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Parent malade : Dire la vérité aux enfants par Nicole Landry-Dattée, psychanalyste à l’Unité de Psycho-Oncologie, et Marie-France Delaigue-Cosset, médecin (Institut Gustave-Roussy - Villejuif) Novartis Pharma S.A. Service Santé & Proximologie 2&4, rue Lionel Terray - BP 308- 92506 Rueil-Malmaison www.proximologie.com

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Parent malade :Dire la vérité aux enfants

par Nicole Landry-Dattée, psychanalyste à l’Unité de Psycho-Oncologie,et Marie-France Delaigue-Cosset, médecin (Institut Gustave-Roussy - Villejuif)

Novartis Pharma S.A.Service Santé & Proximologie

2&4, rue Lionel Terray - BP 308- 92506 Rueil-Malmaisonwww.proximologie.com

Préface

De qui les enfants tiennent-ils cette fameuse vérité qui «sort de leur bouche» ? En premier lieu, deleurs parents. C’est auprès de ses parents que l’enfant explore la vérité du monde qui l’entoure. Cesont eux qui lui livrent les repères nécessaires pour décrypter son environnement, se construire,s’adapter, avancer avec sérénité dans la vie. Le plus souvent, cet échange se construit dans unebelle complicité et en toute transparence. La curiosité insatiable qui habite les plus jeunes irriguela qualité des relations parents-enfants. «Tu me poses une question sur le monde, et ma réponset’enrichit».

Mais l’arrivée brutale d’une maladie grave dans le cercle familial peut bouleverser radicalementcet espace de confiance réciproque. Surtout lorsque, comme c’est le cas pour le cancer, l’idée demort s’invite insidieusement dans les esprits. Blessé dans ses chairs, l’adulte est envahi par dessentiments contradictoires : déni ou sidération devant l’inacceptable, impossibilité d’exprimer sasouffrance, angoisse devant ce qui l’attend, honte de se sentir diminué, culpabilité vis-à-vis del’entourage.Et paradoxalement, c’est souvent le désir de protéger ses enfants qui creuse un fossé avec l’adultemalade ou son conjoint. Sans prévenir, le non-dit succède aux paroles fluides de la veille. Les rirescristallins se fracassent sur un mur de silence que l’enfant ne peut comprendre ni accepter.

C’est parce qu’elles ont si souvent observé les conséquences pathogènes de ce silence assourdis-sant sur la santé psychique et le bien-être de l’enfant que Marie-France Delaigue-Cosset et NicoleLandry-Dattée ont souhaité nous livrer le fruit de leur expérience.Leur pratique de médecin et de psychanalyste auprès des malades du cancer et de leurs prochesles a convaincues de la nécessité de renouer le dialogue entre parents et enfants. Depuis 10 ans,leurs compétences s’expriment dans l’animation, au sein de l’Institut Gustave-Roussy, d’un groupede parole dans lequel petits et grands se retrouvent au fil d’un échange franc et libérateur.Elles nous transmettent aujourd’hui l’essentiel de leur savoir-faire et savoir-être acquis au fil desrencontres avec ces familles meurtries par la maladie, puis réunies par l’écoute et la parole.

Ce guide a été conçu en priorité pour le médecin généraliste. Il est en effet apparu important d’ai-der le médecin de famille – qui reste en première ligne dans le suivi des soins et dans le soutien aumalade - à aborder avec les parents le sujet de l’information de l’enfant. Pour ce faire, une fiche àremettre aux parents figure en annexe.Il s’agit donc à la fois d’un outil de travail didactique et pratique. Didactique, puisque, à partir desituations cliniques rencontrées par les auteurs, il détaille la perception que peuvent avoir lesenfants lorsque la maladie leur est cachée, et qu’il avertit sur les risques qui les guettent à l’ado-lescence puis à l’âge adulte.

«La vérité,c'est ce qui simplifie le monde

et non ce qui crée le chaos».

Antoine de Saint-Exupéry - Terre des hommes

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I N T R O D U C T I O N .......................................................................... p 6

D I R E L A V É R I T ÉP O U R Q U O I ? ............................................................................................... p 8

D I R E L A V É R I T ÉQ U A N D , C O M M E N T ? ................................ p 1 2

D I R E L A V É R I T ÉQ U I ? ........................................................................................................................................... p 1 6

R E S S O U R C E S ....................................................................................... p 2 1

Patrick BonduelleResponsable du service

Santé & Proximologie de Novartis

Pratique aussi, car il s’attarde sur la manière d’aborder le sujet du cancer avec les enfants. Dire lavérité, c’est accorder ce qui est dit, à ce qui est. Et fort justement, Fénelon rappelait qu’il «ne suf-fit point de montrer la vérité, il faut la peindre aimable».Puisque chaque situation familiale est unique, il s’agit surtout de donner des clés ou des repèrespour aider le praticien et les parents à convenir du meilleur mode de communication à employer.Celui-ci dépend avant tout de la richesse des relations parents-enfant qui préexistent à la maladie,et de la personnalité de chaque membre de la famille.

Cette initiative s’inscrit parfaitement dans la série d’engagements pris par Novartis pour humani-ser la prise en charge globale des patients et celle de leur entourage. Au-delà des enjeux de pré-vention, de diagnostic précoce, de traitements adaptés et de plus en plus ciblés qui conditionnentle succès thérapeutique, il nous apparaît essentiel de contribuer à la préservation de l’environne-ment social du malade. Et, au regard de la place et du rôle qu’il joue auprès du patient, c’est bienl’entourage familial – conjoints, enfants, proches parents, amis – qui doit faire l’objet d’une atten-tion spécifique. C’est tout l’objet de la proximologie, cette aire de recherche qui se consacre àl’étude de la relation d’exception entre la personne malade et son entourage.

En améliorant notre compréhension de la relation complexe et polymorphe de la personne mala-de avec son entourage, nous pouvons favoriser une meilleure prise en charge du traitement et dela maladie. Les études de proximologie déjà réalisées nous apportent des éléments de réponsequant au retentissement de la maladie sur l’entourage, aident à mieux comprendre les limites deleur rôle et ainsi à répondre plus adéquatement à leurs attentes. L’étude FACE (Femmes Atteintesd’un Cancer du sein et Entourage) a ainsi révélé que la maladie n’est pas vécue de la même maniè-re par le conjoint et par l’enfant de la patiente et induit des besoins d’information et de prise encharge différents.Novartis encourage la réflexion des professionnels en soutenant des événements d’envergure telsque le premier « Forum Cancer et Proches » de décembre 2003, les « Etats Généraux » de la LigueNationale contre le Cancer ou encore la journée « Parents malades : l’enfant et la vérité » des uni-tés de Psycho-Oncologie de l’Institut Gustave Roussy et de l’Institut Curie. Le recueil et le partagede ces réflexions doivent contribuer à l’élaboration de mesures et de propositions concrètes –telles que ce guide – pour étoffer le projet de soin dans sa globalité.

Engagé dans cette réflexion innovante, le service Santé & Proximologie de Novartis espère que cerecueil apportera une aide précieuse à tous les médecins soucieux de l’efficacité des soins et dubien-être de la personne malade et de ses proches.

I N T R O D U C T I O N

“ Mes enfants regardaient une cassette

de Blanche-Neige, raconte Mme C.

Soudain, mon fils (3 ans) interroge

sa sœur (5 ans) : “C’est quoi une belle-

mère ?” Et j’entends celle-ci lui

répondre : “Sa mère avait un cancer,

elle est morte. Son père s’est remarié,

c’est ça, une belle-mère.”

Interloquée, je lui demande pourquoi

elle pense que la maman de Blanche-

Neige avait un cancer. “Ben, elle était

très malade et elle est morte, c’est

qu’elle avait un cancer.” Et pourtant,

explique Mme C., je leur avais caché

ma maladie… ”

Un matin comme beaucoup d’autres

à l’hôpital. Mme P. n’a plus que

quelques heures à vivre. Son mari est

totalement désemparé, d’autant plus

que les trois enfants du couple sont à

l’école et ne savent rien de la maladie

de leur mère et encore moins de sa

mort prochaine.

LES ENFANTS :“ On veut la vérité, de nos parents… avec des mots gentils. ”“ Quand on ne sait pas, ce qu’on imagine est toujours pire que la réalité. ”“ Mais on comprend qu’ils veuillent nous protéger de la tristesse et de la peur. ”

LES PARENTS :“ On n’y arrive pas, on ne peut pas communiquer. ”“ On ne veut pas les traumatiser… ”“ Pourquoi ? quand ? comment leur parler ? ”

“On comprend que nos parentsveuillent nous protéger de la tris-tesse et de la peur” ; “On veut lavérité de nos parents, avec desmots gentils.”

Engager le dialogue avec l’enfant,c’est répondre à son attente.Plus profondément, c’est aussireconnaître sa capacité de com-prendre, lui marquer notre confian-ce d’adulte et le mettre en situa-tion de grandir – rôle primordialdes parents à maintenir et encoura-ger malgré l’épreuve de la maladie.Parler est nécessaire et possible.Cette conviction nous guidequotidiennement dans notretravail, et nous souhaitons ici latransmettre au médecin généraliste,l’interlocuteur médical le plusproche du malade et de sa famille,le plus souvent le mieux placé pourinformer, soutenir, aider et prévenirles effets psychopathologiques àplus ou moins long terme de lamaladie grave ou de la mort d’unparent.

Depuis 10 ans,Nicole Landry-Dattéeet Marie-France Delaigue-Cossetco-animent des groupes desoutien aux enfants de parentsmalades. Au cours de cesannées, elles ont reçu et écoutéplus de 500 enfants accompagnésde leurs parents, soit plusde 280 familles

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Un silence assourdissant

Dans ces deux situations présentéesdans l’introduction, de début et defin de maladie, le choix du silencerelève d’une même volonté bienlégitime de protéger les enfantsde l’angoisse de la maladie, voirede la mort d’un parent.Or, bien au contraire, le non-ditentraîne toutes sortes d’effetsdélétères, car il accroît l’angoissede l’enfant, qui perçoit celle desadultes sans la comprendre.

Quand rien ne lui est dit, ce quel’enfant imagine se révèle toujourspire que la réalité : tel est l’ensei-gnement que nous retirons denotre expérience d’animation degroupes de soutien aux enfants deparents malades. Face à l’effondre-ment que représente l’annonced’un diagnostic de cancer quienferme les adultes dans le silence,nous avons le devoir d’entendrece que nous disent les enfants :

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DIRE LA VÉRITÉPOURQUOI ?L’histoire de Blanche-Neigerapportée précédemment entémoigne, même si rien ne leur estdit, les enfants “savent”.Or l’enfant se construit sur la totaleconfiance qu’il a en ses parents.Lorsqu’il découvre qu’on l’a trompéou qu’on lui a menti, il perdcette confiance. L’inquiétude,la culpabilité voire le traumatismequi s’ensuivent peuventcompromettre gravementson développement ultérieur.

Une peur accrue

Les enfants perçoivent l’angoissedes adultes, comprennent qu’il sepasse quelque chose de grave.Même sans mot, l’angoisse circule !Le silence qui fait écho à leurdésarroi majore leur peur etles sentiments qu’ils éprouvent :anxiété, comme nous venonsde le voir ; jalousie de n’être plusle centre d’intérêt des parentsqui se focalisent sur le malade ;colère d’être “détrôné” par lamaladie ; et surtout sentimentd’être délaissé, qui réveille la peur,l’angoisse d’abandon.

L’égocentrisme du jeune enfant,qui lui donne un sentiment detoute puissance, l’expose en retourà se sentir coupable de ce qui arriveà ses parents, sans qu’il puisse ana-lyser ce sentiment. Cette culpabili-té est d’autant plus redoutablequ’à l’âge du “complexe d’Œdipe”(3-5 ans), l’enfant souhaite, plusou moins consciemment, prendrela place du parent de même sexe,ce qui fait dire au petit garçon :“Quand je serai grand, je me marieraiavec Maman…” et désirer, plusou moins secrètement, la mortdu père. Ce souhait peut-être lancépar l’enfant sous l’effet de lacolère, quand il se fait gronder(“D’abord, t’es méchant, je veuxque tu sois mort ”).

LES ENFANTS “SAVENT”

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Cette période étant dominée parla “pensée magique” (“Je pensequelque chose et ça arrive”),si le parent meurt “pour de vrai”,la conjonction du fantasme et de laréalité fait le lit d’une culpabilitédont les conséquences peuvent serévéler tout à fait dommageablespour l’enfant tout au long de sa vie.

Des comportementssymptomatiques

Quand rien ne leur est dit,les enfants expriment leur inquié-tude par des comportementssymptomatiques variant enfonction de leur âge et de leurstade de développement.L’agitation traduit la nécessitépour eux de s’éprouver vivants.L’agressivité est l’expressionde la colère qui se déplacesur les autres enfants à défaut depouvoir s’adresser directement auxparents. Les troubles du sommeilse manifestent soit par la difficultéà s’endormir (liée à l’angoisse deséparation : aller dormir c’est seretrouver seul dans sa chambre),soit sous forme de cauchemars(expression de l’angoisse) quiréveillent l’enfant. Cette inquiétudepeut se manifester par des pertur-bations du comportement alimen-taire : anorexie versus boulimie.L’anxiété peut provoquer l’arrêt desapprentissages : propreté, marche,autonomie, apprentissage scolaire.

Quand rien ne lui est dit, le débor-dement de l’imagination de l’en-fant, qui tente vaille que vaille detrouver une explication à ce qu’ilperçoit, l’empêche de se concentrer(ces signes peuvent égalementaccompagner la dépression).Les symptômes somatiques : malau ventre, asthme, eczéma…,les difficultés relationnelles (retraitou agressivité) sont aussi des“clignotants” révélateurs du mal-êtrede l’enfant. De même, les conduitesà risque peuvent accompagner unsyndrome dépressif et révéler desconduites suicidaires a minima.La délinquance, la toxicomanie,les fugues, voire les tentatives desuicide peuvent être une rechercheinconsciente d’autopunition ou depunition en lien avec la culpabilité.Tous ces comportements s’expri-ment différemment selon le stadedu développement de l’enfant, bienque les inquiétudes soient iden-tiques. Quel que soit le degréd’autonomie, ils sont autant de“signaux d’appel” qu’il estimportant de décoder.

Marie (3 ans) vient en consultation accompagnée desa maman qui ne sait comment lui annoncer que sonpapa est mourant. Jamais rien n’a été dit à l’enfant decette maladie et de sa gravité. Quand Marie entre dansle bureau de la psychologue, elle s’allonge, ne bougeplus et lance devant sa mère stupéfaite : “ Regarde,Madame, c’est comme ça quand on est mort ! ”

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La fragilité de l’adolescent

L’adolescent se trouve confrontéà une situation particulièrementdifficile à un moment où ilcherche à prendre son autonomie.Or cette autonomie est d’autantplus nécessaire que cette périoderavive le complexe d’Œdipe et quel’interdit de l’inceste obligel’adolescent à chercher ses objetsd’amour en dehors de sa famille.Il ne peut le faire qu’au prixd’une relation conflictuelle avec sesparents qui deviennent “les mau-vais”, ce qui justifie la nécessitéde les quitter (il serait trop culpabi-lisant pour le jeune de s’éloignerde “bons” parents). Quand cetteremise en question parentale nepeut se faire, du fait de l’enfantou des parents qui ne lui permet-tent pas de s’autonomiser et nepeuvent supporter l’opposition,l’adolescent ne pourra pass‘autoriser à grandir et à partir.

Cette période est un réel momentde crise pour l’enfant qui secherche et qui se voit en miroirchez ses pairs, ce qui explique enpartie les phénomènes de groupecaractéristiques de l’adolescence.La maladie grave d’un parent, voirela mort, met à mal ce passage obligévers l’âge adulte. L’adolescent se sentcoupable de s’éloigner à un momentoù le parent a besoin de lui.

Il se sent également coupable de lahonte ou du dégoût qu’il éprouveface à ce parent affaibli, qui sedégrade physiquement et auquelil ne peut plus s’identifier.À cet âge, il est nécessaire derespecter le silence de l’enfant etson malaise. Cela ne doit toutefoispas empêcher les parents de luiparler sans l’obliger, lui, à parler.On peut seulement s’assurerqu’il peut le faire ailleurs, prèsd’un ami, d’un oncle d’une tante,d’un professeur…Tous ces symptômes sontréversibles si on l’y prête attention,mais ils peuvent être domma-geables à plus ou moins longterme s’ils ne sont pas pris encompte.

Un risquede dépression grave

Si ces troubles ne sont pas traités,ils s’enkystent et perturbent laconstruction de la personnalitéde l’enfant, qui peut devenir unadulte bâti sur des séquelles tellesqu’une anxiété majeure, l’angoissede maladie grave, voire unehypochondrie ; une instabilitéaffective ou sociale rendantimpossible toute relationd’attachement.

Ce sont des personnes qui vontde rupture en rupture, dans unerépétition incessante de la douleurprovoquée par la perte d’un parentdans l’enfance – perte qui les aplacées en situation de totaleimpuissance. Mettre fin à touterelation où se joue un attachementest pour celles-ci comme unetentative de reprendre une positionactive et de se dégager de l’angoissequi a accompagné le premiertemps du traumatisme.La réactivation du traumatismequ’il n’a pas maîtrisé à l’époquefragilise l’adulte, qui court unrisque de dépression grave, voirede maladie mentale.Adulte lui-même devenu parent,il ne pourra s’occuper de façonadéquate de ses propres enfants.C’est alors ce que l’on pourraitappeler un “héritage en négatif”.

Un enfant agité, instable, est souvent un enfant déprimé.Plus complexe à repérer que chez l’adulte, cette affection est souventdiagnostiquée comme hyperactivité ou hypernervosité. La psychothérapieest parfaitement efficace chez l’enfant, et la prise médicamenteuse n’estpas nécessaire.

Pia a 10 ans quand sa maman meurt.Rien ne lui a jamais été dit de la maladie de samère. Au moment du décès, elle est éloignéeet confiée à sa famille.Sur le chemin du retour, on lui assure que samaman est guérie puis, sans transition, elledécouvre que celle-ci est morte et enterrée.Depuis ce temps et jusqu’au moment où elleatteint l’âge qu’avait sa mère à son décès,Pia va de mal en pis, bien qu’elle soit devenuemère de famille à son tour.Sa profonde dépression évoluant depuisl’enfance l’amène à des idées suicidaireset la conduit à entreprendre unepsychothérapie. Elle comprendra alorsqu’elle ne peut s’autoriser à vivre plus âgéeque sa mère et que sa mort reviendrait àmettre ses enfants dans la même situation oùelle était elle-même à leur âge (répétition).

Cette compréhension, cette prise deconscience de l’origine de son mal-êtrel’aident à sortir de la dépression et à vivrepleinement pour elle, son mari et ses enfants.

L’HISTOIREAMPUTÉE

LA DÉPRESSION

CHEZ L’ENFANT

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– Tu sais ce que c’est commemaladie ?– Une maladie où on peut mourir.– Oui, mais tout le monde faittout ce qu’il peut, tout ce qui estpossible de faire pour me soigner.”– …

Une informationadaptée selon le stadede la maladie

Si elle n’est pas prise au momentoù la maladie se déclare, la déci-sion de parler peut intervenir ulté-rieurement. Il est alors nécessaired’expliquer à l’enfant pourquoi onne lui a pas parlé plus tôt, que cen’est pas pour le tromper maisparce que c’est difficile à dire, àvivre pour soi-même. L’informationqu’on lui donne doit également êtreadaptée au stade de la maladie.

En début de maladieLorsque la maladie se déclare,il faut reprendre son histoireen évoquant les symptômes,les examens pratiqués, leshospitalisations, etc., ce qui permetde dévoiler progressivement lenom de la maladie. Il est importantd’employer les mots exacts etde prononcer le mot cancer.De même, il est préférable d’utiliserle mot soigner plutôt que guérirpuisqu’on ne maîtrise pas l’évolu-tion de la maladie et qu’il ne fautjamais promettre ce qu’on n’estpas sûr de tenir.On peut comme ci-dessus direà l’enfant que “tout le monde faittout ce qu’il peut pour soignerpapa ou maman.” Il faut aussiexpliquer les traitements et leurseffets secondaires ainsi que lesbouleversements psychologiqueset la réorganisation de la viequotidienne qu’ils entraînent.

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DIRE LA VÉRITÉQUAND ? COMMENT ?

Le mieux est de parler le plus tôtpossible en début de maladie.Cependant, il importe de ne pasretransmettre cette mauvaisenouvelle à l’enfant de façon tropbrutale et d’attendre de l’avoirsoi-même “métabolisée”.

Des mots simples,justes et vrais

L’adulte peut prendre l’initiatived’engager le dialogue à partird’une situation dont l’enfantest le témoin : un arrêt de travailà l’occasion d’un premiertraitement, d’une premièrehospitalisation ou d’un projetqui a dû être différé ou annulé(une sortie, des vacances…).

Chaque famille doit communiqueravec ses mots, ses valeurs et seshabitudes, mais cette discussion –où l’adulte doit veiller à employerdes mots simples, exacts et vrais –pourrait ressembler à cet échange :– “Tu te demandes peut-êtrepourquoi je ne vais pas travailler( je vais à l’hôpital)… Tu vois, l’autrejour, en prenant ma douche, j’aidécouvert que j’avais une bouledans le sein. Je suis allée voirle médecin qui m’a fait faire desexamens, et on a découvert quej’avais des cellules pas normales.Alors je dois être hospitaliséequelques jours.– C’est grave pour que tu ailles àl’hôpital ?– C’est quoi, pour toi, une maladiegrave ?– Une maladie difficile à soigner ?– …– Mais c’est quoi ta maladie à toi ?– Ça s’appelle un cancer…

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Lors d’une rechuteEn cas de rechute, on récapituleraavec l’enfant tout ce qui a déjàété fait, en précisant que “toutle monde fait tout ce qu’il peutpour soigner” et en ajoutant“que l’on n’est pas tout à faitsûr d’y arriver”. Introduire ledoute quant à la possibilitéd’une totale guérison permetde n’être pas pris au dépourvusi la maladie évolue défavorable-ment.

En phase terminaleS’il n’y a plus de traitementscuratifs possibles, il faut allerplus loin et expliquer “que tout lemonde a fait tout ce qu’il pouvait,tout ce qu’il savait faire poursoigner papa ou maman, et qu’onn’y est pas arrivé”.Va se poser alors la question de lamort du parent, à laquelle il fautpréparer l’enfant progressivement.Le choc sera moins brutal pour luis’il a pu commencer à y penser.Attention à ne pas anticiper troplongtemps à l’avance quand ils’agit de jeunes enfants : la notiondu temps n’est pas la même selonl’âge.

La mort et lesobsèques

Ce n’est pas parce qu’on penseà la mort ou qu’on en parle qu’on

la souhaite ou qu’elle survient(cf. la “pensée magique”).Si l’enfant pose la question, il nefaut pas se dérober même si ellesurvient comme bien souvent defaçon inattendue et si le décès duparent est proche, il faut le préve-nir et le préparer.Dans ce moment, il est importantque l’enfant reste présent avecl’ensemble de la famille et puissecontinuer à voir son parent.À l’hôpital, on pourra lui proposerun temps seul avec lui, s’il le désire,pour lui dire au revoir, lui exprimerl’essentiel et avoir le sentimentde l’accompagner jusqu’au bout.Lors des obsèques, la questionde la présence de l’enfant se posesouvent. Il faut non seulementque l’enfant y participe, mais aussiqu’il y ait une place active.Au moment de la levée du corps,on veillera par exemple qu’il puissedéposer dans le cercueil un objet,un dessin, un poème, en signede dernier adieu. En échange,il peut-être important pour l’enfantde lui remettre en signe de trans-mission, d’objet transitionnel,quelque chose de précieux quia appartenu au parent décédé etque l’enfant gardera toute sa vie.

Le temps du deuil

“Si le parent ne peut faire le deuil,l’enfant lui-même ne le pourra pas”,

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* Sigmund Freud définit le deuil comme le “processus intrapsychique,consécutif à la perte d’un objet d’attachement, par lequel le sujetréussit progressivement à se détacher de celui-ci.”

a dit Ginette Rimbault, psychana-lyste (La Clinique du réel, Seuil,1982).D’où l’importance de se préparerà la mort et d’en parler pouratténuer ce traumatisme, amorcerle travail du deuil* et prévenirses effets pathologiques.Après la disparition de son parent,pour l’enfant comme pour l’adulte,ce travail de deuil commence biensouvent par un épisode dedépression réactionnelle.Il n’y a pas lieu de s’en inquiéteroutre mesure ni de “psychologiser”ces manifestations de souffrance,mais il faut les “accompagner”,en expliquant à l’enfant queles adultes sont là pour le souteniret qu’il peut s’appuyer sur eux.Il est toutefois nécessaire de restervigilant à l’évolution de ces signes :si les troubles s’aggravent plutôtque de régresser, l’avis d’unspécialiste s’impose.

Pour l’adulte, comme pourl’enfant, un deuil sans cadavreest un deuil impossible à faire.

Les rites funéraires sont indis-pensables au travail du deuil.

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Face à ces difficultés decommuniquer, qu’elles soient liéesau désarroi ou à une volonté deprotéger l’enfant d’un traumatisme,la possibilité et le devoir d’ouvrirla voie du dialogue – sans se sub-stituer aux parents – revientsouvent aux médecins généralistes,qui accompagnent les maladeset sont proches des familles.

En première ligne :le généraliste

Le médecin de famille qu’est legénéraliste est souvent le premiertémoin de la difficulté. Si d’autresintervenants – psychologues, pédo-psychiatres, pédiatres, etc. –peuvent aussi se révéler efficacesdans ce type de situation, cetteantériorité le place en premièreligne pour apporter conseil, aideet encouragement, et prévenir leseffets psychopathologiques chezl’enfant de la maladie grave et dela mort à court, moyen et longterme. S’il échoue à débloquer la

situation en suivant les quelquespistes indiquées ci-dessous, sil’enfant semble trop perturbé, siles symptômes persistent ets’aggravent, il n’hésitera pas à passerla main pour demander l’avis d’unpsychothérapeute d’enfant.

Évaluer la situation et relancer le dialoguefamilial

Après s’être au préalable assuréque le malade lui-même connaîtson diagnostic et qu’il a biencompris le projet thérapeutique,le médecin peut tenter de renouerle dialogue au sein de la famille.Lors d’une consultation, il seraimportant de s’inquiéter de ce quia été dit ou dissimulé aux enfantset des modifications éventuellesdans leurs comportements et leursrelations.Si les parents ne veulent ou nepeuvent pas parler, il est possiblede les y amener en pointant leseffets délétères du non-dit.

>

DIRE LA VÉRITÉQUI ?

La réponse des enfantsà cette question ne laisse aucuneambiguïté : “On veut la vérité de nosparents, sinon on l’apprendra pard’autres, et on ne les croira plus.”

Si leur attente ne se traduit pasen questions, c’est bien souventparce que les enfants perçoiventla réticence des parents à parlerde ce qui se passe, et qu’ils nes’autorisent pas à les interroger.Mais les adultes qui justifientleur silence par celui des enfantsqu’ils interprètent commede l’indifférence se trompent,car il est tout sauf cela.Dans d’autres cas, c’est la crainted’être débordés par l’émotion et depleurer devant l’enfant qui pousseles parents à se taire.Or, ce ne sont pas tant les larmesqui inquiètent l’enfant que de nepas en connaître la cause. Il estimportant d’expliquer les raisonsde cette tristesse, mais aussi delaisser l’enfant exprimer ce quil’affecte, et l’aider à le faire plutôtque le garder pour lui.Un enfant en retrait et qui n’exprimerien est plus inquiétant qu’unenfant qui manifeste son chagrin,car cette attitude est fréquemmentliée à un état de choc ou à lasidération de sa pensée.Ce n’est pas parce que l’on nemontre rien que l’on n’éprouverien. Bien au contraire.

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Proposerune consultationavec l’enfant

Les enfants se posent les mêmesquestions médicales que leursparents quant à l’origine du can-cer, à la gravité du pronostic,aux traitements et à leurs effetssecondaires (vomissements,fatigue, alopécie, aplasie…).La parole du médecin légitimela réponse, car il représentecelui qui “sait”.Elle est aussi souvent pour l’enfantune réassurance que ses parents–si tant est qu’ils l’informent–disent vrai…Une explication simpleet précise vient au secoursde l’enfant et l’empêchede se perdre ou de resterfixé à des fantasmeset à un imaginaire tropangoissants.

Quelques arguments forts serévèlent souvent convaincants :- l’intensification de l’angoisse.Contrairement à ce que les parentspensent, ce que les enfants imagi-nent quand rien ne leur est dit esttoujours pire que la réalité et nefait qu’accroître leur angoisse ;– la perte de la confiance.Lorsque l’enfant découvre le men-songe, quel qu’en soit le moment,l’idéalisation de ses parents,la confiance totale qu’il leuraccorde et tout son mondeintérieur s’effondrent ;– la culpabilité.Comme la dépression, l’existencede la culpabilité et ses effets perni-cieux restent souvent sous-estimés ;– Le sentiment d’impuissance.Ne pas laisser les enfants à l’écartou dans l’ignorance revient à leurdonner une possibilité d’aider,de se sentir utiles et soutenants,de “réparer” leur culpabilité mêmeinconsciente et de se sentir moinsimpuissants…Si l’initiative de parler reste insur-montable pour les parents, l’échan-ge peut s’engager en présence dumédecin, à condition que le parentprononce lui-même les motsessentiels (cancer, mort…).

Cet entretien doit être préalable-ment préparé par le médecin avecle(s) parent(s) seul(s), en tenantcompte du vécu, du mode de fonc-tionnement et de communicationfamilial préexistant à la maladie,qu’il est nécessaire de repérer,d’évaluer et de respecter.

Encourager les visitesà l’hôpital

Bien que beaucoup d’hôpitauxl’affichent, l’interdiction auxmoins de 15 ans n’est pas une loi.Chacun (médecin, soignants,malades…) doit œuvrer à l’ouver-ture des services hospitaliers auxenfants. Faire venir les enfants àl’hôpital permet à ceux-ci demaintenir le lien affectif avec leurparent, de se dégager des fantasmes,de ne pas se sentir tenu à l’écart,et dédramatise la situation. Voir lachambre où est soigné leur parent,rencontrer les personnes quis’occupent de lui constituent enoutre un ensemble de repèresconcrets pour penser à lui.Pour le parent, ces visites ont biensouvent un effet stimulant etantidépresseur…

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Pleurer n’est pas unsigne de faiblessemais d’humanité.

Aider un enfant endifficulté, c’est d’abordet avant tout aider sesparents.

Ne pas hésiter à passerla main et demanderl’avis d’un psychothé-rapeute d’enfants.

Face à l’impossibilité de dire des parents et à l’impérieuse nécessitéde savoir des enfants, vous, médecins, pouvez et devez intervenirpour aider et encourager les adultes à parler. C’est un rôle capitaldans la prévention des psychopathologies de deuil chez l’enfant.

Ne rien dire ; mentir ;faire semblant ; éloigner l’enfant ;utiliser le chantage ; culpabiliserl’enfant ; inverser les rôlesen demandant à l’enfantde s’occuper du parent ;employer certains mots(parti, perdu, endormi) quel’enfant prend au sens propre(s’il est perdu, on va le retrouver,parti, il va revenir).

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UN RÔLE DE PREMIER PLAN

ERREURS À ÉVITER

UN RÔLEPOUR LES

ENSEIGNANTS ?Faut-il informer les enseignants en cas de maladiegrave d’un parent ? Quel rôle peuvent-ils jouerpour aider les enfants à traverser cette épreuve ?La personnalité et l’âge de l’enfant (école mater-nelle, primaire, collège), le statut de l’enseignant(instituteur, donc unique référent, ou professeurparmi d’autres), l’investissement de la famille vis-à-vis de l’école sont des paramètres trop variablespour proposer une réponse valable dans tous lescas. Tenu au secret, le généraliste devra ici se limiterà son rôle d’interlocuteur des parents. La décisiond’informer comme l’initiative de le faire restent duressort des familles.

À lire en premier- Revue francophone de psycho-oncologie ; "Parent malade : l'enfant et la vérité",

2004, vol 3, n°3.- "L'enfant face au cancer d'un parent” : Nicole Landry-Dattée et Marie-France

Delaigue-Cosset, Editions Vuibert, Collection Espace éthique ; 2005.- "Anatole l'a dit", édition K’NOË (www.k-noe.fr).- "Parler du cancer avec son enfant", Société canadienne du cancer, 2001.

Groupes de parole destinés aux enfants de parents malades- Groupe de parole, Institut Gustave Roussy,

animé par Nicole Landry-Dattée ; Marie-France Delaigue-CossetInstitut CURIE, Unité de psycho-oncologie, Paris : 01 44 32 40 33.

- Centre Hospitalier du pays d'Aix, Unité de traitement de la douleur et équipe mobilede soins palliatifs, Aix-en-Provence :Renseignements : Ligue contre le Cancer : 04 42 38 98 99.

- Equipe mobile de soins palliatifs de Metz-Thionville : 03 82 55 88 26.- "Paroles d'enfants", CHR Orléans, Orléans : 02 38 74 44 43.- Groupes enfants, Centre Gauducheau, Nantes : 02 40 67 99 97.- Service d'aide spécialisée à domicile - Cancer et enfance (SASAD-KE),

Angers : 02 41 73 07 61.- Espace Parents-Enfants, Centre Paul Papin, Angers : 02 41 35 27 00.- Les goûters de l'IPC, Institut Paoli Calmette, Marseille : 04 91 22 33 97.- Groupes enfants, Centre Léon Bérard, Lyon : 04 78 78 26 57.- Groupes enfants, Centre François Baclesse, Caen : 02 31 45 51 71.- SPHERES (Soins Palliatifs Hôpitaux et Réseaux Externes de Santé),

Montpellier : 04 67 72 94 58.

Ressources internet - Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées : www.sante.gouv.fr- Ligue nationale contre le cancer : www.ligue-cancer.asso.fr- Jeunes Solidarité Cancer : www.jscforum.net- Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer : www.fnclcc.fr- Espace Cancer et Proches : www.proximologie.com

RESSOURCES

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>En guise de conclusion

Bien sûr, ces propos ne sontque des pistes, des clés pourtémoigner qu’il est tout à faitpossible de parler avec l’enfantde sujets graves.

Tout est dans la manière de le faire,“avec des mots gentils”, comme ilsle demandent. À chacune desfamilles de communiquer avec sesmots, ses valeurs, ses habitudes…l’essentiel étant de communiquer !

Engager le dialogue avec l’enfant,c’est l’autoriser à savoir, àcomprendre, à parler…donc à grandir.

Que nous demandent les enfants,sinon de leur faire confiance surleurs capacités à faire face àl’épreuve, qui peut être maturantesi elle est accompagnée de façonadéquate. Il est des souffrancesfécondes…

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NOTES

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