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-Théologie pastorale------------- Dans le débat « féministe» s'affrontent trop souvent des thèses abstraites et simplifiées. Il vaut la peine d'aller voir sur le terrain comment les choses se passaient hier et se passent aujourd'hui. Mlle Mady VAILLANT, avec le bagage de trente-huit ans de service missionnaire au Burkina Faso (après qu'elle avait terminé ses études à la F.L. T.E.) sait de quoi elle parle; en outre, elle ajoute à son expérience celle des autres, et nous fait profiter de ses lectures. Les femmes dans la mission par Mady VAILLANT « Le Seigneur dit une parole, et les messagères de bonnes nouvelles sont une grande armée. » C e texte du Psaume 68 verset 12 nous a souvent encouragée, en tant que femme, dans le travail mission- naire en Afrique, travail auquel nous avons consacré quelque trente-huit années de notre vie. Le personnel missionnaire est très varié de nos jours. A côté du missionnaire tra- ditionnel, on trouve aujourd'hui des mis- sionnaires à court terme (de quelques semaines à un ou deux ans). Des statis- tiques de 1997 donnent 13 % de mis- sionnaires à court terme contre 87 % à long terme(1). On trouve également des « faiseurs de tente »(2) et même des mis- (1) UK Christian Handbook : Religious Trends, 1998/99, 1. (2) Travaillant dans des pays l'action missionnaire est officiellement interdite. --24 Fac-Réflexwn nO 49

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Dans le débat « féministe»s'affrontent trop souvent des thèses abstraites et simplifiées.

Il vaut la peine d'aller voir sur le terraincomment les choses se passaient hier et se passent aujourd'hui.

Mlle Mady VAILLANT,avec le bagage de trente-huit ans de service missionnaire

au Burkina Faso (après qu'elle avait terminé ses études à la F.L. T.E.)sait de quoi elle parle;

en outre, elle ajoute à son expérience celle des autres,et nous fait profiter de ses lectures.

Les femmes dans la missionpar Mady VAILLANT

« Le Seigneur dit une parole,et les messagères de bonnes nouvelles sont une grande armée. »

Ce texte du Psaume 68 verset 12nous a souvent encouragée, en tantque femme, dans le travail mission­

naire en Afrique, travail auquel nousavons consacré quelque trente-huitannées de notre vie.

Le personnel missionnaire est très variéde nos jours. A côté du missionnaire tra­ditionnel, on trouve aujourd'hui des mis­sionnaires à court terme (de quelquessemaines à un ou deux ans). Des statis­tiques de 1997 donnent 13 % de mis­sionnaires à court terme contre 87 % àlong terme(1). On trouve également des« faiseurs de tente »(2) et même des mis-

(1) UK Christian Handbook : Religious Trends,1998/99, n° 1.

(2) Travaillant dans des pays où l'action missionnaireest officiellement interdite.

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sionnaires « en retraite active». Les mis­sionnaires occidentaux ne sont plus lesseuls, le nombre de missionnaires non­occidentaux ne cesse de croître. Cesmêmes variantes se retrouvent aussi auniveau du personnel missionnaire fémi­nin.

La plupart des statistiques disponiblesaujourd'hui font état de la présence detrois femmes sur cinq missionnaires, touspays confondus. C'est dire que le rôledes femmes dans la mission est loind'être négligeable. Cependant il n'en apas toujours été ainsi, comme un rapideaperçu historique le souligne.

Survol historique

Ruth Tucker définit quatre étapes dansl'histoire des femmes dans la mission(3l.

D'abord le modèle médiéval dont lespoints forts étaient le célibat, le renonce­ment à soi-même et la réclusion. C'étaitl'époque des cloîtres et d'une intense viede prière.

Puis ce que nous appellerons lemodèle de la « post-Réforme », mettantl'accent sur la famille. Les femmes par­tant en mission avaient comme respon­sabilité première de s'occuper de leurfoyer, de soutenir leur mari dans la prièreet éventuellement de travailler parmi lesfemmes et les enfants.

(3) Ruth Tucker, «A Historical Overview ofWomen inMinistry », Fuller Theological Seminary, Theology,News and Notes, cité par Dr Saphir Athyal.

Ensuite le modèle évangélique souli­gnant le service envers les autres. Toutd'abord les sociétés missionnairesn'étaient guère disposées à accepterdes femmes célibataires dans leursrangs. Pourtant on commençait à serendre compte que le ministère defemmes célibataires était indispensablepour atteindre les femmes de pays telsque l'Inde ou la Chine.

Enfin le modèle moderne de l'épa­nouissement personnel, exprimé parl'importance primordiale donnée aunoyau familial, dont nous reparleronsplus loin.

Progression de la PLACE dela femme dans la mission

Il nous faut examiner, en premier lieu,ne serait-ce que brièvement, la place dela femme dans l'économie divine.

Dans la plupart des milieux protes­tants, l'unanimité est acquise sur le faitque la Parole de Dieu est normative danstous les domaines de la vie. Le problèmeest de tomber d'accord sur ce qu'elleenseigne! Les textes étudiés sont enparticulier ceux de 1 Corinthiens 14.33­36 ; Galates 3.28 ; Ephésiens 5.22-23 ;1 Timothée 2.11-15 ; Joël 3.1-5 ; etc. Laplace et le rôle de la femme dans l'Eglise,et par conséquent dans la mission, sont,comme chacun le sait, des sujets trèscontroversés. Il n'est pas de notre pro­pos d'en faire une étude approfondie,mais plutôt de donner un aperçu de

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quelques positions prises à ce sujet dansnos milieux, et par voie de conséquence,dans les sociétés missionnaires.

Selon l'approche que l'on peut qualifierde traditionnelle, les femmes ne devraientni enseigner les hommes, ni exercer unequelconque autorité sur eux.

D'autres approches sont plus nuan­cées. Selon l'une de ces dernières, lesfemmes sont autorisées à enseigner,mais il ne leur est pas permis d'occuperune position d'autorité.

Une autre encore, plus actuelle, s'ap­puie sur une meilleure compréhensiondes termes employés. Elle démontre ceque « enseigner» et « autorité» signi­fiaient à l'époque néo-testamentaire, etce que ces termes signifient aujourd'hui.A l'époque où la Première épître à Timo­thée a été rédigée, « enseigner» signi­fiait: transmettre la tradition apostolique.Aujourd'hui cette tradition n'est plus àtransmettre : le Canon des Ecritures estétabli; c'est lui qui est l'autorité. De cefait l'autorité réside non plus dans lemessager, mais dans le message(4).

Enfin, l'opinion que les hommes et lesfemmes sont égaux dans l'Eglise serépand de plus en plus de nos jours, enparticulier au sein des dénominationsmajoritaires : réformée, méthodiste,luthérienne, presbytérienne, etc. L'ana­lyse et l'exégèse des textes bibliques deKenneth E. Bailey ont attiré notre atten­tion(5). Utilisant entre autres la science dela critique rhétorique et des exemplesculturels du Moyen-Orient, il démontreque le Nouveau Testament parle defemmes disciples, enseignantes, pro­phétesses et diaconesses, et probable­ment d'une femme apôtre et de plusieursfemmes exerçant la fonction d'ancien.

Une fois de plus le pendule oscille d'unextrême à l'autre quand il s'agit de larecherche de l'interprétation correcte desEcritures.

En ce qui concerne la mission, quellea été la progression de la place de lafemme?

Jocelyn Murray voit plusieurs étapes(6).

(4) Women in Ministry: four views, sous dir. Bonni­dell Clause et Robert Clause, Downers Grave,IVP, 1989.

(5) Kenneth A. Bailey, « Women in the New Testa­ment: A Middle Eastern Cultural View ", 1998,Anvil, Vol. Il, n° 1, 1994, p. 7-24.

(6) Jocelyn Murray, « Anglican and Protestant mis­sionary societies in Great Britain : Their use ofwomen as missionaries from the late 18th ta thelate 19th century ", Femmes en Mission, Actesde la XIe session du CREDIC, 1990.

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Femmes invisibles,mariées pour la plupart

Pendant la plus grande partie duXVIIIe siècle, les épouses des mission­naires occidentaux figuraient rarementdans les statistiques des sociétés demission. Elles étaient plutôt considéréescomme une partie de l'équipement né­cessaire, en vue d'un service efficacedes missionnaires masculins envoyés parces sociétés. Pour cette raison, ces fem­mes sont souvent appelées « les femmesinvisibles ».

Femmes non désirées, célibataires

Evidemment, dès l'origine du mouve­ment missionnaire en Occident, aucunesociété de mission n'était prête à accep­ter des femmes célibataires dans sesrangs. Pourtant dès le début du XIXesiècle plusieurs célibataires avaient faitacte de candidature mais celle-ci avaitété rejetée. Seules les femmes quiavaient déjà un frère en mission pou­vaient espérer être acceptées et partir.

C'est en réponse à cette discriminationde la part des· sociétés missionnairesexistantes que naîtront, d'abord enEurope, puis aux Etats-Unis, des socié­tés missionnaires exclusivement réser­vées aux femmes. Ruth Tucker parle dequarante agences missionnaires fémi­nines fondées dans la seconde partie duXIXe siècle(7).

(7) Ruth A. Tucker, « How faith mission pioneersunderstood women's raies » Evangelica/ Mis­sions Quarter/y, Vol. 24, n° 2, 1988, p. 159ss.

Femmes envoyées à contrecœur,mariées et célibataires

En ce qui concerne les sociétés demission traditionnelles, les femmes céli­bataires durent lutter pour parvenir à sefaire accepter comme missionnaires àpart entière. Les raisons de cette oppo­sition étaient tout à la fois théologiqueset pratiques. En effet, nombre de fem­mes mariées, travaillant aux côtés de leurépoux, n'avaient pu survivre aux rigueursdu climat et à l'épreuve de l'adaptationculturelle. De graves dépressions commecelles de Dorothy Carey et de Mary Mor­rison(S), et des décès successifs, ren­daient les sociétés missionnaires encoreplus prudentes à l'égard de nouvellescandidatures de femmes.

Femmes valorisées et acceptées,mariées et célibataires

La seconde partie du XIXe siècle voitl'émergence de missions vivant par la foi,c'est-à-dire de missions ne sollicitant pasde fonds et dont les membres ne sontpas salariés. Ces missions, en particulier,offrent aux femmes l'accueil auquel elles

(8) Ruth Tucker & Leslie Andrews, Historica/ noteson Missionary Care, sous dir. Kellya'Donnell,William Carey Library.

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aspiraient depuis longtemps. HudsonTaylor de la China Inland Mission(aujourd'hui Overseas Missionary Fellow­ship) est sans doute le tout premier àouvrir largement aux femmes les portesde sa mission. La première équipe dequinze personnes qui partit pour la Chinesous les auspices de la CIM comprenaitsept femmes célibataires. Hudson Taylor,de même que A.B. Simpson de la Chris­tian & Missionary Alliance, et un peu plustard CT. Studd de la Worldwide Evange­lisation Crusade (aujourd'hui WEC Inter­nationa~, animés d'un zèle ardent pourrépondre à l'ordre suprême laissé par leChrist, accueillirent des femmes dansleurs rangs et cela malgré les nom­breuses critiques de milieux plus conser­vateurs(9). Ce fut un tournant décisif dansl'histoire des femmes dans la mission.

Il fallut attendre la fin du XIXe sièclepour que la plupart des sociétés mis­sionnaires traditionnelles ouvrent, à leurtour, la porte aux femmes missionnaires.

Ce qui est remarquable, c'est qu'audébut du XXe siècle, on dénombrait déjàdavantage de femmes (mariées et céli­bataires) que d'hommes dans la plupartdes missions protestantes.

(9) Ruth A. Tucker, op. cit., p. 159ss.

Progression du ROLE de lafemme dans la mission

Contribution des femmes dans lamission au cours des deux dernierssiècles

Au XIXe siècle, les femmes mariéesavaient en général comme responsabilitéprincipale de prendre soin de leur foyeret de soutenir leur mari. Petit à petit, leurchamp d'action s'est élargi, et celles quile désiraient ont pu s'impliquer dans desactivités diverses: soins occasionnels,enseignement, exercice de l'hospitalité,etc.

Cependant dans les missions vivantpar la foi, les femmes mariées, dont onattendait un travail missionnaire à partentière, se sont engagées dès le départdans un ministère d'évangélisation, oudans le domaine scolaire ou médical.

Quant aux femmes célibataires, nom­breuses ont été celles qui se sont consa­crées au défrichage de régions pion­nières où l'Evangile n'avait encore jamaisété annoncé. Par exemple en Chine, cespionnières travaillaient en équipe dedeux, soit avec une collègue mission­naire européenne, soit avec un évangé­liste chinois. Les noms de Mildred Cableet Francesca French sont inscrits dansl'histoire de l'évangélisation de la Chine.Elles ont sillonné le nord-ouest de laChine et y ont annoncé l'Evangile libéra­teur de Christ, utilisant un réseau deroutes commerciales qui reliaient lesgrandes villes d'Asie Centrale. Le mes-

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sage pouvait ainsi être transmis partoutgrâce aux moyens de communicationpropres au pays(1 0).

L'éventail des responsabilités confiéesaux femmes s'est encore élargi au><Xe siècle. Nous trouvons toujours desfemmes pionnières à l'exemple de Bes­sie Brierley de la WEC International, utili­sée par Dieu pour implanter les pre­mières Eglises évangéliques en GuinéeBissau (alors Guinée portugaise).D'autres sont enseignantes, médecins,infirmières, animatrices de jeunesse, etc.Mais de nouvelles avenues de services'ouvrent et des femmes en grand nom­bre s'y engagent pleinement. Par exem­ple, la traduction de la Bible en languesvernaculaires, et l'alphabétisation dansces langues. Les Traducteurs de laWycliffe comptent des pionnières tellesque Marianna Siocum parmi les Tzeltaldu Mexique, ou Rachel Saint parmi lesAucas de l'Equateur. Le Centre de Publi­cations Evangéliques voit le jour en Côted'Ivoire avec Marjorie Shelley. Ce Centredessert toute l'Afrique francophone. Il estaujourd'hui très bien dirigé par un Afri­cain, Jules Ouoba. Gospel Recordings aété fondé par une femme, Joy Ridde­rhof ; grâce aux femmes et plus tard auxhommes qui, à sa suite, ont relevé cedéfi, l'Evangile a été enregistré danspresque 4000 langues et dialectes(11).

(10) Ruth A. Tueker, op. cit., p. 161.

(11) Ruth A. Tucker, From Jerusalem to Irian Jaya: aBiographical History of Christian Missions,Grand Rapids, Academie Books, 1983,p.389ss.

Actuellement, certaines sociétés mis­sionnaires font état d'une recrudescencede femmes célibataires, s'offrant pourœuvrer dans des pays dits « fermés» à laprédication traditionnelle de l'Evangile.En fait, ces pays sont ouverts à quitrouve les moyens créatifs d'y entrer!

Différences et complémenta­rité de rôles

Femmes mariées/célibataires

Bien que le ministère de la femmemariée soit souvent plus restreint quecelui de la femme célibataire, son foyerlui permet d'offrir l'hospitalité, mais éga­Iement de proposer un modèle concretde ce que devrait être un foyer chrétien.La femme célibataire est plus limitéedans ce domaine, mais elle a beaucoupplus de temps pour exercer son minis­tère et une plus grande liberté d'action.

L'éducation des enfants est souvent laraison, vers la quarantaine, du départprématuré du couple. Par contre, lafemme célibataire peut, à cet âge-là,avoir des années de service très fruc-

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tueux devant elle. Elle est riche de sonexpérience, de sa connaissance de lalangue et de la culture, et, si sa santé lelui permet, elle pourra encore avoir unapport très positif à l'œuvre missionnaire.

Femmes/hommes

Les différences marquées qui existententre les hommes et les femmes peuventêtre autant de richesses à exploiter enmission. Par exemple, l'homme tend àpenser en termes de tâches à accomplir,tandis que pour la femme, les relations àétablir et à maintenir sont généralementplus importantes. Elle aura souvent plusde facilité à écouter les autres et à jouerle rôle de médiateur recherchant la paix.Par contre, en général, les hommes sontplus à l'aise que les femmes dans un cli­mat de compétition(12).

Il est reconnu que femmes ne sontpas, pour les nationaux, une aussigrande menace que les hommes. Parexemple, pour les musulmans les fem­mes présentent un moins grand dangerà leur foi. Une de nos collègues en a faitl'expérience au nord du Sénégal.

On pourrait allonger la liste des diffé­rences. Celles-ci peuvent être considé­rées comme autant d'engagements àdiscerner comment hommes et femmespeuvent se compléter pour accomplir latâche que Dieu leur confie. Reconnaîtreles points forts les uns des autres, et les

(12) Heather Wraight et David Adeney, « WomenLeaders - you can 't be serious ! », EMA AnnualConference, 1994.

mettre à profit, nécessite une humilitéauthentique, mais cette attitude permetd'éviter les pièges de la compétitivitémaladive.

La femme à un poste de direction

Nous avons le privilège de travaillerdans une mission internationale et inter­ecclésiastique. Elle accepte que lesfemmes prêchent, enseignent, implan­tent des Eglises et que des postes deresponsabilités leur soient confiés suivantleurs dons.

Mais beaucoup de femmes n'ont pasce privilège. Il arrive encore de nos joursque la femme missionnaire, particulière­ment la femme capable de diriger, soitmal perçue par son entourage et qu'ellesoit considérée comme un « secondchoix». Ces idées préconçues ne dispa­raissent pas facilement. Même si, théori­quement, elles ne sont plus acceptées,en pratique elles réapparaissent ici et là.

Dans une enquête, réalisée il y a quel­ques années, sur les genres de minis­tères que la femme célibataire trouveparticulièrement difficiles à exercer, lacharge d'un poste de direction totalisaittrente-cinq pour cent, bien plus que letravail pionnier, celui parmi les musul­mans, et même le ministère de relationd'aide envers les couples(13).

Les raisons de cette réaction sont mul­tiples:

(13) Gill College, Single women in mission, Evange­Iical Mission Alliance, 1985.

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D'une part, le fait de savoir qu'un lea­der est nécessaire et que l'on a les donspour assumer cette fonction, mais quel'on ne l'ait pas proposée parce que l'onest femme, peut conduire à beaucoupde frustrations.

D'autre part, accepter un tel postedans une situation culturelle où la femmen'occupe pas habituellement une placede direction, peut occasionner de fortestensions qu'il sera souvent très difficile degérer.

Une femme, affectée à un poste dedirection en mission, peut facilement êtremal jugée même par ses propres col­lègues. En cas d'erreur, elle sera jugéeplus sévèrement qu'un collègue mascu­lin occupant la même position. Si soussa direction certains aspects du travail nesont pas aussi satisfaisants que prévu, lefait qu'elle soit femme sera souvent incri­miné, partois tout à fait à tort.

S'il s'agit d'une célibataire, la femmechargée de diriger sentira souvent sonbesoin d'un « vis-à-vis », d'une collèguede confiance avec laquelle elle puissepartager, débattre des questions épi­neuses et prier.

Mais à côté de certains aspects quenous pourrions qualifier de désavan­tages, nous pouvons discerner certainsavantages.

Les situations difficiles touchent sou­vent plus profondément une femme

qu'un homme et, de ce fait, elle peutatteindre le point de saturation plus vitequ'un homme ne le ferait. Ce désavan­tage peut être transformé en avantage,car la femme, sentant sa faiblesse, peutse tourner vers le Seigneur plus rapide­ment et plus concrètement, voir la forced'en-haut se manifester dans sa fai­blesse et éviter ainsi de craquer.

Dans certains domaines elle peut êtreplus limitée qu'un homme. Dans dessituations pionnières par exemple, où lavie quotidienne et les multiples voyagesprennent beaucoup de temps et d'éner­gie, elle atteint plus vite ses limites phy­siques. Mais elle peut reconnaître,accepter et apprendre à utiliser ces limi­tations en déléguant plus facilement cer­taines responsabilités à d'autres, évitantainsi de tomber dans le piège de vouloirtout contrôler et de devenir commel'homme, polyvalent et irremplaçable.

Elle sera souvent plus à même de dis­cerner les dons de leader parmi lesnationaux et les encouragera à les met­tre en valeur, elle fera souvent ceci plus

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rapidement qu'un missionnaire hommene l'aurait fait. Déjà de son temps, Hud­son Taylor avait remarqué que les caté­chistes chinois, associés dans l'œuvre àdes femmes missionnaires occidentales,étaient beaucoup plus libres de dévelop­per leurs dons que lorsqu'ils étaientassociés à des missionnaires occiden­taux masculins. Reconnaissant seslimites, la femme sera moins une me­nace qu'un homme ne le serait pourl'émergence de leaders locaux et natio­naux.

Quelle sera la contribution desfemmes en mission au débutdu troisième millénaire ?

Valerie Griffiths(14) constate la diminu­tion, aujourd'hui, du nombre de femmespartant en mission. Nous nous deman­dons s'il ne s'agit pas plutôt de la dimi­nution du nombre total de missionnairesoccidentaux. Les femmes mariées sonten général plus âgées qu'auparavantlorsqu'elles arrivent sur le champ mis­sionnaire. Leur rôle de mère de famille lesrestreint considérablement dans leursactivités missionnaires.

Les femmes célibataires égalementsont moins nombreuses. Geneviève Bar­naud dit ceci: « 'La demoiselle mission­naire' est apparue au début de ce siècledans la Mission Protestante Française.

(14) Valerie Griffiths, The changing role of women inmission, notes personnelles pour une confé­rence missionnaire en 1997.

Elle a presque disparu actuellement »(15).Il est évident que certaines sociétés mis­sionnaires, ayant opté pour un retrait pro­grammé de l'effectif missionnaire occi­dental, constatent une régression dunombre de leurs missionnaires. Mais ilest très probable également que, dans lemonde actuel, les femmes risquent depercevoir plus difficilement l'appel deDieu à se mettre à son service et que lecoût leur paraisse trop élevé. Lorsquel'on a trouvé un métier intéressant, parexemple. Dans les conditions écono­miques actuelles, le quitter, même pourfaire un seul séjour en mission, équivautau risque de le perdre. Il y a toujours unprix à payer !

Le profil de la femme moderne, pré­senté par Elaine Storkey(16), donne àpenser qu'il en est ainsi. Le moule de« Madame tout le monde », dans lequelse coulent de plus en plus de femmes,est à l'opposé de celui du Maître quiappelle à la mission. A l'aube du )(XIe

siècle, la femme, conditionnée par sesétudes, par l'image de la femme véhicu­lée par les médias, en fait, par la cultureambiante, tend à être indépendante,auto-suffisante, cherchant avant tout àatteindre le haut de l'échelle, à réussir,défendant ses droits et proclamant saliberté de toute entrave et de toute auto-

(15) Geneviève Barnaud, « Demoiselle missionnaireà Madagascar 1937-1957 - Femmes en mis­sion ", XIe session du CREDIC, 1990.

(16) Elaine Storkey, At the End of the Second Mil­lennium - Where Are the Women ?, EvangelicalMissionary Alliance, Henry Martyn Lecture,1994.

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rité. Manifester un esprit d'entreprisecertes, mais également un esprit d'abné­gation, de sacrifice, de soumission àl'autorité, de dépendance totale de Dieu,c'est aller à contre-courant de ce modèlemoderne de l'épanouissement de lafemme. Pourtant ce sont là autant decaractéristiques indispensables àl'accomplissement d'une véritable voca­tion missionnaire.

Un autre élément de réponse pourraitêtre que certaines sociétés mission­naires, travaillant en milieu musulman,ont mis l'accent sur l'importance de vo­cations d'hommes pour travailler dans cemilieu. Cela aurait-il découragé certainesfemmes?

Et Valerie Griffiths de se demander si lavision donnée à l'origine s'est estompée.Au cours de ce siècle, approximative­ment deux tiers de la force missionnaireest composé de femmes appelées etenvoyées par Dieu. Sommes-nous entrain de perdre cette vision ?

Pourtant, plus que jamais les portessont grandes ouvertes. L'ordre suprême

que Jésus nous a donné reste pertinenttant que des peuples, des ethnies, desvilles sont encore sans témoins del'Evangile. Les femmes ont un rôle impor­tant à jouer non seulement dans le do­maine de la formation, mais égalementdans le domaine de l'évangélisation.

Les peuples et groupes de personnesnon-atteints par l'Evangile -la « fenêtre»10/40.

Les femmes ont-elles un rôle spécial àjouer dans la proclamation de l'Evangileà toute créature?

Rôle direct

Le Dr Bryant Myers(17) suggère quecertaines études - demandant confirma­tion - indiquent que les femmes sontplus réceptives que les hommes au mes­sage de l'Evangile. Il ajoute égalementque les femmes missionnaires sont plusà même de présenter l'Evangile à cesfemmes, d'une façon compréhensible etadaptée culturellement.

S'il est vrai que les femmes sont plusréceptives, leur évangélisation serait-elledonc la porte d'entrée dans ces groupestraditionnellement résistants à l'Evan­gile? Si l'on se rappelle que les femmessont bien souvent les gardiennes de latradition, les atteindre pourrait permettrede nouvelles percées dans ces milieux.Mais ce travail ne se fera pas sans une

(17) Dr Bryant Myers, Wor/d Evange/ization 95,262.1, « Women and Mission» p. 12.

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volonté de la part des missionnaires des'identifier à elles, d'apprendre leurlangue, de vivre là où elles vivent afind'apprendre à les connaître de l'intérieuret de gagner leur confiance.

Nous pourrions argumenter, et notreexpérience personnelle le confirmerait,que dans maintes régions, se sont leshommes qui se sont convertis les pre­miers. Mais cela ne vient-il pas du fait quece sont les hommes qui le plus souventont été scolarisés les premiers, ont apprisla langue étrangère parlée dans le pays,ont voyagé, et sont ainsi devenus plusréceptifs à un monde différent du leur?

Quant à la seconde suggestion duDr Myers, il est frappant de découvrir quedes missions non-occidentales commeCAPRO (Calvary Ministries) au Nigériaont de très nombreuses femmes dansleurs rangs à l'heure actuelle. L'uned'entre elles, Sister Victoria Ashiwadju(Veuve Hassan), a fait un travail pionnierdans une tribu du nord du Nigéria oùDieu l'a utilisée pour implanter une Eglisequi, à son tour, a reçu une vision mission­naire. Une autre, Rahab Kouassi, a tra­vaillé parmi les femmes prostituées duNiger. Avec son mari elle se prépare

maintenant à évangéliser les Teda, unpeuple non-atteint, vivant au nord-est duNiger et au nord-ouest du Tchad, afin d'yimplanter une Eglise vivante. Ces fem­mes ont commencé par évangéliser lesfemmes, mais il est bien évident que leurministère s'est rapidement étendu à tous.

Rôle indirect

Nous avons personnellement eu le pri­vilège d'aider l'Eglise Protestante Evan­gélique au Burkina Faso, à découvrir quel'ordre suprême de Christ d'aller par toutle monde et d'annoncer l'Evangile àtoute créature, s'adressait également àelle. Avec plusieurs volontaires de l'EPEnous avons prospecté la région du sud­ouest du pays, et y avons découvert desethnies non-atteintes par l'Evangile.L'Eglise s'est mobilisée, a créé sa propreagence missionnaire et a commencé àformer et à envoyer ses propres mission­naires dans ces ethnies. L'Eglise poursuitce travail à l'heure actuelle.

Le monde de l'islam

On parle de 550 millions de femmesmusulmanes dans le monde. Qui estmieux placée que la femme missionnairepour apporter la Bonne Nouvelle deJésus-Christ à ces femmes ?

A l'exemple du XIXe siècle, qui areconnu qu'il était important de per­mettre aux femmes missionnaires d'exer­cer un ministère parmi les femmes desclasses aisées, cloîtrées dans les Zenana

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en ASie(18), le )(XIe siècle pourrait encou­rager un ministère spécialisé des femmesmissionnaires auprès de leurs sœursmusulmanes. Celles qui y sont déjàengagées savent quel est le prix à payerpour pouvoir exercer un tel ministère. Ildemande une vocation certaine defemmes connaissant et entretenant unerelation étroite avec le Maître qui appelleet rend capable.

Les enfants et les adolescentsen détresse

Des statistiques fournies par l'Unicefrapportent qu'environ 100 millionsd'enfants vivent dans la rue. Il est estiméqu'en 2020 le chiffre sera approximative­ment de 800 millions. Une grande partiede ces enfants vit dans les grandes villesd'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine.Plusieurs organisations chrétiennes sesont formées pour voler au secours deces enfants. Rainbows of Hope Ç4rc-en­ciel de l'espoir), l'une de ces organisa­tions, compte déjà une forte majorité defemmes dans ses rangs. Les besoinssont immenses, tant concernant lesenfants de la rue, que les enfants soldatsou encore ceux dont le sida a fait desorphelins.

De par sa nature la femme est souventplus sensible au sort des femmes et desenfants. L'histoire des missions nousrappelle qu'au début du )(Xe siècle, une

(18) L. Lagerwerf, « Les femmes protestantes amé­ricaines dans le mouvement missionnaire(1800-1920) » Femmes en Mission, Actes de laXIe session du CREDIC, 1990.

femme, Amy Carmichaël d'Irlande duNord, a fondé la Communauté de Doh­navur en Inde. Par ce travail des cen­taines de fillettes ont été sauvées d'unevie de dégradation dans les temples del'Inde.

Le troisième millénaire verra-t-il unearmée de femmes prêtes à s'investirdans ce ministère spécifique auprès desenfants et des adolescents en réponse àl'appel du Maître?

Evangéliser, secourir, enseigner, autantde ministères aujourd'hui largementouverts aux femmes en mission. Souve­nons-nous que Watchman Nee a étéconverti par le ministère de Dora Yu, etprofondément influencé par les écrits deMadame Jessee Penn-Lewis(19).

Un cas un peu différent nous vient deCorée de l'Eglise de David Yonggi Cho.Tous les groupes de maison de la « YoïdoFull Gospel Church » à Séoul sontconduits par des femmes.

(19) Patricia J. Mortenson, « The role of Women inMissions ", Gospel in Context, Vol. 2, n° 2,avril 1979.

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Nancy Ashcraft, missionnaire de laWEC en Thaïlande, fait remarquer qu'ilest dans la nature même de la femme detravailler au mûrissement des autres et,au moment opportun, de se soumettreaux directives de « ces autres ». Neserait-ce pas là une des raisons fonda­mentales pour laquelle Dieu permet quetant de femmes se consacrent à son

œuvre en mission, donnant le meilleurd'elles-mêmes à l'enseignement d'hom­mes mais aussi de femmes fidèles, quideviendront à leur tour, pasteurs, évan­gélistes et enseignants dans leur proprepays? Nous le croyons. •

MV

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