partage des risques partage de la valeur etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais...

52
Partage des risques, partage de la valeur : étude des effets du droit des procédures collectives sur le processus de renégociation amiable de la dette d’une société 1 ___ Bertrand Chopard 2 Maître de conférences en économie BETA (CNRS, Université de Strasbourg et Nancy Université) ___ Sophie Vermeille Avocat au barreau de Paris ___ Stephen Portsmouth Département Asset Recovery Management – Direction des risques Société Générale ___ Louis Grégoire Sainte Marie Avocat au barreau de Versailles ___ Abstract La présente étude a principalement pour objet d’analyser le déroulement d’une renégociation entre les associés d’une société en difficulté et les créanciers bancaires de cette dernière qui, opérationnellement viable, se trouverait insolvable du fait d’un endettement financier 1 Les vues exprimées dans le présent article sont exclusivement celles de ses auteurs et ne représentent pas nécessairement celles de leurs éventuels employeurs. Cette étude constitue la version à portée « juridique » d’une version économique en cours de réalisation. Ces contributions s’inscrivent dans la perspective de la création d’une Chaire en économie du droit de la défaillance au sein de la Fondation du Risque, sous l’égide de l’Institut Louis Bachelier (www.institutlouisbachelier.org). Cette Chaire aurait pour but de réunir des chercheurs issus du milieu universitaire et professionnel afin de répondre au besoin d’une meilleure régulation dans le contexte actuel de crise économique et financière. Des informations supplémentaires sont disponibles auprès de l’Institut Louis Bachelier (contact Cyril Armange). 2 Les auteurs remercient tous ceux qui ont contribué à cet article par leur relecture et leur validation scientifique sur une version antérieure. Toute erreur subsistante incomberait exclusivement aux signataires de ces lignes.

Upload: others

Post on 11-Jul-2020

5 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

 

Partage des risques, partage de la valeur : étude des effets du droit des procédures collectives sur le processus de renégociation amiable

de la dette d’une société1

___

Bertrand Chopard2 Maître de conférences en économie

BETA (CNRS, Université de Strasbourg et Nancy Université)

___

Sophie Vermeille Avocat au barreau de Paris

___

Stephen Portsmouth Département Asset Recovery Management – Direction des risques

Société Générale ___

Louis Grégoire Sainte Marie Avocat au barreau de Versailles

___

Abstract  

La présente étude a principalement pour objet d’analyser le déroulement d’une renégociation entre les associés d’une société en difficulté et les créanciers bancaires de cette dernière qui, opérationnellement viable, se trouverait insolvable du fait d’un endettement financier                                                                                                                          1  Les vues exprimées dans le présent article sont exclusivement celles de ses auteurs et ne représentent pas nécessairement celles de leurs éventuels employeurs. Cette étude constitue la version à portée « juridique » d’une version économique en cours de réalisation. Ces contributions s’inscrivent dans la perspective de la création d’une Chaire en économie du droit de la défaillance au sein de la Fondation du Risque, sous l’égide de l’Institut Louis Bachelier (www.institutlouisbachelier.org). Cette Chaire aurait pour but de réunir des chercheurs issus du milieu universitaire et professionnel afin de répondre au besoin d’une meilleure régulation dans le contexte actuel de crise économique et financière. Des informations supplémentaires sont disponibles auprès de l’Institut Louis Bachelier (contact Cyril Armange).  

2  Les auteurs remercient tous ceux qui ont contribué à cet article par leur relecture et leur validation scientifique sur une version antérieure. Toute erreur subsistante incomberait exclusivement aux signataires de ces lignes.  

Page 2: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  2  

excessif. Nous souhaitons ainsi mettre en lumière les effets du droit des procédures collectives sur la restructuration de la dette de cette société.

L’originalité de notre approche tient à l’utilisation des enseignements de l’analyse économique du droit, afin d'étudier les modalités de la résolution du conflit qui oppose créanciers et associés, quant à l’application des règles initiales de partage des risques, lorsque la société devient insolvable.

Nous nous placerons, dans un premier temps, dans un cadre de négociation volontairement très simplifié, où nous posons comme acquis que (i) les créanciers financiers participent tous activement à la négociation, (ii) les intérêts du dirigeant sont strictement alignés sur ceux des associés, (iii) les parties sont dans une situation d’information complète, (iv) la société n’a pas de problème de liquidité à court terme, et (v) l’échec de la négociation amiable ne peut pas donner lieu à l’ouverture d’une procédure collective, le rôle du juge se limitant à celui d’arbitre des contestations éventuelles entre créanciers et associés qui ne peuvent pas être réglées à l’amiable.

Dans un second temps, nous réintégrerons à ce cadre de négociation simplifié des éléments plus complexes (asymétrie d’information entre les parties, incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société, absence de coordination des créanciers, etc.) et, en dernier lieu, la possibilité pour les parties de régler leur différend dans le cadre d’une procédure collective régie par le droit français. Nous pourrons de cette manière faire une analyse coûts-bénéfices de l’ouverture d’une procédure collective, du point de vue des parties à la négociation, et expliquer les effets provoqués par l’application du droit des procédures collectives sur la restructuration de la dette d’une société.

Il s’agit, au final, de tester la capacité de notre droit des procédures collectives à préserver la valeur d’entreprise des sociétés défaillantes et de vérifier notre intuition selon laquelle certaines dispositions nous semblent en décalage avec l’objectif déclaré d’optimiser le redressement des sociétés. Nous concluons que le droit français des procédures collectives occasionne un allongement des négociations et une restructuration insuffisante du bilan des sociétés, voire même dans certaines situations, une instrumentalisation de la procédure collective, comme l’illustre l’affaire Cœur Défense.

Page 3: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  3  

Introduction  

1 L’ouverture pour une société d’une procédure collective a un coût considérable du simple fait du signal que renvoie la situation de défaillance à ses clients et ses créanciers. Dans les sociétés d’une certaines taille, qui sont étroitement suivies par leurs créanciers financiers, il y a, pour cette seule raison, une forte incitation à résoudre les difficultés financières, en-dehors de toute procédure collective et avant la cessation des paiements.

2 De ce point de vue, l’entrée en procédure collective peut résulter d’une négociation amiable préalable, qui n’a pu aboutir faute d’accord unanime de toutes les parties prenantes. Une raison de cet échec tient souvent au phénomène de type « passager-clandestin3 », assez classique dans les sociétés cotées ou non cotées dont la dette est dispersée entre les mains d’un grand nombre de créanciers. Certains créanciers peuvent alors préférer ne pas adopter une attitude conciliante dans l’espoir que les autres supporteront seuls les coûts de la restructuration. A cet égard, l’intérêt du droit des procédures collectives est d’imposer à l’ensemble des créanciers des règles encourageant la coopération à l’effet de faciliter les négociations.

3 Une autre contrainte de l’ouverture d’une procédure collective, plus délicate à appréhender, tient à la perturbation que subissent les règles de partage des risques entre associés et créanciers financiers qui, lorsque la société devient insolvable4 (à distinguer de l’état de cessation des paiements5), permettent implicitement d’envisager une redistribution complète des droits de vote et financiers sur la société.

                                                                                                                         3 Le phénomène dit de « passager-clandestin » ou « free rider » traduit une situation dans laquelle certains créanciers décident volontairement de ne pas participer aux négociations amiables dans l’espoir que les coûts de la restructuration seront supportés par les autres créanciers. Les créanciers dont l’exposition est relativement faible par rapport à celle des autres sont davantage sujets à ce type de comportements ; ils ont moins à souffrir des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les contraintes des différents acteurs sont simplement irréconciliables.

4 La valeur de la société reposant dans notre hypothèse sur le regroupement de ses actifs et son capital humain (ses perspectives de trésorerie disponible futures sont supérieures au produit de cession de ses actifs vendus séparément), nous considérons que la société est insolvable à partir du moment où il est convenu que ses perspectives de trésorerie disponible futures ne lui permettront pas de régler toutes les échéances de la dette.

5  L’état de cessation des paiements est l'incapacité pour le débiteur de faire face à l'ensemble de son passif exigible au moyen de son actif disponible.  

Page 4: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  4  

4 La manière dont sont structurés les financements dans le domaine du capital risque est instructive à cet égard, l’usage étant que les investisseurs en capital prévoient, dès l’origine, qu’ils entendent résoudre les difficultés à venir en dehors des règles relatives aux procédures collectives. Dans ces montages, l’équilibre contractuel repose sur le maintien du contrôle de l’entreprise aux mains des dirigeants-associés, tant que l’activité est suffisamment rentable, et un transfert de ce contrôle aux mains des investisseurs en cas de performance insuffisante. A vrai dire, ces contrats de financement partagent beaucoup avec les contrats de prêt où figurent des clauses d’alerte et de garde-fou (covenants6), à l’exception que, dans les opérations de capital risque, l’échec fait ouvertement partie des règles du jeu.

5 Afin de mieux comprendre les effets et les limites en France des règles de partage des risques entre associés et créanciers financiers, nous imaginons un cadre de négociation fictif et simplifié, empruntant une approche du règlement des difficultés, que nous qualifions de contractuelle. Dans ce cadre de négociation, l’étendue des droits des parties découle de la seule application de leurs accords mutuels. L’idée est de s’affranchir, dans un premier temps, des règles du droit des procédures collectives et d’appliquer les hypothèses théoriques des économistes (rationalité individuelle, structure de l’information, incitations, etc.) à l’explication du processus de négociation de la dette bancaire d’une société rentable au plan opérationnel, mais insolvable. En procédant à l’analyse du déroulement d’une négociation dans un environnement où les droits et les obligations des parties sont dictés par les seuls contrats qui les lient, nous nous autoriserons à sortir d’un cadre d’analyse souvent trop imprégné de considérations de politique économique. Nous pourrons ainsi, par exemple, écarter le problème lié à l’instrumentalisation du droit des procédures collectives (ou law shopping7).

6 Pour ce faire, nous utilisons le cadre de référence proposé par l’analyse économique de la résolution des litiges, comme instrument d’analyse des comportements stratégiques des parties. Le litige, en l’espèce, aura trait à l’application des règles de partage des risques et de retour sur investissement opposant les associés et les créanciers de la société. Chaque partie procèdera à une analyse coût/bénéfice d’une résolution par voie amiable ou judiciaire et anticipera les termes de l’accord final sur la restructuration de la dette, en prenant en compte l’analyse coût/bénéfice de l’autre partie.

                                                                                                                         6  Cf. § 38.  

7 L’expression de « law-shopping » traduit l’idée qu’une des parties cherche volontairement à échapper à l’application d’une loi – dans le cas présent la loi des parties découlant de l’application des accords contractuels – afin de bénéficier du traitement plus favorable que lui offre le recours à un autre droit, en l’espèce le droit des procédures collective. Nous revenons sur ce point au § 160. Ce phénomène peut également s’assimiler à du « forum shopping », lorsqu’au sein d’une même juridiction, des tribunaux différents gèrent le contentieux contractuel et le droit de la faillite.

Page 5: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  5  

7 Cet exercice suppose de définir précisément le rôle attribué au juge par les parties en cas échec de la négociation amiable. Guidés par notre approche contractuelle, nous considérerons que le rôle du juge se limite uniquement à celui que lui attribuent les parties, soit celui d’arbitre des contestations, officiant conformément aux accords conclus entre créanciers financiers et associés.

8 La substitution, en dernier lieu, des dispositions du droit des procédures collectives aux règles contractuelles, nous permettra d’enrichir l’analyse du processus de négociation. Nous pourrons de cette façon mieux appréhender les dérèglements provoqués par le droit des procédures collectives sur le comportement des parties, que ce soit en amont de l’ouverture d’une procédure collective ou lorsqu’il en est fait application par le tribunal de commerce.

9 Nous proposant, en définitive, de faire subir au droit français des procédures collectives un « test de compatibilité » par rapport aux objectifs économiques et sociaux que les législateurs lui ont assignés, nous procèderons selon l’ordre suivant :

10 Nous décrivons une négociation amiable entre associés et créanciers dans un cadre très simplifié, en l’absence d’interférence des règles de la procédure collective, et où (i) les créanciers financiers participent tous activement à la négociation, (ii) les intérêts du dirigeant sont strictement alignés sur ceux des associés, (iii) les parties sont dans une situation d’information complète, (iv) il n’y a pas d’incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société et (v) la société n’a pas de problème de liquidité à court terme (Partie I).

11 Nous tenterons, à partir de ce cadre, de mettre en évidence les principaux enjeux de la négociation (Partie II).

12 Bien que conscients des limites de la résolution de la négociation dans ce cadre simplifié, nous pensons, qu’en utilisant au départ ce cadre d’analyse, il sera plus aisé de faire ressortir ensuite les déterminants du consentement des parties à conclure un accord dans une situation plus complexe, dans lequel il existe une incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société, une asymétrie d’information entre les parties, une absence de coordination des créanciers, etc. (Partie III).

13 En procédant ainsi, nous pourrons, en substituant les règles françaises de procédure collective aux règles contractuelles, mettre en lumière les effets de la procédure collective sur le déroulement des négociations amiables préalables (Partie IV).

Page 6: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  6  

I.  Présentation  du  cadre  simplifié  de  négociation  

14 Nous présentons, dans cette première partie, un cadre de négociation volontairement simplifié, où nous prenons pour hypothèse un certain nombre d’éléments relatifs à la situation d’une société opérationnellement viable, mais insolvable, ainsi qu’aux conditions dans lesquelles ses associés et ses créanciers vont négocier à l’amiable la restructuration de sa dette, étant entendu que l’échec de la négociation ne peut pas donner lieu à l’ouverture d’une procédure collective.

1. Les acteurs de la négociation

La société - les associés

15 La société est une société de capitaux constituée par plusieurs investisseurs avertis. Les titres émis par la société ne sont pas négociés sur un marché réglementé.

16 La valeur de la société repose principalement sur le regroupement de ses actifs et de son capital humain, de sorte que sa valeur d’entreprise est toujours plus élevée que la valeur de ses actifs pris séparément8. L’activité de la société est viable ; elle doit cependant être restructurée. En somme, la société doit, à moyen terme, trouver de nouveaux financements, ses résultats et ses prévisions opérationnelles n’étant pas conformes au plan d’affaire initial (business plan) vendu aux créanciers financiers.

17 Les intérêts du dirigeant sont, pour les besoins de notre analyse, assimilés à ceux des associés9. Ainsi, nous supposons que la société est dirigée par ses associés10.

Les créanciers

18 La société a conclu un contrat de prêt avec un établissement de crédit arrangeur qui a ensuite syndiqué le prêt entre plusieurs créanciers. Nous supposons que la documentation contractuelle leur interdit de céder leurs créances à un tiers. Cette même documentation assure un traitement égal à tous les créanciers (absence de subordination) et prévoit que

                                                                                                                         8  Dans le cas contraire, la rationalité économique devrait pousser à la liquidation immédiate de la société et la vente de ses actifs de manière séparée.  

9 Nous adoptons volontairement une vision très contractuelle de la société et écartons ainsi l’enjeu des règles de gouvernement d’entreprise consistant à s’interroger sur le fait de savoir si la société est constituée dans l’intérêt des associés (« l’approche contractuelle ») ou si, en réalité, la société est établie dans l’intérêt des parties prenantes en général (« l’approche institutionnelle »).

10  Nous supposons que le dirigeant défend les intérêts des associés de la société.  

Page 7: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  7  

chaque créancier s’engage à reverser aux autres créanciers syndiqués, au prorata de leur exposition, toute somme perçue.

19 Les créanciers acceptent de parler d’une seule voix, par l’intermédiaire d’un comité de pilotage. Même si toute modification des conditions de remboursement initialement prévues nécessite un accord à l’unanimité des créanciers, nous présupposons que les créanciers arriveront à adopter une position commune. Nous excluons donc les problèmes de coordination entre créanciers, notamment le risque de « course aux actifs » d’un créancier (le premier servi n’en retirerait aucun avantage) et celui de « passager-clandestin11 ».

20 Il est entendu que les créanciers fournisseurs ne participent pas à la négociation qui oppose les associés et les créanciers financiers. Ces derniers considèrent que les droits des fournisseurs ne doivent pas être affectés afin de préserver la valeur d’entreprise de la société et le maintien de ses relations avec ses fournisseurs12.

2. Les contrats passés par la société

21 Nous nous intéressons ici aux deux principaux contrats qui ont permis à la société d’obtenir les ressources dont elle avait besoin pour financer son activité : le contrat social conclu avec les associés et le contrat de prêt conclu avec les créanciers financiers.

Le contrat social

22 Le contrat social est le contrat qui a été conclu au moment de la constitution de la société par les associés fondateurs et auquel de nouveaux associés ont adhéré par souscription d’actions nouvelles ou par acquisition d’actions précédemment émises. Les associés, bénéficiant du droit de vote aux assemblées, nomment le dirigeant et contrôlent le capital de la société (les droits de vote).

23 Fondement de leur engagement à adhérer au contrat social, les associés ne supportent les pertes qu’à concurrence de leurs apports dans la société (principe de responsabilité limitée aux apports). Ainsi, dans le cas où la société ne serait pas en mesure de faire face à ses engagements vis-à-vis de ses créanciers, le patrimoine propre des associés reste hors de portée des créanciers et il n’existe aucune obligation à la charge des associés de remettre de

                                                                                                                         11 Cf. §2. V. pour une description de ces deux phénomènes : S.C. Gilson, J. Kose and L.H.P. Lang, (1990), « Troubled debt restructurings: an empirical study of private reorganization of firms in default », Journal of Financial Economics, 27, p. 315-353. Nous verrons ultérieurement qu’il peut exister d’autres sources de désaccord entre les créanciers financiers cf. 119.

12 En raison, par exemple, d’un marché étroit où les différents fournisseurs ne sont pas substituables entre eux. Il est dès lors important pour les créanciers financiers de préserver le sort des fournisseurs puisqu’ils sont indispensables à la poursuite de l’activité de la société.

Page 8: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  8  

l’argent dans la société13. De même, le patrimoine de la société est hors de portée des créanciers des associés (principe de personnalité juridique).

24 Les associés ont droit chaque année au bénéfice distribuable et, en cas de dissolution de la société, après règlement de tous les créanciers, au boni de liquidation (les droits financiers). L’ordre des paiements les subordonnant au remboursement de tous les autres créanciers, ils sont titulaires des créances qui donnent droit au profit résiduel généré par la société. En contrepartie, ce sont les premiers à absorber les pertes.

Le contrat de prêt

25 Le contrat de prêt a été conclu en cours de vie sociale et prévoit de manière assez classique le remboursement de la dette à certaines échéances contractuellement convenues. Les créanciers reçoivent un rendement maximal fixé à l’avance et cherchent, en fonction de leur sensibilité au risque, à se protéger contre un risque de mauvaise fortune au travers de certaines garanties. Dans notre analyse, ils sont titulaires de plusieurs sûretés réelles grevant des actifs mobiliers et immobiliers de la société. La valeur de ces actifs, pris individuellement, n’étant pas suffisante pour rembourser la totalité de l’emprunt, les créanciers subissent un risque de perte.

26 Par ailleurs, le contrat de prêt prévoit un certain nombre d’obligations à la charge de la société destinées à informer les créanciers de l’évolution de la situation financière de la société et à leur conférer un certain confort sur le fait que le dirigeant et les associés feront le maximum pour respecter les termes du contrat de prêt, compte tenu, notamment, du droit d’accélérer et de forcer le remboursement en cas de non-respect de ces obligations (les covenants).

3. Interaction du contrat social et du contrat de prêt

Le propriétaire résiduel

27 En leur qualité de propriétaire des actions émises par la société, les associés ont droit à l’entier profit résiduel généré par la société. La théorie économique les définit comme des propriétaires résiduels (« residual owner ») puisque leurs droits financiers ne se matérialisent qu’à partir de l’euro marginal généré par la société, après règlement de toutes les autres créances.

28 Bien que sujet d’une abondante littérature14, nous pouvons simplifier en admettant que le propriétaire résiduel est celui dont l’intérêt est le moins éloigné de celui de l’activité                                                                                                                          13 Les associés n’en retirent d’ailleurs aucun bénéfice, au-delà d’un certain seuil d’endettement, voir § 34.

14  Pour une description plus détaillée du concept de propriétaire résiduel v. A. Pietrancosta et S. Vermeille « Le droit des procédures collectives à l’épreuve de l’analyse économique du droit. Perspectives d’avenir ? » RTDF n° 2010 p 4 / Revue de jurisprudence commerciale, mars - avril 2010, n° 2, p. 104-147.  

Page 9: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  9  

de la société, raison pour laquelle la théorie économique préconise que la gouvernance de la société lui soit confiée.

29 Quand la société est solvable, l’associé étant celui qui a le plus à perdre ou à gagner (ses titres sont les plus risqués), il est celui qui valorise le plus les droits de vote sur la société (et le droit les lui attribue). Similairement, puisque l’associé dispose des droits de vote (et il est celui qui a le plus intérêt à prendre les meilleures décisions), il est celui qui valorise le plus les droits financiers (le droit les lui attribue aussi).

30 Les créanciers, eux, ont droit à des remboursements fixes à échéances convenues. Que l’activité soit juste rentable ou très lucrative leur est relativement indifférent, leur retour sur investissement étant à l’avance plafonné par le contrat de prêt. Ils n’ont, par conséquent, pas d’intérêt à contrôler l’activité de la société au moyen de droits de vote quand la société est solvable.

31 Cette situation se modifie lorsque la société connaît des difficultés et devient insolvable. Les qualités économiques attachées aux créances des prêteurs vont être substantiellement modifiées. D’un droit fixe à échéance convenue, ces créances (en pratique celles des plus subordonnés en premier) deviennent un droit résiduel à échéance incertaine et empruntent certaines des qualités des titres de capital (bien qu’ils ne disposent pas des droits de vote, du moins le droit ne les leur attribue pas). Parmi l’ensemble des créances sur la société, ce sont celles qui diminuent de l’euro marginal perdu et augmentent de l’euro marginal gagné. Économiquement leur remboursement devient, dans un premier temps, fonction de la capacité de l’entreprise à se redresser (la société peut redevenir solvable avec le temps) puis, à défaut, fonction de la valorisation de l’entreprise (lorsqu’il est acquis que la société ne peut pas redevenir solvable et que les créanciers auront à subir une perte).

Le conflit d’intérêts en zone d’insolvabilité

32 Lorsque la société devient insolvable, un conflit d’intérêts naît de la contrariété entre la réalité économique qui attribue aux créanciers la qualité de propriétaire résiduel et le droit positif selon lequel les associés continuent de diriger la société. Dans cette configuration, les titres de capital des associés ayant une valeur économique nulle, toute perte future sera supportée par les créanciers.

33 Les associés sont ainsi placés en situation de faire courir un risque à l’entreprise dont ils n’auraient plus à supporter les conséquences. Par exemple, toute décision qui accroîtrait le risque de l’activité (c’est-à-dire qui augmenterait le profit en cas de succès et le diminuerait en cas d’échec) serait prise au bénéfice des associés (qui n’ont plus rien à perdre) mais au détriment des créanciers (car ce sont eux qui supportent désormais les pertes).

Page 10: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  10  

34 Plus précisément, il existe un certain nombre de décisions, dites opportunistes, qui lorsque la société est proche de l’insolvabilité, vont s’opérer au détriment des seuls créanciers. Les plus significatives sont :

- les décisions ayant pour effet de diminuer les droits des créanciers initiaux sur les actifs de la société : à titre d’exemple, le financement des pertes par souscription d’un nouvel emprunt dans l’espoir d’un retournement de situation, les transferts d’actifs de la société dans des sociétés communes (joint venture) établies dans le cadre de partenariats industriels, le cas extrême du versement de dividendes aux associés, etc. ;

- l’incitation pour les associés à envisager un projet plus risqué ou entreprendre de nouvelles activités plutôt que de continuer une activité profitable, mais modérément rentable, dans l’espoir d’un retour à meilleure fortune. Cette modification du ratio risque/rentabilité du projet d'investissement défavorise les créanciers car ceux-ci supportent en premier les pertes en cas d'échec du nouveau projet, alors que leur bénéfice en cas de réussite de ce même projet ne peut pas dépasser le montant des remboursements prévus initialement. A l'inverse, les associés profitent de tout l'accroissement de la valeur supérieur à la dette en cas de réussite du nouveau projet d'investissement sans que leur perte en cas d'échec ne soit en contrepartie plus élevée. Sauf à modifier les termes du contrat de prêt qui lie les deux parties, les créanciers seront pénalisés par ce comportement des associés ;

- l’incitation pour les associés à refuser des offres d’achats d’actifs qui pourraient réduire l’endettement de l’entreprise (voire même à accepter des offres d’achat pour la totalité de la société), dans l’espoir de vendre plus cher dans le futur ;

Impact pour la société : les coûts de détresse financière

35 Outre le fait que la situation d’insolvabilité de la société peut générer des comportements qui opèrent un transfert de richesse des créanciers au profit des associés, son principal effet néfaste est de fragiliser l’entreprise et de la rendre moins compétitive. Ainsi, de manière générale, cette situation d’insolvabilité :

- détourne l’attention des dirigeants et des salariés de l’activité opérationnelle pendant la durée des négociations avec leurs créanciers ;

- incite au départ des employés les plus performants et rend plus difficile le recrutement de nouveaux employés ;

- empêche le financement de projets créateurs de valeur ;

- aggrave les effets de chocs externes (par exemple, les effets des grèves des transports publics, des catastrophes naturelles, de soulèvements politiques à l’étranger où la société exerce une activité, etc.) ;

Page 11: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  11  

- nuit au maintien de bonnes relations avec les tiers, à commencer par les fournisseurs et les clients de la société ;

- encourage l’entrée de nouveaux concurrents et/ou exacerbe la concurrence existante (par exemple, par l’effet d’une baisse généralisée des prix des concurrents dans un secteur d’activité en difficulté) ;

- restreint tout renforcement des capitaux propres de la société, tout euro supplémentaire apporté ayant pour seul effet d’enrichir les créanciers, phénomène dit de « debt over-hang15 » ;

- peut conduire la société à se séparer d’actifs essentiels à son activité ;

- réduit ou élimine l’accès de la société aux instruments dérivés de couverture, faute de pouvoir trouver une contrepartie qui accepte son risque de crédit (la société est dès lors moins à même de se protéger contre un certain nombre de risques financiers, par exemple, augmentation des taux d’intérêt, des cours de change, des prix de matières premières, etc.).

36 Pour en revenir à la société de notre modèle, nous prendrons pour hypothèse que sa situation d’insolvabilité occasionne des coûts de détresse financière significatifs.

3. Le rôle des clauses de garde-fou (covenants)

37 Pour éviter de subir les conséquences d’éventuels comportements opportunistes des associés, les créanciers ont prévu au contrat de prêt un certain nombre de covenants. On distingue généralement les covenants positifs (obligation de faire : s’assurer, se conformer aux lois et règlements, etc.), négatifs (ne pas faire : s’endetter, distribuer des dividendes, céder un actif, etc.), d’information (reporting) et financiers (ratio dette/résultat, etc.).

38 Il nous apparaît utile de revenir brièvement sur leur rôle.

Gouvernance

39 D’un point de vue économique, la justification de ces obligations prévues au contrat de prêt et qui permettent, en cas de non-respect, d’accélérer et de forcer le remboursement de

                                                                                                                         15 L’expérience enseigne en effet que si le niveau d’endettement de la société est trop élevé, les associés refusent le plus souvent de remettre de l’argent frais dans la société, sous forme d’apport en capital, quand bien même cet argent servirait à financer des projets rentables. Ils rechignent car ils savent qu’une partie servira à régler prioritairement les créanciers sociaux. L’augmentation de capital social va en effet opérer un transfert de richesse au profit des créanciers, selon un phénomène de « debt-overhang », décrit par l’économiste S. Myers. V. S. Myers, “Determinants of Corporate Borrowing”, Journal of Financial Economics, 5, 147-75 1977. Ceci explique que lorsque les associés ont la capacité de remettre de l’argent dans la société, les créanciers puissent être prêts à leur concéder des conditions très favorables, en termes par exemple de séniorité et de marge (élevée).

Page 12: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  12  

la dette, vient du conflit d’intérêts fondamental entre associés et créanciers évoqué ci-dessus16. Elles empêchent le développement de comportements opportunistes destructeurs de valeur pour l’entreprise, résultant d’un désalignement d’intérêts entre associés et créanciers17.

Renégociation

40 Outre cet objectif de bonne gouvernance, les covenants jouent un rôle de clause de rendez-vous, destiné à obliger les parties, à certaines étapes de la vie de l’entreprise, à se rencontrer et à négocier. Il serait impossible de vouloir envisager, dès la conclusion du contrat, l’ensemble des conséquences attachées au bris de tel ou tel covenant. Il serait par ailleurs de mauvaise gouvernance de vouloir les appliquer strictement, compte tenu de leurs effets potentiellement négatifs pour l’entreprise18. Au gré des circonstances, ils servent donc avant tout à permettre de renégocier les termes du contrat.

Effet du bris de covenant

41 Préalablement à la négociation qui nous intéresse, la société va être amenée à ne pas respecter un ratio, ce qui autorise les créanciers à demander l’exigibilité anticipée de la dette. De prime abord, les créanciers n’auraient pas intérêt à provoquer l’accélération des remboursements puisque dans ce scénario, les associés seraient fortement incités à saisir le juge, ce qui affecterait grandement la valeur de la société19.

42 Par ailleurs, il convient de rappeler que dans notre cadre de négociation :                                                                                                                          16 V. également K. M. Schmidt, Ludwig Maximilians « The Economics of Covenants as a Means of Efficient Creditor Protection » European Business Organization Law Review (EBOR), Vol. 7, 2006 University of Munich.

17 La tentation de les assimiler à une forme d’immixtion dans la gestion de l’entreprise de la part des créanciers doit ainsi tenir compte de leur effet positif ou négatif pour l’entreprise, compte tenu de leur intérêt pour le maintien d’une gouvernance saine de la société.

18 V. Klaus M. Schmidt, Ludwig Maximilians Ibid. Les covenants ne sont jamais parfaits, en ce sens qu’il n’est pas possible de trouver le parfait équilibre entre la préservation des intérêts des créanciers à travers les covenants et la nécessité de laisser à la société la liberté de pouvoir se développer sans être freinée par ses créanciers qui ne sont intéressés que par la perspective d’être remboursés du montant fixe qui leur est dû. Dans un monde incertain, il est impossible d’écrire un contrat parfait dès l’origine qui puisse ainsi dicter le comportement de l’emprunteur dans tous les scénarios imaginables. Ainsi, le même covenant qui a pour effet d’éviter à l’emprunteur d’adopter une attitude opportuniste peut également avoir pour effet de l’empêcher de saisir une opportunité qui serait favorable à la fois à l’emprunteur et aux créanciers. C’est pour cette raison qu’il est important de pouvoir renégocier les covenants. Par ailleurs, des covenants trop serrés peuvent donner plus de poids aux « passagers clandestins » puisqu’ils constituent autant d’opportunités de bloquer un processus de négociation.

19 Nous partons de l’hypothèse que l’intervention du juge affecterait les relations de la société avec ses fournisseurs et ses clients, cf. § 63.

Page 13: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  13  

- les créanciers financiers sont liés à la société par un prêt syndiqué : la société doit faire face à l’ensemble de ses créanciers financiers, titulaires de créances représentatives de l’ensemble de la dette financière ;

- la valeur d’entreprise reposant essentiellement sur le regroupement des actifs qui la constituent et son capital humain, il n’est pas intéressant pour les créanciers de saisir les actifs séparément : il est pour eux plus intéressant de préserver au mieux la valeur d’entreprise de la société20.

43 Dans un tel scénario, il est tentant pour les associés d’obliger les créanciers à attendre que certaines décisions produisent leurs effets : tout délai dans la détermination de la valeur joue mécaniquement en faveur des associés qui n’ont économiquement plus beaucoup à perdre. La réaction naturelle des associés est ainsi, en quelque sorte, guidée par un attentisme stratégique, destiné à proroger autant que possible cette situation inconfortable.

44 Les créanciers aussi peuvent avoir tendance à proroger cette situation alors qu’une intervention anticipée à titre préventif serait préférable. Afin de permettre aux créanciers de s’informer sur la situation financière exacte de la société, puis d’ouvrir des discussions, les parties conviennent de signer un pacte de non agression -standstill agreement- les créanciers s’interdisant de demander le remboursement anticipé de la dette durant cette période.

Ouverture des discussions

45 La société étant sujette à une perte de valeur du fait de cette situation de détresse financière, les créanciers vont être amenés à ouvrir une discussion sur la situation financière de la société, ses perspectives d’amélioration, son plan d’affaires, le dimensionnement adéquat de la dette, etc.

46 Le bris de covenant est arrivé suffisamment en amont de sorte que les créanciers savent que la société, bien que probablement surendettée, n’a pas pour autant de problème de liquidité dans l’immédiat.

4. Valorisation de la société et cadre d’information complète

47 L’information nécessaire pour déterminer la solvabilité de la société inclut un certain nombre d’informations, qui en temps normal, ne sont pas considérées nécessaires du point de vue des créanciers. Ceux-ci s’intéressent normalement à la capacité de la société à rembourser sa dette et aux conditions auxquelles ils sont disposés à prêter. La situation est

                                                                                                                         20 Il existe, certes, des situations dans lesquelles les actifs sous-jacents pris en garantie par les créanciers privilégiés ont une valeur supérieure à celle de leurs créances. Dès lors, la possibilité de pouvoir exercer sans contrainte leurs sûretés peut avoir un effet pervers et induire des comportements abusifs et destructeurs de valeur. Nous supposons que ceci n’est pas le cas dans notre cadre de négociation simplifié.

Page 14: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  14  

différente dès lors que les créanciers ont un doute sur la solvabilité de la société21, auquel cas ces derniers vont devoir rapidement conduire une analyse beaucoup plus détaillée.

48 La société mandate donc un conseil externe pour mener une évaluation indépendante de la société (Independant Business Review, ci-après désignée « IBR »). Une telle évaluation permettra, au regard d’un plan d’affaires élaboré par le management, d’apprécier le montant de la dette que la société est capable de supporter22, la possibilité d’un aménagement des conditions de financement ou la nécessité d’un changement de structure de capital.

49 Dans notre analyse, les résultats de l’évaluation de la société font ressortir la situation d’insolvabilité de la société. Cette réalité financière se traduit de la manière suivante :

V < D

• où « V » est la valeur d’entreprise de la société selon une méthode d’actualisation des flux futurs (Discounted Cash Flow ou DCF23), abstraction faite des coûts de détresse financière auxquels la société s’exposerait si sa structure de capital n’était pas modifiée ;

• où « D » est la somme totale que la société doit à ses créanciers financiers en cas d’exigibilité immédiate de la dette.

50 Nous raisonnons pour le moment dans un cadre d’information complète, c'est-à-dire en l’absence d’asymétrie d’information. Une fois les résultats de l’IBR rendus, les créanciers financiers ont le même niveau d’information que les associés, ils valorisent la société de la même manière.

                                                                                                                         21 Les associés cherchent un certain niveau de rentabilité alors que les créanciers attendent un retour sur investissement dont le montant est fixé à l’avance. Dans une société in bonis, les associés, contrairement aux créanciers, ont besoin d’informations détaillées sur les performances de la société, les créanciers se contentent d’informations qui leur permettent de s’assurer que la société est suffisamment solvable pour rembourser le montant du prêt et les intérêts quand ils arrivent à échéance. La situation change lorsque la société devient insolvable.

22 La valeur d’entreprise étant égale à la valeur de sa dette nette augmentée de la valeur de ses capitaux propres, le dimensionnement de la dette et la valorisation de l’entreprise permettront donc d’apprécier le montant de capitaux propres que la société devrait détenir à l’issue d’une éventuelle modification de la structure du capital. Cf. § 86.

23  Comme nous partons de l’hypothèse que la société reste rentable, la valeur de la société (V) a été déterminée sur la base des perspectives futures de trésorerie disponibles de la société qui sont supérieures à sa valeur liquidative.

Page 15: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  15  

51 Par ailleurs, il n’y a absolument aucune incertitude sur le fait que, quelque soit la méthode de valorisation employée, V < D et qu’en conséquence, la valeur des actions détenues par les associés est égale à zéro.

52 Ces deux hypothèses peuvent paraître extrêmes au sens où il existe toujours, en réalité, un certain degré d’asymétrie d’information entre les parties et une incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société. Notre démarche consiste justement à poser ces deux hypothèses afin de proposer un standard qui permettra de mieux comprendre ensuite l’effet sur le déroulement de la négociation de la présence d’asymétries d’information et d’une incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société.

53 En attendant, dans notre scénario simplifié, comme V < D, les créanciers sont les nouveaux propriétaires résiduels de la société à la place des associés, chaque euro marginal généré ou perdu affecte exclusivement leur patrimoine. Il convient à ce moment de distinguer deux phases des négociations.

54 Dans une première phase, les créanciers vont considérer que, compte tenu des résultats de l’évaluation indépendante, un simple rééchelonnement de la dette ne s’avère pas suffisant. La société ne serait pas en mesure de pouvoir acquitter le surcoût reflétant l’augmentation du risque supporté par les créanciers par l’effet du rééchelonnement de la dette. Un changement de la structure du bilan de la société est alors nécessaire pour redimensionner la dette à un montant raisonnable compte tenu des perspectives de trésorerie de la société.

55 Selon les règles contractuelles énoncées ci-dessus, les associés sont invités, les premiers, à absorber les pertes de la société et ce même si formellement il n’y a pas déchéance du terme de la dette24.

56 Pour les associés, l’alternative est la suivante : remettre de l’argent (new money) dans la société ou accepter de se faire diluer25. Il est supposé qu’ils ne sont pas disposés à réaliser un nouvel apport en capital parce qu’ils considèrent que, compte tenu du niveau d’endettement et des perspectives futures, ce serait réaliser un transfert de richesse au profit des seuls créanciers. Au-delà d’un certain seuil, en effet, chaque euro investi dans la société va servir à rembourser les créanciers26. Il ne devient intéressant pour les associés (ou pour un tiers) d’injecter du capital dans la société que lorsque pour un euro investi, il existe une

                                                                                                                         24 Comme on le voit ici, c’est tout l’intérêt du covenant, en cas de bris, d’obliger les associés à absorber les pertes sans que l’exigibilité soit pour autant prononcée, bien en amont de la cessation des paiements, qui correspondrait dans le cas présent, à la date à laquelle le prêt arrive à maturité.

25  Nous revenons ultérieurement sur ce point dans l’exemple annexé à cette étude.  26 Cf. § 35.

Page 16: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  16  

chance de récupérer un retour supérieur ou égal au seuil minimum de rentabilité qu’ils se sont fixés.

57 Il est en outre rappelé que les actifs de la société sont tous nécessaires à son activité, si bien qu’une cession d’actifs isolés n’est pas une option intéressante. Nous supposons également, dans le cas présent, qu’un adossement à une entreprise concurrente intéressée par la reprise de l’activité n’est pas envisageable. Dans le contexte macroéconomique général, ses concurrents sont également en difficultés.

58 En raison, d’une part, de la non-viabilité de la solution consistant à simplement rééchelonner la dette et, d’autre part, de l’absence d’intérêt des associés à réinvestir dans la société, s’ouvre une seconde phase de négociation qui va porter sur le transfert des droits des associés.

59 Cette seconde phase se déroule un peu comme si les parties se trouvaient prêtes à investir dans une nouvelle société, l’objectif étant de s’accorder sur le montant de la dilution que devront subir les associés, ces derniers pouvant être invités à transférer la totalité du capital aux créanciers.

60 En cas d’échec des négociations, les créanciers pourront saisir le juge.

5. Le recours au juge

61 Comprendre comment les associés et les créanciers vont arriver à s’entendre à l’amiable nécessite de tenir compte des conditions dans lesquelles les parties peuvent recourir au juge et le rôle joué par ce dernier.

62 Nous rappelons que nous raisonnons dans un environnement où il n’existe pas de droit des procédures collectives. Le juge a le rôle d’arbitre des contestations entre deux parties. Il n’intervient que dans le prolongement du contrat et dans les conditions souhaitées initialement convenues27. Durant toute la durée du standstill agreement, les créanciers acceptent de ne pas prononcer la déchéance du terme.

63 Nous supposons qu’en cas d’échec des négociations, le juge tranchera les contestations dans un délai que les parties peuvent prévoir. Nous supposons également que le recours au juge étant une information publique, la réaction des fournisseurs et des clients de la société se matérialiseraient par une suppression du crédit fournisseur, une réduction du nombre de commandes, etc., ce qui aurait pour effet d’accélérer la dépréciation de la valeur

                                                                                                                         27 Nous supposons néanmoins, à cet égard, que le recours au juge est ouvert à la société (et donc aux associés) à partir du moment où ces derniers sont en mesure de faire valoir des difficultés avérées. Les créanciers doivent quant à eux détenir un titre de créance exigible.

Page 17: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  17  

d’entreprise. Le recours au juge doit être compris comme entraînant donc un surcoût par rapport à la négociation privée28.

64 De manière générale, compte tenu de l’approche contractuelle que nous suivons (l’étendue des droits des parties découle de la seule application des accords initiaux), les parties auraient intérêt à faire intervenir un juge pour trois raisons :

- obliger le dirigeant à fournir aux créanciers toute l’information nécessaire pour réduire l’asymétrie d’information existant entre les parties ; dans le cas présent, nous supposons que l’IBR a permis de réduire complètement l’asymétrie d’information existant entre les associés et les créanciers, le juge ne sera donc pas utilisé pour ce besoin précis, mais nous reviendrons sur ce point ultérieurement29 ;

- faire trancher par le juge une contestation sur la valorisation de l’entreprise et l’existence d’un état d’insolvabilité ; dans le cas présent, même si les parties disposent de la même information, les associés pourraient présenter une version déformée au juge, afin de conserver des droits sur la société. Nous allons dans un premier temps exclure cette hypothèse. En cas d’échec des négociations, notre juge ne peut pas commettre d’erreur sur l’état d’insolvabilité de la société. A nouveau, cette hypothèse peut paraître extrêmement forte au sens où le juge possède un niveau d’information forcément plus limité que les parties en présence30 ;

- forcer les associés, compte tenu de la valeur d’entreprise retenue, à absorber les pertes qui leur reviennent ; dans le cas présent, nous considérons que le juge appliquera strictement l’ordre de priorité d’absorption des pertes, autrement dit, le juge a le pouvoir d’exclure complètement les associés de la société à partir du moment où il est acquis que V < D et de remettre l’ensemble des titres de capital de la société aux créanciers.

65 L’environnement que nous avons choisi pour cadre de négociation ainsi présenté, nous nous intéressons maintenant au déroulement de la négociation qui s’engage entre les associés et les créanciers financiers de la société.

                                                                                                                         28 La société subirait également des frais de conseil. Il est en effet d’usage que les frais de conseils juridiques et financiers supportés par les créanciers soient directement pris en charge par la société. Nous revenons sur ce point ultérieurement, cf. § 89.

29 Cf. § 138.

30 Nous reviendrons sur ce point ultérieurement cf. § 100.

Page 18: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  18  

II.  Approche  économique  de  la  résolution  de  la  négociation    dans  un  cadre  de  négociation  simplifié  

66 Dans cette deuxième partie, nous tentons de mettre en évidence les enjeux de la négociation réalisée dans l’ombre de l’intervention d’un juge, en nous appuyant sur les apports de l’analyse économique, en particulier en matière de résolution des litiges.

1. Une négociation amiable entre deux parties dans l’ombre de l’intervention du juge

67 Si nous résumons rapidement la situation à ce stade, à la fin du standstill agreement, (i) les créanciers peuvent prononcer la déchéance du terme du prêt (en raison du bris de covenant), et (ii) si les créanciers décidaient de recourir au juge, celui-ci serait habilité à exclure les associés, dans la mesure où V < D31.

68 Au départ de la négociation, les associés n’étant toutefois pas disposés à se retirer de la société, un litige naît entre les deux parties.

69 Nous avons pris pour hypothèse que le recours à un juge entraîne un coût important pour la société du fait de la réaction de ses fournisseurs et de ses clients et que ce coût est indirectement supporté par les créanciers, en leur qualité de propriétaires résiduels.

70 L’intervention du juge représente également un coût pour les associés (i) qui perdraient le contrôle de la société et (ii) qui verraient leur réputation d’investisseurs endommagée. Les associés sont en effet désireux, à l’avenir, de pouvoir obtenir le soutien de leurs créanciers financiers sur d’autres projets.

71 Un règlement amiable du litige est alors préférable à son règlement contentieux si la première solution est moins coûteuse que la seconde, ce que nous supposons être le cas dans notre exemple. La différence de coût entre les deux modes de résolution des litiges est le « surplus de négociation ». Ce terme traduit l’idée que les deux parties, en s’accordant sur une solution amiable, font l’économie d’un procès.

72 Il faut également prendre en compte le fait que la phase de négociation entraîne un coût pour les créanciers lié au prolongement de la situation de détresse financière dans laquelle se trouve la société. On suppose que l’intervention du juge mettrait fin à cette

                                                                                                                         31  Précisons que cette faculté du juge tient à l’approche contractuelle que nous suivons et non à l’existence de sûretés réelles, lesquelles ne doivent être ici comprises que comme conférant à leurs titulaires des droits de priorité sur les actifs de la société.  

Page 19: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  19  

situation du fait de la nouvelle structure de capital qu’il serait en mesure d’imposer en forçant les associés à absorber les pertes.

Page 20: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  20  

2. Raisonnement stratégique : décisions par induction à rebours (backward induction)

73 Il s’agit de comprendre les raisons pour lesquelles, dans ce cadre de négociation simplifié, les parties ont tous les éléments pour appréhender, dès la publication des résultats de l’IBR, l’issue de la négociation.

74 Pour cela, les parties doivent se projeter à la fin de la période de négociation amiable, évaluer leur coût-bénéfice lié à l’intervention du juge, puis remonter à rebours jusqu’à la situation de départ, au moment de l’entrée en négociation. Les créanciers pourront de cette manière connaître par anticipation (i) leur intérêt à négocier à l’amiable et (ii) le niveau de dilution de la participation des associés par l’effet de la conversion de la dette en capital (autrement dit, les conditions du transfert du contrôle de la société aux créanciers).

75 Deux conditions doivent cependant être remplies pour que les parties puissent prendre ce que les économistes appellent « des décisions par induction à rebours » :

- il doit exister pour chaque partie un intérêt à poursuivre la négociation d’une étape à l’autre ; à défaut les parties ne sont pas crédibles pour négocier et le processus de négociation s’arrête de fait ; nous considérons pour l’instant cette première condition comme acquise32 ; et

- les créanciers ont, à l’issue de la période de négociation amiable, intérêt à recourir au juge, faute d’accord amiable. Cette condition est satisfaite au cas présent. Les créanciers ont anticipé, qu’en cas de prolongation du standstill agrement, le coût de la négociation dépasserait le coût lié à l’intervention du juge en raison d’une aggravation significative des coûts de détresse financière33 subis par la société34. Sans changement de structure du capital, cette dernière serait en effet dans l’impossibilité

                                                                                                                         32 Cette condition est satisfaite si aucun événement ne vient perturber l’analyse que nous avons faite précédemment du coût-bénéfice de chaque partie à négocier à l’amiable. V. L. Bebchuck, “A new theory concerning the credibility and success of threats to sue” Journal of Legal Studies, Vol. 25, p. 1-25, 1996, pour une discussion sur le lien entre la crédibilité de la menace d’un plaignant de recourir au juge et l’intérêt du défendeur à poursuivre la négociation portant sur le règlement du litige qui les oppose.

33 Cf. § 35.

34 Pour cette raison, faute d’information suffisante justifiant l’urgence d’un changement de structure du capital, la première réaction des créanciers, en cas de bris d’un covenant financier, est très souvent de reporter à plus tard toute décision sur la question. L’effort pour réduire le niveau d’asymétrie d’information des créanciers le plus en amont possible des négociations est donc, de ce point de vue, primordial. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement cf. § 112.

Page 21: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  21  

de trouver les investissements nécessaires pour rester compétitive au moment de la reprise anticipée de son secteur d’activité35.

76 En résumé, nous savons qu’en cas d’échec des négociations, les créanciers refuseront de renouveler le standstill agreement et prononceront formellement la déchéance du terme de la dette.

3. Les conditions de l’émergence d’une solution amiable

77 Pour bien comprendre comment les créanciers et les associés peuvent aboutir à une solution amiable satisfaisante pour les deux parties, ils convient d’identifier, dans un premier temps, les facteurs qui entrent en ligne de compte dans ce cadre de négociation simplifié (3.1) et de mesurer les effets produits quand ces facteurs varient en intensité (3.2).

78 Nous rappelons que, par hypothèse, la négociation a lieu à un moment en amont où les deux parties reconnaissent que la société est devenue insolvable (et qu’ainsi la dette doit être restructurée) sans qu’il n’y ait pour l’instant un besoin pressant d’obtenir de nouvelles liquidités.

3.1. Les facteurs entrant dans la détermination de la solution amiable

79 Les créanciers veulent, au cas présent, changer la structure du capital de la société pour mettre fin aux coûts de détresse financière qu’ils supportent indirectement à travers la société et récupérer le contrôle de la société. L’objectif est ainsi de mettre en conformité leurs droits avec la nouvelle réalité économique de la société (faute d’une solution alternative comme la cession à un tiers de l’activité de la société36).

Le transfert du contrôle de la société

80 Obtenir le contrôle politique de la société doit permettre aux créanciers de se doter d’un mécanisme de contrôle de la société suffisamment protecteur de leurs droits en tant que nouveaux associés (ceux-ci sont forcément différents de ceux des anciens associés) avec notamment la possibilité de pouvoir modifier le plan d’intéressement initial des dirigeants37 et de se réserver le contrôle d’une stratégie de sortie à court ou moyen terme, via une cession                                                                                                                          35 Si la société avait été menacée d’une crise de liquidité à court terme, les créanciers auraient été d’autant plus incités à accélérer le processus de restructuration de la dette en raison de la chute brutale de la valeur de l’activité qu’une crise de liquidité provoquerait. Nous verrons, au cours de la dernière partie, les raisons pour lesquelles, la survenance anticipée d’une crise de liquidité est la condition essentielle au changement de structure de capital des sociétés insolvable en France, en l’état du droit des procédures collective, cf. § 148.

36  Cf.  §  57.    37 Il sera utile pour les créanciers de modifier le plan afin de s’assurer que l’intérêt des dirigeants est bien aligné sur celui des nouveaux associés, compte tenu du changement de structure de capital opéré.

Page 22: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  22  

de la totalité du capital de la société (c’est souvent le seul moyen pour les créanciers de récupérer leur investissement dans une société non cotée).

81 Dans notre hypothèse où V < D38, la valeur des droits financiers des associés sur la société est nulle. En revanche, il faut considérer que les droits de vote représentent une valeur pour les créanciers, correspondant au prix que les créanciers attachent au contrôle de la société, en leur qualité de propriétaire résiduel39. Ceci explique qu’il y ait bien un transfert de valeur qui s’opère entre créanciers et associés (objet de la négociation) étant entendu qu’en cas d’échec de cette négociation, les créanciers pourront obtenir du juge le contrôle de la société (via l’attribution de la totalité des titres).

L’avantage comparatif de la négociation amiable (surplus de négociation)

82 Comme évoqué, le pouvoir de négociation de chaque partie réside dans sa capacité à amener l’autre partie devant le juge. Le fait que le recours au juge soit coûteux pour les créanciers confère aux associés dans la négociation un pouvoir qu’ils vont mettre à profit pour tenter de conserver une participation au capital de la société. L’inverse est moins vrai pour les créanciers, même si le recours au juge occasionnerait un coût réputationnel pour les associés. Les parties vont donc négocier en fonction du surplus de négociation.

83 En l’espèce, le surplus de négociation du créancier est égal à la différence entre, d’une part, la valorisation de la société retenue par le juge (intégrant les effets sur les clients et les fournisseurs de la publicité liée à l’intervention du juge) disons « V2 » et, d’autre part, la valorisation de la société, disons « V1 », retenue par les deux parties à l’issue de l’IBR.

84 Dans notre cadre de négociation simplifié, les créanciers ont donc deux certitudes, en cas de recours au juge : (i) perdre un montant égal à la différence entre V1 et V2, et (ii) obtenir la totalité des droits de vote et financiers sur la société40.

85 Cette situation place les créanciers dans une position de négociation favorable, même si les coûts qu’ils supportent, liés à l’intervention du juge, sont significativement supérieurs                                                                                                                          38  Pour mémoire, nous partons de l’hypothèse qu’il n’existe aucune incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société. Nous relâcherons cette hypothèse ultérieurement.  

39  Ceci est cohérent avec l’idée, selon laquelle, lorsque la société est in bonis, ce sont les associés qui valorisent le plus les droits de vote ou les droits de contrôle exerçables au sein de la société : si ces droits étaient mis aux enchères, la rationalité économique voudrait qu’ils en soient les meilleurs enchérisseurs, parce qu’ils se trouvent placés juridiquement dans une situation de vulnérabilité particulière, en leur qualité de propriétaire résiduel. V. Williamson, 1984 et 1985, cité par R. Romano, « Corporate Law and Corporate Governance », Industrial and Corporate Changes, vol. 5, n° 3 (1996), Oxford University Press.  

40 Pour mémoire, nous avons également pris pour hypothèse que le juge ne peut pas faire d’erreur sur la valorisation de la société en cas de contestation, cf. § 64. La certitude que le juge ne peut pas faire d’erreur est très importante pour les créanciers.

Page 23: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  23  

(puisque associés à ceux de la société) aux coûts subis par les associés (qui n’ont, quant à eux, par hypothèse qu’un coût réputationnel).

La capacité d’endettement

86 Outre le surplus de négociation, un deuxième élément devrait participer à la compréhension du processus de règlement amiable entre associés et créanciers. En effet, au moment de déterminer la part du capital de la société qui doit leur revenir, les créanciers doivent aussi se prononcer sur le montant de réduction de dette qu’ils souhaitent accorder à la société. Or, ce montant de réduction de dette dépend prioritairement de la capacité d’endettement de la société, c’est-à-dire, du seuil d’endettement au-dessus duquel la société supporte des coûts de détresse financière41. Ainsi, plus la capacité d’endettement de la société est réduite, plus les créanciers exigeront de pouvoir réduire le montant de la dette en la convertissant en titres de capital42. Les associés, raisonnant de manière stratégique, savent que les créanciers ne devraient pas accepter une dilution de leur participation dans des proportions trop faibles.

87 En résumé, dans ce cadre de négociation simplifié, l’accord amiable est déterminable en fonction de la valeur que les créanciers attachent à la prise de contrôle de la société, du surplus de la négociation, de la durée des négociations43 et de la capacité d’endettement de la société44. L’hypothèse prise ici, selon laquelle il n’existe aucune incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société, exclut la valorisation de la société comme autre déterminant de l’accord amiable45.

                                                                                                                         41 La capacité d’endettement varie en fonction de l’activité de la société et de son levier opérationnel. Il est établi que les entreprises avec une proportion de frais fixes élevés ou qui opèrent dans un secteur cyclique ou dans la haute technologie supportent moins bien un levier financier élevé. A l’inverse, si l’activité future de la société est perçue comme stable, s’il est possible de restructurer en profondeur l’activité de la société pour diminuer ces coûts fixes, ou s’il est possible de céder des actifs non stratégiques, un niveau de levier financier plus élevé pourrait être envisagé. De manière générale, la capacité d’endettement est une notion subjective qui pourra nourrir de nombreuses discussions entre créanciers et associés. Pour cette raison, les parties peuvent avoir intérêt à nommer un conseiller financier indépendant pour encadrer les négociations. Dans le cas présent, nous considérons que les parties sont toutes les deux d’accord sur le niveau d’endettement le plus adéquat pour la société.

42 Contrairement au surplus de négociation, l’économie réalisée par les créanciers sur les coûts de détresse financière ne peut donc pas, par essence, être entièrement reversée aux associés.

43 On rappelle que la négociation en elle-même génère un coût de détresse financière.

44 Par ailleurs, plus les créanciers financiers arriveront à désendetter la société, plus ils réduiront la surcharge en capital réglementaire qui leur est imposée dans leur bilan, eu égard à l’augmentation du risque de crédit supporté.

45 Cf. § 99.

Page 24: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  24  

3.2 La modification des déterminants de l’offre amiable

Modification du coût d’intervention du juge

88 Une variation des coûts liés à l’intervention du juge modifiera en toute logique les déterminants de l’offre amiable.

89 A cet égard, les coûts indirects supportés par la société (et donc les créanciers financiers) varient en fonction de la nature de son activité. La perte de confiance des fournisseurs et des clients de la société, suite à l’annonce de l’intervention du juge, peut avoir des effets tout à fait variables sur la valeur d’entreprise de la société. Le coût est significatif si la société est un constructeur automobile, les conducteurs étant soucieux du sort de leur garantie constructeur (sauf si la société arrive à restaurer la confiance des futurs clients grâce à l’arrivée rapide d’un nouveau prêteur, comme celle du Trésor américain au cours de la restructuration de General Motors). Le coût est également élevé si la société fabrique des usines clé en main qui ne seraient livrées que trois ans après la commande. Ce coût est en revanche moindre si la société a pour activité l’édition et la vente de journaux (l’annonce de l’intervention du juge n’ayant pas d’effet sur les lecteurs, même si elle peut toutefois réduire les souscriptions aux abonnements annuels). Ce coût est même relativement faible pour les sociétés immobilières46, les locataires ne pouvant résilier leur bail pluriannuel.

90 Les coûts directs liés à l’intervention du juge peuvent également faire varier l’offre amiable (frais de justice, frais de conseil, etc.47). Par ailleurs, plus le juge rend sa décision rapidement, moins le coût sera élevé pour les créanciers (la situation de fragilité dans laquelle se trouve la société étant dès lors réduite).

91 Tout accroissement (diminution) des coûts directs et indirects liés à l’intervention du juge devrait inciter les créanciers, au cours de la phase de négociation amiable, à laisser un plus (moins) grand pourcentage de capital aux associés. On pourrait également imaginer que lorsque le coût d’intervention du juge est relativement faible, les créanciers soient, non seulement en mesure de réduire la période de négociation amiable (les créanciers étant davantage incités à recourir s’il le faut au juge), mais aussi, davantage en mesure d’imposer aux associés un plan de restructuration cohérent avec la capacité d’endettement de la société. A l’extrême, un contexte politique incertain, ou de corruption généralisée, peut rendre le recours du juge inenvisageable du point de vue des créanciers.

                                                                                                                         46  Ceci peut expliquer qu’en France la procédure collective ait pu être instrumentalisée, particulièrement dans le cadre d’opérations de financement structuré portant sur des biens immobiliers cf. § 160.  

47 A cet égard, si l’usage veut que la société supporte non seulement ses propres frais de conseil, mais également ceux des créanciers financiers, en définitive, ces derniers supportent l’ensemble des coûts à partir du moment où ils sont les propriétaires résiduels.

Page 25: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  25  

92 Du côté des associés, selon l’importance qu’ils accordent à leur réputation, ils seront plus ou moins disposés à négocier un certain niveau de dilution de leur participation. Ainsi, si les associés sont des fonds d’investissement français ayant emprunté auprès d’établissements bancaires français, ils seront davantage soucieux de préserver leur réputation, comme le feraient des fonds étrangers, vis-à-vis de leurs créanciers réguliers48.

Modification des coûts de détresse financière

93 Une variation des coûts liés à l’état d’insolvabilité de la société modifiera également l’offre amiable.

94 Une aggravation des coûts de détresse de la société devrait renforcer l’incitation des propriétaires résiduels à aboutir rapidement à un règlement amiable et à restructurer de manière plus importante la dette de la société, quitte à laisser aux associés une part du capital plus importante de la société.

95 Il est également probable que la divulgation au public de l’existence d’une négociation conduira les créanciers à provoquer plus rapidement l’intervention du juge, les clients et les fournisseurs de la société étant mis au courant des difficultés.

4. Conclusion

96 En résumé, il n’y a dans notre scénario simplifié d’une société insolvable mais opérationnellement viable, aucune raison que les parties n’aboutissent pas à un accord amiable.

97 Les déterminants de l’offre amiable, dans ce cadre de négociation simplifié, ainsi présentés, nous cherchons à aller plus loin en réintégrant certains éléments de complexité (Partie III). Nous pourrons ainsi mieux mettre en avant, dans la dernière partie, les effets du droit français des procédures collectives (Partie IV).

                                                                                                                         48  Il convient de noter qu’en l’absence de cessation des paiements, les associés ne subissent pas le coût lié au risque d’une action en insuffisance d’actifs (à supposer que cette règle existe dans notre cadre de négociation simplifié), cf. § 158.  

Page 26: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  26  

III.  Intégration  de  facteurs  de  complexité  dans  la  résolution    de  la  négociation  amiable  

98 Nous entendons analyser dans cette troisième partie les effets de certains paramètres plus complexes sur le cours et l’issue de la négociation amiable entre les créanciers financiers et les associés. Nous souhaiterions de cette manière déterminer les conditions dans lesquelles un accord à l’amiable sur la restructuration de la dette peut aboutir dans des circonstances plus proches de la réalité.  

1. Les conséquences sur l’offre amiable de l’incertitude sur l’état d’insolvabilité de la

société

L’existence d’une valeur d’option des titres des associés

99 La valorisation d’une société sur la base de prévisions de trésorerie disponible est un exercice par nature incertain. Faire des prévisions de flux de trésorerie implique d’avoir un avis subjectif sur le futur de l’activité à partir d’un nombre limité d’informations sur son passé et son futur49. Cela implique également de s’accorder sur le taux d’actualisation à appliquer à ces flux futurs de trésorerie.

100 Trancher les contestations sur la valorisation de la société nécessiterait, de la part du juge, du temps et une certaine expertise (il pourrait se faire aider au besoin de tiers). Le simple fait de solliciter le juge sur une question aussi délicate reporterait nécessairement la date à laquelle la société pourrait retrouver une structure du capital adaptée. Le juge pourrait même être induit en erreur par une des parties.

                                                                                                                         49 Les prévisions sont généralement établies sur la base de modèles financiers. Dans la méthode discounted cash flow ou DCF, la valeur de l'entreprise est égale à la somme de la valeur actualisée des flux de trésorerie disponibles après impôts sur un horizon de temps explicite et de la valeur terminale (ou finale) de l'entreprise retenue à la fin de cet horizon (en général six à sept ans). Une DCF peut être manipulée de plusieurs manières : en créant de toutes pièces des projections sur la base de suppositions non raisonnables, ou encore en manipulant la valeur terminale.

Page 27: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  27  

101 Supposons maintenant que la valeur de la société évolue au fil de la négociation et qu’à ce titre la valeur de la société puisse se déprécier ou surtout dépasser à terme le montant de la dette50.

102 En présence de cette incertitude, les associés sont incités à défendre une valeur résiduelle de leurs titres (« Vo »), dite d’option, associée à la possibilité d’un retournement des performances de la société.

Les effets de la prise en compte des difficultés à valoriser la société sur le montant des coûts

liés à l’intervention du juge

103 Alors que dans notre cadre de négociation simplifié, le transfert de valeur entre les associés et les créanciers résultait de la seule valeur que les créanciers attachaient au transfert du contrôle de la société (la valeur des droits financiers conférés par les actions étant nulle puisque V < D), désormais, l’exclusion immédiate et totale des associés a pour effet également de transférer aux créanciers cette valeur d’option Vo, dépendante de la volatilité de l’activité. Outre la perte du contrôle, les associés subissent ainsi non seulement un coût réputationnel, mais également un coût égal à Vo.

104 Les créanciers subissent, quant à eux, toujours un coût égal à la diminution de valeur de la société liée à l’intervention du juge soit (V1-V2

51). V2 doit cependant intégrer le coût associé au risque que le juge surestime la valeur de la société et empêche la prise de contrôle de la société par les créanciers.

105 Les associés feront alors valoir, au cours des négociations amiables, l’injustice de se faire exproprier, avançant l’existence de Vo, afin de réduire la dilution de leur participation. A cet égard, plus l’activité de la société est volatile, plus les associés seront enclins à défendre la valeur résiduelle de leur investissement, étant entendu que Vo est positivement corrélée à la volatilité de l’activité de la société.

106 Les créanciers, désirant maximiser la valeur de leur investissement en dette et en capital dans la société (une fois la conversion réalisée), chercheront à obtenir une dilution de la participation des associés aussi grande que possible. Plus ils y arriveront, plus ils réduiront corrélativement le seuil minimal, en termes de valeur d’entreprise, qui devra être atteint par la société, à un horizon de temps explicite (par exemple au moment de la cession de celle-ci) pour qu’ils puissent récupérer leur investissement et couvrir leur coût du capital (c'est-à-dire le rendement espéré, eu égard au risque pris en acceptant de convertir la dette en capital).                                                                                                                          50 V. pour une description du caractère aléatoire de la valeur d’une société en difficulté : L.A. Bebchuk and H.F. Chang (1992), «Bargaining and the division of value in corporate reorganizations », Journal of Law, Economics, & Organization, 8(2), p. 253–279.

51  Pour mémoire, V1 et V2 sont définis au § 83.  

Page 28: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  28  

107 On peut imaginer que plus l’incertitude sur les issues possibles du procès est grande, plus les créanciers seront réticents à faire appel au juge, et plus ils seront enclins à laisser aux associés des droits dans la société d’une valeur proche de la valeur résiduelle de leurs titres d’origine et ce, afin d’éviter un contentieux destructeur de valeur associé à la contestation d’une valorisation52.

108 Il est, pour ces raisons, probable que les parties, que nous supposons rationnelles, parviennent elles-mêmes à un accord sur le partage de la valeur, les créanciers étant incités à payer aux associés une juste valeur, s’ils veulent éviter le risque d’avoir à supporter les coûts d’un contentieux.

109 Dans la réalité, la forme des différents transferts de valeur (transfert de la valeur d’option ou transfert du contrôle de la société), peut prendre une forme plus complexe, grâce à la sophistication des instruments financiers disponibles, afin de coller aux exigences de chaque partie. Ainsi, bons de souscription d’actions (BSA), actions de préférence, dette subordonnée, rémunération variable conditionnelle, titres zéro coupons sont autant de solutions qui peuvent permettre aux parties de se répartir plus tard la valeur de la société, une fois que la valeur d’entreprise de la société aura été extériorisée, par exemple lors de la cession de la participation à un tiers.

110 L’utilisation de ces instruments plus complexes permet également de dissocier la question de la gouvernance de la question du partage de la valeur. Ainsi, il sera possible de convertir, par exemple, la dette bancaire en obligations convertibles, remboursables in fine, la conversion en actions étant automatique en dessous d’un certain niveau de valorisation de la société au moment de la sortie.

111 En résumé, grâce à l’existence d’un surplus de négociation qui correspond au coût lié à l’intervention du juge, les associés ont un pouvoir de négociation important afin d’éviter d’être exproprié et conserver un droit sur la valeur de la société53.

2. L’existence d’une asymétrie d’information  

112 Dans la négociation simplifiée ci-avant, l’absence d’asymétrie d’information permettait à chacune des parties de formuler une offre qui corresponde, soit au consentement à payer, soit au consentement à recevoir, de l’autre partie.

                                                                                                                         52 Cf. § 104 et V. également D. G. Baird and D. S. Bernstein, “Absolute Priority, Valuation Uncertainty, and the Reorganization Bargain”, John M. Olin Law & Economics Working Paper n°259, September 2005.

53 Nous revenons par la suite sur l’intérêt pour le législateur de protéger les droits des associés, en accordant un traitement de faveur à ceux-ci lors de l’ouverture de la procédure collective. Cf. § 174

Page 29: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  29  

113 A l’inverse, en présence d’une asymétrie d’information, l’offre amiable d’une des deux parties peut désormais ne pas correspondre aux attentes de l’autre, qui n’est pas parfaitement connue de l’autre partie, selon cette nouvelle hypothèse. Cette situation augmente le risque d’échec des négociations, alors même que collectivement, les deux parties auraient intérêt à éviter l’intervention du juge54. On observe dans la réalité que l’asymétrie informationnelle est toujours présente et joue toujours en faveur des associés.

114 Le meilleur moyen de réduire l’asymétrie d’information est d’inciter les associés à transmettre l’information en amont de l’intervention du juge. Les règles processuelles afférentes au déroulement du contentieux judiciaire peuvent, de ce point de vue, fournir cette incitation55.

3. Crise de liquidité et apport d’argent frais

115 La survenance d’une crise de liquidité, hypothèse exclue jusqu’à présent de notre cadre de négociation, est susceptible d’affecter significativement la dynamique de la négociation amiable, dans la mesure où elle appelle une réponse immédiate.  

116 Dans la limite de la capacité d’endettement de la société, les créanciers financiers peuvent envisager de remettre de l’argent frais, sous forme de prêt, dans la société afin d’éviter de subir les coûts de cette crise de liquidité. A cet égard, l’existence d’une asymétrie d’information entre les associés et les créanciers présente davantage d’inconvénients qu’au moment de la valorisation de la société. Dans ces circonstances, les créanciers ne peuvent fonder leur décision à partir des déterminants usuels rappelés précédemment56. Mis dans l’obligation d’apporter des nouveaux fonds dans la société, les créanciers n’ont pas à cet instant le recul nécessaire pour apprécier si la nouvelle structure du capital de la société le permet, les contours de celle-ci faisant l’objet de discussions simultanées.

117 Pour cette raison, les associés sont en principe initialement mieux placés pour analyser l’attractivité du couple rendement/risque d’un nouvel apport d’argent frais dans la société. Ils pourront utiliser le prétexte de l’économie réalisée par les propriétaires résiduels (ceux-ci évitent les conséquences de la crise de liquidité si les associés remettent de l’argent frais), afin de limiter la dilution de leur participation au capital de la société, et pourront, le cas échéant, même obtenir un abandon de créance partiel de la part des créanciers financiers.

                                                                                                                         54 Pour un récapitulatif de la recherche en analyse économique du droit en la matière, voir par exemple B. Deffains et E. Langlais « Analyse économique du droit » éditions De Boeck, 2010.

55 Nous avons indiqué précédemment que le juge pouvait forcer le dirigeant à fournir de l’information aux créanciers. C’est un élément important pour faciliter l’adoption d’un plan cohérent emportant le soutien des créanciers. Cf. 138.

56 Cf. 47.

Page 30: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  30  

118 Dans le cas où chaque partie a accès au même niveau d’information permettant le même degré d’analyse du couple rendement/risque pour le besoin identifié, du point de vue de la société, créanciers et associés entrent alors en concurrence pour la fourniture des liquidités potentielles, ce qui contribuera à la réduction de son coût et donc, à l’amélioration de la compétitivité de la société57.

4. La présence de problèmes de coordination des créanciers  

119 Nous avons supposé au cours de la première et de la deuxième partie qu’il n’existait pas de problèmes de coordination, ni entre les associés, ni entre les créanciers. La réalité est bien souvent différente et les règles de coopération prévues contractuellement entre les créanciers ont leurs propres limites58.

120 Les créanciers peuvent poursuivre différentes stratégies de recouvrement. La possibilité de céder des actifs ou des filiales a été exclue, jusqu’à présent, bien que cette hypothèse soit nécessairement considérée en pratique. La problématique consiste souvent à choisir entre (i) récupérer une partie de la valeur d’entreprise de la société (via une cession d’un actif) pour générer rapidement de la trésorerie afin d’assurer le service de la dette, même si cette cession peut être réalisée à un mauvais moment et ainsi faire perdurer sur le reste de l’activité un endettement inadéquat ou (ii) reporter la décision de céder à plus tard dans l’espoir d’un meilleur prix, susceptible de couvrir à la fois les coûts de détresse d’attente et d’améliorer la situation globale de la société. C’est un autre élément du débat sur la valorisation59.

121 La négociation se complique lorsque la société s’est endettée en ayant recours à différents types d’instruments selon un ordre de priorité des paiements spécifique (dette bancaire, dette high-yield, dette mezzanine), mettant en présence des créanciers au profil très différents (banques, compagnies d’assurance, fonds CLO, etc.), certains pouvant être

                                                                                                                         57 Nous verrons qu’un autre élément lié au risque de changement de gouvernance justifie très souvent, lorsque les deux propositions sont plus ou moins similaires, que soit retenue la solution proposée par les associés. Cf. § 123.  

58 Selon l’usage, l’accord à l’unanimité des créanciers est requis si l’emprunteur veut repousser une date d’échéance de paiement (alors qu’une majorité renforcée des deux tiers est suffisante pour signer un standstill agreement).

59 Cf. § 103.

Page 31: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  31  

titulaires de Credit Default Swaps (CDS)60. La dispersion de la dette sur les marchés financiers rend par nature très difficile toute restructuration à l’amiable, le phénomène de « passagers clandestins » étant alors exacerbé. D’autres facteurs peuvent également compliquer la négociation61. Le juge devra alors intervenir afin de garantir une répartition équitable des efforts, ce qui nécessite de pouvoir forcer :

- (i) la coopération des créanciers dissidents placés dans une situation équivalente à celle de la majorité des créanciers qui auraient approuvé le plan, afin d’assurer un partage égalitaire des efforts ; et

- (ii) les créanciers les plus subordonnés à absorber les pertes, si l’exclusion des associés n’est pas suffisante pour donner à la société une nouvelle structure du capital cohérente.

122 Nous anticipons également que si le juge n’est pas habilité à accomplir ces deux missions, l’intervention du juge sera coûteuse du point de vue des propriétaires résiduels62.

5. Les risques liés au changement de gouvernance de la société

123 Nous n’avons pas évoqué, au cours de la première et de la deuxième partie de cette étude, les questions relatives à la capacité des prêteurs à gérer eux-mêmes la société en cas de prise de contrôle ou à assurer le remplacement des dirigeants dans des conditions satisfaisantes. En toute hypothèse, la perspective d’un changement de gouvernance de la société représente toujours un risque pour les établissements de crédit de la société qu’ils doivent prendre en compte au moment des négociations. Pour cette raison, dans une société où les associés initiaux proposeraient de remettre sous certaines conditions de l’argent frais dans la société, les créanciers ne se risqueront à proposer une solution de financement alternative, que si celle-ci améliore significativement leurs perspectives de recouvrement.                                                                                                                          60   Les CDS sont des contrats financiers, au sens de l’article D. 211-1 du Code monétaire et financier, par lesquels un acheteur de protection se couvre contre un événement de crédit en contrepartie d’un paiement périodique (le vendeur de protection s’obligeant à verser les sommes promises en cas de survenance d’un risque de crédit). Ainsi, certains créanciers se trouvent rationnellement portés à espérer la défaillance de leur débiteur, dans la mesure où celle-ci leur permettra de se faire rembourser auprès de leur contrepartie.  

61  Par exemple, par l’effet des provisions passées dans les comptes à la suite de la dégradation de la situation financière de la société, les créanciers peuvent aborder la négociation avec l’idée qu’une partie de la valeur de la créance est déjà perdue, et qu’en conséquence, leur risque de perte s’en trouve réduit. Ainsi, les attitudes des uns et des autres peuvent varier selon la politique interne de leur établissement en matière de provision. Une autre forme d’irrationalité dans le comportement des créanciers s’observe dans l’hypothèse où un des créanciers est en situation d’obtenir un traitement plus favorable par rapport aux autres. Ces derniers peuvent alors bloquer la négociation, au risque de finalement perdre davantage que s’ils avaient accepté dès le départ cette entorse à la règle de l’égalité.  

62 Cf. 147.

Page 32: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  32  

124 Le risque lié au changement de gouvernance peut être écarté si un investisseur, désireux de prendre le contrôle de la société, via une opération de « loan to own63 », propose de racheter la totalité des titres de créance des prêteurs initiaux (avant que leurs titres soient convertis en capital). Nous avons jusqu’alors exclu cette possibilité. Cette éventualité peut être également intéressante pour ceux qui n’ont pas la capacité ou la volonté de gérer les conséquences d’une entrée au capital d’une société, une fois la conversion de leurs instruments de dette réalisée64.

125 Des investisseurs davantage intéressés par le contrôle de la société pourraient ainsi offrir une solution de sortie aux créanciers financiers. Le prix offert par ceux-ci reflétant nécessairement le pouvoir de négociation des créanciers, la vente de leur position devient dès lors plus facilement envisageable si les créanciers, propriétaires résiduels, sont les maîtres du destin de la société65.

6. La divergence d’intérêts entre dirigeants et associés

126 Notre raisonnement s’est appuyé, dans la première et la deuxième partie, sur l’hypothèse d’un dirigeant-associé dont les intérêts étaient strictement alignés sur ceux des associés. Le bénéfice et le coût associés à l’intervention du juge diffèrent nécessairement selon que nous sommes en présence d’un dirigeant associé ou d’un dirigeant non associé, selon son alignement plus ou moins forts avec les associés.

127 Le dirigeant associé doit généralement trouver un équilibre pour gérer la problématique de divergence d'intérêts qui peut naître entre la préservation de la valeur d’entreprise de la société et sa qualité d’associé de la société.

128 De manière générale, le dirigeant, guidé par l’intérêt de l’entreprise, est plus sensible à la destruction de valeur du fait des coûts de détresse financière. En cela, le dirigeant peut se

                                                                                                                         63  Nous revenons sur ce point au § 135.  Dans un monde où l’ordre de priorité est davantage respecté, la liquidité du marché secondaire de la dette s’accroît et les établissements de crédit laissent place à des nouveaux investisseurs. V. S. Vermeille « Peut-on prêter pour posséder (loan to own) en droit français ? » JCP Ed. E 09/07/2009, n° 28-29, Page(s) 21 -31.

64  Les créanciers d’origine peuvent avoir une appréciation différente des perspectives de la société. Ils peuvent penser par exemple que le plan d’affaires arrêté n’est pas réaliste. Ils peuvent également considérer que les actifs ne sont pas assez liquides, ils risqueraient dès lors de ne pas récupérer leur investissement. Certains d’entre eux peuvent d’autres raisons (peur de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actifs, cf. § 158, l’impact comptable et/ou prudentiel, politique de gestion de portefeuille. Enfin, la nature de l’activité de la société, par exemple lorsqu’il existe un risque de pollution élevé, peut être un facteur important dans la décision des créanciers de prendre ou non le contrôle.  

65  V. S. Vermeille, « Peut-on prêter pour posséder (loan to own) en droit français ? » ibid.  

Page 33: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  33  

désolidariser de ses associés et utiliser le juge afin de faire émerger la société avec un bilan assaini.

129 Le positionnement du dirigeant est donc un paramètre très important pour la réussite d’une restructuration amiable. On observe à cet égard que la perspective d’une renégociation du plan d’intéressement aux bénéfices de la société peut parfois faciliter la coopération du dirigeant au processus de restructuration de la dette.

7. Une offre de rachat des actifs, solution alternative à la conversion de la dette en actions

130 Nous avons également exclu au départ la possibilité d’un adossement de la société à un investisseur stratégique, comme par exemple, le rachat d’un concurrent appartenant au même secteur d’activité que la société. Cette éventualité peut néanmoins souvent se présenter et affecter le déroulement des négociations. Désireux de maximiser la valeur de leurs titres de créance, les créanciers chercheront toujours à se ménager plusieurs options de sortie possibles. La cession de l’activité à un tiers, en amont d’une crise de liquidité, peut s’avérer de ce point de vue une solution très attractive pour les créanciers.

8. Conclusion

131 Ces facteurs de complexité constituent des pistes de développement du cadre d’analyse simplifié proposé dans cette étude. En introduisant successivement ces éléments dans l’analyse et en comparant l’équilibre qui sera nouvellement obtenu à celui obtenu dans le cadre d’une négociation simplifiée, nous pouvons mieux identifier l’effet de chaque élément pris isolément.

132 Si nous avons jusqu’à présent volontairement écarté toute règle du droit des procédures collectives, c’est justement pour pouvoir identifier quels pourraient être leurs effets sur le déroulement de la négociation, relativement à une situation sans règles de ce type. Ce point particulier fait l’objet de notre dernière partie.

Page 34: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  34  

 

IV.  L’analyse  des  effets  du  droit  français  des  procédures  collectives  sur  

la  négociation  amiable  

133 L’analyse du déroulement de la négociation privée dans un scénario simplifié (Partie II) ainsi que les effets produits par certains éléments de complexité (Partie III) nous permettent, à présent, de tenter de discuter les effets potentiels du droit français des procédures collectives.

134 Le droit moderne des procédures collectives est né avec la loi du 25 janvier 198566, dans un contexte où des pans entiers de l’économie étaient touchés par les défaillances d’entreprise et où l’économie était caractérisée par les nationalisations et l’interventionnisme de l’Etat dans la vie des entreprises. Le droit des procédures collectives prit alors une finalité politique volontariste : préserver les emplois et parvenir au redressement de l’entreprise67. Parallèlement, la structure de capital des sociétés évolua vers un plus grand recours aux instruments de dette et une professionnalisation des acteurs de la restructuration, autorisant l’idée qu’une redistribution des droits sur la société au profit des créanciers pouvait également favoriser le redressement de l’entreprise.

135 Le droit actuel reste fidèle à ces principes même si la loi du 26 juillet 200568 instaurant la procédure de sauvegarde, a permis de donner une place plus importante aux créanciers dans la procédure, au travers des comités de créanciers69.

136 Mettant en perspective nos réflexions précédentes en ce qui concerne le rôle confié au juge par le droit des procédures collectives, nous nous permettrons ensuite une critique plus générale de ses dispositions, compte tenu de l’objectif de faciliter la réorganisation de l’entreprise.

1. La difficulté du droit français à confier au juge le rôle d’arbitre des parties                                                                                                                          66 Loi n°85-98 du 25 janvier 1985.

67 A cette époque, il était impossible d’ouvrir une procédure de liquidation judiciaire, sans préalablement ouvrir une procédure de redressement judiciaire.

68 Loi n°2005-845 du 26 juillet 2005.

69 Nous ne ferons pas une description exhaustive des règles de la procédure collective qui viennent se superposer aux règles contractuelles. Pour une description plus détaillée des effets du droit des procédures collectives v. A. Pietrancosta et S. Vermeille, ibid.

Page 35: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  35  

137 Ayant envisagé que le recours au juge pouvait présenter un intérêt pour les parties eu égard à trois principales fonctions (réduire l’asymétrie d’information, trancher une contestation sur la valeur et forcer le dénouement du litige70), le droit français nous semble permettre difficilement aux parties d’accomplir idéalement ces trois fonctions.

1.1 Le déficit de règles processuelles pour corriger l’asymétrie d’information

138 Nous avons vu, au cours de la troisième partie, qu’une asymétrie d’information peut expliquer l’échec des négociations amiables (voire même empêcher l’apport d’argent frais dans la société), une des fonctions du juge étant alors de mettre à la charge des parties l’obligation de fournir un certain nombre d’informations.

139 Bien que le droit français ne soit pas dénué d’outils pour forcer la production de certaines informations par l’une des parties71, sans doute par tradition, le droit français ne semble y attacher qu’une importance modérée72. Ce déficit n’est en effet pas limité au droit français des procédures collectives73.

140 Mises en perspective, les règles de l’U.S. Bankruptcy Code relatives au droit d’information des créanciers et des actionnaires lors de l’approbation du plan de restructuration, nous paraissent davantage faciliter la transmission spontanée d’informations en amont du contentieux, ce qui n’est pas le cas en l’état du droit français.

141 L’organisation des IBR74 en France est révélatrice des effets induits par nos règles de procédure. Le but de l’IBR est de réduire l’asymétrie d’information existant entre les créanciers et le dirigeant de la société emprunteuse. Alors qu’au Royaume-Uni, les créanciers mandatent eux-mêmes les auditeurs chargés de réaliser l’IBR, ce rôle revient le plus souvent

                                                                                                                         70 Cf. 64.

71 L’article 133 du Code de procédure civile permet à une partie de demander au juge d’enjoindre une communication de pièces, au besoin à peine d’astreinte, à condition que cette demande soit motivée et détermine les pièces recherchées.

72 V. E. Osborne (1999) « Who should be worried about asymmetric information in litigation », International Review of Law and Economics, vol. 19, no 2, p 399-409.

73 Certes, les règles relatives à la production d’information sont de manière générale très différentes selon que celle-ci s’effectue selon les principes d’un droit de Common law (production très complète de tous éléments de preuve, favorables ou défavorables, dont peut disposer une partie) ou du droit d’un pays continental (production des éléments de preuve aptes à soutenir les prétentions des parties).

74  Cf. § 48.  

Page 36: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  36  

en France, au dirigeant75. L’accès à l’information des créanciers peut donc s’en trouver affecté, les auditeurs n’ayant aucune obligation contractuelle à leur égard. Le simple fait de gérer le calendrier de transmission de l’information financière, de déterminer son contenu ou de refuser de recourir à un IBR, peut permettre au dirigeant d’obtenir un accord plus favorable aux associés, par exemple, en extirpant un accord auprès des créanciers mis ainsi devant le fait accompli après l’annonce imminente d’une crise de liquidité. Ces derniers ne disposant plus alors du temps nécessaire à l’élaboration d’une solution alternative.

1.2 Le déficit de règles processuelles pour trancher les contestations sur la valorisation

de la société

142 Il nous semble que le droit français étant resté quelque peu « figé » sur l’idée que le redressement des entreprises passait par un effort commun des créanciers (au moyen d’un rééchelonnement de leurs titres de créances), ce dernier n’a pas pu accompagner l’évolution des restructurations, consistant de plus en plus souvent (mais pas exclusivement) à ne rien faire d’autre que céder l’entreprise aux créanciers (d’origine ou nouveaux) de la société, en contrepartie de l’abandon d’une partie de leurs créances. Dans cette configuration moderne des réorganisations, tout est question de redistribution des droits sur la société et, par conséquent, de valorisation.

143 L’exemple le plus significatif de cette lacune tient aux restrictions entourant le droit individuel des créanciers de contester une décision prise dans le cadre d’une procédure collective. Selon la théorie économique, la dépréciation de l’actif de la société affecte nécessairement la valeur des droits d’un créancier particulier (par opposition aux droits communs des créanciers à travers le mandataire de justice), compte tenu de l’existence de conventions de subordination ou de sûretés réelles. Ainsi, tout créancier devrait pouvoir contester une décision qui affecte sa situation personnelle. Selon le droit français, l’actif de la société est considéré comme le gage commun des créanciers, si bien qu’un créancier n’a pas, de ce point de vue, nécessairement un intérêt distinct de l’intérêt commun des créanciers, ce qui est une condition nécessaire pour pouvoir former tierce opposition en droit français76. A cet égard, la jurisprudence de la Cour de cassation tend progressivement à reconnaître aux créanciers un intérêt propre, leur permettant de former tierce opposition des jugements

                                                                                                                         75  On observe cependant que dans les grands dossiers de restructuration portant sur la dette de sociétés cotées, les dirigeants de celle-ci se conforment à la pratique de marché internationale et acceptent que les créanciers mandatent directement les auditeurs chargés de la réalisation de l’IBR.  

76 Sur la tierce opposition, voir l’article L. 661-2 du Code de commerce : « Les décisions statuant sur l’ouverture de la procédure sont susceptibles de tierce opposition » et l’article 583 du Code de procédure civile : « Est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque » ; « Les créanciers […] peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres ».  

Page 37: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  37  

autorisant l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou approuvant un plan de sauvegarde77. Cette tendance a été confirmée très récemment par l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Cœur Défense78.

144 En tout état de cause, le juge n’aurait, en l’état du droit, pas l’obligation de se prononcer sur une telle contestation. Par exemple, l’approbation d’un plan de sauvegarde n’est pas soumise à une obligation particulière de motivation au regard des perspectives de trésorerie de la société, pour savoir si celles-ci seront raisonnablement suffisantes pour assurer le service de la dette. Même si les perspectives de trésorerie sont insuffisantes, en l’absence de cessation des paiements, le juge ne pourrait de toute façon pas imposer l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire et purger le passif au moyen d’un plan de cession d’actifs. Corrélativement, les créanciers ne sont pas en mesure de pouvoir imposer la cession de l’activité de la société à un tiers et ce, même si le prix offert est supérieur à la valeur qu’ils accordent à leurs titres de dette sur la société.

1.3 La difficulté du droit français à obliger les associés à absorber les pertes en amont

de la crise de liquidité

145 Le droit des procédures collectives ne faisant pas échec à l’application du droit des sociétés, l’accord des associés réunis en assemblée générale extraordinaire est nécessaire pour toute modification du capital de la société. Ce droit confère en pratique un droit de veto aux associés à toute conversion de créances en titres de capital. A supposer que le dirigeant de la société se désolidarise des associés et décide de proposer un plan prévoyant la conversion de la dette en actions, l’accord des associés reste nécessaire. Cette situation renforce de manière significative le pouvoir de négociation des associés, et ce même s’ils ne sont plus les propriétaires résiduels.

146 Il existe ainsi toujours un risque pour les créanciers, en amont de la crise de liquidité, de se voir imposer un rééchelonnement de la dette sur dix ans79, qui leur sera très couteux. Ils                                                                                                                          77 Dans l’affaire Eurotunnel, la Cour de cassation, par arrêt du 30 juin 2009, se référant à l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme et au Règlement 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, considéra que les créanciers domiciliés dans un Etat membre autre que celui de la juridiction qui a ouvert une procédure principale d’insolvabilité ne peuvent être privés de la possibilité effective de contester la compétence assumée par cette juridiction. V. Sophie Moreil Recueil Dalloz 2009 p. 2591 "La convention européenne des droits de l’homme au secours des créanciers étrangers".

78 Dans son arrêt du 8 mars 2011, la Cour de cassation a confirmé le droit pour les créanciers de former tierce opposition. A la lumière des arguments développés, la Cour semble désireuse d’ouvrir désormais assez largement le droit individuel d’un créancier à former tierce opposition.

79 Il faut souligner que dès lors que le droit français permet le rééchelonnement d’office des créances de la société sans augmentation de la prime de risque, il s’opère un transfert de richesse des créanciers aux associés, en définitive, on demande aux créanciers d’absorber les pertes en premier.

Page 38: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  38  

perdent dans le même temps l’espoir de pouvoir récupérer le contrôle de la société si les associés s’y opposent. A ceci, s’ajoutent enfin les coûts liés à l’imprévisibilité et à la longueur des procédures collectives. Ainsi, une procédure de sauvegarde peut durer jusqu’à dix-huit mois, auxquels peut succéder une procédure de redressement judiciaire (elle-même d’une durée pouvant aller jusqu’à dix-huit mois), voire ensuite une procédure de liquidation judiciaire.

147 De la même manière, la composition des comités des créanciers80 ne permet pas au juge de forcer les créanciers les plus subordonnés à absorber les pertes. Le principe d’égalité des créanciers a été récemment remis en cause pas le législateur et cette étape sonne sans doute la fin d’une théorie que l’on pouvait juger vouée à l’échec. La loi du 22 octobre 201081 a complété le deuxième alinéa de l'article L. 626-30-2 du Code de commerce en disposant que le projet de plan, lors de son élaboration, « prend en compte les accords de subordination entre créanciers conclus avant l'ouverture de la procédure ». Toutefois, le législateur ne fait de cette prise en compte qu'un élément de la décision en forme de recommandation et non une contrainte impérative. Comme le souligne à juste titre un auteur, à partir du moment où on privilégie les droits des associés il paraît difficile de forcer les tribunaux de commerce à observer une stricte application des accords de subordination82. Les créanciers subordonnés conservent ainsi, selon la composition des comités, un pouvoir de nuisance (à défaut de subir un coût réputationnel) occasionnant un coût important pour les propriétaires résiduels.

2. Les conséquences

2.1 Evitement de la procédure collective jusqu’à la crise de liquidité

148 Compte tenu des éléments mentionnés ci-dessus, le droit des procédures collectives peut avoir un effet repoussoir. Il sera d’autant plus difficile d’appréhender cet effet du droit sur les stratégies des parties, que des confusions d’intérêts sont possibles, la plus évidente étant celle entre les dirigeants et les associés.

149 Les créanciers financiers étant fortement incités à éviter la procédure collective, cette réticence peut conduire à de mauvais compromis, prorogeant une structure du capital

                                                                                                                         80 Les créanciers sont répartis en comité selon la nature de leurs créances (et non leur rang de priorité). Ainsi, ils font soit partie du comité des fournisseurs, soit du comité des créanciers bancaires, soit enfin de l’assemblée des obligataires. Cf. A. Pietrancosta et S. Vermeille ibid.

81 L’article L. 626-30-2 est ainsi modifié : / b) Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il [le tribunal] prend en compte les accords de subordination entre créanciers conclus avant l'ouverture de la procédure ».

82 Voir B. Grelon « La loi de sauvegarde revisitée par la loi n° 2010-1249 dite de « régulation bancaire et financière » en date du 22 octobre 2010 » Revue des sociétés 2011 p. 7

Page 39: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  39  

inadaptée, rendant l’accès au crédit post restructuration problématique et affectant la compétitivité à long terme de la société. Autrement dit, la question de la valorisation de la société n’étant pas au cœur des préoccupations du juge, contrairement à celle du maintien de la société, la capacité d’endettement de la société ne peut pas être un élément déterminant de l’offre amiable.

150 Par ailleurs, craignant les effets liés au recours à un juge, les créanciers acceptent plus facilement la fin d’un processus de négociation amiable inabouti, les obligeant à maintenir la société dans une situation financière instable et ce, même s’ils en sont les propriétaires résiduels. En l’absence d’accord, les créanciers acceptent également plus facilement la prolongation d’un processus amiable. La pratique du renouvellement automatique des  standstill agreements est illustrative à cet égard. N’ayant aucun intérêt à provoquer l’ouverture d’une procédure collective, les créanciers financiers renouvellent les standstill agreements sans plus de formalités, face à la pression imposée par les dirigeants de la société emprunteuse83.

151 Le coût élevé de la procédure collective en France peut, de manière similaire, dissuader un dirigeant de restructurer une dette émise sur différents marchés financiers, avec des rangs de priorité différents (tenant compte de l’existence d’accord de subordination et de sûretés). Anticipant que la société ne serait pas en mesure de supporter le coût d’une procédure collective, le dirigeant est incité à faire le pari risqué que la société arrivera tout de même à honorer les échéances de remboursement et ce, en dépit des coûts de détresse financière supportés par la société (au besoin, il envisagera d’endetter un peu plus la société).

152 Le risque que les créanciers ou les dirigeants (non-associés) retardent l’ouverture d’une procédure collective est ainsi suffisamment élevé pour, qu’en définitive, le changement de la structure du bilan de la société ne se réalise finalement que face à l’imminence d’une crise de liquidité. Or, nous avons évoqué les difficultés pour la société dans la partie III à obtenir des financements dans cette situation84. Cela va surtout à l’encontre du souhait de traiter le plus en amont possible les difficultés financières d’une société.

153 La nouvelle procédure de sauvegarde financière accélérée85 marque, à cet égard, la volonté louable du législateur de réduire l’impact des coûts engendrés sur l’activité de la société par l’ouverture d’une procédure collective. Cependant, dans la mesure où la réforme n’envisage pas réellement un transfert du contrôle de la société défaillante entre les mains des                                                                                                                          83  Contrairement à la situation en Allemagne et au Royaume-Uni, même en l’absence de standstill agreement les commissaires aux comptes peuvent en France approuver sur les comptes de la société débitrice. L’absence de standstill agreement emporte seulement l’inscription de la dette à court terme.  

84 Cf. 115.

85  Loi 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière.  

Page 40: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  40  

propriétaires résiduels, il est à craindre que l’application des nouvelles dispositions de la loi ne facilite encore davantage l’expropriation injustifiée des créanciers subordonnés. Ceux-ci sont en effet souvent gênés pour défendre leurs droits (et ce, même s’ils peuvent être les propriétaires résiduels), puisqu’ils sont invités à siéger, soit dans le même comité que les créanciers senior (sans disposer généralement d’une majorité de blocage), soit au sein de l’assemblée des obligataires d’un véhicule d’investissement ad hoc, constitué à la seule fin d’éviter qu’ils puissent bloquer l’approbation du plan (en votant seuls au cours de l’assemblée obligataire de la société emprunteuse). Dans les montages LBO, il est d’usage de voir ainsi les mezzaneurs, pris entre le marteau (des créanciers senior) et l'enclume (des associés).

2.2 Le contournement du problème de l’évitement La judiciarisation de la phase amiable des négociations 154 Conscients de la nécessité d’appréhender le plus en amont possible les difficultés de la société, les pouvoirs publics ont cherché à faire intervenir différents arbitres, dès la phase amiable des négociations : mandataire, conciliateur, Comité Interministériel des Restructurations Industrielles (CIRI).

155 Ces professionnels de la restructuration créent une dynamique favorable à la conclusion d’accords, lorsque les équipes de négociation éprouvent des difficultés ne serait-ce que de négocier de manière constructive, en raison des positions antagonistes tenues, les parties s’estimant chacune tenues par des règles du jeu différentes86. Le rôle de soutien actif de ces professionnels dans une négociation qui s’enlise est à cet égard très positif. De ce point de vue, on peut regretter que leur intervention ne puisse pas être sollicitée par les créanciers, le dirigeant de la société débitrice en ayant l’exclusivité.

156 L’intervention du CIRI marque, par ailleurs, la volonté légitime des pouvoirs publics d’avoir, en France, une approche plus sociale de la gestion de la défaillance. Il est vrai que dans un environnement faisant interagir différents types de dettes (senior, mezzanine/second lien, obligataire, high yield), les différents profils d’investisseurs peuvent engendrer des relations complexes entre créanciers ne favorisant pas toujours l’aboutissement d’un accord idéal pour l’entreprise.

157 Ainsi, si certains contre-pouvoirs peuvent, dans certaines situations, s’avérer nécessaires, il nous paraît cependant difficile de compter sur la seule intervention des tiers, pour appréhender le plus en amont possible les difficultés de la société. Les tiers interviennent nécessairement après l’échec d’une première phase de discussion entre les parties. Ils n’ont pas un pouvoir équivalent à celui qu’aurait un juge aux Etats-Unis, pour                                                                                                                          86 Cf. 160.

Page 41: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  41  

obliger un débiteur à réduire l’asymétrie d’information existante. Enfin, leur pouvoir de coercition pour coordonner les créanciers reste forcément limité, notamment en présence de créanciers étrangers dans les négociations (peu habitués à de telles pratiques de marché), ce qui est de plus en plus le cas dans les litiges français portant sur le partage des risques entre investisseurs.

La responsabilité personnelle des dirigeants-associés 158 La loi, à travers l’action en responsabilité pour insuffisance d’actifs87, a choisi de sanctionner fortement les dirigeants tardant à placer leur société en procédure collective. Outre qu’elle prend effet beaucoup trop tardivement (après la cessation des paiements), le fait que cette action ne puisse être déclenchée qu’en cas de liquidation judiciaire de la société, créé un biais en faveur du redressement de la société (alors même que la cession de l’ensemble des actifs à un tiers, entraînant de facto la liquidation de la société, aurait pu être la solution la plus opportune du point de vue de la maximisation de la valeur de la société).

159 L’action en responsabilité pour insuffisance d’actifs détourne aussi les créanciers qui souhaiteraient convertir leurs créances en capital, ce qui parait contre-productif, eu égard à l’objectif de faciliter le désendettement des sociétés. Les créanciers financiers prennent en effet le risque de devoir dédommager les tiers si un juge considère qu’ils ont contribué à prolonger indûment l’état d’insolvabilité de la société88.

3. Instrumentalisation de la procédure collective 160 A l’inverse, un accès trop aisé à la procédure collective (en raison d’un coût privé négligeable, par exemple) fait courir le risque d’une instrumentalisation de la procédure collective, comme cela pourrait être le cas dans le cadre d’opérations de financement structuré ou dans le cas de dirigeants-associés ayant donné leurs actifs personnels en garantie89. Dans l’affaire Cœur Défense, par exemple, la Cour d’appel considéra que les dirigeants du débiteur avaient eu recours à la procédure de sauvegarde dans l’unique but de renégocier le contrat de prêt au seul bénéfice du débiteur (et de ses associés), en violation de                                                                                                                          87  Article L. 651-2 alinéa 1er du Code de commerce : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ».  

88 Il conviendrait, à cet égard, de clarifier les conditions d’ouverture de l’action en insuffisance d’actifs et la notion de gestion de fait. Afin de sécuriser les créanciers et les encourager à participer pleinement au refinancement de l’entreprise, la clarification de la notion de soutien abusif a été un facteur important et très positif.

89  L’ouverture d’une procédure collective empêche les créanciers de saisir les actifs des dirigeants cautions.  

Page 42: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  42  

leur engagement contractuel90. Bien que le caractère instrumental du recours à la sauvegarde puisse être discuté dans l’affaire Cœur Défense, ce comportement des associés est dans d’autres situations parfaitement prévisible puisque ces derniers ne supportent pas les pertes liées à la dépréciation de valeur de la société entraînée par l’ouverture de la procédure collective. Ils sont, dans ce cas, d’autant plus enclins à vouloir utiliser les règles de la procédure collective pour imposer aux créanciers une renégociation unilatérale de leurs règles de partage des risques.

161 Dans les arrêts Cœur Défense et Mansford91, la Cour d’appel de Paris a tenté de contrôler l’utilisation faite par les dirigeants de la procédure de sauvegarde. Ainsi, a-t-elle estimé que les difficultés invoquées par les sociétés holding débitrices n’étaient pas suffisantes pour leur permettre de se placer sous la protection du droit des procédures collectives, dans la mesure où les difficultés de la société n’étaient que d’ordre financier (et non opérationnel)92.

162 Du point de vue de la théorie économique, il peut être inapproprié de résoudre de cette manière la problématique liée à l’instrumentalisation de la procédure collective. D’une part, le juge se voit obligé de se positionner sur l’opportunité d’ouvrir la sauvegarde à un débiteur et ne dispose pas forcément de toute l’information disponible pour le faire. D’autre part, il est impossible de prévoir dans la documentation financière tous les évènements pouvant affecter une relation contractuelle, ni même la manière de déboucler en toute hypothèse les différents contrats de financement dans l’intérêt du plus grand nombre. Dans certaines situations, il est donc préférable de permettre l’ouverture d’une procédure collective sur la société holding afin de préserver la valeur du sous-jacent. Il est important à cet égard de distinguer les sociétés holding à la tête d’un groupe de sociétés opérationnelles, des véhicules d’acquisition établis pour le seul besoin de l’acquisition d’actifs immobiliers ou mobiliers (comme des créances). Lorsqu’il s’agit d’une société holding à la tête d’un groupe de sociétés opérationnelles (exemple d’un montage LBO), la procédure collective est toujours utile pour préserver au mieux la valeur des entreprises cibles, quelle que soit la nature des difficultés rencontrées par la société holding, à la condition de pouvoir assurer le transfert du contrôle de la procédure aux propriétaires résiduels, le cas échéant. De cette manière, les entreprises ne sont pas inopportunément cédées voire même liquidées de                                                                                                                          90 Cour d’appel 5ème chambre, 25 février 2010, Cœur Défense, RG n° 09/22756. A la suite de cet arrêt, une des questions consistait de savoir si le dirigeant d’une entité ad hoc, qui n'emploie pas de salariés, ne dispose pas d'autre activité économique, dont la seule fonction est d’isoler les actifs auxquels sont adossés les financements mis en place, peut demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Par arrêt de principe du 8 mars 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation met fin à l’incertitude qu’avaient provoquée, les arrêts rendus par la Cour d’appel de Paris le 25 février 2010.

91  CA 25 février 2010.  

92 V. A. Pietrancosta, S. Vermeille ibid.

Page 43: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  43  

manière incontrôlée. Lorsque la cession des ressources de l’entreprise est à la main des seuls créanciers seniors (par l’effet par exemple du pacte commissoire), ces derniers ne sont en effet pas incités à maximiser le prix de cession, au-delà du simple remboursement de leurs créances. Outre l’impact pour les créanciers les plus juniors d’une vente des entreprises à des prix dépréciés, celle-ci peut aggraver des conditions générales de marché déjà détériorées.

163 Pour ces raisons, à partir du moment où en procédure collective, le transfert du contrôle passe des associés (dont la valeur des titres est égale à zéro) aux mains des propriétaires résiduels parmi les différents types de créanciers, alors l’ouverture d’une procédure collective sur une société holding en cas d’échec de négociations devrait être favorablement accueillie et ce, quelle que soit la nature des difficultés rencontrées par la société. Sous cette limite, la décision de la Cour de cassation dans l’affaire Cœur Défense93 – qui ne fait qu’appliquer les textes de loi en l’état – nous paraît juridiquement cohérente (la loi ne distinguant pas entre sociétés holding et sociétés opérationnelles). Cependant, eu égard au pouvoir conféré aux associés par le droit français, quelle que soit la situation financière de la société, cette décision ne nous semble pas satisfaisante sur le plan de l’opportunité et ce, d’autant plus qu’elle concerne une société holding ayant servi à l’acquisition d’actifs immobiliers et non au rachat d’entreprises opérationnelles.

164 Il faut en effet reconnaître que dans certaines situations de financement structuré où le véhicule d’acquisition sert au financement de certains actifs (et non d’entreprises), il pourrait être souhaitable que les dirigeants de l’emprunteur puissent légalement renoncer par avance à recourir à l’ouverture de la procédure collective, comme le veut la pratique aux Etats-Unis94.

4. La faiblesse du marché des fusions-acquisitions de sociétés en difficulté (distressed M&A) 165 Le pas intellectuel entre une sauvegarde de l’activité par cession à un tiers et une conversion de créances en capital par un tiers investisseur, cessionnaire des établissements bancaires, n’est pas encore franchi en France. On peut trouver dans la faiblesse du rôle des créanciers dans la procédure collective une des raisons de la taille relative du marché des fusions-acquisition de sociétés en difficulté en France. Or, d’un point de vue de l’intérêt général, le fait de pouvoir, de cette manière, faire émerger un véritable marché des entreprises en difficultés est sans doute une bonne chose, pour maximiser les chances de pouvoir conserver les actifs des entreprises dans un cycle productif plutôt que liquidatif. Il est probable qu’au final, la multiplication des acteurs du retournement permette de préserver plus d’actifs que ce ne pourrait être le cas sans leur présence, en période de récession.

                                                                                                                         93  Cass. com, 8 mars 2011.  

94  Ainsi typiquement aux Etats-Unis, dans certains montages de SPV prenant la forme de trust, les dirigeants ne sont pas autorisés à ouvrir une procédure collective.  

Page 44: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  44  

166 Comme nous l’avons précédemment évoqué95, les établissements financiers ne sont pas toujours les mieux placés pour assurer le contrôle de la gouvernance de la société. Ce qui importe c’est qu’ils soient en mesure de contrôler la procédure s’ils sont les propriétaires résiduels, de sorte qu’ils puissent céder, le cas échéant, soit collectivement l’activité de la société, soit individuellement leurs créances à des tiers guidés par une stratégie d’actionnaire.

167 Le développement à venir d’un réel marché de la dette secondaire émise par les sociétés préfigure une plus grande transparence de ce marché. Actuellement, la faiblesse de la position des créanciers est reflétée dans les prix des titres offerts par les fonds d’investissement, désireux de mettre en place des stratégies d’acquisition (les prix subissent une trop forte décote par rapport au montant nominal de la créance). Nous regrettons que la cession de la dette par les créanciers soit encore vécue comme une stratégie de dernier ressort, réduisant l’attrait de cette solution pour de nombreux acteurs.

168 L’intervention de ces tiers permettrait en plus, dans les grandes opérations de restructuration, de réduire le nombre de participants autour de la table, de discipliner les acteurs passifs et au final de faciliter la conclusion d’accords et l’émergence de sociétés suffisamment restructurées, donc compétitives.

                                                                                                                         95  Cf § 123.  

Page 45: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  45  

V.  Conclusion  

169 En conclusion, la procédure collective française n’est donc pas un simple prolongement coûteux du processus de négociation aimiable initié par les parties en amont. Le droit français des procédures collectives, en privilégiant le redressement de la société (l’entité juridique pour elle-même) peut contrevenir à l’objectif de préservation de la valeur d’entreprise de la société défaillante, cet objectif nécessitant que l’activité soit poursuivie dans une société (nouvelle ou d’origine) ayant une structure de capital appropriée. Le principal effet du droit des procédures collectives est ainsi de modifier les anticipations et les comportements des créanciers et des associés dans la phase amiable de résolution du litige. Bien que tous reconnaissent l’avantage de négociations consensuelles en amont d’une procédure collective, les règles actuelles relatives à l’issue possible d’une procédure collective sont ainsi loin d’être neutres si les parties raisonnent de manière stratégique, c’est-à-dire si elles anticipent les effets liés à l’intervention du juge pour décider de l’issue des négociations.

170 Pour ces raisons, le droit français ne fournit pas, à notre sens, un cadre satisfaisant de résolution des difficultés, au sens où il entraîne un allongement des négociations et une restructuration insuffisante du bilan des sociétés. Ces effets, synonymes de destruction de valeur pour les entreprises concernées, engendrent probablement des conséquences négatives pour l’économie toute entière.

171 Le droit des procédures collectives pourrait, sans doute, mieux répondre aux évolutions de notre économie, en grande partie dépendantes de l’efficience des marchés de la dette, malgré le constat fait de ses inhérentes limites. L’innovation financière peut améliorer la capacité du système financier à mieux allouer les ressources (et donc à réduire le coût du crédit), mais peut aussi réduire la stabilité générale du système. L’enjeu est donc de réguler correctement le système, droit des procédures collectives y compris, sans museler l’innovation. Il est certain que l’objectif d’une bonne régulation n’est pas chose facile. Le système économique repose sur un environnement dynamique en constante évolution. Ces évolutions rendent la tâche ardue pour les régulateurs, tant il peut être incertain d’anticiper le sens et l’ampleur des changements à venir. Pour autant, cette incertitude devrait nous pousser à réfléchir au futur et à penser les règles les plus susceptibles de s’y adapter efficacement.

172 Ces changements ne doivent pas, selon nous, être perçus comme le fruit d’un énième arbitrage entre pro-débiteurs et pro-créanciers. Cette vision trop bipolaire du droit des procédures collectives cache le véritable enjeu qui consiste à trouver le moyen de préserver au mieux la valeur des entreprises défaillantes et ce, indépendamment de son actionnariat. Il conviendrait sans doute de faciliter avant la crise de liquidité le transfert aux propriétaires

Page 46: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  46  

résiduels du contrôle de la procédure afin qu’ils puissent décider du sort de l’entreprise (à savoir pendre le contrôle de la société ou céder l’activité à un tiers). Le législateur serait ainsi amené à distinguer deux questions qu’il aborde jusqu’à présent de manière jointe : 1°) savoir si et comment l’entreprise peut redevenir rentable (question que nous avons laissée hors du champ de notre étude) et 2°) savoir qui, parmi les détenteurs de créances sur la société (en ce compris les actionnaires), doit décider du sort (et le cas échéant prendre le contrôle) de la société durant la phase de restructuration. La réorganisation des droits des sociétés dans lesquelles la poursuite de l’activité ne dépend pas de la seule présence aux commandes du dirigeant-associé, est une question totalement indépendante des considérations sociales. A et égard, il convient de souligner que l’objectif de préservation de la valeur sert autant au maintien des emplois qu’à la poursuite de l’activité.

173 Cette évolution aurait des effets bénéfiques sur les perspectives de retournement des entreprises surendettées en facilitant le traitement judiciaire de la défaillance, mais également en privilégiant et en rendant plus efficaces les négociations en amont. Au passage, notre droit gagnerait en lisibilité et en prévisibilité, facteurs essentiels pour la compétitivité de notre économie. Ces changements permettraient sans doute d’abaisser le coût du crédit pour les entreprises et réduiraient le désavantage compétitif de celles subissant le surenchérissement du coût du crédit résultant d’un droit jugé trop favorable aux associés. Ces changements pourraient être un facteur favorable au développement du marché de la dette obligataire (public ou par voie de placement privé), le marché étant jusqu’alors réservé en France qu’aux seuls grands émetteurs. Certains ajustements seront permis afin de favoriser l’esprit d’entreprenariat96 et préserver les intérêts légitimes des associés97.

174 La nouvelle procédure de sauvegarde financière accélérée98, en vigueur depuis le 1er mars 2011, est un pas positif vers la reconnaissance de l’efficacité de règles encourageant la coopération et la négociation. Quelques ajustements nous semblent cependant nécessaires pour que le droit des procédures collectives garantisse la compétitivité des sociétés restructurées et contribue à l’accélération des retournements des entreprises en difficulté. Nos

                                                                                                                         96  Afin de promouvoir l'entreprenariat et éviter la crainte de la spoliation des associés par les créanciers (« fonds vautours ») qui peut être légitime dans certaines juridictions, il peut être intéressant pour le législateur de faire en sorte que l’intervention du juge soit toujours suffisamment coûteuse pour les créanciers afin de les obliger au partage de la valeur avec les associés. On peut de ce point de vue saluer le principe d’un arrêt des poursuites en cas d’ouverture d’une procédure collective et justifier que soit accordée une période d’exclusivité au dirigeant pour présenter un plan de sauvegarde, sur le modèle du Chapter 11 (Le Chapter 11 accorde une période d’exclusivité de 120 jours après ouverture de la procédure collective au dirigeant de la société pour présenter un plan). L’absence d’arrêt des poursuites dans certaines juridictions peut en effet conduire à une destruction de valeur coûteuse pour l’entreprise et la majorité des créanciers.  97  A titre d’exemple en Allemagne, la loi veut que si on donne ses chances à l’associé existant pour réinjecter du capital, il est difficile de voir une injustice dans la dilution forcée.  

98 Loi 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière art. 57 et 58 (JO 23 p. 18984).

Page 47: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  47  

propositions sont cohérentes avec la volonté du législateur, au travers de la loi de sauvegarde et de ses aménagements, de faciliter la conversion de la dette en capital. A cet égard, notre principal reproche vis à vis des dernières réformes est de ne pas fournir les outils juridiques adéquats pour mettre en œuvre les idées proposées.

Nous terminerons cette étude par un exemple pour illustrer notre propos.

Page 48: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  48  

VI.  Exemple  

 

Soit une société aux caractéristiques suivantes :

EBITDA 100M EUR

Trésorerie libre disponible99 (Free cashflow) 50M EUR

Capacité d’endettement 300M EUR

Dette financière au moment du défaut (D) 800M EUR

Valeur de l’entreprise (V)100 500M EUR

N.B. : La société ne connaît pas de crise de liquidité imminente.

Scénario 1 :

Nous supposons, dans ce scénario, que les associés d’origine reconnaissent (i) que V<D, (ii) que la société ne serait pas capable de supporter un niveau d’endettement supérieur à 300M EUR et (iii) ne veulent (ou ne peuvent) réinvestir pour rembourser la dette afin de conserver 100% du capital de la société.

Les associés acceptent d’absorber les pertes de la société via une dilution totale de leur participation au capital. Les créanciers, quant à eux, « acquièrent » la société via une conversion de créances en capital à hauteur de 200M EUR et procèdent à un abandon de créance à hauteur de 300M EUR.

Les créanciers enregistrent ici une perte économique d’un montant de 300M EUR (la différence entre V et D), étant précisé que d’un point de vue comptable et prudentiel, les établissements de crédit pourraient être amenés à constater une perte de 500M EUR, en raison du traitement particulier de la participation au capital obtenue par conversion.

                                                                                                                         99 La trésorerie libre disponible est le montant que la société peut allouer pour couvrir le coût de son financement après prise en compte de tous les frais, besoins opérationnels, impôts, etc, c'est-à-dire la somme disponible pour assurer le remboursement de la dette et/ou pour rémunérer ses associés.  

100   La valeur de l’entreprise (déterminée en fonction de ses perspectives de trésorerie) est par hypothèse supérieure à la valeur liquidative.  

Page 49: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  49  

Ces créanciers financiers n’ayant pas vocation à rester associés de la société, ils envisagent de récupérer la valeur économique de leurs actions au moyen d’une cession de la société, à une date qu’ils jugeront favorable. Selon le prix qu’ils obtiendront pour leurs actions, ils pourront obtenir un retour à meilleure fortune.

Scénario 2 :

Dans ce scénario, le pouvoir de négociation des associés leur permet de conserver une participation au capital de la société.

Eu égard à un environnement juridique plus ou moins favorable aux associés, la perspective pour les créanciers de devoir laisser aux associés une participation au capital de la société les incite à négocier un niveau d’endettement post-restructuration plus élevé. En effet, la détention d’une participation au capital moindre augmente mécaniquement le montant minimal auquel devra être cédée à terme la société du point de vue des créanciers (ce montant tenant compte du prix offert par un tiers à la fois pour les actions et la dette de la société). Ce montant minimal, ou valeur dite « point mort », correspond au montant en-dessous duquel, les créanciers subissent une perte par rapport à leur investissement initial dans la société (800M EUR en l’espèce). Cependant, à partir du moment où l’endettement est fixé à un niveau supérieur à la capacité d’endettement de la société, celle-ci court le risque de voir sa notation de crédit dégradée, ce qui affecte sa compétitivité. On mesure ainsi les effets induits d’un environnement juridique plus ou moins favorables aux associés.

Accessoirement, la perte économique pour les créanciers financiers sera plus importante que dans le scénario 1, ces derniers n’ayant pas de droits sur la totalité de V.

Scénario 3

Dans ce scénario, il est convenu avec les associés d’origine de céder à un investisseur tiers 100% du capital de la société pour un montant égal à 500M EUR sur la base d’un endettement résiduel de 300M EUR. Les créanciers acceptent de participer au prorata de leur exposition au refinancement de la dette de la société (à hauteur de 300M EUR). Puisque le nouveau niveau de dette de la société est en ligne avec la capacité d’endettement de la société, les créanciers peuvent, le cas échéant, vendre la dette au pair sur le marché. En tout état de cause, ils ne devraient pas enregistrer de provisions au titre de cette nouvelle ligne d’investissement. De son coté, la société, comme au scénario 1, bénéficie d’une notation de crédit améliorée.

A l’inverse des deux scénarios précédents, les créanciers n’obtiennent pas dans ce troisième scénario une participation au capital de la société en échange de l’abandon d’une partie de leurs créances. Les créanciers perdent donc toute chance d’un retour à meilleure fortune (au-delà du remboursement de la quote-part de dette refinancée).

Page 50: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  50  

La valeur résiduelle de la société, égale aux 200 M EUR apportés en espèce par le nouvel investisseur, doit être partagée entre les créanciers et les associés sortants, en fonction du pouvoir de négociation des parties et du résultat des négociations. Dans ce scénario, les créanciers figent ainsi de manière définitive leur perte pour un montant qui varie en fonction de l’environnement juridique, comme nous l’avons vu précédemment. Cette perte sera comprise entre 300M EUR (800 M EUR – 300 M EUR de dette résiduelle – 200M EUR supposés remboursés par le nouvel associé au moment de son entrée au capital de la société) et 500M EUR (cas extrême où les associés sortant parviennent à récupérer la totalité de leurs 200M EUR).

Récapitulatif

Scénario 1 : dilution totale de la participation des associés Structure de capital

Avant Après

Pourcentage du capital détenu par les associés 100% 0%

Pourcentage du capital détenu par les créanciers financiers 0% 100%

Montant total de dette 800 300

Capacité d'endettement de la société 300 300

Valeur d'entreprise de la société 500 500

Valeur du capital de la société 0 200

Perte économique pour créanciers financiers 300 300

Valeur "point mort" pour créanciers 800 800

 

Scenario 2 : dilution partielle de la participation des associés Structure de capital

Avant Après

Pourcentage du capital détenu par les associés 100% 15%

Pourcentage du capital détenu par les créanciers financiers 0% 85%

Montant total de dette 800 300

Capacité d'endettement de la société 300 300

Page 51: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  51  

Valeur d'entreprise de la société 500 500

Valeur du capital de la société 0 200

Perte économique pour créanciers financiers 300 330101

Valeur "point mort" pour créanciers 800 888102

 

Scénario 3 : rachat de la société par un investisseur tiers Structure de capital

Avant Après

Pourcentage du capital détenu par les associés 100% 0%

Pourcentage du capital détenu par les créanciers financiers 0% 0%

Montant total de dette 800 300

Capacité d'endettement de la société 300 300

Valeur d'entreprise de la société 500 500

Valeur du capital de la société 0 200

Perte économique pour créanciers financiers 300 300-500

Valeur "point mort" pour créanciers 800 Non

applicable

 

Bien que le scénario 3 montre que la société peut arriver à réduire son endettement sans qu’il y ait nécessairement besoin d’organiser une conversion de la dette en actions ; il ne peut se réaliser que lorsque la situation financière de la société s’est déjà bien détériorée (c'est-à-dire bien au-delà de la date à laquelle les parties peuvent raisonnablement convenir que V<D). Il faut, en effet, dans ce scénario que les associés sollicitent eux-mêmes les candidats au rachat et ils tarderont probablement à le faire. Les créanciers sont, quant à eux, soumis à une obligation de confidentialité les empêchant de solliciter directement l’intervention de tiers.

Ce scénario 3 se rapproche le plus d’une opération de retournement en France, au cours de laquelle les fonds d’investissement sont incités à prendre le contrôle de la société en

                                                                                                                         101  800 M EUR – 300 M EUR – 85% * 200 M EUR  

102  Puisque (888 M EUR – 300 M EUR) * 85 % + 300 EUR = 800  

Page 52: Partage des risques Partage de la Valeur Etude des effets ... · des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Parfois les objectifs et les ... 4

 

  52  

rachetant les actions de la société pour une somme symbolique, tout en négociant parallèlement auprès des banques un abandon de créances.

Il convient également de souligner que les associés d’origine pourraient faire eux-mêmes une offre similaire aux créanciers financiers, en acceptant de souscrire à une augmentation de capital en échange d’un amortissement partiel de la dette et d’un abandon partiel du solde. Cette proposition n’aurait un intérêt pour les créanciers que si ces derniers estiment que la valeur de l’entreprise est inférieure à 500M EUR (c’est à dire s’ils pensent que la probabilité de baisse de valeur est supérieure à celle de pouvoir céder, dans un délai raisonnable, leur participation pour un montant supérieur ou égal à 200M EUR, montant qui serait libéré immédiatement dans le cadre de l’augmentation de capital). Notons qu’en tout état de cause, dès lors qu’un investisseur rationnel considère que la valeur de l’entreprise est de EUR 500M et que la dette post restructuration sera de EUR 300M, il n’envisagera de participer à cette augmentation de capital que pour un montant plafonné à EUR 200M (à défaut, toute somme investie au dessus de ce seuil aurait pour effet d’enrichir les créanciers au détriment du nouvel investisseur).

On anticipe que les associés pourraient avoir intérêt à noircir volontairement le tableau dans le but de convaincre les créanciers d’accepter en échange d’un abandon de créances (en l’espèce de 300 EUR) un remboursement partiel de dette plus faible, ce qui provoquerait un transfert de valeur économique des créanciers aux associés.

De la même manière, dans l’hypothèse où des investisseurs tiers reprennent la société, ces derniers pourraient avoir intérêt à intervenir tardivement dans le processus pour (i) augmenter leur chances de négocier un abandon de créance (ou acquérir la dette pour un prix décoté) et/ou (ii) réduire la prime payée pour la valeur économique des actions, une fois le montant de la dette adapté à la capacité d’endettement103.

Ces observations rappellent l’importance de l’information disponible et de la conduite d’études de valorisation impartiales au stade de la négociation, dans la mesure où elles permettent une réorganisation plus rapide du bilan de la société.  

 

                                                                                                                         103  Néanmoins ces nouveaux acteurs doivent, afin de sécuriser leur investissement, acquérir un nombre suffisant de créances leur permettant de contrôler le processus de négociation. Cela suppose qu’ils commencent à se positionner suffisamment en amont.