patrick henriroux le génie de la pyramide

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Le mag de la grande région 67 PATRICK HENRIROUX Le génie de La Pyramide Berceau de la gastronomie française, La Pyramide à Vienne, n’est pas restée confite dans ses glorieux souvenirs du temps de Fernand Point. Patrick Henriroux, aux commandes de sa destinée depuis vingt-huit ans, s’est progressivement affranchi de cet héritage pour imprimer sa vision moderne et solaire de la cuisine. TEXTE HÉLÈNE DUPARC • PHOTOS DENIS POURCHER 66 SAVEURS

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Page 1: PATRICK HENRIROUX Le génie de La Pyramide

Le mag de la grande région • 67

PATRICK HENRIROUX

Le génie de La Pyramide

Berceau de la gastronomie française, La Pyramide à Vienne, n’est pas restée confite

dans ses glorieux souvenirs du temps de Fernand Point. Patrick Henriroux, aux

commandes de sa destinée depuis vingt-huit ans, s’est progressivement affranchi

de cet héritage pour imprimer sa vision moderne et solaire de la cuisine.

TEXTE HÉLÈNE DUPARC • PHOTOS DENIS POURCHER

66 SAVEURS

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SAVEURS • La Pyramide

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L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. Sans doute cette maxime s’adresse-t-elle tout particulièrement

aux cuisiniers qui dès potron-minet s’activent aux fourneaux. Et c’est tout naturellement qu’en ce glacial samedi matin de janvier, Patrick Henriroux nous donne rendez-vous à sept heures du matin pour sa virée hebdomadaire au marché. Chargé de paniers, le chef nous entraîne à la découverte d’un des plus grands marchés de France, étalé sur cinq places et alignant un total de 1,2 km de linéaire entièrement consacré aux produits de bouche. Après un premier arrêt chez le boulanger Sylvain Ribeyre où il commande un pain spécial à la polenta, il fait ses emplettes chez les producteurs locaux, ici des suprêmes de volaille et des œufs de ferme, là, de la crème et des petits fromages. A sa manière d’inspecter les étals, on reconnaît l’œil expert, exigeant. « Les rattes de cette ferme, poussées sur un sol argilo-calcaire sont plutôt rudes et sont impeccables pour mettre en valeur la truffe. Les pommes de terre de l’Institut de Beauvais ont une chair ferme et un goût de céleri et d’artichaut. Elles sont idéales pour le gratin dauphinois. La pomme de terre Cheyenne est rouge, elle ne se délite pas et est délicieuse simplement cuite à la

vapeur », nous explique-t-il devant les cageots bien fournis de la ferme de la Valleine. Partout, les gens le saluent. Une dame d’un certain âge l’arrête pour lui demander conseil ; un maraîcher lui parle du coup de froid annoncé qui l’a obligée à rentrer tous ses cardons ; M. le Maire lui serre la main… « J’aime bien venir tôt, avant le gros des clients. Comme ça, j’ai le temps de discuter avec mes fournisseurs. C’est un moment convivial ; on échange des blagues mais aussi des informations. Les paysans sont en contact avec la nature et peuvent ainsi m’avertir des prochaines récoltes ou pénuries. Cette semaine, il y a encore des artichauts mais il ne faudra pas y compter la semaine prochaine. J’anticipe et adapte mes menus grâce à ces indices. » Peu à peu, ses cabas s’alourdissent et nous ferons un premier aller-retour pour les déposer à sa voiture avant de repartir chercher le reste des victuailles... Enfin, alors que le jour s’est levé, dernier rituel bienvenu, nous rejoignons le bistrot face au temple d’Auguste et de Livie. Un petit café et une part de galette des rois plus tard, nous voici requinqués ! Mais, le temps presse. Ce midi, Patrick Henriroux attend 95 personnes.

Préparatifs en coulissesInstallé derrière le bar de la brasserie PH3, Patrick Henriroux s’attelle à préparer les

salades, roquettes et frisées. « La salade, il faut qu’elle rentre dans la bouche », m’ex-plique-t-il en taillant patiemment les feuilles. Une tâche longue qui lui permet, depuis ce lieu stratégique, d’accueillir les clients au petit-déjeuner, et de se concen-trer avant le coup de feu simultané dans les deux cuisines de l’établissement, celle côté brasserie et celle côté gastronomique. Heureusement, le chef est bien entouré et chacune des quarante-neuf personnes qui travaillent à ses côtés, tant à l’hébergement qu’à la restauration, sait exactement ce qu’il a à faire. Toute la famille met la main à la pâte : sa femme Pascale, s’occupe de la comptabilité et de la gestion, son fils Boris des opérations externes, de la communica-tion et de la cohésion sociale, sa fille Leslie de la réception. Seul, le petit dernier de dix-neuf ans ans, n’a pas encore rejoint l’activité et étudie le commerce en école supérieure ! Il est vrai qu’entre l’hôtel et les deux restaurants (le PH3 ouvert sept jours sur sept, La Pyramide tous les jours sauf les

mardi et mercredi), les week-ends sont rarissimes. Fils d’agriculteurs vosgiens durs à la tâche, Patrick Henriroux ne s’en plaint pas et garde le sourire. Sa magnani-mité résonne sur toute la brigade, modèle de concentration. Côté cuisine gastrono-mique, l’activité bat son plein. Sous le contrôle du chef-cuisinier Christian Née, Meilleur Ouvrier de France 2004, et de son assistant Benjamin Patissier, MOF 2015, on tamise, on flambe, on touille, on fouette, on rissole, on réduit, on découpe… Côté salle, Michael Bouvier, directeur de la restauration depuis 2009, lauréat de la coupe Georges Baptiste 2011, maîtrise parfaitement la situation. Nef noire sous un plafond sculptural blanc, le

restaurant offre son décor épuré à une impeccable scénographie : nappes blanches immaculées, touches de jaune des verres Murano qui rehaussent d’un ton la porce-laine blanche et grise, fauteuils d’inspira-tion Art déco habillés d’un tissu jaune vif, photophore Jallum de Baccarat… Le rideau peut se lever !

« J’aime bien venir tôt, avant le gros des clients. Comme ça, j’ai le temps de discuter avec mes fournisseurs. Les paysans sont en contact avec la nature et peuvent ainsi m’avertir des prochaines récoltes ou pénuries. J’anticipe et adapte mes menus grâce à ces indices. »

Crus complices+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + +

Baptiste Cavagna chef sommelier de la Pyramide est très heureux de l’être. « je suis un prescripteur de plaisir » dit-il... S’il aime à mettre en avant quelques fameux terroirs des alentours, comme le côte-rôtie, le Condrieu ou le Saint-Joseph l’Hermitage, il aime aussi révéler des vignobles moins réputés comme le Languedoc, qui est « un réservoir à grands vignerons ». Toujours à l’affût de l’excellence, il prône aussi le travail des jeunes, comme Gaëtan Lafoy à Ampuis ou encore Julien Pilon à Condrieu.

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Une pièce en six actesLe Bubble de saison est une exclusivité de Patrick Henriroux, une petite mise en bouche pleine d’esprit. Tartare de bœuf avec coques, mousse de wasabi et sarrasin soufflé, il ose des juxtapositions insolites, réveille les papilles sans les brusquer en dosant avec doigté l’effet épicé, la texture aérienne et le croustillant du sarrasin. Viennent ensuite les becs à sel, des minia-tures à multiples facettes qui montrent déjà la virtuosité du chef. L’émincé de volaille, noisettes caramélisées et polenta, servi avec un espuma de maïs et pop corn soufflé joue à la fois sur le sucré-salé, le tendre, le craquant, le crémeux et le crun-chy le plus célèbre de l’Ouest. Le dôme de fromage frais nappé d’une gelée de carottes et parsemé de graines de carvi (graine de la même famille que le cumin) et sauge ananas est tout en légèreté. La purée de topinambours, anguille fumée et brunoise de Granny Smith recouverte d’une émulsion de vinaigre balsamique conjugue les accents douçâtres du topi-nambour, l’acidité des pommes, et les par-fums sauvages de l’anguille. Bref, nous voici en quatre fourchetées, plongés dans l’univers culinaire du chef. Le suprême de pintade fermière et canard fumé, foie gras confit et dôme de pomme Canada au sirop d’érable prouve que l’exercice autour du foie gras peut être réinventé à l’infini, sans qu’on ait pour autant à bousculer ses codes. Le biscuit de sandre et écrevisses, chou pointu et crème soufflée au vin des côtes du Jura, soulève notre étonnement. L’assiette dressée a fort belle allure, mais où se cache donc le sandre ? Cuisiné en quenelle, d’une couleur verte (la faute au persil !), il remplace avantageusement le brochet. La bisque d’écrevisse et l’huile à l’encre de seiche donnent envie de saucer l’assiette d’autant plus que les quatre petits pains maison sont une tuerie. Et, pour finir sur une note vive et acidulée, en

dessert, la perle d’émeraude Granny-Smith, gingembre, douceur tonique au yuzu, sorbet pomme verte fait oublier la grisaille extérieure. Les trois becs à sucre, dont un succulent jus de pomme aux épices, achèvent avec bonheur cette céré-monie gourmande. Bravo l’artiste !

Halte sur la route des vacancesLabellisé Relais & Châteaux, l’hôtel La Pyramide a fait peau neuve en 2015. Une métamorphose superbement aboutie grâce à l’audace retenue de l’architecte d’intérieur Régis Dho. Dès le lobby, le ton est donné avec l’antichambre du restau-rant gastronomique aux murs et sols de marbre, divans blancs et panneaux d’or. Si le faste est dans les matériaux, le design préfère s’en tenir à une ligne stricte. L’ensemble dégage une ambiance zen sans ostentation. Peut-être la trace de l’attache-ment de Patrick Henriroux aux valeurs japonaises ? Depuis 2003, il dirige un res-

taurant à Tokyo et s’y rend régulièrement. A chaque nouveau voyage, il apprend un peu plus de cette culture très riche. Ce qui le fascine le plus, au-delà de ses fruits exo-tiques et épices, c’est son profond respect de la nature. « Avant de tuer un bœuf de Kobé, son maître le remercie pour ses bien-faits. » Sur ces dernières paroles, alors que nous sirotons notre café avant de quitter l’établissement, le chef part s’enquérir d’autres clients. Encore une de ses habitu-des qui fait toute la différence tant les convives apprécient ce temps de l’échange… et tant Patrick Henriroux note les remarques pour améliorer encore et toujours sa prestation. « On est à l’écoute de ce que veulent les clients. Les codes évo-luent. L’abondance n’est plus de mise. Aujourd’hui, on est dans l’“expérientiel”. Les gens veulent trouver un sens à un lieu. C’est ce que je cherche à faire ici, chaque jour. » x

• Hôtel-Restaurant La Pyramide14, boulevard Fernand Point, 38200 Vienne.Tél. : 04 74 53 01 96. www.lapyramide.com

Si le faste est dans les

matériaux, le design

préfère s’en tenir à une

ligne stricte. L’ensemble

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ostentation.