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A ux ordres du patronat, le gouvernement tourne le dos une fois de plus aux promesses de 2012. Il poursuit le démantèlement du programme des "jours heureux" élaboré en 1945 par le Conseil de la Résistance Nationale et nous prépare des jours malheureux... Après les organisations syndicales, ce sont les manifestants qui ont massivement rejeté la honteuse loi El Khomri. Les quelques modifi- cations du projet opérées sous la pression populaire n’empêchent pas cette opposition de se manifes- ter : près d’un million trois cent mille person- nes ont déjà signé la pétition : “Loi travail : non, merci !” Le succès spectaculaire de la manifestation du 31 mars, la mobilisation remarquable de la jeu- nesse confirment l’op- position massive et résolue à un projet de loi indigne. 31 mars Horreur et déshonneur Bernard Frederick Attentat contre le Code du Travail Mobilisation populaire ! HOMMAGE À Charles Palant p.2 LE COURRIER DES LECTEURS p.8 MONDE Fragiles espoirs en Syrie A.Gresh p.3 FRANCE Faut-il criminaliser l’antisionisme N.Mokobodzki p.3 HISTOIRE / MÉMOIRE I. Gauche allemande et triomphe du nazisme : un jugement policier français Rens.Généraux p.7 Martin Luther et les juifs F.Mathieu p.4 Léon Landini et le devoir d’avenir NM p.2 Entretiens avec Maurice Cling : 2015 – Une année mémorielle C.Bassi-Lederman p.6 Boris Taslitzky : V. Comment renouer avec les valeurs de l’émancipation humaine ? H.Amblard p.5 CULTURE Livres « L’esprit de résistance » de Jankélévitch ....................... lu par J.Lewkowicz p.2 « Le cimetière de Prague » et « La poupée de Kafka » ..... lus par G.-G. Lemaire p.8 Théâtre Anne Delbée dans la peau de son Racine S.Endewelt p.4 Cinéma Mobile étoile L.Laufer p.7 Vivere B. Courraud p.7 LE BILLET DHUMEUR La gauche M.Cling p.5 ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E. PNM n° 335 - Avril 2016 - 34 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. P uisque on nous l’affirme « nous som- mes en guerre », on comprend que l’on mobilise. Les forces de l’ordre sont renforcées ; la troupe patrouille ; on embau- che des vigiles – c’est le seul secteur où l’on embauche d’ailleurs ! -. Bref on assure notre sécurité. Fort bien. Mais on mobilise aussi les médias. Là, on s’interroge. Avec les chaînes d’« information » continue (les guillemets sont de l’auteur), ce n’est plus jour après jour mais heure après heure que se déversent les mots clés de la « guerre » : islamiste ; radicalisé ; attentat ou même « attentat déjoué » ; perquisition ; interpella- tion... Les polémiques souvent peu ragoûtan- tes alternent avec les témoignages de resca- pés. Les journaux télévisés sont aujourd’hui entièrement consacrés à la « chose ». Pour le reste quelques secondes. Les crimes de Daech en Irak – 200 morts début mars - et en Syrie, c’est loin. La loi « travail » et l’insur- rection qu’elle suscite, bof ! C’est la guerre, on vous dit. Alors on parle de la guerre. Ça fait quand même plus d’audience que les manifestations de lycéens et d’étudiants, même quand des policiers se distraient de leur tâche sécuri- taire en envoyant au tapis des jeunes gens. Un qui se plaît ainsi en chef de guerre, c’est le Premier ministre, Manuel Valls. Il occupe la scène sans discontinuer. Las, il ne fait pas toujours attention à son texte. Invité d’Europe 1, le 23 mars, il affirmait la main sur le cœur : « Nous avons fermé les yeux partout en Europe et en France sur la progression des idées extrémistes du sala- fisme ». Dix-sept jours plus tôt, le 6 mars, François Hollande, en personne, décorait de la Légion d’honneur Mohammed ben Nayef, prince héritier d’Arabie saoudite, le grand arrière de l’État Islamique, grand pourvoyeur de massacres de civils au Yémen et d’exécutions capitales dans son propre pays. Dans une guerre, puisqu’on nous dit que « nous sommes en guerre », on se cherche des alliés, non ? Ce sont qui les alliés de la France ? L’Arabie saoudite ? Le Qatar ? Erdogan que l’Europe presse de garder les réfugiés chez lui – et peu importe dans quelles conditions – au prix du silence de cette même Europe sur les massacres de Kurdes en Turquie et au-delà de ses fron- tières, et de quelques millions d’euros ? La guerre ? Mais là-bas, au Proche-Orient, qui la fait ? Où étaient les Rafales pendant la bataille pour la libération de Palmyre, le mois dernier ? On n’allait quand même pas aider Assad et … les Russes. Non, valait mieux décorer de la plus haute distinction française un prince saoudien… D’un côté l’horreur, à Bruxelles, à Paris, à Bagdad, à Damas, en Tunisie, à Istamboul, au Mali … D’un autre le déshonneur, dans un salon de l’Élysée. « Oh Barbara, Quelle connerie la guerre ! » © librinfo74.fr Les combattants de l’Organisation Juive de Combat ont permis l’insurrection du Ghetto de Varsovie, contre les forces nazies, du 19 avril au 16 mai 1943. “Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine”, affirmait Arie Wilner. L’UJRE vous invite à la célébration annuelle de cette insurrection le Samedi 21 mai 2016.

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Page 1: OMMAGE À Charles Palant p.2 Attentat contre le Code du ...data.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20160404/ob_3c2... · A ux ordres du patronat, le gouvernement tourne le dos une fois

Aux ordres du patronat, le gouvernement tourne le dos une fois de plus aux promesses de 2012. Il poursuit le démantèlement du programme des "jours heureux" élaboré en 1945 par le Conseil

de la Résistance Nationale et nous prépare des jours malheureux... Après les organisations syndicales,ce sont les manifestants qui ont massivement rejeté la honteuse loi El Khomri. Les quelques modifi-cations du projet opérées sous la pression populaire n’empêchent pas cette opposition de se manifes-

ter : près d’un milliontrois cent mille person-nes ont déjà signé lapétition : “Loi travail :non, merci !”

Le succès spectaculairede la manifestation du31 mars, la mobilisationremarquable de la jeu-nesse confirment l’op-position massive etrésolue à un projet deloi indigne. 31 mars

Horreur e t déshonneurBernard Frederick

Attentat contre le Code du TravailMobilisation populaire !

HOMMAGE À Charles Palant p.2

LE COURRIER DES LECTEURS p.8

MONDEFragiles espoirs en Syrie A.Gresh p.3

FRANCEFaut-il criminaliser l’antisionisme N.Mokobodzki p.3

HISTOIRE / MÉMOIREI. Gauche allemande et triomphe du nazisme :un jugement policier français Rens.Généraux p.7Martin Luther et les juifs F.Mathieu p.4Léon Landini et le devoir d’avenir NM p.2Entretiens avec

Maurice Cling : 2015 – Une année mémorielleC.Bassi-Lederman p.6

Boris Taslitzky : V. Comment renouer avecles valeurs de l’émancipation humaine ? H.Amblard p.5

CULTURELivres « L’esprit de résistance » de Jankélévitch ....................... lu par J.Lewkowicz p.2« Le cimetière de Prague » et « La poupée de Kafka » ..... lus par G.-G. Lemaire p.8Théâtre Anne Delbée dans la peau de son Racine S.Endewelt p.4CinémaMobile étoile L.Laufer p.7Vivere B. Courraud p.7

LE BILLET D’HUMEURLa gauche M.Cling p.5

ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E.PNM n° 335 - Avril 2016 - 34e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

Puisque on nous l’affirme « nous som-mes en guerre », on comprend que l’onmobilise. Les forces de l’ordre sont

renforcées ; la troupe patrouille ; on embau-che des vigiles – c’est le seul secteur où l’onembauche d’ailleurs ! -. Bref on assure notresécurité. Fort bien. Mais on mobilise aussiles médias. Là, on s’interroge.Avec les chaînes d’« information » continue(les guillemets sont de l’auteur), ce n’est plusjour après jour mais heure après heure que sedéversent les mots clés de la « guerre » :islamiste ; radicalisé ; attentat ou même« attentat déjoué » ; perquisition ; interpella-tion... Les polémiques souvent peu ragoûtan-tes alternent avec les témoignages de resca-pés. Les journaux télévisés sont aujourd’huientièrement consacrés à la « chose ». Pour lereste quelques secondes. Les crimes deDaech en Irak – 200 morts début mars - et enSyrie, c’est loin. La loi « travail » et l’insur-rection qu’elle suscite, bof !

C’est la guerre, on vous dit. Alors on parlede la guerre. Ça fait quand même plusd’audience que les manifestations delycéens et d’étudiants, même quand despoliciers se distraient de leur tâche sécuri-taire en envoyant au tapis des jeunes gens.Un qui se plaît ainsi en chef de guerre,c’est le Premier ministre, Manuel Valls. Iloccupe la scène sans discontinuer. Las, ilne fait pas toujours attention à son texte.Invité d’Europe 1, le 23 mars, il affirmait lamain sur le cœur : « Nous avons fermé lesyeux partout en Europe et en France sur laprogression des idées extrémistes du sala-fisme ». Dix-sept jours plus tôt, le 6 mars,François Hollande, en personne, décoraitde la Légion d’honneur Mohammed benNayef, prince héritier d’Arabie saoudite, legrand arrière de l’État Islamique, grandpourvoyeur de massacres de civils auYémen et d’exécutions capitales dans sonpropre pays.

Dans une guerre, puisqu’on nous dit que« nous sommes en guerre », on se cherchedes alliés, non ? Ce sont qui les alliés de laFrance ? L’Arabie saoudite ? Le Qatar ?Erdogan que l’Europe presse de garder lesréfugiés chez lui – et peu importe dansquelles conditions – au prix du silence decette même Europe sur les massacres deKurdes en Turquie et au-delà de ses fron-tières, et de quelques millions d’euros ? La guerre ? Mais là-bas, au Proche-Orient,qui la fait ? Où étaient les Rafales pendantla bataille pour la libération de Palmyre, lemois dernier ? On n’allait quand même pasaider Assad et … les Russes. Non, valaitmieux décorer de la plus haute distinctionfrançaise un prince saoudien…D’un côté l’horreur, à Bruxelles, à Paris, àBagdad, à Damas, en Tunisie, à Istamboul,au Mali … D’un autre le déshonneur, dansun salon de l’Élysée. « Oh Barbara, Quelle connerie la guerre ! »

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Les combattants de l’Organisation Juive de Combat ont permis l’insurrection du Ghetto de Varsovie, contre les forces nazies, du 19 avril au16 mai 1943. “Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine”, affirmait Arie Wilner.

L’UJRE vous invite à la célébration annuelle de cette insurrection le Samedi 21 mai 2016.

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Louis Cortot, compagnon de la Libération, président del’ANACR [29 février 2016] : (...) Avec sa disparition s’éteint unegrande voix de la Résistance et de la Déportation, porteuse jusqu’àson dernier souffle des valeurs humanistes, antiracistes, démocra-tiques, antifascistes qui inspirèrent le combat des femmes et deshommes qui se levèrent il y a trois quarts de siècle contre l’oppres-sion et la barbarie ; barbarie dont lui-même et les siens furent victi-mes en étant déportés à Auschwitz, où furent assassinés sa mère etsa jeune sœur. Ce combat qu’il avait entamé dès l’avant-guerre, ille poursuivra au retour de déportation toute sa vie, avec le souci detransmettre, génération après génération, non seulement la mémoi-re des événements tragiques qu’il dut vivre, des crimes abominablesqui les marquèrent, mais aussi la connaissance des raisons profon-des qui en furent la cause. Et ce, afin que le monde ne connaisse pas,en les répétant, de nouveaux drames. Adhérent de l’ANACR dès safondation et jusqu’à nos jours, c’est au mouvement antiracistequ’il avait rejoint dans sa jeunesse qu’il consacra après-guerrel’essentiel de son engagement, au MNCR puis au MRAP, dontil fut l’un des fondateurs et pendant plus de deux décennies leprincipal animateur ; cet engagement exprimant le profond senti-ment de fraternité qu’il éprouvait à l’égard de tous les peuples, quel-le que soit la couleur de leur peau, leur langue ou leur religion. ... Vanko-S. Rouda, fondateur du Comité International Rom(Romani Union) [2 mars 2016] : (...) Nous [le] connaissions depuis"toujours", que ce soit au MRAP, avec Albert Lévy, ou auprès desorganisations de déportés. Dans les années de "fondation"(1959/1962), en France, de nos Comités Roms (affiliés au ComitéInternational Rom, puis à Romani Union représentée aux Nations-Unies), il avait toujours été, à nos côtés, par sa présence, son actionou ses conseils dans notre lutte d'émancipation des tutelles adminis-tratives, sociales ou discriminatoires que notre petit peuple Romsubissait dans l'Hexagone ou dans certains pays européens. Son

amitié envers nousétait profonde, dés-intéressée et d'une

loyauté à toute épreuve. Ses engagements étaient aussi les nôtres.Reçu dans nos familles, sa parole toujours juste et généreuse étaitrespectée et écoutée. (...) Charles Palant avait admiré la création dudrapeau international romani, aux couleurs du bleu du ciel et de laliberté et du vert de la Terre-Mère, timbrées du rouge de l'holocaus-te "oublié", de l'holocauste Rom (notre Samudaripen !), auprès denos frères juifs. (...) “Puisse son éternal combat se poursuivre”

UJRE/PNM : Dans son livre de mémoires Je crois au matin*,Charles Palant écrit : “Nous grandissions avec l’idée naturelle quele fascisme était l’ennemi mortel”. Il y évoque, entre autres, la nais-sance du Front Populaire, consécutive il ne faut pas l’oublier auxémeutes de 1934 : “La mise en échec d’un putsch fasciste par l’union des forces populaires avait créé un grand enthousiasme…C’est l’époque où naquit dans les milieux juifs un grand journalantifasciste en yiddish : la Naïe Presse, la Presse Nouvelle.” Sansoublier Droit et Liberté, titre que l’UJRE clandestine cédera après-guerre au MNCR qui deviendra le MRAP. Ce MRAP dont il seracofondateur en 1949 et l’un de ses éminents dirigeants**, y pour-suivant son engagement antiraciste. Engagements multiples : « Je ne me rappelle pas quand je suis devenu communiste » dit-il.“Ce dont je me souvient, c’est que c’est à Buchenwald que j’aiadhéré au PCF”. Pour notre part, nous ne nous rappelons pasquand il a adhéré à l’UJRE car il nous accompagne depuis toujours. Et lorsque l’UJRE et l’AACCE prépareront la création de l’associa-tion Mémoire des Résistants Juifs de la MOI, il en deviendra l’undes prestigieux parrains écrivant, sur son bulletin de parrainage : “Je n’oublie pas que la rue de Paradis prolonge la rue de la Fidélité.”Fidèle, il le fut dans toutes ses convictions. Fidèle et fier. Parlant auPlateau des Glières, il dit, magnifiquement : « Soyez fiers d’être deshommes ». Cette fierté que l’on veut parfois nous ôter, inséparablede la lutte pour la dignité. Affectueuses et fraternelles pensées à safamille, à ses amis, à tous ses camarades".* Charles Palant, Je crois au matin, Éd. Le Manuscrit, 2010, p. 70-71** Un hommage organisé par le MRAP lui sera rendu le 20 mai à 18h.à la Mairie du 3° arrondissement de Paris

Albin Michel a eu l’heureuse idée de publier un recueil de textesinédits de Jankélévitch sur l’esprit de Résistance*. L’ouvrage com-

porte trois chapitres précédés d’une introduction et suivis d’une postface sur « les enga-gements politiques de Vladimir Jankélévitch » qui énumère les organisations auxquellesle philosophe a participé : liste non exhaustive puisque n’y figure pas l’UJRE dont il futpourtant coprésident. Il disait d’ailleurs, que la plus importante de nos quatre lettres, c’estle « R » de Résistance. Le lecteur pourra néanmoins y lire le discours prononcé parJankélévitch à l’occasion du 20e anniversaire de l’UJRE ainsi qu’un article paru dans laPresse Nouvelle Hebdomadaire**. La période couverte va de 1943 à 1983. Juif russe d’origine, Jankélévitch parlait, lisait etcitait toutes les langues : le russe et le français, mais aussi l’allemand, le grec ou le latin.Bon sang ne peut mentir : son père avait traduit Freud, Hegel et Schelling. Il fut passion-nément philosophe et musicologue. Ce philosophe était un moraliste. Par quoi l’on entendqu’il ne prêchait pas des systèmes mais philosophait pour vivre. Ce qui l’amena tout natu-rellement à entrer dans la Résistance. La guerre modifie radicalement sa vie, pour luicomme pour beaucoup d’autres: « La guerre a coupé ma vie en deux. Il ne me reste riende mon existence d’avant 1940, pas un livre, pas une photo, pas une lettre. » Sévère avecSartre, il rendra après guerre hommage aux universitaires qui ont résisté, notamment àl’Unesco où il citera « ces jeunes résistants qui auraient été de brillants philosophes :François Cuzin, Jean Cavaillès, Albert Lautman, Pierre Brossolette, Jacques Decour,Georges Papillon, Georges Politzer, Jacques Solomon, Valentin Feldman, Boris Vildé. »Le génocide est pour lui imprescriptible. À contre-courant du mouvement pour uneréconciliation franco-allemande, il maintient l’impossibilité de pardonner aux criminelsnazis dont il observe qu’ils ne demandent pas pardon. « Le pardon est mort dans lescamps », écrit-il. Qui d’autre que les disparus et leurs familles pourrait pardonner ?Soutien indéfectible de l’existence d’Israël mais non de sa politique, Jankélévitch n’hé-sita ni à manifester devant l’ambassade d’Israël pour protester contre la guerre menée parIsraël au Liban en 1982, ni à saluer l’initiative de Yasser Arafat lorsque celui-ci inscrivitla reconnaissance d’Israël dans la charte de l’OLP.

* Vladimir Jankélévitch, L’esprit de Résistance, textes inédits, 1943-1983, Albin Michel, Paris, 368 p., 22 €

** Vladimir Jankélévitch, Ce qui est humain n'est pas l'oubli mais la mémoire, la vigilance et lafidélité…, in PNH du 15 juin 1979.

NDLR à (ré)écouter : http://www.franceinter.fr/emission-la-marche-de-lhistoire-vladimir-Jankélévitch-l-esprit-de-resistance

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“L’esprit de résistance” de Vladimir Jankélévitch

par Jacques Lewkowicz

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Presse Nouvelle Magazine n°335 - Avril 2016

Léon Landiniet le devoir d’avenir

La PNM a rendu compte* du livre de LéonLandini, président de l’Amicale

Carmagnole-Liberté des anciens FTP-MOI,Réponse à Michel Onfray et autres textes surla Résistance et l’engagement. Il est impor-tant, en effet, de répondre à ces intellectuelssoumis qui profèrent à longueur d’ondes qu’iln’y a pas eu de résistance. Entendu sur unechaîne du service public : « Tenez, citez-moideux artistes résistants » …La Journée de la Résistance Nationale appor-tera le 27 mai un magnifique démenti à cesmensonges. Souvent d’ailleurs, l’on secontente de nier la Résistance communiste. Sil’UJRE et l’AACCE ont créé l’associationpour la Mémoire des Résistants Juifs de laMOI, c’est bien parce qu’il était et reste impé-ratif d’écrire l’histoire de cette résistance juivemais aussi communiste dans une période oùle négationnisme n’est pas le fait de la seuledroite et ne vise pas la seule réalité des campsd’extermination.Or donc, quelques jours avant d’entrer dans sa90e année, Léon Landini, qui n’était encoreque médaillé de la Résistance et officier de laLégion d’honneur s’est vu remettre à la mai-rie de Bagneux une décoration qui manquaità sa collection : la médaille d’or de l’OfficeRépublicain des Mérites Civiques etMilitaires. Elle honore celles et ceux qui sesont distingués dans leur lutte pour la liberté,l'égalité, la fraternité et la cause de la Paix. Etc’est bien pour son dévouement à ces idéauxque Léon Landini s’est vu distinguer, lui qui atué une quarantaine de soldats allemands,réalisé une quarantaine de déraillements,détruit plus de trois cents véhicules sans par-ler de la destruction d’usines travaillant pourl’Allemagne.Léon Landini, en proie à une violente émo-tion, a donné la parole à ces héroïnes et héros,ses camarades de combat qui ont subi les pirestortures – sans jamais parler –, la déportation,et donné leur vie pour l’idéal qu’ils parta-geaient avec lui.Il a parlé avec simplicité, avec passion aussi,passionné qu’il est d’avenir. Car de son passéde combattant et de militant, il retient uneardente obligation : le « devoir d’avenir » :trois mots qui semblent évidents à les enten-dre mais qu’on entend trop rarement. Et decela aussi, nous devons le remercier. Difficilealors de ne pas évoquer en l’écoutant le Chantdes partisans : « Ami, entends-tu les crissourds du pays qu’on enchaîne… »Léon Landini a dénoncé cette tentative d’as-servissement d’un pays qui se veut fier de sesvertus révolutionnaires, de ce pays, le nôtre,où l’on a pu ratifier le projet de Constitutioneuropéenne alors que la majorité du peuplel’avait rejeté, 16 millions de voix s’étant pro-noncées contre… Mêmes combats, autresarmes. NM

* PNM n° 330 (nov. 2015)

2 anciens FTP-MOINous apprenons avec infiniment de

tristesse la disparition de JacquesSzmulewicz, dit Jacquot, et deRaymond Kojitski, dont nous venionsde revoir au “14”, avec émotion, letémoignage des motifs de son adhé-sion à la MOI, dans le documentaire“Une jeunesse parisienne enRésistance”. Nous reviendrons dans leprochain numéro sur le parcours de ces“étrangers”, immigrés juifs polonais,résistants de la première heure à l’oc-cupation nazie au sein de la sectionjuive de la MOI.À leurs familles et leurs proches, noscondoléances attristées.

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Charles Palant“Soyez fiers d’être des hommes”

Carnet

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« Nous avons investitrès sérieusementdans cette crise, poli-tiquement, diploma-tiquement et aussimilitairement. Nous voudrions doncque le président Assad prenne cela encompte. »Si l’Arabie saoudite semble se rallierau cessez-le-feu et a poussé en ce sensl’opposition syrienne, la Turquie affi-che ouvertement ses réticences. Elledemande notamment que le Parti del’union démocratique (PYD) kurdesoit désigné comme « une organisa-tion terroriste », non concernée par lecessez-le-feu. Quant à l’Iran, il sou-tient l’arrêt des combats, mais semblevouloir préserver à tout prix BacharAl-Assad.

Au lendemain du cessez-le-feu, lesecrétaire d’État John Kerry a déclaréque si celui-ci échouait, il faudraitenvisager « un plan B » dont il n’a pasprécisé les contours. Pourtant, tout lemonde le sait, si le cessez-le-feuéchoue à déboucher sur un début denégociations, le seul plan B est l’esca-lade militaire. 23 mars 2016

* Ancien rédacteur en chef du Monde diplo-matique, directeur du journal en ligneOrientXXI.info

Monde

France

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surpassant le rôle des Iraniens. Ils ontconsolidé le régime syrien et lui ontpermis de se retrouver en meilleureposture dans les négociations à venir.Ils ont expérimenté leurs armes lesplus modernes – entre autres, leurschasseurs Su-35S, leurs chars T-90 etles missiles balistiques tirés de la merNoire. Et le coût de cette campagnereste relativement limité – environ 3 milliards de dollars prévus pour l’an-née 2016 sur un budget militaire de 44milliards.

La Russie a pu aussi installer une basemilitaire moderne à Latakieh, sa pre-mière base permanente dans la régiondepuis la fin de son alliance avec l’Égypte. Elle a enfin imposé à Damasde prendre en main la réorganisationde l’armée régulière, dont elle pensequ’elle doit être préservée à tout prixet fournir peut-être demain la colonnevertébrale de l’État syrien unitaire –on insiste ici que toute solution poli-tique devra éviter les mesures prisespar Washington en Irak après 2003 :dissolution de l’armée et du partiBaas.

Pourtant le triomphalisme n’est pas àl’ordre du jour à Moscou et les Russesne semblent pas chercher un écrase-ment de l’opposition avec laquelle, au

moins dans certaines de ses compo-santes, elle maintient un dialogue.Pour confirmer qu’ils cherchaientvraiment un accord, ils ont décidé deretirer une partie de leurs troupes, cequi a aidé à la relance des négociationsde paix.

Les Russes ne veulent pas non pluss’enliser. Dès le 1er octobre, dans sadéclaration devant le gouvernementpour expliquer son engagement enSyrie, Vladimir Poutine insistait :« Nous n’avons aucune intention denous impliquer profondément dans leconflit. (…) Nous continuerons notresoutien pour un temps limité et tantque l’armée syrienne poursuivra sesoffensives anti-terroristes. »Tout le monde le reconnaît, l’avenir ducessez-le-feu dépendra des acteurslocaux. Et le temps n’est plus où lesdeux superpuissances pouvaient déci-der à la place de leurs alliés. Le régimed’Assad semble traîner des pieds etplusieurs incidents l’ont opposé àMoscou. Un incident récent illustre unclimat parfois tendu entre les deuxalliés. À la suite d’une déclarationd’Assad affirmant que son objectifétait la reconquête de tout le territoire,Vitaly Churkin, représentant la Russieà l’ONU a riposté, le 18 février :

En quelques mois, la situation enSyrie a connu une évolutionspectaculaire : le cessez-le-feu

que certains dénonçaient comme un« leurre » a tenu bon ; les négociationssur la solution politique ont commen-cé en Suisse, même si elles restentpour l’instant indirectes, sous l’égidedes Nations unies. Comment en est-onarrivé là ?

Après quatre ans de combats acharnés,la Syrie était devenue un champ deruines. L’opposition était à l’offensive,mais certains groupes, notammentl’Organisation de l’État Islamique(OEI) et le Front Al-Nosra, affilié àAl-Qaïda, consolidaient leur présence.L’armée régulière était affaiblie, mal-gré une utilisation sans limites de laviolence. Craignant un effondrementdu régime, qui pourrait aboutir à uneffondrement de l’État, la Russie déci-dait alors, à la fin de septembre 2015,d’intervenir militairement.

Après des difficultés initiales, la situa-tion s’inversait et l’armée syrienneavançait vers Alep. Le bilan humainde cette campagne a été désastreux,mais les Russes ont obtenu les résul-tats qu’ils espéraient. Ils se sont impo-sés aux États-Unis comme un interlo-cuteur incontournable dans la crise,

Fragiles espoirs en Syriepar Alain Gresh*

Presse Nouvelle Magazine n°335 - Avril 2016

Le lundi 7 mars, lors du dînerannuel du Crif, le Premierministre qui s’exprimait, en sa

qualité de représentant du présidentde la République a, selon l’usage,évoqué les liens puissants qui unis-sent « les Français juifs et laFrance ». Nous préférons, tradition-nellement, parler des juifs de France,mais cédons-lui la parole : « Le Crifest une institution singulière. C’estune voix qui porte. C’est une cons-cience qui interpelle. Elle le doit d’abord à son histoire. Né de laRésistance, au milieu du malheur etde la trahison, le Crif exprime cettevolonté si française de faire vivre, defaire briller les valeurs de laRépublique. »*

Loin de nous l’idée de contester l’an-crage du Crif dans les valeurs de laRésistance. L’UJRE fut en effet, en1943, cofondatrice du Crif . Rappelonscependant qu’il y a sept ans, en mars2009, elle dut suspendre sa participa-tion aux activités du Crif qui trahissaitces valeurs en refusant d’inviter lesreprésentants de partis politiques qui,comme elle, défendent le principe siévident, si humain, de « Deux peuples,deux États, une paix. »

« L’ostracisme que la direction duCrif manifeste à l’égard de partisdémocratiques, écrivions-nous alors,risque d’être lourd de conséquences.Issue directement de la lutte antifas-ciste et de la Résistance, l’UJRE estfondée à en alerter les juifs deFrance ».

En 2012, ce serait au tour de ThéoKlein, président du Crif de 1983 à1989, puis président d’honneur, d’é-crire à son successeur, indigné par lesattaques diffamatoires portées contrele journaliste Charles Enderlin :« Peut-être votre politique est-ellegrandiose, je crains qu’elle ne soitmortelle. »

L’UJRE souhaitait, quant à elle, quele Crif renonce à lancer des « anathè-mes relevant d’autres temps pourretrouver son rôle et sa représentati-vité dans la société française ». Unereprésentativité qu’il revendiqued’autant plus haut qu’elle s’amenuisedavantage : aujourd’hui, beaucoups’accordent à considérer que le Crifne représente guère plus de 10% desjuifs de France. Beaucoup lui repro-chent d’être devenu au fil des ans unlobby au service des intérêts non pasmême de l’État israélien ou du peuple

israélien mais de la politique menéepar le gouvernement israélien.

Or lors du banquet du 7 mars, lePremier ministre, parlant toujours aunom du président de la République, arelancé l’idée de criminaliser l’anti-sionisme au motif qu’il serait l’un desvisages de l’antisémitisme.

« Nous savons qu’il y a un antisémi-tisme ancien ou un antisémitismenouveau. Il y a l’antisémitisme insup-portable de l’extrême droite toujoursprésent mais on trouve aussi un anti-sémitisme à l’extrême gauche. Il y al’antisémitisme des beaux quartiers,il y a aussi l’antisémitisme, dans lesquartiers populaires, d’une jeunesseradicalisée. Et puis il y a la hained’Israël, il y a l’antisémitisme et il ya l’antisionisme, c’est-à-dire toutsimplement le synonyme de l’antisé-mitisme et de la haine d’Israël. » *

Il est étrange de voir ainsi confondusdans une même énumération l’antisé-mitisme, toujours tragiquement actuelavec ses multiples facettes et que, fidèleaux valeurs de ses fondateurs, l’UJREcontribue à combattre, l’antisionisme,notion aussi difficile à définir que le sio-nisme lui-même et la haine d’Israël.

Étrange, et dangereux comme le relè-ve à juste titre la Ligue des droits del’homme, qui n’hésite pas à traiter lePremier ministre de pyromane, dansun communiqué paru le lende-main** :

« En se livrant à cet amalgame***, lePremier ministre emboîte le pas àtous ceux qui, du Crif à BenjaminNetanyahou, tentent de faire taireceux et celles qui critiquent la poli-tique du gouvernement israélien. Pireencore, il alimente de la pire manièrequi soit l’idée selon laquelle soutenirles droits du peuple palestinien équi-vaudrait à délégitimer l’État d’Israël.La lutte contre l’antisémitisme,comme contre toutes les formes deracisme, exige des pouvoirs publicsqu’ils s’abstiennent d’alimenter desdiscours mensongers qui ne peuventqu’alimenter haines et conflits. »

« Si vis pacem, para pacem », soit, end’autres termes, « Tu veux la paix?Prépare la paix ! »

* Crif La Newsletter quotidienne

** http://www.ldh-france.org/premier-ministre-pyromane

*** NDLR : celui entre antisionisme et anti-sémitisme

Faut-il criminaliser l’antisionisme ? par Nicole Mokobodzki

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À voir

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fre, amoureusement, espièglement. Le poète maudit, illuminé, jeune Rimbaud,n’est pas bien loin.

Anne Delbée a une façon unique de parler et d’incarner Racine. Elle montre combienles vers de Racine tiennent de la partition, de la danse. Elle touche adolescents, adul-tes, nous éblouit, nous surprend, nous intéresse. C’est une vraie chance de voir cespectacle, de recevoir une telle leçon de théâtre, un tel regard acéré sur Racine et sonépoque. « Faire entendre ce qui résonne en moi chez Racine », « transmettre cesavoir racinien » dit la comédienne. Et elle ajoute : « Phèdre, c’est toute la vie deRacine qui se révèle : l’enfant, l’adolescent, l’amant, le mal aimé, l’ami privilégié duRoi Soleil et le solitaire ». Un spectacle rare à ne surtout pas manquer.

* Écrit, joué et mis en scène par Anne Delbée. Théâtre de la Contrescarpe, 5 rue Blainville,Paris 5°. Réservation 01 42 01 81 88. À partir du 10 avril, di.15h, ma 19h30 et du 1er mai à finjuin mêmes dates + lu. 19h30. Si réservation via l’UJRE (mèl ou 01 47 70 62 16) : tarif lecteursPNM et adhérents U.J.R.E = 12 € au lieu de 24 €

Certains se souviennent de la Phèdre d’Anne Delbée, trèsXVIIe, très Port-Royal, montée à la Comédie-Française

en 1995 dans des costumes somptueux de Christian Lacroix.Anne Delbée est une passionnée de Racine et de Claudel. Ellea écrit avec Jeanne Fayard Une femme, Camille Claudel dontest sorti un film. Il nous importe de dire qu’Anne Delbée estune femme engagée, d’autant que son spectacle actuel Racineou la leçon de Phèdre* est dédié à ceux qui savent dire« non », comme l’a fait Racine en son temps, face au jansé-nisme et au Roi Soleil. Son spectacle se termine ainsi : « Un jour viendra où l’oncroira que le monde est mort. Alors le théâtre réinventera l’humanité ».

Seule en scène, cette grande tragédienne, l’une des dernières de cette trempe, habiteprodigieusement ses personnages, grandit la scène de sa présence. Un décor mini-maliste : une surface métallique tient lieu d’écran de projection (l’enfant,Rimbaud…), de miroir, de boomerang ; un micro, la robe de Phèdre.

Une femme entre dans la peau d’un homme, le grand Racine. Une comédienne faitvibrer pour nous la substance théâtrale, la vie, la passion amoureuse d’un auteur duXVIIe siècle qui a puisé son inspiration chez Euripide et d’autres auteurs grecs, etva, dévoilant le mystère de cette énigmatique Phèdre. Une metteuse en scène nousfait une fabuleuse et intelligente démonstration de diction, la façon dont on doit direles vers de Racine avec une plongée sur une historicité, celle du XVIIe siècle, et unarrêt sur image du XXIe siècle dans lequel ces vers, qui n’ont rien perdu de leurvérité, restent vibrants passionnément, prennent un air contemporain, amour tra-gique toujours. Elle les chante ces vers, elle les chante crooner, Rocky, blues, à laBachelet. La vie du grand Racine traverse son siècle et le nôtre, se fait chair et théâ-tre. Anne Delbée, la poétesse, prosodie et versifie. La gestuelle légère et fine donneles signes, les indications de lectures. L’interprétation, la poésie, tout est une histoi-re de règles qui donnent le sens. L’érudite nous dessine des lignes de cheminementspour mieux comprendre, mieux sentir. Son Racine, sa Phèdre, son Andromaque, saBérénice, c’est une traversée de longue date, toute sa vie. Tout cela, elle nous l’of-

Anne Delbée dans la peau de son Racine

Vingt ans plus tard, en raison de sonéchec à les convertir, le ton changeacomme l’atteste Des Juifs et de leursmensonges*, un pamphlet d’une extrêmedensité, dont nous disposons aujourd’huipour la première fois en France, grâce à laméticuleuse traduction de JohannesHonigmann, introduite et très documen-tée par l’universitaire Pierre Savy. Entre-temps, Luther était devenu l’ennemi mor-tel des Juifs. Il écrivit : « Qu’allons-nouspouvoir faire, nous, chrétiens, de ce peu-ple rejeté, damné, des Juifs ? Nous nepouvons le souffrir, puisqu’ils sont cheznous et que nous avons connaissance detous leurs mensonges et blasphèmes et detoutes leurs malédictions, afin de ne pasdevenir complices de tous leurs menson-ges, blasphèmes et malédictions. » EtLuther de donner son « conseil honnête »,un programme que les nazis n’eurentqu’à recopier – et mettre en œuvre :• Premièrement, qu’on incendie leurssynagogues et qu’on recouvre de terre etensevelisse ce qui refuse de brûler, afinque plus personne n’en voie la moindretrace de toute éternité. […] • Deuxièmement, qu’on abatte et qu’onrase leurs maisons de la même façon, carils y pratiquent exactement la mêmechose que dans leurs synagogues. On n’aura qu’à les regrouper ensuitesous un toit ou dans une étable, commeles Tsiganes. […] • Troisièmement, qu’on leur confisque tous

les livres de prière et tous les exemplairesdu Talmud […]. • Quatrièmement, qu’on interdise à leursrabbins, sous peine de mort, de continuerà enseigner […].• Cinquièmement, qu’on interdise auxJuifs la libre circulation […].• Sixièmement, qu’on leur interdise l’usureet qu’on leur confisque toute monnaie ettous bijoux en argent et en or […] : tout ce qu’ils ont, ils nous l’ont volé etdérobé par leur usure, étant donné qu’ilsne subsistent par aucun autre moyen. »Dans son sermon du 15 juillet 1546 pro-noncé trois jours avant sa mort, Lutherlançait un appel aux souverains pourqu’ils chassent les Juifs de leurs territoi-res. En 1543, le prince électeur de Saxeavait déjà suivi ses conseils : « Aucun Juifni Juive n’est autorisé à vivre, commer-cer, travailler, voyager dans le pays oumême le traverser. »Dans une Allemagne où « le ventre estencore fécond d’où a surgi la bêteimmonde », il était grand temps qu’unsynode de l’Église Évangéliqued’Allemagne se démarque de cette proseet la dénonce.

* Martin Luther, Des Juifs et deleurs mensonges (1543), éditioncritique, traduit de l’allemandpar Johannes Honigmann, intro-duction et notes de Pierre Savy,éd. Honoré Champion, Paris,154 p., photographies, 39 €

Mis au ban du Saint-Empire romain ger-manique pour sa dénonciation de l’Églisede Rome, mais protégé par le Prince élec-teur de Saxe, Luther avait pu se réfugier auchâteau de la Wartburg près d’Eisenach,où il commença sa traduction de la Bible.C’est là que, plus de quatre siècles plustard, les nazis installèrent en 1939 un« Institut de déjuivisation », l’« Institutpour la recherche (et l’élimination) del’influence juive sur la vie religieuse alle-mande », qui exerça ses activités jusqu’en1945. L’Ancien Testament disparut.Dans l’église Saint-Georges d’Eisenach,on enleva toutes les inscriptions qui lecitaient. Une écrivaine réduisit les quatreÉvangiles à un seul. Des théologiensaffirmèrent que Marie et Joseph n’étaientpas juifs, ce à quoi nombre de pasteursapplaudirent des deux mains.Le jeune Luther avait d’abord cru pou-voir être le grand convertisseur des Juifs.Dans De ce que Jésus est né juif, paru en1523, encore tout occupé par son combatcontre l’hégémonie romaine, il avaitécrit : « Nous ne faisons que les traqueret les diffamer injustement […] Si nousvoulons les aider, il faut pratiquer enverseux non la loi du pape, mais celle de l’a-mour chrétien, les accueillir amicale-ment, les laisser briguer un emploi ettravailler avec nous afin qu’ils puissentse mêler à nous, entendre notre ensei-gnement chrétien et voir notre vie chré-tienne. »

En novembre 2015, le synode del’Église Évangélique d’Alle-magne (EKD) chargé de préparer

le cinq centième anniversaire de laRéforme introduite par la publication le31 octobre 1517 des quatre vingt quinzethèses fondatrices de Martin Lutherlégendairement placardées sur les portesde l’église de la Toussaint de Wittenberg,a condamné officiellement l’antijudaïsmethéorisé et professé par celui-ci.Les protestants allemands auront ainsi misun demi millénaire pour mettre à jour etrejeter le côté sombre de celui qui, cepen-dant, par sa traduction de la Bible en alle-mand, a donné un accès démocratique àcette somme littéraire, initié par là mêmeune langue pour tous, et fixé les principesgénéraux de l’art moderne de la traduc-tion. Ils auront aussi attendu soixante dixans après la fin du judéocide nazi, pourdésavouer enfin une doctrine qui a servide bréviaire aux protestants nazis.Ce n’est pas un hasard si Hitler, Goebbelset autres organisèrent les pogromes aux-quels ils donnèrent le nom de « Nuit decristal », en novembre 1938, dans la nuitqui précéda le jour anniversaire de lanaissance du théologien (le 10 novembre1483), et qui se soldèrent par la destruc-tion de plus de deux cents synagogues etlieux de prière, de plusieurs milliers demagasins et entreprises, l’assassinatd’une centaine de Juifs et la déportationde près de trente mille autres.

ANTISÉMITISME

Martin Luther et les Juifs par François MathieuL’Église évangélique d’Allemagne condamne enfin l’antijudaïsme dont s’inspirèrent les nazis.

Transsibérien je suis*, autofiction de Philippe Fenwick : Faut-il à tout prixréaliser ses rêves ? De Brest à Vladivostok 2008/2016 - 1300 jours versl’Extrême-Orient russe, sur les traces d’un homme qui n’est jamais parti. Unepièce intéressante, qui a un cachet particulier, dont l’imagination débordanteest à l’image de l’âme russe. Les comédiens sont parfaits. A ne pas manquer.* Au Théâtre national de Nice, du 27 au 30 avril et au Théâtre national de Marseille / LaCriée à la friche La belle de mai, du 11 au 14 mai.

La Musica-La Musica deuxième* de Marguerite Duras, mis en scène parAnatoli Vassiliev. Le grand maître russe déchaîne les passions. Il y a ceux quiaiment très fort et les autres. Toujours est-il qu’il apporte un sang nouveau àla Comédie-Française et que le jeu des acteurs, la mise en scène et la scéno-graphie sont renversantes. Vassiliev fait ressortir l’humanité et donne les troisversions d’un jeu psychologique, ludique, puis conceptuel. Ce spectacle nemanquera pas d’intéresser les gens épris de théâtre et les esprits curieux. * Jusqu’au 30 avril au Théâtre du Vieux Colombier (Comédie-Française) – 21 Rue du VieuxColombier, Paris 6°

Théâtre La chronique de Simone Endewelt Culture

Une leçon magistrale de théâtre, de poésie, de prosodie, un regard sur l’histoire, les siècles qui se croisent, la vie et la passion amoureuse, la tragédie, surla destinée d’un enfant orphelin de Port-Royal, et même sur notre futur du XXIe siècle. Intelligent, vibrant, et magnifique.

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Révolution. Les Michel-Ange ne courentpas les rues, même si beaucoup travaillentà le devenir.Est-ce que l’on connaît ses capacités ?La politique m’a toujours barbé. J’aiadhéré en me disant : « je vais m’em-merder » et ça n’a pas manqué. Je n’aijamais eu envie d’aller coller des affi-ches, de distribuer des tracts. Je l’ai faitun bon tiers de ma vie par devoir.Croyez-vous que ça m’amusait, de faire lerapport de la semaine ? Or, j’ai connu desmilitants qui se passionnaient à l’idée defaire « un porte-à-porte ».Moi qui suis un homme d’atelier, un rat debibliothèque, je suis allé sur la placepublique. J’ai pris des coups sur la gueulepar devoir. Parce que je voulais que lasociété change ; que les gens soientmeilleurs ; que naisse un homme nouveauqui prenne conscience de ses contradic-tions… Chacun d’entre nous est un nœudépouvantable !J’ai beaucoup appliqué la « disciplinevolontairement consentie » alors que ladiscipline m’a toujours été profondémentantipathique. N’imaginez pas que je meplaisais à moi-même quand pendant desannées, j’allais vendre l’Humanité devantle Dôme et la Coupole où tous mesconfrères venaient me trouver en me dis-ant : « tu ne vois pas que tu te fais un malde chien ? » Ils ne me considéraient pluscomme un artiste, croyant que j’étais unpolitique ! Par contre, j’étais heureuxdevant mon chevalet.Un jour, je l’ai dit à un dirigeant : - « lapolitique m’emmerde ». Il n’a pas com-pris : - « …Toi ? »Mais n’est-ce pas devant votre chevalet,que vous étiez un politique ?Devant mon chevalet, j’essayais de direceci : au Luxembourg, il y a un jeunehomme et une jeune femme qui se

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Les mots pour le dire

L’opposition gauche/droite traverse la vie politique française depuis des lustres.Elles sont présentées comme symétriques (y compris dans leurs contradictions

internes), chacune étant flanquée, celle-là de son « extrême gauche », celle-ci deson « extrême droite » qu’est le Front National. Certains politiciens assènent mêmerégulièrement qu’il n’y a plus ni gauche ni droite, brouillant les pistes, et dans cer-tains cas justifient ainsi leur reniement.Mais qu’en est-il vraiment ? Face à ce tir de barrage permanent des « communi-cants » patentés de la pensée correcte, il convient d’abord de prendre du recul, dese méfier du langage piégé, à partir de l’analyse des termes employés afin dedémasquer l’opération de conditionnement des esprits. Le mot « gauche » nous en fournit un excellent exemple. En 1997, date de la vic-toire de la « gauche plurielle » aux élections municipales de Paris (PS, PCF, Éco-logistes, Chevènementistes, etc.), le concept était parfaitement clair, renvoyant àJaurès, au Front Populaire, au CNR, à la Libération, etc. Dans cette gauche qui s’estdivisée, on a insidieusement restreint le sens du mot au seul PS devenu fréquenta-ble, incluant ses alliés écologistes éventuels très minoritaires. De telle sorte que leprésident Hollande « socialiste-libéral », son premier ministre et ses Macron, sontinstitués comme seuls porte-parole d’un courant traditionnellement progressiste, etparfois révolutionnaire, comme quand Léon Blum levait le poing en 1936. Parcontrecoup le PCF, rejeté ipso facto de cette gauche officielle, est baptisé d’auto-rité d’« extrême gauche », malgré son histoire et récemment l’appellation du« Front de gauche » qu’il avait initié. Or, on sait que dans la tradition du langage politique des partis conservateurs, lesdeux extrêmes sont renvoyés dos à dos comme excessifs, gauchistes, radicaux,extrémistes, voire jusqu’au-boutistes plus ou moins dangereux. Dans cette optique,seuls les « modérés » et les conservateurs centristes et divers représentent le bonsens, la raison, le juste milieu, la stabilité et la sécurité. Le schéma a la vie dure, quise perpétue dans les esprits depuis plus d’un siècle et pèse lourdement au momentdes choix électoraux. D’autant plus qu’avec l’apparition des groupes terroristes ditsd’ « extrême gauche » et d’ « extrême droite », le mot « extrémiste » s’est encoreplus coloré par amalgame. Le tour est joué : la mouvance PCF qualifiée d’ « extrê-me gauche » relève ainsi du danger terroriste, des assassinats, de la barbarie, etc. Le fait est d’autant plus grave que ce schéma peut séduire nombre de gens de bonnefoi, tant le matraquage médiatique, le poids des personnalités politiques et la cau-tion « scientifique » des « experts » concourent à présenter le schéma comme uneévidence. Une fois enfermé dans cette bulle, le citoyen sera livré pieds et poingsliés aux manipulations politiciennes étrangères à ses véritables intérêts. En témoi-gne actuellement la personnalisation intense de la vie politique française : à quellesauce préférez-vous être mangé ? Fillon, Juppé, Sarkozy, Hollande, Valls ouMarine Le Pen ? Sans que jamais (ou si peu) ne soit évoqué le caractère anti-démo-cratique des institutions de la Vème République, encore aggravé par l’état d’urgen-ce. On touche du doigt ici la profondeur de la crise qui, sous couvert d’une étiquet-te et d’un langage socialistes, voit un gouvernement présenté comme de gauches’attaquer aux valeurs fondamentales de la République sociale. Tony Blair n’avaitpas fait autre chose après Madame Thatcher. Et en France, que dire des leaders dela SFIO, puis du PS, de 1938 à nos jours ? Maurice Cling

« la gauche »

V. Comment renouer avec les valeurs de l’émancipation humaine ?regardent. Ils sont profondémentamoureux et profondément heureux.Cela existe. Pendant qu’ils se regar-dent, on massacre des tas de gens, destas de gens sont en prison, certains crè-vent de faim et pendant ce temps, desjardiniers font pousser des fleurs admi-rables. L’homme a inventé la science. Ila inventé l’or… Tout cela en mêmetemps ! Voilà ce que j’ai essayé de dire.Parmi tout ce que l’on peut dire de la réali-té, c’est un millionième, mais je voulais ledire pour que ça aille mieux. C’est de lapolitique, mais quand j’achète un bif-tèque, j’en fais en m’insérant dans le sys-tème économique.Dans notre jeunesse, nous posions unequestion, on nous répondait. Ensuite, nousavons eu l’occasion d’en poser tout aulong de notre vie et j’en suis sûr, monexpérience ne vous sert à rien. La seulevraie expérience est celle que l’on éprou-ve sur ses propres épaules.Je peux à mon tour raconter mon histoireaux jeunes. Je ne peux rien faire à leurplace. Tout le monde dit que les valeurs setransmettent. Les chrétiens ajoutent qu’ilfaut rendre à César ce qui appartient àCésar. Qu’est-ce qui est à César ? Legrand capital ! Oui, il faut le lui prendre !En sachant qu’il a tous les moyens de nepas se laisser faire et lui, il a tous lesmoyens de me faire crever. On ne peutdonc mener cette lutte qu’avec le plus degens possible. Un espoir, ça s’organise.« Quand la ligne est tracée, l’organisa-tion décide de tout ». D’autres avaient ditavant Staline cet ABC de la politique. Ilfaut un élan, certes. Une générosité. Sansforme d’organisation révolutionnaire, iln’y a pas de Révolution.Mais je n’oublie pas que les fascistes, etpas seulement eux, connaissent laleçon. Propos recueillis par

Hélène Amblard

Ceux qui nous disaient le contraire de ceque nous croyions ne le faisaient pas for-cément avec de bonnes raisons.L’Histoire n’est pas, n’est jamais tellequ’on nous la présente.Je ne suis pas un homme politique maisun militant qui essaie d’avoir les yeuxouverts. J’essaie d’être un créateur sur matoile. La création politique demande d’au-tres talents.Quand j’ai des désaccords, au fond demoi, il y a profondément le désir d’êtrecelui qui se trompe. Et quand je penseque, quand même, c’est moi qui ai raison,est-ce que ma raison est politique, c’est-à-dire organisationnelle ? … Ce n’est passûr.Nous avons tous plus ou moins le désir defaire un transfert de responsabilité à ceuxqui en ont, paraît-il, le don. Je ne dis pas lemétier. Depuis des années, nous disons : ilfaut écouter les gens. On l’a toujours faittout en leur donnant des conseils, ce quisuppose un contact suffisant pour s’adres-ser à eux. Mais comment aurait-on cons-truit ce grand Parti qui a existé un temps ?Aujourd’hui, on ne parle plus de

Je ne peux pas répondre. Exister. Êtresolidaires, c’est déjà une démarcherévolutionnaire. En quoi rejoint-elle

celle des vendeurs de « Macadam » ou« Réverbère » ? Avant-guerre, les chô-meurs s’organisaient en Comités posantdes questions revendicatives.Les intellectuels sont le plus sûr des baro-mètres. Ceux que l’on entend aujourd’huine veulent pas réorganiser la société, ilsveulent l’aménager. Le malheur est qu’ilsle font sur le dos de la destruction del’URSS. Il serait trop facile d’en accuserles seuls dirigeants. Ils y sont pour unepart, mais ce pays s’est aussi effondré del’intérieur.Quant à nous, les communistes, tousautant que nous sommes, même si nousn’avons pas de sang sur les mains, nous yavons des cals pour avoir applaudi auxprocès de Staline ! Nous avons cru sauverl’Union soviétique ; que les inculpésétaient des traîtres contre-révolutionnaires.S’ils n’étaient pas tous innocents, ce seraittrop simple, beaucoup étaient des commu-nistes.Aujourd’hui, nous parlons avec du recul.

Vie des associations

Entretien avec Boris Taslitzky Histoire

Ça s’est passé au « 14 »

« Une jeunesse parisienne en Résistance »

Le samedi 12 mars, l’UJRE eut le plaisir d’accueillir en ses locaux qui se révélèrentune fois de plus trop étroits, Mourad Laffitte et Laurence Karsznia venus présen-

ter leur magnifique documentaire*, « Une jeunesse parisienne en Résistance », pro-duit par Images contemporaines. La projection eut lieu en présence des protagonistes : Robert Endewelt, PauletteSarcey-Sliwka, Julien Lauprêtre, qui ont félicité les auteurs pour la qualité de leur tra-vail et l’on sait combien ces témoins sont exigeants quand il s’agit d’établir les faits.D’autres déportés ou « enfants de » étaient également présents, à commencer parPierre Krasucki qui participait au débat. Lequel fut d’autant plus nourri que le film étaitplus tonique. S’il n’avait tenu qu’à nous, nous y serions encore, à débattre, à nous poser et à leur poserdes questions. Nous avons été éblouis par la beauté et la densité des images. Telle imagede grille en fer forgé est digne d’Eisenstein. Par la qualité et l’intelligence du montage.Impossible de s’ennuyer et pourtant, qui d’entre nous ne connaissait l’histoire qu’illus-trait ce documentaire. Une intervenante a déclaré : « Depuis ma naissance je vois desfilms sur les juifs, sur la résistance, sur la déportation, or là, j’ai été saisie. » Résumantl’avis général de l’assistance, témoins compris, cette historienne a récusé le « culte dutémoin », la dangereuse facilité de l’image choc qui suscite l’émotion au lieu de sollici-ter l’intelligence, dénoncé les expressions de « mémoire », « devoir de mémoire », parlant, pour sa part, d’exigence d’un travail de mémoire. « Je ne cultive pas la mémoi-re, je cherche à comprendre le passé pour mieux m’armer pour l’avenir. »L’on ne peut que saluer l’enthousiasme et l’efficacité militante des auteurs. Reste à s’in-terroger : est-ce pour cela que ce film est exclu des circuits de distribution ? NM

* Il est possible de se procurer le DVD du documentaire de Mourad Lafitte et Laurence Karsznia) à l’a-dresse suivante : http://images-contemporaines.com/wp-content/uploads/2015/07/2-Bon-de-commande

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Entretien avec Maurice Cling

2015 – Une année mémorielleLa PNM s’est entretenue avec Maurice Cling, déporté à quinze ans, sur le bilan qu’il fait des nombreuses commémorations en 2015, de l’écrasement du nazisme à la libération des camps.

rôle des résistants français dans la libé-ration du pays. On est persuadé queParis a été libéré par les Américains.André Tollet, interné communiste,évadé du camp de Compiègne, prési-dent du Comité parisien de libération,est fort peu mentionné. Le 1er mai dernier, à Dachau, la chance-lière allemande déclare : « Les nazishaïssaient tout ce qui était différent » etmasque le fait que ce premier camp naziavait été créé en 1933 comme tous lesautres camps ensuite, pour interner lessocialistes et communistes allemands,principaux opposants au nazisme. Pour expliquer, on préfère dire « le Mal », ou « l’Homme », mais lesrésistants aussi étaient des hommes. Cestermes, empruntés au vocabulaire reli-gieux, transposent ces crimes dans ledomaine du sacré. Pour expliquer, onpréfère dire « l’idéologie raciste desnazis » : c’est oublier qu’elle est juste-ment l’instrument qu’ils ont créé pourparvenir à leurs fins dernières. On ditaussi « la haine de l’Autre » : quelAutre ? Il paraît qu’il faut « enseigner lamémoire », dire la vérité : mais quellemémoire ? quelle vérité ? Certains psy-chanalystes vont même jusqu’à parlerde « pulsion de mort de l’Occident » ! En 1945, l’émotion et la sidérationdevant les photos des charniers étaientcompréhensibles. Soixante-dix ansaprès, n’est-il pas temps de faire uneétude sereine des causes ? Claude Lanzmann a joué un rôle trèsnégatif dans la mémoire de laDéportation quand il a écrit qu’essayerde comprendre Auschwitz était obscè-ne. Et dans son film « Shoah », il trai-te uniquement du comment et jamaisdu pourquoi. Devenu un des maîtres àpenser de l’Establishment juif, il apopularisé le mot Shoah repris enFrance par les médias, avec l’idéologiesous-jacente : on ne doit pas essayer decomprendre.Mais, qu’importe de savoir si l’on estarrivé là-bas en train ou à pied ? Ce quim’importe, c’est de savoir qui a conçule projet nazi du Reich de 1000 ans,quels sont les commanditaires, parexemple Krupp acquitté à Nuremberg,quelles sont les responsabilités interna-tionales des démocraties occidentales,dont la France (traité de Versailles,politique d’Apaisement, accords deMunich, etc.) ?

Propos recueillis par Claudie Bassi-Lederman

8 février 2016

* FNDIRP : Fédération Nationale des Déportés,Internés et Résistants Patriotes

NDLR Maurice Cling, Un enfant à Auschwitz,préface de Yannis Thanassekos, nouvelle édition,Éd. de l’Atelier, 2015. Voir également la vidéo deDaniel Cling, Il faudra raconter – 1939-1945.

Histoire

Ces cérémonies ont-elles revêtuun caractère particulier ?

Elles ont revêtu en France une impor-tance considérable, car c’est sans doutela dernière fois qu’y participaient dessurvivants. Pour ma part, j’ai été plussollicité que jamais dans notre pays, enAllemagne et même en Autriche. Les commémorations, comme l’a dit unphilosophe, nous renseignent plus surceux qui commémorent que sur les évé-nements commémorés. Prenons parexemple le cas de la Première Guerremondiale. On nous a parlé surtout del’aspect militaire et de la souffrance despoilus, mais pratiquement jamais descauses. Parce qu’il dénonçait ses prépa-ratifs, Jaurès a été assassiné. Il s’agissaiten fait de se repartager les débouchés etles colonies. L’Allemagne vaincue vaperdre son empire colonial au profit desvainqueurs. Si elle avait gagné, l'inversese serait produit. Les responsabilitésétaient équivalentes. On comprend queles morts allemands et français soientunis dans l’ossuaire de Douaumont. Cartous innocents ou tous coupables. C’estlà qu’en 1984 Kohl et Mitterand serecueillent pour marquer le 70e anniver-saire de la Première Guerre mondiale ense tenant par la main… En dehors decertaines analogies, il en va tout autre-ment de la Seconde Guerre mondiale.Cette fois, il y avait le nazisme, sesalliés et ses complices. C’est une guerrede valeurs et non de conquêtes.Civilisation contre barbarie. Le but estd’asservir les peuples au profit de lasoit-disant « race des Seigneurs », d’ex-terminer les prétendues « races inférieu-res » pour des raisons politiques, et nonreligieuses.

Votre point de vue sur les cérémonies de 2015 ?

Après l’Allemagne, la France a choisi le27 janvier, anniversaire de la libérationdu camp d’Auschwitz en 1945, pourcélébrer la « Journée de la mémoire del’Holocauste et de la prévention des cri-mes contre l’humanité ». Cette date aété ensuite adoptée au niveau européen,puis récemment par l'ONU. Ce n’est pasune raison pour n’y évoquerqu’Auschwitz et les juifs. Holocausteconstitue comme Shoah une confisca-tion religieuse du génocide. L’employercomme symbole d’Auschwitz restreintun événement considérable et complexequi concerne d’autres minorités et d’au-tres peuples. Et l’on va même jusqu'àécrire « libération » entre guillemets,alors qu'on ne les utilise pratiquementjamais pour celle des autres camps.Pourquoi omet-on de dire queMajdanek et Auschwitz ont été libéréspar l’Armée rouge ? Comme dans le casde Buchenwald, pourquoi dit-on si rare-ment que le camp a été libéré à l’appro-che des troupes américaines par les

déportés eux-mêmes organisés dans lecadre du Comité international de libéra-tion ? Le dernier dimanche d’avril marquela Journée nationale du souvenir desvictimes de la Déportation. Quand desrésistants disent qu’ils ont été déportés,on leur répond fréquemment : « Je nesavais pas que vous êtes juif », alors quela journée est dédiée à l’ensemble desdéportés, juifs ou non ! On tend dans les médias français à occulter abusivementla Résistance par rapport au génocide,alors que les deux événements sontcomplémentaires. Pour le compte desmêmes maîtres de Berlin, Klaus Barbieassassinait les uns et les autres (JeanMoulin et les enfants d’Izieu). Le 8 mai commémore la reddition sansconditions en 1945 de l’armée hitlérien-ne, l’écrasement du nazisme par la gran-de coalition antifasciste (USA, GB,URSS et la France, in extremis). Le pré-sident Giscard l'avait supprimée. Elle aété rétablie par la gauche en 1981 maison tente depuis lors d’en dénaturer lesens en la transformant en Journée dusouvenir et de la réconciliation enl’honneur des morts de la SecondeGuerre mondiale… Le contenu est ainsinoyé dans la notion générale de « Mortpour la France ». Le 27 mai a été institué en 2014Journée Nationale de la Résistance, quicommémore la création en 1943 duCNR sous l’égide du Général DeGaulle. Mais à quoi bon si l’on évacuele programme du CNR ? Et pourquoi nepas rappeler qu’à l’instar de JeanMoulin, qui a réussi à unir les diversmouvements de la Résistance, le com-muniste Marcel Paul et le colonel gaul-liste Manhès, déjà unis à Buchenwalddans le « Comité des intérêts français »ont maintenu cette union lorsqu’en1945 ils ont créé la FNDIRP* à leurretour ? En 2015, quatre figures de laRésistance entrent au Panthéon. Maispas un(e) seul(e) communiste, alorsqu’à la Libération le PCF, premier partide France, était présenté comme le «parti des fusillés ». Pourquoi pas Marie-Claude Vaillant-Couturier, déportéecomme résistante à Auschwitz, quitémoigna devant le Tribunal deNuremberg et fut vice-présidente del’Assemblée Nationale ? Je note qu’iln’existe à Paris aucun monument dédiéà la Résistance. L’enjeu, depuis la guer-re froide, c’est pour certains, la diaboli-sation de l’Union Soviétique et du PCF. Pour le 11 novembre, date de l’armis-tice de 1918, même procédé : on assisteau même phénomène de dénaturation. À Berlin, il existe une statue qui célèbrela souffrance des mères dont le fils sol-dat a été tué. La mère du bourreau etcelle de la victime seraient ainsi uniesdans une même souffrance ? Procédé

commode qui permet aux Allemands dedéplorer, sans aucune analyse.

Aujourd’hui, la « réconciliation »est-elle entrée dans les esprits ?

Entre le bourreau et sa victime ?Cherchez l’enjeu, quand au Parlementeuropéen Gollnisch, Cohn-Bendit,Lipietz, Cavada, Toubon, MmeTrautmann et Peillon, entre autres, pro-posent que le 23 août, date de la signa-ture du pacte de non-agression germa-no-soviétique, soit proclamée journéeeuropéenne de commémoration des vic-times du stalinisme et du nazisme. Ontait Stalingrad et les 25 millions demorts civils et militaires ; on tait la libé-ration d’Auschwitz par l’Armée Rouge; Staline est présenté comme le plusgrand criminel de l’histoire. Il faut à toutprix éradiquer les idées révolutionnaireset masquer le rôle capital joué parl’URSS dans la libération de l’Europe.En RFA, on avait libéré nombre de cri-minels nazis après la guerre. Le schémade la guerre froide (monde libre contreURSS) perdure aujourd’hui par l’amal-game entre l’Allemagne nazie etl’URSS. On ne peut en même tempsattaquer cette dernière et ceux qui l’a-vaient agressée. Le général de Gaulleavait, lui, travaillé avec les communis-tes dans la Résistance et à la Libération.Das Reich, division SS blindée d’élite,envoyée en Normandie pour contrer leDébarquement, est arrivée après labataille grâce à l’efficacité des attaquesdes résistants tout le long de son trajet.Son commandant, le généralLammerding, condamné à mort parcontumace en France pour le massacred’Oradour-sur-Glane, a fait carrièrecomme chef d’entreprise dans le bâti-ment à Düsseldorf et est mort dans sonlit sans avoir été inquiété. S’il y eut descentaines d’Oradour en Biélorussie,plus d’un million d’hommes, femmes etenfants assassinés rien qu’en Ukraine,juifs ou non, jamais on n’avait vu enFrance 400 femmes et enfants brûlésvifs dans une église ! En 2013, lors de la commémoration d’Oradour-sur-Glane,en présence du président allemand J. Gauck, François Hollande déclarait :« Vous êtes la dignité de l’Allemagned’aujourd’hui… L’amitié entre nosdeux pays est un défi à l’histoire, unexemple pour le monde entier. » Verserdes larmes de crocodile à Oradourmême, sur les lieux du crime deLammerding est indécent. D’accordpour l’amitié entre nos deux pays, maissur la base de la reconnaissance des cri-mes des nazis et de leurs complices.

70 ans après la fin de la guerre, y a-t-il une analyse des causes ?

Quelques exemples pour illustrer l’es-quive de l’analyse historique. Les men-songes de la guerre froide ont occulté le

6 Presse Nouvelle Magazine n°335 - Avril 2016

Point de vue

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« Mobile étoile »*de Raphaël Nadjari avec Géraldine Pailhas, Luc Picard…

taine appréhension, l’évolution inéluc-table de la maladie d’Ede qui se dirigevers la mort, il y a la Vie, il y a VIVREdans des instants que Judith Abitbolcapte au plus près du réel, du quotidien,au fil du temps, avec une constance à lafois précise et précieuse, avec pudeuret tendresse, comme si toute la vie étaitdans cette captation du regard, de l’œilde la caméra, qui saisit les souffles, lesvibrations, les fluctuations des senti-ments.On rit parfois, on sourit souvent dansce film, on se sourit, on danse, on seprend dans les bras, on s’embrasse,c’est un amour qui fait chavirer et quien même temps nous questionne surnos propres rapports filiaux. Qu’en est-il de la transmission ? L’objet de trans-mission est-il ce livre d’images appar-tenant à Paola enfant qu’Ede va tenterde re-déchiffrer à son tour avec tant deplaisir ? “What we call the beginning is often

the end. And to make an end is tomake a beginning.” [TS Eliot]

VIVERE - REVIV : retour aux com-mencements et recommencement.

Béatrice Courraud

Quelles tâches donc propose-t-on auxchefs restés à leur poste ? Les voici, tellesqu’elles sont définies par le Comité exécu-tif de la Troisième Internationale : a) Développer les organisations illégales; b) Étendre le réseau de la presse illégale duparti; c) Noyauter au maximum les organisationsdes partis adverses; d) Agir principalement dans les usines.Tout cela évidemment ne manque pas d’al-lure. Mais les résultats ne sont pas ce quede telles dispositions pourraient laissercroire. La nécessité où se trouvent les diri-geants restés à leur poste de se cacher et detravailler clandestinement réduit leuraction à très peu de chose, et il est mêmedouteux que leur travail puisse se prolon-ger longtemps en présence des recherchesd’une police développée à l’extrême. Sansdoute la presse communiste étrangèreannonce-t-elle à grand fracas que lesServices hitlériens ont saisi des exemplai-res de journaux ou de brochures éditésclandestinement, ce qui tendrait à démont-rer qu’une abondante littéraire révolution-naire circule sous le manteau. Mais la plu-part de ces saisies remontent aux premiersjours d’avril, et le dernier numéro de laRote Fahne (journal du KPK) illégale estdu 15 avril. S’il a été tiré, il est douteuxqu’il ait été beaucoup plus répandu. Onsignale aussi que des manifestations d’usi-nes ont eu lieu, mais les dernières sont dumois de mars. Certains “conseils d’exploi-tation” (Betriebsraete) enfin, composésd’éléments de gauche, auraient été rééluslors du dernier renouvellement, mais cerenouvellement a eu lieu il y a plus d’un

Le film se concentre sur la vie du groupe,ses difficultés à payer le loyer du studio derépétition, décrocher des subventions oudes concerts. Le groupe compte cinq artis-tes qui forment une sorte de famillerecomposée : le mari d’Hannah l’accom-pagne au piano, son fils au violon, la jeunesoprano Abigail les a rejoints ainsi qu’unedanseuse chanteuse locataire d’un studiode travail voisin. On retrouve, comme dans le Cours étran-ge des choses du même réalisateur, les ten-sions, les rapports de forces et de pouvoirqui naissent dans la famille ou le groupe. Malgré de bons acteurs, le film est inégal :nombreuses longueurs mais quelquesbeaux moments. Et si Nadjari avait confiéles personnages à de véritables musiciens,plutôt qu’à des acteurs jouant en play-back ? Le défi technique – on le sait depuisl’admirable Chronique d’AnnaMagdalena Bach de Jean-Marie Straub etDanièle Huillet (1968), où GustavLeonhardt incarnait Bach –, aurait étéautrement plus complexe, mais la cinéma-tographie et les musiques interprétéesauraient certainement gagné en vérité etintensité. Laura Laufer* Sortie le 27 avril 2016

PNM n°327 - Septembre 2015 11Presse Nouvelle Magazine n°335 - Avril 2016 7

Dans cette fiction, le réalisateur faitvivre un groupe musical « Les can-tiques » que dirige à Montréal

l’exigeante mais sensible Hannah. Elletente d’inscrire à leur répertoire la musiqueliturgique composée pour les synagoguesau XIXe et XXe siècles et confie à Samuel,son ancien professeur de musique, larecherche à Bordeaux d’une partition rare.L’art musical du judaïsme espagnol et por-tugais et celui du rite ashkénaze, s’est,comme le Requiem de Mozart ou les deuxKaddish de Ravel, laïcisé. Les musiques liturgiques d’Alkan (grandcompositeur romantique et pianiste virtuo-se à l’égal de ses amis Liszt et Chopin) oude Fernand Halphen (auteur de Dis-moi,mobile étoile ? qui donne son titre au film)appartiennent dorénavant au répertoireclassique. Les partitions de musique dessynagogues sont rares, d’autant qu’ellesn’ont commencé à être notées en Francequ’au début du XIXe siècle.

La chronique Cinéma

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Dans le cadre du Cinéma du Réel, FestivalInternational de Films Documentaires quis’est déroulé du 18 au 27 mars 2016 auCentre Georges Pompidou, festival d’unegrande diversité et d’une grande richesse,nous avons retenu le film Vivere de JudithAbitbol* (Mention spéciale du jury desBibliothèques).

Le film retrace la fin de la vie d’Ede,atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Sa fille, Paola lui rend visite dans unevallée romagnole en Italie. Histoired’une vie, histoire d’une passion entrela mère et la fille que la cinéaste JudithAbitbol filme pendant huit ans entémoin attentif, discret, avec l’œil tou-jours présent pour saisir les momentsles plus forts de cette relation fusion-nelle.Simple en apparence, le film de JudithAbitbol porte en son centre ce qu’il y aen nous de plus intime et à vif. Il pro-voque des ondes de choc au profond denous-mêmes. On peut dire que c’estl’histoire de l’amour entre une mère etsa fille, de l’attention extrême que lafille porte à sa « Mamona », commeelle l’appelle affectueusement. Mais cequi se raconte, se noue et se dénouedans cette relation va au-delà. À travers les multiples scènes au coursdesquelles l’on observe, avec une cer-

« Vivere » histoire d’une passion

Histoire

Rappelons pour mémoire l’animosité del’appareil d’État policier envers le com-munisme. « Le rôle et le sort des communistes et

des socialistes allemands.

L’effacement total des organisations mar-xistes allemandes en présence de l’hitléris-me triomphant est un fait sans précédent. Iln’est pas de dictature qui n’ait rencontré,au moins au moment de son établissement,quelques tentatives de résistance ou deréaction. Rien de pareil en Allemagne. Sides rencontres, parfois sanglantes, se pro-duisaient couramment entre racistes etrévolutionnaires de gauche – presque tou-jours communistes – lorsque le NSDAPétait un parti d’opposition, ces rencontresont radicalement cessé, dès que Hitler a eupris le pouvoir. Pourtant, à ce moment, lespartisans du nouveau Chancelier et ceuxde ses alliés nationalistes ne représentaientguère plus de la moitié de la population duReich. La partie pour les forces révolution-naires, si elle était difficile, pouvait dumoins être tentée, et il y avait en tout cas,après les appels de confiance faits à l’é-tranger par “l’Allemagne républicaine”,l’honneur à sauver. On n’a rien fait, rienentrepris. Cette question n’a pas seulementun intérêt historique. Car l’on peut sedemander ce qu’est devenue la masse, queles partis socialiste et communiste préten-daient encadrer ; quels sont les sentimentsde cette masse après la carence ou la dispa-rition des chefs. Mais il convient de distin-guer entre socialistes et communistes. Constatons tout d’abord qu’aucun diri-geant du parti communiste ne s’est incliné

devant la révolution nationale. Tous sonten prison, en fuite ou se cachent. Ce sontdes communistes surtout qui sont alléspeupler les camps de concentration. Dansces camps se trouveraient à l’heure actuel-le 50 000 révolutionnaires. Parmi les chefsincarcérés citons :• Ernst Thaelmann, leader du parti com-muniste• Ernst Torgler, chef de la fraction commu-niste au Reichstag [un des rarissimes futursrenégats, le KPD en ayant très peu comp-té, Annie Lacroix-Riz]• Willi Kasper, chef du groupe parlemen-taire au Landtag prussien• Ernst Scheller, Anton Jadasch, [Fritz]Selbmann, Willi Kunz, etc.D’autres ont cherché à gagner l’étranger.Leur conduite a été sévèrement jugée parla Troisième Internationale qui voit en euxdes “déserteurs”. Ceux qui se sont réfugiésen Russie ont reçu le conseil de retourner àleur poste et de continuer la lutte illégale-ment. D’autres ayant réussi à franchir lesfrontières occidentales du Reich ont étéinvités à rentrer en Allemagne. Ceux quis’y sont refusés, ont été exclus du parti. Ainsi à la fin du mois d’avril, l’ArbeiterZeitung, organe communiste deSarrebruck, a publié l’avis ci-après : « Ledistrict Bade-Palatinat nous demande depublier l’exclusion suivante : le député auReichstag Bennedom-Kusel, installédepuis quelques semaines en Sarre etayant reçu de la direction du district l’ord-re de rentrer en Allemagne, n’a pas déféréà cette invitation. Il a été exclu du particommuniste allemand pour lâcheté devantl’ennemi de classe ».

I. Gauche allemande et triomphe du nazisme : un jugement policier français

Extrait des archives de la Préfecture de police*, ce document de 1933 fourni à la PNM par Annie Lacroix-Riz à titre de complément àson article Pourquoi le nazisme ? paru dans la PNM n° 333, est compte tenu de sa longueur publié sur deux numéros. Première partie :

mois et aucune réaction ne s’est produitedevant les mesures de police immédiate-ment prises contre les Betriebsraete dont ils’agit.Au surplus, les chefs communistes ne peu-vent dissimuler entièrement qu’une grandepartie de leurs troupes les ont quittés ousont découragées. Le militant Erich, l’undes dirigeants de la Rote Gewerkschaft(organisation syndicale rouge) écrit lui-même dans la Rundschau, bulletin mainte-nant édité à Bâle : “La Rote Gewerk-schaftsorganisation [RGO] a extrêmementsouffert de la terreur fasciste. Cette terreura eu pour effet qu’une partie de nos cama-rades ont quitté nos drapeaux et que d’aut-res ont adopté une attitude absolumentpassive.”Si les communistes qui, répétons-le, ontfait preuve d’un cran incontestable jus-qu’en mars dernier, en sont là, on s’imagi-ne aisément jusqu’où sont allés les socia-listes. Les communistes ont toujours repro-ché aux socialistes d’être animés d’unesprit petit-bourgeois et, dans un certainsens, conservateur. Rien n’est plus vrai.Après avoir cueilli sans dommage en 1918les fruits d’une révolution arrivée à maturi-té, les socialistes allemands n’ont jamais suqu’édifier des constructions bureaucra-tiques, qui pouvaient faire illusion à l’é-tranger et dont la propagande de laDeuxième Internationale n’a pas manquéde se servir, mais qui, en réalité, étaientsans âme et parfaitement incapables de bri-ser le cours des événements trop prévisi-bles. (à suivre)* Renseignements Généraux Sûreté nationaleSN JC5. A. 4509, Paris, 18 mai 1933, F7 (fonds poli-ce générale), vol. 13430, Allemagne, janvier-juin1933, Archives nationales, dactylographié, 7 p., inextenso, passage en italique souligné dans le texte.

La librairie LA BALUSTRADE* vousinvite à rencontrer Annie Lacroix-Riz,le jeudi 12 mai à partir de 18h, à l'occa-sion de la parution de son dernier livre,Les élites françaises entre 1940 et 1944 –de la collaboration avec l’Allemagne àl’alliance américaine. Pot de l’amitié.* 25 rue d'Alsace Paris 10° - Métro Gare duNord ou Gare de l'Est (tel: 01 42 05 66 38).

* VIVERE de Judith Abitbol avec Ede Bartolozzi et Paola Valentini, 2015 / France / 109 mn.

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Vladimir Issacovitch A propos de l’articlede Gérard-Georges Lemaire, “Enquête sur un massacre” [PNM 334 page 8]Cher Monsieur, j’ai beaucoup apprécié votre intéressant article. L’immense tribudes Kaplan d’Odessa, dont ma mère, Malvina Markovna Kaplan, qui a pu émig-rer en 1926 avec son frère aîné et sa mère, a vécu les événements qui y sont évo-qués. Cependant quand vous écrivez que « de nombreuses personnes ont fuidevant l’avancée des troupes allemandes dont de nombreux juifs », il serait plusjuste de dire qu’elles ont été « évacuées » par les autorités soviétiques. LesKaplan d’Odessa se souviennent avec gratitude qu’en gare même d’Odessa, prio-rité absolue était donnée aux juifs pour monter à bord des trains en partance versles Républiques asiatiques. « Vam nada ranchié v’siekh v’poïezdié, bistro ! »répétaient les officiers en charge de l’embarquement. « Vous devez monter avanttout le monde dans ce train, dépêchez-vous ! » Ces réfugiés reviendront à Odessadès que la ville aura été reprise par l’Armée rouge. Mon grand-père Mark qui arefusé d’être évacué disparaîtra dans ce que le père Desbois décrira comme la« Shoah par balles ». Ce qui me gêne chez le bon Père, ce sont ses réflexions àpropos de l’antisémitisme qu’il a pu rencontrer sur place lors de ses enquêtes. Illes attribue au fait, je cite de mémoire, que « peu d’années nous séparent du régi-me soviétique ». Peut-être pourrait-il se demander si la tradition de pensée de sesconfrères des clergés uniate, orthodoxe, catholique, n’aurait pas plus de respon-sabilité dans ce nouvel antisémitisme. En toute amitié.

À propos de cette réaction, un ami de la rédaction, JA, témoigne :Vers la fin des années 50, je travaillais chez un patron, dans un atelier de confec-tion dont j’étais le seul ouvrier. Un jour, j’entendis une conversation entre safemme et une personne de passage. Elle lui racontait comment, native deBessarabie, elle avait pu survivre à l’avancée des nazis… Quand l’Armée rougea quitté la Bessarabie, disait-elle, les soldats disaient à la population juive :« Venez avec nous, les Allemands vont vous massacrer ». Certains n’y ont pascru, ils ont dit : « C’est encore une propagande bolchevik ». Ses parents ont hési-té, mais se sont finalement décidés à partir. Elle avait alors 18 ans. Ensuite, pen-dant la guerre, elle s’est mariée en URSS où sa première fille est née. Je ne sais pas par contre comment ils sont arrivés ensuite en France.J'imagine sans peine le sort de ceux qui sont restés sur place…

En ce mois où l’on célèbre le Printemps des Poètes et où l’on commémore lamémoire de la Déportation, en cette année où le thème du Concoursnational de la Résistance et de la Déportation a pour thème “Résisterpar l’art et la littérature”, la PNM vous propose ce courrier de l’asso-ciation “Les familles et Amis des Déportés du convoi 73” * :“Au moment où l’on célèbre le 18e « Printemps des poètes » consacré

au « XXe siècle d’Apollinaire à Bonnefoy », Mme Audrey Azoulay, ministre de laCulture et de la Communication, a écrit dans un éditorial d’ouverture : « Traductionde l’indicible, la poésie est aussi un mode de présence au monde » et « La poésieest l’une des plus belles traces de l’existence humaine ». Dans le cadre de cettemanifestation, notre association souhaite faire connaître le dernier message de vied’un déporté raflé à Périgueux et emporté dans le Convoi 73 parti de Drancy le 15mai 1944, avec 878 hommes en direction de Kaunas (Lituanie) et de Tallinn(Estonie). Cet homme, interné au 9e Fort de Kaunas, a pu laisser sur le mur d’unecellule son ultime trace de vie, par un clin d’œil à la poésie, en gravant ces quatrevers : Je me crus à Périgueux Mais je me sens à Kaunas

L’as des gueux Des gueux l’as.Ce graffiti, ainsi que d’autres, aujourd’hui disparus, avaient été relevés parM. Raymond Schmittlein, vice-président de l’Assemblée Nationale, lors de sonpassage au Fort 9 en 1961. Ils furent publiés en janvier 1963 dans « Alerte », unjournal miraculeusement sauvegardé par l’un de nos adhérents et ayant permisd’éviter le néant à ces quatre vers, ultime signe d’une existence sauvagementinterrompue.”

Culture

8 Presse Nouvelle Magazine n°335 - Avril 2016

En 2010, Umberto Eco publiait unimposant roman intitulé Le

Cimetière de Prague*. Il a voulu créerune œuvre ouvertement inspirée desromans feuilletons d’Alexandre Dumaset d’Eugène Sue. Il en a adopté et laforme et le style. Il y relate l’histoire d’unhomme, le capitaine piémontais SimonSimonini, qui est une sorte d’aventurier,entre agent secret et comploteur, un êtreambigu qui semble jouer double jeu. Sesaventures nous font revivre la saga desMille de Garibaldi, tout un pan de l’his-toire du Risorgimento qui a conduit à l’unité de l’Italie, mais aussi d’autresévénements qui concernent différentsordres religieux – surtout les jésuites –,les carbonari, les républicains deMazzini, les francs-maçons, nous entraî-nant sur un rythme trépidant jusqu’auxdernières années du XIXe siècle dans unclimat délétère de conspiration générali-sée contre l’ordre établi.Le roman est centré sur les juifs qui, mal-gré leur petit nombre, semblent être aucœur de tous les événements, commes’ils en tiraient les ficelles. LesditsIsraélites sont l’objet de la quête insenséedu héros qui ne cesse de voyager deTurin à Prague, en passant par Paris etPalerme. Un des personnages citeDostoïevski qui, convaincu que les juifsont juré la perte du monde chrétien, n’ena pas moins éprouvé de la compassionpour la diaspora. D’autres figures défi-lent : Wagner, Drumont – l’auteur de LaFrance juive, le rédacteur de La LibreParole –, les gradés de l’état-major fran-

çais qui font condamner le capitaineDreyfus pour haute trahison. Bref, Ecofinit par tisser en filigrane le récit de lamontée en puissance d’un antisémitismequi culmine avec le récit de l’affaireDreyfus.Le livre s’achève sur la rédaction desProtocoles des sages de Sion, dont lalégende veut qu’ils aient été conçus pardes rabbins réunis dans le vieux cimetiè-re juif de Prague : instrument de propa-gande redoutable qui présente les juifscomme des êtres malfaisants et dange-reux, des ennemis jurés de l’humanité.Avec beaucoup d’esprit, beaucoup d’hu-mour, avec une érudition titanesque, Ecoparvient à démonter la façon dont s’estinstaurée cette haine farouche qui adéferlé sur les communautés juivesvivant en Occident et en Russie. Ladimension ludique et donc légère de ceroman abracadabrant séduit sans doutele lecteur, par ses excès, ses invraisem-blances, ses rebondissements, ses aber-rations en tous genres. Mais c’est précisément l’emploi de cesmoyens propres à la fiction pure qui asans doute permis à Eco de toucher lecœur et l’esprit de bien des lecteurs res-tés dans l’ignorance dece moment historiquequi a conduit à ce quel’on sait : la Solutionfinale.

* Umberto Eco, LeCimetière de Prague, tra-duit en français par Jean-Noël Schifano, Grasset, 2011, 574 p. 23,35 €

Umberto Eco sur les traces del’antisémitisme

par Gérard-Georges Lemaire

filigrane. De fil en aiguille, Else finitpar dire ce qui s’est vraiment passé :ce serait Dora Diamant, la compagnede Kafka, qui aurait apporté les lettres.Ce va-et-vient épistolaire aurait durétrois semaines. Quelle morale tirer dela refonte de cette anecdote touchan-te ? En fait une seule : que l’auteur duProcès fait rêver les auteurs qui aime-raient atteindre ce qu’il a accompli, etque lui-même a toujours regardécomme un échec !

Fabrice Colin, La Poupée deKafka, éd. Actes Sud, 272 p., 20 €

* Cf., du même auteur, l’articleparu dans la PNM n° 323(02/2015) et le dernier chapitre deson ouvrage, Franz Kafka : unabiografia (Edizioni Lindau, Turin,2013, Folio)

** Haruki Murakami, Kafka sur le rivage,Belfond, janvier 2006, 618 pages, 23 €

*** Max Brod, Le royaume enchanté de l’a-mour, publié en 1928, traduction française deM. Metzger, Viviane Hamy, en 1990, 19 €

Kafka est devenu un mythe litté-raire au même titre que Proust.La plupart des grands écrivains

du siècle dernier ont parlé de lui telsCanetti, I. B. Singer, Philip Roth,Bataille, Blanchot, Kundera, ouNabokov. Il est aussi devenu un per-sonnage de roman de plus en plusrécurrent*.D’aucuns s’en servent pour le titre deleurs romans, comme HarukiMurakami**. C’est devenu le « sésa-me ouvre-toi » de la littérature depuisLe Royaume enchanté de l’amour deson ami intime Max Brod***. FabriceColin, lui, non content d’utiliser lenom de Kafka dans le titre en fait l’undes personnages de son roman. Nousmettrons de côté ici l’histoire entreune jeune fille et son père, et tout cequi tourne autour de ce roman fami-lial. Or donc Julie Spieler se rend à Berlin.Elle est absolument fascinée par unehistoire qui s’est réellement dérouléedans le jardin public de Steglitz, lequartier de Kafka : celle d’une petite

fille, toute triste d’avoir perdu sa pou-pée et que Kafka déjà bien maladeavait su réconforter en lui expliquantque sa poupée était partie en voyage,qu’elle reviendrait un jour ou l’autreet qu’elle allait lui écrire. Le lende-main, il revint au jardin avec une lett-re de la poupée. Le jeu se poursuivitpendant quelque temps. Julie rencontreune vieille dame, Else Fetchtenberg,qui prétend avoir été cette petite fille.Mais si elle lui confirme l’affaire etlui montre une poupée semblable à lapoupée égarée, elle ne veut pas luimontrer une des lettres qu’elle aconservées. La raison de ce refus ?Elle demeure absolument énigma-tique. Une relation intense se noueentre les deux femmes et Julie espèretoujours avoir le privilège de voir lamissive écrite de la main de l’écrivainpragois. Au gré de cette relation apparaissentles ombres néfastes de l’antisémitis-me des nazis, des persécutions, desdéportations, de la mort dans leschambres à gaz, évoquées presque en

« La poupée de Kafka »par Gérard-Georges Lemaire

Courrier des lecteurs

* cf. PNM n° 239 (oct. 2006), inauguration stèle “Nous sommes 900 Français” au cimetière du Père-Lachaise