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48 Option Finance n°1400 - Lundi 6 février 2017 Entreprise & expertise Dossier Les actions gratuites «Macron» : de l’attractivité à la complexité En réformant en profondeur le régime applicable aux attributions d’actions gratuites («AGA»), la loi «Macron 1 » a offert un cadre juridique plus souple et a rendu le régime fiscal et social plus attractif tant pour les bénéficiaires que pour les employeurs. Toutefois, la loi de finances pour 2017 2 , adoptée en décembre dernier, vient une nouvelle fois ajouter un étage à l’empilement des régimes fiscaux applicables aux AGA. Par Olivia Degaille, directeur, et Rozenn Hamelet, avocat associée, PwC Société d’Avocats 1. Un bref état des lieux des plans «Macron» mis en place La mise en place du «régime Macron» en août 2015 a suscité un regain d’intérêt pour les attributions d’actions gratuites dans le cadre du développement de l’actionnariat salarié. A titre d’illustration, depuis la publication de la loi du 6 août 2015, 87,5 % des sociétés du CAC 40 ont adopté, dans le cadre d’une AGE, une nouvelle résolution autorisant l’attribution d’ac- tions gratuites. L’objectif pour les sociétés est notamment de bénéficier et de faire bénéficier leurs salariés et dirigeants d’un dispositif fiscal et social plus favorable. Il est toutefois observé que seules 15 % environ de ces sociétés ont modifié les périodes d’acquisition et de portage des actions pour s’aligner sur les nouvelles dispositions de la loi Macron (formules dites «1 + 1» ou «2 + 0» minimum 3 ). Toutefois, afin de recueillir le vote positif des actionnaires et sous l’influence des proxies, plus de 80 % de ces sociétés ont prévu une période d’acquisition d’au moins trois ans, laquelle pouvant être suivie ou non d’une période de portage des actions. Une très grande majorité trouve dans ce mécanisme un outil visant à associer les salariés et dirigeants aux performances du groupe. Ainsi plus de 90 % des sociétés ayant mis en place le régime «Macron» conditionnent l’acquisition d’actions gratuites à l’atteinte de critères de performance (au moins en ce qui concerne les dirigeants), dont au moins 25 % intègrent des critères de per- formances externes à la société. Pour les émetteurs étrangers, le succès de ce nouveau régime est plus relatif. En effet, même si les groupes étrangers voient en ce nouveau régime une opportunité de développer l’actionnariat salarié en France, la plupart restent pour l’instant à l’écart de ce nouveau dispositif pour différentes raisons tenant surtout : (i) à la difficulté pratique de recueillir une nouvelle autorisation des actionnaires (ou de l’organe ad hoc habilité à autoriser l’attri- bution d’actions gratuites) postérieurement au 7 août 2015 ; (ii) à la volonté de mettre en place des plans d’actionnariat salarié avec des octrois uniformes pour tous les salariés du groupe, sans tenir compte des spécificités locales (dans le but de faci- liter la gestion de ces plans) ; (iii) aux modifications ré- pétées du régime fiscal et social des actions gratuites, par «l’instabilité fiscale» qu’elles engendrent. Le nouveau dispositif adop- té dans le cadre de la loi de finances pour 2017 risque donc de conforter la réticence des émetteurs étrangers à mettre en place des plans d’AGA «Macron» pour leurs salariés en France. 2. Le nouveau dispositif adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2017 Fortement débattu lors de l’adoption de la loi de finances pour 2017 et après quelques rebondissements, le régime de faveur des Toutes les actions gratuites «Macron» qui ont ou qui seront attribuées dans le cadre d’une décision d’AGE adoptée entre le 8 août 2015 et le 31 décembre 2016 ne sont pas impactées par le nouveau dispositif et devraient donc conserver le régime fiscal et social de faveur initialement institué.

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48 Option Finance n°1400 - Lundi 6 février 2017

Entreprise & expertise Dossier

Les actions gratuites «Macron» : de l’attractivité à la complexitéEn réformant en profondeur le régime applicable aux attributions d’actions gratuites («AGA»), la loi «Macron1» a offert un cadre juridique plus souple et a rendu le régime fi scal et social plus attractif tant pour les bénéfi ciaires que pour les employeurs. Toutefois, la loi de fi nances pour 20172, adoptée en décembre dernier, vient une nouvelle fois ajouter un étage à l’empilement des régimes fi scaux applicables aux AGA.

Par Olivia Degaille, directeur,

et Rozenn Hamelet, avocat associée, PwC Société d’Avocats

1. Un bref état des lieux des plans «Macron» mis en placeLa mise en place du «régime Macron» en août 2015 a suscité un regain d’intérêt pour les attributions d’actions gratuites dans le cadre du développement de l’actionnariat salarié.A titre d’illustration, depuis la publication de la loi du 6 août 2015, 87,5 % des sociétés du CAC 40 ont adopté, dans le cadre d’une AGE, une nouvelle résolution autorisant l’attribution d’ac-tions gratuites. L’objectif pour les sociétés est notamment de bénéfi cier et de faire bénéfi cier leurs salariés et dirigeants d’un dispositif fi scal et social plus favorable. Il est toutefois observé que seules 15 % environ de ces sociétés ont modifi é les périodes d’acquisition et de portage des actions pour s’aligner sur les nouvelles dispositions de la loi

Macron (formules dites «1 + 1» ou «2 + 0» minimum3). Toutefois, afi n de recueillir le vote positif des actionnaires et sous l’infl uence des proxies, plus de 80 % de ces sociétés ont prévu une période d’acquisition d’au moins trois ans, laquelle pouvant être suivie ou non d’une période de portage des actions. Une très grande majorité trouve dans ce mécanisme un outil visant à associer les salariés et dirigeants aux performances du groupe. Ainsi plus de 90 % des sociétés ayant mis en place le

régime «Macron» conditionnent l’acquisition d’actions gratuites à l’atteinte de critères de performance (au moins en ce qui concerne les dirigeants), dont au moins 25 % intègrent des critères de per-formances externes à la société. Pour les émetteurs étrangers, le succès de ce nouveau régime est plus relatif. En effet, même si les groupes étrangers voient en ce nouveau régime une opportunité de développer l’actionnariat salarié en France, la plupart restent pour l’instant à l’écart de ce nouveau dispositif pour différentes raisons tenant surtout : (i) à la diffi culté pratique de recueillir une nouvelle autorisation des actionnaires (ou de l’organe ad hoc habilité à autoriser l’attri-bution d’actions gratuites) postérieurement au 7 août 2015 ; (ii) à la volonté de mettre en place des plans d’actionnariat salarié avec des octrois uniformes pour tous les salariés du groupe, sans

tenir compte des spécifi cités locales (dans le but de faci-liter la gestion de ces plans) ;(iii) aux modifi cations ré-pétées du régime fi scal et social des actions gratuites, par «l’instabilité fi scale» qu’elles engendrent. Le nouveau dispositif adop-

té dans le cadre de la loi de fi nances pour 2017 risque donc de conforter la réticence des émetteurs étrangers à mettre en place des plans d’AGA «Macron» pour leurs salariés en France.

2. Le nouveau dispositif adoptédans le cadre de la loi de fi nances pour 2017Fortement débattu lors de l’adoption de la loi de fi nances pour 2017 et après quelques rebondissements, le régime de faveur des

Toutes les actions gratuites «Macron» qui ont ou qui seront attribuées dans le cadre d’une décision d’AGE adoptée entre le 8 août 2015 et le 31 décembre 2016 ne sont pas impactées par le nouveau dispositif et devraient donc conserver le régime fi scal et social de faveur initialement institué.

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«AGA Macron» continue d’exister avec toutefois quelques amé-nagements. En effet, la loi de fi nances pour 2017 a mis en place un nou-veau dispositif fi scal qui ne sera applicable qu’aux attributions qui auront été autorisées par une décision de l’AGE postérieure au 1er janvier 2017. En conséquence, toutes les actions gratuites «Macron» qui ont ou qui seront attribuées dans le cadre d’une décision d’AGE adoptée entre le 8 août 2015 et le 31 décembre 2016 (autorisation valable pour 38 mois au maxi-mum par application de l’ar-ticle L. 225-197-1 du code de commerce) ne sont pas impac-tées par ce nouveau dispositif et devraient donc conserver le régime fi scal et social de fa-veur initialement institué.En revanche, s’agissant des attributions effectuées dans le cadre d’une décision d’AGE postérieure au 1er janvier 2017, le régime fi scal et social des actions gratuites sera le suivant : – pour l’employeur, la contribution patronale prévue à l’article L. 37-13 du Code de la Sécurité sociale voit son taux augmenter de 20 % à 30 %, mais restera due au moment de l’acquisition dé-fi nitive des actions sur la base de la valeur de marché des actions à cette date ; – du côté du bénéfi ciaire, le régime fi scal et social varie en fonc-tion du montant du gain. Un seuil de 300 000 euros de gain par an est mis en place ;- ainsi, pour la fraction annuelle du gain d’acquisition en deçà de 300 000 euros, le régime fi scal et social de faveur des AGA«Macron» est maintenu notamment en ce qui concerne le béné-fi ce de l’abattement pour durée de détention de 50 % (pour un portage de titres entre deux et huit ans) ou de 65 % (pour un portage de titres au-delà de huit ans) ;– pour la fraction annuelle du gain d’acquisition qui excède 300 000 euros, le bénéfi ciaire se verra appliquer le régime des at-tributions «qualifi ées» réalisées en dehors du dispositif «Macron». Dans cette hypothèse, cette portion du gain sera imposée dans la catégorie des traitements et salaires sans possibilité de bénéfi cier

de l’abattement pour durée de détention des actions. De plus, cette portion du gain d’acquisition sera soumise aux prélèvements so-ciaux (CSG et CRDS) sur les revenus d’emploi (8 %) ainsi qu’à la contribution salariale de 10 %. Les taux applicables aux actions gratuites attribuées postérieu-rement au 28 septembre 2012 sont synthétisés dans le tableau récapitulatif ci-dessous. Il convient de rappeler que l’imposition des gains reste différée à la date de cession des actions (et non

au moment de leur acquisition), et ceci quelle que soit la date d’attribution des AGA.Certes le régime fi scal des AGA «Macron» est maintenu pour les bénéfi ciaires dans une certaine limite. Toutefois, des précisions de l’administration fi scale sont attendues, s’agissant plus parti-culièrement de la détermination de la limite de 300 000 euros et de l’application des différents régimes d’imposition sur des gains d’acquisition, réalisés la même année, sur des actions gratuites attribuées à différentes dates. Reste à voir comment les émetteurs vont accueillir ce régime «Macron» adapté et si les AGA «Macron» subsisteront après mai 2017, ou si les étages du mille-feuilles (indigeste) du régime fi scal des AGA continueront d’être montés… ■

Imposition du gain d’acquisition

Actions gratuites attribuéesdans le cadre d’une décision d’AGE antérieure au 7 août 2015 (1)

Actions gratuites attribuées dans le cadre d’une décision d’AGE ayant eu lieu entrele 7 août 2015 et le 31 décembre 2016 (2)

Actions gratuites attribuéesdans le cadre d’une décision d’AGE postérieure au 1er janvier 2017

Barème progressif de l’impôt sur le revenu (0 % à 45 %) + Prélèvements sociaux de 8 % (dont 5,1 % sont déductibles de l’impôt sur le revenu) + Contribution salariale de 10 %

Barème progressif de l’impôt sur le revenu (0 % à 45 %) après applicationd’un abattement pour durée de détentionde 50 % ou 65 % (si applicable)+ Prélèvements sociaux de 15,5 % (dont 5,1 % sont déductibles de l’impôtsur le revenu)

1. Pour la portion du gain d’acquisition inférieure à 300 000 euros : le traitement fi scal et social applicable est celui de la colonne (2) 2. Pour la fraction du gain supérieure à 300 000 euros : le traitement fi scal et social applicable est celui de la colonne (1)

Taux global d’imposition = 60,705 %4

+ CEHR5 de 3 % ou 4 % (si applicable)

Taux global d’imposition = 58,205 %4 (portage des actions < 2 ans) = 35,705 %4 (actions portées entre 2 et 8 ans) = 28,955 %4 (portage des actions > 8 ans) + CEHR de 3 % ou 4 % (si applicable)

Taux global d’imposition = (2) pour la portion du gain

inférieure à 300 000 euros par an = (1) pour la portion du gain

supérieure à 300 000 euros par an

Des précisions de l’administration fi scale sont attendues, s’agissant plus particulièrement de l’application des différents régimes d’imposition sur des gains d’acquisition, réalisés la même année, sur des actions gratuites attribuées à différentes dates.

1. Article 135 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Applicable aux attributions d’actions gratuites autorisées par une décision d’assemblée générale extraordinaire («AGE») rendue à compter du 8 août 2015.2. LOI n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de fi nances pour 2017.3. La formule «1+1» correspond à une période d’acquisition d’un an minimum (au terme de laquelle la propriété des actions est transférée au bénéfi ciaire) suivie d’une période de portage d’un an minimum (période pendant laquelle le bénéfi ciaire ne peut pas disposer librement de ses titres). La formule «2+0» correspond à une période d’acquisition minimum de deux ans, sans obligation de porter les titres. 4. Application des taux des prélèvements sociaux et taux marginal d’imposition pour 2016 ; déductibilité de la CSG intégrée dans le taux marginal indiqué.5. CEHR = Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus