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Partenaires du projet : Société des Amis d’Henri Pourrat, Fédération des maisons d’écrivains et des patrimoines littéraires, Transfo, Association des Bibliothécaires du Livradois-Forez, Centre culturel du Pays d’Ambert « Le Bief », Radio France Bleu Pays d’Auvergne, Agence départementale de développement touristique du Puy-de-Dôme, Office de Tourisme de Thiers, Office de Tourisme d’Ambert. Partenaires financiers : Photographies : Franck WATEL, Géry BOILEAU, Michel THENOT/Parc Livradois-Forez, Benoit BARRES. Rédaction : Cécile Auréjac - COM & GERY - Impression : Fusium Mep VoyageLith_V8.xp:Layout 2 22/10/08 12:52 Page 1

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Partenaires du projet :

Société des Amis d’Henri Pourrat, Fédération des maisons d’écrivains et des patrimoines littéraires,Transfo, Association des Bibliothécaires du Livradois-Forez, Centre culturel du Pays d’Ambert « Le Bief »,

Radio France Bleu Pays d’Auvergne, Agence départementale de développement touristique du Puy-de-Dôme,Office de Tourisme de Thiers, Office de Tourisme d’Ambert.

Partenaires financiers :

Photographies : FranckWATEL, Géry BOILEAU, Michel THENOT/Parc Livradois-Forez, Benoit BARRES.

Rédaction:CécileAuréjac-

•CO

M&GER

Y-Impression:Fusium

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« l’auberge, la croix, le sapin, notre destinéehumaine »…

« Les Auvergnats (…) furent saisis comme leurscontemporains de la fièvre du Moyen-Age. Ce futalors qu’ils bâtirent ces ruines inconfortables maisgrandioses où les seigneurs de cette époqueavaient le goût vertigineux de se loger. Rien deplus amer, de plus puissant que ces vestiges.Plantées dans le granit comme des épées rouillées,les vieilles tours gardent encore avec allure despaysages et des socles faits pour exalter leur génie. »

Des livres,des livres,des livres, partout sur le bureau,la table, au pied du lit, sur les étagères.

J’ai bien essayé de ranger ce capharnaüm,d’y mettre un peu d’ordre, mais je n’aipas pu m’empêcher de feuilleter ici et là :un roman, un récit, les Chroniquesde La Montagne de Vialatte… Celui-cise dévore comme une boîte de chocolats.On se dit « c’est le dernier », maison ne résiste pas à entamer le suivant.Des chroniques-chocolats au goût sucré,amer ou piquant.Chroniques de la montagne…Elles portent bien leur nom. Des textesqui emmènent là-haut. Et cette écriturepleine de pépites… Comme si, au coursde la lecture, un mot brillait un peu plusqu’un autre. Vialatte écrit et de ses motscoule la lumière des montagnes.Puis surgit une phrase inattenduequi intrigue :

Sur ma carte,d’autres portesgardent l’entrée :Viverols, Busséol, Ravel,Martinanches, Le Vernet- la-Varenne :autant de vieilles épées rouilléesplantées autour du massif.J’aurais pu entrer par le Vernet-la-Varenne pour aller à Ambert :une porte plus humble, avecson château plein de tours.J’en ai trouvé une carte postale.

« Je voyage, ce n'est pas pour connaîtreles choses, c'est pour être dépaysé »…

« donnent des leçons d’au-delà. »

Là-haut, s’il faut en croire la biographiede Vialatte, c’est le Livradois-Forez,autour d’Ambert. Des paysages qui

au croisement d’une route de montagne,

Là-haut.Alors pourquoi rester en bas ?

Très bien. Cette fois-ci,c’est décidé, je pars.En routepour le dépaysement.

Comprendre… Mais quoi ?Que ressent-on là-haut ?

Une silhouette toute noire sur l’horizon,un château qui s’enroule sur la colline,tout troué vers le ciel. Autour,le paysage se déploie en paraventsjusqu’à l’horizon.

« À toi la route, les découvertes, les navigations enfiévrées.À toi l'Amérique, sois Colomb ; je ne veux te donnerque la boussole… »

« J’ai compris le Midi, l’Allemagne, le désert. Ils comblentde façon ou d’autre… Je ne comprendrai jamais cesvillages auvergnats qu’on voit perchés sur la montagnedans le vent et les hivers. »

Ma porte d’entrée pour le Livradois.Une porte toute mangée de lierre.Vialatte doit bien avoir connucette grande citadelle abandonnée.

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Le bourg est niché au creux de la valléede la Dore, large et ronde commeun berceau. Ambert où vécuVialatte, adolescent.Mon camp de base.

Devant la gare trône un bustedoré de l’écrivain.Aucun lieu n’aurait pu êtreplus juste pour l’accueillirque cette petite gare deprovince parfum pistache-vanille, au bord de la Dore.Pourtant j’en savoure l’ironie :Vialatte n’écrivait-il pas qu’

Mon premier achat :Les vaillances, farceset aventures deGaspard desMontagnes,

de Pourrat. Au détour d’une page,je découvre la preuve de l’amitiéqui unissait les deux auteurs :

Image réjouissante :Vialatte engoncé dansune collerette, guettantle passage de somptueuxcavaliers dans les ruesde la sous-préfecture !

Vialatte parle de l’Auvergne etde ceux qui l’ont écrite. Ses textesm’ont mené vers d’autres auteurs quele Livradois-Forez a inspirés. À croireque ces paysages ont quelque chosequi remue l’âme. Que l’air qui navigueentre les crêtes éblouit plus sûrementque le soleil.

Parmi ceux qui se sont arrêtésà Ambert, c’est Jules Romains quim’a le plus amusé : il a eu la riche idéed’envoyer ses « Copains » se donnerrendez-vous devant la façadede la mairie d’Ambert en pleine nuit :

Le centre-ville a des airs d’unautre temps : le jardin public,les vieilles devantures, les rues pavées,les crépis colorés et les grandes alléesavec le kiosque à musique oùne manque que l’harmonie municipaleen casquettes. D’une certaine manière,c’est encore le temps de Vialatte…Et d’Henri Pourrat ! Lui aussi a sonmonument. Ambert est une villed’écrivains.

« on n’est jamais plus mort qu’en bronze car lesstatues ne font que nommer l’oubli. L’obscuritéoublie anonymement les hommes, la gloire les ou-blie par leur nom. » ?

« Ils découvrirent alorsun monument étrange,une sorte de grosserotonde, dont la rotondedu Parc Monceau n'eûtété que le poussin. »

« Quoi, dit Broudier, serait-ce la mairied'Ambert ?" Ils se turent. "- Mais, dit Lesueur, d'une voix mal assurée,où est le milieu de la façade ?"

Personne d'abord n'osa répondre.Broudier dit enfin : "- La mairie d'Ambert est une mairiedont la façade est partout, maisle milieu nulle part.. »

« Un après-dîner les cosaquesarrivèrent à Ambert par le grandchemin. Le pauvre AlexandreVialatte, marmot à collerettealors, l'a conté souvent…L'escadron tourna à droite entreles boutiques de la grand-rue. »

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Départ de mon camp de base (Ambert).L’heure de l’exploration est venue.Première étape : la maison du Parcnaturel régional Livradois-Forez,à Saint-Gervais-sous-Meymont.La libraire d’Ambert m’a dit qu’il y avaitlà un centre de documentation oùje pourrai trouver les livres et les cartespour me guider sur les petites routestortueuses, à la recherche des paysagesdécrits par Pourrat, Vialatte,et les autres.

Un petit clin d’œil à Vialatte m’a réjouià l’entrée de l’Atelier encyclopédique :on nous assure qu’il s’agit là

J’ai emprunté quelques cartes etme suis installé dans le hall pour tracermon itinéraire : Ambert, camp de base ;de là, rayonner :au nord età l’est (Thiers,les Hautes-Chaumes, le valdes papetiers)

puis au sud et à l’ouest (Allègre,La Chaise-Dieu, le Haut-Livradois). Un pays tortueuxqui s’élève de part et d’autre d’une vallée…Un pays comme un cerneau de noix, plein de petits vallons,de circonvolutions, de routes improbablesqui ne connaissent pas la ligne droite.

La petite maison de garde-barrière attendsagement en bord de voie ferrée.On ne soupçonne pas qu’elle hébergeaun écrivain. Rose Combe n’a publié qu’unroman de son vivant, Le Mile des Garrets :

Puis elle est morte et Vialatte a écrit surelle un texte d’une beauté stupéfiante.Aurait-elle rêvé telle épitaphe ?

Vialatte a l’art d’écrire sur …les écrivains !C’était un chroniqueur.Ce que je ne suis pas. Mais tousméritent une petite biographie,qu’elle soit de Vialatte ou de moi.

« Septembre traînait les premières brumes del'automne sur les prairies basses qui bordent laDore ; les fils de la Vierge,lourds de rosée, brillaientaux genêts de la buge, lesprés reverdissaient aprèsles dernières pluies. »

« d’un lieu irréfutable ».

« Pauvre Mme Combe, si fine, si naturelle, si viteenlevée à nos espoirs ! … Je revois encore ses groscahiers de moleskine, son écriture debonne élève, sa fenêtre ornée de résédas.Son mari savait à peine lire ; elle écrivaitsans ambition et sans public, sans en laissersouffrir ses devoirs de mère de famille et satâche de chef de station. Cette vocation née,comme un coquelicot, en bordure d’une voiede chemin de fer, avait la grâce des fleurs deschamps. »

J’ai dû la croiser hier, en suivantla Dore, mais elle m’a échappé :la maison de Rose Combe, écrivain« spontané » qui a ému Vialatteet Pourrat.

« Elle habitait un petit bâtiment de briquesorti des jeux de construction de la compagnie,d’où elle administrait la voie, distribuait lesbillets et régnait sur les neiges, une maisonde chercheur d’or dans l’Alaska. »

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Le site m’impressionne.La Durolle courtdans l’ombre, engloutiesous les hauteurs oùse serrent les maisonsblanches. Les usinesne fonctionnent plusaujourd’hui.Georges Sand y avaitdécrit une vie grouillante,un peuple d’ouvriersplongés dans le noirde la ville basse.Tout un monde dansle Creux de l’Enfer.Aujourd’hui le diablesemble l’avoir désertépour d’autres horizons.

C’est donc à pied que j’ai enfinatteint le bout du monde…et en suis revenu !

La ville haute est un tout autre monde.Du noir, on passe au blanc et rosedes hautes façades claires qui regardentle paysage, serrées le long de ruesétroites. À l’époque de George Sand,elle se parait de toutes les couleurs,se prenant alors pour une ville du sud :

Image peut-être un peu exagérée parl’écrivain que celle d’une ville blancheet riche en haut, noire et industrieuseen bas.

À Thiers, le chemin est rapide de l’Enferau Bout du monde. Un chemin réunitces deux lieux improbables :

Il n’y a plus autant de flammes etde fracas. Quelques jardins égayentle paysage, le linge sèche surles étendoirs. Mais, à la nuit tombée,le Creux de l’Enfer est noir et humide.Il a refroidi. Les ouvriers ont déserté laville basse, comme un jour de grèvedans un roman de Jean Anglade :

« D'abord, on n'y croitpas : elle a l'air d'une villede théâtre, peinte sur unetoile de fond. Avec sesmaisons blanches dans lapartie haute, noires dansle bas. »

« Le trou d’Enfer ! Je suis de la plaine,moi, et je ne connaissais guère lesprécipices. Et puis un trou d’enfer aumilieu d’une ville, ça ne me paraissaitpas possible ! Et cependant j’entendaisle grondement de la chute d’eau ; maiscomme la nuit était venue et queles flammes des fourneaux montaientpar centaines sous mes pieds, je vistout à coup la cascade éclairéeet rouge, et je m’imaginais voir couriret tomber du feu. »

« Toute la vallée,cœur et âme dela cité coutelière,se trouvait frappéede silence.Les maillets des papeteriesdemeuraient immobiles,de même que les meulesdes rouets, les martinetsdes forges. »

« Le rouet est installé dans la gorge de la rivière,à l’extrémité d’un chemin étroit mais encorecarrossable, lieu appelé le Bout-du-Monde :au-delà, le chemin se fait sentier, on ne peutle suivre qu’à pied… »

« Là-haut, au lieu d'une bicoque misérable, uneville riche s'est élevée, une ville bariolée de cou-leurs tendres et riantes que les voyageurs compa-rent à une ville d'Italie, une ville quasi neuve avecdes fontaines, des édifices, des routes ! C'estquelque chose, mon camarade, que d'être dans unendroit où les hommes ne sont ni endormis, ni in-constants, et il n'y a guère d'habitants de la villehaute qui ne regardent avec orgueil les fumées etles tonnerres de la ville basse monter dans les airs,comme un cantique et un encens, en l'honneur decelui qui les a fait grandir et prospérer. »

De loin Thiers est toute blanchesous le soleil. C’est bien la citédécrite par Anglade :

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Je me suis levé très tôt pour capturer le soleil.Là-haut, sur les Hautes-Chaumes du Forez, les mots de Pourratont trouvé un écho dans le vent qui balayait les herbes :

C’est exactement cela : le granddisque de platine du soleil, les pentesd’herbes jaune, la vallée encore dansl’ombre… La lumière pour moi seul,pour un instant. Les Hautes-Chaumessont un monde à part. On ne toucheplus vraiment terre, tant le cielprend de place.

Des ombrespassent surl’horizon.Les nuages mecachent lessommets, au loin.Pas de chance.Pourtant, d’aprèsGachon,

Je suis resté toute une journée au cœurde cet univers, marchant sur le sentierdu colporteur, de jasserie en jasserie,avec le livre de François Gravelineà la main :

Les toits de chaumes touchent terre,de peur de s’envoler, peut-être, dansces landes qui, elles, touchent le ciel.Les jasseries sont ancrées au sol.À quoi pouvaient rêver les femmes etles enfants réfugiés si près des bêtes,dans ces petites boîtes sombres etchaudes, au milieu de rien ? Peut-êtrey trouvaient-ils la paix, loin des hommesrestés en bas, à la ferme. Les écrivains,eux, y trouvent l’inspiration :

« Ce matin une lumière blanche court la montagnecomme à coups de faux, poursuivie par les ombres,celles des nuages passant en lambeaux effrangéset qui volent. Le soleil derrière eux ressemble àune lune. La bise tire. Et toujours elle charrieces grisailles qui arrivent comme des créaturespourchassés, glissent, défilent, si bas qu’on lestoucherait en levant la main, et fuient de biaissur l’échine de la montagne. »

« Jasserie ? Ce mot est l’une des clefs de ce monde.Il vous ouvre la porte, vous accueille, vous retientlongtemps. Il ne vous quitte plus. Des jasseries,il n’en existe que là. (…) Je restai ébloui devantla perfection de ces maisons-paysages, massiveset fragiles, ces corps de granit, ces murs ramassés,épaulés sur la pente, encadrés de pans de chaume.Des maisons-visages, des ermites qui connais-saient tous les chants du vent et des sources. »

« Maintenant, ce sont les sensations que l’on vacueillir là-haut. Remarquez, cela soigne pas malde choses aussi. » disait un vieux cueilleurde simples à Graveline. (À s’y connaître en herbes,on s’y connaît peut-être aussi en hommes).« Les Hautes-Chaumes sont l’un des grandsgreniers du monde où l’homme redevient l’enfantde ses sortilèges et de ses tourments ».

« de Pie r re - sur -Haute, le lever dusoleil est peut-êtreplus beau à contem-pler que du sommetdu Puy-de-Dôme. Siun léger vent dunord purifie le cielsans trop embrumerles lointains, on voitle soleil levant éclai-rer toutes les Alpesoccidentales… »

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Au départ du sentier des papetiers,la pierre du diable porte encore la tracede ses griffes…Mais s’il est passé par là,il n’y est pas resté : la vallée est une petitemerveille champêtre, ouvragée, ciseléepar l’homme depuisdes siècles,sillonéede petitsbéals oùl’eau dévaleen brillant.

Au bout de la vallée est Nouara.Ici bat le cœur de Claude Dravaine.

Un tableauqui a séduitPourrat :

Une grande descente, une course dansles feuilles : me voilà au moulin Richardde Bas.

Ici encore, ce que je vois fait écho auxmots de Pourrat. Le moulin papetierme prend et me surprend. À la foissombre et lumineux, frais et chaleureux,plein d’odeurs nouvelles. La roue àaube, le martèlement des maillets,la pâte à papier qui repose, la presse,le séchoir… Les derniers soupirsd’un univers presque disparu.

Le Livradois-Forez tel que je le vis estune succession de petits mondes quicohabitent avec bonheur. Petits mondeset grandes émotions. Grands ventsdans les ciels immenses et petits creuxsecrets de vallées. Grands éclats dematins tout neufs ou patine rassurantedes temps anciens. On a le choix :s’envoler ou se reposer.

« Des rustiques, ces papetiers,non pas des paysans. Au-tour des métairies y eut-iljamais ces jardins étagés en

terrasses, si bien tenus, où le lysrouge fleurit dans la mélisse,le rosier de Damas et l’œillet deChine sous l’arbre d’épine rose ? »(…) « Un pays de fraîcheur, desecret, de petits prés formant re-traite dans ces combes ou gradinssur ces versants baignés d’airparmi les granits et les bouleaux ».

« A Nouara, où l'on arrive en remontant la routeblanche au milieu des prés-vergers aux fonds d'ar-bres de toutes essences, qui font ressembler le paysà un parc immense, c'est le même frémissementd'eau et de feuilles, du moins plus sauvage et ano-bli d'un air de grandiose liberté. » « Dans ces moulins, le dépaysement est trop fort.

(…) Entrer en ces cryptes humides où l’on ne voitrien qui ne soit usé, effrusté, patiné, c’est commes’enfoncer dans les âges … Il y a, flottant dansl’air, un goût d’ancienneté : l’odeur de pauvre deschiffons mêlée à cet évent de cave. C’est le goûtmême des papeteries qui fait, plus que tout lereste, de leur monde un monde à part. »

Posé dans le creux de la montagne,ce grand vaisseau de pierre semblelà de toute éternité. On n’entend plusle martèlement des moulins à papier,ni le bruissement des roues à aubedepuis longtemps … Le silence ajouteà la magie du lieu. On s’y arrête sansy prendre garde.

J’ai continué dans les bois, aprèsla cascade, pour rejoindre l’autre vallée :des haies, des chevaux, des moutons,un très vieux châtaignier tout tordu …De l’homme, on sent la présencedans le moindre brin d’herbe.

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Autres paysages, autres auteurs.Finie la simplicité ronde de la valléede la Dore. Le pays est à la fois plusouvert et plus cloisonné. Commece que décrivait Gachon :

Assis au pied de la potence, je me suisplongé dans Les îles d’Auvergne,L’histoire est étonnante : elle m’atransporté très loin, en 2540, aprèsla grande montée des eaux jusqu’à1 000 mètres d’altitude. Un peu plus etje n’aurais pas été étonné, en levantles yeux, de voir voler quelquesgoélands ou rencontrer Imago Sekoya…

Le soir, je me suis aventuré jusqu’auMont-Bar. L’ancien volcan endormiest un havre de paix…

De grands hêtres entourent un largedisque d’herbes. On dirait qu’ils n’osenten franchir la frontière… J’ai sortide mon sac le dernier « compagnon »littéraire de la journée : Jean de la Roche.George Sand fait avancer son hérosjusqu’au milieu de la tourbièredu Mont-Bar pour s’y asseoir :

Le Mont Bar, rétif, insoumis, a toujours sucontrer la volonté de l’homme qui voulaitl’assécher totalement : la tourbière est

encore vive. Je préfère la contemplerdu bord, incendiée soudain par

les derniersrayons du soleil.Quant à moi, je ne m’y risquerai pas.

Autant suivre le sentier qui fait le tourdu cratère.

« La patience paysanne avait cousu, par finesreprises, par surjets, ou plus souvent par ourlets, lepré au pré, le champ au champ, demanière à formerdes ensembles sans cesse agrandis jusqu’à ce que lapâture ou le bois fussent relégués, pour toujourscroyait-on, sur leurs domaines prédestinés. »

« Je me laissai tomber sur l’herbe vers le milieu dulac tari. Les bouleaux interceptaient fort peu lavue, et mon regard embrassait l’épaisse et magni-fique ceinture de hêtres qui entoure le rebord ducirque avec une régularité que ne surpassaientguère les soins de l’homme. »

« Sur la plage d'Allègre (...) quelques indigènesfouillent le sable rouge à la recherche de coquil-lages ou d'objets rendus par la marée... Ce soir lesmouettes ne sont pas seules à voler, un gros diri-geable à cellules descend sur le Mont Bar. La nuitvient du golfe du Velay. Elle enveloppe la baie. »

La grande porte au-dessus du villagea reçu le triste nom de potence.En réalité, d’après le guide de visitedu bourg, c’est tout ce qui rested’un immense château. Il fautfaire appel à son imagination.

Les collines succèdent aux collines, entrebois et champs.Et puis, au loin,se dessinela silhouetteharmonieusedu Mont-Bar, et en face,une grande porte en plein ciel.

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Trajet nocturne. La Chaise-Dieu estcomme un phare dans la nuit.Un phare sur une île. L’impression estencore vraie, une fois le soleil levé :une ville comme une île perdueau cœur d’un océan de forêts.C’est peut-être la lecture desîles d’Auvergne qui m’obsède :

Imago Sekoya s’est arrêté… s’arrêtera icidans 500 ans pour visiter l’abbaye.Elle sera toujours là… Un grandvaisseau surplombant un port quin’existe pas encore. L’idée est belle.À défaut de quais, j’ai grimpé dansla tour Clémentine avant de déambulerdans les ruelles. Les épaisses maisonsde granit semblent minuscules sousla masse de l’abbaye. Cet énorme édificeau milieu d’un « nulle part » ne cessede me surprendre. C’est ici que Robertde Turlande, le fondateur, est venus’élever loin des tumultes du monde.

Tout autour, à perte de vue, un océande forêt encercle l’île de La Chaise-Dieu.Des bois qui ont inspiré les pages noiresde Pourrat, dansGaspard desmontagnes :

Il faut dire, que dans le roman, c’est d’icique vient le malheur. Alors je suis alléjusqu’à Chénerailles, l’antichambredu tragique, ce domaine que Pourratn’a jamais voulu voir. Il a préféréle réinventer.

En réalité, Chénerailles est une clairièreaccueillante au milieu des bois. L’herbeest fraîche, rase, une allée de grandschênes mène aux maisons de pierre,comme un petit village qui se suffità soi-même.

Pourrat a teinté ces forêts de noir. J’y voispour ma part toutes les nuances du vert.Le Haut-Livradois est bien

Au cœur de ces forêts, je me suis attardé à Boisgrandet ses Pierres Folles. Une clairière de pierres dresséesdans un univers végétal. C’est l’endroit idéal pours’enivrer d’odeurs de sève, s’asseoir sur des tapis demousses, écouter bruisser les branches, vrombir lesinsectes, chanter une foule d’oiseaux… et regarderun papillon orange venir butiner une jasione toutebleue. Une

Graveline a su trouver les mots :

« À l'autre bout de l'île, le port de pêche de LaChaise-Dieu. Il y a beaucoup de monde sur lemarché à poissons. (…) Au-dessus des quais, lamasse trapue de l'abbatiale. Bruits du port, silencede l'abbaye... »

« Je ne sais pas bien où commence lehaut Livradois mais je sais où le trouver.Quelque part, entre Saint-Germain-l'Herm, Cunlhat et Saint-Amant-Roche-Savine, une route, jamais la même, passesous les arbres. Au bout d'un moment,on la quitte pour un chemin ou un autre,puis, sans s'en apercevoir, on marcheà travers bois... Le vent passe et repasse,fait les cent pas au-dessus ; Il est loin,le ciel davantage. »

« respiration lumineuse. »

« Avec son escalier depierre crevassé, creuséd'usure, à rampe d'unpied de large, son paliercarré ceint d'un parapet,ses contreforts où pous-saient des fougères etde la gueule-de-loup,elle avait quelque air deforteresse. »

« un déchaînement d’arbres,un autre élément »

« Elle n’ont rien de trop gai, les forêtsqui s’en vont sur ces plateaux, ducôté de La Chaise-Dieu. Des sapins,des sapins, des sapins, jamais uneâme.(…) il y a des endroits où lesoleil semble n’avoir point percédepuis des mondes d’années : c’estsombre, c’est noir, c’est la mort. »

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Sur la place, l’église de pierre clairecapte les rayons du soleil. Devant,à côté de la fontaine en pierre noirequi crache une eau claire et froide,le monument aux morts de la GrandeGuerre porte des noms connus :ici vécurent des Gachon, des Vialatte,des Pourrat… Noms familiers désormais.Me voici au cœur de ce pays.

Lever du soleil, assissur le parvis de l’église…Un édifice rustique,

plein de contreforts, avec son petitcimetière suranné. Au loin,les chants des coqs résonnent.L’endroit est plein de douceur.

J’ouvre Gaspard des Montagnes.Je l’ai gardé, comme on garde sonbonbon favori au fond de la poche.

Encore un bois où chercherles frayeurs du temps de Gaspard :

Le diable, je ne l’ai pas trouvé.Il a dû trouver affaire ailleurs.

Je n’ai pas cherché à entrer,j’ai préféré garder le mystère.

À quelques pas du Bois des Fourches,Les Escures sont le point central du roman.La demeure, est massive, imposante.Dans la cour, le frêne pleureur décritpar Pourrat est encore debout.

En guise de maléfices, quelques champi-gnons, un monde de myrtilles et defleurs des bois, un écureuil… Le bois desFourches ne mérite plus sa réputation.

C’est aujourd’hui un bourg tranquilleenvironné de bois… L’auberge deGaspard, « la belle bergère », n’existeplus. Ou alors, je ne l’ai pas trouvée.

« Au bout c'était un découvert de prairies balayéesdu vent, avec, sur son dos de colline, Saint-Amand, ses jardins en casiers, ses toits en escaliers,son clocher trapu. »

« "À la belle bergère,poste impériale". Lelong du mur, quelquetas d'écorce sentaitla montagne. Du tuyau

de fer fluait une eau crue que bousculait la bise.Les murailles étaient d'un granit sombre oùle lichen mettait des rosaces dorées. »

« Le point, c’est que ce bois avait une réputationfort maléfique ».

« On contait qu'un jour le diable se promenaitpar là avec le vent son compère pour lui tenir com-pagnie : "J'ai, dit le diable, affaire céans ; tandisque j'y vaque, demeure ici à m'attendre." Depuis,tandis que le vent s'en donne à l'entour, il n'en estpas sorti encore. »

« De la cour du frêne pleureur, le château ruineuxfaisait encore figure de château avec ses fenêtresgrillagées de fer, ses échauguettes. L'allée de grossorbiers tors, chargés de grappes, s'en allait versles monts pointus et bleus de l'Hermitage commevers quelque contrée biblique derrière quoi il n'yaurait plus que le paradis des nuées. Trois pasencore sur l'herbe, on aurait été hors du monde. »

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Dernière étapede mon explorationpaysagère et littéraire.Ma route s’achève sur les lieuxde l’enfance de Gaspard, là oùcommence le roman de Pourrat.

Le village donne toujours cetteimpression de rudesse : de grossesbelles fermes de pierre, des poirièrescontre les murs, un chien qui passe,un vieux lavoir couvert accompagnéd’une roselière… Et cette belle vuesur le Forez.

Champetiéres, en contrebas,c’est un retour à la lumière.

Pourrat ne s’est pas trompé en amenantici un Gaspard de 17 ans, plein de forceet de vie : le village regarde vers le sudet attrape la lumière. Les crépis colorés,la fontaine scintillante devant l’église…J’ai trempé la main dans l’eau fraîche :au fond nagent de curieux poissonsrouges et blancs peut-être égarés làpar un japonais de passage.En bas du village, il y a une deuxièmefontaine en pierre de volvic noire.Elle porte deux visages grimaçants.Peut-être un souvenir de la galipote ?

Dans le roman, Gaspard quitte l’enfancelorsqu’il part à la guerre. Le chemindu départ le mène au dolmen deBoisseyres. C’est un bon lieupour quitter le Livradois, pour fairemes adieux à ce paysage, au-dessusde la vallée de la Dore.

Du dolmen, on embrasse du regardla montagne et la vallée. Gaspardpartait en guerre. Je rentre chez moi,empli d’horizons immenses etde forêts profondes, de prairiesbalayées par les vents et de talusmoussus. Des paysages façonnéspar la main de l’homme…Ou peut-être par ses mots.Oui, ce sont peut-être ces écrivains,mes guides, qui ont enchanté cespaysages.

« Gaspard était natif de Susmontargues, qui estun joli endroit dans les monts du Livradois, à troislieues d’Ambert, côté de soir. Terroir pauvre etmaigre, et difficile, à la rigueur du temps. Là-haut,on pousse la neige huit mois de l’année avec sonventre. (…) Parmi ses jardinets de choux verts etde framboisiers ceints de leurs parapets, le villageest assis en belle vue, bien au-dessus du bourg deChampétières ; et sur ces découverts, le grand aircourt, aussi brillant que l’eau de roche qui saute departout. »

« Le garçon était arrivé à Pierre-Couverte, unénorme pan de pierre brute sur quatre autre pansau milieu d’une jachère d’herbes folles et de clo-chettes bleues. (…) On dit assez de choses : que lapierre pèse sur un crapaud qui de son dos toutesles nuits la soulève. Gaspard passant se rappelait ceconte, et il se sentait sur la poitrine une masse pluslourde que la Pierre-Couverte. »

« La galipote, qu’onappelle encore la bêtenoire, personne ne peutdire quelle bête c’est.(…) Champétières étaitsens dessus dessous. Aumoindre rien dehors,tout le monde sur pied.De chez soi, chacuncherchait à voir passerla Bête Noire. »

« Champétières-des-Vallons est unassez gros village dans un fond, enpays riant, verdoyant (…). C’estencore la montagne, au-dessousde Susmontargues, mais l’air y estplus doux et le soleil plus chaud. »

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