p siloiseau e meurt c l e t i e r

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S I LOISEAU MEURT F R A N C I N E P E L L E T I E R A L I R E Extrait de la publication

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SI L’OISEAUMEURT

FR

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I

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E

PELLETIER

AA LL II RR EEExtrait de la publication

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À PROPOS DES JOURS DE L’OMBRE…

« MERVEILLEUX, J’EN SUIS ENCOREÉMERVEILLÉE !!! […] FRANCINE PELLETIER JOUE

AVEC NOS NERFS PENDANT 300 PAGES, ELLE JONGLE AVEC LE FUTUR, LE PRÉSENT,

L’ICI ET L’AILLEURS À MERVEILLE. »Les Chroniques de l’Imaginaire

« SI CE N’ÉTAIT PAS DE CET ŒIL QUI APPARAÎTD’ENTRÉE DE JEU SOUS LE SEIN DE SON HÉROÏNE,

CETTE DERNIÈRE SEMBLERAIT TOUT AUSSIACCESSIBLE QUE N’IMPORTE QUEL PERSONNAGE

D’UN ROMAN DE MARIE LABERGE. »Le Journal de Montréal

« ON SE LAISSE ENVOÛTER EN DOUCEURPAR L’INTRIGUE DES JOURS DE L’OMBRE, QUI MET

EN SCÈNE UN PERSONNAGE FÉMININAUQUEL ON S’ATTACHE RAPIDEMENT

ET QU’ON REGRETTE DE QUITTERAU MOMENT DE TOURNER LA DERNIÈRE PAGE. »

Voir – Montréal

« IMPOSSIBLE D’ARRÊTER LA LECTURETANT L’HISTOIRE COULE D’ELLE-MÊME. […]

PELLETIER NOUS OFFRE DE BELLES SURPRISES,GRÂCE À UNE HISTOIRE BIEN FICELÉE

ET DES PERSONNAGES VIVANTS, ATTACHANTSET COMPLETS. À LIRE ABSOLUMENT. »

Brins d’éternité

« MAIS L’ÉCRIVAINE, COMME DIEU, EST DANS LES DÉTAILS, ET CE SONT EUX

QUI DONNENT AU RÉCIT SA PROFONDEUR – SANSOUBLIER SON CHARME DISCRET MAIS PÉNÉTRANT. »

SolarisExtrait de la publication

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DE LA MÊME AUTEURE

Livres jeunesse (extraits)

Le Rendez-vous du désert. Roman.Montréal, Paulines, Jeunesse-pop 59, 1987.

Mort sur le Redan. Roman.Montréal, Paulines, Jeunesse-pop 64, 1988.

Le Crime de l’Enchanteresse. Roman.Montréal, Paulines, Jeunesse-pop 66, 1989.

Monsieur Bizarre. Roman.Montréal, Paulines, Jeunesse-pop 70, 1990.

Le Septième Écran. Roman.Montréal, Paulines, Jeunesse-pop 80, 1992.

La Saison de l’exil. Roman.Montréal, Paulines, Jeunesse-pop 82, 1992.

La Planète du mensonge. Roman.Montréal, Paulines, Jeunesse-pop 89, 1993.

Le Cadavre dans la glissoire. Roman.Montréal, Paulines, Jeunesse-pop 92, 1994.

Cher ancêtre. Roman.Montréal, Médiaspaul, Jeunesse-pop 115, 1996.

Damien mort ou vif. Roman.Montréal, Médiaspaul, Jeunesse-pop 119, 1997.

Les Eaux de Jade. Roman.Montréal, Médiaspaul, Jeunesse-pop 134, 2000.

Le Crime de Culdéric. Roman.Montréal, Médiaspaul, Jeunesse-pop 141, 2001.

Livres adulte

Le Temps des migrations. Recueil.Longueuil, Le Préambule, Chroniques du futur 11, 1987.

Le Sable et l’Acier1. Nelle de Vilvèq. Roman.

Beauport, Alire, Romans 011, 1997.2. Samiva de Frée. Roman.

Beauport, Alire, Romans 016, 1998.3. Issabel de Qohosaten. Roman.

Beauport, Alire, Romans 019, 1998.

Les Jours de l’ombre. Roman.Lévis, Alire, Romans 075, 2004.

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SI L’OISEAU MEURT

FRANCINE PELLETIER

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Illustration de couverture : STEVE BOLDUC

Photographie : DANIELLE COUTURE

Distributeurs exclusifs :

Canada et États-Unis :Messageries ADP2315, rue de la Province Longueuil (Québec) Canada J4G 1G4Téléphone : 450-640-1237Télécopieur : 450-674-6237

France et autres pays :Interforum editisImmeuble Paryseine, 3, Allée de la Seine, 94854 Ivry CedexTél. : 33 (0) 4 49 59 11 56/91Télécopieur : 33 (0) 1 49 59 11 33Service commande France MétropolitaineTél. : 33 (0) 2 38 32 71 00Télécopieur : 33 (0) 2 38 32 71 28Service commandes Export-DOM-TOMTélécopieur : 33 (0) 2 38 32 78 86Internet : www.interforum.frCourriel : [email protected]

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Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’éditionde livres – Gestion Sodec.

TOUS DROITS DE TRADUCTION, DE REPRODUCTIONET D’ADAPTATION RÉSERVÉS

Dépôt légal : 4e trimestre 2007Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

© 2007 ÉDITIONS ALIRE INC. & FRANCINE PELLETIER

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À E.V.qui trouvait que

ça manquait d’émotion

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TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

La venue au monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

DEUXIÈME PARTIE

L’envol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

TROISIÈME PARTIE

Turbulences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169

QUATRIÈME PARTIE

La chute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269

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PREMIÈRE PARTIE

LA VENUE AU MONDE

1Avec la conscience revint le désir.À moins que ce ne fût le contraire, le désir provoquant

l’étincelle, le mouvement vers la lumière? Plus tard, ilse questionnerait à ce propos, quand il aurait recouvréson intégrité, quand l’existence chez les Laganière res -semblerait à un rêve lointain. Sur le moment, ce fut unegêne, un vague malaise. Dans la simplicité de l’affectionqu’il portait à Marthe, soudain émergea une chose en coreindéfinie, et qui pourtant était mal. Un frémissement dansson corps, le durcissement de son membre. Le désir.

Ses longues jambes étendues devant lui, son torseà demi tourné vers Paul, il manipulait un jouet, l’un deces cubes en bois peints sur lesquels étaient gravées leslettres de l’alphabet.

Paul lui prit le cube, le posa par terre entre eux.— Regarde : m-a-n-u, Manu. C’est ton nom, ça.Manu rit, un rire de petit enfant, libre d’arrière-pensée,

dégagé de tout souci, le rire d’un être qui se contented’exister, qui n’a encore ni passé ni avenir. Sur le visagede Paul se lisait satisfaction et fierté, comme chez ungrand frère heureux des progrès du benjamin. Paul avaitonze ans, ses joues montraient encore la rondeur del’enfance. Le petit Paul. Et le grand petit Manu.

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— Regarde, Manu, ça, c’est mon nom. P-a-u-l, Paul.Et il regarda, oui, il regarda, et tout à coup il vit un

mot surgi d’un autre temps, d’une autre vie. Il fronçales sourcils, se pencha, ses mains errèrent au-dessusdes cubes. Il prit le « n » de Manu, l’ajouta à « Paul ».Et le garçon qui portait ce nom rit à son tour, incons-cient de ce que le jeu avait provoqué.

— Paul’n, ça ne veut rien dire.Il prononçait « paulenne », comme dans pollen.

Comme dans…Pauline !Manu hurla. Ses grandes jambes et ses longs bras

éparpillèrent les jouets dans un mouvement convulsif.Le bruit alerta Johnny mais, par chance, Marthe ap -parut derrière le médicaide avant qu’il n’intervînt etelle le renvoya dans son coin.

Il y en avait eu d’autres, avant, de ces espèces decrises. À travers le brouillard de l’oubli, Manu revoyaitles traits impassibles de Johnny quand il intervenait,ses mains aux articulations souples et pourtant rigides,sa poigne d’acier, l’expression de son visage que rienne pouvait troubler. Johnny ne cédait jamais. Johnnyne dormait jamais. Manu haïssait Johnny.

Johnny n’était pas le seul médicaide dont disposaitle docteur Laganière. Manu connaissait le vieux Frankiemême s’il n’avait jamais affaire à lui. S’il restait mé -fiant à son égard, il ne détestait pas Frankie comme ilhaïssait Johnny. Mais ce dernier avait été fourni audocteur spécialement pour prendre soin de Manu.Rien que pour s’occuper de lui. Pour lui faire cesdétestables injections quotidiennes, pour l’obliger àavaler tous ces horribles médicaments. Et pour éviterque les crises ne dégénèrent.

Cette crise-là se termina comme les autres – oupresque. Marthe se précipita près de Manu sur leplancher de bois de la chambre, et elle serra son

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grand petit bébé dans ses bras, le berça contre elle enmurmurant :

— Chut, chut, mon chéri, ce n’est rien, calme-toi…Elle disait toujours ça quand il s’énervait. Et Manu

s’apaisait toujours dans la chaleur de ses bras, dansl’odeur de son corps. Avec les cheveux de Marthe quichatouillaient son cou, les lèvres de Marthe qui ef -fleuraient son front, la poitrine de Marthe pressée contreson visage… Les seins de Marthe.

Voilà. Le désir était réveillé.Le soir, Manu reçut la visite de la docteure Rami

Gurtu – enfin, il savait qu’elle n’était pas vraiment là,comme le docteur Laganière le lui avait expliqué, cen’était que son image. Elle était déjà venue avant, decette façon-là, même si Manu ne s’en rappelait pastrès clairement, elle avait même traité Manu par mé -dicaide interposé.

Ce soir-là, donc, elle posa beaucoup de questions.Manu avait crié un nom. Il ne se souvenait déjà pluslequel. La docteure Gurtu et le docteur Laganières’efforçaient de sourire, mais Manu comprenait qu’ilsétaient préoccupés. Il était désolé.

Il chercha très fort à se rappeler, sourcils froncés.Le docteur Laganière lui dit de ne plus y penser. Manuvit bien que la docteure Gurtu n’était pas d’accord,qu’elle aurait insisté – et Manu fut reconnaissant audocteur Laganière, parce qu’il avait peur. Il craignaitde se troubler et que Johnny soit encore obligé d’inter -venir. Mais la docteure Gurtu s’en retourna comme elleétait venue, Manu quitta le fauteuil d’examen auquelil était branché et le docteur Laganière lui ta potal’épaule gentiment.

Il y eut encore des crises après, et du désir. L’érec tionvenait parfois avant, parfois après la crise. Il y avaitles érections de la nuit, celles qui éveillaient Manu

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par leur violence, puis le laissaient confus et honteux.Ces nuits-là, c’était un rêve qui provoquait la chosemais, même s’il ne se rappelait jamais ses rêves, ilrestait persuadé que ce n’était pas bien. Les érectionsdu jour naissaient au contact de Marthe. Aucune autrefemme ne lui faisait cet effet. Évidemment, la présencepas tout à fait réelle de la docteure Gurtu comptait àpeine, mais Manu voyait d’autres femmes bien enchair.

Comme la pasteure La Rocca qui était venue quel quesfois lui rendre visite afin de lui enseigner la vie de Jésus.Manu connaissait Jésus, bien sûr, mais il n’en avaitpas soufflé mot à la pasteure pour ne pas la peiner,d’autant plus qu’elle parcourait – à pied – un longchemin pour venir de sa ferme à la Gaiézza, la pro-priété des Laganière. Manu lui aurait volontiers épargnéle trajet, car Jésus ne lui semblait pas, du moins audébut, quelqu’un de très intéressant. Mais Marthe ytenait, alors…

Quand la pasteure venait voir Manu, elle apportaitun livre, un vrai livre en papier, illustré, et elle lui ra -contait Jésus, son enfance entre ses frères et ses sœurs,avant qu’il ne reçoive l’appel de son père qui était auxcieux et qui l’avait envoyé sauver les gens des péchés.

Manu, lui, savait qu’il commettait tout le temps lepéché de la chair.

Le docteur Laganière n’aimait pas quand la pas-teure venait rendre visite à Manu. Oh, il ne disaitrien, mais Manu n’avait pas besoin qu’on lui disecertaines choses pour les comprendre. Quand elle lepouvait, la pasteure venait en l’absence du docteur.Le docteur, croyait Manu, tolérait la présence de lapasteure pour faire plaisir à Marthe, car Marthe aimaitbeaucoup Jésus. Manu aimait plaire à Marthe.

Un jour, la pasteure raconta la passion de Jésus,avec les images du livre à l’appui. Ce fut une étrange

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expérience. Jésus avait reçu des coups de fouet, etpuis les soldats s’étaient moqués de lui et lui avaientenfoncé une couronne d’épines sur la tête. Manu savaitcombien ça pouvait être douloureux, parce qu’il avaitune fois glissé la main dans la haie de sabrépine pourrécupérer une balle, dans le jardin, et ça lui avait faitvraiment mal. Mais en plus, Jésus avait porté une poutrede bois sur un long trajet pour se rendre au lieu de lacrucifixion. La pasteure ne narra pourtant pas l’épisodede la croix, car Manu ne lui en laissa pas le loisir. Lascène des coups de fouet, illustrée dans le livre de lapasteure, avait provoqué une puissante érection.

Sur l’image, Jésus était dénudé jusqu’à la taille. Ilportait une sorte de drap qui semblait sur le point deglisser et de dévoiler le plus intime. Manu aurait bienaimé savoir si Jésus était fait comme lui, parce quePaul n’avait qu’un tout petit pénis, alors que le sienétait énorme. Le dos de Jésus était zébré de profondesmarques dégoulinantes de sang et son visage exprimaitune terrible souffrance.

Plus Manu regardait l’image, plus il s’agitait surson siège. Est-ce que la pasteure se rendait compte dece qui lui arrivait ? Est-ce qu’elle voyait le pantalontendu là où son membre se gonflait ? Manu se sentaità la fois anxieux et intéressé. Que se passait-il dans lecorps de la pasteure quand elle racontait le martyrede Jésus?

Quand elle en arriva à la couronne d’épines, lapasteure effleura le front de Manu pour lui indiquerl’endroit où Jésus avait subi les blessures et, à cecontact, Manu fut parcouru d’un frisson.

La pasteure avait une silhouette sans grâce, desmembres vigoureux, un visage honnête, sans charme.En fait, pour Manu, elle n’était pas une femme, elleétait tout simplement la pasteure. Pourtant, ce jour-là,le léger effleurement de sa main accentua le trouble

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de Manu à un point tel que, n’y tenant plus, il se levaet se précipita aux toilettes. La pasteure crut qu’il avaitun malaise et appela Johnny. Heureusement pour Manu,l’entrée en scène du médicaide avait toujours l’effetd’une douche froide. Quand Marthe survint à son tour,la chose avait passé et Manu prétendit qu’il avait eula nausée. Il espéra, sans conviction, que l’incidentserait oublié. Hélas, le docteur Laganière était à lamaison ce jour-là. Ce fut la seule occasion où Manule vit exprimer de la colère (la pasteure ne l’avait-ellepas surnommé « le bon docteur»?).

Manu n’entendit pas les paroles échangées, biensûr – une vitre séparait sa chambre de la salle d’examenet, en plus, la « conversation » eut lieu dans la cuisine,derrière la porte de communication fermée –, mais levisage du docteur était encore empourpré quand ilvint dire bonsoir. Manu ne sortait jamais de sa chambreaprès la nuit tombée – les petits garçons se couchentde bonne heure –, toutefois Marthe et le docteur, quandil était à la maison, venaient lui souhaiter la bonne nuit.

Quelle qu’eût été la «conversation» entre les adultes,la pasteure ne reparut pas à la Gaiézza avant longtemps.Plus tard, lorsque Marthe, prenant le relais, recom-mença à enseigner les paroles de Jésus, elle le fit sansle livre illustré.

Le lendemain de l’incident, Paul raconta le départde la pasteure, très fâchée elle aussi, et comment elleavait traité le docteur de grossier libéral, lui dont ladéfunte épouse avait été une sainte. Maman, expliquaPaul, croyait en Jésus. Comme Marthe.

La « crise » suivante survint à cause d’un bébénaissant, plus précisément à cause du bébé de Portia,la fille de la pasteure. Portia s’était installée chez samère pour l’accouchement survenu quelques jours plus

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tôt. Question de bon voisinage, il fallait lui rendrevisite pour la féliciter. Manu et Paul ne comprenaientpas pourquoi il fallait féliciter quelqu’un qui avait euun bébé. Peut-être cela était-il un simple prétexte afinde rétablir de bonnes relations entre Laganière et LaRocca, supposa Paul. Quel que fût le motif qui poussaitMarthe, les garçons se réjouirent: une visite à la fermedes La Rocca, cela signifiait des poursuites en criantpour effrayer le troupeau, des jeux de cache-cache avecCarlo et Giovani, les jeunes frères de Portia, dans lehangar où étaient stationnés les gros tracteurs à hy -drogène, et puis des tentatives pour semer Johnny, censéne pas lâcher Manu d’une semelle, des éclats de rirequand le médicaide butait contre les obstacles placés surson chemin, de la bière bue en catimini malgré la soi-disant surveillance de Johnny, puis des tonnes de tartinesengouffrées sous le regard bienveillant de la pasteure.

Parfois, Paul et les frères de Portia jouaient à des jeuxque Manu ne comprenait pas bien, comme lorsqu’ilss’amusaient à dire : « Sang de guerre » ou « MaladitaTerra » et que ça les faisait rire aux éclats. Mais, dansl’ensemble, une visite aux La Rocca était synonymede plaisir.

Même si on se trouvait sur les terres des La Roccadès qu’on sortait de la maison – en fait, dès qu’on avaittraversé la route –, ce n’étaient encore que des champset des enclos à bétail, à travers lesquels serpentait unchemin étroit creusé d’ornières par les roues des trac-teurs. Il fallait bien une heure de marche pour at teindrela ferme.

Dès l’arrivée, les garçons abandonnèrent les damesà leur échange de politesses sur le patio. Quant aubébé, ce n’était qu’un paquet de couvertures dans unberceau d’osier. Cependant, la faim et la soif mirent unterme aux jeux, ramenant les garçons turbulents versla terrasse. À ce moment, Portia s’affairait à changer la

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couche de son bébé fille, mais les garçons ne jetèrentpas le moindre regard en direction de la table à langer.À cause du bébé, aucune collation n’était encore servie.De toute façon, Paul n’aimait pas les bébés, il l’avaitconfié à ses compagnons, tout à l’heure dans la grange,parce que bébé Marie avait tué maman en venant aumonde, six ans plus tôt.

L’agitation des garçons déplut au bébé fille dePortia qui se mit à pleurer, attirant vers elle l’atten-tion générale. Un mouvement de Portia découvritsoudain cette petite chose vagissante, rouge de colère,rouge comme, rouge comme…

Manu ne se rendit pas compte qu’il s’était évanouiavant de revenir à lui par terre, dans l’ombre de Johnny,entouré par les bras de Marthe.

Le docteur Laganière vint les chercher en voitureet il y eut beaucoup de questions ce soir-là encore,mais l’émoi fut porté au compte du récit de Paul, unPaul tancé vertement, et qui protesta, parce que cen’était pas sa faute s’il avait été obligé de rendre visiteà Portia et à son bébé, il détestait les bébés, papa lesavait bien, comment pouvait-il avoir oublié ce quele bébé avait fait à maman…

Cette fois encore, Manu n’entendit pas la fin de ladiscussion. Marthe le ramena dans sa chambre et lelaissa tout seul. Il avait bien vu qu’elle avait du chagrinquand elle était sortie. Derrière la vitre, Johnny montaitla garde, et Manu lui dédia la plus affreuse grimacede son répertoire.

Ensuite, il prit une longue douche, pendant laquelleil caressa son pénis jusqu’à l’explosion de plaisir, etc’était vraiment la meilleure idée du monde, faire çasous la douche, car l’eau ne laissait aucune trace dece qui était mal. L’eau – comme l’eau du baptême,songea Manu – ne lavait-elle pas tous les péchés?

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2Manu n’avait pas une notion très exacte du temps

qui s’écoulait, car les jours se ressemblaient tous.Paul se rendait à l’école le matin, pendant que Martherestait avec Manu. Elle avait commencé à lui enseignerà lire, à écrire et à compter. L’après-midi, elle s’ab-sentait à son tour pendant que Paul venait jouer avec lui.

Ni Paul ni Marthe ne quittaient la maison durantces « absences », bien entendu : ils allaient dans leMonde, ce même Monde où se trouvait la docteureRami Gurtu quand elle rendait visite à Manu. Le Monde,c’était très compliqué, et pourtant Manu parvenait às’en construire une certaine image dans sa tête quandMarthe ou Paul lui en parlaient, comme s’il s’agissaitd’une chose qu’il savait déjà, un peu comme Jésus qu’ilconnaissait avant que la pasteure le lui enseignât.Quand on se « branchait » pour aller dans le Monde,la réalité disparaissait pour laisser place à la virtualité– à un monde où tout était possible.

Vint un jour où Manu demanda pourquoi il nepouvait pas les suivre dans cette virtualité. Lorsque ladocteure Gurtu venait l’examiner, elle se « projetait »hors du Monde. Pourtant, Manu était bel et bien branché

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pendant ces examens, afin que la docteure reçoive lesdonnées médicales. S’il n’entrait pas dans le Monde, ilaccédait tout de même à sa périphérie. Alors, pourquoine pouvait-il se rendre plus loin, pourquoi devait-il resterderrière? Paul, à qui il posa d’abord la question, ré -pondit avec embarras que Manu n’était pas encore assezgrand – déclaration fort paradoxale puisque Manudépassait Paul de plus de cinquante centimètres.

Il s’adressa donc à Marthe, qui avait réponse à toutmais qui, ce jour-là, demeura un moment sans voix.

— Paul prétend que je ne suis pas assez grand…répéta Manu, non sans toiser Marthe de toute sa hauteur.

Elle le considéra avec tendresse.— Il a voulu dire «pas assez vieux».Quand Marthe adoptait ce ton affectueux, d’habi-

tude, Manu fondait. Il se calait contre elle, quémandantune caresse comme un jeune chiot. Ce jour-là, il grom -mela :

— Carlo nous a expliqué comment on fait les bébés,comment ils naissent, comment ils grandissent pourdevenir des petits garçons, et puis des papas commeEdegio, et puis des messieurs comme le docteurLaganière… Moi, je suis grand comme un vieux, maisje suis quand même un petit garçon. Est-ce que jesuis malade? Est-ce que c’est pour ça que je ne peuxpas aller dans le Monde avec vous deux?

Au fur et à mesure qu’il parlait, le visage de Marthes’imprégnait de tristesse et Manu vint près de se croireà l’agonie.

— Malade, soupira Marthe. Oui, on pourrait direque tu as été malade.

Elle avait parlé au passé, merci Jésus ! Pourtant…— Pourquoi je prends encore tous ces médicaments,

si c’est fini ?— Eh bien, tu n’es pas vraiment rétabli. Et puis, ta

maladie a endommagé des organes qui auront toujours

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besoin qu’on prenne soin d’eux de façon particulière.Mon chéri…

Il pencha la tête, elle glissa les mains dans sescheveux, l’attira à elle.

— Mon chéri, ton cerveau a été abîmé, mais tu vasretrouver peu à peu tes facultés, ta… mémoire. Il fautêtre patient. Tu dois tout réapprendre.

Ce mot sur lequel elle avait buté : mémoire, ce mot,il pouvait le tourner et le retourner dans sa tête, dans sabouche, et même s’en gargariser. Ce mot ne l’effrayaitpas : il avait été malade dans sa mémoire. Et il était entrain de guérir.

Cet après-midi-là, Marthe demanda à Manu degarder la chambre. Manu venait à peine de s’attablerdevant ses devoirs quand il vit, par la vitre de sépara-tion, le docteur Laganière qui s’approchait.

— Tu permets que je te dérange, mon garçon?Même s’il vivait sous son toit depuis un temps

indéterminé, Manu voyait peu le bon docteur, souventen tournée auprès de ses patients disséminés dans toutle district. Quand le docteur soupait avec ses enfants,sa présence donnait au repas une sorte de solennitéqui intimidait Manu. Après tout, il rencontrait surtoutle docteur pour les examens médicaux ou quand leschoses n’allaient pas, comme après l’épisode du bébéde Portia. Il piqua du nez sur sa feuille.

— Vous ne me dérangez pas.Il s’appliquait à son devoir, installé à la table un

peu trop proche de lui. Manu aurait été plus à l’aises’il avait pu reculer sa chaise de quelques centimètresmais, dans sa chambre, les pieds de tous les meublesétaient vissés au plancher. C’était à cause des crisesqu’il avait eues au début, avant d’être un garçon rai-sonnable – de vraies grosses crises, disait Paul. Main -tenant, Manu ne risquait plus de se blesser ni de ravagerla pièce, mais il était habitué à la disposition des

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meubles, comme il était habitué à la minuscule sallede bain, à la fenêtre sans rideaux qui le séparait de lasalle d’examen et qui permettait à Johnny de le sur-veiller. Il était chez lui, même s’il prenait maintenantses repas avec la famille dans la vaste cuisine, del’autre côté de la porte de communication.

Le docteur Laganière se pencha sur la table, undoigt posé sur la feuille où Manu avait conjugué leverbe « prendre ». En dessous, il avait écrit : « J’ap -prends vite mais je ne suis pas patien.»

— Tu n’as pas eu le temps d’écrire le « t » final àpatient, je crois.

Manu s’empressa d’ajouter la lettre, puis il leva latête vers son visiteur. Le docteur Laganière était unbel homme, plus grand que Manu. Sous sa crinièrear gentée, son visage aux traits réguliers exprimait lagentillesse, mais son regard – les yeux de Marthe,Manu s’en rendait compte –, son regard restait sou-cieux.

— Tu sais pourquoi tu es ici, Emmanuel ?— Parce que j’ai été malade.— Non. Tu es ici parce que tu es un patient excep-

tionnel.Manu tressaillit. C’était la première fois que le

docteur lui parlait ainsi, comme à un adulte.— Tu as eu un accident. Ton cerveau a été très

abîmé, comme Marthe te l’a dit.« Accident » n’avait pas été le terme employé par

Marthe : elle avait parlé de « maladie », Manu s’ensouvenait fort bien. Il n’en souffla mot, pourtant. Pourune fois que le docteur Laganière se montrait loquace,cela valait la peine d’écouter ce qu’il avait à raconter.

— Le cerveau humain est une chose extraordinaire,Emmanuel. Tu sais, même avant qu’on développe laré génération, le cerveau trouvait le moyen de contournerles connexions perdues. Mais là, en plus, la docteure

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Gurtu et son équipe t’ont greffé des cellules spécialesqui enseignent aux autres à se réparer. Et quand ellessont incapables de compléter la réparation, les cel-lules spéciales se mettent à leur place, elles essaient deremplacer les cellules abîmées. Tu vois, ton cerveautravaille très fort. Tu as d’abord réappris à marcher, àparler, à lire et à écrire…

Il tapota la feuille.— Dans le Monde, Emmanuel, il y a des gens qui

ne savent même pas lire, tu le sais ?Manu acquiesça même si, en fait, non, il n’en savait

rien ; il savait peu de choses du Monde, puisqu’il n’yavait pas accès.

Le docteur Laganière s’assit sur le lit avec un soupir.— Ce que je veux dire, c’est que tu es intelligent.

Tu retrouveras bientôt toutes tes facultés.— Est-ce que ce sera très long, docteur?Il se voyait déjà vieux comme le bon docteur, courbé

sur sa feuille, encore en train d’aligner des additionsou de conjuguer des verbes. Le docteur sourit.

— Sais-tu depuis combien de temps tu es ici,Emmanuel ?

Il secoua négativement la tête. Il ne gardait aucunsouvenir de son arrivée chez les Laganière.

— C’était il y a six mois, au début de l’hiver.Il tenta de forcer la barrière de sa mémoire, en vain.— En six mois, Emmanuel, regarde les progrès

que tu as accomplis. Ça te paraît bien long mais, àl’échelle médicale, je t’assure que c’est un rétablis -sement ultra-rapide.

— Ça veut dire… Est-ce que je pourrai aller bientôtà l’école, moi aussi ?

Cette mise à l’écart était profondément injuste.S’il était intelligent, pourquoi ne pouvait-il se rendredans le Monde, étudier, comme Paul, et ensuite trouverun travail, comme Marthe?

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— La docteure Gurtu craint que te brancher auréseau nuise à ta guérison. Non, il vaut mieux at -tendre pour aller dans le Monde.

— Quand je ne prendrai plus tous ces médicaments?— Quand nous serons sûrs que ça ne représente

pas un trop grand danger pour toi.Il montra la feuille.— Et puis, tu as un très bon professeur. D’accord,

je suis un peu partial quand il s’agit de ma fille, maisquand même!

Ils rirent. Manu se sentait moins intimidé, presquecomplice du médecin. L’entretien était toutefois clos.Le docteur se leva et tapota l’épaule de Manu.

— Paul attend impatiemment de venir te rejoindre,tu devrais terminer tes devoirs pour jouer avec lui.

Le message était clair : malgré tout, Manu restaitun grand petit garçon, un état qu’il était, pour tout dire,encore capable d’accepter.

— Merci, docteur, d’être venu me voir.Sur le seuil de la chambre, le médecin se retourna.— Il n’y a pas de quoi, Emmanuel. Si tu as des

questions, ne reste pas à les ruminer. Viens m’en parler.Il passa devant Johnny, en veilleuse dans l’autre

pièce, et adressa un petit geste d’au revoir à Manuavant de disparaître par la porte de la cuisine. Manudemeura immobile, le menton dans la main. Oui, j’aiune question : pourquoi mon pénis devient dur quandMarthe me serre dans ses bras? Pourquoi est-ce queje sais que c’est mal? Et pourquoi y a-t-il des chosesque je sais avant de les apprendre? Plus d’une question,en fin de compte. Et qu’il ne poserait pas.

Le lendemain, Marthe se lança dans un grand mé -nage. Cela lui arrivait parfois. Entre l’enseignement à

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ses élèves ordinaires et celui prodigué à Manu, entrela préparation des repas et l’entretien de la maison,Marthe avait peu de loisirs. Aussi, de temps en temps,un jour de congé était-il consacré à un nettoyage àfond. D’habitude, toute la famille était enrôlée, chacunse voyant octroyer une tâche à sa mesure. Ce jour-là,toutefois, Marthe ne fit aucune annonce durant lepetit-déjeuner, et même, elle commença le travailsans aviser personne.

Elle avait envoyé les garçons dans le jardin. Ils nes’en plaignirent pas, car le jardin – ou, plutôt, l’espècede petite jungle qu’on appelait jardin à la Gaiézza –constituait un merveilleux terrain de jeux. Ils se fau-filèrent sous des buissons, s’écorchèrent les mains,sa lirent leurs vêtements, jusqu’à ce qu’une envie d’uri-ner ramène Paul à l’intérieur. Comme il mettait dutemps pour ce qui d’habitude ne lui prenait que deuxminutes, Manu rentra à son tour. Il perçut un bourdon -nement de voix en provenance de l’escalier et montaau second étage.

Paul se tenait dans l’embrasure d’une porte que Manuavait toujours vue fermée. Deux chambres restaientcloses en permanence dans la maison des Laganière :celle de Luc, l’un des frères aînés, et celle-ci, dontManu ne savait rien. Paul ne broncha pas lorsque Manule rejoignit et qu’il s’arrêta à son tour sur le seuil.

La chambre possédait une large fenêtre qui laissaitabondamment entrer le soleil. Dans les rayons dorésdansaient les grains de poussière soulevés par Marthe,qui s’agitait dans la pièce comme si sa vie en dépendait.Les lieux étaient encombrés : deux chevalets se dres-saient au milieu de la chambre, un plus petit remplissaitla moitié d’une table couverte de pots vides et de pin-ceaux desséchés ; des toiles peintes et des dessinsétaient accrochés sur les murs, mais il s’en trouvaitaussi appuyés un peu partout, et même roulés sur

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eux-mêmes sur le plancher. Certaines œuvres étaient àl’encre noire, d’autres en couleurs. Elles représentaientdes fleurs, des oiseaux et des scènes parfois abstraites– ou, alors, Manu n’en comprenait sim plement pas lesens. Cependant, de tout ce qu’il voyait ressortaientune grande beauté et beaucoup de sérénité.

C’était d’autant plus étrange que les murs de lamaison, ailleurs que dans cette pièce, ne comportaientaucun tableau, aucun dessin.

Marthe cessa soudain de s’agiter et se tourna versles garçons.

— J’ai décidé de redécorer la maison.Paul adressa à Manu un sourire ravi et lança, en

guise d’explication :— C’était l’atelier de maman.Beaucoup plus tard, Manu comprit que la réou -

verture de cette chambre constituait la réponse deMarthe à l’épisode du bébé de Portia, sa réplique ausilence de son père et aux cris de son jeune frère. Surle moment, toutefois, Manu ne vit qu’une pièce quiréclamait un bon dépoussiérage. Il demanda :

— Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse?Marthe les chargea de laver les fenêtres du rez-de-

chaussée. Paul bougonna le restant de l’avant-midi.De quoi Manu s’était-il mêlé, pourquoi diable n’était-ilpas demeuré dehors? Ils auraient pu se cacher dans lejardin pendant que Marthe se serait épuisée à lesappeler, mais non ! Manu, pour sa part, ne trouvaitrien de désagréable à se servir de ses mains, il aimaitsentir bouger son corps, laisser la sueur couler dansson dos et sur sa poitrine.

Les corvées terminées, Manu se versait un verred’eau au robinet de la cuisine quand un choc sourd lefit sursauter. Cela provenait de la vitre brillante de pro -preté. La surface lisse montrait une trace légère. CommePaul boudait au jardin, Manu crut que le garçon s’était

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vengé en lançant quelque chose dans la fenêtre.Furieux d’avoir eu peur tout autant que de voir la vitredéjà salie, Manu sortit en vitesse. Il s’arrêta aussitôt àl’extérieur. Étendu sur une chaise longue, Paul lisait,tout tranquille. Manu hésita. Il baissa les yeux, à larecherche de l’objet incriminant, et étouffa une excla-mation.

Dans l’herbe gisait une chose au corps bleuâtre,strié d’ocre et de vert, à peine plus grosse que lepouce. Il la prit avec délicatesse. Une aile était re -pliée, l’autre pendait de manière misérable ; les pattesétaient recroquevillées; le bec effilé béait. C’était tièdeet duveteux dans la paume de Manu. Il n’avait jamaisrien vu d’aussi joli. Il crut d’abord que l’oiseau étaitmort, puis, en effleurant le corps d’un doigt léger, ilperçut les battements affolés du cœur minuscule. Lespaupières entrouvertes montraient un regard sombreet fixe.

Tout à sa contemplation, Manu entendit à peinePaul l’apostropher.

— Qu’est-ce qu’il y a ?Manu leva la main jusqu’à tenir l’oiseau sous son

nez. Une créature si petite ! Comment la secourir,comment l’empêcher de mourir? Le pas de Paul froissal’herbe, sa voix se rapprocha.

— Qu’est-ce que tu as trouvé, Manu?Il baissa ses mains en coupe, montrant le petit

amas de plumes.— Je crois qu’il s’est assommé dans la vitre.— Il est mort ? demanda Paul, plus intrigué que

désolé.Manu ramena aussitôt les mains vers sa poitrine

pour protéger le blessé.— Non. Et je ne veux pas qu’il meure.Paul haussa les épaules.— Comment tu veux l’en empêcher?

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— Je vais le soigner.Manu se dirigea vers la porte de l’annexe où se

trouvait sa chambre, Paul sur ses talons.— Attends, Manu! Il est peut-être juste assommé.

C’est arrivé une fois à Carlo. Quand l’oiseau est re -venu à lui, il s’est tellement cogné contre les mursqu’il a fini par se tuer pour de vrai. Il faudrait le mettredans une cage pendant qu’il est sonné.

Manu tourna sur lui-même, indécis, comme si unecage allait apparaître dans le jardin. Paul ajouta :

— Je crois qu’il y en a une dans la remise. Je vaisla chercher.

Manu attendit avec patience, le petit corps inerteau creux de sa paume. L’oiseau vivait toujours, dumoins son corps restait tiède – mais peut-être la cha-leur de sa main créait-elle une illusion de vie? Manusentait son propre cœur battre à tout rompre. Il voulaitque l’oiseau vive. Sinon, ce serait trop injuste. Lapauvre bête avait heurté la vitre rendue indécelable parla propreté, et c’était lui qui l’avait si bien nettoyée.

Paul réapparut, portant une cage en osier qui n’au-rait pas résisté aux coups de bec d’un oiseau de plusgrande taille, mais qui pouvait sans risque accueillirune petite chose fragile comme celle que tenait Manu.

Paul posa la cage sur le siège de son fauteuil et en -treprit de la débarrasser de la poussière, des toiles d’arai-gnée et des feuilles mortes qui s’y étaient accumulées.

— C’était une cage décorative, expliqua le garçon,on n’y a jamais gardé autre chose qu’une plante.

Il acheva son époussetage en soufflant au fond dela cage, puis en la secouant vigoureusement.

— Tu vas la briser ! s’inquiéta Manu.— Mais non. Approche…Paul ouvrit la porte de la cage. Manu hésita encore.— Il va avoir froid là-dedans. Il faudrait lui faire

un nid.

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Avec un soupir résigné, Paul entreprit de ramasserdes herbes sèches parmi les plantes sauvages du jardin.Il donna au paquet d’herbes une forme approximati -vement circulaire et le plaça au fond de la cage.

— Tiens, dépose-le.Manu passa une main dans la cage et, doucement,

en fit glisser son imperceptible fardeau. Le corps légercollait à sa main moite. Manu interpréta cela commele signe d’un lien entre lui et son protégé. Il refermala porte et souleva la cage, pensif.

— Maintenant, tu peux le rentrer, émit Paul. Maisne viens pas te plaindre si Marthe est furieuse après toi.

Manu ne répondit pas. Pourquoi Marthe serait-ellefâchée s’il prenait soin d’un oiseau? Elle si bonne, sidouce, elle comprendrait.

Dans sa chambre, il posa la cage sur la table ets’assit, le menton sur ses mains croisées, pour con -templer son protégé. Respirait-il encore ? Manu nedistinguait pas le moindre mouvement. Il rouvrit lacage, posa un doigt léger sur la poitrine. Le petit cœurbattait toujours.

Paul l’avait suivi. Il s’installa sur le coin du lit.— Tu vas passer le reste de la journée à le regarder?— Je vais attendre qu’il se réveille.— Et s’il ne meurt pas, qu’est-ce que tu vas faire ?

Comment tu vas le nourrir et le soigner? Tu ne saismême pas de quelle espèce il s’agit.

Manu tourna brièvement la tête vers lui.— Je vais demander à ton père. Il le saura, lui. Et

il saura le soigner.— Papa soigne les gens, pas les oiseaux.Manu ne daigna pas répondre. Au bout d’un mo ment,

Paul reprit, plus conciliant :— Je vais t’aider, moi. J’irai me renseigner dans le

Monde, je saurai comment il s’appelle et comment ilse nourrit.

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Manu tourna vers Paul un visage empreint dereconnaissance.

— Tu es gentil. Mais je sais déjà comment il s’ap-pelle.

— Ah, oui ?Manu esquissa un sourire malicieux.— Il s’appelle Phénix.

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FRANCINE PELLETIER…

… est née à Laval en 1959. Après des études enenseignement du français à l’UQAM, elle publie,à partir de 1983, de nombreux textes de science-fiction, d’abord en revue, puis en anthologies etcollectifs. Elle a publié plus d’une quinzaine deromans pour jeunes adolescents, mais ce sont sesœuvres pour le grand public qui ont obtenu leplus de reconnaissance. En 1988, son recueil LeTemps des migrations recevait le Grand Prix de lascience-fiction et du fantastique québécois pourla nouvelle «La Petite Fille du silence», puis le prixBoréal du meilleur livre de l’année. Les deuxièmeet troisième tomes de sa trilogie « Le Sable etl’Acier » ont à leur tour reçu le Grand Prix 1999.De plus, Samiva de Frée, le deuxième vo lume decette tri logie, a reçu le prix Boréal 1999 ainsi quele prix Aurora du meilleur roman de la science-fictioncanadienne.

Extrait de la publication

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EXTRAIT DU CATALOGUE

Collection «Romans» / Collection «Nouvelles»

001 Blunt – Les Treize Derniers Jours Jean-Jacques Pelletier002 Aboli (Les Chroniques infernales) Esther Rochon003 Les Rêves de la Mer (Tyranaël -1) Élisabeth Vonarburg004 Le Jeu de la Perfection (Tyranaël -2) Élisabeth Vonarburg005 Mon frère l’Ombre (Tyranaël -3) Élisabeth Vonarburg006 La Peau blanche Joël Champetier007 Ouverture (Les Chroniques infernales) Esther Rochon008 Lames sœurs Robert Malacci009 SS-GB Len Deighton010 L’Autre Rivage (Tyranaël -4) Élisabeth Vonarburg011 Nelle de Vilvèq (Le Sable et l’Acier -1) Francine Pelletier012 La Mer allée avec le soleil (Tyranaël -5) Élisabeth Vonarburg013 Le Rêveur dans la Citadelle Esther Rochon014 Secrets (Les Chroniques infernales) Esther Rochon015 Sur le seuil Patrick Senécal016 Samiva de Frée (Le Sable et l’Acier -2) Francine Pelletier017 Le Silence de la Cité Élisabeth Vonarburg018 Tigane -1 Guy Gavriel Kay019 Tigane -2 Guy Gavriel Kay020 Issabel de Qohosaten (Le Sable et l’Acier -3) Francine Pelletier021 La Chair disparue (Les Gestionnaires de l’apocalypse -1) Jean-Jacques Pelletier022 L’Archipel noir Esther Rochon023 Or (Les Chroniques infernales) Esther Rochon024 Les Lions d’Al-Rassan Guy Gavriel Kay025 La Taupe et le Dragon Joël Champetier026 Chronoreg Daniel Sernine027 Chroniques du Pays des Mères Élisabeth Vonarburg028 L’Aile du papillon Joël Champetier029 Le Livre des Chevaliers Yves Meynard030 Ad nauseam Robert Malacci031 L’Homme trafiqué (Les Débuts de F) Jean-Jacques Pelletier032 Sorbier (Les Chroniques infernales) Esther Rochon033 L’Ange écarlate (Les Cités intérieures -1) Natasha Beaulieu034 Nébulosité croissante en fin de journée Jacques Côté035 La Voix sur la montagne Maxime Houde036 Le Chromosome Y Leona Gom037 (N) La Maison au bord de la mer Élisabeth Vonarburg038 Firestorm Luc Durocher039 Aliss Patrick Senécal040 L’Argent du monde -1 (Les Gestionnaires de l’apocalypse -2) Jean-Jacques Pelletier041 L’Argent du monde -2 (Les Gestionnaires de l’apocalypse -2) Jean-Jacques Pelletier042 Gueule d’ange Jacques Bissonnette043 La Mémoire du lac Joël Champetier044 Une chanson pour Arbonne Guy Gavriel Kay045 5150, rue des Ormes Patrick Senécal046 L’Enfant de la nuit (Le Pouvoir du sang -1) Nancy Kilpatrick047 La Trajectoire du pion Michel Jobin048 La Femme trop tard Jean-Jacques Pelletier049 La Mort tout près (Le Pouvoir du sang -2) Nancy Kilpatrick050 Sanguine Jacques Bissonnette051 Sac de nœuds Robert Malacci052 La Mort dans l’âme Maxime Houde

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053 Renaissance (Le Pouvoir du sang -3) Nancy Kilpatrick054 Les Sources de la magie Joël Champetier055 L’Aigle des profondeurs Esther Rochon056 Voile vers Sarance (La Mosaïque sarantine -1) Guy Gavriel Kay057 Seigneur des Empereurs (La Mosaïque sarantine -2) Guy Gavriel Kay058 La Passion du sang (Le Pouvoir du sang -4) Nancy Kilpatrick059 Les Sept Jours du talion Patrick Senécal060 L’Arbre de l’Été (La Tapisserie de Fionavar -1) Guy Gavriel Kay061 Le Feu vagabond (La Tapisserie de Fionavar -2) Guy Gavriel Kay062 La Route obscure (La Tapisserie de Fionavar -3) Guy Gavriel Kay063 Le Rouge idéal Jacques Côté064 La Cage de Londres Jean-Pierre Guillet065 (N) Treize nouvelles policières, noires et mystérieuses Peter Sellers (dir.)066 Le Passager Patrick Senécal067 L’Eau noire (Les Cités intérieures -2) Natasha Beaulieu068 Le Jeu de la passion Sean Stewart069 Phaos Alain Bergeron070 (N) Le Jeu des coquilles de nautilus Élisabeth Vonarburg071 Le Salaire de la honte Maxime Houde072 Le Bien des autres -1 (Les Gestionnaires de l’apocalypse -3) Jean-Jacques Pelletier073 Le Bien des autres -2 (Les Gestionnaires de l’apocalypse -3) Jean-Jacques Pelletier074 La Nuit de toutes les chances Eric Wright075 Les Jours de l’ombre Francine Pelletier076 Oniria Patrick Senécal077 Les Méandres du temps (La Suite du temps -1) Daniel Sernine078 Le Calice noir Marie Jakober079 Une odeur de fumée Eric Wright080 Opération Iskra Lionel Noël081 Les Conseillers du Roi (Les Chroniques de l’Hudres -1) Héloïse Côté082 Terre des Autres Sylvie Bérard083 Une mort en Angleterre Eric Wright084 Le Prix du mensonge Maxime Houde085 Reine de Mémoire 1. La Maison d’Oubli Élisabeth Vonarburg086 Le Dernier Rayon du soleil Guy Gavriel Kay087 Les Archipels du temps (La Suite du temps -2) Daniel Sernine088 Mort d’une femme seule Eric Wright089 Les Enfants du solstice (Les Chroniques de l’Hudres -2) Héloïse Côté090 Reine de Mémoire 2. Le Dragon de Feu Élisabeth Vonarburg091 La Nébuleuse iNSIEME Michel Jobin092 La Rive noire Jacques Côté093 Morts sur l’Île-du-Prince-Édouard Eric Wright094 La Balade des épavistes Luc Baranger095 Reine de Mémoire 3. Le Dragon fou Élisabeth Vonarburg096 L’Ombre pourpre (Les Cités intérieures -3) Natasha Beaulieu097 L’Ourse et le Boucher (Les Chroniques de l’Hudres -3) Héloïse Côté098 Une affaire explosive Eric Wright099 Même les pierres… Marie Jakober100 Reine de Mémoire 4. La Princesse de Vengeance Élisabeth Vonarburg101 Reine de Mémoire 5. La Maison d’Équité Élisabeth Vonarburg102 La Rivière des morts Esther Rochon103 Le Voleur des steppes Joël Champetier104 Badal Jacques Bissonnette105 Une affaire délicate Eric Wright106 L’Agence Kavongo Camille Bouchard

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SI L’OISEAU MEURTest le cent vingt-quatrième titre publié

par Les Éditions Alire inc.

Cette version numérique a été achevée en juin 2010 pour le compte des éditions

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« L’AUTEURE JOUE DU FUTUR ET DU PRÉSENT

AVEC UNE FACILITÉ DÉCONCERTANTE, MET

EN PLACE SES ÉLÉMENTS AVEC UNE EXTRÊME

MINUTIE. LES SÉ QUENCES PALPITANTES SE

SUCCÈDENT SANS JAMAIS DÉCEVOIR. »

LE DEVOIR

Manu comprend très bien comment ongrandit : on est d’abord un nourrisson,comme le bébé fille de Portia, puis un petitgarçon, comme Paul, son ami ; on devientensuite un homme, comme le mari de lapasteure La Rocca, puis enfin un vieuxmonsieur, comme le docteur Laganière. Cequ’il a plus de difficulté à concevoir, c’estpourquoi le petit garçon qu’il est a un corpsd’adulte en proie à des crises terribles.De fait, Manu a été très malade. De grandssavants, comme la docteure Gurtu, ont ac -compli des miracles pour le ramener à la vie,avant de le confier au docteur Laganière età sa fille Marthe… Marthe qui l’aide à toutréapprendre parce que Manu ne se rappellede rien.Lorsqu’il soigne un oiseau blessé, Manuréalise qu’il aime « aider » ; il décide alorsd’étudier pour devenir un médecin. Maisquand les bribes de son passé commencentà l’assaillir, les événements sordides qui s’ydévoilent le bouleversent profondément :se pourrait-il qu’il ait été un criminel dansson ancienne vie? Et si c’est le cas, pourquoiceux qui l’entourent ont-ils si hâte qu’ilrecouvre la mémoire ?

S i l ’ o i s e a u m e u r t

T E X T E I N É D I T

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