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Une contribution de Observatoire des lieux de vie pour personnes âgées

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Page 1: personnes âgées - Senoah ASBL

Une contribution de

Observatoire des lieux de vie pourpersonnes âgées

CONSTATS, RÉFLEXIONS ET MISE EN

PERSPECTIVE

15 Octobre 2020

Dans le cadre de sa mission d’observatoire, l’asbl Senoah, active en Wallonie,

collationne au jour le jour des témoignages de personnes en recherche d’une solution

soit pour elle-même, soit pour un parent âgé, quand vivre à domicile dans des

conditions dignes n’est plus possible.

A quelques exceptions près, les travailleurs sociaux de l’asbl entendent depuis des

années, les mêmes préoccupations, les mêmes inquiétudes et difficultés relatives à la

recherche d’un chez-soi quand l’âge avance et relatives à l’hébergement dans les

établissements pour personnes âgées. Sans avoir la prétention d’être exhaustifs, nous

proposons d’en faire état dans le texte qui suit. Nous voulons mettre en lumière les

paroles des aidants proches et des personnes âgées qui contactent notre service et qui

nous semblent révélatrices de réalités de terrain parfois déjà connues, parfois

méconnues.

Cette contribution sera divisée en trois points. Les deux premiers proposent une revue

de nos observations, d’abord en matière de recherche d’un lieu de vie, ensuite en

matière d’accueil et d’hébergement en maison de repos. Le dernier point se veut plus

réflexif et évoque des idées, des suggestions pour des lieux de vie où il fait bon vivre.

Cette réflexion émane, entre autres, de témoignages de bénéficiaires de Senoah.

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QUELS CONSTATS ENMATIÈRE DE RECHERCHED’UN ÉTABLISSEMENT POURPERSONNES ÂGÉES ?

Le contexte de la recherche d'un lieu devie est souvent identique

Commençons par rappeler que l’entrée en maisonde repos est un passage extrêmement difficile.Quitter sa maison, souvent dans l’urgence, suite àdes problèmes de santé, pour un lieu collectif, undernier chez-soi que l’on n’a souvent pas tout à faitchoisi, constitue une épreuve réelle pour lapersonne qui la vit et pour ses proches. Cechangement peut aussi réactiver d’autres difficultés,telles que des conflits familiaux, des troublesdépressifs, des deuils, etc. La maison de repos étantsouvent considérée comme l’antichambre de lamort, la question du déménagement reste taboue etreportée à plus tard. La majorité des personnesveulent rester chez elles jusqu’au bout. On leconstate d’ailleurs dans notre travail quotidien, laplupart des demandes de recherche de maisons derepos sont formulées dans l’urgence (50% desdemandes formulées à Senoah sont des demandesdites urgentes), pour des personnes très âgées,souffrant de graves problèmes de santé (troublescognitifs à un stade avancé, polypathologie,problèmes de mobilité, hospitalisation, etc.) ou dontle niveau de dépendance est élevé (les maisons derepos constituent le lieu de vie recherché dans 6demandes sur 10). Les demandes nous sontd’ailleurs principalement adressées par les aidantsfamiliaux ou des professionnels qui accompagnentla personne, à la demande de celle-ci ou estimantqu’elle n’est plus en capacité ou n’a plus l’énergiede faire les démarches elle-même.

Divers éléments conduisent à larecherche d'une maison de repos

Dans les témoignages que nous entendons, larecherche d’une maison de repos va souvent depair avec le fait que des services à domicile nesont pas suffisamment disponibles la nuit ou le w-e alors que l’état de la personne le nécessiteet/ou que ces services deviennent difficiles àassumer financièrement au fur et à mesure que leniveau de dépendance augmente. Il arrive aussique les personnes recherchent une solutioninstitutionnelle parce que les aidants prochess’épuisent ou parce que de petits besoinsquotidiens ne trouvent pas de réponse enl'absence d’entourage, les besoins à comblerétant, d’après l’expérience de nos bénéficiaires,insuffisants ou non prioritaires pour desprestations de services à domicile. Enfin, lestravaux d’aménagement que les personnes nepeuvent assumer financièrement, ainsi que lessentiment d’insécurité et/ou de solitude peuventconduire à la recherche d’une solutioninstitutionnelle.

A ce propos, nous sommes souvent interpellés parle fait que les personnes âgées relativementautonomes mais souffrant de solitude et/ouhabitant dans un logement qui ne leur convientpas accèdent difficilement à une place eninstitution, alors qu’elles ont choisi cette entrée.D’après les établissements, leur état de santé nenécessite pas une entrée en maison de repos. Ceconstat pose la question des alternativesenvisageables pour répondre aux besoins et à lavolonté de ces personnes de vivre dans un lieucollectif.

Ainsi, trouver une place en maison de repossemble influencé par de nombreux facteurs quiéchappent souvent au contrôle de la personne : laplace libre au bon moment, le « profil » de lapersonne qui doit correspondre au « profil »accueilli par l’établissement, un loyer quiconvienne, la région souhaitée par la personne.Autant dire que c’est compliqué ! Finalement, desinégalités apparaissent et le choix est fortementlimité par ces différentes contraintes, du moins enWallonie.

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A ce sujet d’ailleurs, le secteur marchand proposeun accompagnement des seniors en contrepartied’un abonnement mensuel ou d’une facturation à laprestation. Ce type d’aide ne devrait-il pas aussiêtre proposé par le secteur non marchand ? En cequi nous concerne, nous tentons de répondre à cebesoin d’accompagnement grâce à notre action"Donner de la Vie à l’Âge", grâce à l’intervention deseniors bénévoles donc, qui peuvent aider etaccompagner d’autres seniors dans la prise decontact avec les établissements, la visite, la lectureou le remplissage de documents, etc. Néanmoins,nous pensons que ce type d’accompagnement nedevrait pas relever d’un volontariat et nécessiteraitl’intervention de travailleurs sociaux.

Le coût de l'hébergement pose desdifficultés pour une personne sur deux

Outre cette méconnaissance du secteur, nousobservons dans notre pratique que le coût del’hébergement pose souvent problème. D’après noschiffres, une personne sur deux ne dispose pas dubudget moyen suffisant pour couvrir les fraisd’hébergement en maison de repos ou résidence-services. Et le coût élevé n’est pas forcémentsynonyme de qualité d’après ce que nous disent lesbénéficiaires de nos services. D’aucuns nousconfient en effet leur sentiment que la rentabilitéprime sur la qualité de l’accompagnement (questionde la qualité des repas, question des protections,question de la prévention des escarres, etc.) et quela rétribution d’actionnaires, par certainsétablissements en tout cas, étonne dans ce domainede la santé et de l’accompagnement de l’Humain.

En règle générale, le secteur des lieux devie pour personnes âgées est méconnu

Autre point : nous faisons régulièrement leconstat que les personnes sont démunies face à laquestion de l’habitat quand l’âge avance. Elles «connaissent » vaguement les maisons de repos,mais la diversité des questions qui nous sontposées montre un manque de connaissance dusecteur. Les solutions possibles entre le domicileet la maison de repos sont méconnues, de mêmeparfois que les solutions existantes au niveau dudomicile (accueil de journée, court-séjour,résidence-services, habitats groupés, aides etsoins à domicile, centres de coordination, conseilsen aménagement, etc.). Et il n’est pas rare que lespersonnes aient une conception erronée dessolutions d’hébergement (par exemple : lesmaisons de repos ne proposent pas de soins sielles ne sont pas « MRS », soit « maison de reposet de soins », les résidences-services sonttoujours inaccessibles financièrement, etc.).

D’autre part, le quotidien, les droits, larèglementation au sein des habitats pour seniorsdemeurent relativement abstraits. Cetteméconnaissance renforce l’inquiétude despersonnes concernées et des familles et amène àrepousser le moment d’envisager un éventueldéménagement. L’écoute, l’analyse etl’information objective et nuancée que lestravailleurs sociaux de Senoah donnent sont dèslors très précieuses. Toutefois, il manquemalheureusement, de notre point de vue, lapossibilité d’un accompagnement physique, sur lelong terme, dans les démarches de recherche(sauf dans le cas où la personne est déjàaccompagnée, préalablement à la recherche, parun service social). Accompagnement que notreassociation, limitée par ses moyens humains, nepeut rendre en l’état, alors que la demande existe.Cette observation nous amène aussi à penserqu’une centralisation de l’information et de l’aideau niveau local pourrait répondre à bon nombrede besoins.

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L'âge minimum d'entrée en maison derepos pose question

Dorénavant, la législation fixe l’âge minimumd’entrée en maison de repos à 70 ans. Force est deconstater, sur base de nos statistiques, qu’unelarge proportion de demandes concernent despersonnes qui recherchent une maison de reposalors qu’elles n’ont pas 60 ans (1 demande sur 10),des dérogations étant possibles. Ces personnesont des besoins spécifiques, liés à un handicap, untrouble psychiatrique, une maladie dégénérative,etc. La maison de repos est la solution envisagéeparce qu’aucun autre lieu de vie ne peut lesaccueillir. Ce dernier constat est problématique. Etceci de poser trois questions : celle del’adéquation des maisons de repos à ce public etpar conséquent de la formation du personnel ;celle du nécessaire décloisonnement des secteurs(handicap, vieillissement, santé mentale, etc.) ;celle finalement de l’utilité d’un âge minimumd’entrée en maison de repos. Nous revenons surcette dernière question dans le point 3 de cedocument.

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QUELS CONSTATS ENMATIÈRE D’ACCUEIL ETD’HÉBERGEMENT ENMAISON DE REPOS ?

Avant toute chose : tout n’est pas blancou noir !

Dans le cadre de sa mission de centre deréférence, l’asbl Senoah entend les difficultésvécues dans le cadre de la recherche d’un lieu devie pour personnes âgées. Elle accueille aussi lesplaintes et les demandes de conseils juridiques enlien avec les lieux de vie pour personnes âgées.

Les constats que nous faisons sont donc, pour laplupart, négatifs. Ce faisant, ils ne sont pas àgénéraliser, puisqu’ils sont recueillis, en routine,par notre seule association dans le cadre de samission de permanences sociales et juridiques enmatière de lieux de vie pour personnes âgées. Parconséquent, nous souhaitons inviter le lecteur ànuancer nos observations décrites dans cedocument. Elles sont le reflet d’un point de vue,d’une réalité parmi d’autres non généralisable maisqu’il convient néanmoins de prendre en compte.

Manque de personnel, peur desreprésailles, problèmes decommunication, sont les griefs confiés leplus souvent par les bénéficiaires deSenoah

Nombreuses sont les personnes qui nous appellentpour faire écho d’un manque de personnel pourcombler les besoins des résidents, ainsi que d’unmanque de formation adéquate du personnel. Onentend très souvent notamment « le personnel n’apas le temps ». Cette impression va de pair avec unsentiment de négligence vécu par les personnes etla maltraitance institutionnelle dont elles se sententvictimes.

D’autre part, nous sommes régulièrement témoinsde la peur de représailles, que ce soit dans le chefde la personne âgée ou de ses proches. Crainte dedénoncer ce qui pose problème par peur que lapersonne âgée n’en pâtisse (préavis, négligence,réprimandes, etc.). Ce sentiment, même s’il n’estpas généralisable à l’ensemble des personnes quivivent en maison de repos, est bien réel et raressont les personnes qui ne soulignent pas un lienentre peur des représailles et sentiment de « toute-puissance » ou « d’abus de pouvoir » de la directionnotamment. L’impression de ne pas être écoutés,entendus dans ses griefs est prépondérante. Noussommes persuadés à ce propos qu’unecommunication facilitée, par un médiateur ouréférent relationnel, permettrait de résoudre biendes difficultés et éviterait l’escalade des conflits etce, tant dans l’intérêt du résident que du personnel.

Le nombre de plaintes relatant des problèmes decommunication dépasse d’ailleurs les autres motifsde plaintes tels que par exemple : les plaintes liéesà des problèmes de soins, liées à des problèmes demaltraitance/négligence/harcèlement et enfin liéesà un manque de personnel.

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La crise sanitaire liée au coronavirus aexacerbé et mis en lumière des difficultésexistantes depuis longtemps

Il n’est pas nécessaire de rappeler que l’année2020 aura été une année tristement particulière, lecoronavirus n’ayant pas épargné les maisons derepos. Nous ne pouvons réaliser une revue de nosconstats sans pointer ce que nous ont rapporté lesrésidents et leur entourage durant cette crise. A cepropos, nous avons rédigé, en avril et juin derniers,trois articles fondés sur le vécu des personnes quinous ont contactés pendant cette période. Pouréviter de répéter ce qui a déjà été écrit, nousallons nous attarder ci-dessous sur lesobservations qui restent d’actualité et invitons lelecteur à consulter les dits-articles surwww.senoah.be/articles.

Les visites essentielles en maisons derepos

Nous restons encore et toujours interpellés par lenombre de témoignages qui abondent dans le sensd’une extrême souffrance de résidents et desproches, souffrance liée à l’interdiction prolongéedes visites en maison de repos malgré undéconfinement généralisé. Alors que les circulairesdes autorités régionales autorisent les visites dansun cadre bien défini, alors que la plupart dessecteurs ont déconfiné et que la population peutavoir des contacts sociaux, certes limités ennombre, certains résidents, eux, sont toujoursprivés de visites (depuis début mars !).

Ce constat que nous faisons avec d’autresassociations et professionnels de la santé, etc. doitamener les autorités à ne pas répéter les erreurscommises antérieurement. Même si l’épidémiereprend, nous sommes convaincus de l’absoluenécessité de permettre aux résidents de voir leursproches, pour leur bonne santé physique etmentale. Priver les résidents des contacts sociauxen connaissant les dégâts que cette décision aoccasionné lors de la première vague est toutsimplement inadmissible.

Donner des années à la vie ou de la vieaux années, en maison de repos ?

Nous entendons quotidiennement des prochesattristés, pour ne pas dire révoltés, par les mesuresimposées. Ils nous confient avoir le sentiment d’unmanque d’humanité au niveau de ces mesures, d’unmanque d’empathie et de communication avec lesresponsables, voire même d’un sentiment d’abus depouvoir. Ainsi, même si la plupart des famillescomprennent bien que des mesures sanitairesdoivent être prises et que la situation n’est pasévidente à gérer pour les établissements, à l’heured’aujourd’hui, elles ne comprennent plus lesmesures drastiques de confinement des résidents,d’autant que le personnel, lui, sort de la maison derepos, a des contacts avec le monde extérieur. Lesproches ne se sentent pas entendus, ni écoutés. Ilsse sentent impuissants face à des consignes qu’ilsestiment disproportionnées. Ils comparent lamaison de repos à une prison, à une dictature. Ilsregrettent le manque de proportionnalité et degestion au cas par cas des visites. Enfin, ilsconstatent que l’absence de visites, la perte derepères et de contacts sociaux qui en découle,portent atteinte à la santé physique et psychique deleurs parents, atteinte pouvant aller jusqu’à la mort.Les résidents se sentent délaissés, abandonnés,seuls, sans aucune perspective positive et parfoissans plus aucune raison de vivre dans un telcontexte. Les familles, conscientes du risque decontamination de leur proche, demandent que l’onfasse confiance à leur bon sens.

Par rapport à ces témoignages, très durs, noussommes tout à fait conscients que la réponse à laquestion, souvent posée à Senoah, de la légalité del’interdiction des visites par les directions estdélicate. Loin de nous la volonté de pointer dudoigt toutes les directions de maison de repos, quidoivent en effet faire la balance entre la sécurité, laprotection de la collectivité contre le virus et laliberté individuelle, le respect des droits desrésidents mais les observations ci-dessus sont uneréalité qui ne peut être passée sous silence. Dessolutions doivent être recherchées et celanécessite, de notre point de vue, une véritabledémarche de réflexion éthique qui est peut-êtreinsuffisamment développée dans les établissementsaujourd’hui, ainsi que davantage deproportionnalité, de dialogue et de cas par cas, enfonction des besoins spécifiques des résidents et deleur volonté.

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Toutefois, il ne faut pas sous-estimer ni négliger lasouffrance des résidents et des proches telle quedécrite ci-dessus. D’ailleurs, malgré ce qui est prévudans la circulaire de l’AViQ[1], des aidants prochesnous confient régulièrement ne pas avoir été avertisdu syndrome de glissement ou de la fin de vie deleur parent. Dès lors, dans le pire des cas, certainsn’ont pas pu leur dire au revoir et ont le sentimentque leurs proches sont décédés en se pensantabandonnés par leur famille. Comment faire sondeuil dans pareilles circonstances ? Protéger duvirus, oui, mais à quel prix ?

« Mourir vivante »

Si, durant le confinement, nous avons reçu via notrepermanence téléphonique, de nombreuxtémoignages de détresse et plaintes de la part depersonnes en lien avec les structures d’accueil etd’hébergement, nous avons été admiratifs d’uncertain nombre d’initiatives jusque-là inédites,fleurissant de manière inattendue dans tels ou telscontextes d’hébergement. Des établissements ontréussi à assurer des soins et un accompagnement dequalité, ancrés dans des valeurs de respect etd’Humanisme.

Nous avons aussi observé que, face à cette crise,certains pouvaient faire preuve de créativité,d’adaptabilité et de souplesse, entre les actionsmises en place pour permettre aux résidents degarder le contact avec les proches etl’assouplissement de certaines règles, chacun ymettant du sien pour tenter de traverser cettepériode inédite avec le moindre mal.

Toutes ces observations nous amènent à penserqu’une réflexion globale sur l’offre de lieux de viepour personnes âgées, réflexion collégiale (aussiavec les personnes directement concernées, àsavoir les seniors), axée sur des constats de terrainest aujourd’hui incontournable pour répondre auxattentes et besoins des personnes vieillissantes. Nous proposons quelques pistes de lancement de laréflexion dans le troisième point de ce document.

[1] Pour rappel, dès le début de la crise sanitaire, les visitesen maisons de repos ont été interdites. Tel était le principe.Des exceptions étaient néanmoins prévues :accompagnement de fin de vie, syndrome de glissement etaide à l’alimentation.

Respect des droits, proportionnalité etréflexion éthique

Les témoignages entendus quotidiennement nousamènent à nous poser trois questions : d’une part,celle du respect des droits fondamentaux despersonnes âgées – citoyens à part entière – enmaison de repos. D’autre part, celle de ladifférence de traitement d’une maison de repos àl’autre (certains résidents peuvent sortir et voirles proches dehors, d’autres peuvent recevoir dela visite en chambre, et d’autres sont enfermésdans leur chambre). Et enfin, celle des lieux de vieinstitutionnels pour seniors comme devant êtrede véritables lieux de vie.

A ce jour, les autorités régionales compétentes(en l’occurrence ici l’Agence pour une Vie deQualité) ont assoupli le cadre des visites maiselles laissent finalement toujours à la direction del’établissement le soin de les organiser (et doncles interdire ou les suspendre) en fonction de lasituation sanitaire de son établissement, de sesmoyens et personnel disponibles. C’est une lourderesponsabilité qui repose sur les épaules desdirections, qui plus est déjà soumises à une fortepression, confrontées à des difficultés sansprécédent (décès, manque de matériel, mal-êtredes résidents, plaintes des familles, manque depersonnel, épuisement, sentiment d’impuissanceet de culpabilité, etc.) et sans doute peu aidéespar le contexte règlementaire (quid desconventions de collaboration avec les hôpitaux,quid des plans d’urgences, quid de l’anticipationd’une telle crise, etc.). Sans oublier ces soignantsqui, au quotidien, sont soumis à une pressionpermanente entre la volonté de prendre soin desrésidents et celle d’épargner leur santé et surtoutcelle de leurs proches.

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Il semble que l’on ait souvent privilégié la sécurité àla liberté, sans doute par peur légitime que le virusn’entre dans l’établissement et fasse les ravagesque l’on a connus. Il semble que l’on ait souventprivilégié l’isolement au lien social, protégeant ainside l’infection certes, mais pas de la solitude voirepire du syndrome de glissement. Comme dit plushaut, une réflexion éthique mettant en balance lesdifférents éléments, nous semble fondamentale,encore plus aujourd’hui, pour définir les pratiqueset les décisions à prendre.

Pour généraliser un accompagnement duvieillissement qui tienne compte de la dignité de lapersonne, comme sujet à part entière, constitué dedésirs, besoins et de préférences, comme adultecapable de poser des choix, c’est le regard que lasociété pose sur les personnes âgées qui doitchanger : avoir une vision positive du vieillissementet de la place de la personne qui avance en âgedans la société. Heureusement divers acteurss’attèlent à ce travail de sensibilisation remarquableet de longue haleine.

Outre ce défi de changement des mentalités, ilsemble que d’autres éléments soient importants,d’après les personnes qui contactent notre asbl,pour pouvoir investir le lieu de vie institutionnelcomme un véritable chez-soi. Nous proposons defaire un rapide tour d’horizon de ces éléments.

QUELLES PISTES DERÉFLEXION POUR DEVÉRITABLES LIEUX DE VIEPOUR PERSONNES ÂGÉES ?

Changer de paradigme ? Nous ne sommes pas les seuls à pointer lanécessaire réflexion sur l’offre de lieux de viepour personnes vieillissantes et sur la manièredont on accompagne celles-ci. Loin de nous l’idéede faire table rase des lieux de vie existant ou depointer du doigt les professionnels de la santé quiy travaillent.

En revanche, nous pensons que les pratiques etlieux de vie sont conditionnés par la conceptionde la vieillesse que la société véhicule :dépendance, incapacités, inutilité, immobilisme. Acela, la réponse devient la « prise en charge »médicale et technique, voire l’infantilisation et leprotectionnisme. L’âgisme guette.

Et la gestion du risque de contamination aucoronavirus dans les maisons de repos aclairement montré, et montre encore aujourd’huimalgré le recul, que les seniors « résidents »notamment (en maisons de repos ou enrésidences-services), ne sont pas toujoursconsidérés comme les adultes qu’ils sont. Ils nesont pas logés à la même enseigne que les autrescitoyens. Des mesures spécifiques (enfermement,limitation des contacts sociaux plus importanteque pour le reste de la population, etc.) sontprises, souvent sans consultation, parfois sansproportionnalité. Même s’ils vivent dans un lieucollectif, les résidents n’auraient-ils pas lesmêmes droits fondamentaux que les autrescitoyens ?

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Une autre manière d'habiter et deconsidérer l'habitat ? A l’heure où nombreux sont ceux qui tirent lesenseignements de la crise sanitaire liée aucoronavirus et questionnent le fonctionnement denotre société, peut-être est-il temps de penser àune autre manière d’habiter en fonction desbesoins?

Peut-être existe-t-il une solution plus appropriéeque d’ouvrir toujours plus de places en maisons derepos, d’autant plus qu’il semble que les financespubliques ne peuvent assumer cette politique sur lelong terme ?

Il y a autant de vieillissements que de personnesqui vieillissent

Pour commencer, rappelons-nous que l’on vieillitcomme on a vécu et que LA personne âgée n’existepas. La vieillesse est « plurielle ». Ainsi, il sembleindispensable de permettre aux personnes de vieillirdans un lieu qui s’adapte à leur individualité.

D’autre part, les pouvoirs publics devraient être àmême d’offrir un panel de lieux de vie diversifiés,partout en Wallonie et accessibles financièrement,afin que le choix ne soit plus conditionné par le prixou la place libre… mais au contraire, que lespersonnes puissent accéder à un lieu de vie quiréponde à leurs besoins et attentes.

Nous pensons également qu’il serait appropriéd’assouplir ou de revoir le cadre législatif (normesen maison de repos, législation urbanistique, etc.)pour permettre aux structures déjà existantes defaire preuve de créativité, pour permettre à desinitiatives inspirantes (institutionnelles ou non) devoir le jour ou d’être développées, pour faciliter levivre ensemble (habitat partagé par exemple).

Faire table rase des maisons de repos ? Les maisons de repos répondent à un besoind’ordre médical et/ou social. Même si le souhaitde beaucoup de personnes est de pouvoir vivre etmourir chez elles, ce n’est évidemment pastoujours possible, on le sait : problèmes de santé,de mobilité, perte d’autonomie, besoin d’uneprésence jour et nuit, mise en danger de soi-même ou des autres, insécurité, isolement,solitude, épuisement ou absence d’aidants, etc.

Par ailleurs, relativisons et rappelons que lagrande majorité des personnes ne vivent pas enmaison de repos : moins de 10% des personnes deplus de 70 ans[2]. La plupart restent donc chezelles parfois avec des aides, plus ou moinsappropriées, à un âge avancé voire très avancé.

Si les maisons de repos répondent à un besoin, ilconvient malgré tout de réfléchir à comment cesétablissements peuvent évoluer pour collerdavantage aux attentes et besoins des personneset à comment la législation qui encadre le secteurpeut être un facilitateur ou un levier pour allerdans ce sens. Des initiatives et projetsinstitutionnels inspirants existent d’ailleurs déjà :les approches « Tubbe » et Senior Montessori ensont de belles illustrations et ce ne sont pas lesseules. Des pistes de solutions pour faire desmaisons de repos des lieux où il fait bon vivresont déjà connues. Il s’agirait sans doutemaintenant de réfléchir à comment lever lesobstacles identifiés préalablement pourgénéraliser ces solutions.

[2] Toutefois, nous n’avons pas données objectives sur laproportion de personnes qui restent à domicile de dépitd’une place en maison de repos.

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Complémentarité entre les lieux de vie

Peut-être que la complémentarité de la maison derepos avec d’autres types d’accueil devrait êtreaffirmée, la maison de repos faisant de la sortepartie d’un dispositif large de services d’aide etd’hébergement ? Promouvoir les accueilstemporaires, les accueils de jour et aussi de nuit enmaison de repos en complémentarité avec desaides, voire des soins, à domicile ? Il nous sembleessentiel que les liens soient renforcés entre lesdifférentes solutions d’hébergement permettantainsi des passages plus fluides, plus sereins, desallers-retours d’un lieu de vie à un autre en évitantde la sorte le déracinement et le sentiment deperdre ses repères et le contrôle sur sa vie.

De petites unités de vie conviviales

Autre idée qui semble faire son chemin est celled’imaginer de généraliser l’organisation de petitesunités de vie d’une dizaine de personnes au seind’établissements plus vastes, comme cela se faitdéjà dans certaines maisons de repos à l’attentiondes personnes qui présentent des troublescognitifs.

Une chambre privative, un living commun, unecuisine commune, un lieu convivial dans lequel leshabitants pourraient véritablement prendre part àl’organisation de la vie et créer du lien, voire mêmede la solidarité. Des lieux qui miseraient sur lesressources des personnes, sur leur participation à lavie collective, sur leur talent, sur leur citoyenneté,quels que soient l’état de santé et l’âge. Des lieuxoù les valeurs de l’Humain, du respect, de la dignitéet de l’autodétermination seraient au centre despréoccupations et conditionneraient les pratiquesquotidiennes. Des lieux où les relationsinterpersonnelles seraient centrales (la crisesanitaire a démontré une fois de plus que bonnombre de seniors souffrent de solitude) etégalitaires (c’est-à-dire exempt de la notionpatient/soignant induite, entre autres, par le portde la « blouse blanche »). Des lieux où la prise encharge médicale ne primerait pas surl’accompagnement psychosocial. Combler lesbesoins relationnels, soigner le corps et l’esprit,valoriser les capacités d’agir et de décider deshabitants nous semble devoir être la priorité desétablissements d’aujourd’hui et de demain.

Un processus tout au long de la vie

On « habite » tout au long de la vie : à chaque âge,on investit un chez-soi que ce soit la maison desparents, un kot, un appartement, une maison, uneyourte, ... Pourtant on semble cristalliser laquestion du chez-soi pour ses vieux jours, sansdoute parce que vieillesse rime, dans l’esprit debeaucoup, avec perte d’autonomie, fin de vie etdernier chez-soi. A nouveau, changer de regardsur la vieillesse et considérer que le choix d’unlieu de vie se fait tout au long de la vie, enfonction de besoins et de contraintes, permettraitsans doute de dédramatiser, de préparer plussereinement l’avancée en âge et la question duchez-soi quand l’âge avance et de vivre latransition plus sereinement.

Des habitats axés sur les besoins ou sur l’âge ?

Considérer la question de l’habitat en termes deparcours de vie soulève la question del’adéquation entre lieu de vie et âge. Onl’évoquait plus haut, l’âge minimum d’entrée enmaison de repos a-t-il un sens quand on voit quedes personnes de moins de 60 ans sont accueilliesfaute d’avoir d’autres alternatives ? D’autant quebon nombre de professionnels s’accordent à direqu’il n’y a pas de relation linéaire entre âge etfragilité. Ainsi, l’âge doit-il être le critère quidétermine l’habitat ? Les besoins spécifiques despersonnes (quel que soit l’âge) peuvent-ils être cedéterminant, à l’instar de ce qui se fait dans lesecteur du handicap notamment ? Cetteconception basée sur les besoins spécifiquesimpliquerait bien entendu de modifier le cadrelégislatif, règlementaire, puisque les maisons derepos n’en seraient plus dans cette perspective.D’autres que nous l’ont d’ailleurs déjà évoqué, ilsemble plus que nécessaire aujourd’hui dedécloisonner les secteurs (vieillissement,handicap, jeunesse, santé mentale, etc.) et des’inspirer de ce qui se fait dans chacun d’eux.

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Prenons l’exemple de cette résidence-services danslaquelle se trouvent sur place des prestataires desoins et de bien-être, permettant ainsi auxhabitants d’y habiter même en cas d’apparitiond’une dépendance ou d’une perte d’autonomie.

Cette alternative, entre la résidence-servicesclassique et la maison de repos répond, de notrepoint de vue, aux souhaits de nombreusespersonnes.

Pour revenir à la question financière, rappelonsqu’il existe un modèle de résidences-servicessociales, dont le loyer est fixé en fonction desrevenus, modèle qui devrait être, selon nous,développé et accessible à tous.

De la solidarité à l’intérieur et à l’extérieur

La crise sanitaire a mis en exergue que le lien socialest essentiel à tout âge de la vie. De nombreusespersonnes confient se sentir seules, en maison derepos mais aussi à domicile. Comme dit plus haut, ilsemble primordial que le contact social et l’Humainsoient au centre des préoccupations, pour le bien-être des personnes mais aussi pour prévenir leseffets délétères à long terme de l’isolement, de lasolitude sur la santé mentale et physique.

Peut-être pourrions-nous prôner plus d’inclusion,plus d’ouverture du lieu de vie pour personnesâgées sur le quartier et donc moins d’isolement desrésidents dans un lieu replié sur lui-même. Sortirdes murs, prendre un bol d’air, avoir des contactssociaux, contempler la vie qui se déroule dans lequartier, voire y participer, bénéficier d’initiativeslocales, solidaires, intergénérationnelles, etc.L’ancrage dans le quartier ne doit pas êtreuniquement le fait de l’établissement, c’estl’ensemble de la société qui devrait devenirinclusive et valoriser la citoyenneté des plus âgés(nécessaire changement de paradigme évoqué plushaut). D’ailleurs certains établissementsfonctionnent déjà de la sorte, comme cette maisonde repos de la province du Luxembourg qui estvéritablement ancrée dans son village.

Inévitablement, cette conception pose la questiondu profil des professionnels quiaccompagneraient les habitants (davantage deprofessionnels du lien en comparaison auxprofessionnels du soin ?) et de la formation desaccompagnants.

Dernier argument très pragmatique à la lumièrede ce que nous avons vécu lors de la crisesanitaire, le fonctionnement par petites unitéspermettrait sans doute une maitrise plus évidentedu risque de propagation d’un virus et unconfinement limité à une unité ou plus enfonction de la situation.

Le modèle des résidences-services

Dans notre pratique quotidienne, nous constatonsaussi que le modèle des résidences-servicesintéresse les personnes qui envisagent leur chez-soi pour leurs vieux jours. Ce qui plait, c’estl’autonomie préservée dans un lieu sécure, adaptéaux éventuels problèmes de mobilité et quiressemble à un véritable chez-soi (petitappartement).

En effet, nous entendons souvent que lespersonnes ne veulent pas aller en maison derepos car elles souhaitent garder le contrôle surleur vie et ne pas être dépossédées de leursactivités quotidiennes. Parallèlement, nombreusessont les personnes qui nous font part de leursentiment de solitude, d’insécurité et/oud’isolement, qui rendent le domicile inapproprié.Bon nombre de personnes qui sollicitent notreaide recherchent du contact, de la présence, de lacompagnie (notamment dans le cadre de notreaction « Donner de la Vie à l’Âge »).

Dans notre pratique de terrain, nous rencontronsdes personnes qui sont « trop dépendantes » pourvivre chez elles (intenable financièrement et/ouaides à domicile indisponibles) et pas « assezdépendantes » pour prétendre à une place enmaison de repos. Une fois de plus, nousconstatons qu’ « un entre deux » alliant chez-soiprivatif (avec une voire deux chambres, un livinget une cuisine), vie collective, soins et sécurité estindispensable et la solution de la résidence-services avec possibilité de soins comme il enexiste déjà, accessible financièrement, est unealternative intéressante.

Page 12: personnes âgées - Senoah ASBL

C’est encourageant, ces quelques pistesde réflexion démontrent qu’il ne faut pas

tout réinventer. Elles montrenteffectivement que des pratiques

inspirantes existent déjà et que despistes d’amélioration du secteur sont

théoriquement connues.

Les questions qui se posent maintenantconcernent les obstacles soit à la

généralisation de pratiques existantes,soit à la mise en œuvre de nouvelles

solutions. La nécessité d’identifier lesblocages pour chercher à les dépasser,

en vue d’un plus grand bien-être despersonnes semble incontestable et

incontournable aujourd’hui.

La crise liée au coronavirus a révélé lacapacité de créativité, d’adaptation et

de souplesse du secteur. Gardons decette crise ce formidable élan et gageons

qu’il se poursuive pour proposer auxpersonnes qui avancent en âge de

véritables lieux de vie !

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Notre asbl souhaite en effet initier une démarchede réflexion et de recherche de solutions, avecd’autres, à partir des enseignements de la crise enmaison de repos et au départ de témoignages depersonnes âgées, de soignants et d’aidants proches,pour mettre en lumière les ingrédients propices à lacréation de véritables lieux de vie pour lespersonnes âgées. Ainsi, nous souhaitons nousfocaliser sur l’aspect relationnel, humain (et non lesenseignements au niveau médical), sur les pratiquesqui ont permis de repousser le syndrome deglissement, de lutter contre le sentiment desolitude et de maintenir l’élan de vie à l’intérieurdes établissements malgré le contexte extrêmementdifficile. Notre démarche s’inscrit dans unprocessus de réflexion et de co-construction sur lelong terme que nous envisageons de mener àtravers plusieurs tables rondes (trois voire quatre)s’organisant entre fin 2020 et fin 2021.

POUR – NE PAS –CONCLURE De par cet écrit, l’objectif de Senoah est double.Premièrement, montrer une réalité de terrain,certes non exhaustive et non généralisable, maisqui existe depuis longtemps et qui mérite doncd’être connue, rappelée et enfin prise en comptedans les politiques sociales et de santénotamment.

Deuxièmement, aller au-delà du constat et ouvrirle débat, encourager les échanges constructifs,susciter la réflexion nuancée et l’imagination depistes de solutions pour répondre aux besoins etattentes des plus âgés en matière de lieux de vie.

Par ailleurs, cette contribution n’est pas une finen soi. Tout au long de l’année 2020, lestravailleurs sociaux de l’asbl Senoah se sontattelés à récolter des données longitudinalesquant à la recherche d’un lieu de vie pourpersonnes âgées. L’asbl procèdera à l’analyse deces données début 2021, données qui viendrontalimenter son observatoire. Elles pourront fairel’objet d’une note future.

Ensuite, le 4 décembre prochain, Senoahorganisera une première table ronde dédiée à laréflexion sur les lieux de vie pour personnesâgées, à la lumière des enseignements de la crisesanitaire qui a touché de plein fouet les maisonsde repos.