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Pour une philosophie de la justice en acte(s) sophie klimis Penser, délibérer, juger

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Sophie Klimisest professeure de philosophie en facultés de droit et de philoso-phie et lettres à l’université Saint-Louis-Bruxelles. Ses recherches portent notamment sur la pensée grecque et sa réception, l’anthro-pologie philosophique, la philosophie politique et l’esthétique. Elle a coédité les Cahiers Castoriadis et publié trois livres : Le statut du mythe dans la Poétique d’Aristote, Archéologie du sujet tragique et L’énigme de l’humain et l’invention de la politique.

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Pour affronter les actes criminels les plus sensibles, la justice des « experts » tend à se substituer à celle des jurys populaires. Face à cette réalité, l’auteure

affirme que chacun d’entre nous est capable de construire une perspective personnelle et critique, d’aller au-delà des idées reçues, autrement dit de se hisser au niveau d’une philosophie de la justice en actes. Ces actes doivent être les trois fondements de la citoyenneté en démocratie : penser – délibérer – juger.

En nous rendant accessible la pensée des grands théo-riciens de la justice, de la politique et de la citoyenneté, de Platon et Aristote à Nussbaum en passant par Hume, Smith, Tocqueville, Arendt, Rawls et Sen, mais aussi en confrontant les cultures juridiques contemporaines des mondes anglophone et francophone, Sophie Klimis nous offre des éclairages nouveaux pour penser le fait juridique. À partir d’une réflexion sur le classique du cinéma 12 Hommes en colère, des témoignages de ses étudiantes et étudiants ainsi que des exemples que fournit l’actualité, elle nous propose un questionnement actif sur la justice, l’appartenance à une communauté poli-tique et la condition même de l’humanité.

Pour une philosophie de la justice en acte(s)

sophie klimis

Penser, délibérer, juger

www.deboecksuperieur.com

ISBN 978-2-8073-0259-4

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Élaborés pour les étudiants du premier cycle universitaire, les ouvrages de la collection « L’ atelier philosophique » s’adressent également à un large public d’enseignants comme à tous ceux qui s’intéressent à la philosophie. Alliant exigence, rigueur proprement philosophique et souci de grande clarté, leurs auteurs se donnent pour ambition d’offrir les repères indispensables pour s’orienter dans les nombreux domaines de la philosophie. Philosophes majeurs ou questions primordiales de la philosophie sont abordés sous des angles innovants et actuels qui font de ces ouvrages autant d’impulsions philosophiques. Ils offrent au lecteur des outils pour continuer, par lui-même, sa découverte des concepts et de la pensée philosophique.

Collection dirigée par Daniel Giovannangeli et Sébastien Laoureux

Laurence BOUQUIAUX, Bruno LECLERCQ, Logique formelle et argumentation, 3e éd.Édouard DELRUELLE, De l’homme et du citoyen. Une introduction à la philosophie

politique

Sophie KLIMIS, L’énigme de l’humain et l’invention de la politique. Les racines grecques de la philosophie moderne et contemporaine

Sophie KLIMIS, Penser, délibérer, juger : pour une philosophie de la justice en acte(s)

L’ATELIER D’ESTHÉTIQUE, Esthétique et philosophie de l’art. Repères historiques et thématiques

Juliette SIMONT, Jean-Paul Sartre. Un demi-siècle de liberté

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Pour une philosophie de la justice en acte(s)

Penser, délibérer, juger

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© De Boeck Supérieur s.a., 2018 1re édition Rue du Bosquet, 7 – B-1348 Louvain-la-Neuve Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photoco-

pie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Dépôt légal : Bibliothèque nationale, Paris : janvier 2018 Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2018/13647/018 ISBN 978-2-8073-0259-4

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web :

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Για τον Σκευοφυλακα μουκαι την Οδυσσεια μας

Et pour les enfants chers à mon cœur : Anabelle, Andréa, Ann, Danaé, Elouan, Inlée, Kyo, Léanor, Rafaël, Thémis, Tylian.

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Prélude .......................................................................................................... 11

Scène de justiceLa délibération du jury, un exercice politique ? (12 Hommes en colère, Lumet, 1957) ....................................................... 29

1. « Il était une fois en Amérique… » : l’impartial jury, un droit inscrit dans la Constitution ....................................................................... 29

2. État des lieux : du Palais de Justice à la salle du huis clos ................... 323. Comment harmoniser des jugements multiples et contradictoires

en un seul ? ................................................................................... 364. Qui sont les douze jurés ? Représentativité et impartialité

du jury en tension .......................................................................... 475. Le verdict : une « vérité » contingente et faillible car construite

en situation .................................................................................... 56

Interlude« SOS Justice » .................................................................................... 63

Acte 1Comment délibérer à plusieurs ?(De la Démocratie en Amérique, Tocqueville, 1835 et 1840) ....................... 69

1. Point de théorie .............................................................................. 692. Le jury populaire aux États-Unis : une institution judiciaire

et politique .................................................................................... 803. La puissance politique des juges aux États-Unis : un rempart contre

la tyrannie populaire ....................................................................... 864. La justice aux États-Unis : un « accordage » bien tempéré du jury

et des juges ................................................................................... 92

InterludeUne Belge à New York ......................................................................... 97

Sommaire

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Acte 2Comment juger la moralité d’un comportement ou d’une action ? (Traité de la Nature Humaine, Hume, 1740 & Théorie des Sentiments Moraux, Smith, 1759) ................................................ 111

1. Point de théorie .............................................................................. 1112. Quelle impartialité pour le jugement moral du « judicious spectator »

selon Hume ? ................................................................................. 1163. Quelle moralité pour la justice de l’« impartial spectator »

selon Smith ? ................................................................................. 127

InterludeQuelle empathie pour les « méchants » ? ............................................ 147

Acte 3Comment penser la justice sociale ? (Sen & Nussbaum vs. Rawls) .............................................................. 163

1. Points de théorie ............................................................................ 1632. La théorie de la justice comme équité, une impossible hybridation

du contractualisme et de l’utilitarisme ? (Rawls, A Theory of Justice, 1971) .................................................... 170

3. « Par-delà » la théorie de la justice : l’idée de justice en perspectives concrètes (Sen & Nussbaum) .......................................................... 192

InterludeQu’est-ce que la justice ? ..................................................................... 231

Conclusion .................................................................................................. 243

Maximes en guise d’épilogue ........................................................... 249

Bibliographie et filmographie ........................................................... 251

Index des noms propres ...................................................................... 259

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1. « Il était une fois en Amérique… » : l’impartial jury, un droit inscrit dans la Constitution

Le film Douze Hommes en Colère (12 Angry Men), du réalisateur américain Sydney Lumet, décrit la délibération à huis clos de douze jurés tirés au sort, chargés de déterminer la culpabilité d’un jeune homme accusé de parricide. Compte tenu de la gravité de ce crime, le jury est placé devant l’alternative sui-vante : voter la peine de mort ou l’acquittement. Le Septième Art va donc nous permettre d’interroger une institution fondamentale et pourtant très controver-sée de la justice contemporaine : le jury populaire. En effet, si le dispositif de la justice moderne s’est progressivement focalisé sur la figure unique du « juge », magistrat spécialisé qui tranche la plupart des affaires judiciaires, les procès d’assises – qui concernent des crimes graves, notamment les meurtres – ont pour particularité de mobiliser un jury composé de citoyens tirés au sort, qui devront rendre leur verdict après en avoir délibéré. La cour d’assises est donc le seul lieu où la justice est encore directement rendue par des citoyen⋅ne⋅s. Ceci suscite toute une série de questions, tant juridiques que philosophiques : qu’est-ce qu’une délibération collective et comment doit-elle être menée ? La justice peut-elle être rendue par des citoyen⋅ne⋅s ordinaires ou est-elle une affaire qu’il faut laisser aux expert⋅e⋅s spécialisé⋅e⋅s ? Le jury populaire est-il le dernier lieu d’exercice de la démocratie directe pour les citoyen⋅ne⋅s contemporain⋅e⋅s ?

Afin d’initier une réponse à ces questions, il est intéressant de souligner l’immense considération dont jouit l’institution du jury populaire aux États-Unis, par rapport à la méfiance qu’elle suscite en France ou encore en Belgique1. Cette différence découle de l’histoire de chacun de ces pays, et notamment du

1. En 2015, le ministre belge de la Justice Koen Geens a lancé une série de réformes visant notamment à « correctionnaliser » tous les crimes. Ceci revient, à moyen terme, à supprimer la cour d’assises et donc aussi l’institution du jury populaire, jugée « trop coûteuse » et « peu fiable », selon les termes du ministre. En 2016, en France, l’Institut des politiques publiques (IPP) a publié une étude visant à démontrer l’impact des médias sur les décisions des cours d’assises. Les juri-dictions pénales composées uniquement de professionnels ne seraient quant à elles pas affectées par ce phénomène. En conclusion, les auteurs plaident pour une professionnalisation de la justice, afin de limiter l’impact des médias sur les décisions judiciaires (http://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2016/01/n22-notesIPP-janv2016.pdf).

La délibération du jury, un exercice politique ?12 hommes en colère, Lumet (1957)

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fait que les États-Unis sont la première nation moderne à avoir été une démo-cratie dès sa fondation. La Constitution américaine de 1787 accorda le pouvoir législatif à un Congrès, composé d’un Sénat et d’une Chambre des représen-tants (art. I), le pouvoir exécutif à un Président (art. II), et le pouvoir judiciaire à une Cour suprême et à des tribunaux subordonnés (art. III). Dans cette Consti-tution fondatrice d’une démocratie clairement représentative, il est néanmoins aussi stipulé que la justice doit être directement rendue par les citoyens pour ce qui concerne les affaires criminelles : « The Trial of all Crimes shall be by Jury » (art. III). Le rôle du jury populaire fut ensuite précisé et consolidé dans les sixième et septième des dix amendements à la Constitution connus sous le nom de Déclaration des droits (Bill of Rights) de 1791 :

« VIe amendement : Lors de toute poursuite criminelle, l’accusé aura le droit d’être jugé rapide-ment et publiquement par un jury impartial de l’État et du district où le crime aura été commis, ledit district ayant été préalablement déterminé par la loi ; d’être informé de la nature et des motifs des charges retenues contre lui ; d’être confronté avec les témoins à charge ; de faire citer des témoins à décharge et de bénéficier de l’assistance d’un avocat pour sa défense. (In all criminal prosecutions, the accused shall enjoy the right to a speedy and public trial, by an impartial jury of the State and district wherein the crime shall have been committed, which district shall have been previously ascertained by law, and to be informed of the nature and cause of the accusation ; to be confronted with the witnesses against him ; to have compul-sory process for obtaining witnesses in his favor, and to have the assistance of Counsel for his defence.)

VIIe amendement : Dans les procès de Common law où la valeur de l’objet du litige excédera vingt dollars, le droit à un jugement par jury sera maintenu, et aucun fait jugé par un jury ne pourra être réexaminé par une cour quelconque des États-Unis autrement qu’en conformité avec les règles de la Common law. (In Suits at Common law, where the value in controversy shall exceed twenty dollars, the right of trial by jury shall be preserved, and no fact tried by a jury, shall be otherwise re-examined in any Court of the United States, than according to the rules of the Common law.) »

Le caractère démocratique du VIe amendement peut être résumé en trois points. Primo, il accorde à tout accusé le droit d’être jugé par ses pairs, et plus précisément, par les plus proches de ses concitoyens. Une égalité « horizon-tale » s’établit ainsi entre celui qui est jugé et ceux qui le jugent. Secundo, il fait de l’impartialité le critère du jugement juste. Or cette neutralité sans parti pris, c’est d’un jury pluriel composé d’« amateurs⋅trices » et non de juges professionnel⋅les, que le texte constitutionnel semble avant tout l’attendre. Tertio, le VIe amendement impose de considérer l’accusé avant tout comme un être de raison : il doit être bien informé des tenants et aboutissants de son cas et bien conseillé par un professionnel, afin d’avoir la possibilité de « rendre raison » publiquement de ses actes, en se confrontant aux témoignages qui sont « contre » lui et en prenant appui sur ceux qui lui sont favorables.

Le VIIe amendement étend quant à lui le pouvoir du jury populaire au-delà des seules affaires criminelles, à tous les procès de Common law, faisant ainsi du jury « la pierre angulaire du système judiciaire américain » (Liddell, 2009). Si la Common law est notamment d’application dans le champ du droit

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Scène de justice | La délibération du jury, un exercice politique ?

pénal, rappelons qu’elle l’est aussi dans le domaine du droit des contrats et de la responsabilité civile. Mais qu’est-ce au juste que la Common law ? Cette expression désigne le système judiciaire né en Angleterre et qui est aussi d’application dans les pays qui lui sont politiquement liés (États-Unis, Canada anglophone, Commonwealth). La Common law se différencie du système judi-ciaire de droit civil dit romano-germanique, héritier du droit romain, notamment répandu dans la plupart des autres pays d’Europe.

Dans les juridictions de droit civil, comme en France ou en Belgique, le droit est consigné dans des codes. La loi écrite est donc la principale source du droit. Lors des procès, les juges tranchent en « appliquant la loi ». Ils se basent donc avant tout sur le code écrit. Ce n’est qu’à titre secondaire qu’ils peuvent aussi se référer à la jurisprudence, c’est-à-dire à des décisions judiciaires antérieures, rendues par d’autres tribunaux.

Dans les juridictions de Common law, au contraire, on pourrait dire que le droit est établi par les juges. La Common law est née avec la conquête normande de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, au xie siècle. Les rois d’Angleterre instituèrent des « cours royales de justice », où, à l’occasion des cas qui leur étaient soumis, des juges itinérants formèrent le droit anglais en constituant une jurisprudence commune à l’ensemble de l’Angleterre. De façon générale, la Common law est donc avant tout basée sur la jurisprudence, bien qu’elle s’appuie aussi sur les lois établies par les organes législatifs (lois votées par le Parlement, par exemple). La Common law est donc plus précisément fondée sur l’interprétation de lois générales par les juges, dans des décisions « en situation » visant à trancher des affaires particulières.

Afin d’analyser en détail la spécificité de cette forme de « justice démo-cratique » associée au jury populaire américain, nous allons étudier la scène de justice des 12 Angry Men à partir d’une constellation de questions (où ? quand ? comment ? combien ? qui ?). Les questions où ? et quand ? nous per-mettront d’interroger l’impact des conditions matérielles sur la délibération des jurés. L’apparent rétrécissement de l’espace, du Palais de Justice vu dans son ensemble, à l’espace public de la salle d’audience sous l’égide du juge, puis à la salle confinée du huis clos où les jurés se retrouveront livrés à eux-mêmes, se révélera en réalité lié à un approfondissement de la compréhension de la justice par son exercice même. En parallèle, nous verrons combien des variables en apparence anodines (conditions météorologiques, moment de la journée, etc.) peuvent influencer l’état d’esprit de chacun des jurés et même orienter le cours général de leur réflexion.

Grâce à la question comment ?, nous nous intéresserons au processus même de la délibération, dont nous verrons qu’elle constitue une forme d’apprentissage du « penser-ensemble ». En apprenant à questionner métho-diquement l’évidence des faits, la cohérence des témoignages et donc aussi leur validité, les jurés seront progressivement conduits à harmoniser

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leurs jugements multiples et contradictoires en un seul : le verdict de « non-culpabilité ». Cette unanimité se révélera cependant être paradoxale, car liée à la persistance d’un « doute raisonnable » et non à l’acquisition d’une « vérité certaine ».

En abordant les questions combien ? et qui ?, nous focaliserons notre attention sur le jury lui-même. Bien qu’ils aient été tirés au sort, ces jurés représentent-ils vraiment l’ensemble de la société américaine ? Et si tel n’était pas le cas, un collectif non représentatif peut-il juger en toute impartialité ? Qui plus est, pourquoi le titre du film les place-t-il globalement sous l’égide de la « colère » ? N’est-ce pas au contraire le calme et la sérénité qui devraient être attendus d’eux pour rendre un jugement impartial ?

Notre constellation de questions convergera finalement vers l’enjeu final de la délibération des jurés : le verdict. Nous verrons que ce jugement collectif sera placé sous le signe d’une « vérité » bien particulière : contingente et fail-lible, car construite en situation. Nous questionnerons aussi le principe de la présomption d’innocence. Bien qu’il soit supposé constituer le fondement du système judiciaire, n’est-il pas bafoué dès qu’un suspect est simplement mis en examen ? Le climat de terreur instillé par la Guerre froide, pour les spectateurs contemporains du film de Lumet, ou, aujourd’hui, par cet ennemi désormais mouvant, polymorphe et insaisissable qu’est le « terrorisme », doit par ailleurs nous inciter à nous demander si la présomption d’innocence constitue une évidence du « sens commun », ou si elle a dû être imposée à une opinion publique plutôt prédisposée au « soupçon de culpabilité » par son besoin pre-mier de sécurité.

2. État des lieux : du Palais de Justice à la salle du huis clos

2.1.Deuxmanièresdefilmerletribunal:del’IdéaldeJusticepétrifiéàlaréalisationconcrètedujusteensituation

Dans le gros plan d’ouverture du film, le palais de justice est filmé en contre-plongée, forçant le regard du spectateur à suivre le déploiement de sa monu-mentalité, depuis la base de ses imposantes colonnes jusqu’au fronton de ce qui apparaît comme un véritable « Temple » de la justice. Le palais de justice est filmé dans toute sa verticalité, de manière à nous apparaître comme énorme, pesant, écrasant : c’est essentiellement le bâtiment qui nous est donné à voir, comme si l’Idéal de la Justice s’était figé à tout jamais dans la majesté impo-sante de la pierre. Les hommes n’y apparaissent que comme des figurants, de petites fourmis qui s’agitent en tous sens, que la Justice, avec un grand

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« J », surplombe et écrase de tout son poids. Dans le dernier plan du film, tout au contraire, la caméra se centre sur le mouvement des hommes qui sortent du palais de justice, dans un long panoramique qui s’étire à l’horizontale. Le palais de justice n’apparaît plus à l’écran. Il se laisse cependant deviner, comme l’arrière-fond dont surgissent de dos les douze jurés descendant les marches de son perron pour retourner dans la ville.

Entre ces deux plans : la longue et quasi étouffante focalisation sur le huis clos de la délibération. Tout se passe donc comme si la durée du film avait permis que la justice quitte le piédestal de son Idéalité pour s’incarner à taille humaine : bien qu’ils soient filmés de dos et de loin, on peut reconnaître chacun des jurés à sa démarche, à son « allure ». Suite à leur délibération collective, ils sont devenus pour nous des « individus » clairement singularisés. Pourtant, la mise en scène nous fait prendre conscience du fait que nous ne connaissons même pas leurs noms : dans les dernières minutes du film, l’un des jurés demande à un autre comment il s’appelle en lui serrant la main afin de prendre congé de lui. Pendant toute la durée de la délibération judiciaire, les deux jurés ont donc été l’un pour l’autre des citoyens anonymes, désignés par de simples numéros.

Cet anonymat est une caractéristique essentielle du jury américain, en tant qu’il se pose « à la fois comme instance juridique et comme institution morale. Un juré, c’est-à-dire l’homme de la rue, doit être capable de comprendre tout problème et de le résoudre grâce à ses simples compétences citoyennes » (Garapon et Papadopoulos, 2003, p. 181). Son anonymat garantit que le jury puisse apparaître aux yeux de l’opinion publique comme le représentant de la souveraineté populaire et qu’il « exprime la conscience de la société » (ibid., p. 195). Le dernier plan du film permet de mettre en évidence le paradoxe sous-jacent à cet anonymat : pour que justice puisse être rendue, chacun des douze jurés a dévoilé (aux autres jurés et à nous, spectateurs) sa part intime, habituellement masquée aux autres dans les relations entre individus au sein de la société. Celle de cet « espace » intérieur que l’on nomme la « conscience », où chacun se recentre sur lui-même pour penser, et où s’expriment aussi ses doutes et ses fragilités. Il faut aussi remarquer que l’anonymat du jury le consti-tue « en tiers par excellence des relations humaines » (ibid., p. 202). Par ce biais, le jury garantit que la justice apporte un terme à la logique vindicatoire (ibid., p. 203).

Enfin, soulignons que ce simple déplacement de la focale filmique, de la verticalité à l’horizontalité, permet d’ouvrir l’horizon de notre questionnement sur la justice dans une direction plus philosophique. En effet, le psychiatre et philosophe phénoménologue suisse Ludwig Binswanger parle de la verti-calité et de l’horizontalité comme étant des « directions significatives » (des directions de sens) de l’existence humaine (Binswanger, 1949). La verticalité permet de rendre compte de notre aspiration à un idéal, de l’élévation de notre existence quotidienne grâce à un projet. Tandis que l’horizontalité indique la

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direction de notre nécessaire ancrage dans une communauté avec d’autres hommes. Binswanger appelle proportion anthropologique la résultante de l’entrecroisement de la dimension de verticalité et de celle d’horizontalité pour chaque existence humaine. Tout homme, pour se réaliser, doit donc parvenir à se singulariser grâce à la poursuite d’un but qui élève son existence (œuvre, action, etc.), tout en maintenant son ancrage harmonieux dans le vivre-ensemble avec autrui.

Ainsi donc, la transformation du cadre – le passage de la contre-plongée du premier plan au panoramique du dernier plan – construit à lui seul l’histoire : celle de la manière dont, pour ces douze hommes, la justice, d’Idéal abstrait – ou de contrainte formelle – qu’elle était a priori s’est progressivement incarnée à taille humaine. L’aspiration à la justice, figée dans l’exigence de « verticalité » d’absolue perfection, aurait pu peser d’un poids écrasant sur les jurés. Mais le partage « horizontal » des doutes et des questionnements a au contraire permis de refonder un monde commun, où chacun a eu son rôle à jouer dans le pro-cessus visant à produire un jugement juste en situation. Après la « parenthèse » du « huis clos » forcé par le hasard, chacun des jurés retourne se plonger dans la vie quotidienne. Mais la manière de filmer ce plan terminal, avec un angle d’ouverture maximal de l’horizontalité, dévoile que l’espace d’appartenance à la communauté civique s’est ouvert : tous les jurés retourneront au monde commun indéniablement transformés dans leur rapport à autrui et au politique par l’expérience du jury.

2.2.Lecadragefilmiqueduhuisclos:l’impactdesconditionsempiriquessurladélibération

Hormis ces deux plans, la totalité du film se déroule dans la pièce où a lieu la délibération des jurés. La caméra filme comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre, ce qui crée une certaine impression de lenteur, voire de monotonie. Or c’est précisément ce qui permet à chaque micro-événement de devenir signi-fiant. Il faut ainsi souligner l’importance accordée par le cadre à ce qui semble de prime abord n’être qu’une série de détails relevant de la mise en scène plutôt que de l’intrigue proprement dite. Nombreux sont par exemple les gros plans qui révèlent la chaleur accablante qui sévit (mains qui épongent des fronts en sueur, etc.), renforcés, au niveau du discours, par l’affirmation d’un des jurés qui déclare avoir lu dans le journal que c’était le jour le plus chaud de l’année. Le mouvement d’ouvrir et de fermer les fenêtres, en fonction de la chaleur et du bruit de la ville, tout comme l’action de se rendre aux toilettes afin de se rafraîchir, rythment en réalité à eux seuls le déroulement du film. Certains des personnages semblent plus souffrir de la chaleur que d’autres, le ventilateur paraît être en panne et ne fonctionne à nouveau que dans la dernière partie du film. Plusieurs personnages révèlent aussi qu’ils ont faim ou qu’ils désireraient en avoir terminé au plus vite, car ils ont d’autres projets pour la soirée, comme d’aller assister à un match de base-ball.

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Scène de justice | La délibération du jury, un exercice politique ?

Qu’est-ce à dire ? Un parallèle avec le dialogue du Phèdre de Platon pourrait se révéler éclairant. Socrate et Phèdre dialoguent pour parvenir à savoir ce que sont l’amour et l’âme, étendus à l’ombre d’un platane, en plein midi. Alors que l’entretien faiblit, compte tenu de la chaleur, Socrate prononce ces paroles :

« Socrate – Je crois que les cigales qui, comme c’est naturel au plus fort de la chaleur, chantent au-dessus de nos têtes et conversent entre elles, ont aussi l’œil sur nous. Si donc elles nous voyaient, nous deux, à l’heure du midi, faire comme la plupart des gens, c’est-à-dire ne point dialoguer, mais laisser choir notre tête et céder à leurs enchantements par paresse d’esprit, elles auraient le droit de se moquer de nous, estimant que des esclaves viennent d’arriver auprès d’elles en ce lieu de halte pour s’y reposer, comme le font des moutons sur l’heure du midi à l’entour de la source. Si, au contraire, elles nous voient converser et rester insen-sibles à leurs enchantements […] alors parce qu’elles seront contentes de nous, elles nous accorderont sans doute le privilège que les dieux leur permettent de décerner aux hommes. » (258e-259b)

« Où est-on lorsqu’on pense ? » (Arendt, 1981, p. 253) Par cette habile mise en scène, Platon dévoile que le travail de la pensée se déploie dans une sorte de présent suspendu et distendu, étrange miroir de l’éternité, mais qui doit s’insérer dans l’espace et le temps de la vie « biologique ». Ainsi, les véritables philosophes sont ceux qui surmontent leurs besoins physiologiques et qui continuent à dialoguer au plus fort de la chaleur, au lieu de sombrer dans le sommeil comme la plupart des êtres vivants (hommes et animaux). Mais croire qu’ils pourraient continuer à philosopher éternellement sans plus prendre la peine de dormir, de boire ou de manger serait tout aussi illusoire, comme le dévoile la suite de l’histoire racontée par Socrate : les cigales auraient été des hommes « à ce point mis par le plaisir hors d’eux-mêmes que chanter leur fit négliger de manger et de boire, si bien qu’ils moururent sans s’en apercevoir » (259b-c).

Où est-on lorsqu’on juge ? D’une manière analogue à celle du dialogue pla-tonicien, la mise en scène du film nous fait prendre conscience du fait que la justice est toujours rendue en situation, ce qui ne se passe jamais dans des conditions idéales. Les douze jurés vont donc devoir prendre le temps néces-saire à la délibération malgré la chaleur qui les presse d’en finir au plus vite. Ils devront se montrer capables de réfléchir, de peser le pour et le contre de chaque argument, malgré la faim qui les tenaille. Autrement dit : dans toute situation, y compris celle d’une délibération philosophique ou judiciaire, les besoins physiologiques du corps peuvent se manifester et entraver le bon fonctionnement de la pensée et du raisonnement. Il ne s’agit donc pas de faire comme si tous ces éléments contingents n’existaient pas ou ne portaient pas à conséquence, mais bien au contraire de prendre conscience de leur importance pour s’avérer capable de les maîtriser.

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3. Comment harmoniser des jugements multiples et contradictoires en un seul ?

Ce n’est pas le procès (trial) qui constitue la scène de justice, mais la déli-bération à huis clos du jury chargé de rendre le verdict. L’œil de la caméra nous fait pénétrer dans la salle d’audience au moment où le procès proprement dit est terminé. Les jurés sont sur le point de se retirer et nous n’entendrons « en direct » que les dernières paroles du juge, leur rappelant leurs devoirs : après avoir entendu les dépositions et avoir appris l’interprétation de la loi, ils vont devoir « séparer les faits de l’imaginaire » (to separate the facts from the fancy)1. Un homme est mort, la vie d’un autre est en jeu. La charge la plus lourde pèse sur l’accusé : celle du meurtre avec préméditation. Si un « doute raisonnable » (reasonable doubt) subsiste dans leur esprit, alors ils doivent voter « non cou-pable ». Sinon, ils doivent voter « coupable », en étant bien conscients de deux choses : primo, ils s’engageront alors à condamner l’accusé à mort, sans possi-bilité de commuer sa peine, compte tenu de la charge qui pèse sur lui. Secundo, le verdict doit être unanime. Tout ce qui s’est dit et déroulé précédemment dans la salle d’audience, nous ne l’apprendrons que rétrospectivement, au fur et à mesure de la délibération.

Contentons-nous à ce stade de souligner une différence importante entre les pays basés sur le droit civil romano-germanique et ceux régis par la Com-mon law : dans les premiers, comme en Belgique ou en France, les jurés doivent arriver à l’intime conviction de la culpabilité, même dans un cas où aucune preuve irréfutable de la culpabilité ne peut être fournie. Cette notion d’« intime conviction » semble inviter chaque juré à se replier dans son for inté-rieur, comme si une forme d’introspection au-delà ou en deçà des mots devait « illuminer » le cas à juger, au point de le rendre « évident » ou « transparent ». La délibération collective semble alors quasiment superflue. Qui plus est, la notion d’« intime conviction » semble reposer sur une présomption de culpabi-lité plutôt que d’innocence. Tout se passe donc comme si l’accusé devait faire la preuve de son innocence, pour aller contre un dispositif de justice plutôt prédisposé à le sanctionner. Au contraire, dans le contexte de Common law, la notion de « doute raisonnable » est indissociable du principe de la présomption d’innocence. Comme le rappelle le personnage incarné par Henry Fonda : c’est l’accusation (the prosecution) qui doit fournir les preuves. Le « doute raison-nable » en appelle à l’activité de la « raison », ce « bon sens » que chacun est censé posséder. Il invite ainsi à la recherche active et collective de la vérité, qui permettra de rendre le juste verdict.

1. Dans les sous-titres en français, l’expression est traduite par « tenter de distinguer le vrai du faux », ce qui révèle d’emblée une différence importante de sensibilité entre mondes francophone et anglophone.

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Prélude .......................................................................................................... 11

Scène de justiceLa délibération du jury, un exercice politique ?12 hommes en colère, Lumet, (1957) ...................................................... 29

1. « Il était une fois en Amérique… » : l’impartial jury, un droit inscrit dans la Constitution ....................................................................... 29

2. État des lieux : du Palais de Justice à la salle du huis clos ................... 322.1. Deux manières de filmer le tribunal : de l’Idéal de Justice pétrifié

à la réalisation concrète du juste en situation .............................. 322.2. Le cadrage filmique du huis clos : l’impact des conditions

empiriques sur la délibération .................................................... 343. Comment harmoniser des jugements multiples et contradictoires

en un seul ? ................................................................................... 363.1. Le juré « spectateur » ? Entre curiosité, ennui et admiration .......... 373.2. L’arithmétique de la justice : un seul pour un et contre tous .......... 373.3. Le travail méthodique du doute : questionner l’évidence des faits,

la cohérence des récits et la validité des témoignages ................. 403.4. La délibération collective : une mise en examen critique

des témoignages ..................................................................... 444. Qui sont les douze jurés ? Représentativité et impartialité

du jury en tension .......................................................................... 474.1. Les « justes » ........................................................................... 494.2. Les « bons bougres » : la malléabilité démocratique

de la middle-class ..................................................................... 504.3. Les « lâches » : ceux qui ne veulent pas s’engager ni assumer

les conséquences de leur choix ................................................. 514.4. Les « irréductibles » de la culpabilité : de l’hyper-cérébral

à l’hyper-irascible ...................................................................... 534.5. Douze hommes en colère : pour ou contre quoi ?

De la grogne égoïste à l’indignation citoyenne ............................. 54

Table des matières

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Penser, délibérer, juger

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5. Le verdict : une « vérité » contingente et faillible car construite en situation .................................................................................... 565.1. La présomption d’innocence : une « évidence »

du sens commun ? ................................................................... 575.2. Le jury : une institution paradigmatique de la démocratie

entendue comme société du risque assumé ............................... 60

Interlude« SOS Justice » L’ « expertise » de la machine ou le jugement absurde de Thémis ...... 63

Acte 1Comment délibérer à plusieurs ? Le système judiciaire américain vu par un Français De la démocratie en Amérique, Tocqueville (1835 et 1840) ................ 69

1. Point de théorie .............................................................................. 691.1. Aristotle’s tip : que fait-on quand on « délibère » ? ......................... 691.2. L’organisation du système judiciaire, condition du maintien

de la démocratie selon Tocqueville ............................................. 792. Le jury populaire aux États-Unis : une institution judiciaire

et politique .................................................................................... 802.1. Le jury populaire envisagé en tant qu’institution judiciaire

(origine, arguments empiriques puis théoriques en sa faveur) ....... 812.2. Le jury populaire envisagé en tant qu’institution politique

(affaires criminelles et souveraineté populaire/affaires civiles et éducation du peuple) ............................................................ 81

3. La puissance politique des juges aux États-Unis : un rempart contre la tyrannie populaire ....................................................................... 863.1. Déclarer une loi inconstitutionnelle pour juger un procès :

un pouvoir politique accordé aux juges par la Constitution ............ 863.2. Souveraineté populaire et risque de « tyrannie de la majorité » ...... 88

4. La justice aux États-Unis : un « accordage » bien tempéré du jury et des juges ................................................................................... 924.1. Les caractéristiques de « l’esprit légiste » ................................... 924.2. Le pouvoir des légistes sur les jurés : une tyrannie déguisée

de la minorité ?......................................................................... 934.3. La justice américaine est une conquête sociale : la souveraineté

populaire n’existe qu’à refonder perpétuellement son unité par l’interaction et l’entre-limitation des composantes démocratique et aristocratique de la société ............................... 95

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Table des matières

InterludeUne Belge à New York L’Amérique de Tocqueville en questions contemporaines ................. 97

Acte 2Comment juger la moralité d’un comportement ou d’une action ? Les racines morales de l’impartial jury : variations sur le point de vue du « spectateur impartial » (Hume & Smith) ........................... 111

1. Point de théorie .............................................................................. 1111.1. Arendt’s Kantian tip : que fait-on quand on « juge » ? ..................... 1111.2. L’impartialité questionnée à partir de ses définitions

« généraliste » et « juridique », francophone et anglophone ............ 1132. Quelle impartialité pour le jugement moral du « judicious spectator »

selon Hume ? ................................................................................. 1162.1. Le jugement moral : une affaire de sentiment et non de raison ...... 1162.2. La justice : une vertu « artificielle », produit de la convention

sociale et de l’imagination individuelle ........................................ 1172.3. L’empathie : un principe à la source des jugements

et des distinctions de la morale ................................................. 1202.4. Le point de vue du judicious spectator : un correctif

à la partialité de l’empathie ........................................................ 1233. Quelle moralité pour la justice de l’« impartial spectator » selon Smith ? 127

3.1. L’imagination : source de l’empathie naturelle .............................. 1283.2. Critique des principes de la moralité supposés par la tradition

anglophone : l’amour de soi, la raison, le « sens moral », l’empathie ............................................................................... 129

3.3. L’empathie : une harmonisation réciproque du spectateur et du souffrant ......................................................................... 131

3.4. Le point de vue du « spectateur impartial » : principe du jugement moral posé sur nous-mêmes comme sur autrui ........................... 133

3.5. Trois juges pour trois tribunaux : « l’homme du dehors » ou la contrainte de la norme sociale ; « l’homme du dedans » ou la première instance de la conscience ; « le Juge omniscient » ou le dernier recours de l’espoir eschatologique .......................... 136

3.6. Le sens du devoir et des convenances, fondement véritable de la moralité ? ......................................................................... 137

3.7. La justice, de la quête individuelle à la réglementation collective : apologie de la jurisprudence et critique de la casuistique .............. 139

3.8. La « main invisible » et le « spectateur impartial » : deux métaphores antinomiques ? ............................................... 142

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Penser, délibérer, juger

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InterludeQuelle empathie pour les « méchants » ? Le dilemme d’Ahmed, la querelle d’Ali et d’Aurélie et « l’affaire Pierre Rivière » en écho philosophique (Foucault/Brossat) .... 147

Acte 3Comment penser la justice sociale ? (Sen & Nussbaum vs. Rawls) ...... 163

1. Points de théorie ............................................................................ 1631.1. Plato’s Homeric tip : que fait-on quand on « pense » ? ................... 1631.2. Comment penser l’institution de la société ?

Retour sur les fictions du contrat social (Hobbes, Rousseau) ........ 1662. La théorie de la justice comme équité, une impossible hybridation

du contractualisme et de l’utilitarisme ? (Rawls, A Theory of Justice, 1971) .................................................... 1702.1. La théorie de la justice comme équité :

une critique de l’utilitarisme ? .................................................... 1712.1.1. Les deux principes de justice ................................................... 1722.1.2. La théorie de la justice comme équité, « partie » de la théorie

du choix rationnel : un paradoxe ? .............................................. 1742.2. La « position originelle » : une fiction théorique pour instituer

les principes de la justice sociale ............................................... 1762.2.1. La position originelle d’égalité : une situation initiale préférable

à « l’état de nature » des premiers contractualistes ........................ 1762.2.2. Le « voile d’ignorance » : une fiction pour neutraliser la recherche

de l’intérêt personnel dans le choix des principes de justice ............. 1772.2.3. Le choix rationnel des principes de justice :

une procédure équitable ? ....................................................... 1782.2.4. Rawls pris au piège d’une conception univoque de la rationalité :

l’accord unanime des individus ne peut pas être le fruit d’une délibération collective en assemblée .................................. 181

2.3. La « position originelle » : une déclinaison plurale du point de vue du « spectateur impartial » ? ....................................................... 182

2.3.1. Le statut du judicious spectator de Hume selon Rawls : un point de vue individuel pour unifier les jugements moraux au fondement de la société ..................................................... 183

2.3.2. Le statut du « législateur idéal » selon Rawls : un personnage conceptuel pour réduire la justice au management des désirs .......... 184

2.3.3. La place du conflit et de la solidarité dans la « position originelle » et dans la société réelle : du désintérêt mutuel à la coopération sociale .......................................................... 186

2.4. « Critique de la critique » : les apories de la représentation rawlsienne de l’individu et de la société ...................................... 189

3. « Par-delà » la théorie de la justice : l’idée de justice en perspectives concrètes (Sen & Nussbaum) .......................................................... 1923.1. Deux manières de théoriser la justice : l’institutionnalisme

transcendantal et la comparaison de situations réelles ................. 195

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3.2. De l’accord unanime de partenaires adultes (Rawls) à la dispute de trois enfants (Sen), en passant par la « leçon » de l’enfant à l’adulte (Nussbaum) : des changements signifiants de « scène originelle » ............................................................... 197

3.2.1. Il était une fois… trois enfants qui se disputent et trois enfants qui jouent (Sen et Borges en comparaison) .................................. 197

3.2.2. Il était une fois… un professeur qui donnait une leçon d’économie à une petite fille, qui donnait une leçon de vie à son professeur (Hard Times de Dickens relu par Nussbaum) ................................ 200

3.3. Des Lumières « alternatives » : comparatisme et asymétrie versus contractualisme et réciprocité .................................................... 206

3.3.1. De l’Inde à l’Afrique du Sud en passant par le Japon : des Lumières « non occidentales » .............................................................. 207

3.3.2. Les Lumières « comparatistes » et la prise de responsabilité pour autrui dans les relations asymétriques ................................. 210

3.3.3. Les limites du paradigme du Contrat pour penser et assurer les droits de toutes et tous : défendre les droits des « animaux » humains et non humains ......................................................... 212

3.4. Une double réélaboration du point de vue du « spectateur impartial » pour penser la justice sociale .............. 213

3.4.1. Smith versus Rawls : impartialité « ouverte » et impartialité « fermée » ........................................................................... 214

3.4.2. Les capabilités ...................................................................................... 2193.5. Les conditions du choix et du jugement rationnels ....................... 222

3.5.1. Faire des comparaisons – assumer l’incommensurabilité ; établir des classements – assumer l’incomplétude ; faire l’épreuve du débat public .................................................. 223

3.5.2. User de son imagination empathique pour redresser les faits (l’opinion du juge Posner dans l’affaire Mary J. Carr versus General Motors) ................................................................... 226

InterludeQu’est-ce que la justice ? Définitions d’étudiant.e.s en dialogue avec la tradition philosophique ... 231

Conclusion .................................................................................................. 243

Maximes en guise d’épilogue Extraits du road-book de Tom ......................................................... 249

Bibliographie et filmographie ........................................................... 251

Index des noms propres ...................................................................... 259

Table des matières

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L’énigme de l’humain et l’invention de la politique

Les racines grecques de la philosophie moderne et contemporaine

Qu’est-ce qu’une spécialiste de la philosophie grecque peut bienavoir à transmettre à un auditoire de juristes débutant(e)s ? Pour leurdonner le goût du débat démocratique, l’auteure a construit un che-minement en deux étapes, interrogeant d’abord l’énigme del’humain, d’Homère à Heidegger ; puis son prolongement collectif.Plongeant dans les racines du passé pour mieux comprendre le pré-sent et inventer le futur, cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui dési-rent s’engager dans une réflexion citoyenne.

Sophie Klimis est professeure de philosophie en facultés de droit etde philosophie et lettres à l’Université Saint-Louis-Bruxelles.

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De l’homme et du citoyen

Une introduction à la philosophie politique

Derrière les innombrables « théories de la justice » qui jalonnentl’histoire de la philosophie politique, de Machiavel à Foucault enpassant par Spinoza, Marx et bien d’autres, cet ouvrage identifie etexplore une passion bien plus profonde : celle de la liberté. Maiscelle-ci n’est-elle pas aujourd’hui paradoxalement menacée ? Écritsous forme de dialogue vivant, De l’homme et du citoyen est à lafois une introduction à la philosophie et une réflexion critique sur lapolitique.

Edouard Delruelle est professeur de philosophie politique et de phi-losophie du droit à l’Université de Liège. Connu pour ses engage-ments publics, il a été Directeur du Centre pour l’égalité deschances.

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Esthétique et philosophie de l’art

Repères historiques et thématiques

Cet ouvrage présente un panorama historique et thématique de latradition esthétique occidentale. L’art et le beau y sont présentés àtravers les plus grands penseurs occidentaux, de Platon à Derrida ;mais aussi dans un dialogue éclairant avec la critique et les sciencesde l’art, et surtout avec les œuvres d’art elles-mêmes, qui soulèventencore aujourd’hui nombre d’interrogations sur cette expérienceparticulière – l’expérience esthétique.

Créé en 1989, L’atelier d’esthétique est un groupe d’étude réunis-sant des membres des départements de philosophie et d’histoire del’art de différentes universités.

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Jean-Paul Sartre

Un demi-siècle de liberté

La pensée de Sartre est une pensée de la liberté. Comment la resti-tuer sans l’enfermer et l’éteindre ? Pour ce faire, cet ouvrage pro-pose une étude synthétique de son œuvre en l’approchant parproblèmes (la question du temps, de la psychanalyse, de l’huma-nisme…) plutôt que de manière chronologique. Ses diverses facettes– philosophique, littéraire, théâtrale – sont abordées ; tantôt elles serecoupent, tantôt elles bifurquent, esquissant les contours vivants etirréductibles d’une pensée inimitable.

Juliette Simont est docteure en philosophie et maître de recherches auFonds National de la Recherche Scientifique. Elle a publié de nom-breuses études sur Sartre, notamment dans Les Temps Modernes.

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Sophie Klimisest professeure de philosophie en facultés de droit et de philoso-phie et lettres à l’université Saint-Louis-Bruxelles. Ses recherches portent notamment sur la pensée grecque et sa réception, l’anthro-pologie philosophique, la philosophie politique et l’esthétique. Elle a coédité les Cahiers Castoriadis et publié trois livres : Le statut du mythe dans la Poétique d’Aristote, Archéologie du sujet tragique et L’énigme de l’humain et l’invention de la politique.

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Pour affronter les actes criminels les plus sensibles, la justice des « experts » tend à se substituer à celle des jurys populaires. Face à cette réalité, l’auteure

affirme que chacun d’entre nous est capable de construire une perspective personnelle et critique, d’aller au-delà des idées reçues, autrement dit de se hisser au niveau d’une philosophie de la justice en actes. Ces actes doivent être les trois fondements de la citoyenneté en démocratie : penser – délibérer – juger.

En nous rendant accessible la pensée des grands théo-riciens de la justice, de la politique et de la citoyenneté, de Platon et Aristote à Nussbaum en passant par Hume, Smith, Tocqueville, Arendt, Rawls et Sen, mais aussi en confrontant les cultures juridiques contemporaines des mondes anglophone et francophone, Sophie Klimis nous offre des éclairages nouveaux pour penser le fait juridique. À partir d’une réflexion sur le classique du cinéma 12 Hommes en colère, des témoignages de ses étudiantes et étudiants ainsi que des exemples que fournit l’actualité, elle nous propose un questionnement actif sur la justice, l’appartenance à une communauté poli-tique et la condition même de l’humanité.

Pour une philosophie de la justice en acte(s)

sophie klimis

Penser, délibérer, juger

www.deboecksuperieur.com

ISBN 978-2-8073-0259-4

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