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CAHIER CENTRAL L’avenir entre peurs et courage? Etty Hillesum, Jan Patočka par Nadine Manson penseretcroireentouteliberté Mai 2014 • n° 279 www.evangile-et-liberte.net

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cahier central

L’avenir entre peurs et courage? Etty Hillesum, Jan Patočka

par Nadine Manson

�penser�et�croire�en�toute�liberté

Mai 2014 • n° 279 www.evangile-et-liberte.net

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15 67,33 123,66 71,33 127,66

site internet

www.evangile-et-liberte.netdirection - rédaction

Directeur de la rédaction Laurent Gagnebin

Rédacteur en chef Raphaël Picon

Directeur de la publication James Woody

Comité de rédaction Agnès Adeline-Schaeffer (F), Jean-Paul Augier (F), Jean-Marie de Bourqueney (F), Gilles Bourquin (CH), Richard Cadoux (F), Gilles Castelnau (F), Florence Couprie (F), Guylène Dubois (F), Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne (F), Laurent Gagnebin (F), Olivier Guivarch (F), Didier Halter (CH), Louis Pernot (F), Henri Persoz (F), Raphaël Picon (F), Sylvie Queval (F), Vincent Schmid (CH), James Woody (F)

Correspondants Patrick F. van Dieren (F), Michel Jas (F), Bernard Reymond (CH), Cédric Roulent (B)

Secrétariat de rédaction Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne

Trésorier Étienne Hollier-Larousse

Conception graphique et maquette Patrick F. van Dieren

rel ation s avec les lecteursCorrespondance pour la rédaction

Laurent Gagnebin (écrire au secrétariat)

Secrétariat, webmaster et correspondance pour l’administration : Évangile et liberté • Karim Cermolacce 14, rue de Trévise • 75009 Paris Tél. 09 53 43 45 71 courriel : [email protected]

administration

James Woody, président Conseil d’administration

André Arn, Jean-Paul Augier, Alain Bienvenüe, Patrick F. van Dieren, Jean-Luc et Marie-Noële Duchêne, Frédéric Fournier, Laurent Gagnebin, Étienne Hollier-Larousse (trésorier), Nathalie Leroy-Mandart (secr.), Jean-Marc Levent, Jean-François Maire, Lucette et Pierre Marion, Raphaël Picon (v. prés.), Sylvie Queval, James Woody (prés.).

Mensuel de l’association protestante libérale Évangile et libertÉAssociation sans but lucratif, régie par la Loi de 1901siège : 14, rue de Trévise • 75009 Paris

en lien avec l’union protestante libÉrale de genève

questionner Le thème de l’« errance » appliqué

à la vie spirituelle et théologique», par Philippe Fromont p. 2

regard sur le monde Les débats du protestantisme anglo-saxon

sur l’homosexualité, par Claudine Castelnau p. 4

ces mots qu’on n’aime pas Athéisme, par Gilles Castelnau p. 5

série Pourquoi suis-je encore chrétien ?, par James Woody p. 6

billet Faut-il rouvrir l’abbaye de Thélème ?, par Jean-Marie de Bourqueney p. 7

méditer Dieu est un jeune père de famille émerveillé, par Michel Barlow p. 8

cahier

La liberté intérieure, par Marie-Noële Duchêne p. 9

L’avenir, entre peurs et courage (deux livres de Etty Hillesum et Jan Patočka),

par Nadine Manson p. 10

protester Exercice de laïcité, par Henri Persoz p. 16

repenser L’amour chrétien d’après Jean-Marc Ferry, par Laurent Gagnebin p. 17

débattre L’auteur de l’évangile de Jean, par Louis Pernot p. 18

commenter Le baptême de Jésus, en toute simplicité, par Jean-Claude Bée p. 19

retrouver Louis Évely : la vérité décapante de l’Évangile par Michel Barlow p. 20

résonner Reflets… et réflexions, par Luc Dorian p. 23

sommaire

achevé d’imprimer

Imprimerie France-Quercy Z.A. Les Grands Champs •46090 Mercuès Numéro d’imprimeur : 40616 (04/14) ISSN : 11-46-4771 • CPPaP 1017 G 82554

Dépôt légal : Avril 2014

M. Barlow, théologien protestant, Lyon ; J.-C. Bée, prêtre catholique, Châtenay-Mala-bry ; J.-M. de Bourqueney, pasteur EPUF, Paris ; C. Castelnau, journaliste, Paris ; G. Castelnau, pasteur EPUF, Paris ; L. Dorian, formateur en langue espagnole, Paris ; M.-N. Duchêne, physicienne, Marcoussis ; P. Fro-

mont, pasteur EPUF, Alès ; L. Gagnebin, prof. hon. Faculté libre de théologie pro-testante (IPT, Paris) ; N. Manson pasteur, Bienne, Suisse ; L. Pernot, pasteur EPUF, Paris (Étoile) ; H. Persoz, ingénieur et théo-logien, Antony ; J. Woody, pasteur EPUF, Paris (Oratoire).

n° 279 • Mai 2014

ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO :

En couverture : Claude Monet, Brouillard du matin. National Gallery of Arts, Washington (DC).

1Évangile et liberté • Mai 2014

question théologique

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LA DEVISE D’ÉVANGILE ET LIBERTÉ, qui figure sur la couver-

ture de chaque numéro, affirme : « Penser et croire en toute liber-

té ». Il ne s’agit pas seulement ainsi de défendre la liberté de la foi

et de la conscience, mais aussi et surtout la volonté d’unir la pensée et la

foi.

Quand Jésus, d’après les évangiles, reprend le fameux commandement du

Deutéronome (6,4-5) qui nous demande d’aimer Dieu de tout notre cœur,

de toute notre âme et de toute notre force, il ajoute, dans une explicitation

significative, de toute notre « pensée ». La foi ne saurait correspondre à une

sorte de mépris de la réflexion. Certes, il ne s’agit pas de prouver l’existence

de Dieu, mais bien plutôt de prêcher un Dieu crédible. Il n’est pas absurde

de croire en Dieu. Notre réflexion nous fera abandonner les superstitions,

les facilités d’un croire aveugle ou du scepticisme, les représentations d’un

Tyran impitoyable et mortifère. Bien des formulations traditionnelles

constituent aussi un repoussoir pour des hommes et des femmes désireux

d’accorder leur foi avec l’apport des Lumières en tenant compte de la raison

critique et des contextes culturels et scientifiques de l’homme moderne. C’est

un peu tout cela qu’exprime Albert Schweitzer quand il écrit qu’il doit « à la

pensée d’être resté fidèle à la religion » (Ma vie et ma pensée).

Une foi ainsi vécue dans le compagnonnage exigeant de la réflexion –

et cela face aux drames personnels et au spectacle de tant de souffrances

injustes et révoltantes – ne sera-t-elle pas mieux à même de prendre au

sérieux des mises en question radicales venues de l’athéisme et de nos

propres révoltes ? La foi dit oui en dépit de tout ce qui nous pousse à dire

non. Elle est jour après jour un doute à la fois légitime et surmonté.*

laurent gagnebin

1Évangile et liberté • Mai 2014

éditorial

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questionner

Convoquer ici le thème de l’« errance » en théologie, c’est aussi évoquer celui du voyage et de l’aventure.

Le thème du voyage est l’un des plus anciens de la littérature universelle et c’est sans doute celui auquel nous restons le plus attachés et qui exerce sur nous la plus grande fascination. Il symbolise en effet la découverte toujours recommencée du monde, de soi et de Dieu.

L’Odyssée est, en ce sens, un modèle littéraire en la matière ; le voyage périlleux, qu’il soit exploration effec-tive ou rêve d’espace, révèle à celui qui l’accomplit à la fois la nature et les incertitudes de la conscience face à la réalité. Les récits bibliques de la sortie d’Égypte constituent un autre modèle, métaphysique celui-là, du thème de l’errance.

Enfin, le texte en 1 R 19 donne à lire l’errance d’Élie dans la caverne. Là, dans l’obscurité et la solitude, sans programme pré-établi, Élie découvrira de manière inat-tendue la présence de Dieu au sein du silence, comme une présence au milieu du « rien » et de l’inexistant.

Vers quoi se dirige ainsi l’Homme errant ?Le but de l’errance n’est-il pas l’occasion de se décou-

vrir soi-même, ainsi que son lien avec le monde et Dieu ?

Dans cette aventure de l’être, le pouvoir de l’homme voisine avec l’angoisse : la volonté de découvrir le monde étant indissociable de la volonté de se connaître soi-même, l’angoisse naît de percevoir en soi un monde vaste et inconnu que l’imagination porte bien au-delà de la pensée ordinaire. Cette tentative d’introspection de soi, – car c’est bien de cela qu’il s’agit –, est plus essen-tielle que la découverte des horizons naturels. L’impor-tant n’est pas tant de découvrir de nouveaux horizons que de vivre pleinement le moment du voyage. Celui-ci comportera inévitablement des détours parfois

inutiles et périlleux. Mais qu’importe, seul le voyage compte. L’expérience du temps de l’entre-deux est dans ce contexte la plus importante. L’errant est d’avantage centré sur ce qu’il vit et découvre dans ses préfigura-tions que sur ce qu’il quitte en partant ou sur ce qu’il découvre à l’arrivée du voyage.

Le voyage devient intérieur ; ainsi entrepris, il n’a pas de terme assigné, il se transforme bientôt en une recherche sans but, elle-même génératrice d’une nou-velle incertitude : le voyage prend alors la forme de l’errance.

L’errance comme refus de l’achèvementL’errance est un état ; elle se conjugue en effet avec

le verbe « être » et non pas avec « faire ». On est errant, on ne fait pas de l’errance. L’errance, comme nous avons tenté de le montrer plus haut, interroge l’être intérieur de l’humain et non pas sa production. L’errance devient un mode de penser, de vivre et de concevoir son existence en lien avec les mondes extérieurs.

Dans une courte parabole incise dans le texte de la Transfiguration, Jésus interroge notre capacité à renoncer à l’achèvement. En Lc 14,28-30, nous lisons en effet ceci : « Voilà un homme qui a commencé à bâtir et qui n’a pas pu achever. » Dans le récit lucanien cette phrase est mise dans la bouche des moqueurs. Elle ne constitue pas un jugement moral du bâtisseur, mais vise à tester la capacité de résistance du bâtisseur à la moquerie. L’incise a pour but d’interroger celui qui sou-haite suivre Jésus. En effet, marcher à la suite de Jésus implique de renoncer à l’achèvement d’un projet de vie, par exemple. Suivre Jésus, ici, revient à quitter son œuvre, son désir de réalisation, sa sécurité pour chemi-ner. L’homme de Nazareth déploie un nouvel horizon, celui de la marche, du voyage : « Marcher à sa suite ».

L’accent repose sur le mouvement et non sur le réa-lisé, sur l’incertitude du voyage et non sur la sécurité.

Derrière l’errance, il y a le voyage, la mise en route vers un but pas forcément bien précisé. Ce thème de la « mise en marche » est un axe fort du christianisme en général, et des libéraux en particuliers pour qui le « dynamisme créateur » est une valeur fondamentale.

Le thème de l’« errance »appliqué à la vie spirituelle et théologique philippe Fromont

« La vérité sans la recherche de la vérité n’est que la moitié de la vérité. »

A. Vinet, 1842.

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L’errance en théologieSébastien Castellion (1515-1563), se laisse voir

comme l’une des figures du théologien errant. Cela revient aussi, d’une certaine manière, à camper la pos-ture du théologien rebelle, qui ose s’aventurer loin des sentiers battus, qui ose avec ses sens (sa sincérité) et son intelligence (sa raison) re-penser une doctrine.

Il s’agit de la figure du théologien qui s’affranchit de la tradition théologique pour chercher. Il fait en quelque sorte « table rase », il repart de rien et cherche. Le théologien errant, c’est celui qui sait qu’on ne pos-sède pas la vérité sur les questions religieuses. Comme nous l’écrivions plus haut, il montre qu’il sait renoncer à l’achèvement d’une idée théologique. Le théologien chercheur sait qu’il y a plus de choses obscures que de choses évidentes en théologie. Il n’hésite pas à discuter et cela sans condamner les propositions théologiques.

La figure du théologien errant contribue encore chez Castellion à étendre le champ des adiaphora (choses indifférentes) pour éviter à l’hérétique le procès et la mort. Castellion se le tient pour dit et fonde là-dessus une méthode. Raison pour laquelle il évite de prendre parti brutalement dans les querelles théologiques, même et surtout sur des points de dogme : il préfère infléchir, – vers le domaine des choses sans importance pour le salut –, des contenus doctrinaux à propos des-quels les savants s’entredéchirent, sans toujours bien apercevoir la qualité divine et humaine de l’enjeu.

L’effort original de Castellion pour effacer les dif-férences, réduire les opinions contraires, élaborer une religion non-dogmatique, il le décrit lui-même dans un passage de L’Art de douter et de croire :

« On s’y est efforcé de longue date et par de mul-tiples voies. Pour ma part, j’espère rendre mon opinion accessible en me fondant sur des jugements raisonnés et sur l’autorité de ces mêmes Lettres Sacrées dont il est question.

Et si mon opinion fait difficulté, je la mettrai en parallèle avec les opinions adverses et, dans le cas où elle en sortira à son avantage, je demanderai qu’elle ne soit pas rejetée : pour cela même qu’elle se révèle vraie et moins inadéquate. Si j’y parviens, comme je l’espère, nous posséderons le moyen de mettre fin à de graves et nocives controverses. »

Au monolithisme doctrinal aveugle, au système doctrinal achevé, Castellion oppose une fermeté à la fois plus raisonnable et plus humaine empreinte de dialogue et de pacification.

ConclusionPeut-on conclure un propos sur l’errance ? Cela

me semble relever de l’oxymore. Le théologien errant ne pourrait admettre la conclusion, car on ne conclut jamais définitivement, tout est toujours à reprendre, à retravailler, à repenser au cours du voyage. Certes, la posture est délicate car elle suscite de l’instabilité, de l’inquiétude et de l’insécurité. Mais ne sont-ce pas là les prémices pour une théologie en mouvement réso-lument tendue vers l’ad-venir et en résonance avec les questions du monde d’aujourd’hui ? Sans aller jusqu’à faire « table rase » des anciennes doctrines, ne faudrait-il pas laisser ouverte leurs possibilités de déploiement ?

Pour concrétiser mon propos, je prendrai l’exemple de la doctrine du péché. Elle a le plus souvent été com-prise comme une cause de la dégradation de l’Homme et comme un jugement moral porté sur lui. Ne pour-rait-on pas la repenser comme une donnée sociale de l’humain ? Dieu a laissé cette liberté au premier Homme, d’après le grand et beau mythe de la Genèse. En effet, si Dieu avait voulu qu’Adam ne commette pas le péché, il aurait tout mis en œuvre pour cela. Mais tel ne fut pas le cas. Dieu a été affecté par ce désir d’Adam, mais il en supporte l’existence.

À l’inverse, notre société actuelle ne supporte plus le péché, la faute, l’erreur, le risque. En France, nous avons inscrit dans notre Constitution le Principe de pré-caution pour nous prémunir de toute atteinte due à la faute. Par là, comme un effet secondaire de cette dispo-sition, il devient difficile de prendre des risques induits par l’expérience, l’esprit d’entreprendre ou la manière de penser différemment. En fin de compte, cela aboutit à réduire notre liberté… d’errer, de penser.

La société voudrait-elle faire ce que Dieu n’a pas fait : éradiquer le péché ? La société actuelle ne sup-porterait-elle plus l’erreur, le péché en son sein ?* p. F.

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la question du « mariage pour tous » a provoqué la prise de conscience que les normes éthiques ne relèvent pas d’une révélation divine et que malgré leur évolution le monde continue

d’exister. En dehors de notre hexagone, de semblables ques-

tions agitent nos contemporains : nous avons ignoré en France les débats que le protestantisme anglo-saxon connaît depuis des années autour de la question de l’homosexualité. Cette question a dressé des évêques anglicans conservateurs africains ou latino-américains contre les perversions supposées bibliques et éthiques du monde occidental (par contre, la corruption endé-mique et meurtrière, ou la polygamie dans leurs pays respectifs ne sont pas à l’ordre du jour !).

Ces conservateurs africains ont aussi embarqué dans leur galère des Américains épiscopaliens (anglicans) violemment homophobes et traditionalistes. La ques-tion, qui a occupé nombre de réunions au sommet de la Communion anglicane, était celle de l’ordination d’un homosexuel déclaré. La réponse fut longtemps négative. Puis se posa le cas de Jeffrey Johns, homosexuel, mais vivant chastement en « célibataire » selon ses mots. Élu évêque, il dut renoncer à ce ministère sous la pression des courants évangélique et traditionaliste. Ce qui fut accepté avec soulagement par l’archevêque de Cantor-

béry Rowan Williams et avec douleur par les libéraux. Puis l’Américain Gene Robinson fut « l’homme par

qui le scandale arrive » lorsqu’en 2003 ce prêtre épis-copalien, marié et divorcé, père de deux filles et vivant avec un partenaire qu’il épousera civilement et reli-gieusement en 2008 après 20 ans de vie commune, a été élu évêque. Cette nomination jeta une lumière crue sur les dissensions qui couvaient dans les diverses provinces anglicanes, notamment celle du Nigeria. Gene Robin-son a raconté qu’il portait un gilet pare-balles le jour de son intronisation, tellement la haine des 38 évêques demandant sa démission et les menaces de mort l’envi-ronnaient quotidiennement. Et, mesure diplomatique humiliante, destinée à apaiser les conservateurs angli-cans de tout poil, il ne fut pas invité au sommet angli-can de Lambeth qui réunit tous les sept ans les primats.

Katherine Schori, primat de l’Église épiscopalienne américaine, dont l’élection en 2006 en tant que femme et de positions théologiques libérales avait aussi fait des vagues, le déplora. Dans une lettre à l’archevêque Rowan Williams, elle rappelait que l’Église épiscopa-lienne américaine n’était plus une colonie de l’Église anglicane d’Angleterre, mais une Église américaine indépendante ; que toute interprétation biblique ten-dant à condamner l’homosexualité était à rejeter et que la décision de ne pas inviter l’évêque Gene Robinson à

Les débats du protestantisme anglo-saxon sur l’homosexualité Claudine Castelnau

regard sur le monde

L’homosexualité a été récemment discutée en France à propos du « mariage pour tous ». La bénédic-tion des couples homosexuels est à l’étude dans l’Église Protestante Unie de France. Mais la question agite depuis longtemps le monde anglo-saxon. Et les réactions sont souvent violentes...

Bénédiction de m

ariage aux États-Unis Photo Lisa F. Young/dream

stime.

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siéger parmi ses pairs était une « erreur » qui ne ferait que le rendre plus présent dans les débats de la confé-rence de Lambeth.

En 2010, sept ans après son élection à l’évêché du New Hampshire, l’évêque annonçait qu’il prendrait une retraite prématurée en 2012, sept ans avant la date normale. Il disait n’en plus pouvoir, fatigué de se trou-ver en première ligne d’un épuisant conflit. Il est parti en 2013, après avoir publié un livre God Believes in Love, Straight talk About Gay Marriage (Dieu croit en l’amour. Parlons franchement du mariage gay).

Mais en décembre 2009, la chanoine anglicane Mary Glasspool, ouvertement lesbienne, a été élue évêque suffragant dans le diocèse de Los Angeles ; deux autres femmes prêtres épiscopaliennes se sont mariées en 2010 à la cathédrale St Paul de Boston et, depuis 2009, les évêques épiscopaliens américains sont autori-sés à bénir des mariages homosexuels.

Quant à l’Église anglicane d’Angleterre (Église d’État), elle a déclaré que « les enseignements de l’Église sur la sexualité entrent en conflit avec les atti-tudes sociales contemporaines, non seulement pour les chrétiens gays et lesbiens, mais aussi pour les chrétiens hétérosexuels ». Et en 2013, l’interdiction d’ordonner évêques des prêtres anglicans homosexuels unis civile-ment à leur partenaire a été levée. * C. C.

ces mots qu’on n’aime pas

Athéisme

vous avez raison : moins on a de reli-gion mieux on vit et plus on est sym-pathique. »

Je me suis surpris à lâcher cette phrase à un voisin musulman attablé devant une bière au café du coin.

À ma remarque souriante au sujet de cette bière, il avait répliqué :

« Mais je n’ai pas de religion. »Mon « apostasie » mettait-elle en ques-

tion mes décennies de ministère pastoral pourtant convaincu ?

Peut-être pas.Les salafistes qui tuent et fouettent pour

plaire à Dieu, les évangéliques fondamen-talistes et les catholiques intégristes qui enseignent que Dieu voue à l’enfer ceux qui sortent des rails officiels ne seraient-ils pas plus humains et fraternels s’ils avaient moins de « religion » ?

L’« athéisme » souriant d’André Comte-Sponville, le dévouement des bénévoles du Secours Populaire, de la Cimade ou d’Amnesty International dont l’humanisme et l’accueil sans condition de ceux qui souffrent ne participent-ils pas davantage que la foi de bien des « croyants » radicaux à l’incarnation du Royaume de Dieu que Jésus nous a fait connaître ?

Les Pays-Bas, le Royaume Uni et d’autres pays du nord admettent dans l’armée, les prisons et les hôpitaux des aumôniers « humanistes » (on ne dit pas « athées ») dont les relations avec les aumôniers catho-liques ou protestants sont fraternelles et détendues. N’ont-ils pas raison ?

Et ne devrions-nous pas penser à redis-tribuer les cartes de nos Églises et institu-tions religieuses en constatant qu’en vérité, ce n’est pas en disant « Dieu », « foi », Jésus-Christ, Adonaï ou Mohamed, « athéisme » ou « agnosticisme » que l’on définit une spiritualité, mais en prenant conscience de notre dynamisme créateur, de notre esprit de fraternité, de notre humanisme. *

gilles Castelnau

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C’est par la langue que viennent les idées. Ce sont les mots qui nous permettent de nom-mer les choses, les personnes, de les inscrire dans notre réalité, de leur donner sens et vie.

La langue nous permet de penser la vie. Et ma langue, c’est le christianisme. Bien plus que le français dont j’apprécie la mélodie et les subtilités, c’est la langue chrétienne qui me donne les mots pour dire ce qu’est la vie et m’y plonger alors de tout mon être. C’est la langue chrétienne qui me révèle ce qu’est l’amour véri-table. C’est la langue chrétienne qui met à jour le visage du prochain et en décèle toute la beauté.

Je suis chrétien parce que je pratique la langue chré-tienne, non pas le patois de Canaan qui enfile les mots du lexique religieux et qui se préoccupe peu du sens, mais cette langue faite de tous ces mots qui donnent de l’ampleur à la vie : le kairos qui me fait découvrir la qualité et l’intensité du présent ; Shalom qui m’ins-crit dans une résonance féconde avec mes contempo-rains ; Métanoia qui, plus qu’une conversion, m’invite à approfondir ma connaissance de l’Être... Et cette langue tisse les mots pour créer des horizons, un uni-

vers, pour m’inscrire dans l’universel : « Ma grâce te suffit » (2 Co 12,9), « Qu’as-tu fait de ton frère ? » (Gn 4,9), « Dieu était là et je ne le savais pas » (Gn 28,16), « Voici l’Homme » (Jn 19,5) qui défont des certitudes, qui forgent une espérance. Je suis chrétien parce que je pratique cette langue qui conjugue l’amour à tous les temps, qui peut mettre l’autre en apposition sans faire de moi un élément neutre. Les verbes d’état sont sous-entendus. Les verbes dynamiques sont employés avec générosité. C’est une langue gourmande, c’est la langue de Rabelais et de Calvin qui débordent d’enthousiasme pour dire les merveilles de la création, les plaisirs du quotidien, la responsabilité de chacun. C’est aussi la langue de Shakespeare qui est une épiphanie des pos-sibles, ou celle d’Emerson qui chante la vie. C’est celle de Schleiermacher qui m’emporte dans le tourbillon des idées ou qui trouve une rigueur structurante chez les exégètes.

Pourquoi suis-je encore chrétien ? Pour ne pas res-ter sans voix, mais devenir, à ma mesure, poète de la vie. * James Woody

Nous continuons ici cette série dans laquelle des libéraux expliquent pourquoi ils sont encore chrétiens.

2. Pourquoi suis-je encore chrétien ?

série : « pourquoi suis-je encore chrétien ? »

Reconstitution imaginaire de l’Abbaye de Thélèm

e par Charles Lenormant, 1840. D

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Faut-il rouvrir l’abbaye de Thélème ?Jean-Marie de bourqueney

billet

On devrait toujours relire Gargantua, comme on relit un prophète, néces-saire dans sa critique et son imper-tinence. Lorsque Gargantua, dans

le livre éponyme de Rabelais, remercie Frère Jean en lui offrant le projet d’une abbaye, celui-ci refuse d’abord (tiens ! comme les prophètes bibliques…). Il finit par accepter mais avec une règle qui défie toutes les règles monastiques et les lois sociales : « Fays ce que vouldras » (« Fais ce que voudras »). Aurait-il eu une vision, presque 500 ans avant nous, de ce que devrait être notre liberté ? « Faire enfin ce que l’on veut » pourrait être en effet une devise pour notre temps. Mais, parle-t-on de la même chose ?

Aujourd’hui, chacun revendique la liberté pour lui, pour protéger « son » espace. Et c’est heu-reux ! Nous avons ainsi des libertés de parcours de vie, des choix enfin émancipés des détermi-nismes sociaux et religieux. Rabelais en aurait sans doute eu grand plaisir… Mais l’émancipation de l’abbaye de Thélème est construite comme un idéal qui repose sur un projet éducatif et respon-

sabilisant : fais ce que tu veux mais dans l’intérêt de la communauté. Cela reste une abbaye, lieu d’une vie communautaire. D’ailleurs, Rabelais, homme de son temps, réservait son utopique et littéraire abbaye à une élite formée à cela, com-posée de gens « bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société » (ch. 57). L’éducation, au-delà de la question sociale surannée, permet de construire ensemble une volonté commune. Ce n’est pas la loi de la jungle. Son utopie reste sans doute actuelle, mais elle me semble bien loin de notre mode de vie.

Aujourd’hui, le pouvoir politique ne fait plus rêver. On parle de « gouvernance », « d’arbi-trage », « d’accompagnement des situations ». On vote pour les personnes qui nous semblent les plus « efficaces ». Où est le projet ? Où est le rêve ? Le désir ? Où sont ces grandes idées qui permettent à chacun de « faire ce que voudra » pour construire ensemble l’avenir ?

Gargantua, Frère Jean, Rabelais, revenez ! Rou-vrons une abbaye de Thélème pour notre temps. À défaut, nous avons nos églises ; peut-être…*

J.-M. b.

Reconstitution imaginaire de l’Abbaye de Thélèm

e par Charles Lenormant, 1840. D

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Jésus inaugure une prodigieuse révolution reli-gieuse en invitant ses disciples à appeler Dieu « Papa » (Abba et non ab’, “père”). Cela donne à rêver – et après tout, qu’est-ce qui devrait empê-

cher de rêver en priant et de prier en rêvant ?Le Dieu chrétien est comme un jeune père de

famille qui trouve ses délices à jouer (cf. Pr 8,30) avec ses enfants, même tout jeunes, avant même qu’ils ne soient de petits lutins agiles qui remuent si vite en tous sens qu’on ne sait jamais où ils sont. Le Dieu chrétien est comme un jeune père de famille émerveillé qui fait le clown au-dessus des berceaux, jusqu’à ce qu’il entende en écho le rire de bonheur gazouillant d’un nourrisson.

Le Dieu chrétien est un jeune père de famille émer-veillé. Son plus cher désir serait de garder serrés sur son cœur ses merveilleux petits. Mais il les aime trop pour les étouffer ainsi d’une tendresse constrictive. Alors – peut-être en serrant les poings pour s’empê-cher d’intervenir – il les regarde avec un peu d’inquié-

tude explorer le monde, dès l’âge où ils se traînent sur le ventre comme des têtards à la surface d’une mare. Quand ils reviennent vers lui, tout en rire parce que leurs découvertes les ont comblés, ou tout en pleurs, les genoux écorchés ou le ventre en feu après une overdose de bonbons, il les prend sur ses genoux et leur parle à l’oreille, longuement, tendrement. Et lorsque le mal-heur a frappé si fort que leurs larmes paraissent intaris-sables, entre deux baisers consolateurs il leur raconte le monde en le peuplant de merveilles : de monstres gen-tils, d’incendies qui chatouillent ou de tremblements de terre toboggans. Lorsqu’il est en verve, il arrive que, dans un rire cristallin, un rire de source, le petit par-vienne à s’amuser de ses malheurs, petits ou grands, et à en faire un scénario drolatique. Et sa joie timide est alors comme un rayon de soleil entre deux averses de printemps. *

M. b.

Dieu est un jeune père de famille émerveillé Michel barlow

méditer

9Évangile et liberté • cahier • Mai 2014

La liberté intérieure

Nadine Manson, pasteur à Bienne, en Suisse, nous a présenté aux Journées Évangile et liberté 2012 Etty Hillesum (1914-1943) et Jan Patocka (1907-1977), deux personnalités qui

ont acquis, de façon différente, cette liberté intérieure qui leur a permis de sublimer leur vie.

Jan Patocka a été, avec Václav Havel, rédacteur et porte-parole de la Charte 77 ; il a donné au mouvement de résistance des intellectuels tchèques contre le régime communiste totalitaire son texte fondateur. Or Patocka n’était pas un homme politique. Seule son intégrité intellectuelle et morale l’avait poussé à assumer les risques qui devaient lui coûter la vie.

Esther Hillesum est née dans une famille juive libé-rale hollandaise ; par ses lectures elle se rapprochera petit à petit du christianisme. Elle suivit une thérapie avec Julius Spier, ancien élève de Jung ; il fut l’artisan de sa conversion à l’amour universel et la mena vers une liberté intérieure qui fit écrire à Etty : « La vie est belle et pleine de sens dans son absurdité, pour peu que l’on sache y ménager une place pour tout et la porter tout entière en soi dans son unité ; alors la vie, d’une manière ou d’une autre, forme un ensemble parfait. » Elle mourut à Aus-chwitz. Son itinéraire est celui d’une femme sensuelle et moderne qui, en se laissant transformer par l’amour des hommes et les événements du monde, est devenue émi-nemment libre.

Liberté est un mot qu’on aime, chargé d’histoire, mais « c’est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur

que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent », déclare Paul Valéry (Regards sur le monde actuel).

La liberté a d’abord été conçue dans le domaine de l’action et de la politique. Il s’agit alors de la liberté de faire, et l’homme libre s’oppose au prisonnier ou à l’es-clave. Il y a d’autres façons d’appréhender le concept de liberté.

Bergson (1859-1941) définit la liberté comme l’adhésion à soi-même. L’homme libre est celui qui est en accord avec lui-même et qui sait ce qu’il veut. On pourrait dire que pour être libre il faut suivre l’injonction de Nietzsche : « Deviens ce que tu es ! » On est dans le domaine de la liberté intérieure : liberté de penser, de vouloir, de se dégager des contingences matérielles.

Penser et croire en toute liberté, telle est la devise qu’a choisie notre mensuel (cf. l’éditorial, p. 1). Mais…

« Être protestant libéral, ce n’est pas s’arroger le monopole de la liberté de croire et de penser.[…] Être chrétien, c’est être libre, inspiré par l’Évangile du Christ, celui de l’insurrection de la vie contre la mort, de la libération contre toutes les aliénations (religieuses, politiques, économiques, culturelles, etc.). Cette liberté naît de se savoir reconnu et autorisé dans l’existence. Tel que je suis, et tel que je suis avec Dieu. C’est-à-dire continuellement recréé par lui, attiré par lui vers une existence plus épanouie et en lutte pour un monde plus accompli. », rappelle Raphaël Picon (E&L n° 228).

Nadine Manson résume ici la conférence d’octobre 2012. * Marie-noële Duchêne

Claude Monet : Im

pression Soleil levant (1872). C’est le titre de ce tableau qui donnera son nom au m

ouvement pictural de l’Im

pressionisme. Paris, M

usée Marm

ottan

c a h i e r

Évangile et liberté • cahier • Mai 201410 lÉ

c a h i e r

L’avenir entre peurs et courageÀ propos de deux livres de Etty Hillesum et Jan Patočka nadine Manson

lorsque les effrois et les douleurs de la vie nous frappent, personnellement, nous sommes saisis, chacun à notre manière. Affronter nos peurs et faire preuve de courage face à elles, tel semble

être le destin de l’humanité et de tout un chacun. C’est pourquoi les réactions intellectuelles, les productions issues des moments intenses de peurs et de dangers de nos prédécesseurs revêtent une importance sans nom.

J’ai choisi deux auteurs qui ont souffert. Non pas qu’il y ait une certaine délectation à revenir sur leurs vies torturées. Mais l’intensité même de leur épreuve semble pouvoir offrir à leur vie martyrisée la capacité de rejoindre notre confortable lecture. Le tragique de leur situation fait fi des décennies et de la contingence, nous touche. Nos propres existences sont alors convo-quées, saisies.

C’est là que commence mon propos sur les peurs et le courage. Deux figures du passé, deux auteurs. Une femme, un homme. Ils ont su transfigurer leur peur, sublimer leur vie. Une peur transfigurée en courage qui suscite autant notre admiration que notre réflexion. Et bien sûr, découvrir le comment, le pourquoi, la phé-noménologie nous intéressent. En effet, il me semble qu’au travers de leurs existences est révélée, rendue accessible une part de ce que Paul Tillich (1886-1965) appelle l’« inconditionnellement caché ». Mystérieu-sement, à nos yeux, lors de la découverte de ces deux

destins, une révélation s’opère. « L’inconditionnelle-ment caché s’autoréalise comme révélation en eux. Ils ne sont donc pas par eux-mêmes, par leur mode d’être, des porteurs de la révélation ; mais ils le sont parce que quelque chose apparaît en eux, qui n’est pas d’eux, mais qui est en eux et qui est aussi toujours contre eux. »

Mais avant tout quelques mots d’introduction sur chacun d’eux.

Tout d’abord, l’homme.Jan Patočka, tchèque, (1907-1977), est philosophe

de tendance existentielle, phénoménologue. Il est mort, à 69 ans, à Prague, après onze heures d’interro-gatoire policier. Il était porte-parole de la Charte 77, mouvement de résistance tchèque contre le totalita-risme communiste, dont la figure la plus connue fut l’ancien dramaturge et président de la République Václav Havel. Je m’appuie sur son livre Éternité et histo-ricité. Un des rares livres conçus par Patočka lui-même en tant que tel. Il porte l’empreinte des circonstances dramatiques dans lesquelles il a vu le jour : esquissé à l’ombre portée de la guerre à peine finie et des chan-gements politiques alors imminents à l’Est. Le texte sera ensuite élargi, dans le prolongement du cours de 1947 sur Socrate, à un dialogue avec Scheler, Husserl, Heidegger, Sartre et Jaspers. Mais il devra attendre jusqu’en 1987 pour connaître une première édition et

Léon Spilliaert : Femm

e au bord de l’eau (1910).

11Évangile et liberté • cahier • Mai 2014

l’av e n i r e n t r e p e u r s e t c o u r a g e

vingt ans encore avant de paraître enfin sous sa forme intégrale. Il a été traduit et publié en français en 2011.

Ensuite une femme. Etty Hillesum, néerlandaise née en 1914 morte à 29

ans en 1943 à Auschwitz. Son journal a été publié aux Pays-Bas en 1981 et traduit en France sous le titre Une vie bouleversée.

Une tranche de sa vie, écrite par une érudite lisant beaucoup de philosophie, lisant Hegel, saint Augustin ou encore Dostoïevski. Une jeune femme reconnaissant avoir un « intellect fonctionnant à la perfection ». Son journal nous permet de mesurer à quel point la force de la description de journées, en apparence anodines, recèle en elle-même une réflexion sur cette mystérieuse alchimie que sont les peurs et le courage.

Les cicatrices laissées par les guerres ont poussé la réflexion métaphysique dans ses retranchements. Elles ont invité nos propres vies à s’interroger autrement sur leur phénoménologie. Ces cicatrices de l’existence sont aussi le lieu possible du dépassement de nos instincts les plus primaires.

Le journal d’Etty. Les réflexions de Jan Patočka.Au-delà de la simple évocation de leurs vies boulever-

sées, nous avons pu les investir d’une capacité métaphy-sique. En résonance avec Gusdorf et Tillich. Philosophe et épistémologue français, Georges Gusdorf (1912-2000) pose en effet l’idée que si l’on admet que la philosophie a pour domaine l’expérience humaine, les faits humains sont investis d’une capacité métaphysique.

Dans les lignes de Hillesum souvent l’on est attra-pé par le saisissement dont elle est l’objet. En ce sens, nous rejoignons Tillich pour qui « la révélation n’est pas une communication sur l’existence […] ; c’est plutôt l’autoréalisation de l’inconditionnellement caché dans l’être, c’est le fait que l’être soit saisi par ce qui saisit inconditionnellement. »

Mon propos sera une espèce de quête, une mise en question.

Essayer avec des mots de dire cette révélation qui m’a saisie en étudiant plus avant les vies de Hillesum et Patočka. Essayer de cerner l’émergence de l’incon-ditionnel dans le conditionné de l’existence de deux auteurs, dans leur contingence, au-delà de leur contin-gence.

Cette quête essaiera également de comprendre comment ce processus, cette métamorphose des peurs en courage est possible. Processus qui réalise manifes-tement l’intervention de l’inconditionnel en eux.

Le processus de métamorphose des peurs en cou-rage ou du subir vers le construire, reste ontologique-ment forcément insaisissable. Pourtant. Les deux vies raccourcies de nos auteurs nous sollicitent, nous inter-pellent, convoquent nos existences. En quelque sorte leurs vies bouleversées devenues des témoignages vivants demandent à nos existences présentes de réagir, de se positionner. Ainsi s’installe un jeu de renvoi entre les deux figures du passé et notre propre existence. Jeu de renvoi qui ouvre et qui permet de découvrir un pas-sage. Un passage vers le courage. Une ouverture vers l’avenir. Le journal d’Etty servira d’illustration de vie principale. Patočka a plus systématisé sa pensée, son livre n’est pas un journal, il est un livre dont les ana-lyses nous aideront à formaliser ce processus.

1. Une offrande de vieNous sommes en quelque sorte sollicités, convo-

qués par les figures closes d’un passé, par leurs vies finies. Leur témoignage se dresse devant nous comme une invitation à la décision. Et vous ? Qu’en dites-vous ? Ce jeu de renvoi s’instaure pendant notre lec-ture, lors de notre découverte de la vie d’Etty Hillesum. On se demande ce qu’à sa place nous aurions fait. On comprend certaines de ses remarques, on les partage ou non. Elles nous interrogent, on apprend des choses. Dans ce jeu de renvoi entre passé et présent, entre figure passée et notre propre vie, un passage peut s’ouvrir. Un passage ou une ouverture. Cette ouver-ture peut devenir source d’avenir, source de courage. En ce qu’elle nous révèlera, à nous-mêmes, comment

Caspar David Friedrich : Le Voyageur contem

plant une mer de nuages (1818). H

ambourg, Kunsthalle.

12 lÉ

cahier

Évangile et liberté • cahier • Mai 2014

parvenir à un véritable accès à soi. En effet, en lisant Hillesum chacun est mis face au tragique choix de la vie. Vivre ou s’enfuir. Subir ou construire. Accepter son sort ou se sauver coûte que coûte. Nos questions exis-tentielles sont remuées par la lecture d’Etty. Et dans le processus même d’observation de l’accès à soi d’Etty à elle-même se joue aussi notre propre processus d’accès à soi de nous-mêmes.

J’ai évoqué en introduction le domaine de la phéno-ménologie. Nous avons envie de savoir comment, par quel moyen les existences passées ont su parvenir à cet état de vie, de conscience, d’accès à soi. Ici c’est la ques-tion de la Révélation. Nous aimerions connaître cette révélation-là dans nos propres existences. Leurs peurs transformées en courage. Comment Etty a-t-elle appris à soutenir son existence face à ce que Patočka appelle l’impersonnalité pure de l’univers ?

Le processus même par lequel elle y est parvenue nous intéresse à plusieurs titres. Nous aimerions en connaître le secret, la genèse, la phénoménologie. Afin de le reproduire, de le faire nôtre. Dans cette quête, il y a une vigilance ou du moins une certaine attention requise. Il faut approcher la vie de ses figures passées. Prendre leur contexte en compte. Entrer dans leur contingence. Entrer dans leur logique, deviner leur éthique à travers leurs mots, supposer leur foi à travers leur silence. Et alors seulement peut-être apparaîtra notre passage dans ce jeu de renvoi. Justement ce pas-sage est aussi personnel que le sont chacun et chacune de nous. Il est multiple, polymorphe, subjectif, singu-lier. Autant l’univers conserve son impersonnalité pure

autant la réponse humaine sera irrémédiablement marquée du saut de la personnalité. Lire Etty Hillesum dépendra de l’état d’esprit de chacun au moment de la lecture. De ce que l’univers impersonnel aura réservé de surprises, de bonheurs et de malheurs personnels. Et l’attention influencée par les stimuli extérieurs recevra plus ou moins, différemment le message transmis par les mots d’Etty.

Alors que faire ?

A. Leur destin tragique nous toucheIntuitivement nous savons que nous ne pouvons

appréhender que ce qui est en relation avec nous, ce qui devient contingent dans l’histoire, dans notre his-toire personnelle. Patočka va encore plus loin : « Ce n’est que dans ses angoisses que l’homme a pleinement le sentiment d’être au monde. » Oui, quelle angoisse, quelle dépendance nous avons face aux deux destins tragiques !

Hillesum, morte à Auschwitz à l’âge de vingt neuf ans ; Jan Patočka ne survivant pas à onze heures d’in-terrogatoire. Nous sommes touchés par le tragique de leur mort. Nous le sommes doublement. D’une part parce que leur mort non naturelle est provoquée par les soins de notre humanité partagée et d’autre part parce qu’ils nous ont laissé, chacun à leur manière, un témoignage. Témoignage dans lequel se dévoilent leurs choix, leurs pensées, leur être. Témoignage qui du même coup éclaire notre vision de leur réalité passée et interpelle la nôtre. Témoignage angoissant qui nous donne pleinement le sentiment d’être au monde. « Ce n’est que dans ses angoisses que l’homme a pleinement le sentiment d’être au monde. »

Nous les percevons par le sentiment, en nous tour-nant vers leurs réalités à travers notre affectivité. Et nous sommes affectés parce que nous connaissons leur mort. La convocation de notre être tient à ce jeu de renvoi causé par le souci apporté aux figures passées que sont Hillesum et Patočka. « Nous n’échappons pas au souci des autres », affirme Patočka, « nous ne vivons jamais à partir de nous-mêmes et pour nous-mêmes. »

B. Accès à soiIls nous dévoilent ce qui pour eux est important

dans la vie, leur manière d’aimer, ce qu’il en est pour eux. Leur structure intime se découvre à nous et retient notre attention. Parce qu’ainsi nous devinons leur « être subjectif » entendu par Patočka comme « l’existence de valeurs purement personnelles, d’une essence person-nelle, d’une mission, d’une destination qui n’appartient qu’à moi ». Et leur « qu’à moi » nous intéresse. Mal-

Edvard Munch : Le Cri (2

e version au pastel sur carton, 1895). Collection particulière.

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l’av e n i r …

Évangile et liberté • cahier • Mai 2014

Francesco di Stefano : Pénitence

de David ou D

avid devant Nathan. Florence vers 1422-1457

gré le tragique de leur quotidien ou peut-être plus justement en raison du tragique de leur quotidien, il y a une positivité de leur figure. Elles nous font entrapercevoir l’accès à soi, la découverte de soi.

Prenons Hillesum.Alors que sa peur n’est plus une

éventualité de l’histoire, alors que cette peur est devenue corps et chair, Etty écrit plusieurs fois dans son Journal, « La vie est belle. »

« Et pourtant je trouve cette vie belle et riche de sens. À chaque ins-tant. »

« Je sais que dans un camp de travail je mourrai en trois jours, je me coucherai pour mourir, et pourtant je ne trouverai pas la vie injuste. »

« Je remarque que mes facultés d’observation enre-gistrent tout sans faillir, avec en plus une sorte de joie. »

En effet, selon Patočka, « la question n’est pas de savoir ce que nous faisons tous les jours, [le journal d’Etty décrit des journées] mais plutôt ce que “tous les jours” font de nous [la manière dont Etty a évo-lué, eu accès à soi, sublimé ses peurs]. » Ce que tous les jours font de nous, c’est notre propre mondanéité. Observer la mondanéité d’Etty revient à observer le surgissement du monde historique comme monde problématique. Problématique certes, mais sublimé dans l’accès à soi d’Etty. En effet, nous sommes finale-ment éblouis par la rencontre, que dis-je, le choc entre cette impersonnalité pure de l’univers, entre ce surgis-sement problématique du monde historique et l’être subjectif, la structure intime d’Etty. Ici encore, plus que jamais, le processus, le jeu de renvoi est sans cesse en action. Dans cette tension. En cela Etty nous offre le témoignage d’une belle conquête de son être propre. L’existence n’est pas donnée, confirme Patočka, elle est à conquérir sur nous-mêmes.

À ce stade, marquons une pause récapitulative :Cet accès à soi passe par la métamorphose des peurs

en courage. Transformation qui regarde leur personne, leur existence, ce qu’ils sont fondamentalement, leur être. Et qui modifie la conception qui était la leur de ce qu’ils étaient. Ils changent leur manière de se com-prendre, de comprendre le caractère si personnel de leur vie face à l’impersonnalité pure de l’univers.

Etty ne subit plus la déportation vers le camp, elle s’y rend librement. N’avons-nous pas ici une manifes-

tation de la révélation, telle que Tillich la définit. Une autoréalisation de l’inconditionnellement caché dans l’être, le fait que l’être soit saisi par ce qui saisit incondi-tionnellement. Etty écrit :

« Je m’aperçois que dans chaque situation, si pénible soit-elle, l’être humain développe de nouveaux organes qui lui permettent de continuer à vivre. À cet égard, Dieu se montre bel et bien miséricordieux. »

« Les champs de l’âme et de l’esprit sont si vastes, si infinis, que ce petit tas d’inconfort et de souffrance physiques n’a plus guère d’importance ; je n’ai pas l’impression d’avoir été privée de ma liberté et, au fond, personne ne peut vraiment me faire de mal. »

Comment ne pas être ému par ces phrases ? Dans une vie si jeune a surgi une force qui, par-delà la mort, parvient encore à nous saisir. L’ébranlement connu dans la vie d’Etty ne la détruit pas. Au contraire, cet ébran-lement la tourne vers Dieu. « La révélation », écrit Tillich, « apparaît donc dans les choses et les processus naturels. Ceux-ci deviennent porteurs de la révélation lorsque l’ébranlement et le retournement deviennent visibles en eux. » La visibilité de cette transformation se lit dans le Journal d’Hillesum. Il le transperce. Trans-perce les contingences et saisit, rencontre les plus chan-ceux d’entre nous dans le présent de leur existence. Il y a une part de mystère, le propre même de l’action de la révélation, dans ce processus. Un mince passage existe, une sorte d’ouverture créatrice d’existence qui par un jeu de renvoi permet d’insuffler mystérieuse-ment au lecteur une part du courage vécu et raconté par l’auteur.

« Nous avons le droit », poursuit Etty, « de souffrir, mais non de succomber à la souffrance. »

Joseph Mallord W

illiam Turner : P

luie, vapeur et vitesse (1844). Londres, National G

allery

c a h i e r

lÉ14 Évangile et liberté • cahier • Mai 2014

Le jeu de renvoi ici est évident. Nous sommes convoqués par la figure du passé qu’est Etty. Et nous sommes interrogés. Dans son accès à elle-même, dans cette manifestation de la sublimation de son être, nous sommes renvoyés à nous-mêmes. Quelque chose de l’ordre de la révélation s’offre à nous. Quelque chose de l’inconditionnellement caché s’autoréalise en Etty et Patočka comme révélation en eux.

Etty conclut :« Et si nous survivons à cette époque indemnes de

corps et d’âme, d’âme surtout, sans amertume, sans haine, nous aurons aussi notre mot à dire après la guerre. »

Comme si le mystère qui entoure l’action de la révé-lation prenait quelque peu corps, quelque peu concré-tude.

II. Ouverture créatrice d’avenirHillesum et Patočka nous montrent que leur émer-

gence d’existence tire sa force de leur blessure même. Une blessure terrible en ce sens qu’elle leur a fait voir dans leur pays, leurs voisins, leurs compatriotes, leur réalité des inconnus, des êtres totalement différents. Un ébranlement fécond. Sans qu’ils l’aient recherché, leur résistance d’affirmation de leur propre existence – c’est-à-dire tout ce que chacun d’eux a mis en œuvre à cette fin – va ouvrir sur un témoignage. Un lieu de double révélation. Révélation d’Etty à elle-même. Dans son journal, dans certaines lignes, indéniablement, elle a accès à elle-même. Cet accès à soi rend alors possible – dans un dialogue à travers les âges – une seconde révélation. Celle de chacun et chacune de nous à soi. Parce que nous aussi sommes dans cette même quête, dans ce même rapport à soi-même, dans cette conquête de notre être. Le journal d’Etty n’avait pas pour finalité première, à ses yeux, d’être un témoignage de son cou-rage face au nazisme. Tout ce qu’elle voulait était de « donner à sa vie un cours raisonnable et satisfaisant ». Les simples questions existentielles qui traversent notre esprit à la lecture des vies d’Etty ou de Patočka nous amènent à comprendre pour eux et pour nous, ce que Patočka appelle le « dévoilement et […] l’éluci-dation du sens de la finitude en l’être humain ». Leurs figures nous sortent de la torpeur de notre silence sur nous-mêmes et nous appellent ainsi à la vie. Comment ne pas être frappé par ces lignes d’Etty en connaissant son destin ? « Il se peut que je sous-estime ce qui m’at-tend. » Ce passage, quel est-il ?

A. RévélationL’expérience de l’autre tout à la fois éprouve et

féconde. Dans la fécondité, elle emmène l’être aux confins du rêve. Dans l’épreuve, elle fait côtoyer le vide insondable du drame de l’être.

« Je sais comment libérer peu à peu mes force créatrices des contingences matérielles, de la représentation de la faim, du froid et des périls. Car le grand obstacle, c’est toujours la représentation et non la réalité. […] Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi-même la vie réelle avec toutes ses forces, et l’on devient capable de supporter la souffrance réelle, dans sa propre vie et dans celle de l’humanité. », écrit Etty. Quelle révélation émerge de ce processus de transfor-mation des peurs en courage ?

Deux choses. D’abord la contingence, l’extériorité, le monde. Pour que cela fonctionne, finalement, il faut que cette révélation vienne de l’extérieur à nous-mêmes. Qu’elle soit comme une collision vitale. Un choc. Un ébranlement. Une autoréalisation de l’incon-ditionnellement caché et étranger. Etty nous entraîne dans un décentrement, elle nous oblige à reconnaître la réalité de son histoire à travers sa figure. Une irré-ductible contingence ! Qui renvoie à la nôtre propre. Dès lors il y a une espèce de corps à corps entre deux contingences, deux êtres, deux temps. Le propre proces-sus d’Etty d’accès à soi nous entraîne, ou s’offre de nous entraîner, aussi dans notre propre processus d’accès à soi par une mystérieuse communion. Celle de l’appa-rition en elle, de ce qui demeure, malgré tout, toujours caché pour nous. Le mystère même de la révélation de ce que Tillich appelle l’inconditionnellement caché.

Deuxième chose. Dieu, croire. L’homme, l’individu, écrit Patočka , se comprend dans la double relation qui l’unit au monde et à Dieu : aucune philosophie ne peut se constituer sans définir d’une manière ou d’une autre ces deux horizons de l’existence humaine. L’absolu c’est la révélation que nos vies ne sont pas que des questions et des soucis matériels. Que nos tendances naturelles à éviter souffrance et mort peuvent être surprises par une offrande divine. En ce sens, le courage décelé dans les destins tragiques de Hillesum et Patočka pourrait être une manifestation de la révélation divine. Dans leur témoignage de foi au cœur de la contingence cruelle.

« Je reste seule avec Dieu. Il n’y a plus personne d’autre pour m’aider. […] Je suis désormais toute seule avec Dieu », écrit Etty.

Patočka souligne que les philosophies, les penseurs qui appellent à Dieu dans leur système connaissent « une charge de vie plus lourde et plus douloureuse, une plus grande tension interne, une plus grande inten-sité ». Par moment, chez Etty, cette grande tension

l’av e n i r e n t r e p e u r s e t c o u r a g e

15Évangile et liberté • cahier • Mai 2014

Le mois prochain : L’Église et les pauvres au Moyen Âge, par Aurélien Peter

La Tragédie de Carmen (1984), une adaptation par le m

etteur en scène Peter Brook et le dram

aturge Jean-Claude Carrière. La transcription musicale est due à M

arius Constant.

interne, cette grande intensité est palpable.« Mon Dieu, prenez-moi par la main, je vous sui-

vrai bravement, sans beaucoup de résistance. Je ne me déroberai à aucun des orages qui fondront sur moi dans cette vie, je soutiendrai le choc avec le meilleur de mes forces. Mais donnez-moi de temps à autre un court ins-tant de paix. Et je n’irai pas croire, dans mon innocence, que la paix qui descendra sur moi est éternelle. »

Le mystère du comment, la phénoménologie du processus de sublimation n’est pas forcément inté-ressant à découvrir. Tout ne peut être saisi. Peut-être même cela relève-t-il du dévoilement et de l’élucidation du sens de la finitude en l’être humain. Élucider notre finitude nous dévoile notre incapacité à tout saisir, sur-tout ce qui inconditionnellement demeurera caché.

B. Sous l’emprise de la grâceIl y a quelque chose de sérieux en jeu. Je me suis

toujours intéressée à la question du mal.Ici cette espèce de grâce, fruit du processus décrit,

est aussi une espèce d’antidémonique à la mode Tillich. Le démonique chez Tillich est quelque chose d’assez spécial. Il le définit ainsi :

« Le démonique se réalise dans la personnalité […]. La personne, c’est-à-dire l’être qui est maître de lui-même, est saisie par un pouvoir sous l’effet duquel elle devient divisée en elle-même. »

Et justement Etty semble avoir vaincu cette division, en ne faisant qu’un avec elle-même, en restant maître d’elle-même, et en résistant en définitive à la division de sa personne.

« La vie et la mort, la souffrance et la joie […] tout, tout est en moi et forme un ensemble puissant, je l’ac-cepte comme une totalité indivisible et je commence à comprendre de mieux en mieux […] la logique de cette totalité. »

Nous avons, me semble-t-il ici, de l’antidémonique.

Et poursuivons, Tillich dit encore :« L’inspiration démonique voit […] le divin, mais

comme objet d’angoisse, comme ce qu’elle ne peut pas aimer, comme ce à quoi elle ne peut s’unir. »

Etty Hillesum aime le divin, s’adresse à Dieu et cherche sans cesse à s’unir avec Dieu. Le divin n’est pas chez elle un objet d’angoisse bien au contraire mais ce à quoi elle se confie lorsqu’elle désire se débarrasser de ses angoisses.

« Mon Dieu, je te remercie de m’avoir faite comme je suis. Je te remercie de me donner parfois cette impression de dilatation, qui n’est rien d’autre que le sentiment d’être pleine de toi. […] Toute ma vie ne sera

qu’une aspiration à réaliser cette belle harmonie. »« Ce qu’il y a de plus essentiel et de plus profond en

moi écoute l’essence et la profondeur de l’autre. Dieu écoute Dieu. »

Je voulais terminer sur cette note. Petite parenthèse sur le démonique qui veut montrer qu’en définitive nous sommes toujours dans cette tension entre grâce et démonique.

Nos percées singulières vers le courage sont à ce prix. *

nadine Manson

Bibliographie :Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Points, Paris,

1995.Jan Patočka, Éternité et historicité, Verdier, Lagrasse,

2011.Paul Tillich, Écrits théologiques allemands, Labor et

Fides, Genève, 2012.Pierre Gisel, Croyance Incarnée, Labor et Fides,

Genève, 1986.

Jan Patočka et Etty Hillesum

. Photos DR

.

16

10 30 82,33 138,66 86,33 142,66

15 67,33 123,66 71,33 127,66

16

protester

N’est-il pas étonnant ce contraste entre le grand enthousiasme de nos concitoyens pour la musique sacrée et le peu d’enthou-siasme pour les choses de la religion ?

Exercice de laïcité Henri persoz

n ous sommes allés au concert. Au programme un Salve Regina de Scarlatti, les Sept der-nières paroles du Christ de Haydn, et enfin le Stabat Mater de Pergolèse. Salle comble, très

enthousiaste. L’ensemble musical fut très applaudi. Je parlais des paroles de ces œuvres avec quelques amis rencontrés à la sortie. Et en bon protestant, je critiquais plutôt. Ces amis, pas spécialement portés sur la religion, ont trouvé mes commentaires assez bizarres, affectant d’oublier que ce concert avait quelque chose à voir avec le christianisme. Ils ont bien apprécié la musique et les chants, mais ne se sont pas souciés une minute des paroles chantées par la chorale, qui d’ailleurs étaient en latin. Cela valait peut-être mieux.

J’avais la traduction en français sous les yeux et j’étais déconcerté par l’obsolescence de ces vieux textes qui ne nous parlent plus aujourd’hui. Ainsi le Stabat Mater, complainte du Moyen Âge, qui exalte la douleur de la Vierge devant le corps de son fils mort et veut associer le récitant à cette douleur :

Mon désir le plus ardent est de me tenir avec vous auprès de cette croix et de l’arroser de mes larmes.

Faites que je ressente ses blessures et que mon amour me fasse boire, comme un vin délicieux, les amertumes de sa croix…

Que la croix de votre fils soit ma défense, que sa mort soit ma sûreté et que sa grâce soit mon soutien.

Et quand mon corps mourra, obtenez à mon âme la gloire de la félicité.

Nous sommes donc dans une situation paradoxale. La plupart des personnes présentes n’ont pas lu ces phrases étonnantes, ceux qui les ont lues les trouvent sans intérêt s’ils sont éloignés du christianisme, et assez dépassées s’ils y adhèrent encore. Au total, un pourcen-tage infime de spectateurs connaît et apprécie ce qu’ex-prime ce poème ancien, mais tout le monde applaudit vivement à sa récitation en musique. Celle-ci était com-

posée pour donner du relief et de la profondeur au drame du récit. Mais il n’y a plus que la musique qui compte. Peu importent les paroles qui sont d’un autre âge, qui n’ont plus rien à nous dire et que nous n’avons pas besoin d’entendre, encore moins de comprendre.

Ne généralisons pas. Ce cas est extrême. Bien des oratorios et bien des cantates ont encore des paroles fortes qui expriment une foi aussi émouvante que la musique qui les porte. Il n’empêche que la musique sacrée est appréciée par de nombreuses personnes qui sont bien éloignées du sacré, je veux dire de la religion. Il y a plus de monde au concert qu’au culte ou à la messe. La musique sacrée enveloppe ceux qui viennent l’écouter d’une atmosphère religieuse qu’ils n’étaient pas venus chercher.

Un phénomène comparable s’observe à propos de la peinture. On se bouscule dans les musées, pour admi-rer des annonciations, des Vierges à l’enfant, des fuites en Égypte, des crucifixions et autres ascensions, alors que de nombreux visiteurs se sont éloignés depuis long-temps de cette histoire sainte, ou n’y ont jamais cru. Peut-être est-ce là une bonne occasion de rappeler nos racines chrétiennes à une population qui voudrait les oublier. Reconnaissons que ces scènes de piété popu-laire, datant de plusieurs siècles, et certaines du Moyen Âge, ne sont pas le meilleur moyen pour expliquer à ces visiteurs que le christianisme aujourd’hui s’est dépous-siéré de toutes ces vieilleries, et qu’il a retrouvé avec la modernité une nouvelle pertinence.

Et que dire de nos belles églises de France, envahies elles aussi par tant de touristes qui viennent de plus en plus loin et de bien d’autres cultures. Que comprennent-ils de tous ces vitraux, chemins de croix et représen-tations de saints relatant une histoire biblique assez naïve ? Ils ne peuvent pas bien réaliser ce que signi-fient toutes ces images, mais l’ensemble architectural, chargé de spiritualité, leur fait quand même entendre quelque chose de la grandeur de Dieu. * H. p.

17Évangile et liberté • Mai 2014

question théologique

10 30 82,33 138,66 86,33 142,66

15 67,33 123,66 71,33 127,66

17Évangile et liberté • Mai 2014

D ans un livre remarquable, passionnant et très exigeant (Les lumières de la religion, Bayard, 2013), le philosophe Jean-Marc Ferry, né en 1946, professeur de philosophie politique,

répond à la question suivante : quelle place accorder aujourd’hui aux religions dans les démocraties et la modernité ? Il se refuse à parler de post-modernité, comme on le fait si souvent aujourd’hui, préférant à cette expression celle de modernité seconde. Il évite là aussi bien les pièges d’un laïcisme ignorant et totalitaire que ceux des hégémonies religieuses. Cet ouvrage cor-respond à un entretien avec Élodie Maurot qui, dans une introduction lumineuse, résume de manière claire chacun des sept chapitres de ce livre. On peut citer deux extraits significatifs de ce dernier. l. g.

« L’amour chrétien est une espèce singulière. Ce n’est pas l’amour “grec”, ce n’est pas l’eros. Ce n’est pas non plus l’amour moderne : ce n’est ni la passion, ni quelque chose de sentimental ou d’affectif. L’agapê chrétienne est un amour altruiste, un amour “en Dieu”, que l’on associe

à la charité, bien qu’il ne soit pas exactement ce que l’on entend sous le mot “charité”. J’y verrais une disposition à regarder le monde et ses êtres avec une infinie béné-volence, un enthousiasme qui pousserait à embrasser le monde comme on embrasse un être très cher, qui vous a longtemps manqué. Dans son application à l’humanité affligée, je crois qu’il convient de comprendre l’amour chrétien au sens où l’entendait le père Joseph Wresinsky, fondateur du mouvement ATD-Quart monde : l’amour chrétien est un amour qui considère l’autre à hauteur de soi-même. C’est un amour qui fait de la préoccupation de l’autre une préoccupation égale à la préoccupation de soi. »

« Jamais les hommes n’ont été aussi solidaires. Jamais ils n’ont été aussi altruistes. Jamais le principe de l’amour chrétien n’a été aussi prédisposé favorablement du point de vue sociologique. Il peut aujourd’hui s’ins-crire dans nos sociétés. Les gens ne demandent que ça, au fond. [...] C’est à cela qu’ils sont sensibles aujourd’hui. Ils pensent que la seule force, que la seule valeur qui vaille, est celle de l’amour. » * J.-M. F.

L’amour chrétien d’après Jean-Marc Ferry laurent gagnebin

repenser

Laurent Gagnebin nous propose deux extraits d’un ouvrage récent de Jean-Marc Ferry, concernant l’amour chrétien dans la société actuelle.

18

L’auteur de l’évangile de Jean louis pernot

Nous n’avons que très peu d’indices sur les dates de rédaction et les auteurs des évangiles, si bien que de nombreuses hypothèses peuvent être proposées. Celle qui est émise ici va à l’encontre des hypothèses généralement envisagées pour l’évangile de Jean.

débattre

la question est controversée, et personne ne sait exactement qui est ce « disciple que Jésus aimait » qui serait l’auteur de l’évangile.

Ce qui est dit habituellement, c’est qu’il s’agit d’un évangile tardif, écrit aux alentours de 95 dans une communauté chrétienne d’Éphèse.

L’argument principal pour une datation aussi tar-dive est que l’évangile de Jean est moins factuel que les trois premiers, et offre une sorte de réflexion théolo-gique sur le ministère de Jésus.

On peut voir les choses autrement. Il y a même des arguments pour envisager une rédaction très ancienne de cet évangile à Jérusalem, comme le fait que l’auteur semble prendre pour une évidence que son lecteur connaît les lieux, et aussi des précisions comme sur la date de Pâques selon le calendrier du Temple (qui n’était pas le même que celui des pharisiens utilisé par les évangiles de Matthieu, Marc et Luc), qu’il serait curieux qu’une communauté éloignée de Jérusalem connaisse 60 ans après la mort du Christ.

Et certains spécialistes de la pensée juive du premier siècle sont aujourd’hui étonnés de voir que les ques-tions soulevées par notre évangile sont précisément celles qui se posaient à Jérusalem avant la destruction du temple (c’est-à-dire avant 70).

Quant à la forme de l’évangile, elle peut s’expliquer tout simplement par le fait que l’auteur serait non pas un simple pécheur du lac de Tibériade, mais un théolo-gien professionnel.

C’est l’hypothèse qu’avancent certains : l’évangile de Jean aurait pu être écrit par un prêtre du temple de Jérusalem. Il serait donc théologien, expliquant la forme savante de son écrit, le fait qu’il ne dise pas son nom (il risquait de fortes représailles, voire la mort), et que tout l’évangile de Jean tourne autour de la ville sainte et des pèlerinages que Jésus y faisait. Jean, en

effet, ne parle pas de ce que Jésus faisait en Galilée, ou très peu.

Reste à savoir l’identité de ce personnage. Pour cela, on peut avancer une hypothèse : pourquoi ne serait-ce pas tout simplement « Jacques, le frère du Seigneur » ?

Eusèbe de Césarée (265-340), dans son « histoire ecclésiastique », citant les textes d’Hégésippe et de Papias datant du début du deuxième siècle, nous dit précisément que Jacques, le frère de Jésus, était l’un des prêtres du Temple, qu’il était d’une grande piété et qu’il aurait été tué par les juifs, précipité du sommet du temple parce qu’il persistait à parler de « la porte de Jésus », thème bien connu de l’évangile de Jean.

Cela expliquerait bien des choses.En particulier la relation privilégiée que ce disciple

avait avec Jésus. Quelle était la relation particulière en effet que Jésus avait avec un seul de ses disciples ? Pas la peine d’imaginer qu’il était son petit ami ou autre chose parce qu’il était « couché sur son sein » (Jn 21,20), la solution est simple : Jésus, bien sûr, aimait son frère, et il devait avoir avec lui une intimité que les autres n’avaient pas.

Cela expliquerait aussi la phrase énigmatique de Jésus lors du « stabat mater » : Jésus confie sa mère à ce disciple qu’il aimait, mais tout le monde trouve ça curieux, parce que si Jésus avait eu des frères et sœurs, ce sont eux qui auraient pris soin de leur mère, pas la peine d’aller chercher un étranger. Mais si ce disciple est son propre frère, alors sa parole est tout à fait logique.

Et enfin il y a dans l’évangile de Jean plusieurs passages montrant des souvenirs familiaux particuliers, comme celui où les frères de Jésus insistent pour qu’il aille à Jéru-salem au pèlerinage et que lui ne le veut pas, etc.

Bien sûr, tout cela n’est qu’hypothèses, mais au fond, tout n’est qu’hypothèses et celle là n’est pas plus absurde qu’une autre ! * l. p.

Évangile et liberté • Mai 2014 19

Jean-Claude bée Le baptême de Jésus, en toute simplicité Matthieu 3,13-17

Jésus est-il au-dessus de l’humanité, un grand prêtre comme le présente la lettre aux Hébreux ? N’est-il pas plutôt le « fils de l’homme » au milieu des hommes ?

commenter

Jésus décide de rejoindre les adeptes de Jean le Baptiste. Il veut se joindre au mouvement à l’initiative de ce dernier. Pour comprendre la signification du geste de Jésus, il faut se replacer

dans les perspectives du mouvement lancé par Jean le Baptiste.

Pour le Baptiste, il faut être prêt pour accueillir la venue du Messie qui vient inaugurer le royaume, inaugurer le monde nouveau. Il faut être prêt et déjà établir en soi ce monde nouveau ; pour cela, il faut renoncer à l’ancien monde, renoncer à un certain style de vie, confesser ses péchés, renoncer à ses anciennes conduites. Se faire baptiser en signe de communion avec ceux qui sont prêts pour accueillir ce monde et qui pourront dès lors accueillir le Messie.

Jésus partage ces visées. Il se veut solidaire de cette démarche. Voici comment Jean le Baptiste voit les choses : « C’est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi et c’est toi qui viens à moi. » Jésus ne veut pas être au-dessus des autres ni à coté car il répond : « Pour le moment, laisse faire, c’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste. » La confirma-tion de son attitude par la voix de Dieu qui vient du ciel indique que Jésus est fidèle à son Père ; son comporte-ment est celui d’un fils, la parole céleste le confirme : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Que pouvons-nous retenir de l’attitude de Jésus ? Le Christ marche avec les hommes et c’est du milieu d’eux que se réalisera le salut pour tous.

Ce salut ne consiste pas à se sauver de cette généra-

tion pécheresse. Au contraire Jésus (non concerné lui-même par le péché) prit place au milieu des pécheurs pour leur donner une vie nouvelle et témoigner à leur égard de la proximité du Dieu d’amour et de misé-ricorde. C’est dans cette communion et ce partage qu’il réalise le salut de tous. Ainsi peut s’accomplir aujourd’hui la mission de la communauté chrétienne. Les Églises doivent être au milieu et solidaires des hommes, comme le Christ, proclamé par elles leur Sei-gneur, le fut. Or, paradoxalement, ces Églises ont placé le Christ « au-dessus », ou « ailleurs » alors qu’il voulait être au milieu, dans la même condition que l’humanité. Il veut partager l’effort des hommes pour leur change-ment.

C’est une tentation des Églises de vouloir être « au-dessus » et de vouloir être « ailleurs ». Et nous le savons, les Églises y ont parfois succombé. Les chrétiens sont tentés de vouloir être au-dessus, comme les pharisiens ; au-dessus grâce à la connaissance du salut. Volonté d’être ailleurs, témoin d’un monde « autre » plutôt que témoin d’un monde nouveau possible à partir du nôtre. Comme le Christ quitte Nazareth pour rejoindre le Baptiste et ceux qui veulent ce monde nouveau. Nous aussi nous avons toujours des efforts à faire pour nous quitter nous-mêmes, pour quitter notre identité, pour quitter nos certitudes, nos assurances et rejoindre les autres. C’est dans ce dynamisme que s’accomplit aussi le salut de l’humanité, dans la mesure où les chrétiens rejoindront d’une manière ou d’une autre les autres hommes. * J.-C. b.

20

retrouver

louis Évely (1910-1985) était un prêtre belge dont les talents oratoires et l’enthousiasme pour l’Évangile attiraient les foules. Ses livres de spiritualité étaient des best-sellers. Le plus

connu, C’est toi cet homme (1957), a été tiré en France à plus de 300 000 exemplaires et traduit en vingt-cinq langues ! En 1968, constatant l’abîme entre ses positions personnelles et la doctrine officielle du Vatican, il ne se sent plus le droit de s’exprimer en tant que prêtre catho-lique. Il obtient son retour à l’état laïc pour, dit-il, « prê-cher l’Évangile en toute liberté ». Ce qu’il fit jusqu’à sa mort, notamment dans la maison d’accueil qu’il avait fondée avec son épouse dans la Drôme. Les dernières années de sa vie, il a beaucoup collaboré à Évangile et liberté, en plein accord avec les positions de la revue. De fait, dans ses derniers ouvrages, sa théologie apparaît très proche du protestantisme libéral.

Louis rejoint pleinement la volonté de ce courant de pensée de « se mettre en quête d’une foi intelligente, d’une intelligence croyante qui n’ignore pas les grands courants de la pensée contemporaine, les développe-ments de la science et la vision du monde qui en résulte, tout comme les élaborations de la culture et de l’art ».

Dans l’Évangile sans mythes (1970), il rejoint les perspectives et parfois même le vocabulaire de Rudolf Bultmann dont il partage le souci de dégager l’interpel-lation personnelle contenue dans la Bible, de toute la gangue de prodiges et de miracles qui jadis l’exprimait, mais qui aujourd’hui, non seulement n’est plus néces-saire à la foi, mais qui la rend impossible dans notre civilisation scientifique et technicienne.

Dans cet esprit, Louis invite ses lecteurs ou audi-

teurs à centrer leur pensée et leur action sur l’enseigne-ment propre de Jésus. « L’essentiel de la foi, écrit-il, ce n’est pas le catalogue des dogmes, c’est la perception de la réalité spirituelle du Christ, le contact vivant avec lui : expérimenter sa force de résurrection et de vie dans sa parole, dans son pardon, dans son amour. » (Si l’Église ne meurt, 1971).

Ce qui l’amène à être très sensible à la relativité des formulations de la foi. Dans le même ouvrage, il s’amuse à répertorier toutes les « hérésies » d’autrefois devenues vérités de foi pour les catholiques, depuis le concile Vatican II : « Le sacerdoce des fidèles, la primau-té de l’Écriture, l’inspiration qui fait de chaque chrétien un prophète, les droits de la conscience… » Il n’est pas moins sensible à la relativité des institutions, notam-ment ecclésiales. L’expression « communauté chré-tienne » lui paraît absurde : la communauté pour des chrétiens sincères, ce doit être l’humanité tout entière !

Il en tire la conclusion extrême qu’il faut dépasser les frontières du christianisme dans « un christianisme sans religion », un christianisme recentré sur son ins-piration fondamentale : le plus court chemin vers Dieu passe par le service concret de l’humanité (cf. Mt 25,40). « Le christianisme, écrit-il, est destiné à perdre ses carac-téristiques religieuses (rites, structures institutionnelles, credo) en s’universalisant dans l’amour et le respect de l’homme habité de Dieu. Les Églises commencent à com-prendre que l’incarnation concerne tous les hommes et tout dans l’homme, que le salut est spirituel et temporel, et qu’il n’y a pas de libération religieuse sans une libé-ration sociale, politique, économique. » (Échec et espoir d’un christianisme, 1976) * M. b.

Louis Évely : la vérité décapante de l’Évangile Michel barlow

Louis Évely fait partie de ces personnalités catholiques si libérales qu’elles préfèrent s’éloigner de la structure catho-lique romaine pour prêcher l’Évangile avec plus de liberté.

21Évangile et liberté • Mai 2014

Titre Photo

La beauté de la nature menacéeFond corallien en Guadeloupe

Photo Jean-Luc Duchêne

regarder

22

lire

Un Jésus très humainlivre

À travers une enquête exégétique menée avec les outils et les acquis

de la méthode historico-critique (par exemple, p. 202, Jésus n’a très probablement pas « institué » la cène), Küng présente en Jésus une figure vivante, humaine, terrestre et non pas dogmatique et très divinisée, comme l’a

fait Benoît XVI dans son Jésus de Nazareth en 3 volumes.

« La résurrection [de Jésus] par Dieu n’est pas un miracle qui viole les lois de la nature et se prête à l’observation au sein du monde visible, ce n’est pas une intervention surnaturelle dans le temps et dans l’espace, elle ne peut donc être ni

localisée ni datée. Il n’y a rien eu à photographier ni à enregistrer. »

Küng souligne le fait que les évangiles ne sont pas des procès-verbaux, mais l’annonce libératrice d’un « joyeux message » sous la forme d’une interprétation, d’une confession de foi, d’une prédica-tion et non pas d’une biographie. Jésus défend inséparablement la cause de Dieu et celle de l’homme. On ne peut considérer ni Dieu sans l’homme, ni l’homme sans Dieu. La Croix n’est en aucune manière un écrasement de l’homme.

Jésus est celui qui a opéré une critique radicale de la Loi (léga-lisme) et du Temple (ritualisme des prêtres). Il n’a pas été l’homme de l’establishment religieux, social et

politique. Il y a là des pages magni-fiques sur Jésus et les gens morale-ment peu recommandables.

Küng refuse une exclusivité c h r é t i e n n e q u i m è n e à l’intolérance. On peut rappeler que sa condamnation par Rome lui interdisant d’enseigner n’est pas seulement motivée par son travail de bibliste mais, conjointement, par son exigence d’une réforme radicale des structures et du fonctionnement de l’Église romaine, réforme précisément fondée sur sa lecture du Nouveau testament. *

laurent gagnebin

Hans Küng, Jésus, Paris, Seuil, 2014, 292 p.

Un Jésus très humain Laurent Gagnebin

Jésus pour le XXIe siècle

Jésus pour le XXIe sièclelivre

la parution de cette traduction en français d’un livre de John

Spong me paraît une très bonne nouvelle pour tous ceux d’entre nous qui sont à la recherche d’un christianisme débarrassé de toutes les pesanteurs doctrinales et fantasmatiques qui l’écrasent

sous leurs dorures et leur poussière. Évêque de l’Église épiscopa–

lienne des États-Unis, John Spong est sensible à la désaffection des membres de son diocèse qui n’ad-hèrent plus aux anciennes formules ; elles ont perdu leur crédibilité et les études bibliques modernes montrent qu’elles n’appartiennent pas vraiment au monde de la Bible.

Dans la ligne de théologiens comme John Robinson, Paul Tillich – qui était son professeur – Don Cupitt, Marcus Borg, Lloyd Geering et d’autres théologiens protestants,

il met en question les confessions de foi traditionnelles qui appar-tiennent à des temps qui ne sont plus les nôtres. Il fait de même avec les dogmes concernant Jésus-Christ, sa mort sacrificielle, sa résurrection, ses titres de Fils de Dieu, de deu-xième personne de la Trinité, etc., qu’il estime relever d’une théologie d’un passé révolu.

« Un Dieu que l’esprit récuse ne sera jamais un Dieu que le cœur pourra prier. »

Spong récuse le Dieu dit « théiste » demeurant dans un au-delà surnaturel et intervenant de l’extérieur dans l’histoire des hommes de manière toute-puissante, l’idée d’un Christ né du Saint-Esprit, faiseur de miracles, mort pour apaiser la colère de Dieu et ressuscité corporellement, la vision d’une théologie igno-rant Copernic, Darwin, Freud et la science moderne.

« Je ne peux plus être un croyant au sens traditionnel du terme. Pour-tant je reste un chrétien engagé. Je reste toujours convaincu de la véri-té trouvée dans cette réalité ultime que j’appelle Dieu, et je vois tou-jours en Jésus la plénitude de Dieu et de l’humanité. Cela signifie que je suis arrivé à un stade de ma vie de chrétien auquel je n’ai plus besoin d’un Dieu faiseur de miracles pour m’amener au culte. En fait, une telle conception de Dieu me ferait plutôt abandonner ma foi. »*

gilles Castelnau

John Shelby Spong, Jésus pour le XXIe siècle, Paris, Karthala, 2013, 336 p.

Plusieurs dizaines d’articles de et sur John Spong sont publiés sur le site Protestants dans la ville : http://protestantsdanslaville.org/john-s-spong/js.htm

Évangile et liberté • Mai 2014 23

résonner

t oute collection conséquente d’œuvres d’art de la seconde moitié du XXe siècle comporte en général une réalisation, au moins, d’un artiste italien dont le nom, Michelangelo

Pistoletto (Biella, Piémont, 1933) sonne comme tout un programme. L’aspect le plus caractéristique de sa production réside dans le fait que les figures de ses représentations, pour l’essentiel découpées dans des photographies, s’inscrivent non pas sur une surface neutre et mate mais sur un fond actif car hautement réfléchissant : miroirs, acier inox poli ou autre.

C’est en travaillant sur les fonds de ses autoportraits, dorés puis noirs, et en observant les curieux effets réflé-chissants produits par ces noirs que Pistoletto a décidé un jour de franchir le pas et de faire du miroir le sup-port emblématique de son œuvre. Ainsi, le miroir qui n’était jusque là qu’un élément de plus pouvant figurer dans une composition (pensons à ces sublimes Vénus au miroir de Rubens ou de Vélasquez) devint alors son support même, un support qui ne demeure plus indifférent à l’effet visuel de l’environnement ni à la présence, si furtive soit-elle, du spectateur. Dans cette nouvelle composition il y a ainsi des éléments stables et permanents qui constituent pour ainsi dire le noyau dur de la représentation et d’autres, fortuits, aléatoires et passagers, offerts par l’action, toujours intrigante et facétieuse, du fond-miroir.

Le miroir demeure, en effet, un objet extrêmement

mystérieux. Auxiliaire précieux pour scruter l’invisible, qu’il s’agisse du simple aspect de notre propre visage ou des insondables réalités cosmiques que nos télescopes, bien équipés de miroirs, peuvent nous fournir, il est autant loué de contribuer à l’établissement de la vérité par la restitution fidèle de la réalité qu’il opère, qu’accu-sé de mensonge du fait que la réalité ainsi restituée est faussée puisqu’inversée. Pour d’autres encore, c’est sa parfaite impassibilité, sa capacité de tout recevoir sans rien retenir qui font de lui le symbole suprême de la Sagesse.

Ces considérations rappellent à mon souvenir l’ex-position d’un artiste, dont je n‘ai malheureusement pas conservé le nom, observée voici quelques années lors d’une foire internationale. Toute son exposition était composée de miroirs, de tailles et de formats très divers, entourés de cadres dorés de styles égale-ment très divers. Dans la partie inférieure de tous ces miroirs figurait, écrit également dans différents types de caractères, le mot DIEU. Le titre commun de toutes ces œuvres était On a le dieu qu’on mérite, formulation qui, dans ce contexte, et au-delà du simple jeu de mots, peut faire... réfléchir.

Ci-dessus, l’œuvre de Pistoletto (Toile sur chevalet, 1962-1975), que j’ai photographiée à l’occasion d’une exposition au Louvre, correspond à un collage sur un miroir avec, dans ce dernier, le reflet d’une célèbre cru-cifixion de Fra Angelico. * l. D.

Reflets… et réflexionsluc Dorian

Le miroir peut être à la fois un objet artistique et un sujet de réflexion. Ainsi, pourrait-on se demander, pourquoi inverse-t-il la gauche et la droite, alors qu’il n’inverse pas le haut et le bas ? Que voit-on dans un miroir : la réalité ou une illusion ?

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a b o n n e m e n t s

24

Croire en Dieu

né dans une famille modeste, d’origine catholique, formé par l’école laïque et par l’Ac-

tion Catholique d’après-guerre, pré-paré à la Mission de France, âgé de 82 ans, je n’ai pas rompu avec l’Église qui m’a révélé Jésus-Christ. Aujourd’hui comme hier, je crois en Dieu. C’est-à-dire ? L’harmonie profonde du monde, sa complexité, son agence-ment, sa beauté « naturelle » me donnent l’évidence d’une intelligence créatrice, « positive », sans limites, qui ne cesse de m’émerveiller et à laquelle je rends grâce d’avoir ma place dans l’espace et dans le temps. Cette intel-ligence-là, je l’appelle « Père ». Dire « le hasard et la nécessité » m’amuse. Dire « Dieu est création de l’homme, il n’existe que dans son cerveau, fruit de la solitude et de la culture » ne me gêne pas. Qu’il y ait quelque chose plutôt que rien, que ce quelque chose soit en évolution, depuis l’origine, vers plus d’esprit, cela me fait réfléchir. Mais la relation à l’inconnaissable, vivante, quotidienne est à jamais pour moi l’essentiel nécessaire.

Né ailleurs, dans une autre culture, je ne croirais probablement pas à ce que partagent juifs et chrétiens, ni aux dogmes des seuls chrétiens. Évidemment. Dieu est cependant là également pour tous. Et c’est bien ainsi. Pour moi, Français « catholique », avec le parcours qui

a été le mien, au-delà de l’humain (non méprisable) présent dans les histoires et les institutions, j’ai perdu beaucoup de certitudes, et, à beaucoup d’affirmations, je réponds : « Je ne sais pas, mais je respecte. » Un seul me paraît émerger, totalement sûr, totalement humain, totalement confiant, abandonné, uni et ouvert à Dieu : Jésus de Nazareth, né en Palestine, il y a un peu plus de vingt siècles. Ses paroles, son comportement, tels qu’ils nous sont rapportés, sont vraiment pour moi, « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6).

Alors l’Église ? Il y a des Églises depuis le début et l’histoire ne cesse d’en faire naître. Tous les disciples de Jésus sont pour moi des frères. Nous formons ensemble la grande et unique Église du Christ. Quoi d’autre ? Le protestantisme ? Je n’en suis pas, mais, par nature, j’aurais dû en être. Le catholicisme ? Je me tiens à distance parce que je ne suis plus un enfant, parce que j’aime la liberté, l’égalité, la fraternité et... la vérité. Lorsque deux ou trois s’assemblent en son nom, dans l’écoute et la simplicité, Jésus est là (Cf. Mt 18,20).

Michel Fournier, Charenton-le-Pont

Carmen et Œdipe

J’ai beaucoup apprécié l’article de Martine Jullian sur Carmen (E & L, avril, no 278), si bien docu-

menté, et remis dans son contexte his-

torique, sociologique, artistique...J’aimerais beaucoup que l’un de vos

rédacteurs étudie de la même façon le mythe d’Œdipe dans la tragédie antique, et dans les interprétations philosophiques modernes. Que signifie ce mythe tragique ?

Est-ce le récit d’une transgression des lois et de l’autorité ? – Est-ce la « démesure » que prend la forme du désir de savoir ? – Est-ce une scène originelle traumatisante pour la conscience individuelle (Freud) ? – La mise en scène de la fragilité de la vie humaine (Camus) et son absurdité ? – Ou bien une réflexion sur les rites de la vie sociale, où le roi devient la « victime expiatoire » sacrifiée pour réconcilier la cohérence de la cité en crise... (selon René Girard) ? – Ou bien un mythe parlant pour faire valoir l’existence d’une loi morale immuable, supérieure à celle édictée par les hommes (Créon) ; soulignant le droit de résistance pour une minorité face à un tyran (cf. Antigone d’Anouilh) ?

Je ne suis pas compétent pour réaliser ce travail et vous en soumets la possibilité. Je pense que cela permettrait de préciser quelques mots de vocabulaire comme : parricide, énigme, inceste, malédiction, épopée, mythe, « bouc émissaire » etc.

Jacques Perrier, La Calmette

courrier des lecteurs

une oFFre eXceptionnelleappel à nos lecteurs et abonnés

Laurent Gagnebin et Raphaël Picon, comme cela a été annoncé dans le numéro d’avril d’Évangile et liberté, p. 3, quittent leurs fonctions à la direction de notre mensuel à partir d’octobre 2014. Une bonne façon de les remercier et de leur faire vraiment plaisir : que vous offriez un abonnement à une personne qui ne serait pas encore abonnée. Pour cette opération exceptionnelle, nous prévoyons

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• la constante nécessité d’une critique réformatrice,

• la valeur relative des institutions ecclésiastiques,

• notre désir de réaliser une active fraternité entre les hommes qui sont tous, sans distinction, enfants de Dieu.

une date à retenir dès maintenant

Les prochaines Journées Évangile et liberté du protes-tantisme libéral se dérouleront à La Grande Motte les samedi 11 et dimanche 12 octobre 2014, sur le thème « Violence et religion ».Vous pouvez dès à présent noter ces dates dans votre agenda et réserver ce week-end !

tarif des abonnements

Le « tarif réduit » à 29 euros peut être appliqué à toute personne qui n’aurait pas les moyens de payer le tarif « juste prix », quelle que soit sa profession.

Le tarif « juste prix » est celui qui correspond au coût de fabrication et d’envoi de notre mensuel. C’est grâce à ceux d’entre vous qui choisissent le tarif « de soutien » que nous pouvons maintenir un tarif réduit pour les moins fortunés. N’hésitez donc pas, chaque fois que vous le pouvez, à privilégier le tarif de soutien.

D’autre part, si vous avez envie de faire connaître Évangile et liberté, mais que vous ne savez pas à qui offrir un abonnement, n’hésitez pas à nous adresser un bulle-tin d’abonnement « en blanc » : nous avons toujours une liste de personnes que nous pourrons abonner, grâce à vous !

courrier des lecteurs

Nous sommes persuadés que nos lecteurs ont des avis très intéressants sur certains articles publiés dans Évan-gile et liberté. N’hésitez pas à nous adresser, par courrier ou par mail, des réactions (aussi brèves que possible) sur des sujets qui vous ont touchés, interpellés, voire cho-qués.

www.andregounelle.fr

Le pasteur Marc Pernot a créé, il y a plus d’un an, un site internet (www.andregounelle.fr ) qui comporte les cours de théologie du professeur André Gounelle : une mine de données théologiques claires et synthétiques dont chacun(e) peut désormais largement profiter.

15 67,33 123,66 71,33 127,66

C’est peut-être l’expression la plus parfaite de mon sentiment de la vie : je me recueille en moi-même. et ce moi-même, cette couche la plus profonde et la plus riche en moi où je me recueille, je l’appelle « Dieu ».

Etty Hillesum (1914-1943), Une vie bouleversés (Seuil, 1985)

Évangile et liberté, fondé en 1886, est le mensuel francophone du Protestantisme libéral • Mai 2014 • n° 279 (nlle série) Prix au numéro (France) 5,50 € • Abonnements : voir en dernière page intérieure • issn 11-46-4771 • cppap 1017 G 82554

En couverture : Claude Monet, Brouillard du matin, National Gallery of Arts, Washington (DC).