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www.enseignement-et-religions.org/ _______________ "Jérusalem, nous conjuguons ton nom", Christian Bernard, octobre 2001 Pour accéder à la présentation du travail interdisciplinaire dont cette séquence est extraite, cliquer ici. SEQUENCE EN LANGUE ARABE 1 - SAVOIRS ET COMMENTAIRES DIDACTIQUES Pour la contribution de la langue arabe à notre travail interdisciplinaire sur Jérusalem, nous avons effectué un choix volontairement restreint d'inscriptions portées par l'un des monuments symboles de la sainteté de la ville pour l'islam, le Dôme du Rocher (Qoubbat Al-Sakhra). Notre choix d'inscriptions exprime à la fois la symbolique du bâtiment pour la religion musulmane et un certain regard de propagande de foi islamique à l'intention tant des chrétiens que du monde arabe de l'époque. 1.1) Le Dôme du Rocher et ses inscriptions A la mort de Mahomet (632) et lors de la prise de Jérusalem par les troupes conquérantes de l'islam en 638, le Mont du Temple n'est que ruines et immondices depuis des siècles. Pourtant, c'est bien vers lui que le Prophète ordonne de diriger la prière dans les premiers temps de l'islam à Médine. Jérusalem occupe alors la première place dans la nouvelle religion, "elle est un pôle de vénération de l'islam naissant qui s'inscrit dans la tradition biblique…" Ce choix s'inscrit dans une volonté délibérée d'identifier l'islam avec les autres traditions bibliques : les gens des Livres Saints, Torah et Evangile, sont eux aussi des croyants, comme les musulmans qui suivent les pas des Prophètes". 1 En effet, l'islam prétend reprendre à la source la tradition monothéiste issue d'Abraham, tradition qui aurait été falsifiée par les Juifs puis par les chrétiens. La Sourate IV, 171 déclare "Ô gens du Livre! Ne dépassez pas la mesure dans votre religion, ne dites, sur Dieu, que la vérité". 2 Or, une très ancienne tradition juive d'abord, puis proche orientale, situe sur le rocher du Mont du Temple, le sacrifice d'Abraham. 3 C'est précisément sur ce lieu que le calife Omeyyade Abd al-Malik fit édifier par des architectes et artistes byzantins, le Dôme du Rocher en 691-92 soit l'an 72 de l'ère Hégirienne. 4 C'est donc improprement que l'édifice est parfois appelé Mosquée d'Omar, du nom du gouverneur musulman qui conquit la ville en 638. Ce n'est pas à l'origine un lieu de culte mais de commémoration, un "martyrium". Il s'agit de l'un des plus anciens et plus beaux monuments conservés de l'islam des débuts. Une telle magnificence n'était pas sans raison d'être. En effet, ce Dôme du Rocher remplit à l'époque trois fonctions essentielles : - positionner dans la ville sainte la foi musulmane comme nouveauté certes, mais aussi comme rétablissement d'un discours vrai sur le monothéisme. - rivaliser avec le dôme du Saint Sépulcre chrétien tout proche, lieu important de pèlerinage évocateur de la passion et résurrection de Jésus. Si l'architecture s'inspire directement du modèle chrétien concurrent, le Dôme cherche à rivaliser de splendeur et également à rappeler quelle véritable place Jésus doit tenir dans la tradition prophétique. D'où notre choix d'une inscription où cela est évoqué. _______________ Document issu du site © www.enseignement-et-religions.org – 2009 1/9

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"Jérusalem, nous conjuguons ton nom", Christian Bernard, octobre 2001

Pour accéder à la présentation du travail interdisciplinaire dont cette séquence est extraite, cliquer ici. SEQUENCE EN LANGUE ARABE

1 - SAVOIRS ET COMMENTAIRES DIDACTIQUES Pour la contribution de la langue arabe à notre travail interdisciplinaire sur Jérusalem, nous avons effectué un choix volontairement restreint d'inscriptions portées par l'un des monuments symboles de la sainteté de la ville pour l'islam, le Dôme du Rocher (Qoubbat Al-Sakhra). Notre choix d'inscriptions exprime à la fois la symbolique du bâtiment pour la religion musulmane et un certain regard de propagande de foi islamique à l'intention tant des chrétiens que du monde arabe de l'époque. 1.1) Le Dôme du Rocher et ses inscriptions A la mort de Mahomet (632) et lors de la prise de Jérusalem par les troupes conquérantes de l'islam en 638, le Mont du Temple n'est que ruines et immondices depuis des siècles. Pourtant, c'est bien vers lui que le Prophète ordonne de diriger la prière dans les premiers temps de l'islam à Médine. Jérusalem occupe alors la première place dans la nouvelle religion, "elle est un pôle de vénération de l'islam naissant qui s'inscrit dans la tradition biblique…" Ce choix s'inscrit dans une volonté délibérée d'identifier l'islam avec les autres traditions bibliques : les gens des Livres Saints, Torah et Evangile, sont eux aussi des croyants, comme les musulmans qui suivent les pas des Prophètes".1 En effet, l'islam prétend reprendre à la source la tradition monothéiste issue d'Abraham, tradition qui aurait été falsifiée par les Juifs puis par les chrétiens. La Sourate IV, 171 déclare "Ô gens du Livre! Ne dépassez pas la mesure dans votre religion, ne dites, sur Dieu, que la vérité".2 Or, une très ancienne tradition juive d'abord, puis proche orientale, situe sur le rocher du Mont du Temple, le sacrifice d'Abraham.3 C'est précisément sur ce lieu que le calife Omeyyade Abd al-Malik fit édifier par des architectes et artistes byzantins, le Dôme du Rocher en 691-92 soit l'an 72 de l'ère Hégirienne.4 C'est donc improprement que l'édifice est parfois appelé Mosquée d'Omar, du nom du gouverneur musulman qui conquit la ville en 638. Ce n'est pas à l'origine un lieu de culte mais de commémoration, un "martyrium". Il s'agit de l'un des plus anciens et plus beaux monuments conservés de l'islam des débuts. Une telle magnificence n'était pas sans raison d'être. En effet, ce Dôme du Rocher remplit à l'époque trois fonctions essentielles : - positionner dans la ville sainte la foi musulmane comme nouveauté certes, mais aussi comme

rétablissement d'un discours vrai sur le monothéisme. - rivaliser avec le dôme du Saint Sépulcre chrétien tout proche, lieu important de pèlerinage évocateur

de la passion et résurrection de Jésus. Si l'architecture s'inspire directement du modèle chrétien concurrent, le Dôme cherche à rivaliser de splendeur et également à rappeler quelle véritable place Jésus doit tenir dans la tradition prophétique. D'où notre choix d'une inscription où cela est évoqué.

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- La dynastie des Omeyyades fondée par le cinquième successeur du Prophète, le calife Muawiya, qui

s'installe à Damas (660) capitale de la nouvelle conquête de Syrie Palestine, sait qu'il lui faut un monument hautement symbolique pour concurrencer le sanctuaire de la Mecque, lieu de pèlerinage, qui appartient à une faction rivale des Omeyyades. A plusieurs reprises dans l'histoire, Jérusalem a pu être considérée comme le lieu de substitut de pèlerinage officiel, le Hajj, à la place de la Mecque. Ce geste du calife Abd al-Malik était d'autant plus urgent qu'on reprochait aux Omeyyades leur royauté temporelle (mulk) et non théocratique (nubuwwa).

- Les inscriptions de l'édifice, composées pour la plupart de mosaïques de verre, ressemblent plus aux vieux corans enluminés qu'à de la sculpture sur pierre. Elles garnissent les bandeaux intérieur et extérieur des deux coupoles emboîtées qui constituent le dôme. Un premier relevé scientifique a été effectué par le comte de Vogüe au XVIIIème siècle, puis début XXème siècle par M. Van Berchem.5 Le texte de ces inscriptions est directement issu du Coran, soit sous forme de paraphrase de tel ou tel verset plus ou moins facile à identifier, soit sous forme de citations partielles ou totales de passages coraniques louant Dieu et son Prophète. Inscrite en caractères coufiques simples 6 cette foi musulmane qui prétend délivrer le seul véritable message de Dieu dans sa cité sainte, était un véritable défi lancé aux chrétiens. Van Berchem constate qu'il y a peu de différences entre ces inscriptions et le texte officiel du Coran, d'où la déduction logique que ce dernier était donc déjà fixé, et cela, moins d'un siècle après la naissance de la nouvelle religion. Seules quelques graphies archaïques peuvent être constatées. Parmi les arts musulmans, la calligraphie est essentielle puisqu'elle reproduit le texte coranique divin. Ce n'est donc pas un art mineur comme souvent en occident chrétien. Pour le Dôme du Rocher, c'est le seul nom d'artiste qui nous soit parvenu : Khalid ibn Abou al-Sayyaj qui calligraphiait les corans pour le calife al-Walid.

1.2) Ce que ces inscriptions disent d'essentiel sur la foi musulmane L'inscription photographiée au-dessus des portes d'accès au Dôme, reprend une célèbre formule coranique que l'on appelle la basmala, c'est-à-dire l'invocation:" Bismillahi rahmani Rahim", formule qui introduit presque toutes les sourates du Coran et que l'on rend en français par " Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux". Cette formule est en islam couramment prononcée avant tout acte important de la vie quotidienne. Comment comprendre ces termes de Clément et de Miséricordieux ? Le Dieu de l'islam n'est pas lointain, froid et redoutable, il se présente ainsi seulement à ceux qui le rejettent. Dieu est considéré comme tout puissant, et en raison de cela, il est celui qui pardonne, il est le Miséricordieux pour ceux qui le suivent.

Al-rahman : le Miséricordieux, Rahim; le Clément. Rahman et Rahim sont deux mots issus de la même racine rhm "entrailles", "miséricorde". Il est possible que al-Rahman soit le nom du Dieu unique adoré avant l'islam au sud de la péninsule arabique, ce qui expliquerait pourquoi, au départ les Mekkois étaient hostiles à la basmala. Al-rahman est employé par les musulmans pour dire Dieu dans son mystère d'indulgence aux hommes qui suivent ses prescriptions, alors que le mot Allah est une notion plus métaphysique qui déplace le centre d'intérêt sur l'unicité ineffable du divin. A maintes reprises, les inscriptions du bandeau reprennent tout ou partiellement une autre formule non moins célèbre, la Chaada ou profession de foi de l'islam : "J'atteste qu'il n'y a pas de divinité hormis Dieu et que Mahomet est l'envoyé de Dieu" Toute traduction française est difficile et ne peut pas rendre l'harmonie sonore du balancement de la formule arabe : "achhadou anna lâ ilâha illâ Allah wa Muhammad rasûl Allah".7 Plus que l'un des cinq piliers de l'islam,8 la formule de la Chaada est "la clef de voûte" affirmait le grand islamologue français Louis Gardet. En effet, la formule est un double témoignage. Arrêtons nous d'abord sur la première partie dite première Chaada qui concerne Dieu. Elle atteste que Dieu est unique : "pas de divinité si ce n'est Dieu" : "la ilah illa Allah". Nous sommes là au cœur de la foi monothéiste musulmane et l'on comprend qu'elle veuille s'afficher à Jérusalem.

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Le nom de Chaada ou Shahadah, vient du verbe Shahida qui possède une double signification en arabe : le fait de voir ou de percevoir et de proclamer ce que l'on voit ou perçoit. C'est la proclamation d'une perception (de la vérité), c'est le lien intime entre une compréhension (perception) et son énonciation. La Chaada exprime la vérité perçue. C'est la formule de convertion en islam : prononcée avec sincérité devant deux témoins musulmans suffit pour le devenir. En fait, il faut la prononcer à longueur de journée pour que son sens pénètre au plus profond de l'être, d'où la fréquence de la Chaada dans les inscriptions du Dôme du Rocher. Cette première Chaada juxtapose un élément négatif (le nafy) "la ilaha : il n'y a pas de divinité", et un élément affirmatif (l'ithbat) : Allah, Dieu comme seul existant. Entre les deux se trouve la passerelle "illa", mot formé d'un conditionnel "in" (si) et d'une négation "la" (ne pas). " La juxtaposition de "si" et de deux négations constitue une sorte de passerelle miraculeuse ou magique hors du monde en direction de ce qui ne peut jamais être nié, Allah".9 Précisons que le mot Allah n'est pas, comme beaucoup le croient, et comme on peut encore souvent hélas le lire, le nom propre de Dieu. Allah, soit al-Llah, désigne la nature divine, c'est-à-dire Dieu tout simplement. Un Arabe chrétien dit lui aussi Allah. Le nom propre de Dieu ne peut être connu par l'homme, car, selon une vieille croyance antique proche orientale, connaître le nom d'une personne ou d'un dieu, c'est le connaître intimement. Or Dieu dans l'islam est le Tout Autre, le transcendant. L'homme accède aux 99 plus beaux noms de Dieu,10 le 100ème, ineffable, ne sera connu seulement qu'au paradis dit la tradition islamique. La Chaada, c'est l'affirmation d'un "Dieu Unique et Un" : "Allah wahid wa ahad". Il y a pour l'islam, Unité et Unicité de Dieu. Dieu n'a pas d'associé et il ne se subdivise pas. Le "tawhid", l'unicité de Dieu, est un dogme essentiel de l'islam. Ces affirmations intransigeantes s'opposent à la fois au polythéisme arabe d'avant la révélation et à la fois au christianisme. La trinité chrétienne telle qu'elle est définie progressivement lors des grands conciles œcuméniques des IV et Ve siècles11 est perçue par l'islam comme du tri théisme : "Ne dites pas trois" déclare le Coran en IV, 171, texte repris ici par l'inscription du Dôme du Rocher. La deuxième partie de la Chaada, ou deuxième Chaaada : "Mohammed est l'envoyé de Dieu" : Muhammadun rasulu-Llah". Elle signifie que de la transcendance, de la seule Réalité, vient un message adressé aux hommes par le biais d'un homme, Mahomet (Muhammad) qui a reçu la mission de rasoul - la Risala. De la Bible judéo-chrétienne, le Coran reprend l'idée d'une lignée de prophètes, c'est-à-dire d'hommes qui parlent pour Dieu. Le texte coranique en distingue, entre autres, cinq majeurs 12: Noé, Abraham, Moïse, Jésus et Mohammed, le dernier et définitif. La langue arabe distingue deux mots : nabi, le prophète13, celui qui annonce un message aux hommes de la part de Dieu, et rasul, l'apôtre, celui qui est envoyé pour transmettre aux hommes un Livre, une loi religieuse. Pour le rasul, son acceptation de cette loi en fait un exemple pour les hommes. Les autres grands prophètes sont également rasul : Abraham apporte la Torah, Jésus l'Evangile. Il y a dans l'islam l'idée que l'Evangile a abrogé la Torah et qu'à son tour le Coran abroge l'Evangile. L'abrogation en question doit être comprise comme une élucidation de l'essentiel, une élimination des déviations introduites par les hommes dans la Loi divine. Ainsi, Mahomet par sa fonction de rasul, reprend et récapitule t-il dans le Coran que lui dicte Dieu, tous les autres messages. Il n'est que l'intermédiaire par qui Dieu délivre son message. Face au Saint sépulcre, le Dôme du Rocher proclame cela. 1.3) Jésus et Mahomet Que Jésus n'appartienne pas aux seuls chrétiens mais aussi aux musulmans, que le nom même de Jésus soit fréquent dans le Coran, voilà qui étonne souvent en occident et qu'ignore une grande majorité de nos élèves. Les inscriptions du Dôme du Rocher se font un devoir de propagande de dire le point de vue de l'islam sur Jésus, face au Saint Sépulcre où Dieu le ressuscita selon le christianisme. Si c'est bien le même Jésus que l'on retrouve dans le Coran - et sur ces inscriptions arabes à Jérusalem-, et dans l'évangile, au-delà de certaines convergences nous devons souligner une divergence fondamentale. Or d'une divergence aussi forte sur Jésus découle inévitablement une divergence fondamentale sur la conception de Dieu.

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Jésus n'appartient pas aux seuls chrétiens, il y a aussi un Jésus de l'islam. Jésus, Isa en arabe, est mentionné dans 15 sourates du Coran, 93 versets lui sont consacrés. Il ne faut pas s'en étonner, le Coran se veut rappel de la révélation faite par Dieu aux Juifs et aux chrétiens. Il est donc intéressant d'étudier, même sommairement, la figure de Jésus telle qu'elle apparaît dans le Nouveau Testament et dans le Coran. Nous allons souligner ici les principales convergences et divergences à son sujet.14

a) des convergences. Une naissance mystérieuse. L'évangile et le Coran ont le même discours : Jésus est né de la Vierge Marie - Myriam en arabe -, par l'action de l'Esprit Saint, c'est-à-dire de Dieu. Il est intéressant de comparer les récits d'annonciation et de nativité. Dans les deux cas, un ange annonce à Marie qu'elle aura un fils sous l'effet "du souffle de Dieu", de son esprit. Comparer le récit de l'évangile selon Luc I, 26-38 et les passages suivants du Coran Sourate XIX, 17-33, ainsi que III, 42 - le Coran n'a pas de récit aussi suivi que l'évangile, les données sur Jésus sont assez disparates. La question qui se pose bien évidemment, est celle du lien entre les textes. Pour un musulman, la réponse est claire, ce qui est dit de Jésus est issu de la révélation faite à Mahomet, c'est-à-dire de la vérité rétablie, il ne saurait être question d'un quelconque emprunt aux évangiles. Pour les chrétiens, il y a peut être inspiration divine mais surtout une forte dépendance à l'égard des évangiles de l'enfance et entre autres d'évangiles apocryphes qui circulaient à l'époque de Mahomet et dont il aurait eu connaissance. Des Juifs et des chrétiens étaient établis dans la péninsule arabique, Mahomet les fréquentait. Jésus est ainsi par sa naissance mis à part, il est un être exceptionnel qui accomplit des miracles, guérit l'aveugle né, le lépreux, ressuscite des morts. Jésus annonce la Bonne Nouvelle, l'Evangile, il confirme la Torah, il a des disciples que l'on appelle aussi apôtres dans le Coran, il constate l'incrédulité des Juifs. Jésus est dans les deux textes, le Messie, mais, ce vocabulaire n'a pas toujours le même sens dans l'évangile et dans le Coran b) des divergences fondamentales Alors que dans l'évangile, Jésus annonce à plusieurs reprises sa mort prochaine et sa résurrection, dans le Coran, il échappe à la mort. Ainsi si Jésus ne meurt pas, il ne peut être ressuscité. Selon la tradition musulmane, un sosie fut mis à sa place par Dieu. Dieu ne pouvait laisser mourir cet être d'exception. Il n'y a pas dans le Coran ce problème du scandale de la croix auquel se sont heurtés les premiers chrétiens. Il est simplement enlevé au ciel - comme dans la tradition biblique pour des personnages comme Elie-, et il reviendra à la fin des temps, alors il pourra mourir et ressusciter lors de la résurrection finale de tous les êtres au dernier jour. Jésus dans le Coran est le Fils de Marie, le Messie, le prophète, l'Envoyé, le plus saint de tous, mais en aucun cas il n'est divin, Marie n'est pas mère de Dieu. Sourate V, 17 "Ceux qui disent :" Dieu est, en vérité, le Messie, fils de Marie" sont impies". Jésus n'est pas rédempteur, il n'y a pas d'incarnation, Jésus n'est pas fils de Dieu. Dans le Coran, Jésus est prophète. Jésus est un exemple à suivre pour son obéissance à la volonté divine, il est chargé de rappeler le pur monothéisme, d'annoncer Mahomet comme dernier des prophètes. Jésus est le plus saint des prophètes, Mahomet est le sceau des prophètes, c'est-à-dire le dernier. Il n'est pas Dieu, s'il accomplit des miracles, c'est que Dieu agit en lui, ce n'est pas un signe de sa divinité. La trinité chrétienne est niée: Sourate IV, 171 : " Croyez donc en Dieu et en ses prophètes. Ne dites pas "Trois". Dans l'évangile, comment est présenté Jésus ? La réponse n'est pas simple mais est embrouillée par le fait que la formulation que nous avons est généralement celle des grands conciles du Ve siècle et non celle des textes bibliques. Dans les textes, on s'interroge sur Jésus, il n'est pas dit clairement qu'il est Dieu. Jésus lui-même pose cette question à ses apôtres " Et pour vous, qui suis-je ?". Prenons garde ici de ne pas opposer deux théologies différentes, celle du christianisme et celle de l'islam, dans leur globalité, mais d'en rester aux deux textes, Bible et Coran. La conception chrétienne d'un Jésus vrai Dieu et vrai homme est tardive, elle s'est élaborée lors de discussions très dures, certaines communautés chrétiennes n'ont pas accepté ce dogme de l'Eglise et ont été qualifiées d'hérétiques. Des échos de ces querelles étaient connus en Arabie.

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Ainsi, au-delà d'un semblable monothéisme de principe, commun à la Bible et au Coran, où Juifs, chrétiens et musulmans se retrouvent, une divergence forte s'installe entre le Nouveau testament et le Coran. La conception de Dieu est finalement différente. Le Coran rejette l'incarnation, Dieu n'a pas de Fils Sourate IV,171 "A Dieu ne plaise d'avoir un enfant", S.CXII-3:" Il n'engendre pas et n'est pas engendré". Un homme même créé miraculeusement par Dieu ne peut être Dieu. Le Coran s'oppose donc à toute la théologie chrétienne de la rédemption : Dieu qui par amour livre son fils afin de racheter les hommes du péché. Attention, la Trinité n'est pas, comme telle, présente dans le texte biblique du Nouveau Testament, elle n'y est qu'en germe, c'est la théologie chrétienne qui progressivement la mettra au point dans les premiers siècles lors des grands concile . Ainsi, dans le Coran Jésus et sa mère Marie sont vénérés, mais ils ne font pas l'objet d'un culte. Pour l'islam, la vocation mariale de Jérusalem ne se borne pas au seul Dôme du Rocher. La mosquée Al-Aqsâ, à l'autre extrémité de l'esplanade, rappelle elle aussi le rôle clef de Marie et Jésus dans la révélation biblique reprise par le Coran.15

Le commentaire de ces quelques lignes d'inscriptions arabes sur le prestigieux Dôme du Rocher, nous a fait pénétrer au cœur des conceptions divines de l'islam et du christianisme dans une perspective comparatiste. Rappelons encore une fois, que dans le cadre d'une approche laïque des faits religieux, il est hors de question de favoriser une religion, un point de vue religieux. Le travail ne consiste pas à recevoir comme vrai une vérité révélée, mais à comprendre d'un point de vue d'homme, comment des hommes et des femmes, jadis comme actuellement, répondent aux grandes questions existentielles. Pour les disciplines, la conception de Dieu est culturelle. Dire qui est Dieu est une manière d'être homme chrétien ou musulman. Nous voudrions pour terminer souligner quelque chose qui nous tient à cœur et qui est fort bien exprimé par Bernard Descouleurs16: "La prise en compte de la dimension anthropologique de l'enseignement des disciplines est une condition indispensable du réinvestissement culturel : le sens ou le non-sens de l'existence dépend, pour une large part, de la vision du monde que dévoile l'univers culturel façonné jour après jour à travers l'enseignement des différentes disciplines. En effet, toutes les disciplines concourent à construire chez les élèves leur humanité". Cela est vrai pour l'étude de l'arabe, comme des autres langues, à condition toutefois, que l'enseignement proposé ne s'enferme pas dans la seule technicité linguistique, que l'étude d'une langue soit l'occasion d'ouvrir à une pensée autre que la sienne. Combien de voyageurs occidentaux à Jérusalem passent à côté de ce que nous venons d'évoquer à propos des inscriptions arabes du Dôme du Rocher ? C'est tout là l'intérêt de l'enseignement distancié du fait religieux.

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2 - TRAVAIL DE L'ELEVE EN LANGUE ARABE Le travail que nous proposons dans cette langue relève à la fois de la pratique technique linguistique et d'une démarche culturelle faisant ressortir le fait religieux. Le dossier que nous avons sélectionné est susceptible de s'adapter aux capacités linguistiques de débutants, et surtout à l'esprit général du travail interdisciplinaire sur Jérusalem. Le document linguistique est un extrait des inscriptions qui figurent à l'intérieur du Dôme du Rocher, monument emblématique de l'islam par excellence. Les annexes de ce dossier présentent l'ensemble du texte en arabe qui figure sur le bandeau intérieur de la coupole de cet édifice. 17 Les passages surlignés en jaune sont ceux que nous avons sélectionnés, ils ont été réécrits de manière plus lisible sur la page suivante de façon à être directement exploitables en classe. Suit une proposition de traduction française de cette sélection. L'exercice répond à la double entrée générale du dossier sur Jérusalem, à savoir, la ville sainte en elle-même, en l'occurrence il s'agit ici d'un des lieux majeurs de l'islam sur la célèbre esplanade, et, le regard réciproque des religions. Le texte que nous proposons est indéniablement un texte de propagande religieuse, ce qu'il dit de Dieu et de Jésus, dans la ville du Saint sépulcre, n'est pas neutre. Nous suggérons d'utiliser trois séquences d'une heure.

1ère séquence

Approche linguistique

La page en arabe de la sélection sera distribuée aux élèves, voire projetée également par le professeur, de manière à bien repérer les lettres, voyelles et signes diacritiques nécessaires à une bonne lecture du texte. Selon le degré d'avancement des élèves dans cette langue, ils écriront tout ou partie du texte, le professeur veillant à la bonne calligraphie.

2ème séquence

Commentaire de deux formules religieuses musulmanes

Ecriture, lecture et traduction des deux formules présentes : la basmala et la chaada.

Commentaires liant l'explication linguistique et l'explication religieuse.

3ème séquence

Replacer ces inscriptions dans l'édifice

Les inscriptions concernant Jésus seront étudiées en situation, c'est-à-dire, comme élément de propagande religieuse sur le Dôme du Rocher face au Saint Sépulcre chrétien.

TRADUCTION EN FRANÇAIS DE LA SELECTION D'INSCRIPTIONS

Basmala (Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux). Il n'y a pas de divinité hormis Dieu, il n'a pas d'associé. Il est puissant en toutes choses. Mahomet est son envoyé. O gens du Livre, ne soyez pas extravagants en votre religion! Ne dites sur Dieu que la vérité! Le Messie, Jésus fils de Marie, est seulement l'envoyé de Dieu, sa Parole projetée en Marie et un Esprit venu de Lui. Croyez en Dieu et à ses envoyés. Ne dîtes pas "trois". Cessez (de le faire), (ce sera) un mieux pour vous. Dieu est un dieu unique. Gloire à lui. Il ne peut avoir un fils. Le Messie, tout comme les anges les plus proches, ne dédaignent pas d'être des adorateurs de Dieu. O Dieu, béni ton envoyé et serviteur Jésus fils de Marie. Que la paix soit sur lui le jour de sa naissance, le jour de sa mort et le jour de sa résurrection (le jour où il sera rappelé vivant). Celui-ci est Jésus fils de Marie, Parole de vérité qu'ils révoquent en doute. Il ne convient pas que Dieu se donne un fils. Gloire à lui. Aux yeux de Dieu, la religion c'est l'islam. Les mots entre parenthèses ne figurent pas dans le texte, ils sont ajoutés par nous afin de faciliter la compréhension.

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Pour les passages de cette inscription du Dôme du Rocher qui reprend des versets du Coran, il est intéressant de comparer les grandes traductions qui en ont été faites, notamment celles de : Régis Blachère " le Coran", Maisonneuve et larose, 1966. Cette traduction se veut fidèle au texte arabe qu'elle essaie de suivre au plus près, parfois au détriment d'une compréhension facile pour un grand public français. Jacques Berque, "Le Coran, essai de traduction", Albin Michel, 1995. Dans sa brève introduction, il affirme "Je suis particulièrement redevable à mon regretté ami Régis Blachère, de qui j'ai pu apprécier encore, à cette occasion, la science grammaticale et la rigueur, sans toutefois partager son inclination positiviste". J. Berque privilégie avec bonheur l'intelligibilité de la langue française. Quelque soit l'option adoptée, traduire un verset coranique est toujours une aventure non neutre. On comprend pourquoi certains musulmans y compris des non arabophones, se refusent à toute traduction, le Coran étant jugé inimitable car parole même de Dieu.

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1 Emilio Platti, "Vénération de l'islam, Noble ville du Grand jugement", in "Le Monde de la Bible", N° hors série

déc.2001,"trois religions à Jérusalem", p. 66. 2 La version du Coran utilisée est celle publiée dans la Pléiade, traduction de D. Masson, 1967. Traduction quia

reçu en son temps l'aval des autorités de l'islam sunnite. 3 Pour l'islam, c'est Ismaël et non Isaac qui doit être sacrifié. Lorsque le Prophète aura rompu avec les Juifs de

Médine et se sera tourné vers la Mecque pour la prière, tout le cycle de la geste d'Abraham va être localisé à la Mecque et dans les environs.

4 L'an 1 du calendrier musulman débute avec l'Hégire en 622. 5 M. Van Berchem, "Matériaux pour un corpus, Inscriptionum Arabicarum", 2e part : Syrie du sud, Jérusalem, 3

volumes. Mémoires de l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire. Vol. 43-45, publié au Caire de 1920 à 1927.

6 Ce style d'écriture de l'arabe vient de l'école calligraphique de la ville de Kufa au sud de l'Iraq. 7 Les règles de l'euphonie en arabe élident le nun dans le lam et le ra qui le suivent. La prononciation correcte de la

formule est la suivante : "Ashhadu al-la ilha illa-Llah, wa ashha-du anna Muhammadar-rasul-Llah" donné dans l'article Shahadah du Dictionnaire encyclopédique de l'islam de Cyril Glasse, chez Bordas

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8 Outre la profession de foi, la prière coranique cinq fois par jour (salat), l'aumône légale (zakat), le jeûne durant le

mois de ramadan (Sawm) et le pèlerinage à la Mecque (hajj). 9 Dictionnaire encyclopédique de l'islam, article Shahadah. 10 Voir la liste dans l. Gardet, l'islam, Foi Vivante, 1970, p. 64, l'index Dieu dans la traduction du Coran de La

Pléiade par D. Masson, et une étude plus poussée mais inabordable par les élèves directement, avec les noms en arabe : Ibn Ata Allah , Traité sur le nom Allah, introduit et traduit par Maurice Gloton, les Deux Océans, 1981, 320 p

11 Pour une vue rapide mais très claire de ce sujet délicat, cf. le petit livre de B. Meunier, "la naissance des dogmes chrétiens", collection "Tout simplement", Les Editions de l'Atelier, 2000, 157 p.

12 Cf. Rochdy Alili, " Qu'est-ce que l'islam", La découverte, Poche, 370 p., 2000, pp. 80-82. 13 C'est le même mot en hébreu pour la Bible. 14 Une bonne étude sur le Jésus coranique, avec une récapitulation de tous les textes coraniques éparpillés, se

trouve dans Roger Arnaldez , "Jésus, Fils de Marie, prophète de l'islam", collection, Jésus et Jésus-Christ, n° 13, Desclée, 256 p.,1980.

15 Collectif, "Jérusalem, le sacré et le politique", Sindbad, Actes Sud, 345 p.2000, pp.26-27. 16 B. Descouleurs, " Dieu est-il laïque ?", Desclée de Brouwer, 283 p, 1998, p.68. 17 Cette page est reprise d'un n° spécial de la revue Dédale, n° 3 et 4, printemps 1996 intitulé "Multiple Jérusalem",

chez Maisonneuve et Larose.