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Yves Goussault L'éducation des masses paysannes dans les économies capitalistes dépendantes In: L Homme et la société, N. 22, 1971. Sociologie économie et anthropologie. pp. 243-251. Citer ce document / Cite this document : Goussault Yves. L'éducation des masses paysannes dans les économies capitalistes dépendantes. In: L Homme et la société, N. 22, 1971. Sociologie économie et anthropologie. pp. 243-251. doi : 10.3406/homso.1971.1468 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1971_num_22_1_1468

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Page 1: PAUL ESTRADE

Yves Goussault

L'éducation des masses paysannes dans les économiescapitalistes dépendantesIn: L Homme et la société, N. 22, 1971. Sociologie économie et anthropologie. pp. 243-251.

Citer ce document / Cite this document :

Goussault Yves. L'éducation des masses paysannes dans les économies capitalistes dépendantes. In: L Homme et la société,N. 22, 1971. Sociologie économie et anthropologie. pp. 243-251.

doi : 10.3406/homso.1971.1468

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1971_num_22_1_1468

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L'article de Albert Meister sur l'animation rurale et le développement communautake en Afrique pose en fait le problème de l'éducation des masses paysannes dans une économie périphérique, c'est-à-dire dans une formation sociale en transition vers le capitaUsme mais dont les éléments précapitalistes demeurent importants.

Or, pour être probante, l'étude de ce problème suppose qu'on sorte des limites ou s'enferme l'analyse de Meister et qui sont au moins de trois ordres : celte d'une interprétation wébérienne et « comprehensive » mettant davantage l'accent sur l'intention de l'éducateur que sur les rapports objectifs' dans lesquels s'inscrit l'éducation ; celles de l'Afrique Noke où Timportance des superstructures sociales' et culturelles héritées du passé estompe la réalité d'unef formation* sociale dont le caractère ! déterminant est « en dernière: mstance » la pénétration de l'économie marchande ; et enfin les limites du cas animation1 ou développement communautake puisque toute action éducative auprès des masses paysannes (alphabétisation, formation syndicale^ coopérai tive, professionnelle, etc.) est affectée par les contradictions qui caractérisent la dépendance. ' m

Une' fois ' rétablies les dimensions du problèmes et son approche, là> question qui se pose quand on étudie tes programmes de formation paysanne d'un point 'de vue sociologique' est celte de leur aptitude à manifester les* contradictions du système en place-*- structures économiques,; sociales et

(*) Cette note a été rédigée après lecture de Pétude d'Albert Meister *ur « Développement communautaire et animation rurale en Afrique » parue en trois parties dans tes N. 18, 19 et 20 de- L'Homme et la Société \ elle a été revue par Papa Kane (IEDES) et Antoine Richard (1RFED) en., référence à leur expérience des programmes d'animation.

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politiques d'une agriculture en transition vers le capitaUsme par rapport aux masses exploitées des campagnes : d'une part en tenant compte des situations de classe créées par le développement de l'économie marchande, d'autre part en facUitant la « conscientisation » et l'organisation des forces agrakes prolétarisées. Si les programmes ne répondent pas à cette condition nécessake en termes de rupture sociale, l'éducateur et l'éducation sont voués à la récupération par l'économie dominante et à la reproduction de ses défauts ; si au contrake des. marges existent pour révéler les contradictions, U convient d'analyser dans queUe mesure et dans quels secteurs l'action éducative peut remplir son rôle sans détournement. De .toutes façons, c'est en fonction de ces critères qu'on pourra juger la signification sociale et l'opportunité des divers programmes de formation actueUement en : cours "dans les campagnes sous- développées, y compris l'animation rurale et le développement communautake en Afrique. ., , Pour contribuer à, l'étude de cette question, U semble qu'on peut s'interroger sur trois types T de contradictions qui, en théorie comme à l'expérience, apparaissent déterminantes pour l'investissement éducatif dans les économies agrakes de la périphérie. D'abord le rôle médiateur, souvent ambigu, des sociétés traditionneUes, c'est-à-dke des structures et sur-déterminations qui dans les formations sociales actuelles relèvent des modes de production pré-capitaUstes ; ensuite Timportance et le sens des stratifications qui . accompagnent te, développement agricole, affectant du même coup l'action économique et promotionnelle ;. enfin les structures du pouvok^ puisque c'est l'Etat qui prend l'initiative des programmes éducatifs ou au moins les contrôle et qu'U peut difficUement les laisser se retourner contre les intérêts dont U est le représentant. Il s'agit de trois domaines de détermina-, tions dont les effets contradictokes se recoupent, s'additionnent ou éventuellement se neutraUsent : leur étude définit le cadre et les Umites dans lesquels opère l'éducation des masses paysannes. ( ,,, . t. .....»'

a. 1 - Le ' premier concerne la résistance des sociétés traditionnelles, , et U faut savok si elles constituent un facteur suffisamment actif pour absorber les effets des programmes de formation . et en détourner les finalités. Une fois analysée cette capacité de récupération U faut examiner dans quel sens eUe opère,) c'est-à-dke. pour oui contre la pénétration du : capitalisme et les stratifications socio-économiques qui s'ensuivent. Les observations auxquelles on arrive sont très diverses, depuis la déstructuration sociale caractéristique des zones de colonisation ou de plantation telle qu'étudiée par exemple dans l'ouvrage classique de Caio Prado Junior sur le BrésU, jusqu'aux irrédentismes indiens auxquels se référait Mariategui (et auxquels se heurte le gouvernement chUien actuel), en passant par des conjonctures intermédiaires comme celles qu'analysent MeUlassoux, Rey ou Althabe.

... On rejoint ici un thème central de la recherche marxiste commencée par Marx lui-même, et poursuivie jusqu'à maintenant autour du problème des sociétés précapitaUstes féodales et asiatiques <cf. Préface de M. Godelier à la

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pubUcation du C.E.R.M.). Cette recherche théorique et historique apporte des données essentielles sur la transition progressive des sociétés primitives et tribales vers des sociétés de classes ; eUe montre en outre comment naissent les Etats et comment Us s'articulent avec les structures sociales. On en arrive à une conclusion générale1 sur le fait que l'ensemble des sociétés tradition- neUes n'échappe plus à une loi d'évolution *- en termes de stratification et de pouvok qui est ceUe de l'entrée dans le marché capitaUste. Leur déstructuration s'amorce au profit de regroupements sociaux qui annoncent les classes en formation au moins aux deux extrémités du processus d'accumulation primitive (appropriation des moyens de production en Uaison avec te marché et l'Etat, et prolétarisation de la force de travaU). Mais simultanément des étapes sont mises en évidence et soulignées dans cette transition: elles conduisent^ à analyser pour chaque cas les résistances escomptables à la pénétration capitaliste et à ce que Marx appelait la « dissolution » des modes de production antérieurs.' ,. ' < ¦ < a

' En d'autres termes l'absorption d'un programme éducatif par une société traditionneUe est indissociable - de '¦ l'évolution structurelle de celle-ci vers l'économie marchande et ses stratifications. Ceci reporte donc l'analyse au problème des classes et de l'Etat abordé ci-dessus. Mais U n'est pas exclu que certaines résistances de sociétés coutumières prennent la forme d'une lutte anti-capitaliste' et anti-impérialiste:' dans ces cas les actions de formation n'ont pas à craindre la récupération, au contrake, car les groupes sociaux se défendent alors globalement et développent la solidarité avec leurs bases. C'est dke que dans les deux situations évoquées ouverture au capitalisme ou- résistance «- la société "' traditionneUe n'est plus le seul partenaire de l'éducateur et qu'U faut dépasser la problématique avancée par les défenseurs de la tradition comme par ses détracteurs. La question finalement se réduit à savok comment se fait la confrontation avec le marché et les pouvoks capitalistes. '..-. ; ¦

2 -Ce qui'

vient d'être dit montré qu'U" faut étudier avec soin le problème des classes en formation dans les campagnes sous-développées. Meister plus préoccupé par les ruptures avec le passé se contente d'y fake allusion, mais les auteurs marxistes ont souvent critiqué le caractère « natura- Uste » (pour reprendre le terme de Samir AminX des programmes de développement et d'éducation dans l'agriculture. C'est effectivement un trait constant des réformismes et « desarrolUsmes » de considérer les paysanneries comme des mUieux homogènes, et par le fait même intégrables de manière indifférenciée au progrès économique. Cette erreur qui n'est pas toujours involontake est liée aux sociologies qui privUégient les concepts de duaUsme et de modernisation (Parsons) et aux doctrines de développement de type rostowien.» EUe» rend bien service aux régimes politiques en quête d'une légitimation de type populiste et aux systèmes économiques à la recherche d'un marché interne. Les éducateurs non avertis risquent d'être joués, tant par le pouvoir qui les utilise que par les stratifications dont ils ne se méfient pas.

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> l Avant d'aborder le rôle du pouvok et de l'Etat; U faut s'interroger sur les moyens dont on dispose pour déceler ces configurations de classe et pour mesurer leur importance. Les critères utUisés par Lénine dans son étude sur le développement du capitalisme - en- Russie, par< Kautsky- dans la Question Agrake, les appUcations de la théorie des classes (Marx, Lénine, Dahrendorf, Poulantzas) u à i l'agriculture sous-développée r telles i qu'entreprises ¦* par Stavenhagen, et enfin les analyses sur le rôle < réciproque du marché et des rapports de production (Gunder-Franck» Samir AmkvPaUoix, etc.), constituent autant d'instruments utUisables pour repérer les nouvelles structurations capitalistes à la campagne et les situer par rapport aux structures héritées des modes de production antérieurs; > . m . . . r .a, a- Le phénomène -j indiqué ci-dessus, à savok- la formation de groupes antagonistes dont les uns se rendent maîtres des moyens de production, de la plus-value et du marché tandis que tes autres tendent à n'être que la force de travaU Ubre dont parlait Marx, apparaît comme une donnée de plus en plus marquante dans les économies agrakes, en particulier dans les programmes de réforme! foncière; et de -coopératives qui accentuent les stratifications en élevant le ' niveau des forces productives.? Face à une évolution qui est irrémédiablement > Uée à l'économie» de marché et, semble-t-il,,. à certaines transitions vers le socialisme (Bettelheim, Sweezy), le seul recours de l'éducateur est de distinguer ses partenakes, d'adapter ses programmes et ses moyens pédagogiques en fonction des situations de classes qui se dessinent La récente étude de Rossana Rossanda sur le^« Marxisme de Mao » (Temps Modernes, déc. 70-janvier 71) ouvre des voies de réflexion très intéressantes dans ce sens et montre comment peuvent se conjuguer les actions sur les structures et les superstructures. n ,r ..<... ,, . . i. ,.,» - , .a i ta Ht est certain que les diverses formes d'éducation paysanne dans les pays

sous-développés n'ont guère poussé leur autocritique dans ce sens. Beaucoup s'adressent encore à des milieux non différenciés dans une perspective de situations de masses (cf. la .référence, . fréquente en Amérique Latine, au dangereux, concept de marginaUsation) ou de situations communautaires. Plusieurs programmes ont empiriquement fait les adaptations nécessaires parce qu'Us constataient les détournements dont étaient l'objet leurs efforts, mais il reste à entreprendre une analyse systématique dans ce domaine. . ,

î , 3- A ces contradictions U faut ajouter celles qui viennent de l'Etat pour le compte duquel (dkectement ou indirectement) les actions éducatives se réaUsent. Le danger trouve son origine dans la propension des gouvernements réformistes à intervenu dans le secteur éducatif sous l'apparente justification d'apporter des correctifs aux inégalités économiques, sociales et politiques. C'est le schéma, bénin à première vue, de la « démocratie tutélake » théorisée par les sociologues poUtiques ango-saxons (ShUs, Selznick) dans lequel l'Etat, .l'exécutif et la personne du président sont investis d'une tutelle exceptionnelle pendant la phase initiale de mise en place des mstitutions nouvelles. On retrouve encore une, fois la référence au dualisme comme justification de

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l'intervention du pouvoir et, au décollage comme terme supposé de cette intervention.'

En réalité te caractère de classe de l'Etat apparaît avec évidence quand on- lui < apphque les critères d'analyse sociale proposés par Poulantzas t en référence aux ouvrages historiques de Marx et aux études de Gramsci s bloc au pouvoir, fraction hégémonique^ classes-appuis, autonomie^ politique* et relations avec les classes dominées, Une telle analyse permet d'évaluer les marges possibles qu'ouvre la poUtique sociale de l'Etat, laquelle ne sera jamais qu'un' compromis. Le projet tutélake énoncé ci-dessus et la stratégie qui consiste à intégrer la paysannerie comme un tout ne signifient pas autre chose que la tentative du pouvok politique de dépasser les contradictions de la formation sociale et de ses classes en formation. Il faut ajouter que, dans tes pays de la périphérie»5 l'Etat est largement contrôlé et déterminé par les métropoles dominantes : sa légitimation et sa survie sont recherchées dans un équUibre précaire entre tes contraintes impériaUstes et les alliances internes. Les - contradictions sont y donc fortement accentuées par la situation -de dépendance et l'Etat ne peut être^indifférent au facteur de conservation sociale que constituent les actions de développement et d'éducation. En tant qu'organe d'un pouvoir contradictoire U ne peut s'en passera *-"

Ceci explique pourquoi les gouvernements ont intérêt à conjuguer tes programmes économiques et les programmes éducatifs,- les premiers étant pour- des raisons évidentes Umites à des catégories peu nombreuses de bénéficiaires (économie' de « profit) et tes seconds pouvant atteindre- des groupes beaucoup plus larges*. Alors que le développement capitaliste périphérique* ne peut ̂ offrir aux travaUleurs autre chose qu'une mobUité sociale étroite et individualisée, la poUtique éducative ave ses formes complémen* takes (enseignement^ alphabétisation, animation, etc.) peut prétendre à la promotion collective* Dans ces conditions les menaces de récupération qui pèsent sur les divers programmes de formation paysanne sont particulièrement lourdes et Ton comprend pourquoi l'aide internationale, les financements et les initiatives d'origine privée sont activement solUcités dans ce domaine C'est à ce danger que fait référence la critique de Meister.

Mais U ne* faut pas oublier £ pour autant que, si la formation' et l'information constituent un pouvoir manipulable par l'Etat : et ses appuis extérieurs,' elles peuvent aussi devenk un contre-pouvoir quand elles bénéfi* cient à des catégories sociales exploitées, à la condition évidemment d'être orientées dans un sens conscientisateur. La contradiction qui existe entre les possibUités restreintes du développement et te champ élargi de l'éducation devient alors;* dans le contexte d'une situation de classes, l'occasion d'un retournement de finalité : au lieu d'être un élément temporisateur et compensateur, elle peut devenir un facteur de prise de conscience.

C'est ici que le rôle des encadrements nationaux qu'ils soient éducateurs, techniciens,1 coopérateurs ou autres est déterminant. En polarisant son analyse sur les étrangers, Meister oublie que les cadres de terrain et intermédiaires n'ont cessé de se politiser à l'épreuve de l'expérience. Or ce

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sont eux tes vrais détenteurs de la fonction et de l'outil éducatifs fbien plus que les responsables politiques ou administratifs des capitales et. des chefs- lieux de régions, bien plus aussi que les coopérants extérieurs. Que les parties et les services de l'Etat veulent et contrôlent, c'est vrai t on a dit pourquoi ci-dessus, f Mais c'est précisément en se heurtant à ces i méfiances et à ces répressions de la part des instances officieUes que les cadres locaux prennent conscience du rôle ambigu qui est le leur. Simultanément Us découvrent les contradictions du système économique incapable de répondre aux besoins des masses paysannes. Ainsi s'étabUssent, entre les niveaux, supérieurs et la base des services et appareUs pubUcs, des distorsions et des déviances qui ajoutent, leurs effets* aux . incohérences de l'Etat. Au. Ueu s d'être intégrateurs les programmes éducatifs subissent le contrecoups des. dysfonctionnements et s'insèrent dans les situations de classe qui se, créent à Tintérieur des organes de l'administration.» * ¦ n ¦ ¦¦ . , ; ( < ) .

D'où Timportance d'étendre aux agentsr.de; terrain»» fonctionnâmes ou non<i éducateurs ou techniciens, t l'analyse sociale*, faites à propos a de la formation de classes dans la paysannerie. Une teUe étude n'a pas été faite,» mises à part des enquêtes de recrutement ou de comportement à caractère plus professionnel que social, et nécessakement insuffisantes. La psychologie sociale et la sociologie des > organisations ne, sont pas inutiles pour cette analyse, dans la mesure où les modèles classiques comme le * staff and Une » de Weber et les schémas présentés par March et Simon permettent de défink les relations entre les divers, niveaux et secteurs dans les appareUs administratifs, économiques et poUtiques. Mais ce. n'est pas l'organisme bureaucrat tique en soi qui peut suffire à rendre compte de la situation ambiguë des encadrements de. terrain.,. Quand U s'agit t de problèmes en grande partie idéologiques et de contradictions poUtiques, c'est beaucoup plus le « projet historique » .(Touraine) de ces hommes qui est en cause à travers et au-delà des. organisations auxquelles Us appartiennent, , ( ,. , * ., . i >¦>...

Un des caractères les plus significatifs des pays dépendants est préciséi ment la vulnérabUité idéologique de leurs personnels administratifs, la méces- sité pour ces derniers de donner des garanties poUtiques pour, accéder aux postes de décision et TimpossibUité pour eux de s'enfermer dans la neutralité d'un professionnaUsme technique ou gestionnake Même l'apparente indépen-» dance des technocrates recouvre une prise de position par rapport aux projets gouvernementaux.. Les appareils sont donc fortement hiérarchisés, la promotion y est personnaUsée et les exécutants nettement séparés des instances de commandement.. D'où la * tendance, des personnels de» base,, à s'identifier davantage aux aspkations des populations avec qui Us >travaUlent qu'aux, services et mstitutions dont Us sont les agents. « Les comportements varient évidemment selon les secteurs administratifs, les types de tâches et le degré de centralisation de chaque organisme, mais même sans généraliser hâtivement on peuU observer , que la hiérarchisation, et la politisation favorisent des situations de classes qui, rapprochent.. les, encadrements d'exécution des catégories paysannes rejetées par tes structures du développement capitaliste-

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ft i On comprend pourquoi l'étude de cette jonction entre les deux formes de stratification, Tune issue du système économique et l'autre du caractère de l'Etat»; est t essentieUe à r lai compréhension du » rôle^ conscientisateur des encadrements a de > base,. La lutte , contre la récupération des actions de formation paysanne, dépend en grande partie de Tattitude de ces cadres, et finalement de leur . aptitude à : comprendre , la situation, objective qui les rapproche des prolétariats agrakes^ c'est-à-dke de la conscience « manifeste » de leur rôle entre te pouvok et les masses paysannes. ..< / Depuis quelques années les gouvernements ont eu à fake un effort pour améUorer la formation et la spéciaUsation de ces personnels qui avaient été affectés à leurs responsabUités de manière souvent improvisée L'enseignement a été renouvelé, des étabUssements ont été créés», et l'occasion a été saisie pour élargk le champ des connaissances techniques, introduke une initiation aux problèmes sociaux et pédagogiques, instaurer des recyclages périodiques. Ces ouvertures constituent a autant de .possibUités offertes à la prise de conscience a mentionnée ci-dessus, d'autant plus que ce sont la plupart du temps les programmes en cours sur le> -terrain qui servent de référence à. la formation complémentake dispensée et aux stages de perfectionnement. .*-

. Plus largement enfin c'est tout le réseau des instances de recherche et de formation qui est impUqué c la ckculation de la formation et de l'information vers les masses paysannes, leur contenu et orientation, leur indépendance par rapport à l'Etat dépendent des préoccupations qui caractérisent les recherches générales en économie et sociologie agrakes. La même chose est vraie pour les programmes de formation, depuis l'université et les écoles techniques d'où sortent les cadres du s développement jusqu'à . l'enseignement primake^ où passent les nouveUes générations de travaUleurs. Ce n'est pas par hasard que Ton constate une ouverture des responsables des programmes éducatifs vers ces secteurs plus larges, err particuUer de la part de certains programmes d'animation qui avaient commencé par la base et qui se sont orientés vers ce que Ton appeUe maintenant « la formation des formateurs », Ce détour n'est pas un abandon de la finalité éducative qui demeuré la formation des masses rurales. Face aux contraintes de plus en plus fortes qui pèsent sur le travaU de terrain au fur et à mesure que se développent le capitaUsme, le marché et la dépendance, U constitue une stratégie nécessake.c ' j II n'est: pas paradoxal qu'on retrouve ici la démarche j « wébérienne » reprochée auparavant : à : Meister \ eta consistant' à valoriser Tattitude des éducateurs et leur rôle dans tes programmes dont Us sont responsables. C'est précisément parce que l'analyse, proposée dans cette note part des conditions objectives dans lesquelles se pratique l'éducation des paysans et étudie les structures où ; eUe c s'inscrit,; qu'elle > i aboutit > à replacer les a encadrements éducatifs dans , une « conjoncture sociale» où leur action est déterminante. Mais U ne s'agit plus d'une quelconque idéologie véhiculée par eux, ou par les coopérants étrangers^ de , manière a unUatérale ;mUs sont un élément :d'un ensemble social en voie de structuration et de stratification sous l'action de la transition vers le capitaUsme a a t - n., - ., . . j m ., ( . ...

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1 Un dernier point avant de terminer. Il est encore une fois suggéré par Meister quand U reproche à Tanimation rurale de propager dans l'agriculture des techniques- « molles » et «lentes».? La» terminologie a est évidemment inadéquate et mauvaise puisqu'elle se réfère en fait à ce que l'économie marxiste appelle la composition organique du capital,, c'est-à-dire à la forme prise par la capitalisation de- la production et -des échanges, au rythme de développement des forces productives et à leurs incidences sur l'emploi de la force de travaU. Le problème dépasse largement la seule compétence des éducateurs mais U tes concerne dans la mesure où U rejoint celui des modes d'intégration des masses paysannes à l'économie marchande. Il est fort complexe si Ton en juge par les hésitations de tous ceux qui depuis Lénine (voie paysanne vers le capitalisme contre voie « junker ») se sont interrogés à ce sujet et^ont cherché à défink une stratégie. II se pose aussi dans les programmes agrakes des économies sociaUstes % la Chine avec son develop* pement «sur les deux jambes»? et son option . pour des techniques t. en progression graduée n'a pas échappé à - l'empirisme ; plus récemment» une étude pubUée au ChUi lors de la prise de pouvok du gouvernement Allende a montré combien U est difficUe de choisk entre) une « stratégie japonaise », basée sur des technologies agricoles simples mais créatrices d'emplois, et une « stratégie mexicaine » basée sur une mécanisation rapide au détriment de la force de travaU.t. '» i « a a-, <j i a .a i i - . ..», -¦ - .; ,: -. .

m a Dans les économies agraires du capitalisme périphérique l'alternative est caractérisée par l'influence du marché qui impose à l'agriculture les formes et les rythmes .de : sa capitalisations En * Amérique ', Latine et dans les pays d'Afrique. ou d'Asie disposant d'exploitations de colonisation et de plantation, le secteur* moderne » privé (et quelquefois public) entraîne à son tour des petits producteurs à s'aUgner sur le modèle de sa propre croissance,, sur les. prix qu'U détermine et le marché qu'U contrôle. Il se garantit ainsi la c rente différentieUe » et la plus-value,* à tel point que la petite agriculture ne peut affronter la concurrence que par ses couches les plus favorisées et avec l'aide de l'Etat L'échec des réformes agrakes dansce type d'économie et teur incapacité à promouvok une agriculture paysanne et moderne j ne s'expliquent pas autrement.,, m ; :. -,..., a . . ». iu .... L

Le niveau des technologies et des forces productives ne dépend donc pas delà bonne volonté des paysans ni de leurs conseilleurs, comme le laisse entendre Meister r s'U est plus élevé en, Amérique .Latine et en Afrique du Nord c'est, s outre les conditions écologiques qui ont aussi leur importance, parce que- dans ces régions la pénétrations du capitalisme dans l'agriculture s'est* faite t de a manière plus brutale - avec/ l'implantation i d'une économie « agro-exportatrice » (cf. Celso* Furtado,: Cardoso) tantôt enclavée et étrangère^, tantôt créolisée. Ce* secteur a suivi l'évolution du marché extérieur puis Ultérieur, et U *s'est engagé dans des investissements croissants, sauf pour sa partie latifundiake qui se capitalise à son tour aujourd'hui sous la menace et l'action) des réformes agraires. C'est ; cette;, agriculture avancée qui assure la grande majorité du produit agricole national, .c'est idle qui présente- les

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meUleurs taux de croissance et de productivité, mais son coefficient d'emploi est d'autant plus faible que sa mécanisation progresse. Autour de lui s'étend le secteur minifundiake et communautake, repUé dans Tautoconsommation ou faiblement ouvert au marché, mais toujours sous-équipé en capital et condamné à supporter le surcroît de la force de travaU qui n'émigre pas.

Dans les cas, fréquents en Afrique Noke, où le secteur modernisé n'existe pratiquement pas, c'est le marché international et l'Etat qui règlent les conditions de la capitalisation de l'agriculture traditionnelle. Pendant la période coloniale des tentatives de modernisation accélérée à relativement haut degré de capital (plans d'équipements, paysannats) ont été faites mais les résultats furent teUement décevants et les critiques si sévères que l'entreprise fut abandonnée. Depuis, le marché et l'aide des métropoles se sont orientés vers des opérations de type « productivité » et mise en valeur qui utilisent peu de capitaux, beaucoup d'encadrement, et qui constituent de ce fait une forme « lente » de pénétration du capitalisme.

Que peuvent les éducateurs et l'éducation devant une situation qui leur est imposée par une loi économique qui les laisse aussi impuissants que les paysans eux-mêmes ? Leur marge d'initiative est pratiquement nulle même si on les consulte ou si on les associe pour les programmes de coopératives et de réformes agrakes. Leur seul domaine d'action possible demeure au niveau de la prise de conscience par les masses paysannes : Us ont là une tâche importante et vaste à condition de bien veUler, comme on Ta montré dans cette note, aux stratifications sociales et de se méfier des récupérations. Dans les cas de capitalisation rapide qui n'intéressent qu'un nombre restreint. de producteurs et rejettent la majorité des paysans dans la prolétarisation, le sous-emploi et les migrations, leur action éducative suivra une orientation de type syndical et favorisera les rapprochements avec les prolétariats urbains. Dans les cas contrakes Us seront conduits à uvrer dans le sens d'une « économie paysanne », ouverte à un plus grand nombre de petits agriculteurs parce que favorable à l'emploi, et susceptible éventuellement de gagner du temps par rapport au capitalisme en lui opposant une défense collective C'est ce que font les mouvements coopératifs. Mais U ne faut pas se faire d'illusions : tant que le marché échappe à leur contrôle, les coopératives sont obUgées de composer avec lui, d'accepter ses règles, c'est-à-dire de faire du capitalisme collectif et de la capitalisation partagée. Le coopérativisme n'est donc qu'une autre manière d'entrer dans l'économie marchande ; à ce titre, et quand il n'est pas tout simplement manipulé par les agriculteurs capitalistes, U est aussi une autre façon d'éveiller la conscience paysanne.

Il est donc impossible d'éluder la difficulté ou de contourner l'obstacle : en économie capitaliste dépendante les stratégies de développement sont dictées et la tâche des programmes de formation paysanne, quels qu'ils soient, ne peut être efficace que s'ils en tiennent compte comme d'un fait déterminant.