Éocarrefour vol 83-4/2008 307 ségolène darly conflits...

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Ségolène DARLY INRA, UMR SADAPT Paris André TORRE INRA, UMR SADAPT Paris Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de- France (résultats à partir d’analyses de la presse quotidienne régionale et d’enquêtes de terrain) Ces conflits sont intéressants, car ils constituent un révélateur de la modification de la place accordée à une activité agricole autrefois dominante et dont le rôle en lisière des villes est aujourd’hui largement défini par des enjeux qui dépassent la production de denrées alimentaires. En effet, les politiques publiques de gestion des usages de l’espace périurbain doivent faire face à deux injonctions fortes, qui relèvent de l’intérêt général, et entrent pourtant souvent en contradiction au sein des zones périurbaines. La première est celle de la maîtrise de l’étalement urbain, rendue nécessaire par les dégradations environne- mentales et les difficultés de transports et de fourniture de services publics qui l’accompagnent. L’inconstructibilité réglementaire des terres agricoles, définie par les zonages d’urbanisme ou de protection de la nature, fait partie intégrante des moyens de contrôle de ces dynamiques d’urbanisation. Mais ces dispositifs ne peuvent être soutenus à long terme que par le maintien d’exploitations agricoles en activité, qui inscrivent dans l’espace la légitimité de la vocation agricole du territoire. La seconde injonction à laquelle doivent répondre les pouvoirs publics est l’organisation d’une offre de logements et de services suffisante, pour laquelle la libération de foncier constructible reste un préalable réglementaire incontournable. Ces deux enjeux majeurs concourent à placer les problématiques de la dynamique économique et de la La question de l’agriculture et de ses périmètres s’est depuis longtemps posée pour la géographie rurale, que l’on peut définir comme l’étude de l’organisation de l’espace rural par les sociétés h u m a i n e s 1 . Puis, suite aux mutations économiques et sociales et à leurs conséquences en termes d’espace, elle est progressivement passée de l’analyse d’une société dans laquelle l’activité agricole était fortement dominante à l’analyse d’espaces toujours davantage caractérisés par une mixité des usages, ainsi que par une extension permanente du bâti. C’est dans ce cadre qu’a pris naissance un courant d’analyse spécifique, consacré à l’étude des espaces périurbains, mais fortement empreint d’une tradition rurale et agricole. Aujourd’hui, les territoires périurbains, s’ils peuvent conserver une morphologie rurale (paysages naturels ou agricoles, faible densité de bâti), sont structurés par une organisation sociale et spatiale largement dédiée au fonctionnement de systèmes urbains proches (bourg, ville) ou éloignés (métropole), au sein desquels l’agriculture peine à trouver sa place. Il en résulte parfois des frictions et des conflits entre différentes activités (activité agricole vs activité résidentielle ou industrielle par exemple) ou différents groupes économiques et sociaux (résidents, agriculteurs, promoteurs). * Nous remercions les deux lecteurs anonymes pour leurs remarques constructives sur une première version de cet article. 1 - Elle a donc pour objet non seulement des formes d’espaces, marquées par l’ouverture, la nature et l’agricole mais aussi les processus économiques et sociaux qui déterminent ces formes. 307 ÉOCARREFOUR VOL 83-4/2008 MOTS CLÉS Conflits, gouvernance, programmes agri-urbains, terres agricoles, Presse Quotidienne Régionale, Ile- d e - F r a n c e KEY WORDS Conflicts, governance, agri- urban programs, agricultural land, regional daily newspaper, Paris Region R E S U M E L’objectif de cet article est de contribuer à la compréhension des interdépendances entre processus conflictuels et émergence de dispositifs de gouvernance innovants. L’exemple retenu est celui des Programmes agri-urbains en région Ile-de-France et de leurs liaisons avec les conflits liés à l’agriculture. Pour réaliser ce travail, nous procédons à une recension des conflits dans la Région, à partir de la Presse quotidienne régionale (PQR), avant de nous pencher plus spécifiquement sur le cas des périmètres des Programmes agri-urbains, à l’aide de méthodes d’entretiens directs ou d’analyse de documents. La première partie met en évidence la diversité et la nature des conflits recensés en Ile-de-France par l’analyse de la PQR : les principaux conflits concernent avant tout l’usage de réserve foncière des terres agricoles. La deuxième partie revient sur les spécificités des conflits en fonction de leur localisation à l’intérieur ou dans le voisinage des périmètres de programmes agri-urbains, avec la mise en évidence d’un certain effet de report spatial de la conflictualité. La troisième partie révèle le lien entre processus conflictuels et création de dispositifs innovants, à partir d’un retour historique sur les évènements et les motivations qui ont abouti à la création des programmes agri-urbains. A B S T R A C T The aim of this paper is to describe the relationship between conflictive processes and the emergence of innovative local governance tools. We analyse the example of “agri-urban programmes” in the Paris metropolitan region and their relation to spatial conflicts linked to agriculture. The existence of these conflicts is ascertained from the reading of regional daily newspapers of Ile-de-France, and their comparison with other documents and the results of field interviews with local actors. The first part of the paper reveals that most of the conflicts reported in the press are linked to the loss of agricultural land tenure. The second part looks at the particularities of conflictive processes depending on whether they are located within or adjacent to the spatial limit of an agri-urban programme. The third part reveals the relation between local conflictive processes and the creation of innovative governance tools by considering the events and motivations leading to the creation of agri-urban programmes.

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Page 1: ÉOCARREFOUR VOL 83-4/2008 307 Ségolène DARLY Conflits …andre-torre.com/pdf/PDFpub168N1.pdfconflits entre ville et agriculture sont fondés, d’une part sur la cartographie des

Ségolène DARLY

INRA, UMR SADAPTParis

André TORRE

INRA, UMR SADAPTP a r i s

Conflits liés aux espaces agricoles et

périmètres de gouvernance en Ile-de-

France (résultats à partir d’analyses de la presse quotidiennerégionale et d’enquêtes de terrain)

Ces conflits sont intéressants, car ils constituent unrévélateur de la modification de la place accordéeà une activité agricole autrefois dominante et dontle rôle en lisière des villes est aujourd’huilargement défini par des enjeux qui dépassent laproduction de denrées alimentaires. En effet, lespolitiques publiques de gestion des usages del’espace périurbain doivent faire face à deuxinjonctions fortes, qui relèvent de l’intérêt général,et entrent pourtant souvent en contradiction ausein des zones périurbaines. La première est cellede la maîtrise de l’étalement urbain, renduenécessaire par les dégradations environne-mentales et les difficultés de transports et defourniture de services publics qui l’accompagnent.L’inconstructibilité réglementaire des terresagricoles, définie par les zonages d’urbanisme oude protection de la nature, fait partie intégrantedes moyens de contrôle de ces dynamiquesd’urbanisation. Mais ces dispositifs ne peuventêtre soutenus à long terme que par le maintiend’exploitations agricoles en activité, qui inscriventdans l’espace la légitimité de la vocation agricoledu territoire. La seconde injonction à laquelledoivent répondre les pouvoirs publics estl’organisation d’une offre de logements et deservices suffisante, pour laquelle la libération defoncier constructible reste un préalableréglementaire incontournable. Ces deux enjeuxmajeurs concourent à placer les problématiquesde la dynamique économique et de la

La question de l’agriculture et de ses périmètress’est depuis longtemps posée pour la géographierurale, que l’on peut définir comme l’étude del’organisation de l’espace rural par les sociétésh u m a i n e s1. Puis, suite aux mutationséconomiques et sociales et à leurs conséquencesen termes d’espace, elle est progressivementpassée de l’analyse d’une société dans laquellel’activité agricole était fortement dominante àl’analyse d’espaces toujours davantagecaractérisés par une mixité des usages, ainsi quepar une extension permanente du bâti. C’est dansce cadre qu’a pris naissance un courant d’analysespécifique, consacré à l’étude des espacespériurbains, mais fortement empreint d’unetradition rurale et agricole.

Aujourd’hui, les territoires périurbains, s’ilspeuvent conserver une morphologie rurale(paysages naturels ou agricoles, faible densité debâti), sont structurés par une organisation socialeet spatiale largement dédiée au fonctionnement desystèmes urbains proches (bourg, ville) ouéloignés (métropole), au sein desquelsl’agriculture peine à trouver sa place. Il en résulteparfois des frictions et des conflits entre différentesactivités (activité agricole v s activité résidentielleou industrielle par exemple) ou différents groupeséconomiques et sociaux (résidents, agriculteurs,promoteurs).

* Nous remercions les deux

lecteurs anonymes pour leurs

remarques constructives sur

une première version de cet

article.

1 - Elle a donc pour objet non

seulement des formes

d’espaces, marquées par

l’ouverture, la nature et

l’agricole mais aussi les

processus économiques et

sociaux qui déterminent ces

formes.

307ÉOCARREFOUR VOL 83-4/2008

MOTS CLÉS

Conflits, gouvernance,

programmes agri-urbains,

terres agricoles, Presse

Quotidienne Régionale, Ile-

d e - F r a n c e

KEY WORDS

Conflicts, governance, agri-

urban programs, agricultural

land, regional daily

newspaper, Paris Region

R E S U M E

L’objectif de cet article est de contribuer à la compréhension des interdépendances entre processus

conflictuels et émergence de dispositifs de gouvernance innovants. L’exemple retenu est celui des

Programmes agri-urbains en région Ile-de-France et de leurs liaisons avec les conflits liés à

l’agriculture. Pour réaliser ce travail, nous procédons à une recension des conflits dans la Région, à

partir de la Presse quotidienne régionale (PQR), avant de nous pencher plus spécifiquement sur le

cas des périmètres des Programmes agri-urbains, à l’aide de méthodes d’entretiens directs ou

d’analyse de documents. La première partie met en évidence la diversité et la nature des conflits

recensés en Ile-de-France par l’analyse de la PQR : les principaux conflits concernent avant tout

l’usage de réserve foncière des terres agricoles. La deuxième partie revient sur les spécificités des

conflits en fonction de leur localisation à l’intérieur ou dans le voisinage des périmètres de

programmes agri-urbains, avec la mise en évidence d’un certain effet de report spatial de la

conflictualité. La troisième partie révèle le lien entre processus conflictuels et création de dispositifs

innovants, à partir d’un retour historique sur les évènements et les motivations qui ont abouti à la

création des programmes agri-urbains.

A B S T R A C T

The aim of this paper is to describe the relationship between conflictive processes and the

emergence of innovative local governance tools. We analyse the example of “agri-urban

programmes” in the Paris metropolitan region and their relation to spatial conflicts linked to

agriculture. The existence of these conflicts is ascertained from the reading of regional daily

newspapers of Ile-de-France, and their comparison with other documents and the results of field

interviews with local actors. The first part of the paper reveals that most of the conflicts reported in

the press are linked to the loss of agricultural land tenure. The second part looks at the

particularities of conflictive processes depending on whether they are located within or adjacent to

the spatial limit of an agri-urban programme. The third part reveals the relation between local

conflictive processes and the creation of innovative governance tools by considering the events and

motivations leading to the creation of agri-urban programmes.

Page 2: ÉOCARREFOUR VOL 83-4/2008 307 Ségolène DARLY Conflits …andre-torre.com/pdf/PDFpub168N1.pdfconflits entre ville et agriculture sont fondés, d’une part sur la cartographie des

conflits en termes de spécialisation d’espaces etde repli de certains territoires (de « clubbisation »,Charmes, 2005) au sein d’entités urbaines oumétropolitaines plus vastes.

Cet intérêt renouvelé pour les processusconflictuels tient peut-être au fait que le rapport deforce, qui prévalait dans les années 1970 et 1980,s’est inversé et que les oppositions locales sontaujourd’hui capables de bloquer de nombreuxprojets d’aménagement locaux ou métropolitains(Lecourt, 2003). À l’inverse, les ruralistes ont peu àpeu délaissé les grandes études quantitatives surles conflits pour multiplier les études de cas,s’attachant à montrer comment de nouveauxterritoires hybrides voient le jour et peuvent êtreinterprétés comme issus de crises salutaires entreacteurs locaux (Gerber, 2004). Ces territoires sontalors considérés comme des modèles expérimen-taux qui permettent de penser la durabilité dessystèmes agricoles à l’échelle de territoiresurbains communaux ou intercommunaux. Laméthode rend cependant difficile la montée engénéralité de la réflexion, qui ne peut s’opérerqu’en articulant différentes échelles d’analyse.

Ruralistes et urbanistes se retrouvent donc sur unobjet d’étude commun, mais avec des méthodeset des approches différentes, à l’exception decertaines collaborations remarquables, commel’édition récente d’un ouvrage commun dédié à laquestion des interdépendances entre conflits etterritoires (Mélé, 2004), ou encore le programmede recherche mené de manière spécifique sur lesconflits urbains dans la ville de Québec, par desaménagistes de l’Université Laval (Joerin et al. ,2 0 0 5 ) .

Le présent article s’inscrit dans cette dynamiquede rapprochement de méthodes quantitatives etd’analyses locales, à la suite des recherchesmenées par un groupe d’étude sur les conflits(Torre et al., 2006), et plus particulièrement dans lalignée des travaux utilisant l’outil de la Pressequotidienne régionale (PQR) (Jeanneaux, 2001 ;Lefranc et Torre, 2004 ; Torre et Lefranc, 2006). Ilapplique à un même terrain d’étude, l’Île-de-France, deux niveaux d’analyse des conflits, àsavoir l’analyse de la PQR d’une part etl’exploitation d’entretiens à dire d’experts et dedocuments de l’autre. Le sujet retenu est celui dela relation entre les conflits liés à l’agriculture et lamise en œuvre des « programmes agri-urbains ».

L’Île-de-France est, de très loin, la plus importanterégion métropolitaine française, et n’est compa-rable qu’avec deux ou trois aires urbaines de lamême envergure en Europe. Région capitale, sonorganisation spatiale en fait l’archétype del’agglomération radioconcentrique, seulementperturbée par des excroissances urbaines en« doigts de gant » qui respectent les vallées duréseau hydrographique convergeant de la Seine,de la Marne et de l’Oise. Les tensions inhérentes àla proximité d’activités antagoniques, propres à lamultifonctionnalité des espaces périurbains, y

réglementation spatiale des activités agricoles aucœur du débat sur le fonctionnement et lagouvernance des territoires périurbains.

Il n’est donc pas étonnant que la géographie sesoit essentiellement intéressée, au sein de cespérimètres « intermédiaires », aux enjeux de lamaîtrise des espaces ouverts, agricoles ou naturelset aux conflits qui s’y engagent. Après avoir mis enévidence la disparition problématique des terresagricoles aux alentours des villes, en lien avecl’expansion d’une urbanisation globale de lasociété, certains auteurs ont montré, dès la fin desannées 1980, comment les communautés localessont capables de résister à ces phénomènes, alorsmême que l’on décrit des rapports de forcelargement en faveur de la ville2. On met alors enexergue les incompatibilités spatiales entre ville etagriculture et les oppositions entre communautésrurales « autochtones » et société urbaine. Lesdifférents groupes sociaux d’acteurs ainsiidentifiés relèvent d’une sociologie descommunautés rurales : l’hétérogénéité desprocessus de résistances étant bien le signe qu’ilssont fortement dépendants des permanenceshistoriques et culturelles héritées des commu-nautés rurales locales. On y retrouve notamment,sous forme de groupes sociaux, les notables, lesagriculteurs, les élus et les résidents non-agriculteurs, avec leurs capacités d’action et lesinteractions sociales qui les caractérisent. Entermes de méthodologie, ces travaux sur lesconflits entre ville et agriculture sont fondés, d’unepart sur la cartographie des dynamiques spatialeset sur de nombreuses enquêtes qualitatives,certaines réparties sur l’ensemble du territoirenational (Cadène, 1990).

Dans les années 1990, la géographie rurale desespaces périurbains met plutôt en évidence lescomplémentarités fonctionnelles entre espacesruraux et systèmes urbains, en empruntantplusieurs concepts à l’économie (externalitésnégatives, production d’aménités rurales…). Ens’attachant à l’étude d’objets plutôt consensuelscomme la notion de projets de paysage ou deterritoire, elle délaisse l’analyse des conflits. Lareconnaissance du fait que les espaces concernéssont toujours l’objet d’enjeux forts et parfoiscontradictoires entre les différents acteurs enprésence passe alors par l’identification positive duconcept de multifonctionnalité, des activités, puisdes territoires (Donadieu, 2000).

Depuis la fin des années 1990, les conflits dans lesespaces ruraux périurbains redeviennent un objetd’étude pour les géographes ruralistes,notamment en raison de la montée depréoccupations environnementales qui serépercutent dans le périurbain (Charlier, 1999).Dans le même temps, les urbanistes développentdes programmes de recherche sur la question desconflits d’aménagement et d’urbanisme quicaractérisent les modalités de gestion des espacesouverts périurbains. Urbanistes et aménageurs sefocalisent généralement sur les conséquences des

308 Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-FranceVOL 83-4/2008

2 - Nous faisons ici référence

aux travaux de Ph. Cadène,

réalisés dans les années 1980

sous la direction de B. Kayser

(Cadène, 1990).

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CONFLITS D’USAGE DES ESPACES AGRICOLES :

LES RÉSULTATS DE L’ANALYSE DE LA PQR EN

RÉGION ÎLE-DE-FRANCE

Afin d’observer et de rendre compte de la diversitédes conflits sur l’ensemble de l’Ile-de-France, nousavons choisi de les recenser à partir des articles duquotidien régional Le Parisien. La PQR (Pressequotidienne régionale) est le deuxième média leplus diffusé après la télévision et elle se trouvegénéralement en situation de quasi-monopole surson territoire de diffusion. C’est donc en grandepartie par ce biais qu’est publicisée et partagéel’actualité locale. La fine granularité temporelle dutraitement des évènements, sur la base d’uneparution quotidienne, en fait aussi une source quipeut s’avérer très riche dans des situationsnécessitant un suivi journalier ou hebdomadaire.Enfin, disponible dans chacune des régions deFrance, et de nombreux autres pays, elle autoriseune approche comparative entre des contextesgéographiques et régionaux très variés.

Plusieurs résultats de recherche ont validé l’utilitéde ce matériau sur des objets d’étude similaires,les testant a posteriori par des méthodes derecoupement d’informations (Joerin, 2005 ; Ley,1980). Cette source présente toutefois des biaisinformatifs, qui rendent les résultats de sonexploitation tributaires de choix d’investigation etde publication difficilement quantifiables. Lessujets publiés sont en effet déterminés par ladisponibilité et les réseaux de veille desjournalistes, mais aussi par la ligne éditoriale dechaque journal (Torre et Lefranc, 2006).

La méthode – Le recensement des conflits v i a l a

P Q R

La sélection des articles s’est faite sur la base decritères permettant de différencier les situations desimple tension des phases conflictuelles. Si lesrapports d’antagonisme entre les différents usagesde l’espace génèrent une multitude de tensionsentre acteurs, les analyses empruntant à la théoriedes jeux (Caron et Torre, 2005) proposent demobiliser la notion d’engagement crédible pourdistinguer le conflit de la tension. L’engagement sedécline selon des modalités plus ou moinsinstitutionnalisées (prise de parole, signaux écrits,lettres recommandées, procédures adminis-tratives…) et plus ou moins radicales (voie de fait,panneaux d’interdiction, barrière…). Pour êtrecrédible, cet engagement nécessite cependant uninvestissement de nature monétaire ou plushédonique. Il constitue une contrainte que lesacteurs s’imposent et qui engage leurpositionnement dans l’avenir.

Afin de recenser les processus d’oppositionmarqués par l’engagement crédible d’un acteur,nous avons consulté les articles rédactionnels dujournal Le Parisien contenus dans son éditionrégionale et dans chacun des cahiersd é p a r t e m e n t a u x3, pour les années 2003, 2004 et

sont les plus diverses et les plus aigües, en raisonde la rareté (et donc de la cherté) de l’espace, maisaussi de la diversité forte des activités productiveset des populations. Par ailleurs, la région Île-de-France est, en France, la première collectivité àavoir reconnu les enjeux régionaux d’unaménagement durable de l’espace qui permette laconservation des terres agricoles et la survie desexploitations agricoles. Le signe le plus récent decet engagement est la reconnaissance et le soutiend’initiatives locales pour le maintien des espacesagricoles sur des territoires intercommunauxparticulièrement exposés à la pression urbaine.Ces initiatives ont été labellisées par la région sousun même nom générique, les « programmes agri-urbains », qui ne doit pas masquer la diversité desdispositifs mis en place.

L’objectif de cet article est d’évaluer lesinterdépendances fonctionnelles entre la créationdes programmes agri-urbains et lescaractéristiques des conflits d’usage en Île-de-France. Nous cherchons pour cela à vérifier deuxhypothèses : 1) la première concerne l’impact de la création desprogrammes agri-urbains sur la nature des conflitslocalisés à l’intérieur et à l’extérieur de cespérimètres de gouvernance. Notre hypothèse estque les conflits localisés à l’intérieur despérimètres traduisent les processus de régulationcaractéristiques des dispositifs réglementaires desprogrammes, alors que les conflits localisés àl’extérieur des périmètres révèlent un effet dereport de certains objets particulièrementpolémogènes au sein de territoires moinsréglementés que ceux des programmes agri-urbains ;2) la seconde concerne l’impact des conflitsd’usage sur la création des programmes agri-urbains. Notre hypothèse est que l’extensionspatiale et les actions soutenues par cesprogrammes sont issues de processus conflictuelsterritoriaux. Les programmes agri-urbains seraientles produits de coordinations entre acteurs établiesà l’occasion de processus conflictuels caractéris-tiques des antagonismes d’usage d’un territoire, etparticiperaient, parallèlement au développementd’actions coopératives, à la régulation de cesa n t a g o n i s m e s .

La première partie du texte, a pour objectif demettre en évidence la diversité et la nature desconflits d’usage des espaces agricoles, recensés enÎle-de-France grâce à l’analyse de la Pressequotidienne régionale. La deuxième partie, quivérifie la première hypothèse, revient sur lesspécificités des conflits en fonction de leurlocalisation à l’intérieur ou dans le voisinage despérimètres de programmes agri-urbains. Latroisième partie est consacrée à la secondehypothèse ; elle révèle le lien entre processusconflictuels et création de dispositifs innovants àpartir d’un retour historique sur les évènements etles motivations qui ont abouti à la création desprogrammes agri-urbains.

309Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-France VOL 83-4/2008

3 - Soit : Seine-et-Marne (77),

Yvelines (78), Essonne (91),

Hauts-de-Seine (92), Seine-

Saint-Denis (93), Val-de-Marne

(94) et Val-d’Oise (95). Les

cahiers départementaux de

Paris (75) et de l’Oise

(département de la région

Picardie), ont été exclus de la

consultation.

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4 - www.europresse.com

5 - Ce travail a été réalisé par

S. Darly. La sélection s’est

effectuée en deux temps. Une

première sélection, issue du tri

automatique des textes

numérisés à partir des mots

clefs « agri* » et « rur* », a fait

l’objet d’une consultation

manuelle pour ne retenir que

les informations relatives aux

conflits d’usage qui nous

intéressaient.

6 - La lourdeur de la méthode

de dépouillement n’a pas

permis d’étendre le

recensement à davantage

d’années, mais la taille du

corpus a été jugée suffisante à

une analyse de la diversité et

de la distribution spatiale des

conflits.

7 - En l’absence d’éléments de

localisation homogènes pour

l’ensemble des cas observés,

l’indexation spatiale des

conflits se fonde sur la notion

d’espace support du conflit,

qui désigne le périmètre au

sein duquel les usages sont

incompatibles (Charlier, 1999).

Il est déterminé d’une part par

les caractéristiques matérielles

de l’objet (existant ou en

projet) du conflit, mais aussi

par l’ensemble des surfaces

où les usages ont été

identifiés en concurrence. On

a ainsi pu rattacher à chaque

conflit la liste des communes

sur lesquelles se trouvaient les

espaces support du conflit,

tels qu’ils étaient désignés

dans l’article.

(décharges, incinérateurs), quatre à la productionet au transport d’énergie (éoliennes,transformateur), deux à l’ouverture de site decarrière, quatre au logement (HLM ou airesd’accueil des gens du voyage), trois àl’implantation de bâtiments de service public(prison, collège), et enfin sept à des infrastructuresde loisir et de tourisme. En comparaison, lesusages contestés concernant directement l’activitéagricole sont peu nombreux (seulement 9 conflitssur les 44). Ils concernent l’épandage des bouesde station d’épuration (4), certains choixtechniques agricoles jugés à risque (pesticides,OGM, forage agricole, au nombre de 4), ainsi quela gêne occasionnée par les activités de transportsde productions agricoles (betteraves).

Les conflits d’usage des espaces agricoles ditscuratifs ont pour cause principale la dégradationdes ressources exploitables pour l’agriculture pardes usages non-agricoles (23 conflits sur 41 autotal). Il s’agit principalement de l’implantationtemporaire de caravanes (9), de la constructionillégale et non désirée de résidences oud’aménagements (3+1), du stockage ou de lagestion de déchets jugés à risque (incinérateur,déchetterie, ferrailleur, 5), mais aussi de lapratique de sports motorisés (1) ou d’activités enplein air (4, dont la chasse dans des grandsdomaines privés). Notons que ces usages ne sontpas spécifiquement en lien avec l’activité agricole,mais qu’ils bloquent très spécifiquement desterres en jachère ou à vocation agricole. Dans unemoindre proportion, les conséquences desactivités agricoles sur l’état des ressourcesenvironnementales sont aussi à la base de septconflits, pour lesquels les pratiques agricoles sontremises en cause par la population.

Les argumentaires développés par les acteursmettent essentiellement en lumière lesincompatibilités entre les usages contestés et lesusages résidentiels des espaces voisins. Mêmelorsque la disparition des terres agricoles est enjeu, les contestataires invoquent en priorité lesimpacts de ces disparitions sur le cadre de vie et lepaysage, plus que sur les conditions d’exploitationagricole elles-mêmes.

Localisation des espaces de conflits

On observe trois situations géographiques (fig. 1).Premièrement une couronne, à peu prèscomplète, à l’exception de sa portion Nord-est,d’espaces de conflits qui se répartissent dans lacontinuité ou le voisinage proche del’agglomération dense centrale. Deuxièmement,une aire conflictuelle massive, qui se développeau sein du département des Yvelines, 30 à 40 km àl’Ouest de Paris, et semble prise en tenaille entrela vallée de Jouars-Pontchartrain (limite Ouest duPNR de la haute Vallée de Chevreuse) et la ville deMantes-la-Jolie (limite Sud du PNR du Vexin).Enfin, une succession d’aires conflictuelles plusponctuelles, qui s’étendent en chapelet selon undemi-cercle recoupant les trois départements des

2005. Le dépouillement a été effectué depuis unserveur de diffusion des articles rédactionnelsnumérisés des principaux quotidiens nationaux etr é g i o n a u x4, accessible depuis la Bibliothèquepublique d’information (Paris)5. Un conflit d’usagede l’espace est inclus dans notre c o r p u s s’il répondà trois conditions : l’usage contesté est en lien avecl’agriculture ou les filières agricoles, l’usagecontesté entrave le bon déroulement del’exploitation agricole de l’espace, la vocationagricole de l’espace est menacée par les usagescontestés. Bien que ne nous permettant pasl’accès à l’infographie, la recherche des articles v i aune procédure semi-automatique de filtre parmots clefs a permis de retenir, dans un premiertemps, un total de 168 articles relatant 85situations d’oppositions entre acteurs6.

À partir de ces articles et pour chaque « affaire »,ont été relevés, et intégrés dans une base dedonnées relationnelle, les éléments suivant : lamatérialité du conflit (dans l’espace7 et le temps),les acteurs, leurs motifs et les manifestations duconflit. Ainsi, nous avons pu identifier les 177communes au sein desquelles sont localisés lesespaces concernés par les 83 conflits. Deux conflitsn’ont pu être localisés à l’échelle des communescar les indications géographiques données dansl’article ne contenaient pas les précisionsnécessaires.

Les caractéristiques des conflits d’usage des

espaces agricoles en zone périurbaine francilienne

L’exploitation des données de la PQR permetd’obtenir un certain nombre de résultatsconcernant le niveau de conflictualité dans larégion Île-de-France. Il s’agit aussi bien de résultatsgénéraux, que d’éléments concernant plusspécifiquement l’activité agricole et les usages desterres agricoles.

Les usages contestés lors des conflits d’usage desespaces agricoles : une faible contestation del’activité de production agricole

L’analyse des caractéristiques des usagescontestés permet de constater que certains conflitsémergent avant même la mise en œuvre, ou enprévention d’une action jugée contraire auxintérêts d’une partie de la population, alors qued’autres conflits résultent au contraire desconséquences avérées de certains usages passésou actuels d’une portion du territoire. Les conflitspréventifs, où les usages contestés sont anticipés,ont été distingués des conflits curatifs (pourreprendre une terminologie du traitementmédical), où les conséquences des usagescontestés sont constatées et avérées.

Si l’on suit cette distinction, on constate que lamajeure partie des conflits d’usage des espacesagricoles dits préventifs (soit 31 conflits sur 44) estliée à la création d’infrastructures urbaines,permanentes ou temporaires : sept sont liés autransport routier, quatre à la gestion des déchets

310 Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-FranceVOL 83-4/2008

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8 - Les termes « périurbaines »

et « rurales » font ici référence

à la typologie des communes

franciliennes élaborée par

l’Institut d’aménagement et

d’urbanisme de la région Île-

de-France (IAURIF), sur la base

d’une image d’occupation des

sols et de données

démographiques de l’INSEE.

géographie, ce sont les acteurs en opposition quien déterminent avant tout les conditionsd’apaisement ou de résolution.

Ces acteurs contestataires ont un impact nonnégligeable sur l’engagement et la structuration dela contestation. Les plus présents sont les élus (71sur 208 acteurs contestataires), majoritairementcommunaux (60), qui peuvent avoir un doublemandat, mais aussi départementaux, commu-nautaires (4) et nationaux (7). Agissant le plussouvent en alliance avec ces élus, les associationsde défense de l’environnement et du cadre de vie(44 sur 208) forment aussi une part importante ducorpus des acteurs les plus actifs dans lacontestation, y compris pour certaines associa-tions militantes nationales (8). Dix-sept acteurscontestataires se définissent comme agriculteurs.Enfin, mais dans des proportions moinsimportantes, les organisations syndicales agricoleset les chambres consulaires (10), les préfectures etservices déconcentrés de l’État (7), lespropriétaires fonciers (6), ainsi que deux acteurséconomiques font également partie des groupesd’acteurs contestataires (structures d’hébergementet entreprise de construction).

Les acteurs contestés sont là encore en grandepartie des élus locaux (23 sur 112 acteurscontestés), majoritairement des élus communaux,mais aussi des représentants de l’autorité publiquenationale, tels que la préfecture (10) ou les servicesdéconcentrés de l’État (3). Les acteurs privésdirectement usagers de l’espace sontnaturellement aussi visés par les actes decontestation. On retrouve parmi ceux-ci lesprofessionnels du secteur de la gestion desdéchets (13), mais aussi les exploitants agricoles(8, dont une partie est en lien avec l’épandage deboues), les acteurs industriels des secteurs de lamanufacture, de l’extraction ou du BTP (5), et de la

Yvelines, de l’Essonne et de la Seine-et-Marne,entre 40 et 55 km de Paris, au sein de ce que l’ondésigne comme la couronne rurale parisienne.

Les espaces supports de conflits se répartissentsur 177 communes, c'est-à-dire plus de 10 % descommunes franciliennes (hors Paris). Cescommunes sont essentiellement localisées dans ledépartement des Yvelines (47,4 %), en Seine-et-Marne (24,4 %), dans l’Essonne (17,7 %), le Vald’Oise (8,1 %) et de manière presque anecdotiquedans les départements de Seine-Saint-Denis (2c o m m u n e s ) .

L’analyse de corrélations spatiales (Darly, 2007)montre que les espaces concernés par des conflitsse répartissent en proportion égale entre lescommunes périurbaines et les communes àmorphologie rurale marquée8. Si l’on rapporte cechiffre à la taille de chaque zone, la densitéd’espaces concernés par les conflits semble plusimportante au sein de la zone périurbaine.Toutefois, si l’on pondère ce résultat par lapopulation totale de chaque zone, on constate quele nombre de conflits par habitant est nettementplus élevé en zone rurale, notamment au sein descommunes rurales à vocation résidentielle. Lesconflits montrent ainsi une apparente sur-réactivitédes populations des communes résidentiellesrurales, qui doit cependant être mise enperspective avec les phénomènes de sur-représentativité territoriale qui caractérisent ceszones (le rapport élus/résidents y est plus élevéqu’en zone plus densément peuplée).

Les groupes d’acteurs en opposition :professionnalisation de l’urbanisme etprédominance des collectifs

Le conflit est un processus social. Si les usages enopposition sont des éléments clefs de sa

311Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-France VOL 83-4/2008

Figure 1 : Localisation des

espaces de conflits

La taille des points est

proportionnelle au nombre de

conflits qui touchent une

commune. Remarque : un

conflit qui s’étend sur plusieurs

communes sera représenté

par autant de points que de

communes concernées. Les

ensembles de communes

contigües concernées par le

même conflit sont figurés en

hachure.

Réalisation : Darly, 2008.

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(intervention subie lors de projets d’aménage-ments ou suscitée dans les situations de non-respect des lois et règlements), d’autre part par lesimportantes concurrences et rivalités qui sedéveloppent entre collectivités territorialesvoisines (qui sous-tendent les processus dedifférenciation et de spécialisation des territoirespériurbains actuels). Les conflits d’usage desespaces agricoles sont très peu suscités par lacontestation des activités de production. Ces casrestent minoritaires face aux conflitsd’aménagement et d’urbanisme qui mettent enjeu des espaces à vocation agricole. Ceci se traduità la fois par une discrétion remarquable desacteurs agricoles au sein des processusconflictuels relevés, et par une implicationpermanente des usages des terres agricoles dansles processus conflictuels.

LE LIEN SPATIAL ENTRE CONFLITS ET

PÉRIMÊTRES DE PROGRAMMES AGRI-URBAINS

EN ÎLE-DE-FRANCE

Expérimentés de façon informelle depuis lesannées 1970 en Île-de-France, mais aussi dansdifférentes autres Régions, les programmes agri-urbains sont les derniers nés des outils de« conservation » des espaces ouverts autour desgrandes agglomérations. Destinés plusparticulièrement à la préservation des espacesagricoles, ils ont été reconnus officiellement enjuillet 2001 par le Comité interministérield’aménagement et de développement du territoire(CIADT), à travers l’accompagnement financieraccordé à sept d’entre eux en Ile-de-France. Cesdispositifs ont notamment inspiré les« dispositions relatives à la protection des espacesagricoles et périurbains » de la nouvelle loi relativeau développement des territoires ruraux de 2005.Ils s’articulent autour de la notion de « projet deterritoire » et s’appuient sur des démarchessouples et partenariales, qui permettent d’associerplusieurs acteurs ; collectivités territoriales,association locale, Chambre d’agriculture,exploitants agricoles locaux. Ils font l’objet decoordinations entre ces différents acteurs et sontles lieux d’expérimentation d’outils de gestion desespaces agricoles. La définition concertée d’unprojet de territoire par l’ensemble des acteursdonne lieu à la construction et l’adoption d’unprogramme d’action, financé pour plusieursannées et que l’ensemble des partenairess’engage à soutenir et à respecter.

À ce titre, les programmes agri-urbains seprésentent souvent comme des outils de gestion,de prévention et d’arbitrage des conflits d’usagedes espaces agricoles. On pourrait donc s’attendreà ce qu’une corrélation (positive ou inverse) sedégage entre aires conflictuelles et périmètres deprojet. C’est cette relation qui est testée ici, enconfrontant les périmètres des programmes,engagés ou en projet en juillet 2005 avec lesrésultats issus des recherches à partir des articlesde la PQR publiés entre 2003 et 2005.

fourniture d’énergie (4). Le milieu associatif estaussi contesté, notamment certaines structuresculturelles, sociales (d’insertion des gens duvoyage) ou de chasse (7).

Les couples d’opposition les plus fréquemmentrencontrés sont : collectivités contestant lesreprésentants de l’autorité publique nationale,pour partie soutenus par des associations (environ30 conflits), associations contestant l’action desélus de collectivités locales, notamment lorsqueces derniers font la promotion d’usages nondésirés (environ 20 conflits), élus de collectivitéscontestant d’autres élus de collectivités, souventvoisines ou de rang supérieur (environ 20 conflits),élus de collectivités contestant des acteurs privésdes services marchands, souvent en coordinationavec des associations (environ 20 conflits).Cependant, ces catégories, regroupant lesoppositions d’acteurs par grands types, n’épuisentpas la grande diversité des coordinationsrencontrées, qu’elles soient de nature coopérativeou conflictuelle.

Les modes d’opposition mobilisés : l’actioncontentieuse appuyée par une grande diversitéd’actions démonstratives

Parmi les conflits relatés dans la PQR, le recourscontentieux est le moyen d’action privilégié par lesacteurs contestataires (déposé ou évoqué dans 43conflits), même s’il ne reste qu’à l’état de menacepour une petite partie des acteurs (5 cas). Lacréation d’une association circonstancielle,observée dans 10 conflits, est également souventfortement liée à la menace d’actionsc o n t e n t i e u s e s .

Parallèlement à ces actions ou menaces d’actionscontentieuses, les campagnes de communicationciblées et d’affichage stratégique (42), ainsi que lesactions démonstratives (pétitions, manifestations,banderoles, etc), qui demandent une coordinationplus importante (31) sont mobilisées trèsfréquemment, de façon privilégiée par lesparticuliers et les associations locales. Les élus oules représentants de l’autorité publique nationaleagissent plutôt dans le cadre des procéduresadministratives existantes (35) ou mettent en placedes outils de réglementation, lorsqu’ils en ont lescompétences (10). Dans certains cas, les acteursqui en ont le pouvoir (élus, propriétaires ourésidents) préfèrent intervenir directement surl’espace (actions techniques) (12), ou encore faireintervenir des agents de police afin de fairerespecter un droit (10). C’est notamment le cas desconflits liés à l’occupation de terres par descampements de caravanes, pour lesquelsl’expulsion préfectorale avec intervention policièreconstitue une modalité d’action privilégiée par lesélus communaux.

Les conflits relatés dans la PQR sontprincipalement marqués, d’une part, parl’intervention de l’État au sein des territoires locaux

312 Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-FranceVOL 83-4/2008

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communes se sont plus fortement engagées qued’autres dans la mise en œuvre concrète deprogrammes d’action (fig. 2). Ces périmètresprésentent par ailleurs de fortes hétérogénéitéssocio-spatiales internes. Ils sont en effet touscomposés de communes de l’urbain dense, decommunes moins bâties mais sous forte influencemétropolitaine et enfin de communes auxpaysages ruraux prédominants.

Les conflits dans les périmêtres des programmes

a g r i - u r b a i n s

La mise en comparaison des conflits recensésdans la PQR (fig. 1) et des périmètres desprogrammes agri-urbains en cours deconsolidation (fig. 2) vise à interroger le rôle jouépar ces dispositifs dans la genèse ou la gestion desconflits.

Environ un cinquième des communes concernéespar un conflit relevé dans la PQR est localisé ausein d’un périmètre de programme agri urbain,alors que seulement 13 % des communesfranciliennes sont couvertes par un de cespérimètres (tabl. 1). Par ailleurs, à l’intérieur despérimètres, 17 % des communes sont touchéespar un conflit alors que, hors périmètres, cetteproportion n’est que de 9 %. Ces deux résultatsillustrent le fait que les communes de périmètresde programmes sont proportionnellement plusconcernées par les conflits relevés dans la presse

Les périmètres de programmes agri-urbains en Ile-

d e - F r a n c e

En Île-de-France, la dizaine de programmesidentifiés par la Région, en cours de négociationou de mise en œuvre, est principalement localiséedans des zones de forte périurbanisation. Cesprogrammes sont donc en majorité situés à l’ouestde la capitale, dans les zones du front urbainissues des phénomènes d’urbanisation diffuse desannées 1960, qui ont concerné les départementsdes Yvelines et de l’Essonne. Leur présence se faitplus discrète (3) sur le pourtour oriental de laSeine-et-Marne, département qui concentrel’essentiel des communes franciliennes plusrécemment marquées par des processusimportants de croissance urbaine. À l’exception deRambouillet et de Cergy (deux programmes quipeinent à susciter un engouement territorial), ils sesituent donc tous à moins de 30 km du centre deParis (Poulot, 2006).

La démarche de construction du programme agri-urbain local fait l’objet de coopérationintercommunale plus ou moins aboutie selon leszones. En effet, pour initier la démarche auprès deleurs voisins et respecter la cohérence de l’espacefonctionnel agricole local, les porteurs de projetont généralement identifié des périmètresd’études plus vastes que leurs propres territoiresadministratifs. Il en résulte qu’au sein de cespérimètres d’intention « fonctionnels », certaines

313Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-France VOL 83-4/2008

Figure 2 : Localisation des

périmètres d’étude de projets

de territoire en Ile-de-France.

Le figuré pointillé noir

représente les communes

urbaines de l’agglomération

parisienne.

dans aire conflictuelle hors aire conflictuelle t o t a l( P Q R ) ( P Q R)

Périmètre Programme agri-urbains 29 communes 142 communes 1 7 1Hors périmètre Programme agri-urbains 105 communes 1004 communes 1 1 0 9Total (hors Paris i n t r a - m u r o s) 1 3 4 1 1 4 6 1 2 8 0

Tableau 1 : Croisement spatial

entre les communes des

conflits relevés dans la PQR et

les communes des

programmes agri-urbains (en

nombre de communes).

Sources : Iaurif 2005 ; Le Parisien,

2003, 2004, 2005.

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Les espaces de conflits localisés à proximité d’unpérimètre de programme

La majorité des communes touchées par lesconflits relevés dans la PQR est localisée àl’extérieur des périmètres de programmes agri-urbains. Toutefois, la répartition géographique deces communes n’est pas totalement indépendantede la topographie des périmètres. Une partie descommunes touchées par les conflits se situe eneffet à proximité immédiate des programmes, àune distance maximum de 5 kilomètres deslimites extérieures des périmètres de programme.

Ces conflits s’étendent sur un ensemble decommunes dont une partie se trouve aux frangesdes périmètres de programmes. Les deuxphénomènes peuvent partiellement se recouvrir,c’est notamment le cas pour les aires conflictuellesproches de la plaine de Versailles et du périmètrede Rambouillet, ou celles proches du Triangle Vertou du centre Essonne. Ils peuvent aussi êtrestrictement contigus ou dans un voisinage proche,mais nettement séparés dans l’espace, c’est le casde l’aire conflictuelle de la plaine de Pierrelaye,proche du programme de Cergy ou des airesconflictuelles de la zone méridionale de la Seine-et-Marne, proche du périmètre du plateau briardet de Marne-et-Gondoire (tabl. 2).

Certaines des aires conflictuelles relevées dans lapresse sont par ailleurs contigües de plusieurspérimètres de programmes et semblents’intercaler entre ces derniers. Ce constat soulèvede nombreuses interrogations sur les liens decause à effet qui pourraient expliquer cephénomène d’alternance entre périmètre deprogrammes et aire conflictuelle relevée dans lap r e s s e .

que celles situées hors périmètres, en Ile-de-France. Ce constat doit cependant être relativisépar le fait que la majorité des programmes sontlocalisés à moins de 30 km de Paris (fig. 3). S’il y aune plus grande concentration des programmes etune plus grande concentration des zones deconflits au sein des zones périurbaines, laprobabilité pour qu’ils soient localisés au mêmeendroit est donc plus grande.

Les relations de proximité géographique entreaires conflictuelles identifiées dans la presse etpérimètres de programmes se déclinent selontrois modalités. Ce lien de proximité peut être denature inclusive (les deux phénomènes serecouvrent totalement), de nature contigüe (lesdeux phénomènes sont disjoints mais voisins,proches ou se recouvrent à leurs frontières) ouencore de nature totalement disjointe (on ne peutpas établir de lien spatial entre les deuxp h é n o m è n e s ) .

Les espaces de conflits localisés au sein d’unpérimètre de programme agri urbain

Ces situations correspondent à uneinterdépendance spatiale complète entre aireconflictuelle et périmètre de projet. C’estnotamment le cas à l’intérieur du périmètre desprogrammes du Plateau de Saclay et de la plainede Vernouillet. L’ensemble des espaces concernéspar les conflits relatés dans la presse sont alorslocalisés au sein du périmètre de programme agriurbain. Les conflits relatés dans la presse sont liésprincipalement à l’urbanisme sur le plateau deSaclay (PLU de Palaiseau, Projet immobilier etroutier) alors qu’ils concernent plusparticulièrement les problèmes de dépôtssauvages et d’occupation de terres en friche àVernouillet (ainsi qu’un projet routier).

314 Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-FranceVOL 83-4/2008

Figure 3 : Localisation

comparée des espaces de

conflits relevés dans la PQR

et des périmètres des

programmes agri-urbains

identifiés en juillet 2005 par la

DRIAF

Le figuré pointillé noir

représente les communes

urbaines de l’agglomération

parisienne.

Réalisation : Darly, 2008.

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Tableau 2 : Les objets des

conflits relevés dans la PQR

localisés à proximité

immédiate d’un ou plusieurs

périmètres d’étude de

programmes agri-urbains.

Source : Le Parisien, 2003, 2004,

2005.

les produits de coordinations entre acteurs établiesà l’occasion de processus conflictuelscaractéristiques d’un territoire, et participent,parallèlement au développement d’actionscoopératives, à la régulation de ces conflits.

Afin de tester cette hypothèse, une démarched’analyse territoriale a été mise en œuvreconsistant à analyser le contenu et les conditionsde création de plusieurs projets de territoires àl’aide de la même grille de lecture des conflits quepour ceux relatés dans la presse, mais sur la based’entretiens de terrains et d’analyse de documents.

LES CONFLITS DANS LES PÉRIMÊTRES DE

PROJETS À PARTIR DES ENTRETIENS

La démarche est ici inverse de celle durecensement exhaustif dans un périmètre élargi.Les conflits ont été observés à partir de leurancrage territorial, sur la base de consultationd’archives locales et d’entretiens réalisés au niveaude certains territoires de programmes agri-urbains.

La méthode : le recensement des conflits par

l’analyse des documents de synthèse et les

e n t r e t i e n s

Afin de restreindre le nombre d’études de cas, lesanalyses se sont concentrées sur une sélection decinq territoires, dont les programmes agri-urbainssont plus ou moins consolidés mais dont ladynamique de coordination entre acteurs est assezancienne pour permettre une analyse dans letemps des processus (De Biasi, 2005). Il s’agit : - de la plaine de Versailles, vingt et une communessituées au nord-est des Yvelines, dont une partiesur un site classé. Une charte patrimoniale, signéepar l’ensemble des partenaires fin 2006, identifiesix axes d’actions que les acteurs s’engagent àpromouvoir ;- des villes maraîchères du Hurepoix (zone duTriangle Vert), espace composé de cinqcommunes de l’Ouest Essonne, qui financent, surla base d’une charte locale, une structureassociative dédiée à la gestion des espacesagricoles sur l’ensemble du territoire ;- du plateau briard, composé de six communesréunies en intercommunalité. Une charte a étésignée par les agriculteurs et les différentspartenaires institutionnels (Région, Département,

Les espaces de conflits sans proximité particulièreaux périmètres de programmes

La troisième configuration rencontrée est celled’une relative indépendance spatiale entre lesaires conflictuelles et les périmètres desprogrammes agri-urbains. C’est le cas des airesconflictuelles reléguées aux franges de la Région,dans les départements des Yvelines et del’Essonne, ou dans des secteurs auxcaractéristiques rurales plus marquées dans ledépartement de Seine-et-Marne au Nord del’agglomération parisienne.

Les programmes agri-urbains, souvent présentéscomme des outils de coordination renforcée entreacteurs agricoles et urbains d’un même territoire,ne couvrent pas des territoires sans conflits, bienau contraire. Toutefois, la définition des périmètresde ces programmes ne se révèle pas non plusparticulièrement corrélée à l’émergence de conflitsd’usage des espaces agricoles. On observe unegrande diversité de conflits au sein des territoirescontigus ou voisins.

La nature des objets de conflits localisés àl’extérieur des périmètres de programme attirel’attention sur l’éventuel effet repoussoir induit parla réglementation établie dans le cadre desprogrammes, qui peut reporter au sein desterritoires voisins des activités et des usagesparticulièrement polémogènes (tabl. 3). Cettehypothèse reste cependant à tester et constitueune piste de recherche à exploiter.

Si l’on s’intéresse non pas aux territoires voisinsmais aux périmètres des programmes agri-urbains, on constate que beaucoup ne sont pastouchés par des conflits, alors même que certainssemblent concernés plus particulièrement par unmême type de conflits (aménagement eturbanisme à Saclay, aménagement et occupationdes friches à Vernouillet). Le recensement portantsur seulement trois années, il n’est pas surprenantque certains territoires apparaissent commeexempts de conflits. Cependant, l’homogénéitédes objets de conflits entre les périmètres(aménagement), et au sein d’un même périmètre,même si elle n’est constatée qu’à partir d’uncorpus restreint, pousse à formuler l’hypothèseselon laquelle les programmes agri-urbains sont

315Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-France VOL 83-4/2008

Localisation des Plaine de Alentours de Plateau Triangle Vert Brie Comte espaces de conflits P i e r r e l a y e Meaux (77) mantois (78) dans le Robert (77)

Hurepoix (91)

Programme agri- C e r g y M & G Versailles et Triangle Vert Plateau briardu r b a i n R a m b o u i l l e t et Centre à proximité E s s o n n e

Objets de conflits Dépôts sauvages C a r a v a n e s É p a n d a g e s P o l l u t i o n É p a n d a g e sP Q R Cultures alimen- Plan local É o l i e n n e s D é c h a r g e Opérations

t a i r e s d’urbanisme S é d e n t a r i s a t i o n i m m o b i l i è r e s

Localisation des espaces Seine-et-Marne Yvelines rurales Essonne rurale Périurbain Nordde conflits r u r a l e

Objets de conflits Caravanes, É p a n d a g e D é c h a r g e C a r a v a n e sP Q R Incinérateur, C a r r i è r e É o l i e n n e s Sédentarisation

Éoliennes, Forage agricole D é c h a r g eÉ p a n d a g e s P L U R o u t e

Tableau 3 : Les conflits

relevés dans la presse sans

proximité géographique

significative avec les

périmètres de programmes

agri-urbains.

Source : Le Parisien, 2003, 2004,

2005.

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9 - L’ensemble des documents

consultés ont été produits

entre 2000 et 2004.

trouve confrontée à plusieurs processusconflictuels de nature plus structurelle et quiinfluencent les coordinations entre acteurs sur lelong terme. Ces processus sont de deux ordres : lepremier relève de l’aménagement du territoire, carcertains projets d’intérêt régionaux ou nationauxsont régulièrement remis à l’ordre du jour, c’estnotamment le cas du pôle scientifique du plateaude Saclay ou des aménagements de la N19 sur leplateau briard. Le second concerne la maîtrise despaysages et du foncier.

Les conflits d’aménagement semblent avoir étéles déclencheurs des processus de réflexion surl’agriculture locale. Ces évènements ont révélél’impact de la pression foncière sur l’abandonprogressif de certaines activités agricoles et ontcontribué à la mise en œuvre des politiqueslocales de gestion des conflits de voisinage entreville et agriculture.

Des conflits liés à la spéculation foncière des terresa g r i c o l e s

Ces conflits, qui se déroulent le plus souvent entrecollectivité territoriale et propriétaires fonciers,s’engagent généralement lorsqu’un « seuil » demitage de l’espace agricole a été atteint, etprovoque un abandon massif de l’activité agricoled’un site. Cette situation favorise alors ledéveloppement rapide de friches et accélère ladégradation des paysages, comme dans le cas dela plaine de Versailles ou de Vernouillet, maisaussi des communes du Triangle Vert. L’instabilitédes documents d’urbanisme et la faiblesse desprotections du foncier agricole encouragent cettespéculation foncière des propriétaires, qui ne fontsouvent plus partie du secteur agricole et quianticipent la constructibilité des parcelles.

Inaccessibles pour les exploitants en activité,constituant un parcellaire morcelé et nonentretenu, la valorisation agricole des terres estpeu à peu abandonnée et laisse la place audéveloppement de friches herbacées, puisarbustives. Ces friches, et le développement d’unmarché foncier parallèle, sont propices à desconstructions illégales (Triangle Vert, Vernouillet)qui font l’objet de contestation des élus et desrésidents. L’installation de caravanes sur certainsterrains en jachère par les communautés de gensdu voyage, souvent lors de pèlerinages religieux,mais aussi de façon plus prolongée, est égalementparticulièrement dénoncée à Saclay et dans leTriangle Vert.

Des conflits de voisinage

Les autres conflits et tensions cités relèventdavantage des incompatibilités de voisinage ou dela superposition entre les activités agricoles et lesactivités urbaines :- les dépôts de gravats et de déchets ménagersencombrants dans ou à proximité des terrains enfriche font l’objet de nombreuses actions,incitatives dans le Triangle Vert (rappel aux

Chambre d’agriculture, Communauté decommune), un programme d’action est financé,u n demi poste d’animateur local est mis à ladisposition du programme par la communauté dec o m m u n e s ;- de la zone de Vernouillet, dans la vallée de laSeine aval. La première charte de développementagricole a été signée en 2000. Un programmed’actions, ainsi que la validation d’une Zoned’agriculture protégée, sont mis en application surla commune de Vernouillet, porteuse du projet.- du plateau de Saclay, composé de seizecommunes en limite des départements del’Essonne et des Yvelines, avec une chartepatrimoniale en projet en 2005. La déclarationrécente d’un périmètre d’Opération d’intérêtnational (OIN) rend le processus de plus en plusincertain malgré une mobilisation toujours activedes acteurs locaux.

Pour chaque périmètre de programme, un oudeux documents fondateurs (audits patrimoniaux,rapports de bureau d’étude, rapports de stage ourapport administratif) ont été identifiés, parmi lesarchives des porteurs de projet. Ils détaillent lesenjeux du territoire, les différents usages encompétition et les conflits que ce programme aurapour objectif de prévenir ou résoudre9. Laconsultation d’archives a été complétée par desentretiens sur le terrain, avec des acteurs locaux(chargés de mission employés par les program-mes, élus) ou avec des experts du territoire(experts extérieurs au territoire mais ayant étéimpliqués dans le suivi et l’évaluation desdynamiques territoriales). Cette étape avait pourbut d’effectuer un croisement d’informationspermettant d’enrichir la connaissance desdifférents processus conflictuels relevés dans lesdocuments de synthèse.

Les principaux conflits d’usage des espaces

agricoles évoqués lors de l’élaboration des

programmes agri-urbains

L’analyse des archives et des entretiens etinterviews réalisés au niveau de certains territoiresde programmes agri-urbains révèle l’existence detrois catégories principales de conflits. Elle permetd’identifier les acteurs et les modes de pilotage desconflits les plus fréquents.

De la « crise » salutaire aux conflits structurels

Les différents acteurs territoriaux évoquent sou-vent une période de « crise » locale, qui a provo-qué la prise de conscience nécessaire à la préser-vation des espaces agricoles du périmètre d’étude.Ces « crises » sont principalement liées à desprojets d’aménagement imposés « par le haut » :l’implantation du CEA à Saclay, ou encore laconstruction d’immeubles d’habitat collectif sur leplateau briard, à Marcoussis dans le Triangle Vert.

En dehors de ces crises « exogènes » (provoquéespar des projets d’intérêt régional ou national), lapréservation des espaces agricoles locaux se

316 Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-FranceVOL 83-4/2008

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La coopération intercommunaleParallèlement à cette protection foncière, quirelève encore largement de l’établissement deservitudes d’urbanisme établies par lescommunes, l’intercommunalité est une échelled’action particulièrement encouragée par lesdifférentes institutions partenaires. Cettecoordination peut se traduire concrètement par lefinancement d’un animateur local, qui joue le rôlede médiateur et de relais d’informations pourl’ensemble des communes adhérentes (dans lecas du Triangle Vert, du plateau briard). Lepérimètre d’action du programme peut être celuid’une intercommunalité (comme pour laCommunauté de communes du plateau briard)mais peut aussi constituer une nouvellecoopération intercommunale, comme pour leTriangle Vert, qui fédère des communesappartenant à trois intercommunalités différentes.Cette exigence peut également expliquer l’échecou l’incomplétude de certains périmètres deprogrammes, dont les limites ne tiennent pastoujours compte d’antagonismes de longue duréeentre collectivités. C’est notamment le cas de lacommune de Villejust au sein du périmètred’étude du Triangle Vert.

Planification préventive et coordination desprocédures de préemption Tous les territoires mettent en œuvre des actionsde maîtrise foncière. Ces actions, qui visent àcontrer les phénomènes de spéculation foncière età affirmer la vocation agricole de l’espace enappellent de plus en plus à la coordination entrecollectivités communales et intercommunalesd’une part et la Région ou le Département d’autrepart. La préemption est ainsi un outilparticulièrement utilisé, à travers le droit depréemption financé par le département (au seindes périmètres d’Espaces naturels sensibles), parla région (au sein des Périmètres régionauxd’intervention foncière) et par les communes(souvent dans le cadre de convention de veilleavec la SAFER). À ce titre, les débats en conseilmunicipal ou intercommunal au sujet desdocuments d’urbanisme et de l’établissement deservitudes de protection du foncier agricole sontles scènes de confrontation entre des intérêtsparticulièrement divergents. L’élaboration desdocuments d’aménagement et d’urbanisme duplateau de Saclay est particulièrementcaractéristique de cette situation.

La faible référence aux actions contentieuses endehors des occupations de caravanes et desdépôts de déchets. Concernant les tensions liées à la sédentarisationillégale sur des parcelles inconstructibles, peud’outils de résolution sont vraiment mis en place,en dehors des outils de maîtrise foncière quidoivent prévenir le développement d’un marchéfoncier informel. La médiation ou les expulsionspréfectorales peuvent être mobilisées pour lesoccupations non autorisées de jachères par lesc a r a v a n e s .

résidents que les entreprises de BTP doiventfournir un certificat de mise en déchetterie) oucoercitives à Vernouillet (expulsion descampements, déclenchement de procédurescontentieuses de préemptions pour non-entretiendes friches) ;- le fonctionnement de certaines infrastructuresurbaines est dénoncé en raison de l’impact négatifqu’elles peuvent avoir sur les espaces ou lesproduits agricoles. À Saclay, dans le Triangle Vert,le plateau briard et la plaine de Versailles, laquestion de la mauvaise adaptation desaménagements routiers à la circulation des enginsagricoles fait partie des préoccupationsprincipales. À Vernouillet et dans le Triangle Vert, ils’agit des infrastructures de gestion des eaux deruissellement, qui inondent fréquemment deschamps situés à l’exutoire des collecteurs. Ladestruction des drains et des fossés parl’aménagement des voiries est aussi au centre despréoccupations à Saclay et Vernouillet ;- les usages de loisirs de plein air ne sontdénoncés que sur le territoire du Triangle Vert, enraison des dégradations et vols subis par lesproducteurs. Les vols subis par les rosiéristes sontvivement dénoncés sur le plateau briard, mais onne peut l’attribuer aux activités de loisir sur leterritoire ;- enfin, les usages agricoles eux-mêmes peuventfaire l’objet de contestations, qu’il s’agisse desdéplacements d’engins de grande envergure surdes voies rapides (Saclay, plateau briard), quiralentissent le trafic ou dégradent la chaussée(plateau briard) ou de pratiques agricolesd’irrigation (Triangle Vert, plateau briard) et degestion des cours d’eau contestées par lesorganismes publics de gestion de l’eau (DIREN,syndicat de gestion des cours d’eau). Lescampagnes de traitements phytosanitaires(Triangle Vert) sont également dénoncées par lesélus et par les résidents en raison des nuisancesde voisinage qu’elles peuvent entraîner et dumanque de prévention adéquat.

Les modes d’action et de résolution : les outilsmobilisés dans les projets

Négociation entre élus lors des conflitsd ’ a m é n a g e m e n tLa négociation entre élus municipaux voisins ouentre élus municipaux et élus départementaux,régionaux ou nationaux intervient souvent lors desconflits d’aménagement des infrastructuresurbaines. C’est à cette occasion que le projet depréservation des espaces agricoles est négociéavec les partenaires institutionnels et voisins. Dansle cas du plateau briard par exemple, c’est biendans le cadre d’une lutte contre plusieurs projetsimmobiliers de la Caisse des dépôts et consigna-tions, liés au développement de la ville voisine deCréteil, que les communes de Mandres-les-Roses,et surtout de Périgny-sur-Yerres, adoptent unepolitique foncière volontariste qui aboutira au mi-lieu des années 1970 à la création de deux domai-nes agricoles, aménagés par les collectivités.

317Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-France VOL 83-4/2008

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Tableau 4 : Analyse

comparative des conflits

relevés pour les cinq

périmètres de programmes

analysés

Sources : Enquêtes INRA, Le

Parisien 2003, 2004, 2005.

ceux cités dans le cadre de l’élaboration duprogramme sont fortement similaires (tabl. 4). Ledispositif du programme agri-urbain est alorsmoins un outil de résolution des conflits maiss’apparente plus à un cadre de régulation desactes conflictuels (il y a toujours des conflits maisle positionnement des acteurs est clarifié et lesprocédures d’opposition sont annoncées).

Le second registre d’analyse est celui de laspécialisation des territoires, illustrée dans notrecas par les alternances spatiales entre airesconflictuelles et périmètres de programmes.Certains des objets de conflits sont similaires(opérations immobilières), mais ils restent laplupart du temps de nature différente (notammentimplantation d’éoliennes et autorisationd’épandages). On peut se demander, dans cescas-là, si la dynamique institutionnelle de mise enœuvre du programme agri-urbain n’est pas aussiun facteur de mise à distance des objets à lasource des conflits, qui concentrerait dans lesintervalles « hors périmètres de projets » lestensions et conflits qui y sont liés. Cette hypothèsereste bien entendu à tester plus spécifiquement,en tenant compte des particularités des conflitsmentionnés ci-dessus, et en renouvelant ladémarche comparative avec les périmètres d’unautre dispositif de gestion territoriale des espacesagricole, celui des quatre Parcs NaturelsRégionaux de l’Ile-de-France, répartis plusspécifiquement au sein de la couronne ruralepériurbaine.

B I B L I O G R A P H I E

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C O N C L U S I O N

L’objectif principal de cet article est de contribuer àla compréhension des interdépendances entreprocessus conflictuels et émergence de dispositifsde gouvernance innovants, à travers l’exemple desProgrammes agri-urbains en région Ile-de-Franceet de leurs liaisons avec les conflits liés auxactivités agricoles et aux usages des terresagricoles. Les corpus de données mobilisés (PQR,entretiens directs et analyse des documents) ontpermis de mettre en évidence une tendance lourdeissue du dépouillement de la PQR : l’agriculture yest explicitement considérée comme un moyen deprotection face à des usages non désirés desespaces périurbains, et pas uniquement commeune activité à la base du renforcement de l’identitét e r r i t o r i a l e .

Les principaux conflits concernent en effet avanttout l’usage de réserve foncière des terresagricoles, qui entre en concurrence avec desusages plus immédiats, en particulier en termes deconstruction résidentielle ou d’infrastructures denatures diverses, et le développement d’activitésnon désirées ou non réglementaires au sein dezones peu ou plus valorisées par des activitésagricoles durables.

Le décalage spatial entre les aires conflictuellesrelevées dans la presse et les périmètres deprogrammes peut être interprété selon deuxregistres d’analyse.

Le premier registre correspond au registre desliens structurels entre interactions sociales issuesdes processus conflictuels, et mises en œuvre dedispositifs de gouvernance locaux. Dans le cadrede cette réflexion, on se penche plusparticulièrement sur les cas où l’aire conflictuellerelevée dans la presse est fortementinterdépendante (spatialement) du périmètre deprogramme. Les conflits relevés dans la presse et

318 Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-FranceVOL 83-4/2008

Conflits/Tensions Conflits de l’aire Lien topographique entrecaractérisant le périmètre conflictuelle la plus les deux périmètresdu Programme Agri-Urbain proche dans la PQR

S a c l a y Aménagement régional PLU Inclusif Aménagement routier Projet ImmobilierMaîtrise foncière Maîtrise du foncierDéplacements agricoles Aménagement routier

V e r n o u i l l e t Maîtrise foncière Aménagement routier I n c l u s i fAménagement routier Décharge sauvageDépôts sauvages C a r a v a n e sConstructions illégalesR u i s s e l l e m e n t s

V e r s a i l l e s Maîtrise foncière É p a n d a g e s Contigu Aménagement routier É o l i e n n e sC l a s s e m e n t

Triangle Vert Maîtrise foncière P o l l u t i o n C o n t i g uDépôts sauvages Décharge sauvageConstructions illégales Sédentarisation D é g r a d a t i o n s / V o l s C a r a v a n e sDéplacements agricolesP o m p a g eR u i s s e l l e m e n t s

Plateau Briard Maîtrise foncière É p a n d a g e s C o n t i g uAménagement routier O p é r a t i o n sP o m p a g e I m m o b i l i è r e s

Page 13: ÉOCARREFOUR VOL 83-4/2008 307 Ségolène DARLY Conflits …andre-torre.com/pdf/PDFpub168N1.pdfconflits entre ville et agriculture sont fondés, d’une part sur la cartographie des

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319Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-France VOL 83-4/2008

Adresse des auteurs

Ségolène DARLY

Doctorante INRA, UMR

SADAPT, 16 rue Claude

Bernard, Paris

[email protected]

André TORRE

Directeur de recherches INRA,

UMR SADAPT, 16 rue Claude

Bernard, Paris

[email protected]