

-Et c’est avec raison que tu établis ce rigoureux constat ! Cependant…

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Chapitre VII -Mais qui s’exprime ainsi ? -Gabriel ! Sous le masque, mon nom est Personne ! La personne par qui « ça »

sonne ! Je ne suis qu’un passeur, un porteur de nouvelles. Je personnifie par mon nom l’immanence de la conscience, qui circule à travers le Monde.

Tout ajout que l’on ait pu m’imputer ne relève que de l’imaginaire des Hommes. Tout être est un passeur, chargé de quelque message, qu’il lui appartient de capter et de délivrer.

Et vous pensez, tous deux, si fort et si haut, que chacun peut suivre votre conversation ! Moi, qui suis une très vieille âme, je demeure toujours à la périphérie. Thassos! Tasio! Zito! Je m’incarne souvent, mais je demeure à M pour l’instant… ma reine au cœur puissant ! ma déesse aux serpents !

-Un seul être connaît de moi cette représentation crétoise : mon prince Thassos ! Et toi, Milo, tu ne m’avais rien dit !

-Je ne dis jamais rien… tu le sais… c’est le secret des âmes ! Nul n’y a accès. Seuls, ceux qui ont vécu ces vies sont en mesure de les révéler et d’en dire quelque chose. Chaque relation s’appartient. Je ne pouvais, certes, ignorer que vous vous connaissiez : je suis un homme de lumière ! Mais ici nous sommes à M, non dans un tribunal de Grande Inquisition.

-J’ai bien l’impression, là, de jouer dans une pièce de Boulevard ! -Ah ! Ma chère, plutôt chez Molière, où tout le monde se retrouve à la fin ! -Plût au ciel que nous ne soyons pas chez Shakespeare, où tout le monde meurt ! -Ici, il n’y a pas de fin… c’est plus simple à écrire… -Mais il y a du commencement ! Chassez tous vos regrets ! L’enfant dont vous souffrez

tous deux, n’était pas celui qu’il vous fallait ! -Veux-tu nous dire par là que c’est le même enfant ? -Non, mais du moins la même âme ! Que vous aviez apprivoisée sur Manu-Manu, dans

la constellation d’Alpha du Centaure ; Milo le sait déjà. -Dans le laboratoire suspendu de la canopée ? -Je n’y suis pas allé moi-même. Tu m’avais, cependant, présenté ton père de l’époque,

jeune fille ! J’étais Tasio, alors, dans ce monde-là, capitaine de Vaisseau ! Mais pendant notre long voyage intergalactique, tu eus tout le loisir de m’en détailler les travaux.

-Les drimouzes à huit pattes ? -Non pas ! Les poucifères… qui n’arrêtaient pas de muter. -Plus précisément de muer, ah oui, c’était une énigme ! Ils naissaient semblables à des

chats, ils miaulaient pareillement, et puis en grandissant, ils en venaient à aboyer, puis à parler comme nous!

-Tu m’avais supplié d’en garder un ! -Oui, et tu avais cédé ; je l’avais appelé Georges ! Du moins d’un nom qui signifiait

gorge, dans notre langue. Il était si câlin et si attachant, un peu comme un enfant. -Eh bien, voilà le drame. Il vous aimait beaucoup et le sentiment que vous porte un

animal est indéfectible. -Et quand tu m’as quitté pour partir en voyage, tu me l’as laissé. Il a vécu longtemps

près de moi, après ton départ. Il se plaignait toujours. Tu lui manquais, vois-tu, comme à moi-même… -Ce Georges a connu, par la suite, neuf vies. Un prodige animal, une âme déjà bien évoluée, qui n’aspirait qu’à devenir humaine ; ces petits cœurs que l’on choie, puis que l’on abandonne, après sont en demande. Il a voulu tenter les Années Folles ! où vous viviez tous deux. Tant et si bien qu’à son premier essai, c’était alors Milo qui semait à tout va ! Bref, ce fut Marguerite qui reçut son Y… et la petite âme suivit… -Ah Marguerite était bien intuitive ! Elle voulait appeler l’enfant Georges ou Annie!

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-Et cela ne te plaisait pas. Je comprends mieux pourquoi tu m’as refusé ce prénom, prétendant préférer Florence ! -Ah ! N’embrouille pas tout ! -Mais l’âme de cet étonnant Georges -que vous aviez prénommé Jean- s’est vue très vite reléguée un peu loin de Milo, à la merci d’une nourrice qui lui pompait l’air avec ses gros seins ! Il préférait de beaucoup ceux de Marguerite, menus et si mutins ! Et c’est bien une méningite qui l’emporta… -Gabriel ! tu es incorrigible ! Tu en rajoutes ! -Que nenni ! Mais n’aviez-vous pas été quelque peu imprudents de vous investir, jadis, dans le cycle inconnu de cette exo-planète ? -C’est la curiosité qui m’y avait poussé… -Moi, je l’avais suivi… -Vous savez, cependant, que rien n’est jamais gratuit ! Et notre âme/Georges, pour sa seconde chance –car il a persévéré, c’est ainsi qu’on se forge un destin- n’a rien vu de ce monde, à part le ventre de ma reine ! Ensuite… -Ensuite… à l’âme humaine, appartient son cheminement. Elle choisit son destin, dont le dessein nous reste impénétrable.

-Mais est-il bien décent de sembler prendre ainsi, à la légère, la mort d’êtres qui nous sont chers et dont la perte a causé tant de douleur ?

-Que veux-tu cela fait partie de l’insoutenable légèreté de l’ange, qui est incomparablement supérieure à celle de l’être ! Et puis, vois les humains ! qui de nos jours exhument les momies et les passent au scanner. Ils se rendent coupables de violation de dernier domicile, d’extorsion de morts, de profanation de squelettes –dont ils mettent à jour tous les petits secrets ! Crois-tu qu’ils se soucient des âmes qui habitaient ces corps ? Du chagrin des familles ? Cependant… et c’était un des buts de mon propos… il vous faut comprendre que Florence a dû assumer vos deux désirs défunts.

-Enfant, elle fut très turbulente ! volontaire ! et même garçon manqué ! -On le serait à moins… seule une fille pouvait avoir assez de flexibilité pour endosser

ce rôle entre vous deux. La personnalité d’un garçon demande, pour bien se construire, un peu plus d’attention. Le mâle est plus fragile, sa condition, déjà, plus délicate. Et cela dès sa conception lorsque, dans l’embryon, les deux sexes en présence ne se sont pas encore différenciés. Eh bien, le programme du chromosome Y se doit d’intervenir juste au bon moment, afin d’induire sa différence. Alors que le développement est naturellement femelle et sans encombre, pour le beau sexe.

-Dit-on jamais d’un homme, avec indulgence, qu’il est une femme manquée ? Et s’il lui prend l’envie, enfant, de jouer à la poupée, les quolibets et les moqueries ne lui sont point épargnés.

-Mais, c’est sans doute parce que c’est un cas de figure qui n’existe pas ! -Monsieur Freud, pourtant, n’affirmait-il pas que la femme fait un complexe... -De castration ! Il était, inconsciemment… victime des dires bibliques ! Ainsi Einstein

ne voulait-il pas croire que Dieu jouait aux dés, ni que l’Univers, s’il était relatif, n’était pas immuable ! Crois-tu donc que les femmes vous envient cet appendice encombrant ?

-Elles le convoitent, cependant… -Pour un tout autre usage ! Mais qui rêve sans cesse d’être une femme et d’en

connaître le plaisir ? Qui se maquille et qui se travestit ? D’ailleurs le Don Juan, trop porté sur les femmes, ne fait qu’entreprendre de se rassurer sur son identité ; sur son sexe, qu’il égare, parfois… ailleurs.

-Tu ne peux nier que certaines femmes aiment aussi à changer de rôle ! -Oui… mais elles demeurent toujours essentiellement des femmes, et, quoi que vous

pensiez, ce n’est pas comparable.

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-Il nous faut cultiver en nous ces deux aspects, qui sont complémentaires ; un homme qui ne développe pas, intérieurement, son côté féminin-réceptif, reste une grosse brute, fonçant sur les obstacles. Un épais personnage. D’autre part, une femme se doit de conquérir son indépendance, puis d’aguerrir sa volonté et son esprit. Sinon, elle n’est vouée qu’à la sensiblerie et à la légèreté. Mais notre sexe de naissance reste, lui, intangible ! j’en ai fait maintes fois l’expérience, sans jamais me laisser aller à « l’hybris » de vouloir en changer et à l’extrémité d’une opération mutilante.

-Florence, néanmoins, a toujours eu beaucoup de passion et d’énergie à dépenser ! Elle a, d’ailleurs, inlassablement, trop aimé les hommes.

-C’est là, le père qui parle ! on n’aime jamais trop les hommes. Le poète Louis Aragon n’a-t-il pas écrit : la femme est l’avenir de l’homme ! Que serais-je sans toi ? convenait-il.

-Vous n’aviez guère de temps, vous mêmes, à consacrer à cette enfant… et l’avez, dès sept ans, expédiée dans une famille de paysans, à la montagne. Ah ! je me souviens d’elle -j’étais, alors, dans la peau de Zito- et je m’étais rendu à la maternité, pour te soutenir quelque peu, ma reine ! Milo était encore prisonnier en Autriche.

-Tu m’apportais des fleurs. -Et je te trouvais belle, mais tu étais la femme de mon ami ! D’ailleurs, dans cette vie,

mes goûts étaient ailleurs. Plus tard, j’ai offert à Florence sa première boîte de couleurs. -Je lui ai inventé, moi-même, un nouveau jeu : de toute une collection de cartes

postales de reproductions, il consistait à reconnaître le peintre à sa patte -sa facture- et me donner son nom.

-Et cela l’amusait beaucoup ! Nous aimions cette enfant, tu le sais. Elle n’a séjourné à la montagne que pour sa santé. Elle tenait, d’ailleurs, toujours à y retourner pour les vacances et c’était affreux, en rentrant, comme elle sentait la vache ! Je n’étais pas, certes, une mère qui câlinait beaucoup mais, je m’occupais d’elle et je lui achetais toujours de jolis vêtements.

-Qu’elle n’appréciait guère ! je conserve l’écho de certains différends ! -Ce sont là des histoires de femmes, auxquelles tu n’entends rien ! Elle aimait tant à

démonter et remonter les choses que c’est moi qui lui ai offert le mécano dont elle rêvait ! -Et moi, les premiers timbres ! -Elle avait alors d’autres chats à fouetter, à démonter les mots ! Les timbres ne

l’intéressaient guère. Ils étaient plus en résonance avec ta voix, Milo ! -Ah ! Comme j’aimerais t’entendre encore chanter l’air de La Calomnie ! -Quand j’allais déjeuner chez vous, le dimanche, tu nous en régalais ! -De ce cher Rossini ? Le Barbier de Séville ! où, c’est vrai, j’incarnais Don Basilio. -Allez, Milo, ne te fais pas prier ! Les âmes bénéficieront, c’est certain, de ta basse

chantante ! -La voix bien dans le masque, alors : « C’est d’abord… rumeur légère… »

t z r y o p q s j k l m v n z s q o p z v n y p -C’est fantastique ! ta voix a gardé toute son ampleur ! son grave si profond ! -Lyrique ! Magnifique ! Cela me manque un peu ! Dans mes exo-planètes, ta voix ferait merveille, jetée dans l’atmosphère de mes Beaux Territoires ! Je n’ai, là-bas que des chanteurs de variété ! Tiens, sais-tu, que j’ai réfléchi à ta fresque ! -J’espérais bien que tu trouverais quelque inspiration auprès de tes fabuleuses planètes, rendues un peu plus loin que cette vieille Terre, plus juvénile, en fait, qu’on ne le croit. -Quand nous vivions, Milo, sur Manu-Manu, la civilisation qui s’y développait, était déjà plus avancée. La planète, il est vrai, est un peu plus ancienne. -Ah ! Ma reine, souviens-toi de notre voyage d’exploration dans la galaxie ! La vie était partout ! Elle est, dans l’Univers, la symétrie nécessaire à l’entropie, ce 2ème principe de la thermodynamique, qui veut que toute énergie tende au désordre et à la dégradation de son système.

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-Oui, je m’en souviens bien : laissant mon père à son laboratoire -pauvre Milo !- nous avions pris contact avec d’autres communautés. La vie, dans l’Univers, a essaimé avec une incroyable diversité de fonctionnement et de formes. Partout l’intelligence et partout la conscience. Et les phantasmes des terriens sur les extra-terrestres sont, je pense, infondés, car il n’est d’extrême complexité sans plus grande conscience et sans surcroît d’amour. Toujours à mesurer les autres à leur aune !

-Nous, les Terriens, n’avons réussi qu’à aller sur la Lune, là où nous ne risquions pas de troubler considérablement l’ordre du Monde. Cependant, tant que nous n’aurons pas fait quelques pas de plus… dans la compréhension des lois fondamentales de l’Univers, nous n’irons guère plus loin. -Tous les êtres, en effet, dans les exo-planètes -ceux du moins qui sont en mesure de voyager et de se rencontrer- ne sont que des âmes bienveillantes, qui cherchent à échanger, à connaître, à comprendre. Un jour ou l’autre, c’est certain, ils vous rendront visite ! Néanmoins, on ne peut échapper à la symétrie -sinon en l’intégrant- et quelque part existe un certain MatinLumièreMontagne1, qui, s’il était libre de ses mouvements, nous causerait bien du souci. -On voit mal, toutefois, quelque dinosaure, au si petit cerveau, construire un engin interplanétaire, voire une araignée monstrueuse arpenter les Mondes, autrement qu’en tissant sa toile ! Mais nous, sans aucun doute, nous y parviendrons certainement un jour. Car nous avons toujours besoin de plus d’espace. Alors, nous voudrons conjointement plus de temps. Qu’en sera-t-il alors quand nous ne mourrons plus… du moins… quand nous vivrons vraiment beaucoup plus longtemps ? En effet, sans la Mort, qui enrichit le Grand Composte de la Terre et qui fait place nette, dans quel état serait notre pauvre planète ? Grouillante de bestioles, surpeuplée de vivants ne lâchant jamais prise ! Elle serait, alors, vite asphyxiée, détruite, avec -sur le point de l’être- toutes les pauvres créatures peuplant son sol épuisé. -C’est là le sort qui attend, cependant, tous les nouveaux « punis ». Punis, comme le furent, naguère, les peuples retenus derrière le « rideau de fer ». Le marasme et la pénurie, risquent aujourd’hui de s’étendre à toute la Terre, par notre inconséquence. -N’oublie pas que j’avais pris ma carte au Parti Communiste ! -Oh, je m’en souviens bien, Milo ! en rentrant du stalag. -Je me rappelle aussi que le même Zito -encore toi, Gabriel !- m’y avait amené, me ventant les idées innovantes du marxisme ! -C’est juste ! c’était nouveau ! mais, j’ai très vite changé d’avis…

-C’était alors la seule espérance désembourbant quelque peu l’avenir, après les grands ravages des deux guerres mondiales. Une idéologie qui tenait bien la route. Un combat qui rassemblait, donnant au Monde un élan fraternel, que jamais auparavant il n’avait connu. Et nous y avons cru ! -Comme font les fidèles de toute religion... -Les religions ont soutenu vaillamment les Hommes. Elles ont aussi servi à les contenir dans leur folle démesure, leur donnant us et coutumes, codes et lois, et rassemblant, par l’élan des âmes, les peuples autour de leurs dieux -qui chapeautaient la pyramide. -Il était hors de portée des anciennes populations de penser l’Univers, et, ceux qui l’ont tenté, quelques rares initiés. Conjointement, les Rishis, les Indiens d’Amérique ainsi que les Aborigènes d’Australie, n’ont pas été suivis. La soif de pouvoir a toujours obscurci l’esprit des Hommes. -Des papes ont rabattu quelque peu l’arrogance des rois avec l’excommunication, qui nous semble aujourd’hui bien dérisoire. Quoiqu’autrefois, chez les Grecs, être banni de la cité, signifiait tout simplement la mort. -Calvin et Luther ont surgi, quand trop d’abus, déjà, corrompaient la foi. 1Machine intelligente, dans un roman de P.F. Hamilton, l’Etoile de Pandore –Ed. Bragelonne SF

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-Ce fut le premier pas vers la laïcité. Bientôt les biens de l’Eglise furent sécularisés et la convoitise fit alors rapidement des convertis chez les puissants, avides de s’accaparer ces richesses.

-Ah ! il n’est pas simple de canaliser les foules sentimentales et leur soif d’idéal1! de spiritualiser leurs superstitions. Il y faut de l’imagination.

-Les religions n’en ont jamais manqué ! -Mais il leur fallait aussi inspirer le respect, ainsi que la frayeur d’un châtiment

terrible, rude, paternel, et surtout souverain. -Le problème s’est posé différemment, quand il s’est avéré nécessaire de suppléer aux

religions, d’aller un peu plus loin. -Effectivement, Milo, quand l’Homme, enfin, a pris en main sa destinée.

-Il a voulu, à son tour, organiser son monde. Il pensait faire mieux, sans les dieux, sans les rois et tout avec le peuple. Toutefois, il lui fallut bien distinguer un chef, parmi la poignée d’hommes dictant et imposant les nouvelles règles. Et pour les appliquer, des serviteurs zélés. Au bout du compte il ne parvint à mettre en place que des fonctionnaires et des petits tyrans ! -Oui, il a sapé ainsi toute initiative et toute créativité. Il n’a induit qu’une population d’assistés. Il a cru qu’il pouvait gérer l’ensemble des ressources pour les redistribuer équitablement. Il a compté sans la nature humaine… Comment être honnête avec des gens malhonnêtes ? Comment respecter ceux qui ne se respectent pas eux-mêmes ? Comment pallier à l’ignorance, stopper l’avidité ?

-On s’épuise à vouloir sans cesse être le calife à la place du calife ! -Et l’on finit, à l’instar du héros du film « Viva Zapata2 ! », par cercler de rouge le

nom du nouvel opposant -le prochain ennemi- comme l’avait été jadis son propre nom. -Dans toutes choses, il faut qu’il y ait, en effet, un commerce équitable, dans une

réciprocité choisie et mesurée. Mais dans l’état du Monde, c’est impossible. Autant vouloir nettoyer les Écuries d’Augias, et, nous manquons d’Hercules !

-Si l’on veut imposer sa volonté d’en haut, il est certain que l’on court à l’échec. La police, l’armée, la force et la violence sont alors nécessaires, justifiant les moyens pour une fin... illusoire.

-Les moyens qu’emploient les fascismes -de gauche comme de droite- sont toujours les mêmes. Ils viennent avec leurs bottes, ils ont la loi des fusils et des tanks. Et une dictature est une dictature, qu’elle soit hitlérienne ou prolétarienne. -On se souvient alors de la Démocratie et de l’esprit des anciens Grecs, qui géraient leurs cités avec équité.

-Même si les femmes en étaient exclues ! -C’est exact, ma reine, les Hommes, de nos jours, ont l’ambition d’étendre cette

démocratie à toute la planète et tenteront de n’en écarter personne. -Ce n’est pas gagné… La route sera longue. Il va falloir aux humains, de la patience et

de l’opiniâtreté. -J’ai rendu ma carte du parti communiste, quand les chars russes ont envahi Budapest. -Tu as clairement vu où tout cela menait, nous en discutions longuement tous les deux. -Et même tous les trois, mais nous nous disputions… tu conservais encore quelques belles illusions, mon Milo !

-C’est vrai, persévérer était une folie ! Et ne pas se résoudre à reconnaître que l’on s’est trompé, c’est faire preuve d’un entêtement ridicule et dangereux, qui mène au fanatisme. -J’avais fait volte face très rapidement, par manque de foi. Toi, tu y croyais encore un peu, malgré tout, car tu croyais en l’Homme. Quant à tous ceux que le mensonge arrange, ils ont fini par le prendre, un jour, en pleine figure.

1Chanson d’Alain Souchon 2 Film d’Elia Kazan

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-Finalement, toutes ces erreurs ont peu à peu miné les certitudes et percé un trou dans le Mur ! -Mikhaïl Gorbatchev a enfoncé le clou avec la Glasnost et la Pérestroïka ! Mais il s’est fait jeter comme un malpropre ! -Néanmoins, il n’a pas abandonné la partie : il est devenu écologiste ! Il a effectué un travail remarquable et même publié un livre,1 donnant l’alarme et dénonçant la gravité de la situation planétaire. Il a frappé aux portes de tous les Grands de ce Monde, mais n’a été ni écouté, ni même pris en compte. -Le Mur a, cependant, fini par tomber et le système à imploser. -Mais combien de victimes ? Combien de faux espoirs à jamais écrasés, piétinés, par un extrémisme glacé ? -Aurais-tu oublié, Milo ! sous la Révolution, la Terreur ! Robespierre ! et la guillotine, qui ne chômait pas à l’époque ? L’extrémisme est toujours glacé ou trop brûlant pour que l’on puisse y vivre ! Et tous les extrémismes s’écrouleront d’eux-mêmes, c’est certain ! comme le Mur. -Bien sûr ! Si tu t’assois au bord de la rivière...

-... tu finiras par voir passer au fil de l’eau le corps de ton ennemi... -…mais tu auras, toi-même, déjà pris racines et tu ne seras bon que pour le tombeau ! -Nous faisons un fameux trio !

-Néanmoins, cette fresque de demain, Gabriel, comment la perçois-tu ? Comment vas-tu la peindre ? -Vois-tu, il faut reprendre les choses, précisément, quand tu les as quittées, Milo… -En mai 68 ? -C’est cela ! Et ce qu’ont amorcé les peuples, à cette époque est aussi important que ce qui s’est passé lors de la Révolution française. Après ses Droits Fondamentaux, l’Homme a revendiqué le Droit d’inventer Son Avenir, de laisser libre cours à Son Imagination. -Alors : Il est interdit d’interdire ! L’imagination au pouvoir ! Prenez vos rêves pour des réalités ! …ce ne serait pas la chienlit ? -Tu connais la réponse ! -Ce n’est pas par la force qu’on changera les choses, ni les hommes. C’est bien plutôt en les comprenant et en en respectant les lois profondes. Le temps est venu où les êtres humains se doivent de déterminer leurs choix fondamentaux. Car, aujourd’hui, ils en ont les moyens. Est-ce dans leurs aspirations, de vivre dans un monde industriel pollué et mercantile ? où leur horizon de vie se limite à travailler et à consommer ? -Il faut le leur demander ! Faire un référendum… -Je pense… qu’il faut leur suggérer d’autres scénarios… réveiller leur rêve intérieur, impitoyablement brisé, piétiné, réprimé, et cela dès l’enfance. Toujours perdu, toujours blessé, il est là cependant, tout au fond d’eux-mêmes, comme un Pays Blanc délaissé, en friche, en jachère. C’est bien cette Planète Oubliée qu’il faut réanimer, revivifier, aimer. A qui l’on doit donner le Baiser du Prince, pour en faire un Nouveau Jardin d’Eden, où pourra se cultiver l’Homme. Où il lui sera, alors, possible d’être son propre jardinier… et de jouir du Monde sans intermédiaire, sans entraves ni remords. De contempler la beauté des choses et atteindre l’extase à chaque instant.

-Gabriel… tu as fumé la moquette ! -Seraient-ce les effluves de mai 68 ? Les fragrances des hippies ? Ou les émanations

du Fumeur de Havane2 ? -Ah ! Toujours, là, à nous empêcher de planer un peu ! Je m’escrime, à travers mes

volutes, à vous torcher des projections idylliques, merveilleuses et paradisiaques et vous ne savez que me tirer par la chemise ! 1-Mon manifeste pour la planète. Ed. du Relié 2-Dieu est un fumeur de Havane –Serge Gainsbourg

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-Non pas ! Mais tu sais, comme moi, qu’on ne peut emprunter aucun raccourci. -Pour en arriver là, il ne suffit point de le dire, ni de le chanter… il faut le cheminer. -Et que proposez-vous ? -D’avoir, déjà, un aperçu des merveilles qu’accompliront les Hommes, dans un futur

proche. -Grâce à sa technologie, l’Homme pourra bientôt coloniser d’autres planètes. -Reproduira-t-il les mêmes erreurs que par le passé ? -Il faut espérer que non… il sera certainement en mesure de commencer par

terraformer Mars et la Lune. -Avant de s’attaquer à quelque exo-planète… -En développant la recherche sur les cellules souches, il trouvera bientôt la clé pour

faire repousser les dents et les cheveux. Régénérer la rétine et le nerf optique. -Donner ou redonner la vue aux aveugles ! -Mais aussi il pourra mettre en culture, cloner, des organes vitaux qui ne seront alors

plus rejetés et rendront caducs les dons et trafiques d’organes. -Tous les programmes sont en germe dans le noyau de nos cellules. Et pour ce qui ne

pourra être remplacé, des prothèses performantes, des exosquelettes y pallieront au mieux. -L’Homme sera en mesure de se régénérer, de retarder considérablement son

vieillissement. Sa mort sera, alors, infiniment lointaine. Il pourra envisager de vivre plusieurs vies.

-Avec le même corps ! -L’évolution a la forme d’une spirale dorée et non pas d’un cercle vicieux. L’Univers

est condensé, replié, involué, dans les nombres -pour qui saura en résoudre l’algèbre- et l’information de la vie dans l’ADN ; comme sont piégées, fugitivement… les choses dans les mots, l’esprit dans les symboles, la synchronicité dans les coïncidences. C’est un langage, tout est langage !

-Les lettres courent de droite à gauche, quand nous les habitons, de gauche à droite, quand nous nous en distançons. Et nous avons besoin de cet espace pour exercer notre liberté. Car il est nécessaire de dialoguer pour avancer. A quoi nous servirait donc un monologue, content de soi et se suffisant à lui-même. Les asiatiques ont adopté, d’ailleurs, une tout autre direction spatiale, pour leur écriture, ainsi que pour leur culture.

-Si tant de différentes langues sont issues de l’Homme, c’est bien que chacune est adaptée à ses conditions de vie et à ses résonances. A la tonalité de son environnement : forêt, steppe, désert, littoral, montagne. Toute la chromatique des sons imaginables dans sa voix. Ainsi que tous les dégradés de couleurs sur sa peau.

-C’est ce qui fait la beauté du tableau ! Il est donc logique que les religions, suivant leur ministère, épousent les mêmes altérations. C’est là qu’il nous faut reconsidérer la spirale et prendre le tournant de la volute ! pour monter à l’étage supérieur, par le Grand Escalier de Cristal. L’échelle de Jacob, qui toujours hisse l’Homme et le conduit « ailleurs ».

-Ah ! un ailleurs, qui, à chaque instant présent, taille, fraye et débroussaille, toujours vers « l’à venir », ouvrant notre chemin.

-Un chemin -je le connais bien !- comme une page blanche et vierge, où nous avons la liberté de tout écrire.

-Cependant… quand nous repassons -de par la circonvolution du palier supérieur- en surplomb de notre passé, nous en parviennent encore les odeurs, les relents, les remugles, quelques bribes de phrases et des images anciennes, délicieusement sépia.

-Ce qui bien souvent nous fait croire que l’Histoire ce répète, mais en fait, elle bégaie ! -Ce sont là des sirènes qui nous appellent, nous attirent vers le gouffre, en arrière, nous

fascinent et nous tentent. -Ne partez pas déjà ! Revenez ! Restez là !

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-Bouchez-vous les oreilles ! le nez ! et bandez-vous les yeux ! Avancez ! Il n’y a qu’un sens à la route !

-C’est bien ça ! Et contrairement à ce que l’on croit, c’est la mort qui est derrière, la vie, elle, est devant ! L’Escalier de Cristal ne peut se redescendre qu’intérieurement. Mais il reste à jamais inscrit en nous. Accessible… ce sont là nos archives, indélébiles.

-Gabriel ! J’admire ton coup de pinceau ! -Je ne fais qu’utiliser les couleurs de la Palette ! Celles de l’Arc-en-ciel ! Je n’ai pas

beaucoup de mérite : tout est là ! -Tu veux dire que tout est à notre portée ; encore faut-il lever la tête, mais

parallèlement, vaincre sa peur pour aller voir en soi, où le sentier court dans le noir ! -Ouida ! Mieux vaut lever la tête que la baisser ! Cela dit, il faut également prendre en compte les douleurs innombrables. Trop de blessures d’enfance, de souffrances de l’Arbre, nous empêchent de mener une bonne vie. Il faut d’abord soigner, panser. Les épreuves subies par l’Arbre se reproduisent comme les cellules, en se dupliquant. Et lors de la séparation de l’enfant d’avec sa mère -à la naissance- elles sont déjà encodées dans son petit corps, léguées par ses deux parents. Les mensonges, les silences et les omissions y sont chargés également, qui vivent en lui comme des fantômes, difficiles à identifier et à déloger. Ces fantômes, si devenu adulte, il ne sait les dissoudre, dirigeront sa vie, en son lieu et place. -Ce sont eux qui nous poussent à remettre en scène, indéfiniment, le même scénario, jusqu’à ce que nous l’ayons résolu, comme il est possible de le faire avec une équation. -Cela s’appelle la résilience. C’est la seule façon de redevenir maître de sa vie. -Effectivement. Alors, nous serons capables de stopper le gâchis que nous faisons des corps. Ces beaux corps qui nous sont donnés et que nous malmenons tant, par nos maladies de l’âme. Littéralement, par tout ce qui mal a (été) dit. -Ces corps torturés et martyrisés, mais faits pour la tendresse, la caresse, et que le plaisir irradie, irise, illumine. Que la communion vraie avec un autre corps sublime et transfigure véritablement. Sans artifice et sans recours à aucun dogme, ni drogue, aucune religion que celle de l’échange. Ces corps que nous lisons du bout des doigts, à travers cœur, dans le noir lumineux de l’amour.

Tout regard, donc, toute conscience, change le cours des choses. -Il est, certes, plus difficile à un voleur de te voler, si tu le repères et que tu te mets à le regarder dans les yeux… -Ma reine, j’aime tes expressions imagées ! -Dire ne suffit pas, il faut montrer. -C’est bien là le travail qu’effectue Milo avec ses âmes. Il allume la Lanterne Magique, pour –comme il le chante si bien- leur donner l’envie d’avoir envie !

-Les âmes adorent les images, mais elles glissent un peu trop à la surface des choses, sans y pénétrer. J’aimerais tant qu’elles cessent de mouliner du drame et de la tragédie, alors que la vie leur sourit, que les galaxies éclatent de rire et que l’Univers se gondole à en avoir le hoquet.

-Le cerveau humain est à l’image du tissu de l’Univers : replié, chiffonné en circonvolutions, traversé de synapses et de connections. -Et, ce qui nous arrive, est en corrélation avec ce que nous sommes. Nous l’avons appelé, favorisé, programmé, en quelque sorte, par nos choix de chaque instant ou par notre inconscience. Le bon comme le mauvais surgissent, justement, dans la somme de notre présent : ce que nous pensons et ce que nous faisons ; ce que nous acceptons, ce que nous subissons ; ce contre quoi nous luttons et ce en quoi nous avons confiance. Nous forgeons nous-mêmes, sans cesse, notre propre destin par notre positionnement au Monde, qui détermine la route qui s’ouvre devant nous, parmi tous les chemins potentiels et possibles. -Nous faisons, il est vrai, toujours la moitié du chemin à la rencontre de notre avenir.

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-Toutes les forces de pression nous obligent, parallèlement, à nous définir. Elles nous sculptent et nous malaxent, mais nous sommes maîtres de notre structure : la conscience. -Il en est de même au niveau planétaire. Toutefois, quand la machine est lancée, il faut là, une force surhumaine pour la stopper. Cela ne peut se faire qu’avec la somme de consciences attentives. -Mais l’Homme est pris, parfois, dans la vague, dans l’onde de la synchronicité, décrite par Carl Gustav Jung. -Les choses qui sont consonantes vibrent ensemble, disait Confucius. Celles qui ont entre elles des affinités dans leur essence intime se recherchent mutuellement. L’eau coule vers ce qui est humide, le feu se tourne vers ce qui est sec. Les images suivent le Dragon. Le vent suit le Tigre. -Cela engendre alors la loi des séries, quand l’amplitude de la vague, balaie des régions entières, comme un tsunami. -Et quand l’époque est en plein marasme, quelques sombres charlatans prophétisent, alors, la fin des temps !

-Ah ! la fin du Monde arrange les Hommes ! La guerre les arrange. La mort les arrange toujours. C’est le seul et le plus sûr moyen qu’ils aient jamais trouvé pour sortir de leurs impasses et pour dépasser leurs contradictions.

-Qui se tient, cependant, sur la ligne de feu ? Qui sont ceux qui toujours montent au créneau pour tenter de réveiller leurs semblables ? Les intellectuels, les chercheurs, les artistes mais aussi les citoyens lambdas qui, anonymement, se servent de leurs connections neuronales avec un peu plus de dextérité. Les idées, qui sont la clé de tout, appartiennent aux free-lands.

-Mais les humains préfèrent souvent avoir recours au ciel plutôt qu’à eux-mêmes ! -Seulement, le ciel n’y peut rien…

-Eh ! ne serions-nous capables que d’être acculés à voir des pans entiers de notre humanité basculer dans le sillon, parce que nous n’aurions pas eu la prévoyance de labourer nos terres par nous-mêmes, à la bonne saison ! fumer, ensemencer, quand il aurait fallu ! Devons-nous attendre sans cesse les guerres, les déluges et les tsunamis, les accidents, les maladies pour devoir évoluer de force ? Combien de temps encore aurons-nous ainsi besoin de coups de trique, comme de mauvais élèves ?

-Les technocrates qui fréquentent les écoles du pouvoir, sont, quant à eux, capables de gérer les configurations complexes des sociétés humaines. Néanmoins, si les hommes politiques du monde entier, ainsi que les grands financiers, ne continuent d’œuvrer qu’à des fins personnelles d’ego et d’arrivisme, la civilisation ne pourra aller que dans le mur.

-Il est, plus que jamais, nécessaire d’unir tous les talents, quels qu’ils soient. -Effectivement, si l’économie mondiale venait à s’effondrer, l’humanité serait projetée

brutalement dans une violence inouïe, une barbarie sans précédent. -Imaginez cette planète Terre, l’électricité coupée ou rationnée, l’essence à bout de

souffle, l’eau non régénérée ! La civilisation serait renvoyée, non pas au Moyen Age, ni même à la préhistoire -où l’espèce humaine était en phase avec ses conditions de vie et ses connaissances- mais dans un univers déchu et ruiné ; elle serait alors démunie, non armée pour survivre dans des conditions simples mais précaires.

-Il n’y aurait, alors, plus assez de prisons, conjointement, aucune forteresse ne deviendrait inexpugnable. Les systèmes de sécurité de tous genres seraient sans effet.

-On n’est jamais en sécurité nulle part, que par la force de son innocence et de son désir…

-Certes ! Il faut, cependant, s’attendre par sagesse à des bouleversements. Préparer les arrières. Bibliothèques, puits, fours à pain, halles aux grains, semences, caves, outils.

-La solidarité, sur la planète, sera alors la seule planche de salut.

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-Le partage s’avère nécessaire, avant que ne sautent les digues. Trop d’inégalités ne sont plus supportables, ni acceptables. Mais le partage se doit de venir d’une volonté d’en bas…

-Du désir de tout un chacun, qui lors apparaîtra comme une évidence ! -Une décision prise en son âme et conscience… par tous les humains… -Et il est grand temps de consulter les partenaires sociaux ! -Il faut que l’Homme accomplisse ses propres miracles, par l’actualisation de son

désir profond ! -Jésus…

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Chapitre VIII -On vous entend rire et chanter depuis la constellation du Cygne ! Et c’est si rare

à M, que j’ai fait le déplacement. Il y aurait-il une bonne nouvelle ? Vous, mes amis, vous êtes toujours là ! Toutefois ce qui a surtout capté mon attention, c’est la logique implacable et intacte, de ma Marie-Madeleine. L’ignoriez-vous ?

-C’est le secret de mon âme… qui aurait osé y faire allusion. -Peut-être sommes-nous là dans un cas de figure quelque peu inédit… -Oui… un nouveau genre de coup de théâtre ! -Ce n’est pas un hasard si on l’appelle, aujourd’hui, Manou ! -C’est vrai… c’est bien la nôtre… -Mais n’en abusez pas ! -Tu m’as toujours si bien compris, Marie-Madeleine ! Du moins, n’as-tu jamais

douté que je sois un homme. Tu connaissais tous mes rêves secrets. -Nous en parlions des nuits entières. -Tu as été la seule à qui j’ai pu ouvrir ainsi mon cœur, et, jamais tu ne lâchais

prise dans une discussion. -C’est ma nature… toi-même quand tes compagnons ont tenté de t’éloigner de moi, tu

m’es resté fidèle. Tu m’as défendue lorsque l’on me montrait du doigt. -Je t’aime, tu le sais : tu es ma sœur. -Ta sœur aînée… -Car la femme est toujours l’aînée de l’homme. Petit, tu m’as bercé dans tes bras.

Et ton chemin de croix a commencé bien avant le mien ; il est temps de le clore. -Notre enfance fut douce, nous avons partagé nos jeux ; tu étais déjà beau parleur et tu

aimais la polémique. -J’avais la parole facile. -Les violentes colères, qui t’emportaient souvent contre les injustices, inquiétaient les

parents. Tu as une idée claire de la nature des choses ! Et tu as fini par bien secouer les marchands du Temple !

-Peut-être étais-je un peu présomptueux, alors. -Tu ne me reprochais rien, quand je sortais le soir. -J’attendais que tu rentres, je respectais ta liberté ; je t’admirais d’avoir le

courage de ton désir. -J’ai déserté très tôt la maison familiale, il est vrai. J’avais besoin de m’évader et de ne

plus entendre Marie récriminer. Prendre prétexte de la moindre querelle pour reprocher, encore, à notre père d’avoir dû accoucher dans une étable -elle qui n’aimait pas les animaux- et, de surcroît, dans une ville de province. Tout cela à cause d’un stupide recensement.

-Mais tu étais charmante, aussi, tu voulais plaire, te coiffer, t’habiller. Toutefois la famille était pauvre.

-Ah ! Tu avais déjà, Manou, toutes les caractéristiques d’Eugléna, le charmant protiste…

-On ne change pas sa nature. Marie me faisait souvent des remarques sur mon penchant pour les parfums… comme ta mère, Milo, sur mes chapeaux !

-Lazare ! j’oublie parfois qu’on te prénomme également Milo… -Et qu’il a retrouvé, à présent, sa Vénus… -Mais toi, Marie-Madeleine, tu portes à jamais le sceau du double M, comme du

double X. -Ainsi, rappelle-toi combien notre Manou s’est réjouie lorsque je suis devenu

représentant en parfumerie ! Renault m’avait licencié après les grèves de 1936.

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-On te reprochait ton rôle de syndicaliste, porte parole de tes camarades ouvriers et quelque peu leur écrivain public. Mais l’usine te convenait mal .Tu étais un mauvais « fils du peuple1 »

-Comme je fus un « mauvais poisson » ! -Tout à fait ! Tu faisais partie de l’aristocratie des canuts, qui travaillaient chez eux,

fiers de ce privilège, pivot de leur indépendance. Les parfums t’ont ramené un peu plus près des femmes, de la soierie et des velours, que tu connaissais bien. Ensuite, après la guerre, tu as suivi tes affinités profondes, les livres et la papeterie. Ni toi ni moi, cependant, n’avions souvenir d’autres vies, mais peut-on jamais se renier tout à fait, s’oublier totalement ? N’étais-tu pas un de mes amants coutumiers… quand j’étais courtisane ?

-C’est vrai… mais j’admirais aussi beaucoup ton frère, qui prenait toujours la défense des pauvres et des déshérités. Et puis, secrètement, tout en étant marchand, je rêvais de théâtre, de public, d’écriture !

-C’est toi qui m’as parlé le premier d’Eschyle et de Sophocle. Mais surtout de Socrate…

-Et moi –Euzébio de l’époque- déjà l’ami de Lazare-Milo, je t’ai vanté l’Egypte ! j’étais marin, j’avais vu du pays.

-C’est vous qui m’avez donné le goût du voyage… j’ai quitté ma famille. -Personne ne savais où tu étais parti. Mais parmi les caravaniers qui me fréquentaient,

j’avais quelques amis, qui me transmettaient tes messages. -J’ai tout d’abord fait halte chez les Esséniens. J’ai appris d’eux, à descendre

dans la mémoire du corps par le Grand Escalier de Cristal. Je me suis souvenu de mes vies… et de M.

-Nous étions tous à M, juste avant ta naissance, quand tu y es passé. Nous avions échangé, alors, bien des idées.

-Et j’avais consulté Bouddha ! Nous étions divisés sur les moyens d’enseigner aux Hommes un peu plus de mansuétude, d’amour et de charité.

-Il n’était pas encore entré en béatitude, mais il prônait toujours l’abandon du désir. -Et le désir fait vivre ! Je revenais, alors, de quelque exo-planète, où j’avais

préféré migrer ; le traitement que m’avait réservé les Grecs –je m’étais, antérieurement, laissé séduire par leur intelligence- avait quelque peu sapé mon enthousiasme, aigri mon empathie pour le genre humain.

-Te faire boire la ciguë ! pauvre Socrate ! toi qui étais pourtant un si bon citoyen ! -Ton disciple, Platon, a sauvé l’essentiel… -Sans doute, moi, je gênais, alors, on m’a fait taire ! Mais je leur ai laissé une

phrase sur un frontispice, à Delphes : « connais-toi toi-même ». -Que l’époque a compris dans le sens : « connais tes limites », mais qui, de nos jours, résonne, d’une toute autre profondeur !

Néanmoins, ces Romains belliqueux à Jérusalem, où j’avais vécu tant de vies, me retournaient les sangs.

-Nous avions convenu de partir avec toi... bien que sachant l’oubli qui nous saisirait. -Nous avions fignolé un plan, qui te mettrait sur la voie que tu désirais suivre. -C’était très bien élaboré. Et si je suis née la première, c’est pour en assurer la partie la

plus délicate : être au plus près de toi, agiter les idées, te trouver des amis. -Pour cela, nous avions fait confiance en ta nature, ma reine… -C’était réussi ! Et plus tard, j’ai gagné l’Egypte -je voulais consulter les

pythagoriciens- puis… j’ai navigué jusqu’en Inde, avec Euzébio, où j’ai suivi l’enseignement des yogis. Le message de paix et de compassion du Bouddha était toujours vivace. Il avait admirablement ensemencé cette région du Monde. 1Titre d’un roman autobiographique de Maurice Thorez

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-On m’a remis, alors, un papyrus où tu me contais ta rencontre avec Dionysos. -Son reflet ! il m’a initié aux plaisirs du vin. Nous avons voyagé quelque temps de

conserve, il m’a bien enseigné sur l’inconscient des Hommes. -Chez nous, on ne buvait jamais que de l’eau ! et pour cela, Joseph était intransigeant. -Il prétendait qu’ensuite, nous risquions de mal emboîter les tenons et les

mortaises. Ah ! C’était un bon charpentier ! jamais de clous. C’était proscrit. Encore à présent, quand j’y pense… toujours je frémis. Et je ressens tous ceux que les Hommes ne cessent d’enfoncer, sans même y penser.

-Le ciel leur semble toujours aussi lointain, il n’a cessé pourtant de se rapprocher. -Un jour viendra, peut-être, où ils se mettront un peu plus à sa portée ! -Au bout de mon périple, j’avais une toute autre vision des choses. Je ne désirais

plus changer la Loi, mais l’accomplir. Et il n’est qu’une loi qui vaille, la Loi de l’Univers. La loi usuelle est faite pour les hommes et non les hommes pour cette loi. Mon peuple s’était trop écarté de cet esprit, depuis Moïse. J’ai tenté de montrer comment marchait le Monde. Mais comment parler de M ?

-C’était impossible ! voire dangereux d’évoquer le retour des âmes. -À des foules en délire qui se seraient jetées du haut d’une falaise ou sous les roues des

chars, pour échanger leur vie. -Ou dans la gueule des lions… -Gabriel ! -Tu as été habile ! La résurrection faisait réfléchir un peu plus. Et d’aucuns se

voyaient déjà avec la même femme, le même odieux mari, le même méchant corps ; comme cadeau de la fin des temps, c’est un bien triste sort ! Qui a donné, plus tard, des cauchemars à certains1… A d’autres des visions !

-C’est la manière qu’a le cerveau humain pour résoudre un problème2 ! -J’ai dû vulgariser. Tous les initiés de quelque discipline sont dans l’obligation

d’adapter leurs connaissances au langage commun pour tenter d’être intelligibles. -Il n’est pas plus facile, à notre époque, de traduire des équations mathématiques en

idées compréhensibles. -Cependant, pardon si j’y reviens… mais j’ai toujours brûlé de te le demander… les

tentations du Diable ? -Madeleine… c’était mon ego, toujours mon ego, rien que mon ego… tous les

petits démons qui te taquinent… -et j’ai appris cela des Grecs- c’est lui, avec son « hybris » : sa démesure.

-Ce, qu’humblement, j’avais compris dans ton enseignement, c’est qu’un être humain ne peut tuer tous ceux qui le gênent ou qui ne sont pas du même avis, pas plus qu’il ne peut fuir indéfiniment l’adversité.

-Oui, Lazare, il faut accepter la différence, l’intégrer, la comprendre. En fait, c’est bien la meilleure définition de l’amour.

-Et l’on ne tue jamais qu’à partir de ce qui est mort en soi. -Ma reine, l’Homme tue son prochain de multiples façons et les blessures de l’âme

sont bien les plus profondes. -Marchand d’épices et de parfums, j’avais déjà, Lazare, le hasard dans le nom... Après

ton départ, je suis tombé malade. Tu étais mon soleil et je me mourais de mélancolie. -Nous tournons dans la nuit et le feu nous consume3! -A quoi sert la lumière du chemin que j’allume pour vous ? C’est vous-même que

vous devez suivre. Ma liberté ouvre la vôtre à l’infini. -C’est ainsi que tu m’as guéri. Et cette indépendance est restée gravée dans mon âme.

1 Michael Jackson : Thriller. .. 2 Docteur House... 3« In girum imus nocte et consumimur igni » -Virgile

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-Conjointement, il est vain d’interrompre sa vie sans en avoir franchi tous les obstacles. C’est un parcours que nous avons choisi et il nous faudra, donc, encore y revenir. La barre sera, alors, un peu plus haute.

-C’est juste, Marie-Madeleine ! Sais-tu qui m’a, depuis, le mieux compris ? C’est encore une femme : Françoise Dolto. Elle s’est penchée sur ce que rapportent mes évangiles, au risque de la psychanalyse. Ah ! Comme elle a su parler du désir qui nous habite. Et elle savait, pour les avoir côtoyés, aimés et compris, que c’est bien les enfants qui choisissent de naître.

-Les gens, souvent, parlent à l’envers, car ce n’est pas la vie qui les choisit, mais le contraire.

-Depuis le temps qu’on entretient l’Homme dans l’illusion qu’il n’est pas responsable de son existence, il répète à l’envie : « ce n’est pas moi, c’est toi ! », enfin, ce sont « les autres ». Il ne sait, là, jamais dire « je », parce qu’on ne le lui a pas appris. Il se dédouane, pour échapper à la « faute ». Alors, selon ce principe, il accuse l’autre de ses maux, et la femme et le juif -ou bien l’arabe- le blanc, le noir, le jaune, l’autorité, l’état, et, au bout de la chaîne… la main de Dieu, sa vengeance et sa punition. Mais c’est aussi, pour toute chose, qu’il implore sa bénédiction !

-Madeleine, je t’attendais, pour en discuter…Tu me manquais vraiment. -Je suis un peu comme la madeleine de Proust… j’ai tout un univers sous la langue… -En vérité, je n’ai jamais voulu me sacrifier. Je ne suis pas l’agneau qu’on mène à

l’abattoir, non ! je n’ai racheté rien ni personne. Ce troc imaginé par les trafiquants d’âmes est un commerce qui n’existe pas dans l’Univers. Et comment ne l’avez-vous pas compris ? Encore on m’a fait taire !

-Et on a changé ta chanson… -Rien ne s’achète dans l’Univers, tout s’échange ou se donne, s’accepte, se repousse

ou se prend. Tout s’expérimente. -Comment les Hommes ont-ils pu être assez crédules, pour croire qu’ils pourraient

être exonérés d’impôts ?dédouanés ! Cela retourne du blanchiment d’âme ! -Mais ce Judas, Jésus, tu savais qu’il était l’instrument de ta perte ! -L’argent, évidemment, n’était pas son mobile. La somme, dérisoire, était promise

pour toute délation. -Judas avait perçu ce qu’impliquait véritablement mon enseignement. C’était le

plus intelligent. -Ta parole incitait à un changement radical : la responsabilité de soi-même. Mais elle

induisait aussi la transparence. Demandait d’apurer tous les comptes, pour devenir un être lumineux. Une vision nouvelle insoutenable, effrayante à l’époque, parce qu’elle détruisait la cohérence, non seulement de toute une société mais de l’ordre du Monde.

-Tu étais un danger pour son côté sombre ! -Chaque être est seul à pouvoir se sauver de lui-même et je ne suis pas un

sauveur. -Qui a la vocation d’aider, de guérir et de sauver des vies fait un beau métier

d’Homme, qu’il est juste de rémunérer. Le bon Samaritain –de même qu’une main amie- fait là son devoir charitable de mansuétude et d’assistance à personne en danger.

-Mais, l’amour ! -disent-ils. L’amour n’est pas psychanalyste et c’est là son moindre défaut. Toute cette mélasse tendre, étendue sur la surface d’un psychopathe, ne pourra que nous épuiser mais en aucun cas le guérir.

-C’est vrai, ma reine, il faut aller plus loin, mettre à nu les rouages profonds : COMPRENDRE !

-Et là, on commence à s’apercevoir que ce commerce de rédemption ne sert à rien. Ce n’est qu’une façon de s’en laver les mains.

65

-Comme Ponce Pilate ! la pierre ponce qui sert à éliminer les scrupules et les angoisses. Allez, grattez encore ! Descendez dans le noir du gouffre effrayant ! où, nous sommes juste faits de la même trame, pris dans la même chaîne, celle du prisonnier.

-Le canut, dans ton cœur, sait de quoi il retourne ! et si ce vivant-là réagit dans des proportions à ce point mortifères, c’est qu’il a ses raisons. S’il se débat avec une telle violence, c’est qu’il a mal !

-Où a-t-il mal ? Qui a songé un jour à le lui demander. On n’a jamais su faire que lui taper dessus, l’accuser de pécher et puis, le condamner. Ne jugez pas !

-C’est vrai, cela va plus vite et puis c’est plus facile. Allez, au suivant ! -Alors, bien sûr, lui-même ne sait pas toujours où il a mal. C’est diffus… D’ailleurs

souvent, il ne pense pas à avoir mal ! Il est devenu insensible et cela tient de la survie. -Il se sent fort et froid. Important et puissant à souhait. Pourtant… il a mal. Il ne peut

rester seul, il s’angoisse. Néanmoins, il ne supporte pas non plus la compagnie, sans agresser, insulter, bientôt, son entourage. Il faut qu’il boive, qu’il fume, qu’il se drogue. Qu’il mange –trop- qu’il conduise –vite. Qu’il tape sur quelque chose : ses semblables, les femmes, les animaux, au besoin sur lui-même. Ah ! il est très fort. Il sait tout faire ! Tout quoi ?

-En fait, méprisant, il se méprise et il est incapable de faire quelque chose d’aussi simple que vivre… sourire, regarder autour de lui. Etre bien quelquefois. Aimer les vivants et toute la Terre. Jouir du ciel quelle que soit sa couleur, ses saisons -qui chacune a ses charmes. Aimer les animaux -qui ne demandent aucun discours. Les humains, dont il suffit de regarder les yeux pour en connaître la température.

-Et les mots ! les aimer dans la gamme infinie de leur sensibilité, de leur agencement, pour en faire des caresses, des écharpes et de grands colliers d’air. Des véhicules subtils pour échanger de la substance avec d’autres humains. Toucher, constater toute notre diversité. Mais fondamentalement, reconnaître en chacun les mêmes capacités à percevoir.

-Et nous ne serons jamais trop à multiplier nos antennes, pour pouvoir tout capter dans l’Univers. Comparer nos données. Nous extasier de pouvoir comprendre quelque chose. Découvrir est une joie toujours nouvelle. La joie ! la joie, tous les jours, tout le temps ! Etre vivants ! Cela vaut bien toutes les morphines !

-Ainsi que tous les états d’âme des hommes de lumière ! -L’Univers que nous connaissons -un peu- l’expérimente depuis quinze milliards

d’années ! Nous, depuis trois millions d’années, à peine, nous tenons debout. -Après 100 000 ans de préhistoire, nous n’avons guère que 10 000 ans d’histoire. -Il y a 2000 ans, j’ai tenté de vous dire quelque chose : l’Homme n’est pas

coupable, mais ignorant des forces qui le manipulent. -Justement, ce que tu nous as dit, a mis du temps à nous parvenir dans sa version

originale. Tant de traductions et de sous-titrages ont bien déformé ta parole. -Il a fallu peu à peu recouper ton propos. -Ce qu’il y a d’extraordinaire, avec toi, Jésus, c’est qu’il nous est toujours possible de

te « réactualiser » ! Ton serveur est extrêmement performant et tu es toujours en ligne pour répondre. Et si ce miracle unique peut avoir lieu, c’est que tu es un homme et que sans cesse nous parvenons à nous reconnaître en toi.

-Avec le vin -sang de la Terre- et le pain, dont le blé est le meilleur du corps, j’avais puisé dans la tradition juive pour célébrer la Vie ! mais les chrétiens en ont altéré le sens.

-Et quasi fait passés pour cannibales, les tristes mangeurs d’hosties. -Il suffit de sacraliser -ou de diaboliser- quelque pratique ou quelque nourriture, pour

que les fidèles s’y plient. -Comme interdire le porc ! qui s’avère tout à fait judicieux, dans des contrées où la

chaleur corrompt rapidement cette viande fragile.

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-Et la circoncision, qui est une mesure d’hygiène, quand l’eau est rare et si précieuse. -Précisément, la population s’était multipliée dans ces régions chaudes, où l’Egypte

n’était plus souveraine et ses dieux moribonds, oubliés, délaissés. -Mahomet s’est chargé de mission, comme je l’avais fait moi-même. Le

christianisme prônait un dogme irrecevable, exaltant la souffrance et méprisant le corps. Le peuple juif, dispersé, perpétuait ses rites, pour sauver son identité. Mais la branche issue de la même fratrie, d’un même père –Abraham- était en souffrance.

-Le peuple issu d’Ismaël, le fils d’Agar l’Egyptienne ! -En effet, Sarah, vieille et stérile, cherchant à obtenir tout de même une descendance,

avait poussé sa servante Agar dans le lit d’Abraham, son mari. Moi qui suis une femme, je sais combien cela dut lui coûter de fierté !

-Cependant… en visite dans leurs colonies, avec pour projet de détruire Sodome et Gomorrhe, les Elohim passèrent visiter Abraham… et l’assurèrent d’un avenir glorieux ainsi que d’une innombrable descendance… s’il marchait avec eux et observait leur Loi. A ces fins et pour sceller cette alliance, ils promirent à Sarah, un fils dans l’année. A 90 ans ! Un fils issu de ses propres entrailles. Elle a ri…

-Les visiteurs venaient-ils d’Atlantide ? ou de beaucoup plus loin ? Manipulaient-ils déjà la génétique ? Ce qui est certain c’est qu’ils savaient, selon leur bon plaisir, plonger quiconque dans un profond sommeil et réduire des villes en cendres par le feu nucléaire.

-Néanmoins, un fils naquit à Sarah : Isaac ! -Qui fonda la Maison d’Israël, lignée dont, Moi-Jésus, je suis issu. -C’est alors que Sarah commença à ne plus supporter la vue d’Agar et de son fils

Ismaël -qui la narguaient, certes, quelque peu- mais essentiellement coupables, à ses yeux, d’être les témoins vivants de son humiliation passée. Elle pria, bientôt Abraham de les chasser. Ce, qu’à contre cœur, il fit…

-Au milieu du désert, j’ai soufflé à Agar l’emplacement d’une source, qui les sauva. -Sarah voulait, pour son fils Isaac, garder tout l’héritage ! -Mais ce demi-frère, Ismaël, eut une formidable descendance, il engendra un peuple ! -Un peuple au cœur duquel cette grande injustice reste à jamais gravée. -Et ne fut jamais réparée ! -De nos jours la frustration perdure, elle attise une haine qui ne semble pas pouvoir

être éteinte… que, peut-être, par un geste de générosité et d’amour. Pour que soient pardonnées, enfin, toutes les offenses.

-Ma reine, c’est un vœu pieux ! -Toutefois, Mahomet sut apporter le baume et la dignité à ce peuple lésé dans son

héritage. Légitimer enfin sa propre identité. Edicter la Loi, en harmonie avec ses racines, sa culture, son climat et sa latitude particulière, qui fait que, dans son ciel, le croissant de Lune est horizontal. Edifier, enfin, une nouvelle espérance : l’Islam.

-Je fus chargé, Moi-Gabriel, de lui rappeler sa tâche, lui soufflant ce qui était dans l’air du temps.

-Et sa femme Radija lui porta grande assistance. -Pour dompter ces populations farouches, Mahomet leur fit courber l’échine. Et

comme elles étaient idolâtres, toute représentation divine fut interdite. -Cette nouvelle foi a prodigieusement prospéré, enrichissant de sa spiritualité

l’humanité. Elle a gagné sa part du Monde, comme le christianisme avait gagné la sienne. -Le christianisme -que je n’ai jamais prôné ni pratiqué- est bien issu de Moi-

Jésus, juif pratiquant. Etant posé qu’Israël et Ismaël sont demi-frères, il en découle que les deux religions, israélite et islamique, sont demi-sœurs.

-Chacun sait que c’est une histoire de famille ! Et manger casher ou halal, n’est pas très différent.

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-Toutefois, si la naissance du Judaïsme remonte à des temps immémoriaux, l’Islamisme -dont le Coran rassemble les Sourates- est né 600 ans après le Christianisme. C’est la plus jeune des trois religions du Livre -la Bible- qui en constitue les archives. Elle en commet, d’ailleurs, les erreurs de jeunesse, dont le fanatisme n’est pas une des moindres.

-Indépendamment, les soufis ont toujours été des plus tolérants. Ibn Arabî1, quelle intelligence ! quel amour ! quelle connaissance !

-L’humanité, de nos jours, se doit de mettre l’évolution des religions en perspective, ainsi que leur apport respectif, qui développe toujours une IDÉE…

-Ce qui n’exclut pas les errements. L’islamisme, pourtant, demande à l’Homme sa soumission à Dieu, qui là n’est pas un Père… et qui n’a pas d’Image.

-Ce Dieu-là, du moins, ressemble-t-il un peu plus à l’Univers, qui seul sait mettre la vérité sur la route de l’Homme, si celui-ci accepte de la lire, dans ses reflets symboliques, dans ses fractales et dans ses arabesques…

-Séparer la femme de l’homme avait initialement pour but de la protéger. Et le voile, si le sens n’en avait été dévoyé, de juste la soustraire à la convoitise. Quant à la polygamie, elle permettait de donner aux épouses un statut, quand tant de femmes n’avaient pas de soutien et ne pouvaient, seules, ni se défendre, ni subvenir à leurs besoins.

-Il est légitime que l’Homme s’octroie un droit d’inventaire, sur sa vie, ses croyances ainsi que sur sa planète ! Un état des lieux est indispensable s’il veut réellement habiter l’Univers.

-La Sainte Inquisition, instaurée en 1199 -par un pape portant le nom d’Innocent- initialisa la période la plus noire du christianisme. Par la suite, la reine Isabelle la Catholique, souveraine d’Espagne, prétendant purifier son royaume, a malheureusement divisé un monde qui vivait en harmonie. Elle a simultanément chassé d’Espagne, en 1492, juifs et musulmans. L’inquisition a sévi plus de 500 ans, les moyens finirent par lui manquer…

-C’est un fait. Les croyances des hommes les conduisent à s’affronter au lieu de se respecter. Et c’est mêler la religion et la politique que de faire du prosélytisme.

-Les évangélistes qui ont sillonné le monde n’ont pas fait autre chose. -Ils convertissaient tous les peuples colonisés de gré ou de force ! -Cependant, les juifs obligés de se convertir, les marranes, sont toujours restés

juifs, dans leur chair, si ce n’est dans leur cœur. Et si le judaïsme n’est pas prosélyte, c’est que l’on ne nait véritablement juif que par

sa mère. On ne devient pas juif, d’ailleurs, d’aucune façon, même si l’on en adopte le culte. N’est-ce pas la meilleure façon d’évincer radicalement toute autre descendance ?

-Nous sommes le peuple élu qui a reçu l’Enfant2 et la Loi des mains des Elohim. C’était là notre alliance.

-Faut-il comprendre, alors, que le mythe est le même ? -Celui de Jésus le rejoint, en effet. Ce qui est naturel puisque les premiers chrétiens,

dans l’ensemble, étaient juifs ou de culture juive. Si Sarah n’était pas vierge, elle était stérile... -Et Moi-Jésus, j’ai dit que je venais fonder une Nouvelle Alliance. -Un enfant est, pareillement, engendré par « l’ailleurs », que chacun nomme à sa guise.

Car le mythe existe également en Inde avec la vierge Devaki, qui enfanta Krishna. -Il paraîtrait que pour atteindre un pallier supérieur, les humains, d’instinct et de

culture, fassent appel, pour s’y hisser, à une dimension spatiale, qu’ils appellent divine, et qui seule est en mesure d’amorcer la spirale qui les sortira du cercle vicieux !

-Comme tu manies le concept, Gabriel ! -Je ne fais que laisser traîner mon oreille à la périphérie des universités. C’est ainsi

que j’apprends.

1Religieux philosophe érudit -1165/1240- 2Isaac

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-De même que le héros de « Pluie d’été », dans un roman de Marguerite Duras… -Tout à fait, ma reine ! -Mais bien d’autres sont venus par la suite, qui ont également tenté d’apporter un

peu plus de Lumières à l’humanité. -Certes, avant qu’un siècle entier ne glorifie leurs noms, quelques émissaires ont

risqué le discours, dont un certain Giordano Bruno… qui n’a bénéficié ni de logistique, ni de publicité… mais fut brillant dans son « Banquet des cendres ».

-Il a fini sur le bûcher ! -Oui, Marie-Madeleine, on ne peut rien te cacher ! et, je dois l’avouer, oui, j’y

suis retourné. Il en est ainsi du destin qu’on se forge. Vous étiez tous engagés autre part… je l’ai joué perso, incognito. Et naître en Italie était une revanche, car c’était moi, alors, qui me rendais chez les Romains. Ave César ! Les bibliothèques me furent d’un précieux secours. J’ai voyagé à travers toute l’Europe, c’était nouveau pour moi…

-Mais tu n’apportais, là, que ta philosophie et, astronome, ta conception du Cosmos. Tu le voyais déjà tournant à l’infini et peuplé d’une multitude de Mondes. Alors que l’Eglise -et, par force, l’époque- n’acceptaient pas encore que la Terre ne soit pas immobile et le centre de « leur création ». Nonobstant que tu substituais, subrepticement, la Nature à l’idée de Dieu, quelles hérésies tu accumulais là !

-Et encore une fois, tu as déplu ! Quoi que ce cher Galilée, qui n’avait de propos que la rotation d’une planète autour d’un soleil, fut en procès également, à la même époque. L’Inquisition était très affairée.

-Ni me soumettre ni me démettre ne sont des traits de mon âme profonde. -Et mourir pour une idée, oui ! mais de mort violente ! -Il est heureux que Galilée ne t’ait pas suivi, saurions-nous, aujourd’hui, qu’elle

tourne, cette Terre ? -Et Spinoza, de naissance juive, qui, un peu plus tard, s’appliqua à démontrer -avec

une dialectique implacable- ta même interprétation du cosmos, prit la précaution de n’être publié qu’après sa mort.

-Les religions ont toutes usé de terrorisme envers les corps, cela, tant qu’elles l’ont pu. Et envers les esprits, elles maintiennent encore fermement leur emprise.

-Avec, continûment, le même dessein de nous faire taire, quand elles se sentent en danger d’être démasquées. Le pouvoir temporel les a toujours gâtées. Je n’ai pas reculé. Chaque fois je suis allé au bout de ma conviction. J’avais, alors, accompli ma tâche. Je pouvais m’en aller.

Ainsi les Hommes m’ont renié trois fois… -Le lien entre le Banquet de Platon (qui met Socrate en scène), la Cène, et le Banquet

des Cendres, c’est la célébration des qualités les plus nobles de l’Homme : la morale, l’amour de l’autre et de la vie, enfin, la connaissance.

-La ciguë, les clous, le bûcher, les museleurs, à présent, auraient bien trop à faire ! Ils ne sont plus à même de suivre toutes les nouveautés, qui fusent de toute part, à belle allure !

-Les messages de l’au-delà arrivent sur la Terre par Internet. L’imaginaire, exalté et fécond, se transcrit dans les films, les livres et toutes formes d’art.

-Pourtant ce qui éclatait dans les œuvres, naguère, malgré tant d’interdictions, d’obstruction et de compression, surgissait comme un joyau. La distinction se faisait par l’excellence.

-De nos jours, ce sont les artistes marginaux de tous bords qui font preuve d’une formidable créativité, d’une inventivité débridée jamais atteinte.

-Une civilisation se meurt de ne plus rien distinguer. Elle n’a plus d’horizon. La profusion des publications de toute sorte noie l’ensemble des idées dans une mare clapoteuse. La censure, au XXIe siècle, est établie par la médiocrité et les idées tièdes et consensuelles.

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-Voilà pourquoi, sans doute, l’époque génère-elle tant de bijoux de pacotille. De logorrhées s’écoulant des radios. De feuilletons débilitants. Elle délaye, en pleine entropie !

-En effet, il fallait, naguère, énormément de temps pour que les pouvoirs de toutes obédiences acceptent les idées nouvelles, mais tout autant pour que les peuples les digèrent.

-Les idées, selon Nietzsche, se doivent d’être mâchées et ruminées. -Il faut à la conscience du cheminement. Les opinions sont souvent arbitraires et

étayées d’un discours fallacieux ; elles sont affectives et superficielles parce que ne connaissant pas réellement les fondements des idées qu’elles émettent.

-Les humains seraient-ils devenus plus performants ? -Il aura fallu plus de mille sept cents ans pour que l’idée de liberté de l’Homme,

d’égalité et de fraternité –qui prend sa source dans la parole de l’homme-Jésus- ne s’incarne dans une nouvelle loi laïque : l’édiction des Droits de L’Homme, lors de la Révolution Française. Puis encore cent ans pour que s’instaure durablement la République. Et quarante ans seulement pour que mai 68 commence réellement à faire éclater les structures de la société, autrement que dans la rue.

-L’imagination a-t-elle réellement pris le pouvoir avec Internet ? -En aurait-on terminé avec la pensée unique et l’intimidation ? Ou va-t-on tuer tout le

monde pour que jamais ne soient dévoilés les mensonges ? -Les scandales de l’industrie de l’amiante, ainsi que de toutes les armées, niant les

conséquences des essais nucléaires sur les hommes, la faune et la flore. Qui font suite au silence sur le sang contaminé, à l’égarement de la vache folle et aux malversations des trusts alimentaires.

-La mainmise sur la santé des grands laboratoires pharmaceutiques. Et la toute puissance des multinationales, qui contrôlent et écoulent impunément tant d’objets inutiles, qui ne s’achètent que pour être jetés aussitôt, générant des montagnes d’ordures. Sans parler des OGM et des pesticides, polluant les cultures de la Terre entière.

-Les industries d’armements, dont les derniers bijoux mutilent horriblement civils et militaires. Cette civilisation humaine du XXIe siècle serait-elle capable de se saborder, plutôt que de reconnaître ses erreurs ?

-Il n’existe rien de constant, si ce n’est le changement, disait Bouddha. -Mai 68 prônait la révolution permanente ! -Bientôt, précisément, les penseurs et les contestataires seront si nombreux qu’aucun

pouvoir ne pourra plus les faire taire. -Socrate avait une haute idée de son rôle de citoyen dans la cité. Il honorait la

démocratie. Et s’il ne s’est pas enfui, se sachant condamné, c’est pour montrer un bel exemple de civisme.

-Salvador Allende, premier président socialiste du Chili, élu au suffrage universel, a préféré mourir en défendant son palais de la Moneda contre un coup d’Etat militaire, instigué par la politique américaine. En 1973. Un 11 septembre. Il aurait pu tout aussi bien se protéger ou se rendre.

-Quant on voit où cela a mené Vercingétorix ! Etranglé dans une geôle de César ! -L’Irlandais Bobby Sands, au fond de sa prison, est allé au bout de sa grève de la faim,

sous le gouvernement de Margaret Thatcher, pour tenter d’obtenir le statut de prisonnier politique.

-Le contraire d’une posture, c’est l’imposture. -Et la posture est l’aptitude à conserver sa position. -En vérité j’ai, moi aussi, maturé mon discours. Je vous le dis, il faut vivre pour

une idée et qu’une idée vous fasse vivre. Aucune cause ne vaut la mort d’un homme, ni ne peut en justifier le meurtre. La tentation du martyr est un mal qui doit être éradiqué.

-Cherches-tu à nous signifier que tout sacrifice est inutile ?

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-On ne peut faire aucun chantage à l’Univers et toute provocation est vaine envers lui. Le prier, autant que le maudire, ne sera jamais d’aucun effet. C’est en changeant la manière de penser le Monde qu’on peut en changer la réalité. En intégrant les contraires, qui alors ne sont plus des oppositions. En passant au palier supérieur… -La Chine a inventé le Yi King, le livre des transformations, il y a 5000 ans. Il démontre la dynamique de toutes choses et comment ne jamais s’attarder dans une situation dangereuse. Tous les cas de figure y sont consignés. Ce n’est jamais qu’un cliché de l’instant.

-Parallèlement, les cartes du Tarot, ou Rota, la roue, sont un livre ouvert sur notre inconscient et notre désir profond. Il ne faut permettre à personne d’en cristalliser les arcanes en divination, dans un avenir figé. C’est un éclairage sur une configuration, à laquelle on peut apporter des modifications, justement, par la conscience et la vision saine d’une situation.

-C’est bien de Tempérance, dont nous avons besoin. -Arcane 14 du Tarot, Tempérance, est aussi le 14ème stade du Chemin de Croix. Elle

n’est pas tempérée, elle est médiatrice. C’est l’arcane de la guérison. Elle est le cœur du champ unifié, c’est pour cela qu’elle peut guérir.

-Elle n’est pas magicienne, elle est scientifique. -Mais, suivant les époques, cela veut dire pratiquement la même chose… Elle

expérimente. Cela seul valide les expériences. -Tempérance est pragmatique. Mot qui vient du grec, pragma, la chose. Elle est

capable d’unifier le mot et la chose, suivant la loi de synchronicité de Jung. -Les choses se passent sur une ligne de front, dans l’amplitude de la fonction d’onde

de l’espace/temps. L’onde peut être locale, ou s’étendre sur un vaste périmètre, national, ou même mondial.

-Quand on est au diapason de cette onde, on est comme un surfer sur la vague, on appartient à l’instant présent. On marche avec les choses qui adviennent. On est alors capable de se maintenir dans la boucle de la vague, avant qu’elle ne s’effondre. Dans un instant d’éternité, où tout peut être demandé au Monde. C’est là, le mariage sacré, l’Amour nu. Le miracle…

-On est alors en osmose avec la longueur d’onde. Au même niveau de vibration. C’est juste de la physique quantique…

-… Appréhendée par deux voies différentes : mathématique et intuitive, Einstein et l’ange de Reims*. L’intuitive est la voie royale des chamans et des méditants, capables d’accéder à l’envers des choses. La drogue donne l’illusion de pouvoir l’emprunter en prenant un raccourci. *Science et conscience, les deux lectures de l’Univers. Colloque de Cordoue 1979. Ed. Stock

-L’éternelle discussion entre la voie sèche, rapide et la voie humide, cheminée. -Cependant, il faut reconnaître le chemin pierre à pierre. On ne peut venir là en

touriste et visiter, vite fait, l’Ordre du Monde. -C’est en outre très dommageable, déstructurant et destructeur. Cela n’apporte rien

d’intégrable, mais juste un goût de paradis perdu, fugitivement entrevu, qui retombe en vaguelettes d’amertume.

-Souvenez-vous de Sémélé ! Enceinte de Dionysos par les œuvres de Zeus, elle souhaita le contempler dans toute sa splendeur, mais elle en fut foudroyée.

-C’est ainsi que ce vieux Jupiter fut amené à cacher son fils dans sa cuisse, afin de le soustraire à la jalousie de son épouse, Junon.

-Et voilà pourquoi la vérité est si souvent voilée… et que votre fille est muette… -La réalité est toujours paradoxale. On ne peut faire l’économie de rien. -L’Univers a besoin de tout son monde, de la plus petite particule, à l’étoile la

plus massive. La moindre poussière d’atome fait partie d’une symétrie indispensable à son équilibre. Et il n’est pas une chose possible –compatible avec les 4 forces- qui ne puisse advenir un jour.

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-Cependant, l’Ordre du Monde ne saurait adopter le déséquilibre d’un ou de plusieurs individus… comme Ordre capable de se substituer à l’Ordre Universel. Aucun pouvoir ne le peut, ni aucune religion. Pas plus qu’aucun humain prétendant les représenter. Précisément quand il lui arrive de trahir le fondement même de sa charge, par une absence totale de questionnement, prônant des lois et des dogmes vides de toute substance.

-Et si l’Homme est en mesure de développer et d’aboutir la théorie M, il saura lui-même construire son héritage à sa mesure.

-Le dialogue doit reprendre entre tous les domaines qui avaient été séparés à des fins de spécificité identitaire : la femme et l’homme, la religion et la science, le chamanisme et la médecine, l’astrologie et l’astronomie, l’intuition et le cartésianisme. Un cartésianisme terre à terre fige, aveugle et rigidifie. Il ne pourra que se heurter au mur quantique. Il faut au genre humain un peu plus de fluidité et de liant.

-De cette eau tellement nécessaire aux baleines. De celle qui abonde dans les corps. Cette eau qui coule et qui pourtant n’est jamais la même. Celle qui nous a permis de naître.

-Si, au temps de Jésus, les premiers chrétiens ont adopté pour symbole de reconnaissance, justement, le Poisson –qui est un signe d’Eau, l’eau-même du baptême et de la purification- ce n’est nullement fortuit : ils vivaient alors dans cette ère éponyme.

-Chaque ère dure environ 2160 ans. Fondées sur la précession des équinoxes -établie par Kepler- les ères tournent à reculons du zodiaque. Leur signe opposé en fait partie intégrante.

-Et le complément/opposé du signe du Poisson est précisément celui de la Vierge. -La Vierge, elle, est comptable par excellence, c’est un signe de Terre ; elle sème et

elle moissonne. Avec elle, rien ne se perd. Tout se transforme. Elle est en perpétuelle gestation intérieure… Elle est neuve et nouvelle chaque matin, à chaque saison.

-A présent, le Monde est entré dans l’ère du Verseau, qui est un signe d’Air et qui ne fait que porter l’Eau. L’apporter, la verser. La servir. Le Verseau, corvéable à merci, se fait fontaine de jouvence et serviteur de l’Eau qui vient d’en Haut…

-Et c’est là mon domaine ! Aujourd’hui c’est dans l’air que tout se passe ! Le Verseau a pour complément/opposé, le Lion, signe de Feu, dont l’Air sait attiser la flamme.

-C’est en Mésopotamie -berceau du pays d’Ur, le pays d’Abraham- que naquit le zodiaque que nous connaissons. Mais la représentation des douze signes est certainement plus ancienne. Douze fut de tous temps un nombre signifiant et symbolique. Parallèlement aux douze signes chinois, on compte douze mois, douze heures. Douze vertèbres dorsales. Douze pieds dans les vers… Douze tribus d’Israël. Douze apôtres.

-D’ailleurs, ceux-ci, après la disparition de Judas, admirent un tout jeune homme parmi eux, Etienne.

-Dernier apôtre, il fut le premier à mourir lapidé. -Néanmoins, extirpé d’un temple égyptien, à Dendérah, et ramené au Louvre par Le

Lorrain, un zodiaque est gravé en spirale, d’une manière unique : il part de la configuration inverse de celle de notre époque, l’ère du Lion/Verseau, qui, il y a 12 000 ans, était celle de l’Atlantide, la fameuse, la fabuleuse !

-L’Atlantide, qui a mythiquement sombré dans le non moins mythique Déluge qui l’a submergée.

-Cette Atlantide-là, était dans l’Atlantique. Les Caraïbes sont les morceaux épars, arrachés d’une grande île engloutie dans la faille, et la mer des Sargasses le vestige de l’embouchure d’un fleuve, qui coulait, alors, dans le sens opposé. Les saumons, inlassablement, d’ailleurs, le cherchent encore…

-Il y eut, plus tard, d’autres tsunamis, répliques plus locales, dont celui induit par l’explosion du volcan de l’île de Santorin, qui ravagea le Palais de Cnossos -notre propre Palais, ma reine !- en Crète occidentale, à l’époque minoenne.

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-Mais aussi des déluges plus anciens, dont aujourd’hui seulement nous découvrons la trace. Singulièrement, un des plus gigantesques est vieux de 75 000 ans et fut provoqué par l’irruption titanesque d’un volcan, qui ne nous a laissé que l’empreinte de son cratère : le lac Toba, en Indonésie. Ses dimensions sont explicites : 100 km de long et 30 km de large, quant à sa profondeur… elle est presque insondable.

-La population humaine, fut réduite alors, à soixante mille individus. D’ailleurs, dans différentes traditions « premières », il est fait mention de plusieurs humanités successives, plus ou moins rayées de la carte, à des époques antédiluviennes.

-Mais l’Eglise a faussé tout comptage cohérent du temps, aussi bien dans la Bible –source vivante- que dans toute autre tradition, car elle avait arrêté par décret « sa création du Monde », à 6000 ans avant notre ère. Et tout contrevenant était excommunié et brûlé sur les bûchés de l’Inquisition… quant aux archives des civilisations amérindiennes, elles ont toutes, soigneusement, été détruites.

-Néanmoins, l’ère du Déluge qui engloutit l’Atlantide est celle du Cancer –signe d’Eau- et de son opposé/complément, le Capricorne-Terre, quelque peu austère et brusque… fidèle en amitié.

-Les survivants éparpillés de ce tsunami biblique ont suivi des chemins multiples. Ils ont ensemencé de leurs connaissances bien des régions, dont toute l’Afrique du Nord, pour atteindre l’Egypte et les rives du Nil, et s’étendre, sans doute, jusqu’à Sumer.

-C’est dans l’ère suivante, celle des Gémeaux –signe d’Air- accompagné du signe de Feu, le Sagittaire, qu’il faut situer la naissance des deux frères fondateurs, Ismaël et Israël. Les traits de feu du Sagittaire, signe voyageur par excellence, les ont escortés dans leurs périples et leurs péripéties.

-Vient ensuite l’ère de la prépondérance égyptienne, avec le très terrien Taureau Apis et son cousin minoen-minotaure crétois. Il est couplé au Scorpion -Signe d’Eau- sensible et susceptible, habitant contrarié du désert, où son eau se perd facilement dans le sable.

-Moïse, arrive alors, à l’ère du Bélier -signe de Feu, générant des buissons ardents- pour éradiquer le Veau d’Or et promulguer les Tables de la Loi, que lui fournit la Balance -signe d’Air- portant le fléau de Justice.

-Cependant, quand le « maître gouvernant » d’une ère est inversé, on ne peut y voir, aucune équivalence. Et si dans cette lointaine époque, il y a 12 000 ans, le Lion, conquérant orgueilleux et quelque peu despote, a pu concourir à entraîner la chute d’une civilisation remarquable, le Verseau n’était capable, alors, que de lui inspirer de l’humanisme et du goût pour les sciences.

-Mais aujourd’hui, à l’inverse… le Verseau tient le Lion sous la coupe qui lui distille l’Eau, en aérosol... le régénère, tout en tempérant son ardeur. Il peut alors rayonner de ses meilleurs feux. En effet, le Lion est grand quand il se maîtrise. Il est le symbole-même de la réalisation de l’homme, dans toute l’acceptation de son principe masculin et de sa lumière.

-Quand l’homme devient véritablement homme, en effet, il rayonne durablement et non d’une manière factice, par les attributs royaux de quelque despote ambitieux.

-Cet homme-là est l’homme de demain. Il est amour et générosité. -Sa légitimité est alors intérieure. Il n’a besoin ni de sacre, ni de droit divin. Aucun

décret n’est du ressort de sa force et de son autorité. La femme au cœur puissant, la femme de désir, dès lors, est sa compagne.

-En vérité, dès que l’Homme sait maîtriser sa démesure, alors, réellement, il est en mesure de régner. Il est par lui-même son droit, sa loi, son roi, ainsi que son dieu.

Tu apportes toujours de l’Eau à mon propre moulin, Marie-Madeleine ! -J’ai toujours fait mon possible, avec les mains et la tête, pour que le Monde soit

moins bête… -Et tu as encore beaucoup à faire, ma reine… ton impossible !

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-Il est temps, à présent de t’éclairer un peu, mon Adrienne… -Mais que voulez-vous dire, par vos phrases sibyllines ? Et toi, Milo, voilà que tu me

donnes de mon dernier prénom ! -C’est qu’on t’appelle… en bas…

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Chapitre IX -On m’appelle sur Terre ? Voudriez-vous hâter ma prochaine réincarnation ? Je suis

tout à la joie de vous retrouver et vous voulez soudain vous séparer de moi ? Mais je ne suis pas prête… il me plairait bien mieux de seconder Milo en accueillant les âmes !

-Tu m’aiderais beaucoup plus sur la Terre, où là, tu pourrais FAIRE ! L’Univers a besoin d’un coup de mains humaines. Sans elles, il ne peut rien, que tonner, que détruire, déchaîner les Titans dormant sous le manteau, ou bien encore, faire briller ses soleils, tourner ses innombrables galaxies. Faire des Jours et des Nuits. Il a besoin d’une Tierce personne…

-Les Hommes -comme tout Vivant et toute Matière- sont la matérialisation de son énergie… son rêve le plus cher…

-Un rêve qui coûte bien cher en énergie ! Mais, pourquoi, toi-Jésus, n’y tournes-tu pas ? Tu serais peut-être mieux écouté cette fois !

-Pour avoir à mes basques une horde d’âmes bêlantes ! Et que l’on me désigne comme un nouveau gourou cherchant à fonder une secte ?

-Toutes les religions ne sont jamais que des sectes qui ont réussi. -Mon intervention serait bien inutile ; j’ai tout d it. Et vous n’avez, en 2000 ans,

pas réellement mis en œuvre ma parole. Je reviendrai le jour où nul ne pourra plus me reconnaître, parce que tous les humains, alors, seront semblables à moi.

-Il est vrai que les Droits de l’Homme sont loin d’être respectés. La liberté court toujours devant ses poursuivants. L’égalité ne semble être qu’une utopie, que seule la mort est en mesure de réaliser. Quant à la fraternité, l’Homme se comporte toujours férocement avec les siens et ne fait guère honneur au beau peuple des loups.

-Il y a toujours le bébé de mon appartement… -On peut dire que tu as de la suite dans les idées… il est déjà pris ! -Peut-être pourrais-je négocier… Gabriel ! tu serais mon messager… -Ma reine, tu délires… -Mais, à la fin, qu’attendez-vous de moi ? Vous mes poussez dehors ? -Nullement… mais, tu n’es pas encore une femme de lumière… -C’est vrai… je suis blanche au repos, dans ma dernière chemise. Comme le lait et la

neige, je ne capte pas le prisme de lumière. -Tu as bénéficié, cependant, du programme de Milo : le lifting des âmes ! censé les

éclairer, après tant d’opacité dans la compréhension… -Marie-Madeleine ! tu n’es pas encore morte… -Jésus, as-tu là, le dessein de me ressusciter ? -Ne dis pas de sottises ! ce sont les humains qui te soignent… -Ils me soignent ? Milo… tu le savais ! -Oui… tu es dans le coma…sur ton lit d’hôpital… mais, comme toutes les âmes du

Grand Divan Bleu, tu es libre. Tu peux rester, bien sûr… ou retourner… -Dans ton vieux corps, ma reine… -Mais, que ferais-je, moi, à quatre vingt quatorze ans ? -Si tu ne fais rien de ta vieillesse et que tu te contentes simplement d’être vieille, alors,

cela devient juste une fonction, comme être fonctionnaire. Mais tu peux beaucoup plus ! -C’est ce que l’on se contente d’être qui est atterrant et surprenant. Mais, ce à

quoi on tente de nous réduire, est tout aussi révoltant… -Tu peux, ma reine, faire de ta pensée un bouclier de diamant et de ton verbe un glaive

de lumière ! Devient la chevalière Jedaï initiée par Ioda ! La plume est plus forte que l’épée ! Tu peux écrire !

-Originer ta parole à partir du dialogue de l’ensemble des composantes de l’Humanité !

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-Je vous vois venir, pour m’encenser ainsi ! vous voulez que je conserve ma mémoire ! -Tout à fait… -Et vous voilà en train d’astiquer la glace devant le palet, pour me renvoyer d’où je

viens, dans la case Terre de la grande marelle ! -Le temps presse… -Et… depuis combien de temps terrestre suis-je ici avec vous ? -Trois heures… -Evidemment… Je n’ai nulle envie, moi, de me sacrifier ! Je n’ai pas la vocation ! -Ne crois-tu pas que tu dépasses un peu les bornes ? -Tu veux dire que je ne suis plus dans les clous ! -Marie-Madeleine ! celui qui bâtit bien, n’a pas besoin de clou. Aurais-je échoué ? -Tu n’as pas échoué, Jésus ! tout ton amour n’a pas amené la défaite mais une grande

victoire ! -Milo, on sent là, dans ta phrase… un peu de l’homme politique… écoute-moi, ma

reine, tu as pu consulter la Base et tu as là un avantage énorme ! -La base ? Mais de quelle base parles-tu donc, de M ? -Eh bien, des deux citoyens lambda que nous sommes, toi-Manou, moi-Milo,

augmentés de l’homme de lumière et de son messager. -Nous sommes, pour ainsi dire, la quadrature du cercle… -C’est une nouvelle interprétation de la Trinité ! L’homme et la femme sont les deux versions d’un même Être, retenu côte à côte, avant que d’être face à face. L’Homme de lumière n’a pas de sexe, il est votre double à chacun, quant au messager… il est la conscience inhérente à toute chose, qui sous-tend la trame de l’Univers. -L’homme et la femme étaient côte à côte, tenus dans un état siamois. C’est là que se trouve tout le malentendu de la traduction biblique… -Mal interprétés, mal perçus, ils n’étaient pas en mesure de se parler, mais à présent, ils le doivent. Souviens-toi de ce que je t’ai exposé, à ton arrivée à M, alors que tu monologuais sur quelque pensée négative : il faut approfondir la relation, pour permettre à la perfection de se vivre. A force de diminuer la femme, qui est son seul alter-ego, son complément, son interlocuteur privilégié, l’homme s’est engagé dans une impasse où ne lui reste comme choix que l’homosexualité ou la consommation d’une femme-objet, prostituée à son désir. Ces deux voies ne peuvent entraîner, à la longue, qu’une profonde insatisfaction. Quant à l’abstinence, elle rend les hommes pervers et fous, les femmes aigres et hystériques. Tous les manques sexuels engendrent la violence, le viol, l’inceste et la pédophilie. Encore une fois… des échanges où l’on ne distingue plus rien ni personne… donc, qui provoquent l’entropie du système.

-Lazare-Milo, tu es un de mes meilleurs disciples ! -Je tisserai le linceul du Vieux Monde ! -Et toi, ma reine, tu te dois de tisser les mots, du cri à la trame du cœur, pour retranscrire ton incursion, ton excursion à M… -Vous me fixez la tâche d’une représentante multicarte ! Il va falloir changer ma carte-mère… -En bas, ils s’en occupent… -Et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, dit la Table d’Emeraude. -Je vois, effectivement, une table d’opération, avec ses chirurgiens habillés de vert ! Mais rien ne dit que je garderai le souvenir de M, ni que je me réveillerai sans dommages ! -La culture est ce qui reste… quand on a tout oublié ! La flexibilité de la femme lui permet d’assumer plusieurs tâches de front. Et là où elle semble se disperser, pourtant, elle se retrouve. Alors que l’homme est linéaire et se focalise sur son objectif avec plus de puissance. Est-ce l’unique jambe de son Y qui en est la cause ? Mais le fait est, qu’il en est ainsi…

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-Vous ne concevez pas comme il est difficile à une femme d’être indépendante. Il est inscrit dans ses gènes bien des vicissitudes. Et viscéralement elle fait et refait le nid, elle nourrit ses petits, assainit la tanière, s’inquiète de sa progéniture. Elle est patiente, alors que le mâle ne songe qu’à se reproduire et ne s’attarde guère. On l’appelle au dehors !

-Use de tes atouts ! et pense à tes alarmes de grand-mère ! -Ajuste la charpente, mets un coup de peinture et de l’ordre dans la Maison ! -Procure aux enfants quelques armes pour se défendre contre l’obscurantisme. -Apprends-leur à voler de leurs propres ailes ! -Raconte-leur une histoire, non pour les endormir, mais pour les réveiller ! -Je ne peux, là-dessus, avoir la prétention de rivaliser avec la Bible ! -Les mythes nous fondent et nous confondent ! -Il en est de la Bible, comme d’un style qui aurait vécu trop longtemps, de sorte qu’il

aurait survécu à sa propre utilité… -Gabriel, te voilà bien iconoclaste ! -L’histoire du Monde et de l’Humanité, ne peut être laissée au monopole d’une seule

parole, d’un seul Livre, si profond, respecté et précieux soit-il. Les droits d’auteur en sont tombés, d’ailleurs, dans le domaine public, depuis belle lurette. On peut en réutiliser la trame et retisser la chaîne qui nous tient prisonniers dans l’histoire !

-Et moi, je vais être lapidée! fatwatée! excommuniée ! -Tu es vieille, ma reine… que veux-tu qu’ils te fassent ? -Eh bien m’enfermer dans une maison de retraite avec des fous hurlants, m’achever ! -Tu es presque morte… -Tu écris un roman, présenté comme un rêve… un rêve dans le rêve… et si tu ne

trouves pas d’éditeur, tu le publies sur Internet ! -L’auteur importe peu ! Il n’est jamais qu’un passeur comme un autre et c’est bien le

livre qui le choisit. Nul ne crée réellement, mais ne fait que transformer, recycler, ré agencer les idées et les concepts pour tenter d’en obtenir un peu plus, sous un nouvel éclairage.

-Il est vrai qu’il faut aux auteurs un peu d’humilité… ils ne font que tendre l’oreille à l’air du temps, traversé par le champ des consciences.

-J’ai, d’ailleurs, capté quelques nouvelles de la Terre ! Un poisson étonnant a été découvert, dans les profondeurs des mers, en Indonésie. Les Hommes l’on nommé Psychadélika. C’est un poisson prodige, zébré de couleurs incroyables et possédant des pattes avec lesquelles il titube quelque peu, en arpentant les fonds sous-marins !

-Et, bien sûr, cela t’as rappelé Milo et son « mauvais poisson », le Crossoptérygiens1, n’est-il pas, Gabriel ?

-Evidemment ! Puis j’ai intercepté une image insolite, d’un cul de jatte chevauchant un homme marchant à quatre pattes, le long d’une plage. Quelque nouveau centaure ? Une autre version du Manu Manu2 ? Non… une illustration de l’homosexualité, selon quelque Fellini postmoderne.

-Un porno-bio, élevé en plein air. -Enfin, un vieux manuscrit, datant des premiers siècles, a également été découvert et

authentifié comme étant un évangile de Judas… -On a fait dire aux évangiles ce que chacun pouvait comprendre. Dans des époques plus reculées, il était vain de tenter une explication de texte et les lois édictées étaient plus radicales. Mais de nos jours, peut-être peut-on risquer le discours… -Et pour le risque, je n’ai que ma propre assurance ! Et moi pour seul commanditaire ! -Qui sait si nous n’avons pas nous-mêmes été terraformés ? Si nous ne sommes pas les semences mises en culture par une autre planète, régie par quelques exo-géants galactiques ? 1Jacques Ruffié- Traité du vivant- Ed. Fayard 2Main-personnage dans une BD de Fred : Philémon.

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-Puis colonisés par les Elohim, venus de l’Atlantide, dont la science était grande… -Et dont les derniers représentants ont bénéficié longtemps de l’élixir de jouvence -que

nous inventerons bientôt- qui leur donnait une longévité phénoménale. -Comme nous le conte la Bible avec ses grands ancêtres, qui vivaient sept, huit et

même neuf cents ans ! -N’est-il pas plus grand livre de science fiction que la Bible ?

-Mais comme il fut longtemps interdit de prétendre que quelque fossile ou quelque événement puisse exister antérieurement aux 6000 ans réglementaires, instaurés par l’Eglise pour « sa création », eh bien, les dinosaures, disparus il y a soixante millions d’années, pour les créationnistes, ils n’existent purement et simplement pas. Ce n’est qu’une invention des paléontologues ! -Il est normal, alors, qu’ils n’entendent pas le chant des oiseaux -qui sont leurs descendants- mais seulement celui des sirènes d’alarme !

-Et réfutant Darwin, non seulement ils se rendent coupables de négationnisme vis-à-vis de l’Histoire du Monde et de révisionnisme éhonté, mais ils se ridiculisent en ayant cru, sans sourciller, à l’existence d’armes de destruction massive dans l’Irak de Saddam Hussein-la Mésopotamie antique- ainsi qu’à l’axe du Mal, qui transperce leurs Biens. -Tssssssssssssss, pas de persiflage ! ce sont des « créatures ». Et ce que vous faites à la plus petite, à la plus misérable d’entre elles, c’est à vous-mêmes que vous le faites, en vérité. Vous appartenez tous à la seule et même Grande Famille.

Ne tombez pas à genoux devant elle, ne vous prosternez pas, ces gesticulations sont inutiles. Mais gardez toujours une grande humilité au fond de votre cœur, face à cette immensité superbe dont vous êtes le reflet : l’Univers lumineux, l’Unité illimitée. -Tout regard, donc toute conscience, change le cours des choses et c’est nous laisser la liberté de devenir, que nous laisser en paix. L’évolution se charge de reconnaître les siens, de partager le bon grain de l’ivraie. Toujours elle nous sculpte par sa Nécessité. Et son Hasard fait bien les Mondes. -Mais vous devez transmuter vous-mêmes ce qui sort de vos corps. Passer dans la cornue le sang, le sperme, les excréments, les larmes, mais aussi les mots et les chants, afin que, magnifiés, il en sorte de l’Or. Et cet or forgera les enfants de demain, qui habiteront, alors, le Nouveau Monde. -Où tout enfant sera conçu par le désir de ses deux parents. Ainsi ne pourra-t-il plus jamais venir au Monde indésirable. La contraception et la protection seront enseignées à l’école, responsabilisant les humains dès leur plus jeune âge. L’IVG n’aura lieu d’être, alors, qu’en cas « d’accident »… la perfection n’étant pas de ce monde.

-C’est par la décomposition des idées anciennes, sur ce composte nécessaire, que par une alchimie merveilleuse se fondera et se produira le renouveau de la VIE. -Les Voies du Ciel maintenant sont ouvertes ! Et si ce ne sont pas les Terriens qui réalisent le Futur, ce sera d’autres vivants, venus d’autres planètes, qui auront su mieux qu’eux choisir le Bon Sentier, pour arpenter les Galaxies. Trouver la Route qui fait le tour de l’Univers, le Chemin du bas des Indes qui rejoindra la Piste des Épices. -Par cet autre côté, qui se doit d’atteindre une Amérique, puis de la contourner et de franchir son dangereux Cap Horn, pour aboutir enfin dans le Grand Pacifique ! -Alors, Allah et Jéhovah, les deux Gémeaux célestes, nous diront peut-être ce qu’il ont vu, ce qu’ils ont découvert, au cours de leur périple. Et Jésus, consolé, réveillera Bouddha, appellera Krishna et quelques autres… pour aller faire la fête, au Bar des Étoiles ! -Gabriel, tu me ravis… mais, si on m’attend là-bas, mieux vaudrait que je ne tarde pas… et toi, Milo, tu sais que je serai, inévitablement, de retour bientôt ! -Quelqu’un vient d’arriver, d’ailleurs, sur le Grand Divan Rouge… un rocker que je vais accueillir…

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-A-que-Johnny ? -Non pas ! celui-là est en pleine santé ! Il pourrait encore vous surprendre, en chantant de bonnes chansons ! -Des chansons, Gabriel, que tu lui soufflerais… -Certainement, mais ton visiteur, Milo, a fini, là, de courirer, le voici… -Un dénommé Alain Baschung… -Tu le connais, Jésus ! -Il m’arrive parfois d’écouter les musiques de la Terre. -Beaucoup de chanteurs ont rejoint, déjà, les exo-planètes ! tâche de m’y aiguiller, également, celui-là, Milo, je l’apprécie beaucoup ! Dis-lui bien que dans mes sphères, l’air est pur et que personne n’y a encore inventé la cigarette. -C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle je n’ai jamais pu décider Serge Gainsbourg à aller te rejoindre ! Il a choisi de faire une cure, avec moi, une pause… et il m’est d’une aide précieuse pour effeuiller les âmes, il est très habile à les mettre à nu.

-Jacques Brel, chez nous, s’est déjà chargé de mission. Et Georges Brassens vit très bien pour une ou deux idées. Quant à Léo Ferré, irréductible, il est sans Dieu ni maître ! -De celui-là, j’aimais La solitude et Il n’y a plus rien…

- Mais j’ai, également, Daniel Balavoine… -Qui a enfin trouvé ce qui pourrait sauver l’amour ! -Claude Nougaro est toujours accoudé au Bar des Etoiles et Charles Trenet, le fou

chantant si gai, nous déroule sa Mer infatigablement ! Henri Salvador a investi un jardin oublié, dont il récolte tous les jours les fruits divers !

-Gabriel, vois-tu, je n’écoute plus Schweitzer jouer du Bach aux anges. J’apprécie cependant, toujours, Mozart dans son requiem. Mais le concerto d’Aranjuez, quand joue Miles Davis avec Bill Evans, me fait toujours tressaillir. Je ne sais pas ce qui me trouble et m’émeut tant, dans Sketches of Spain. Est-ce la corrida, la mise à mort, ou la marche de Don Quichotte ? sslllllllzzzzzzzzzzzsssssssssoooooo

-Maman !!! Maman !!!

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Chapitre X -Elle a tressailli… maman ? -Manou ! -Gabriel, baisse un peu la musique ! Les médecins ont conseillé de lui faire écouter la radio et de lui passer les chansons qu’elle aime, mais, j’ai peur que cela la fatigue un peu. -Si elle revient, elle revient de loin… parle avec elle1 ! -Maman ? tu m’entends ? C’est ta fille, Florence… maman, serre un peu ma main, si tu m’entends !.................. Gabriel ! elle a bougé la main ! -Calme-toi, Florence, elle ouvre les yeux… veux-tu que j’appelle une infirmière ? -Chut ! elle essaie de parler… -Mes… enfants…

-Ne te fatigue pas, maman, tout va bien ! Manou surprit encore son monde. Dès qu’elle put s’exprimer un peu, elle dit qu’elle avait faim. Elle reprit, ainsi, rapidement des forces. Bientôt les kinés s’affairèrent à faire retravailler ses muscles. Les médecins étaient près de parler de miracle et même de résurrection. L’accident vasculaire, qu’ils avaient fini par détecter au scanner, comprimait le cerveau. Déjà inconsciente, Manou était trop âgée pour être, sans risque, anesthésiée totalement. On la mit sous morphine. Et les nouvelles techniques d’imagerie médicale permirent de guider la main du chirurgien pour introduire une sonde, juste au bon endroit. Résorber l’hématome. L’opération, néanmoins, s’annonçait périlleuse. Mais Florence avait insisté pour qu’on la tente. Pierre et Camille, ses enfants, étaient du même avis. Quant à Gabriel, son mari, il l’avait également soutenue dans son choix. Néanmoins, sur l’insistance de Madeleine, la sœur de Manou, de dix ans sa cadette, Florence avait demandé à un prêtre, ami de la famille, de lui donner l’extrême onction, avant l’opération. Et le père Ducamp avait récité ses prières. La famille n’y voyait là qu’une « formalité », un geste appartenant à sa culture. Un rite. Une coutume. Conjointement, au pied du lit, on avait tenu conciliabule, pour savoir, éventuellement, où Manou devrait être enterrée, si des fois… Pour Florence, il fut l’heure de dévoiler un secret de famille. Si elle s’était rendue, auparavant, dans ce village de l’Oise, où elle habitait à présent, c’était pour suivre la volonté de son père, Milo. En effet, peu de temps avant sa mort soudaine, celui-ci lui avait révélé l’existence d’un fils, qu’il avait eu, naguère, avec une certaine Marguerite. Le couple avait alors mis l’enfant en nourrice dans ce village, où il était mort en bas âge, d’une méningite. La tombe était ici. Et Milo avait demandé à Florence de s’en occuper, car la nourrice venait de décéder. Mais Florence se devait d’être discrète, par égard pour sa mère, Manou, qui ne connaissait rien de cet épisode de la vie de son mari. Milo avait évité de lui en parler, ne désirant faire et entendre, sur cette tragédie, aucun commentaire. Il s’appliquait, plutôt, à en évacuer la douleur. Cela s’était passé bien avant qu’il rencontre Manou. Avant la guerre et la naissance de Florence. Florence, incidemment, avait alors remarqué dans le bourg l’annonce d’une maison à vendre. A cette époque, elle désirait quitter Paris pour vivre à la campagne, milieu plus sain, pensait-elle, plus propice à y élever des enfants. Gabriel abondait dans son sens. Ils avaient aimé la maison, qui fut achetée, par hasard, le jour-anniversaire de Milo. Faire enterrer Manou dans le cimetière du village semblait une évidence. Florence pourrait alors rapatrier les restes de son père, près de son fils Jean. La famille serait ainsi réunie, tout du moins dans la mort… Tout le monde approuva. 1Film d’Almodovar

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Cependant, l’opération de Manou fut un succès et… il n’était plus question, pour l’instant, de cimetière, ni de tombe, ni de transfert. Manou rentrait à la maison. Et voici qu’à présent, elle réclamait son ordinateur. Elle voulait écrire un livre. Elle comptait raconter sa N.D.E. Near Death Experience. Son expérience de mort imminente. Elle disait qu’elle avait fait un voyage fabuleux. Un rêve fantastique, où elle avait parlé avec Milo… qui l’attendait là-haut. La morphine, sans doute… Florence décida sa mère à consulter en gériatrie. Mais les médecins, après bien des tests, la trouvèrent en parfaite possession de ses moyens et même en grande forme. Aucun signe, chez elle, d’Alzheimer ou de sénilité. Ils assurèrent Florence que Manou vivrait centenaire. Manou écrivit son roman. Nul ne pouvait en lire une page. Elle ne voulait pas même en dire le titre. Elle avait été jusqu’à placer un code secret sur son ordinateur. Rien ne filtra, avant que le manuscrit soit achevé. Elle ne parcourait aucune documentation, ne prenait pas de notes. Juste allait-elle parfois consulter Internet pour vérifier l’orthographe d’un nom, d’un titre, chercher une date précise. Le seul compagnon fidèle, qui l’assista discrètement, fut Georges, le chat de Florence. Isidore, celui de Camille, castré visiteur occasionnel, rapportait les messages des oiseaux du jardin en d’inlassables va-et-vient. Les petits-enfants avaient offert à leur grand-mère, lors de son premier séjour chez Florence, un splendide poisson exotique pour agrémenter l’aquarium, trônant derrière son bureau, dans sa chambre. Pour une raison obscure, Manou l’appelait Eugléna.

-Elle aura glané, par ci par là, ce qu’elle entend, avait plaisanté Pierre. En effet, Mathias, le fils de Camille, étudiait les protistes en sciences naturelles et il

était fier de faire étalage de son savoir devant sa bi-aïeule, les beaux dimanches où la famille était réunie à la campagne.

Manou parlait souvent au poisson, à présent. Une lubie de vieille dame, l’excusait Gabriel. En trois mois le livre fut bouclé ; il trouva immédiatement un éditeur et devint un best seller. Il fut traduit en plusieurs langues. Souvent passé de main en main, sous le manteau, dans les coins les plus reculés de la planète, le nom de l’auteur, bientôt, n’apparut plus sur la couverture.

Manou, quelques jours avant ses quatre-vingt-quinze ans, mourut vraiment. Le même jour, du même mois, que cette nuit fabuleuse passée avec Milo pendant la drôle de guerre. Nuit d’amour ayant suscité la conception de Florence. Cinq ans avant la Victoire.

On enterra Adrienne, le jour-même de son anniversaire. Date à laquelle, Emile, né un jour de Pâques, mourut en 1968.

Quant au bébé de la locataire de l’appartement, il est né à présent, un 4 juillet, jour de l’Indépendance américaine, et c’est une petite fille, qui porte le joli prénom de Raphaëlle. Un nom d’ange.

Des générations et des générations plus tard, une énigme se posera aux nouveaux

lecteurs du Petit manuel de survie. On s’interrogera sur l’emplacement des fameux gratte-ciels. Un quiproquo naîtra à propos de temps et de pendules. La planète introuvable d’Alpha du Centaure sera maintes fois découverte. Les poucifères deviendront des animaux sacrés. Un groupe mythique de quatre chanteuses martiennes adoptera le pseudo célèbre de Nucléiques. L’histoire des hommes verts qui guérissent aura pris forme de légende dans La Table de la Main Verte. On attribuera à un lapsus calami le verbe « courirer ». Et bien d’autres bizarreries entretiendront la polémique. Des discussions sans fin…

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Postface Moi, Annie Chazard, j’ai écrit ce livre. Sous le pseudonyme d’Annie Nobel, j’ai été toute ma vie chanteuse, guitariste, auteur-compositeur, mais aussi interprète. J’ai dû écrire quelques deux cents chansons. Toutes enregistrées sur douze CD + deux comme interprète, ce qui fait quatorze.

Accessoirement, je suis aussi peintre sur verre. Quelques deux cents tableaux -reproductions interprétées à la façon lumineuse du vitrail- sont disséminés dans trois maisons de retraite de luxe, à Angers, Orléans et Grasse.

C’est ainsi que l’on se forge un destin. Mon hobby a toujours été la cosmologie et, plus tard, la physique des particules. Je suis à présent passionnée par la théorie M, dont j’attends avec impatience les dernières expérimentations, dans le nouveau grand collisionneur du CERN, à Genève.

Réduite à l’immobilité par une douloureuse hernie discale, j’ai, il y a 10 ans, entrepris d’écrire deux romans, l’un après l’autre. Plus complexes, plus conséquents et insuffisamment travaillés, ils n’ont pas trouvé d’éditeur. Un troisième est resté dans mon ordinateur. La démarche fastidieuse de correction me lassa vite, dès que j’eu recouvré ma mobilité. J’avais alors pris pour pseudonyme : Balthazare Chazard, pour ne pas mélanger mes rôles. Chazard étant mon véritable patronyme, le prénom de Balthazare me permettait ainsi de doubler le hasard dans le nom… D’autre part, la symbolique du roi mage noir, dont la féminine version, Isis, est obtenue en ajoutant ce e incongru, me convient tout à fait. L’âne du film, « Au hasard, Balthazar » de Robert Bresson, amical animal têtu, capable de bramer en campant sur ses positions, également. Ainsi que ce Jean Balthazar, fils du Père Fouettard, chanté par Jacques Dutronc. Pourtant, l’interprétation que je préfère est le sens attribué, par Jean-Roger-Caussimon, au mot balthazar : une fête ! dans cette sensitive chanson, mise en musique par Léo Férré : Mon camarade.

On s’souviendra du balthazar, qu’on a fait ce soir, par hasard Avec un vieux corbeau malade On a tout mangé, même les os, toi, tu vas roupiller bientôt Mon camarade V’là la première étoile qui luit, les grenouilles, dans l’fin fond d’la nuit, En cœur lui font une sérénade Les grenouilles ont des p’tits points d’or dans les yeux… Tu l’savais ? tu dors… mon camarade

J’ai écrit cette histoire, en prenant appui sur celle de mes parents. Tout y est vrai, jusqu’au plus petit détail. Jusqu’aux noms, prénoms et surnoms. Cependant ma mère est bien morte à 94 ans… et sa N.D.E. ne fut que dans ma tête… J’ai donc joué au bonneteau pour brouiller les cartes et modifier un peu la carte-mère… J’ai travaillé pendant l’hiver. Dès qu’il fait beau, le jardin d’été m’appelle et je ne tiens plus assise devant mon ordinateur.

Tout autre auteur, faisant la même démarche, aurait pu mettre à jour les mêmes symboles et les mêmes rouages, à travers sa propre famille. Il aurait également découvert, dans son fort-intérieur -cette forteresse vide1, ce grand château de vent qui défend notre ego- les mêmes origines et les mêmes tenants. Et si nous explorons soigneusement nos vies, nous ne pouvons que découvrir la même chose.

1Bruno Bettelheim

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Jamais rien ne nous advient sans que l’Univers nous informe par ses images. Il nous faut simplement apprendre à les lire. Etre attentif au Monde, aux êtres et aux choses qui nous entourent. Ecouter.

« La nature nous a donné deux oreilles et seulement une langue, afin de pouvoir écouter davantage », écrivait Zénon d’Elée. Il nous faut visiter, soigner, honorer notre Arbre généalogique. Comprendre notre histoire, qui est indissociable de la Grande Histoire, puisqu’elle en est la trame profonde. C’est nous qui la tissons, humbles pékins lambdas, avec la multitude de nos vies croisées. Dans le grand champ de créativité où s’exercent tous les talents, nous ne voyons que les îlots chanceux, les soleils. Les planètes, les lunes, les astéroïdes, trop petites, restent dans l’ombre, hors de portée de notre actuelle perception. Ce sont nous les canuts, qui toujours allons nus.

Il est temps de nous habiller de nos manteaux de rêve et de faire aussi briller notre avenir.

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1- Prince à Plumes crétois 2- Adrienne, Emile et Annie en 1945 3- Zito

4- Déesse crétoise aux serpents 5- Le beau Georges 6- Les baleines sont entrées dans Paris

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DE LA MÊME AUTEURE... ...AUX ÉDITIONS DU BOIS NOIR : -LE PETIT CHEMIN DE SABLE : Roman d'une vacance, où tout se reconstruit : un univers se crée en sept jours... avec une poignée d'humains, au bord d'une petite plage secrète. -LE QUATORZIÈME STADE : Où l'Histoire, à travers 14 stations initiatiques, et la petite histoire, lors de l'édification du Stade de France, finissent par se rejoindre à Saint-Denis. -AUTOPSY : Roman autobiographique à fichiers partagés avec une petite voisine suicidée. Autopsie et psychologie. -PETIT MANUEL DE SURVIE... POUR ÂMES VOYAGEUSES : Essai sur une N.D.E : "expérience proche de la mort". Récit fantastique, où les personnages ne se différencient que par la calligraphie du texte : nos différents états de conscience. -LA LOUP BLANC : Roman policier, ethnographique et historique, se déroulant à 40km de Paris, dans le Vexin français. Histoire fantasmée, fantastique et fantasque. -NUIT BLEUE : Roman de science fiction, se voulant une "suite" à "La Nuit des Temps", de René Barjavel, appliquant la mécanique quantique au pied de la lettre. -L'UNIVERS ET MOI : Récit mouvementé relatant l'écriture d'un roman destiné au grand éditeur parisien "Panamard", avec lequel son auteur brigue le Prix Goncourt... -LES CHOCOLATS DE MOLENBEEK : Au cours des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, un physicien perd sa femme. Se lève alors en lui une colère divine... ÉDITIONS DU BOIS NOIR : adresse mail : [email protected] site internet : http://www.annienobel.com