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Gérard de Villiers, la mémoire du siècle

Il vient de franchir un cap que très peu d’écrivains peuvent se flatter d’avoir dépassé: Gérard de Villiers, éternel jeune homme de 83 ans, publie cet automne le 200e livre de sa série culte, SAS, qui raconte les aventures de son héros, Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge. Une épopée qui retrace à sa manière toute l’histoire de notre siècle, de la Guerre froide à la montée du fondamentalisme islamiste, en passant par les conflits et les révolutions qui n’ont cessé de mettre la planète à feu et à sang. Une épopée qui exprime aussi, plus subtilement, l’attachement d’un Européen à un certain style de vie, sa fidélité à une histoire et à une tradition.

Le premier de la série, sorti en 1965.

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Art de vivre

la mémoire du siècle

Il habite à Paris, à l’avenue Foch, dans un vaste appartement qui respire l’élégance et la tradi-

tion. Mais son monde intérieur ne s’arrête pas là et il va même bien au-delà, puisqu’il s’étend à la planète entière. A 83 ans, Gérard de Villiers est toujours ce jeune homme très français, désinvolte et profond, qui avait imaginé il y a un demi-siècle un héros atypique, mi-prince, mi-barbouze – Son Al-tesse Sérénissime le prince Malko Linge, qui fête cet automne sa 200e aventure – parce qu’il vou-lait gagner de l’argent en écrivant des romans d’espionnage. Il est aussi et toujours ce journaliste à la sensibilité immédiate et à l’in-telligence hyperlucide, qui vibre pour tout ce qui fait la marche du monde : les révolutions, les atten-tats, les révoltes, les guerres.Un peu comme le sociologue Ray-mond Aron autrefois, mais à sa manière plus directe et plus rude,

celle des hommes de terrain, celle des hommes d’action, il est hanté par une angoisse existentielle qui ne le quitte jamais: la civilisation occidentale va-t-elle survivre? La liberté et la démocratie vont-elles résister au tsunami des inté-grismes? L’art de vivre à la fran-çaise, ce mélange de courtoisie et d’ouverture aux autres, a-t-il en-core un avenir?Il était journaliste à «France-Di-manche» et il passait d’un fait-divers à l’autre, avec une espèce de perplexité et de curiosité insa-tiable devant la nature humaine. Mais il s’intéressait aussi à tous ceux qui voulaient changer le monde et qui se battaient pour des causes. Gérard de Villiers, surtout, était un esprit libre. Un observateur attentif et un scep-tique résolu, qui écoutait tout le monde mais ne croyait personne. Le héros qu’il a créé, le prince Malko, est un aristocrate qui vit

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L’agent secret Malko Linge fait le ménage en Suisse pour stopper un trafic nucléaire vers l’Iran. Gérard de Villiers transcrit à sa sauce l’histoire des Tinner, associant espionnage et trafic nucléaire.

Gérard de Villiers et 5 modèles des romans de SAS.

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dans son immense château autri-chien, rêve de grandes soirées et de grands bals, de femmes élé-gantes et de discussions raffinées. Mais comme le communisme est passé par là, le prince est à moi-tié ruiné, dépossédé des terres qui entouraient son château et condamné à gagner sa vie. Il ne deviendra pas chauffeur de taxi à Paris, comme les nobles russes chassés par le coup d’Etat bol-chévique, mais il sera agent hors cadre de la CIA, à la fois acteur et observateur de toutes les vio-lences qui ravagent la planète. Tout s’écroule autour de lui, mais il défend l’essentiel: un certain art de vivre, le goût de l’élégance et de la courtoisie, l’amour des femmes, le sens de l’éthique et des valeurs.Premier livre de la série, «SAS à Istanbul» paraît en 1965. Le monde est en pleine Guerre froi-de, les deux camps sont figés, ils

campent dans un face-à-face ter-rifiant qui risque de déboucher à tout instant dans l’apocalypse nucléaire. Gérard de Villiers a fait son choix, celui de la liberté: le prince Malko ne veut pas d’une Turquie sous la botte du totalita-risme.Un demi-siècle plus tard, alors que paraît le 200 e livre de la série, son auteur ne veut toujours pas de ces idéologies qui rabaissent l’être humain. Le prince Malko se bat donc, désormais, contre cet intégrisme islamique qui a rem-placé le communisme de jadis. Le champ de bataille est partout: Afghanistan, Pakistan, Libye, Al-gérie, Mali…Gérard de Villiers aime déjeuner chez Lipp, rencontrer ses amis du Renseignement, flâner dans Pa-ris, parcourir le monde. Il aime la cuisine française, l’art de la table, la gentillesse du maître d’hôtel, la compagnie des femmes, le jeu

de la séduction qui est celui de la culture française. Plus parisien, tu meurs! Le prince Malko, lui aussi, est un nostalgique. Il est né en Autriche, au cœur de cet empire européen qui croyait avoir l’éternité devant lui, et il en porte la douleur ca-chée, le regret. Il a vadrouillé un peu partout, aux quatre coins de l’Afrique ou de l’Asie, de l’Amé-rique latine ou du Proche-Orient, pour défendre tel ou tel régime, mais c’est encore et toujours ce minuscule territoire et cette culture singulière qu’est l’Europe qu’il avait l’impression de pré-server. La décolonisation, les in-dépendances, les désillusions qui s’enchaînent, le monde qui ne se globalise que pour mieux se rétré-cir, la fin des idéologies… La seule réalité qui résiste, pour Gérard de Villiers, c’est la civili-sation. n

Jaques Rasmoulado

Art de vivre

SAS en bande dessinée. Dessins d’Andrea Mutti et scénario de Gérard de Villiers.Paru le 25 Juin 2008 chez Glénat.

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