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NUMÉRO SPÉCIAL Janvier 2011 ISSN 2104-1709

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Page 1: NUMÉRO SPÉCIAL - Cap Métiers Nouvelle-Aquitaine · Conseil régional d’Aquitaine, Aquitaine Cap Métiers Mise en page : PG Edition / Aquitaine Cap Métiers Impression : Sodal

NUMÉRO SPÉCIAL

Janvier 2011ISSN 2104-1709

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Avant-proposNous connaissons tous l’impor-tance que revêt, dans le déve-loppement de nos collectivités, la présence de jeunes instruits, compétents, capables d’innover et soucieux de s’impliquer dans leur milieu. Dans une économie qui privilégie le savoir, toutes les com-pétences, tous les talents et toute l’imagination des individus doivent

en effet être mis à contribution pour favoriser la création de richesse et garantir la qualité de vie des populations. Et cela commence bien évidemment avec les jeunes.Or, chaque année, un nombre encore trop grand d’élèves quitte les bancs d’école sans obtenir de diplôme. Cette « démission massive » d’une jeunesse qui constitue, à bien des égards, la clé de voute du dynamisme et de l’avenir de nos régions s’avère à n’en pas douter lourde de conséquences. Au-delà de l’impact que peut avoir le décrochage scolaire sur l’individu – et déjà, uniquement sur ce plan, la situation peut devenir drama-tique –, il faut bien sûr aussi prendre en considération les effets considérables que celui-ci peut exercer sur le développement de l’ensemble des communautés. D’où, dans une perspective de développement régional et de présence sur tout le territoire, la nécessité de faire de la réussite à l’école une priorité de tous les instants.De la même manière que nous avons compris qu’en matière de persévérance et de réussite scolaires le succès résidait dans la concertation et dans une mobilisation gé-nérale de tous les acteurs – qu’ils soient issus des réseaux de l’éducation ou de la santé et des services sociaux, du milieu municipal ou d’ailleurs –, il nous est rapidement apparu évident que nous aurions intérêt à nous inspirer des initiatives menées dans d’autres milieux confrontés aux mêmes défis que nous. Que les enseignements que nous pouvions tirer des expériences menées de part et d’autre de l’Atlantique pouvaient donner une impulsion nouvelle à nos actions. D’où l’idée de ces échanges entre les ré-gions d’Aquitaine et de la Capitale-Nationale, échanges dont ne sont certes pas exclus d’autres acteurs et qui sont, depuis maintenant cinq ans, toujours sources de connais-sance, d’inspiration et d’enrichissement collectif.Soucieux d’aider nos jeunes à se réaliser pleinement, nos milieux respectifs ont déployé au cours des dernières années beaucoup d’ingéniosité pour mettre en place des mesures novatrices susceptibles de prévenir le décrochage et de favoriser la persévérance à l’école. Bien que chaque communauté possède ses réalités propres et qu’il ne soit pas toujours évident de transposer dans un milieu ce qui se fait ailleurs, il nous faut garder à l’esprit que l’innovation stimule l’action et qu’une bonne idée peut s’adapter et se concrétiser de maintes façons. En Aquitaine, la mise en réseau de tous les acteurs (lycées, CIO, Missions locales, MFR, CFA…) sur trois territoires aux caractéristiques différentes : le blayais, le marmandais, les Hauts de Garonne répond à cet objectif d’inventer des solutions nouvelles adaptées aux jeunes. L’esprit d’innovation anime également la région de la Capitale-Nationale qui a mis en place six chantiers locaux issus de son approche territoriale intégrée.La réussite de nos jeunes demeure plus que jamais l’affaire de tout le monde. Nous avons tous le devoir de faire en sorte que chacun d’eux puisse acquérir son autonomie, nourrir ses ambitions et réaliser ses rêves de manière à développer son plein potentiel. Détenteur d’un diplôme qualifiant pour le marché du travail, il pourra s’intégrer pleine-ment dans sa communauté et y apporter sa contribution comme citoyen. L’avenir de nos régions en dépend.

Alain Rousset Yves GermainPrésident Président Conseil régional d’Aquitaine Conférence régionale des élus de la Capitale-Nationale

Rédaction-AdministrationAquitaine Cap Métiers99 rue Judaïque - 33000 BordeauxTél. 05 57 81 45 65 - Fax 05 57 81 45 [email protected]

Directeur de la publicationJean-Louis Daguerre

Directeur de la rédactionJérôme Burguière

Rédactrice en chefVéronique Rufas

Secrétaire de rédactionJean-Pierre Michaud

Rédaction et mise en forme du numéroEmmanuel de Lestrade (Editions Papote) / Jean-Pierre Michaud (Aqui-taine Cap Métiers) / Alexandra Naud, Robert Pierron, Vincent Le Quéré (Conseil régional d’Aquitaine) / Hélène Lapointe, Pierre-Luc Gravel (Conférence régionale des élus de la Capitale-Nationale, Québec)

Visuel de couvertureSBateliergraphique.com

Crédit photosConseil régional d’Aquitaine, Aquitaine Cap Métiers

Mise en page : PG Edition / Aquitaine Cap MétiersImpression : Sodal (33)Tirage de ce numéro : 3 500 ex

Reproduction intégrale ou partielle d’extraits autorisée à condition d’en préciser la source.

[La plateforme téléphonique d’information sur la formation d’Aquitaine Cap Métiers

Ouverte à tous :

Professionnels de la formation, de l’orientation, de l’insertion, de l’emploi, entreprises, grand public (salariés, demandeurs d’emploi, jeunes...).

Pour :

- Donner un premier niveau d’information sur la formation : l’offre de formation régionale, les droits, les aides disponibles, la VAE, la profes-sionnalisation des acteurs de la formation et de l’orientation...

- Rediriger, s’il y a lieu, vers les interlocuteurs appropriés.

La plateforme est accessible du lundi au jeudi, de 9h00 à 12h30 et de 13h30 à 17h00, et le vendredi de 13h30 à 17h00.

* Prix d’un appel local depuis un poste fixe.

Cap Info Aquitaine

n° Azur 0 811 06 06 10*

n° spécial / Janvier 2011 n° spécial / Janvier 2011

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRES

n° spécial / Janvier 2011 1

Sommaire

Ouverture du colloque

Anne-Marie Cocula, Jean Fortin, Bernard Maltais

Conférences

La réussite éducative en France et au Québec : nouveau problème public, nouvelles professionnalités ?

Marc Rouzeau

Persévérance et réussite au QuébecUne approche globale et transversale favorisant l’innovation sociale

Marco Gaudreault, Jean-François St-Cyr, Véronic Pratte

Apprendre un métier en entreprise : une réhabilitation de soi ?

Gilles Moreau

Clôture de la première journée

Alain Rousset

Tables rondes

Agir dans les territoires urbains

Agir sur les chances de réussite

Agir en réseau

Conférences

Emprise des diplômes et justice socialeFrançois Dubet

Persévérer à l’école, une question de motivation ?

Patrick Rayou

Synthèse du colloque

Luc Pabœuf

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Agir pour lA persévérAnce et lA réussite de tous les jeunes

Actes du colloque du 2 au 4 juin 2010 Hôtel de Région Aquitaine

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

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Stéphane DufourJe vous souhaite la bienvenue à ce colloque, « Agir pour la persévérance scolaire et la réus-site de tous les jeunes », fondé sur un constat : trop de jeunes sont au chômage – un sur quatre en Aquitaine – et souvent sans qualification.

Ce constat est partagé par le partenaire privilé-gié de l’Aquitaine qu’est le Québec. Cela fait 10 ans maintenant que le Québec et l’Aquitaine unissent leurs efforts, en particulier depuis 2006, sur ce gros dossier du décrochage scolaire, avec notamment une mission diligentée par le Conseil régional d’Aquitaine pour mettre en chantier un certain nombre de réflexions et de travaux.

Pendant trois jours, nous allons donc débattre de toutes ces problématiques avec des spé-cialistes venus d’Aquitaine et d’autres régions françaises, du Québec, bien évidemment, et de régions européennes partenaires de l’Aquitaine.

Anne-Marie Cocula

Je suis heureuse de vous accueillir au nom d’Alain Rousset, le Président du Conseil régio-nal, qui est très attaché à nos relations très ami-cales avec le Québec. Des relations qui ne sont pas simplement liées à l’histoire mais également liées aux réflexions et expérimentations que nous menons ensemble.

Il est rare d’ouvrir un colloque qui a déjà com-mencé. Or, ce colloque a déjà commencé. D’abord parce qu’il fait suite à notre voyage et à notre travail au Québec il y a 2 ans, lorsque nous avions partagé votre expérience, vos moyens, vos leviers pour répondre à ce fléau, à ce risque, qu’est le décrochage scolaire. Vous parlez à ce sujet de « persévérance » et de réussite de tous les jeunes. Ce colloque a déjà commencé, aussi, parce que vous avez voulu aller sur le terrain – dans les Hauts de Garonne, sur le Bassin d’Arcachon, à Aquitaine Cap Métiers – pour voir sur place com-ment cela se passait avant d’attaquer la théori-sation qui va nous réunir ces prochains jours. Sur le terrain, nous avions vu chez vous, et je pense que vous avez vu chez nous, comment travaillent les acteurs sur des territoires spécifiques, avec des approches différentes, au sein de réseaux qui s’efforcent de répondre aux problématiques des jeunes. Nous sommes face à une génération qui est quasiment sacrifiée, tan-tôt sur l’autel de la crise, tantôt sur l’autel des suppressions d’emplois. Elle est sacrifiée, mais elle ne le mérite pas parce qu’elle

Ouverture du colloque

Anne-Marie Cocula Vice-présidente du Conseil régional d’Aquitaine, en charge de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur, de la Culture et de l’Apprentissage

Jean FortinPremier conseiller à la coopération de la Délégation générale du Québec à Paris

Bernard MaltaisSecrétaire du Comité exécutif de la Conférence régionale des élus de la Capitale-Nationale, Maire de Saint-Aimé-des-Lacs et Préfet de la Municipalité régionale de comté de Charlevoix-Est (Québec)

Modérateur : Stéphane Dufour, rédacteur en chef à France Info

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 3

a tous les atouts pour réussir. Dans vos déplacements sur le terrain, vous avez été à même de rencontrer des jeunes et vous avez écouté leurs témoignages. Des témoignages qui rejoignent ceux que relaient les missions locales dont je salue le rôle, l’engagement et l’implication. Elles nous portent le message de ces jeunes qui sont en attente d’insertion professionnelle et parfois de beaucoup plus. De leur entrée dans la société tout simple-ment.

Notre regard se porte sur eux qui, à un moment donné, ont arrêté leur cursus sco-laire et nous voulons leur dire très fort, grâce à vous toutes et à vous tous, que rien n’est perdu. (…)

Jean FortinLaissez-moi d’abord vous exprimer mon grand plaisir de pouvoir représenter le Délégué géné-ral. D’autant plus qu’aujourd’hui, c’est une journée importante. Avec le Prési-

dent Rousset, nous allons célébrer les 10 ans du plan d’action de coopération entre

l’Aquitaine et la Délégation générale du Québec. Chaque rencontre entre l’Aquitaine et le Québec est une joie renouvelée parce que marquée de notre profonde volonté de coopération et de collaboration réciproque.

Nous nous réjouissons, à la Délégation générale du Québec, de l’heureuse initiative de ce colloque qui concerne l’avenir de nos enfants. Il est bon de constater notre volonté commune de mettre ensemble nos réflexions et nos pratiques en matière de persévérance scolaire. Pour vous comme pour nous, le défi est de taille. Il s’agit de faire en sorte que nos jeunes en délicatesse avec le milieu scolaire découvrent des avantages à compléter leur formation et ainsi prendre la place qui leur revient dans la société. Ensemble, nous allons travailler pour trouver des condi-tions gagnantes qui permettront aux jeunes de voir dans l’éduca-tion et la formation non pas un passage obligé, mais plutôt la clé de leur future réussite. Il en va de l’avenir de nos collectivités. (…)

Bernard MaltaisEffectivement, ce colloque traite de l’avenir. Il traite de la place que tous les jeunes occuperont, de leur contribution à l’acti-vité sociale et au développement économique de nos régions respectives. Car nous le savons, si nos jeunes ne trouvent pas une place convenable, ils seront d’une façon ou d’une autre à la charge de la société. Or, et nous le savons également, se faire une place, c’est d’abord être conscient de son utilité à la société, se réaliser soi-même, avoir de l’ambition, réaliser ses rêves.

À notre époque, rappelons-le, nous étions constamment pro-tégés par un filet social dont les mailles étaient suffisamment

serrées pour nous maintenir sur un chemin quasiment tracé d’avance. Ne soyons donc pas étonnés aujourd’hui que des jeunes s’égarent et décrochent. Au Québec, à titre d’exemple, plus de 30 % des jeunes de moins de 20 ans ne possédaient pas de diplôme secondaire en 2006. Le taux de décrochage en formation générale dans les commissions scolaires de la région de la Capitale-Nationale s’élevait à 20 %. Et encore, notre région était-elle particulièrement chanceuse. À la même époque, à Saint-Aimé-des-Lacs, seulement deux jeunes sur trois quittaient le secondaire avec un ou des diplômes en poche.

Pour éviter ce décrochage, quel meilleur moyen que de favoriser et de promouvoir la persévérance scolaire ? À l’évidence, c’est l’affaire de tous. La Conférence régionale des élus de la Capitale-Nationale confirmait en 2008 l’importance de l’engagement des acteurs sociaux et économiques en faveur de la réussite à l’école par la signature d’une entente spécifique pour la persévérance et la réussite scolaires et les chemine-ments en science et en technologie. Cette entente rassemble notamment les commissions scolaires, les institutions d’en-seignement et les ministères, dont celui notam-ment du Développement économique, de l’Innovation et de l’Ex-portation. Signée en 2008 et courant jusqu’à 2011, elle propose une vision qui considère le jeune dans sa totalité d’être humain et touche, outre ses compétences scolaires, tous les aspects de sa vie : le sentiment d’efficacité personnelle, la confiance, l’auto-nomie, l’organisation... Elle met en commun également les res-sources financières d’une série de partenaires s’élevant à plus de 1,3 million de dollars sur 3 ans. Ainsi, plusieurs stratégies et projets seront réalisés. Les intervenants québécois en évoque-ront quelques-uns. (…) n

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 20114

La réussite éducative en France et au Québec : nouveau problème public, nouvelles professionnalités ?

Marc RouzeauResponsable du Pôle « Ressources et expertises en travail social »à l’Institut Régional du Travail Social de Bretagne

Conférence

Je vais essayer, comme diraient nos amis québécois, de dresser la table, c’est-à-dire de vous don-ner quelques éléments sur trois dimensions à décortiquer pour comparer nos deux systèmes français et québécois, et apprécier leurs différences.

D’abord, les mots. Ce colloque porte sur la réussite. Nos interlocu-

teurs québécois ont parlé de « persévé-rance » et on pourrait aussi parler de « décro-

chage ». On a parlé aussi de « décrochage » ou de « raccrochage ». Attention aux faux amis lin-guistiques et, en particulier, aux termes employés avec des acceptions différentes.

Ensuite, les cadres d’action. Les systèmes d’ac-tion publics québécois et français ont beaucoup de différences. Il faudra prendre en compte des éléments apparemment proches, mais qui se jouent dans des logiques d’action différenciées.

Et enfin, donc, ces logiques d’action différen-ciées. Il y a, là encore, sans doute beaucoup de similitudes entre la France et le Québec, mais aussi de profondes différences dans la manière de considérer les responsabilités des acteurs publics et dans la manière d’intervenir entre famille, communauté – on dirait « sur le territoire » en France – et société. (…)

Ces considérations étant faites, nous pouvons entrer plus directement dans notre sujet. Com-ment cette question des décrocheurs a été mise sur l’agenda dans nos deux pays ? Commençons par le Québec qui a connu une révolution – une

révolution tranquille – dans les années 60, avec pour première conséquence la laïcisation d’un système d’enseignement auparavant essentiel-lement confessionnel. C’est à cette date que se crée l’actuel ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Au même moment se pose la ques-tion de l’exode des jeunes Québécois des zones rurales pour aller se former, qui se traduit par la création de deux réseaux de formation en région. D’une part un système après le secondaire, de collèges, schématiquement équivalents de nos IUT français, et d’autre part la création de 12 antennes universitaires. Ces créations vont don-ner lieu à un débat très fort sur les questions d’éducation. Tout cela débouche en 1996 sur des « États généraux de l’Éducation » avec des Assises régionales et nationales. Sont alors pré-cisées les fonctions de l’éducation au Québec : instruire, socialiser, qualifier. Derrière le terme « qualifier », ce n’est pas simplement la question de la qualification professionnelle qui est posée, mais aussi la capacité pour chaque jeune de tenir ses différents rôles sociaux. Et derrière socialiser, il y a la question du citoyen. Il s’agit donc d’une vision assez extensive du rôle de l’école et de l’éducation. Dès ces Assises pour l’éducation, la question du décrochage est abordée. (…)

En France, je pense que tout démarre autour de la loi d’orientation sur l’école de 1999 qui dit dans une phrase sibylline qu’on doit « placer l’enfant et l’élève au cœur du système scolaire ». Suivent un certain nombre de décisions politico-adminis-tratives qui vont aider à la prise en charge des jeunes qui décrochent. On voit par exemple arri-ver des commissions de repérage et de préven-

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

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tion de l’absentéisme, des conventions entre l’Éducation natio-nale, le Ministère de la Justice, parfois la Police et les Conseils généraux impliqués au titre de la protection de l’enfance. De nouvelles scènes d’action apparaissent, à partir du scolaire, mais dépassant le scolaire. Des dispositifs de veille éducative vont être créés, d’abord au sein de l’Éducation nationale, puis, progressivement dans les quartiers. Des dispositifs autant préoc-cupés de prévention de la délinquance que de problèmes sco-laires. Voire beaucoup plus préoccupés de questions de préven-tion de la délinquance que de questions scolaires. Voire plus du tout préoccupés de questions scolaires.

Ce terme un peu stigmatisant de veille éducative va être trans-formé pour donner naissance à un programme labellisé « Réus-site éducative ». De « veille », on passe à la notion de « réussite ». De stigmatisation, on cherche à passer à la mobilisation des capacités des acteurs. Ce programme de réussite éducative est une incitation gouvernementale en direction des municipalités qui sont, en France, en charge des questions socio-urbaines. Cela se traduit par la création de programmes de réussite éduca-tive (PRE) dans plus de 600 villes en France. Au même moment, l’Éducation nationale se dote d’un dispositif qui doit amener la mise en place de projets personnalisés de réussite éducative (PPRE). L’enjeu est l’accrochage entre ces deux dynamiques.

L’aide personnalisée se met en place à l’intérieur des collèges et des lycées français, puis arrive l’appel à projets de Martin Hirsch, le Haut Commissaire en charge des questions de jeunesse qui inscrit la lutte contre le décrochage scolaire parmi 4 ou 5 objectifs majeurs. Notons d’ailleurs que la région Aquitaine a été retenue dans cet appel à projets. Au total, on a donc des initiatives autour de la lutte contre le décrochage et de la réussite qui viennent de la politique de la ville, au niveau gouvernemental, mais qui doivent, pour exister, trouver des mobili-sations municipales ; on a des outils de suivi et d’accompagnement à l’intérieur de l’Éducation nationale, et on a des ini-tiatives sans doute très originales susci-tées par le Haut Commissariat à la jeunesse.

On a donc les termes de « persévérance » au Québec et de « réussite éducative » en France. Le meilleur terme pour relier ces deux objectifs est sans doute le terme de « lutte contre le décrochage ». Mais faut-il encore s’entendre sur la définition du terme « décrocheur ». Dans le langage courant français, le terme « décrocheur » désigne des ruptures de cursus scolaire en cours d’année : tentative de suicide, renvoi disciplinaire, absentéisme prolongé, etc. C’est autour de ce phénomène qu’ont été mises en place les Commissions de lutte contre l’absentéisme, la mis-sion générale d’insertion de l’Éducation nationale, les classes relais ou les écoles de la seconde chance. Au Québec, par extension, le terme « décrocheur » est employé pour repérer les jeunes qui seraient en risque de décrochage. Donc, on pourrait dire plutôt des jeunes « potentiellement décro-

cheurs ». Les Québécois considèrent qu’ils ont une responsa-bilité de repérer dans certaines classes les jeunes qui seraient en risque de décrochage et de leur proposer des accompagne-ments spécifiques.

Troisième définition, enfin : celle qui a été employée dans les dis-cours d’ouverture et qui rend le terme de décrocheur synonyme de « jeune qui n’a pas eu de diplomation à l’issue du secon-daire ». Cela élargit complètement le nombre de jeunes concer-nés. D’autant que ce taux de non diplomation est calculé en général 2 ans après la sortie parce qu’il y a au Québec une tradi-tion du raccrochage beaucoup plus forte qu’en France. Nous, on ne parle pas de « raccrochage », mais de « réintégration » ou de qualification et de formation tout au long de la vie. On a donc une reprise d’étude souvent beaucoup plus importante au Québec

où, quand on parle du décrochage, on regarde quelquefois bien après le dis-positif de formation initiale.

On peut rentrer un peu dans le détail de la manière dont s’y prennent les Québécois sur cette question si impor-tante pour eux. Ce qui frappe, c’est le fait qu’ils sont très attentifs à appuyer leurs argumentaires et leurs modes d’action sur des références positives.

Chaque jeune y est essentiel pour la cohésion sociale et pour la prospérité économique. Alors qu’en France nous sommes sur un marché du travail défavorable pour les jeunes et sur une hausse démographique, eux sont sur un marché favorable pour les jeunes avec une baisse démographique. La question de la relève est essentielle pour la société québécoise. C’est pour cela qu’ils mettent cette question du décrochage et de la « diploma-tion » au cœur de leur stratégie d’action publique. (…)

Autre différence, leurs recettes d’actions sont basées sur une légitimation du ciblage, terme tellement controversé en France. Ciblage des territoires, ciblage des écoles et ciblage des jeunes. Ciblage des territoires avec l’établissement de cartes sur le taux de sortie sans diplôme, par exemple, chez les garçons, par muni-cipalité. Cartes que chacun peut télécharger. En France, vous n’aurez pas ces cartes dans les mains, je vous le dis tout de

La question de la relève est essen-tielle pour la société québécoise. C’est pour cela qu’ils mettent cette question du décrochage et de la « diplomation » au cœur de leur stratégie d’action publique.

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 20116

suite ! Eux les ont : pour être efficaces, ils ont complètement digéré cette question du ciblage.

Seconde manière de détecter les zones d’inter-vention : les écoles. Depuis plus de 15 ans au Québec plusieurs dizaines de milliers d’enfants font l’objet chaque année de questionnaires très lourds. Les enseignants sont également ques-tionnés sur le climat de l’école, sur les problèmes perçus, l’indiscipline, les comportements vio-lents, les gangs, les drogues et sur les pratiques éducatives. Il y a donc un travail de suivi dans le temps du climat et de l’environnement scolaire qui donne lieu à des cotations, parce que ce sont des enquêtes quantitatives. On est en Amérique du Nord, donc pas de sociologie sans chiffres. Ils font aussi du qualitatif, mais il y a systémati-quement une base quantitative dans leurs tra-vaux de recherche. Il ne serait pas possible de diffuser ce genre de questionnaire, à mon avis, en France aujourd’hui. Je ne pense pas. Il serait vécu comme stigmatisant pour l’école.

Troisième niveau de ciblage : les jeunes eux-mêmes. À partir d’un travail de recherche de Lau-rier Fortin et de Pierre Potvin, de l’Université de Sherbrooke et de l’Université de Trois-Rivières, le CTREQ (Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec) met par exemple à dispo-sition un logiciel qui permet d’auto-administrer auprès des jeunes des questionnaires qui analy-sent leur positionnement, leurs inspirations, leurs motivations, leurs réussites, leurs échecs, et qui permet de produire des diagnostics. Cela donne au final un portrait de l’école. On cherche à voir dans la classe quelle est la proportion de jeunes qui seraient en risque de décrochage et donc de non « diplomation ». Puis on essaie, dans un deu-xième temps, de pointer le processus de décro-chage qui serait sous-jacent.

Autre élément de la logique d’action des Québé-cois : ils partent du terrain. Ce sont des pragma-tiques, ils s’appuient sur la recherche, mais ils n’imposent pas par le haut. Le socle c’est la com-munauté. C’est dans le milieu local qu’on doit faire le diagnostic. C’est là qu’on doit prendre des risques en termes de construction de straté-gies d’intervention. Et c’est autour du milieu local que se lancent les actions. Le milieu régional, lui, doit évaluer et aider à « protocoliser ». C’est un grand mot pour dire qu’il fixe des manières de faire stabilisées pour un essaimage au-delà de la région et ainsi rejoindre l’ensemble de la straté-gie provinciale.

Donc, évaluation, protocolisation et surtout com-munication. Les régions ont systématiquement dans leurs équipes qui travaillent sur ces sujets-là, des chargés de communication parce que c’est autour de la communication qu’on va faire valoir les arguments et les stratégies d’actions pour chercher des financements et favoriser l’essaimage.

Un événement récent et important est venu modi-fier ce paysage de mobilisation ascendante et de coordination régionale : le gouvernement s’en mêle. Tout est parti de l’importante initiative citoyenne du « groupe Ménard ». Pour nous Fran-çais, quelle extraordinaire histoire que de voir le Président de la Banque de Montréal prendre la tête d’un groupe de pression composé de repré-sentants des milieux d’affaires, d’hommes poli-tiques, de chercheurs, de représentants du gou-vernement, d’organismes communautaires, de représentants de régions, pour se saisir du décro-chage, pour faire un état de la situation, chiffrer son coût économique et social et organiser une manifestation réunissant 500 personnes avec la ministre, les milieux d’affaires, les chercheurs afin d’inscrire cette question sur l’agenda du gouver-nement. Dix lignes d’action sont proposées. Pour chacune, les actions sont chiffrées et un leader est identifié. La ministre s’est nourrie de ce travail et a, quelques mois plus tard, stabilisé une stratégie d’actions ministérielles : « Tous ensemble pour la réussite scolaire ». Avec un objectif : monter de 72 à 80 % le taux de diplomation en 2020. Et une exi-gence : chacune des 72 commissions scolaires du Québec doit négocier avec le ministère la manière d’atteindre ces 80 %. Une fois encore, pas de prescription par le haut, chaque commission doit dire comment elle va s’y prendre.

Le ministère ne mettra pas forcément beaucoup d’argent dans l’affaire. L’argent est aussi dans une autre stratégie concomitante qui dépend directement du Premier ministre : la stratégie d’action jeunesse. Cette stratégie repose sur six défis pour les années à venir. L’éducation et l’emploi constituent le premier de ces défis, Et ici aussi, point de salut autre que dans les initia-tives locales. Pour aider à la mise en place de stratégies locales sur le décrochage scolaire, il est prévu la création d’un organisme qui mixte fonds publics et fonds privés. Le gouvernement s’est mis d’accord avec la grande fondation pri-vée André et Lucie Chagnon pour créer un fonds de 50 millions de dollars sur 5 ans venant en aide aux initiatives régionales. n

Ils ontdit... (*)

C’est quand même ce qui se passe

au sein des classes, dans l’école obli-

gatoire, à travers des pratiques péda-

gogiques adaptées aux élèves, qui est

d’abord déterminant en termes de pré-

vention du décrochage et de sortie sans

qualification.

Bernadette Barnabé, chef d’établissement

Si la compétence générale des collec-

tivités territoriales venait à être remise

en cause, cela conduirait à diminuer les

financements croisés que l’on connaît

aujourd’hui et donc à mettre un nouvel

obstacle au développement de l’éduca-

tion en général et plus particulièrement

au traitement de la difficulté scolaire.

Jean Faller, chef d’établissement

(*) Extraits d’interventions au cours des

débats avec la salle.

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 7

Marco GaudreaultNous vous proposons de découvrir une mobilisation dans la région de la Capitale-Nationale autour de la persévérance scolaire.

Mobilisation de qui d’abord ? Il est important de dire qu’il s’agit de la mobilisation de toute une communauté : des milieux muni-cipaux, des décideurs socio-économiques, des leaders socio-sanitaires, des associations présentes sur le territoire. Tous ensemble, nous voulons mettre le jeune et sa persévérance au cœur de nos préoccupations.

Cette mobilisation s’initie autour d’un constat, d’un diagnostic posé. Pas pour donner des recettes, mais pour identifier des facteurs clé plus prometteurs que d’autres et faire un tri dans certaines orientations.

Le constat, choquant, c’est qu’environ 1 000 jeunes de la région – sur environ 33 000 – quittent chaque année l’école secon-daire sans diplôme. Face à cela, quelle innovation sociale a-t-on mise en place ? Une innovation sociale, c’est toute approche, toute intervention, tout produit ou service – novateur évidem-ment – ayant trouvé preneur au niveau des institutions ou des organisations. Il y a innovation sociale quand, sur le terrain, des acteurs y adhèrent et changent leurs manières de faire. Il y a une innovation sociale lorsqu’un milieu utilisateur s’approprie de nouvelles connaissances, de nouveaux procédés, et qu’il y a mise en valeur du processus.

Il y a trois grandes phases dans la mise en place d’une pratique innovante :- l’identification d’un problème,- l’émergence, l’élaboration d’un projet commun,- l’expérimentation des solutions de rechange.

On les met en application dans des projets pilotes, puis on les évalue, on les adapte et on les propose. C’est quand il y a appropriation par les premiers utilisateurs visés qu’on com-mence vraiment à parler d’innovation sociale.

Il faut se donner le temps, avoir une vision commune de la pro-blématique et se mettre d’accord sur l’orientation de nos actions, ce qui implique que chacun traduise ses préoccupations dans un langage com-préhensible aux partenaires.

Il y a quatre grandes phases au proces-sus de traduction. D’abord, la problématisation pour se donner une vision commune, un objec-tif commun. Les acteurs se présentent avec des intérêts souvent divergents, mais avec un objectif commun. Tous y gagnent quand la diplomation s’accroît.

Suivent l’intéressement et l’enrôlement. Il s’agit de rallier les

Persévérance et réussite au QuébecUne approche globale et transversalefavorisant l’innovation socialeExemples d’une démarche régionale concertée et de projets inspirants adaptés aux besoins spécifiques des jeunes

Marco GaudreaultChargé de cours à l’Université Laval et Responsable de la recherche et du soutien technique à ÉCOBES - Recherche et transfert (Québec)

Jean-François St-CyrCoordonnateur de l’instance régionale de concertation sur la persévérance scolaire de la Capitale-Nationale (Québec)

Véronic PratteReprésentante du Gîte Jeunesse, organisme d’hébergement communautaire pour jeunes garçons de 12 à 17 ans en difficulté (Québec)

Conférence

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 20118

autres à notre vision, puis de les enrôler. On négocie des rôles, on s’implique dans l’avancée d’un projet.

Vient enfin la mobilisation élargie, l’atteinte d’une masse critique d’acteurs, en alliance, qui rendent l’action entreprise crédible, voire indiscutable. À un moment donné, la problématique et les enjeux sont tellement incontournables qu’il devient évi-dent qu’il faut revoir notre mode de fonctionne-ment et passer à l’action.

Ce qui caractérise beaucoup l’innovation sociale mise en place autour de la persévérance sco-laire dans notre région, c’est que la recherche fut partenariale. Elle a mis en lien des acteurs de tous les milieux pour orienter les chercheurs. Un comité-conseil a été constitué de tous les acteurs pour être à l’écoute des besoins, des question-nements, des inquiétudes, des intuitions des acteurs de terrain.

Le transfert des connaissances est une étape importante qui a pour objectif l’appropriation par un utilisateur. Ce transfert est bidirectionnel. Ainsi, la connaissance du milieu utilisateur peut être uti-lisée pour la prise de décisions des chercheurs.

Voilà, rapidement, la définition d’une innovation sociale. La nôtre s’est articulée autour d’une entente spécifique que va vous présenter Jean-François St-Cyr.

Jean-François St-CyrLa région de la Capitale-Nationale est une région de près de 700 000 habitants qui a la chance d’avoir un très bon taux de réussite, comparée aux autres régions du Québec. Notre taux de décrochage est donc moins problématique que dans d’autres territoires. Pourquoi, alors, avoir bougé ?

On a bougé pour plusieurs raisons. D’abord, notre démographie fait que nos jeunes sont de plus en plus rares alors que nos besoins de main-d’œuvre s’accroissent, surtout dans des secteurs tels que l’économie du savoir, qui nécessitent des

qualifications importantes, universitaires, mais aussi techniques, professionnelles.

En 2007, on m’a donné mandat de rallier les partenaires autour de la cause de la persévérance scolaire pour rassembler de l’argent. Le chiffre de « 1 000 décro-cheurs » par an offrait l’opportunité de créer un message facile à retenir et à

diffuser. C’est l’équivalent d’un lycée qui se vide chaque année. Cette image forte

permettait de les sensibiliser. Dix mois de tra-vail, de relations avec les partenaires, ont permis de les rallier autour de ce qu’on appelle « une

entente spécifique » intitulée La persévérance... c’est capital ! On a réussi à rallier 27 partenaires, un record chez nous pour une entente spécifique.

Deux objectifs les rassemblaient au début de la démarche. D’abord, celui d’augmenter le taux de diplomation et de qualification au secondaire, donc d’aller chercher un premier diplôme qua-lifiant à 16, 17 ans. Ensuite, pour plusieurs par-tenaires de la région, entre autres les collèges qui offrent des formations très intéressantes en mécanique, en électronique, etc., mais qui voyaient leurs belles salles de cours et leurs laboratoires un peu vides, c’était intéressant de teinter certaines de nos actions pour intéresser davantage de jeunes aux sciences et aux tech-nologies. (…)

Marco GaudreaultQuels sont les ingrédients de la mobilisation réussie ? Une problématique rassembleuse, un climat de confiance et un respect réciproque des personnes engagées. Le climat de confiance est central. Il faut que chacun accepte de ne pas aller faire le travail des autres. Il faut éviter la vision corporatiste. Si le milieu scolaire avait été réticent au fait qu’une communauté s’implique, elle aussi, derrière ses écoles, on aurait perdu un acteur important. On a réussi à convaincre le milieu scolaire du fait qu’il y avait des leviers qui ne lui appartiennent pas qui peuvent aussi aider à atteindre les mêmes objectifs. Mais il ne s’agis-sait pas de faire à leur place, de s’ingérer dans la manière d’enseigner des professeurs. Par contre, il n’y a pas forcément qu’un professeur ou un directeur d’école qui puisse aller interpeller un parent.

Un plan d’action régional structuré a été mis en place, puis on a initié des actions novatrices res-pectueuses des compétences de chacun. Une stabilité des ressources humaines et financières est nécessaire. Il faut que le soutien, puis les ressources humaines, soient stables. Les com-pétences qu’on acquiert en faisant l’exercice doi-vent se maintenir dans le temps, pour ne pas être obligés de recommencer à chaque fois. (…)

Sur la base d’une vision commune, on passe à une action concertée que vont évoquer Jean-François St-Cyr et Véronic Pratte.

Jean-François St-CyrPour les partenaires de l’entente spécifique, il était important, avec la somme qu’on avait ras-semblée, d’intervenir dans certains milieux, dans des zones urbaines sensibles où il y a des actions à mettre en place pour aider les jeunes à persé-

Ils ontdit... (*)

Au Québec, l’interaction entre la

recherche et le terrain est très présente

et elle est indispensable à la conduite

des innovations et des changements.

C’est bien moins le cas en France où

l’interaction entre la recherche et le ter-

rain a beaucoup de mal à se faire.

Un intervenant non identifié de la salle

Lire dans un powerpoint contempo-

rain que l’« on est acteur du change-

ment social », cela mérite d’être relevé !

Voici très longtemps que je n’avais pas

rencontré cette expression dans un tel

cadre, alors cela fait effectivement plai-

sir.

Vincent Coudert, directeur de CFA

(*) Extraits d’interventions au cours des

débats avec la salle.

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 9

vérer. Il y a eu tout un processus pour identifier six secteurs avec des plans d’action qu’on souhaitait appuyer. Ces plans d’action sont très variés : cela va de l’appui à certaines associations, à la création de nouveaux projets ou d’événements. Cela peut être des campagnes de sensibilisation, de soutien aux parents, l’aide au devoir, etc. Ce qui est intéressant dans la démarche, c’est que les partenaires, les signataires de l’entente, jugent que ces milieux sont les mieux placés pour identifier leurs priorités, leurs problématiques et les acteurs qui devraient travailler sur les élé-ments qu’ils jugent essentiels.

Avec Véronic Pratte, on souhaite maintenant vous présenter un exemple concret d’action avec le Gîte Jeunesse.

Véronic PratteJe suis une intervenante sociale au Gîte Jeu-nesse, travaillant directement avec des jeunes garçons de 12 à 17 ans, qui vivent une difficulté quelconque. Cela peut être un problème de toxicomanie, une difficulté avec leurs parents, etc. Cet organisme communautaire a émergé il y a 20 ans à l’initiative de parents qui rencontraient certaines difficultés avec leurs adolescents.

Aujourd’hui, nous avons deux points de service, deux maisons et on offre l’hébergement. La participation est volontaire. Il est hors de question de forcer un jeune à venir chez nous. C’est le jeune qui nous appelle et qui décide : « J’ai envie de m’investir dans une démarche pour améliorer ma situation, donc, je vais aller faire un séjour ». Il vient vivre – habituellement pendant 30 jours – avec nous dans une maison qui n’a rien d’institutionnel. (…)

On vient également en aide aux parents qui ont des difficultés au niveau de l’encadrement parental et/ou des inquiétudes par rapport à leur enfant, ce qui les amène parfois à demander un hébergement.

Durant les 30 jours, le jeune, qui à tout moment peut quitter le Gîte, retourne chez lui sporadiquement, habituelle-ment les week-end, pour ne pas qu’il y ait une rupture avec le milieu familial. Au retour, on voit, au cours des rencontres familiales, ce qui s’est bien passé et ce qui s’est moins bien passé pour s’ajuster. C’est très important et les parents doivent accepter de s’investir dans la démarche. On leur fait signer une délégation parentale pour qu’ils nous autorisent à garder leur enfant pendant le séjour, mais ils en demeurent responsables.

Nous travaillons beaucoup avec l’approche globale en considé-rant que tout individu est doté d’une personnalité complexe, qu’il assume plusieurs rôles sociaux, que tout problème individuel est représentatif d’un problème collectif et que tout problème local est représentatif d’un problème global. En conséquence, toute intervention exigera de prendre en compte l’ensemble de l’iden-tité du jeune. Nous ne travaillons pas avec des problèmes, mais avec des individus qui ont une histoire, des valeurs, des intérêts,

des compétences, du potentiel. En fait, vraiment, on essaie de se focaliser sur le positif. L’approche globale est un antidote à toute forme d’intervention qui tend à réduire la personne à une ou quelques dimensions de son être.

En 2009-2010, 246 jeunes ont fréquenté nos services, dont 120 qui ont fait un séjour complet de 30 jours. Ensuite certains sont rentrés chez eux, mais d’autres ont dû aller dans des services plus institutionnels, en famille d’accueil ou dans des foyers de groupe. Sur ces 120 jeunes, nos statistiques disent qu’il y aurait plus de la moitié qui vivait une démotivation scolaire ou qui aurait décroché. Quand ils viennent dans notre maison, ils doivent

avoir une occupation principale – l’école, la recherche d’emploi, la recherche de projet de vie – mais ils ne peu-vent pas être en inaction.

La démotivation scolaire n’est pas une problématique unique. Souvent, d’autres problèmes viennent se gref-fer. Beaucoup ont un problème de consommation de drogue ou d’alcool, beaucoup de jeunes ont des pro-

blèmes d’agressivité. On essaie de leur montrer com-ment communiquer autrement.

Tous les jeunes qui vivent la démotivation scolaire ont des conflits familiaux avec leurs parents. Est-ce les conflits familiaux qui entraînent la démotivation ou la démotivation qui entraîne les problèmes familiaux ? Souvent cela vient ensemble. Soit les parents mettent beaucoup de pression aux enfants pour qu’ils réussissent ou qu’ils aillent dans une branche qui ne les inté-resse pas, soit les problèmes à l’école entraînent une dégrada-tion du climat familial. Beaucoup de jeunes vivent aussi la négli-gence parentale, voire un abandon. Nous constatons également un gros pourcentage de familles monoparentales.

Je voudrais vous expliquer pourquoi nous avons décidé d’intégrer le comité stratégique. En tant qu’organisme com-munautaire, c’était pour nous une façon de combattre nos propres préjugés et d’aller aussi parler au nom des jeunes avec lesquels nous travaillons. C’était intéressant d’essayer de calmer nos insatisfactions comme intervenants. Au

lieu de gérer cela par de la colère ou de rester dans notre coin, nous avons préféré être pro-actifs, aller voir ce qui se passe vrai-ment et nous interroger ensemble. C’était aussi une forme de crédibilité et de valorisation de notre travail.

Pour finir, j’aimerais vous présenter le cas d’un jeune qui a décidé de venir au Gîte parce qu’il avait beaucoup de problèmes à la maison. Les conflits avec sa mère étaient très liés à ses per-formances scolaires. Nous avons décidé de travailler de concert avec l’école et la famille et, en reconnaissant nos champs de compétences respectifs, nous sommes parvenus à redonner confiance à ce jeune. Il fallait voir la lumière dans ses yeux quand il m’a dit : « Mais je suis capable de comprendre ! ». n

L’approche globale est un anti-dote à toute forme d’intervention qui tend à réduire la personne à une ou quelques dimensions de son être. (Véronic Pratte)

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201110

Apprendre un métier en entreprise : une réhabilitation de soi ?

Gilles MoreauSociologue, Professeur à l’Université de PoitiersCo-directeur du Groupe de Recherche et d’Études Sociologiquesdu Centre-Ouest (GRESCO)

En France, il existe deux façons d’ap-prendre un métier. Celle des lycées

professionnels, que j’appelle l’ap-prentissage scolarisé : l’essentiel de la

formation se fait à l’école avec des cours et des séquences en ateliers, complétés par

des stages en entreprise.

L’apprentissage en entreprise est la deuxième voie, que j’appelle l’apprentissage salarié. Les jeunes alternent leur temps dans une entreprise, où ils travaillent avec les autres ouvriers tout en apprenant le métier, et dans un Centre de Forma-tion d’Apprentis (CFA).

Cet apprentissage a failli disparaître dans les années 60 quand s’est développée l’idée qu’on pouvait apprendre des métiers à l’école. À l’époque, le discours sur l’apprentissage est quasiment nul ou négatif. En 1975, on ne comp-tait plus que 170 000 apprentis, contre 300 000 en 1960. Pourtant, cet apprentissage en entre-prise survivra et renaîtra de ses cendres.

Plusieurs raisons expliquent son renouveau. La première, c’est l’essor du chômage dans les années 80. En particulier le chômage des jeunes qui suscite tout un jeu de critiques contre l’école, et notamment contre les lycées professionnels qui ne prépareraient pas suffisamment les jeunes au marché du travail. L’idée selon laquelle l’en-treprise serait formatrice revient alors en force et l’apprentissage va bénéficier de mesures qui vont contribuer à le refaçonner. En 1971, une loi établit que l’apprentissage en entreprise est une voie de formation à égalité avec la voie scolaire. Puis, en 1987, la réforme Seguin élargit le champ d’application de l’apprentissage. Auparavant, on

ne pouvait préparer que le CAP. Dorénavant, on peut préparer tous les diplômes professionnels et techniques qui existent dans le champ scolaire et on peut faire se succéder plusieurs contrats d’ap-prentissage. L’idée de filière apparaît. L’âge d’en-trée en apprentissage est reporté à 25 ans. Enfin, à partir des années 90, l’État va profondément soutenir l’apprentissage par des campagnes de communication, des aides financières et des dégrèvements de charges sociales, etc. Bilan : l’apprentissage connaît un essor constant et régulier. On comptait 425 000 apprentis en 2007, selon les derniers chiffres détaillés du ministère chargé du travail.

Alors, quelles sont les vertus de l’apprentissage pour contribuer à une réhabilitation de soi ? À l’évidence, rentrer en apprentissage fait grandir, prendre des responsabilités, accéder à l’indé-pendance financière. Cela permet surtout à ces jeunes de gérer ce que j’appelle leur « désamour scolaire ». La plupart des apprentis n’étaient effectivement pas férus du travail à l’école. Témoins quelques chiffres d’une enquête que j’ai faite dans les Pays-de-la-Loire en 2007. Sur un échantillon représentatif de 5 000 appentis, 32 % ont redoublé au primaire, 38 % ont redou-blé au collège. 21 % des apprentis de CAP pro-viennent d’une classe inférieure à la troisième ou de classes « dérogatoires ». L’apprentissage leur permet de donner du sens à ce qu’ils font.

En CAP, BEP, ou en Bac Pro, on rencontre sur-tout des jeunes de milieux populaires qui por-tent très souvent un système de pensée que j’appelle l’anti-intellectualisme populaire et qui oppose théorie et pratique. Une autre expression

Conférence

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 11

du sociologue anglais Richard Hoggart parle de leur « regard oblique » porté sur l’école. (…)

En France, on a développé à partir des années 85 une politique des 80 % au Bac. Cette volonté de scolariser la jeunesse – sans doute éminemment respectable – a créé une catégorie de jeunes que mon collègue Stéphane Beau appelle de la jolie expression « les malgré nous scolaires ». Ce terme désigne des jeunes qui sont embarqués dans cette nouvelle norme du Bac, dans cette nouvelle norme de la poursuite d’études, sans vraiment y croire et qui pour une partie d’entre eux – que ce soit la fin d’un BEP ou en lycée – vont se tourner vers l’apprentissage pour sortir de cette espèce d’impasse dont ils ne voient pas vraiment la fin.

Qu’il s’agisse de désamour scolaire, d’anti-intellectualisme populaire ou des « malgré nous scolaires », l’apprentissage offre des formes de réhabilitation de soi. Cela permet de quit-ter l’école, mais sans se déscolariser. On évite donc la stigma-tisation de la déscolarisation et on redonne du sens à la forma-tion. Et notamment pour ceux qui sont en situation de « regard oblique sur l’école», cela contribue à se reconstruire et, pour la plupart, à réussir. Cette fonction de redonner le sens de la forma-tion, le lycée professionnel l’a aussi. Je tiens à le dire.

Cette réhabilitation de soi ne marche dans l’apprentissage que pour ceux qui persévèrent. Je voudrais rappeler là qu’il y a un taux de rupture de contrat d’apprentissage très élevé, jusqu’à 30 % dans l’hôtellerie-restauration par exemple, et dans ces cas-là, cela ne marche pas.

Quelles sont les limites de ce processus de réhabilitation de soi et de réussite par l’apprentissage en entreprise ? J’en ai vu quatre qui freinent un petit peu l’enthousiasme qu’on pourrait avoir. Certes, il y a un réel processus de réhabilitation de soi, mais il n’est pas parfait.

D’abord, l’apprentissage n’est pas uni-versel dans le sens où tous les jeunes pourraient en profiter. Deux caractéris-tiques me permettent de dire que ce n’est pas un dispositif universel : une sous-représentation des enfants d’im-migrés et le fait que l’apprentissage est quand même tendanciellement masculin. 70 % de garçons, 30 % de filles. Si l’apprentissage a tant de vertus, cela serait bien qu’on arrive à une égalité des genres. Or, les réformes n’y changent rien. C’est lié aux métiers qui sont proposés en apprentissage et aux entreprises qui prennent des apprentis. J’ai des témoi-gnages de filles qui ont fait une centaine de salons de coiffure ou de pharmacies pour trouver un maître d’apprentissage. (…)

Le troisième écueil, c’est l’existence d’un plafond de verre dans l’apprentissage. Théoriquement, depuis la réforme de 1987, l’ap-prentissage permet de préparer tous les diplômes de l’enseigne-ment professionnel, du CAP-BEP jusqu’au diplôme d’ingénieur et au Master. D’ailleurs, quand on fait la promotion de l’appren-tissage, on parle souvent de « la filière apprentissage ». Or, c’est un leurre : il y a un plafond de verre au niveau du Bac.

Autrement dit, il y a deux marchés de l’apprentissage. Celui de l’apprentissage de niveaux 5 (CAP, BEP) et 4 (Bac Pro), et celui de l’apprentissage du supérieur. Et ces deux niveaux se distin-guent socialement et scolairement.

Socialement, plus on monte dans la hiérarchie des diplômes en apprentissage, plus le nombre d’enfants d’ouvriers et d’em-ployés diminue et plus le nombre d’enfants de professions inter-médiaires et supérieures s’accroît. De ce point de vue, l’appren-tissage n’a rien à envier à l’école.

La dernière limite – qui m’inquiète beaucoup – est que le dispo-sitif est depuis une vingtaine d’années tiré irrémédiablement vers le haut. D’abord parce qu’on crée beaucoup plus de diplômes

du supérieur, ce qui fait décroître le poids du CAP ou du BEP. Dans ce contexte, la disparition annoncée du BEP à l’occa-sion de la création du Bac Pro en 3 ans n’est pas, me semble-t-il, une bonne nouvelle. De plus, l’apprentissage dans sa « concurrence » avec l’école, s’est beaucoup focalisé sur la réussite aux diplômes. Les CFA présentent leur taux de réussite aux diplômes comme

un critère important. Du coup, l’apprentissage ne cesse de se scolariser et le temps passé en CFA s’accroît.

Autre effet : le développement des formes de sélection à l’entrée en apprentissage par les maîtres d’apprentissage, mais aussi par les CFA. Les fractions les plus fragilisées des milieux populaires sont écartées au fur et à mesure du dispositif. Elles sont ren-voyées soit vers le lycée professionnel, soit dans des dispositifs de prise en charge spécifiques. Résultat : les petits diplômes professionnels perdent du terrain et sont menacés, alors qu’ils sont pour ceux qui sont en difficulté des clés pour accéder à une forme de réussite ou à une forme de persévérance. Le diplôme, même petit, est une des rares armes des pauvres ! n

Plus on monte dans la hiérarchie des diplômes en apprentissage, plus le nombre d’enfants d’ouvriers et d’employés diminue... De ce point de vue, l’apprentissage n’a rien à envier à l’école.

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201112

Alain RoussetPrésident du Conseil régional d’Aquitaine

Je suis très heureux que ce colloque réunisse Qué-bécois et Français pour partager sur la persévé-rance et la réussite de tous les jeunes. J’aime bien ce terme. En France, on lutte contre le « décrochage scolaire ». Vous, vous êtes positifs, vous luttez pour la « persévérance ». Je crois qu’une nation, une région, qui ne se préoccupe pas au premier chef de la jeunesse ne se préoccupe pas non plus des autres générations. La jeunesse a un rôle essentiel. Ne serait-ce que parce qu’elle va prendre les res-ponsabilités économiques, sociales ou politiques dans les années qui viennent. (…)

Dans un moment où l’histoire s’accélère, la nécessité de s’adapter rapidement au monde est de plus en plus forte, notamment pour les jeunes issus de milieux populaires. Une nation, une région, a intérêt à élever la masse. Il faut se sortir de cette idée qu’il y aurait une contradic-tion à fabriquer une élite et à élever le plus grand nombre. L’adaptation aux crises, le changement de métiers plusieurs fois dans sa vie, nécessitent une connaissance de base. (…) Vous avez mis en place, au Québec, un disposi-tif de persévérance qui s’appuie sur le travail en réseau de l’ensemble des acteurs. On a expé-rimenté ces dispositifs dans trois territoires - le Blayais, le Marmandais et les Hauts de Garonne - en associant l’Éducation nationale, l’enseigne-ment agricole, l’apprentissage, les MFR, les mis-sions locales. Ils se mettent en route.

Le décrochage dans l’apprentissage était sou-vent dû à l’absence de préparation, on a mis en place un autre dispositif - dit « Prépa » - qui per-met à 600 jeunes suivis par les missions locales de bénéficier d’un accompagnement pour trou-ver une formation et un maître d’apprentissage. Plus de 100 jeunes ont ainsi pu signer un contrat d’apprentissage pendant la première phase. Sans entreprises, il ne peut y avoir d’alternance. Nous avons ensuite mis en place 1 600 parcours deuxième chance. Nous, notre souci a plutôt été d’essayer de jouer sur les réseaux existants.

Un autre angle d’intervention est d’essayer de mettre en place un dispositif d’orientation. On sait qu’une formation choisie suppose une orientation préalable. Or, nous n’avons plus ou pratiquement plus de système d’orientation en France. Des initiatives ont été prises, par exemple au Lycée de Langon et au Lycée des métiers de Blanquefort (BTP, métallurgie et soudure) où ce sont les lycéens eux-mêmes qui vont présenter leur métier aux collégiens. Ce système connaît un vrai succès qu’il faut développer. Il faut aussi mettre en place d’autres dispositifs – sur les salons d’information, sur internet – et que nous inventions un nouveau service public de l’orien-tation – avec les départements, avec le rectorat – car quand l’orientation est bien choisie, la for-mation est réussie et le métier est trouvé.

Cela suppose aussi que nous fassions se parler le monde de l’éducation, le monde de la forma-tion et le monde de l’entreprise. C’est pour cela que nous avons créé une structure qui s’appelle Cap Métiers et qui vise d’abord à demander aux entreprises « leurs besoins en matière de com-pétences à 2, 3, 5 ans ? » et ainsi permettre que le monde de la formation s’adapte, évolue. Il faut travailler en réseau et faire en sorte qu’il y ait un vrai pilote. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et c’est indispensable car nos systèmes de l’emploi, de l’orientation restent dispersés, éclatés, sans possibilité d’évaluation. Il faut moderniser notre dispositif et battre en brèche nombre d’idées pré-conçues pour monter un service public moderne répondant aux besoins d’élévation des com-pétences et de liberté de se mouvoir, dans un monde de plus en plus complexe. n

Clôture de la première journée

De gauche à droite : Wilfrid-Guy Licari, Délégué général du Québec à Paris ; Alain Rousset ; Bernard Maltais, Secrétaire du Comité exécutif de la Conférence régionale des élus de la Capitale-Nationale.

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 13

Claire GrygielOn peut aborder la question du décrochage scolaire en aval, en aidant les jeunes en situation de décrochage à trouver leur voie et s’insérer dans une formation, ou en amont, en les plaçant en situation de réussite scolaire. Les actions éducatives de la poli-tique de la ville s’inscrivent plutôt en amont.

Cette politique a été mise en œuvre au début des années 80 pour ramener des quartiers cumulant des difficultés en matière de chômage, de logements dégradés et d’échec scolaire à la norme du territoire de la ville dans laquelle ils s’inscrivent. Construits massivement en périphérie des villes, ils étaient considérés alors comme un nouveau modèle urbain, en termes d’architecture et de qualité de vie. Mais peu à peu, ils sont deve-nus des trappes à pauvreté dans lesquelles ne sont restées que les populations à faible niveau de qualification et de ressources. La politique de la ville trouve ses sources dans des opérations d’amélioration du cadre de vie ou des programmes de rava-lement de façade et des réhabilitations légères. Mais avec les premières émeutes dans les quartiers, on s’est rendu compte qu’au-delà d’une intervention sur le bâti, il fallait vraiment agir sur les conditions de vie de leurs habitants.

Cette politique a trois caractéristiques majeures :- c’est une politique territorialisée,- c’est une politique ciblée en direction de quartiers identifiés comme prioritaires,- c’est une politique globale, agissant sur le cadre de vie mais également sur les problèmes économiques et sociaux de ces quartiers.Et parce qu’elle est globale, c’est une politique qui est parte-nariale tant au niveau de sa conception par différents services de l’État et les collectivités, que dans sa mise en œuvre sur le terrain – fondée sur une dynamique de projets – par différents acteurs de la société civile : associations, habitants, centres sociaux, organismes municipaux, collectivités...

Concernant les actions proposées en matière d’éducation, il y a trois cadres. En 2003, l’État a lancé le Programme national de rénovation urbaine, consacrant des moyens inégalés jusqu’alors à la rénovation urbaine des quartiers avec d’énormes opéra-tions de démolition / reconstruction, y compris sur des établis-sements scolaires dans l’idée de modifier les cartes scolaires pour avoir plus de mixité.

Agir dans les territoires urbainsClaire Grygiel, Chargée de mission Politique de la ville à Payset Quartier d’Aquitaine

Josette Belloq, 1ère adjointe au Maire de Lormont, ancienne proviseurede lycée professionnel, missionnée par le Conseil régional d’Aquitaine pour le développement du réseau local pour la persévérance et la réussite des jeunes sur le territoire des Hauts de Garonne

Marco Gaudreault, Chargé de cours à l’Université Laval et Responsable de la recherche et du soutien technique à ÉCOBES - Recherche et transfert (Québec)

Francis Rathier, Directeur du cabinet de consultants Bers spécialisé dans l’évaluation des politiques publiques, l’accompagnement de la concertation et de la participation des habitants, l’assistance à la conduite de projet, la programmation urbaine et architecturale

Diane Laberge, Directrice de l’École secondaire Boudreau (Québec)

Éric Demers, Coordonnateur à la liaison du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ)

Thierry Oblet, Maître de conférence au département de sociologie de l’Université Victor Ségalen Bordeaux 2

Sandrine Ferradou, Consultante spécialisée en stratégie

Modérateur : Stéphane Dufour, rédacteur en chef à France Info

Table ronde

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201114

Deuxième cadre : le Contrat Urbain de Cohésion Sociale qui est un peu le volet social du Programme national de rénovation urbaine. Ce CUCS est organisé autour de 5 axes : développe-ment économique, emploi, logement-cadre de vie, lutte contre les discriminations et éducation. Pourquoi un volet éducation ? Parce qu’on est toujours sur l’idée de l’école de Jules Ferry, laïque, républicaine, permettant de trouver un emploi et de s’in-sérer dans la société. Ces actions éducatives ont pour objet d’agir sur les déterminants sociaux de la réussite scolaire, de créer des pas-serelles entre temps scolaire, temps familial et pratique de loisirs. La nou-veauté, c’est l’instauration du Pro-gramme de réussite éducative – dont parlera Francis Rathier – avec l’idée de repérer des enfants en grande dif-ficulté.

Le dernier cadre, enfin, ce sont les actions mises en place dans le cadre de la dynamique « Espoir ban-lieue » par Nicolas Sarkozy quand il est arrivé à la tête de l’État. Il a annoncé un « Plan Marshall » des banlieues avec un certain nombre de mesures sur l’éducation. Notamment les Cordées de la réussite. L’objectif est de faciliter l’accession des lycéens issus des quartiers prioritaires aux établissements d’excellence. Il y a aussi le développement des écoles de la deuxième chance ou le busing qui va permettre à des enfants scolarisés sur les quartiers en difficulté de suivre une scolarité sur des quartiers plus favorisés. L’idée qu’il faut sortir les enfants des quartiers pour les amener sur les bons établissements scolaires est assez contestable. C’est bien gentil d’amener 5 % des lycéens issus des quartiers en difficulté à faire Sciences Po ou l’ENA mais qu’est-ce qu’on fait des 95 % autres ?

Stéphane DufourJosette Belloq, en tant qu’élue et qu’ancien chef d’établisse-ment, vous connaissez bien cette problématique. Ce qui, très rapidement, vous est apparu important, c’est le rapprochement entre l’école et l’entreprise.

Josette BelloqOui, nous avions pour objectif de faire adhérer les entreprises au projet d’amener 100 jeunes de la Rive Droite à la réussite en les associant dès le départ au recrutement et au parcours de réussite de ces jeunes. Sans marcher sur les plates-bandes des acteurs qui travaillaient en relation avec les entreprises, nous avons simplement voulu élargir le vivier, le diversifier. Lycées professionnels et entreprises sont deux lieux d’apprentissage différents mais complémentaires. Les entreprises devront forcé-ment développer une capacité de formation et de citoyenneté plus importantes qu’elles ne l’ont fait jusqu’à présent.

Stéphane DufourSandrine Ferradou, vous êtes chef d’entreprise et consultante spécialisée en stratégie. C’est à ce titre que vous intervenez dans la politique proposée par Josette Belloq.

Sandrine FerradouTout à fait. Nous sommes partis du constat que, de tout temps, l’entreprise a joué un rôle de formateur en complément des acteurs de l’éducation. Depuis plusieurs années, le temps en entreprise ne cesse de croître et égale pratiquement le temps scolaire. D’autre part, la formation revient au cœur de la stratégie RH des entreprises qui se doivent de renouveler leur savoir-faire par l’apport de nouvelles compétences. En somme, le jeune a

besoin de l’entreprise et l’entreprise a besoin du jeune. Or, aujourd’hui, la ren-contre entre les deux univers ne se fait pas toujours dans les meilleures condi-tions et de nombreux antagonismes apparaissent, faisant resurgir des cri-tères un peu « ségrégationnistes ». Il y a donc un besoin très fort de réhabilitation du jeune vers l’entreprise et réciproque-ment. D’autre part, on s’aperçoit que le

savoir-être devient lui aussi un facteur de sélection important pour l’entreprise, avec un risque de décrochage pour certains jeunes.

Dans la démarche initiée d’activation des réseaux locaux pour la persévérance des jeunes, le principe stratégique est d’emmener l’entreprise au cœur de la réflexion amont et d’en faire un parte-naire de réussite très fort, capable de donner une vision réaliste du monde du travail, d’en traduire les codes et d’exprimer ce que seront ses besoins futurs.

En complément, un accompagnement du jeune sous format de coaching personnalisé sera donc initié et aura pour objectif de dupliquer ce qui se fait en entreprise et de le mettre à la portée des adolescents afin de les aider à se projeter dans l’emploi de façon réaliste et anticipatrice.

Stéphane DufourPrenons maintenant des exemples québécois avec vous, Marco Gaudreault.

Marco Gaudreault Chez nous, l’obtention du diplôme d’études secondaires – la diplomation – est une réalité différente selon chacune des loca-lités de résidence.

Prenons l’exemple des deux écoles secondaires du secteur de Charlevoix. On y constate que la diplomation n’est pas qu’une affaire d’école. Les taux de diplomation y sont fort différents d’une municipalité à l’autre bien que les élèves des deux éta-blissements soient soumis au même régime pédagogique, aux mêmes enseignants et au même encadrement scolaire. Le sta-tut socio-économique du milieu est donc fort important. Dans certaines municipalités, nous sommes en secteur forestier, dans d’autres en pôle urbain avec de meilleurs résultats. Pourquoi est-ce différent en milieu forestier, pour les garçons en particulier ? Peut-être parce qu’ils ont l’image de pères qui ont su s’en sortir malgré une scolarité parfois limitée et obtenir dans des indus-tries papetières des emplois très bien rémunérés sans obligation de diplôme. Cela montre qu’il y a forcément des facteurs cultu-rels importants sur lesquels on peut jouer.

Les entreprises devront forcément développer une capacité de forma-tion et de citoyenneté plus impor-tantes qu’elles ne l’ont fait jusqu’à présent. (Josette Belloq)

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 15

Stéphane DufourLa transition est toute trouvée avec Francis Rathier. Vous apparte-nez au cabinet de consultants Bers, spécialisé dans l’évaluation des politiques publiques, et vous avez eu l’occasion d’expertiser le programme de réussite éducative auquel Claire Grygiel faisait allusion tout à l’heure.

Francis RathierQuand on a fait le panorama de la réussite éducative avec Pays et Quartier d’Aquitaine, un des buts était de voir comment chaque contexte local s’était saisi de cette innovation. Il est apparu immédiatement qu’elle avait bousculé trois champs profession-nels importants : celui de l’Éducation nationale, celui de l’action sociale et celui des collectivités et de tous ceux qui travaillent sur le périscolaire, l’extrascolaire, tout ce qu’on pourrait appeler de manière plus large l’animation sociale.

Les 16 projets aquitains de réussite éducative s’inscrivaient dans des situations extrêmement diverses. Nous n’avons pas trouvé le même état d’avancement ni les mêmes façons de travailler, même s’il y avait des points communs. Le terme « réussite édu-cative » peut être un terme flou : est-ce qu’il renvoie à la réussite scolaire ? On comprend bien que ce n’est pas que de la réussite scolaire, mais que sans elle, la réussite éducative est un petit peu compliquée.

Il est frappant de constater qu’en Aquitaine, la mobilisation s’est principalement opérée à l’école primaire alors que les collèges étaient très peu mobilisés. La première chose à faire fut d’intéres-ser les acteurs. ( …)

On a vu apparaître un certain nombre de rôles dans la mise en œuvre de cette réussite éducative. Par exemple, que doit faire le coordonnateur ? Est-ce qu’il est simplement animateur ? Est-ce qu’il est celui qui va suivre les enfants ? Est-ce qu’il va être garant ?

La notion de référent est également apparue. Quels sont-ils ? Est-ce que l’on prend des professionnels ? Ceux qui ont l’habitude de travailler avec la famille ? Ceux qui ont l’habi-tude de travailler avec l’enfant ? Il y a aussi les parents qu’on cherche à enrôler même si cela est plus difficile. Enfin, à travers cette question d’enrôlement, il y a une figure qui est intéres-sante : c’est l’équipe pluridisciplinaire et la façon dont on est en capacité de construire du réseau. (…)

Stéphane DufourDiane Laberge, vous êtes directrice de l’école Boudreau, un établissement spécialisé pour les raccrocheurs, c’est-à-dire des enfants souvent défavorisés au Québec. Vous souhaitez nous parler des effets très concrets de la « défavorisation » telle qu’elle est perçue sur ces populations scolaires.

Diane LabergeEt aussi d’un programme du ministère de l’Éducation qui s’ap-

pelle : « La Stratégie d’Intervention Agir Autrement » (SIAA), mais qu’on appelle chez nous « Agir autrement ».

Un petit mot de l’école Boudreau pour situer les choses. C’est une école de raccrocheurs et/ou d’élèves qui sont en continuité de formation mais qui ont accumulé un retard scolaire. Elle accueille des jeunes âgés de 16 ans et plus, principalement issus des milieux défavorisés. Ils se présentent chez nous pour com-pléter leur parcours secondaire.

Ce sont des élèves qui, dès leur plus jeune âge, présentaient cer-taines carences de développement et ont rapidement développé des difficultés d’apprentissage. Leur retard s’est accentué entre le primaire et le secondaire, aboutissant souvent à un décro-chage, voire carrément un abandon de l’école. Ces élèves, pour la plupart aussi, vont avoir développé des troubles de comporte-ment. Cela va ensemble. Quand cela ne va pas bien à l’école, on devient « malcommode » comme on dit chez nous. Ces élèves arrivent chez nous à l’âge de 16 ans catégorisés, étiquetés et il y a beaucoup de travail à faire avec eux parce qu’ils sont pro-grammés pour ne pas aimer l’école, pour se savoir mauvais à l’école. Notre travail, c’est surtout de les « déprogrammer » et de leur redonner le goût de réussir, de poursuivre des études supérieures ou de s’intégrer au marché du travail.

« Agir autrement » est une mesure ministérielle qui a été déployée en milieux défavorisés, dans 6 des 11 écoles secon-daires du Québec à partir de l’année scolaire 2002-2003, puis élargie aux écoles primaires en 2007-2008. Ce n’est pas qu’une mesure financière. Chez nous, une mesure arrivant du ministère de l’Éducation est assortie d’un procédurier, d’une trousse. Cela nous demande de travailler avec beaucoup de rigueur et surtout

beaucoup de cohérence. Chaque école procède à un test pour connaître son milieu et faire un portrait de la situa-tion afin d’établir des priorités. Puis on en fait l’analyse pour travailler non en intuition et en croyance, mais avec ce que les résultats nous indiquent. C’est un défi parce qu’on est habités par nos croyances et parfois on veut outrepas-ser les chiffres.

On doit ensuite s’asseoir en équipe - autre beau défi ! - pour définir ensemble la priorité de nos problématiques, formuler des orientations et des objectifs, mettre des moyens en place. Puis, pendant l’année scolaire, on fait un suivi qui demande encore beaucoup de rigueur et de cohérence.

Stéphane DufourOn va rester au Québec, avec Éric Demers, qui est coordonnateur à la liaison du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec, pour évoquer les élèves qui connaissent une suspension de leur temps scolaire parce qu’ils sont exclus de l’école. Ce temps peut être mis à profit pour essayer de retrouver des bases.

éric DemersCréée en 2009 à Montréal, Alternative suspension est initialement une réponse à une école qui se questionnait fortement sur le réel

Chez nous, une mesure arrivant du ministère de l’Éducation est assortie d’un procédurier, d’une trousse. Cela nous demande de travailler avec beaucoup de rigueur et surtout beau-coup de cohérence. (Diane Laberge)

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201116

impact de la suspension scolaire chez les élèves. Une suspension est un échec pour l’élève, les parents et l’école. Lorsque l’école y recourt, il est important de transformer ce temps en un succès des acteurs impliqués.

Alternative suspension cible les adolescents qui fréquentent les écoles secondaires et qui vivent des difficultés dans leur cheminement scolaire et social. Ils sont souvent issus de milieux socio-économiques difficiles et de différentes commu-nautés culturelles fragilisées par le phénomène de décrochage scolaire. Son déroulement se situe en moyenne sur 5 jours pour être en mesure de créer un lien fort avec le jeune. Des sessions individuelles et des ateliers de groupe - de type gestion de colère, relation avec l’autorité - conduits par un intervenant spécialisé viennent ponctuer ce temps de travail.

La volonté est claire de rendre les apprentissages significatifs. Il y a une visite qui est prévue dans des centres de formation professionnelle. Le retour à l’école est accompagné par l’intervenant jeunesse qui suit le jeune, en présence du per-sonnel de l’école et des parents. Il y a aussi des rencontres de suivi et, si l’école le demande, des références vers d’autres ressources de la com-munauté.

A court terme, on peut percevoir plusieurs impacts. A moyen terme, on voit une réduction des comportements agressifs, impulsifs et per-turbateurs. On augmente les aspirations acadé-miques et professionnelles, il y a un regain de motivation et une diminution significative des suspensions.

L’intérêt de ce programme est de vraiment cibler des jeunes, de travailler avec eux et de créer un espace de discussion et de communication pour les ramener dans le réseau scolaire en meilleure situation.

Stéphane DufourThierry Oblet, vous êtes Maître de conférence au département de Sociologie de l’Université Victor Segalen Bordeaux 2. Nous allons voir avec vous que la persévérance et la politique de la ville peu-vent être deux notions extrêmement liées, parti-culièrement lorsqu’on parle d’actions en faveur de la jeunesse.

Thierry ObletLorsque l’on parle de politique de la ville, tous les acteurs sont d’accord pour renouer avec « l’ap-proche globale ». Il faut faire attention à ne pas séparer les réflexions et les actions qui touchent à la réussite éducative et à la persévérance sco-

laire de celles qui touchent à l’accès à l’emploi et à l’insertion professionnelle. Car quel sens cela aurait d’aider un jeune des cités à traverser la jungle scolaire pour l’abandonner ensuite dans le désert de l’emploi ?

Le rôle de la politique de la ville n’est pas forcé-ment de répondre aux problèmes qui ont causé la crise des banlieues mais c’est de répondre aux problèmes que la crise des banlieues produit en propre. La crise des banlieues est fondamenta-lement liée à une crise économique et au déclin de la société industrielle. Cela crée du chômage et une déstabilisation de la condition salariale. Le problème, c’est qu’en 1997-2002, période de croissance économique, l’augmentation du nombre d’emplois faisait diminuer le chômage partout sauf dans les zones urbaines sensibles. On trouve peut-être là l’objet de la politique de la ville : réduire la distance de ces jeunes à l’emploi. Créer des emplois, c’est bien, mais ce n’est même pas une condition suffisante pour les jeunes de ces quartiers.

Cette distance à l’emploi est d’une triple nature. Elle renvoie à des considérations géogra-phiques. C’est difficile de motiver un jeune pour un emploi, un stage ou une formation nécessitant 3 heures dans les transports. Il y a aussi une dis-tance symbolique qui renvoie à la discrimination raciale à l’embauche. Et puis, il y a une distance que l’on pourrait dire « culturelle » et qui renvoie au manque de qualification de ces jeunes et qui a deux grandes causes me semble-t-il. D’abord, une méfiance à l’égard des institutions en géné-ral et de l’école en particulier. Cette méfiance qui les rend « malcommodes » est sans doute liée à un traumatisme inaugural. Les jeunes des années 1980 qui vivaient en banlieue ne se sont pas vus reconnaître a priori d’utilité sociale. Il en résulte chez eux l’impression que l’échec scolaire est la fonction cachée, mais à peine voilée, de l’école. Ce manque de qualification est lié aussi à ce qu’on appelle « un déficit de capital social », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas énormément de rela-tions ou alors des relations avec des gens qui leur ressemblent et qui, du coup, ne leur donnent pas ce qui est nécessaire pour accéder à l’em-ploi. La solution est peut-être une forme d’action collective reliant insertion professionnelle et réus-site éducative. Il faut vraiment permettre aux usa-gers de reprendre confiance. Et faire comprendre à ces jeunes qu’on les juge intéressants. n

Ils ontdit... (*)

Ce qui compte, c’est l’appropria-

tion d’une politique publique par les

acteurs. En ce sens, on peut dire que

par sa continuité, la politique de la ville

a joué comme un révélateur – et même

comme un « analyseur institutionnel » –

des postures des acteurs.

Robert Pierron, conseiller techniqueet chercheur associé

À partir de l’utilisation des chiffres et

des débats qu’elle suscite, il faut mener

une réflexion épistémologique sur leur

usage social et lancer par conséquent une

invitation au développement d’une socio-

logie de l’usage social du chiffre.

Gilles Moreau, sociologue

(*) Extraits d’interventions au cours des

débats avec la salle.

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 17

Geneviève KoubiDans le domaine de l’Éducation, la notion de chance dispose d’une entrée juridique puisqu’on parle de l’égalité des chances, notamment dans les territoires dits défavorisés. Toutes les ques-tions scolaires qui au départ se fondaient essentiellement sur l’égalité en droit et des droits sont maintenant changées en idée d’égalité des chances. Et qu’est-ce que c’est que la chance, sinon qu’offrir des possibilités d’accéder à quelque chose ? On est en plein dans la dynamique libéraliste qui voudrait que cette possibilité offerte implique la responsabilité individuelle de son échec. On vise donc essentiellement une catégorie de popu-lation qui ne répondrait pas à ce qu’on appelle « la réussite ». Qu’est-ce que réussir ? Gagner de l’argent ? Avoir un diplôme ? Ne pas être dit « délinquant » ? Quelque part, on vise systéma-tiquement tous ceux qui ne correspondent pas à « la norme ».

L’irruption de la notion de chance voudrait en même temps chan-ger le droit à l’éducation, le droit à l’instruction en obligations. Obligation de scolarité, obligation d’assiduité et de réussite. Car au fond, l’égalité des chances permet à ceux qui seraient bons d’aller un petit peu plus loin, d’intégrer certaines classes, notamment de préparation à des concours pour entrer dans les grandes écoles comme l’École de la Magistrature ou l’École Nationale d’Administration. C’est donc quelque part l’obligation de réussite qui est mise en avant. C’est une manière de signifier à tous ceux qui ne parviennent pas à saisir ces chances qu’ils sont seuls responsables de leur échec.

Stéphane JugnotLe CEREQ est un centre d’étude qui s’intéresse aux liens entre formation et emploi. Une de ses missions est d’étudier le lien entre formation initiale et insertion professionnelle. Nous réa-lisons par exemple tous les 3 ans des enquêtes d’insertion auprès de jeunes sortant de formation de tous niveaux, ayant réussi ou non leur diplôme. Cette enquête permet, avec du recul, de définir des trajectoires d’accès plus ou moins rapide à l’emploi durable et des trajectoires de décrochage du marché du travail. On peut aussi les regarder selon les niveaux de for-mation et les spécialités. On voit alors, sans surprise, que plus le diplôme est élevé, plus la position socioprofessionnelle et la rémunération sont élevées. En revanche, moins le diplôme est élevé, moins le processus d’insertion est rapide et plus les gens sont en situation d’accès différé à l’emploi. Nos interrogations ne doivent donc pas concerner seulement la sphère éducative, mais aussi le fonctionnement du marché du travail. 17 % des jeunes sortent sans diplôme en France et la plupart sont dans des trajectoires d’insertion très difficiles. Comment penser que 17 % des jeunes ne sont pas en capacité d’occuper des emplois quand on voit que le marché du travail propose un nombre d’emplois non qualifiés très important. Cela renvoie bien à la question du mode de recrutement des entreprises.

« Où est le levier d’action ? Est-ce qu’il est dans le système édu-catif ou sur le marché du travail ? » Je pense que la lutte contre les inégalités de situation et d’insertion des jeunes passe aussi

Geneviève Koubi, Professeur de droit public à l’Université Paris 8

Stéphane Jugnot, Chef du département des entrées et évolutionsdans la vie active au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ)

Gaston Leclerc, Président de l’Association québécoise d’information scolaire et professionnelle

Klaus-Wilhelm Ring, Maître de conférence, spécialiste de formations professionnelles, représentant le Ministère de l’Éducation du Land de Hesse, en Allemagne

Minna Saari, Professeur d’éducation spécialisée en Finlande

Ciprian Fartusnic, Chercheur dans le domaine des sciences de l’éducation en Roumanie

Éric Demers, Coordonnateur à la liaison du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ)

Modérateur : Stéphane Dufour, rédacteur en chef à France Info

Table ronde

Agir sur les chancesde réussite

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201118

par des actions sur les préjugés, sur les procé-dures de recrutement, sur le marché du travail et donc en dehors de la sphère éducative qui ne résume pas tout.

Stéphane DufourAvec Gaston Leclerc, on va découvrir l’approche orientante, un concept québécois original qui permet aux jeunes de s’acheminer vers une car-rière de leur choix tout en tenant compte de leur parcours.

Gaston LeclercL’approche orientante est un concept novateur sur le choix de carrière des jeunes et surtout sur la persévérance aux études. C’est la première fois au Québec que le programme de formation de l’école comporte une préoccupation « orientation ». En effet, ce programme de formation est constitué de cinq grands domaines obligatoires pour tous les jeunes du primaire et du secondaire. L’un des cinq grands domaines est « l’orientation et l’entrepre-neuriat ». Cela veut dire que tous les enseignants au Québec, de la 5e année du primaire et pour toutes les années au secondaire, doivent intégrer à l’intérieur de leurs disciplines sco-laires des notions rela-tives à l’orientation.

Le tout se passe en classe, en pédagogie. Les enseignants sont des joueurs clefs soutenus par les conseillers d’information scolaire et pro-fessionnelle et d’orientation, la direction et tout le personnel de l’école.

L’approche orientante devient un levier pour la réussite éducative et la persévérance aux études des élèves parce qu’elle contribue à :- donner du sens aux apprentissages scolaires ;- stimuler la connaissance de soi de l’élève, de ses centres d’intérêt et de ses aptitudes, ainsi que des divers métiers et professions ;- favoriser l’émergence de projets de chemine-ment scolaire et de carrière ;- susciter l’intérêt pour les études, la motivation et la persévérance scolaire et, de ce fait, diminuer l’abandon scolaire ;- accroître la réussite personnelle et profession-nelle de nos jeunes.Le mot clé de l’approche orientante, qui devient en même temps sa méthodologie, est celui des contextes. Les élèves, uniques dans leurs valeurs, leurs besoins, découvrent et expérimen-

tent des contextes, apprennent à s’adapter, à se mobiliser, à se connaître.

En conclusion, l’approche orientante désigne une pratique qui fournit à des jeunes, nécessai-rement en évolution, des contextes révélateurs d’identité et indicateurs d’avenir.

Stéphane DufourRevenons en Europe, maintenant, avec Klaus-Wilhelm Ring qui va nous présenter des expé-riences de retour à la qualification ou d’accès à une qualification nouvelle pour des jeunes en situation de décrochage.

Klaus-Wilhelm RingL’intégration des personnes défavorisées dans le monde du travail est une mission centrale de notre société. La non-intégration les exposerait à des problèmes graves et au déséquilibre des systèmes politiques. L’Allemagne et le Land de Hesse se distinguent sensiblement de la plupart des autres États dans le monde par le « sys-tème de formation duale ». Ce système, né de

l’ancienne tradition d’ap-prentissage artisanal, se caractérise par une formation en entre-prise associée à une formation théorique en école professionnelle. Seuls les jeunes ayant décroché un contrat d’apprentissage dans

une entreprise pourront suivre les cours théo-riques et passer en fin de formation un examen, par exemple de la Chambre des Métiers ou de la Chambre de Commerce et d’Industrie.

En Allemagne, la formation duale bénéficie d’une très grande notoriété. Elle est plébiscitée aussi bien par les élèves du premier cycle, présentant un faible niveau de formation, que par les bache-liers, qui pourraient également entrer à l’univer-sité. Elle leur permet de faire leur choix parmi plus de 400 métiers.

Dans des époques de conjoncture favorable, on dispose de suffisamment de postes d’apprentis-sage pour permettre à tous les jeunes qui pré-sentent les aptitudes requises de bénéficier d’une formation conséquente. Ce qui n’est pas le cas en situation de crise. Les entreprises ne forment plus autant et, en général, seuls les jeunes per-formants décrochent un contrat d’apprentissage. Les autres - ils sont environ de l’ordre de 15 % à ce jour - peuvent améliorer leurs compétences dans des cycles d’enseignement public dans les écoles

Tous les enseignants au Québec, de la 5e année du primaire et pour toutes les années au secondaire, doivent intégrer à l’intérieur de leurs disci-plines scolaires des notions relatives à l’orientation. (Gaston Leclerc)

Ils ontdit... (*)

J’aimerais communiquer deux don-

nées concernant les taux de décro-

chage. En école secondaire, chez nous

au Québec, c’est près de 30 %. Au

cégep, qui est l’enseignement supé-

rieur, entre les lycées et les universités,

c’est 50 % (60 % des garçons, 40 %

des filles).

Mais je vais vous donner une donnée

intéressante de décrochage profes-

sionnel : 20 % des enseignants nouvel-

lement formés au Québec décrochent

de la profession dans les 5 premières

années.

Diane Laberge, directrice de l’école Boudreau (Québec)

(*) Extraits d’interventions au cours des

débats avec la salle.

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 19

professionnelles. Plusieurs types d’écoles sont disponibles, en fonction du niveau de perfectionnement visé. Les jeunes à faible niveau d’études, les cas sociaux ou les enfants d’immigrés suivent des cycles d’enseignement professionnel d’un an. Ce qui leur per-met, en association avec des contenus professionnels pratiques, d’accéder également au diplôme général de l’école secondaire. Ils acquièrent cependant des compétences dans le secteur pro-fessionnel qui leur facilitent l’accès à la formation duale.

Ce qui me préoccupe, ce sont les transitions d’un système de formation à l’autre et la reconnaissance des acquis ou des acquis partiels dans un système futur de l’apprentissage tout au long de la vie. La société allemande procure chaque année des déceptions à des milliers d’apprentis, ce qui, dans un système démocratique tel que le nôtre, se traduit souvent par l’exclusion de l’apprentissage tout au long de la vie et par un frein notoire dans le développement personnel et professionnel. Mais il est inconcevable que, dans une démocratie, la participation à une formation soit liée à l’échec de ladite formation et un obstacle à la reconnaissance des acquis partiels. Elle doit, au contraire, offrir à chaque citoyen une option récurrente pour un renouvellement de formation, dans la continuité du savoir précédemment acquis.

Stéphane DufourMadame Minna Saari va nous éclairer, notamment, sur l’expé-rience finlandaise d’une école qui prend en charge les enfants en grande difficulté.

Minna SaariJe travaille dans l’école Seminaari, où nous accueillons aussi bien des élèves en tronc commun que dans des classes spé-ciales. En Finlande, les enfants commencent l’école à 7 ans et, pour la plupart d’entre eux, le cursus scolaire se déroule facile-ment. Mais certains sont confrontés à d’énormes difficultés. Pour ceux-là, l’école devient en quelque sorte « mission impossible ». Être chaque jour en situation d’échec amène l’élève à penser qu’il n’est bon à rien. Ces enfants sont les plus à même d’aban-donner l’école au bout de quelques années. Pour l’éviter, nous avons instauré des classes spéciales confiées à des enseignants possédant un très haut niveau d’étude.

La taille maximum d’une classe spéciale est de 10 élèves. Chaque élève a un pro-gramme personnalisé qui s’appuie sur les points forts de l’enfant. Bien sûr, nous devons également souligner les côtés négatifs, car nous fixons à chacun des objectifs individuels portant sur le com-portement, la situation sociale, les compé-tences en langues et les matières scolaires. Chaque enfant a des objectifs personnels en maths, en sciences, voire en sports, si cela est nécessaire. Nous signons tous ce document qui constitue un outil très puissant, car les élèves sont évalués en fonction des objectifs établis.

Je sais que beaucoup de gens s’opposent fortement aux classes spéciales ; ils pensent que cela stigmatise l’enfant. Je ne suis pas d’accord. Les classes spéciales n’excluent pas les possibi-

lités d’interprétation, ni d’inclusion. Ce système est très efficace. Je le sais car nous n’avons pas d’abandon. Cela fait 7 ans que je travaille à l’école Seminaari et il n’y a eu qu’une seule déscolari-sation. Quelques années après, cette élève est revenue et nous a demandé de l’aider à obtenir son diplôme. Nous lui avons taillé un programme sur mesure et elle a obtenu son diplôme.

Stéphane DufourNous allons continuer notre voyage en Roumanie où se déroule une expérience comparable à celle des ZEP en France.

Ciprian FartusnicNous nous sommes inspirés de l’énorme travail réalisé dans les zones d’éducation prioritaire des pays européens, notamment au début des années 60 au Royaume-Uni, puis dans les années 70 à 90 en France. Nos systèmes sont très différents, mais les problèmes et les défis à relever sont très similaires.

Lorsque nous avons étudié l’expérience des ZEP, nous avons découvert qu’en fait nous pouvions la reproduire et l’adapter au système éducatif roumain. L’UNICEF Roumanie a financé une communauté pendant 4 ans, de 2003 à 2007, avec une large gamme d’interventions, de la formation des professeurs au développement communautaire, en passant par l’information et l’éducation des parents. Cela a donné naissance à une espèce de « programme de la deuxième chance », plus adapté aux spé-cificités des élèves ayant déjà abandonné. Ce n’était donc pas un outil de prévention mais une intervention après un abandon.

Stéphane DufourÉric Demers, vous revenez avec un propos qui va introduire d’une certaine manière la table ronde suivante sur l’importance de travailler en réseau.

éric DemersLors du Sommet du Québec et de la jeunesse qui a eu lieu en 2000, plusieurs constats ont été dressés, mettant en lumière les défis que le Québec devait relever pour soutenir sa jeunesse. Le décrochage scolaire fut reconnu comme un fléau auquel toute

la société devait s’attaquer. Les modes d’intervention traditionnels ne sem-blant pas répondre aux besoins de l’ensemble des jeunes puisque 28,5 % d’entre eux sortent sans diplôme ni qualification, il fallait faire en sorte qu’eux aussi réussissent coûte que coûte.

Le CTREQ a pour mission de sti-muler et de concrétiser l’innovation

grâce au transfert de connaissances, afin de permettre aux milieux de pratiques d’améliorer leur intervention, et donc d’accroître la réussite éducative. Transfert, liaison, veille : voilà les 3 grands volets de l’action du CTREQ. Si le transfert de connaissances scienti-fiques est bénéfique au développement des entreprises, l’apport des connaissances devrait aussi pouvoir outiller les acteurs de la réussite éducative et de la persévérance scolaire. n

Je sais que beaucoup de gens s’opposent fortement aux classes spéciales ; ils pensent que cela stig-matise l’enfant. Je ne suis pas d’ac-cord. (Minna Saari)

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201120

Marie-Christine FalleurLa Caisse d’Allocations Familiales aide et accompagne les collectivités territoriales dans la mise en place des politiques jeunesse. Comment définir cette jeunesse ? La tranche d’âge diffère selon les institutions. Nous qui accompagnons les struc-tures voyons combien ce qui est construit avec les jeunes dif-fère selon les âges. Par exemple, pour les 14-16 ans, on est essentiellement autour de la réassurance, de la reconnaissance et de l’acceptation de l’éducation parentale. Avec les plus grands, on privilégie la prise de distance vis-à-vis des parents et la construction de liens sociaux entre jeunes.

Nous devons également prendre en compte « l’institutionnali-sation de la jeunesse » avec des politiques jeunesse très par-tagées, voire morcelées, entre l’État, les organismes sociaux, les collectivités territoriales et les opérateurs privés ou publics. Sans oublier les familles. Chacun veut capter son public et y va de son contrat. Nous avons, nous les CAF, les contrats enfance-jeunesse qui sont de grandes aides pour les collectivités terri-toriales. Il y a - ou il y a eu - les contrats éducatifs locaux inter-ministériels de l’État, les contrats urbains de cohésion sociale, les contrats citoyens du Conseil général. Autant de contrats qui s’enchevêtrent et qui ne rendent pas les choses très lisibles. Il est important d’essayer de travailler ensemble et de construire un cadre de cohérence commun. (…)

Une expérience girondine de coordination des politiques institu-tionnelles a commencé dans les années 95 avec un partenariat avec les services Jeunesse et sports de l’État qui interviennent sur les autorisations d’ouverture des centres d’accueil de loi-

sirs. Ces « Centres de loisirs sans hébergement » méritaient une meilleure qualité d’accueil et de l’innovation dans les actions conduites. On a conclu une « Charte de qualité » et l’accueil s’est sans doute amélioré. Mais on a surtout appris à travailler ensemble. (…) On a, par exemple, mis en place des cahiers des charges communs pour ce qui allait devenir les projets de contrats éducatifs locaux. On a bâti le profil de la fonction de coordonnateurs jeunesse sur les territoires avec une fiche de poste commune et des formations communes qui ont permis, ensuite, une mise en réseau de ces professionnels. A partir de là, nous sommes allés au-delà d’une charte de qualité et avons signé un protocole de coopération CAF/Jeunesse et sports, partageant des valeurs et des principes, pour des politiques qui s’adressent à tous les jeunes sans discrimination.

Ce protocole d’accord s’est élargi, à partir des années 2005, au Conseil général qui souhaitait que l’on bâtisse ensemble une charte des politiques jeunesse pour aller vers une coordination départementale et un appui aux expériences de terrain. (…) Il n’y a pas de politique jeunesse sans cette articulation inter-institutionnelle. Il faut que les compétences de chacun soient préservées - on a tous des choses à apporter - mais il faut se donner un cadre de complémentarité et de coopération.

Stéphane DufourUn réseau met du temps à se constituer. On va l’illustrer avec Anne Detaille qui dirige le Lycée professionnel agricole Fazanis à Tonneins (Lot-et-Garonne).

Agir en réseauMarie-Christine Falleur, Sous-directrice en charge de l’action socialeà la CAF de Gironde

Anne Detaille, Directrice du Lycée professionnel agricole Fazanis à Tonneins

Nathalie Vallée, Responsable des communications pour l’instance régionale de concertation sur la persévérance scolaire de la Capitale-Nationale (Québec)

Florence Abadie, Conseillère éducation populaire et jeunesse à la Direction départementale de la cohésion sociale Gironde

Daniel Lafrance, Représentant de la Commission scolaire de la Capitale et d’un chantier local pour la persévérance scolaire (Québec)

Cristina Bertelli, Directrice du pôle éducation de la région Émilie Romagne (Italie)

Yannick Fortier, Coordonnateur du Forum jeunesse de la région de la Capitale-Nationale (Québec)

Modérateur : Stéphane Dufour, rédacteur en chef à France Info

Table ronde

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 21

Anne DetailleMiremar, c’est-à-dire Mise en réseau des acteurs du Marmandais pour la réussite des jeunes, est né de l’expérience formidable qu’a été un déplacement au Québec, à l’initiative du Conseil régional d’Aquitaine, pour lutter contre le décrochage des jeunes engagés sur des parcours de formation. Le Marmandais est un territoire rural qui a été retenu pour participer à une mission d’étude sur la réussite éducative au Québec en 2008.

Pour un certain nombre d’opérateurs locaux - le lycée, les ser-vices de l’orientation, les missions locales, des élus, des techni-ciens… -, cela a été un point de départ enthousiasmant qui nous a donné envie de travailler ensemble. Nous nous connaissions, mais nous tra-vaillions de façon juxtaposée, chacun avec ses missions et la volonté de bien faire. Les Québécois nous ont donné l’envie de passer à un stade supérieur.

Nous avons donc décidé d’essayer de créer un réseau. Ce n’est pas simple. Il faut une volonté et des acteurs. Deux axes prioritaires ont été choisis : d’une part, le repérage et la consolidation des réseaux d’acteurs et, d’autre part, la modélisation et la diffusion de démarches et d’outils adaptés à la problématique de notre terri-toire. En un mot, partir des acteurs locaux, des besoins de notre territoire, et non de décisions verticales, plaquées, vues de Paris où les choses ne sont pas forcément aussi simples.

Sur le Marmandais, les 16-25 ans représentent à peu près 11 % d’une population vieillissante. Un jeune sur 6 de cette tranche d’âge serait inoccupé c’est-à-dire ni scolarisé ni actif. C’est un pourcentage non négligeable qui mérite qu’on s’y attarde. Nous nous sommes dit qu’il fallait dépasser le simple cadre scolaire et travailler sur le levier de l’estime de soi, indispensable pour enclencher une remédiation efficace.

Une conférence débat, il y a un an, a fédéré un certain nombre d’acteurs, non seulement du monde éducatif et de l’insertion, mais aussi des opérateurs jeunesse et loisirs, des organismes de formation continue, des acteurs économiques, des acteurs locaux, les communes et intercommunalités, des organismes de prévention et de santé... A suivi un travail de réflexion, de mise en commun, d’adhésion entre ces différents acteurs sur un appel à projet du Haut commissariat à la jeunesse. Nous y avons répondu avec l’objectif de privilégier le repérage et le suivi des jeunes sans solution en jouant sur nos complémentarités.

En gros, on estime que sur notre territoire, il y aurait besoin de suivre environ 600 jeunes ! Nous en sommes aux pré-mices d’actions qui pourraient être communes. Le fait de nous connaître, d’avoir des constats partagés, va nous inciter à tra-vailler ensemble. En décembre 2009, nous avons signé une charte pour la réussite des jeunes du Marmandais et avons mis en place une plate-forme numérique de collaboration qui nous permet à la fois de suivre les jeunes et de partager certaines informations pratiques.

Stéphane DufourPartons maintenant au Québec avec Nathalie Vallée, Respon-sable des communications pour l’instance régionale de concer-tation sur la persévérance scolaire, qui va nous présenter un réseau constitué pour les jeunes et avec les jeunes.

Nathalie ValléeDans la région de la Capitale-Nationale, la question de la per-sévérance scolaire a émané des jeunes, notamment au sein du Forum jeunesse qui regroupe les 12-35 ans. Dès le début des

années 2000-2001, ils se sont questionnés sur le fait que près de 20 % des jeunes n’obtiennent pas leur diplôme d’études secondaires. Aussi, le Forum jeunesse a-t-il décidé d’investir des crédits dans une instance régionale pour la persévé-rance scolaire.

Aujourd’hui, on a commencé à lancer des actions dans le milieu régional. Mais on se demande ce qu’on va faire

au niveau local avec les jeunes d’un quartier, d’un petit village. Il y a un exemple frappant de réussite au niveau de la concerta-tion et de la prise en charge d’une communauté qui s’appelle l’Approche territoriale intégrée (ATI). C’est l’ancrage terrain d’une stratégie gouvernementale de lutte contre la pauvreté et l’exclu-sion sociale. C’est un excellent exemple de partenaires qui ont rapidement compris que leur défi passerait par les réseaux locaux et par le pouvoir des communautés à se prendre en charge. Ils ont déterminé des zones où il fallait davantage intervenir. Deux ans plus tard, les comités locaux sont en action et cela marche bien. Ce n’est pas commun chez nous de faire du bas vers le haut. L’ATI fait figure d’innovation.

Je conclurai en citant quatre éléments qui, pour nous, sont importants au niveau du « réseautage » :

- trouver les bonnes personnes aux bons endroits et c’est aux gens de la communauté de déterminer qui sont ces bonnes per-sonnes,

- avoir un discours commun,

- laisser les goûts corporatistes de côté au profit de l’élaboration d’une vision commune,

- faire les efforts nécessaires et ne pas avoir peur de reculer pour mieux avancer plus tard.

Stéphane DufourFlorence Abadie, de la Direction départementale de la cohésion sociale de Gironde, va nous éclairer sur les institutions qui tra-vaillent ensemble autour d’un projet éducatif local.

Florence AbadieÀ la fin des années 90 apparaît l’idée que l’éducation est une mission partagée, non exclusive de l’institution scolaire. L’édu-cation est l’affaire de tous. Cela paraît une évidence aujourd’hui mais il y a quinze ans, la territorialisation de l’action publique,

Nous travaillions de façon juxtapo-sée, chacun avec ses missions et la volonté de bien faire. Les Québé-cois nous ont donné l’envie de pas-ser à un stade supérieur.(Anne Detaille)

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201122

la contractualisation, l’idée de se mettre autour d’une table pour discuter des enjeux locaux et faire des constats partagés n’étaient absolument pas une évidence dans un pays où les politiques publiques étaient plus descendantes que co-construites. Autre idée forte : la continuité édu-cative pour que l’enfant ou le jeune puisse retrou-ver, dans les différents temps et lieux d’accueil, un cadre similaire quant aux valeurs éducatives défendues.

Pour pouvoir mettre en place cette approche, la démarche interministérielle a été importante à la fin des années 90 avec les ministères de l’Éducation nationale, de la Culture, de la Ville et de la Jeunesse et des Sports. En Gironde et dans beau-coup d’autres départe-ments, les collectivités locales, les organismes sociaux, le Conseil général et l’ensemble des communes et des communautés de communes ont rejoint cette aventure. Tous avaient l’idée de dépasser le cloisonnement temps scolaire / hors temps scolaire et de permettre aux différents acteurs concernés, à travers un partenariat actif et local, de s’entendre et d’apporter une cohé-rence dans l’offre éducative. Pas uniquement en termes de structure, mais en termes de projet également.

Aujourd’hui, si l’on devait faire un bilan des ini-tiatives de ces dernières années, quels sont les points forts et les obstacles rencontrés ? Ces pro-jets éducatifs locaux ont réellement contribué à décloisonner et à créer du partenariat de réflexion et d’intervention. Ils ont aussi permis d’inaugurer le travail en réseau, de partager les analyses et d’ap-porter des réponses co-construites, globales et la plupart du temps cohérentes, faisant preuve de pragmatisme pour s’adapter aux réalités locales. L’ouverture de l’école sur son environnement a également été indéniable. À travers des actions comme l’accompagnement à la scolarité, son image s’est très nettement améliorée, notamment auprès des parents qui ont pu s’impliquer . (…)

Stéphane Dufour

On va voir maintenant quels effets peut produire une mobilisation générale à l’échelle d’un quar-tier au Québec avec Daniel Lafrance.

Daniel Lafrance

Je vais vous parler de l’expérience d’un comité local qui existe depuis 7 ans dans le petit quartier Vanier enclavé au centre de la ville de Québec. Nous avons au départ fait le même constat que d’autres : l’école doit avouer aujourd’hui qu’elle ne peut pas y arriver toute seule, surtout dans les milieux où les difficultés sont plus grandes. Elle doit donc s’appuyer sur d’autres.

On est parti d’un programme du ministère de l’Éducation qui s’appelle « Famille, école, com-munauté : réussir ensemble ». On a constitué une équipe que j’appellerai « table de concertation »

réunissant environ 25 personnes : les repré-sentants des orga-nismes institutionnels concernant l’emploi, la santé, les services sociaux, l’éducation, les organismes com-munautaires qui traitent d’alphabétisation, de

défense des droits des citoyens, les centres de la petite enfance, la bibliothèque municipale, les organisations de loisirs, les représentants de l’ar-rondissement.

Notre premier défi était de se connaître, d’appré-cier les compétences de chacun et de cerner le rôle que chacun pouvait jouer. C’est fou, mais les organisations se connaissent peu entre elles. L’école pensait par exemple faussement qu’il n’y avait aucun service éducatif avec les enfants après l’école.

Deuxième défi : s’entendre sur l’objectif. Le défi restait intact une fois qu’on avait dit qu’on voulait favoriser la réussite des élèves en milieu défa-vorisé et surtout - c’était un fondement du pro-gramme - mobiliser les parents. Les études nous prouvent qu’une bonne partie de la difficulté des élèves à réussir en milieu défavorisé s’appuie sur l’écart entre les valeurs des familles et les valeurs qui sont véhiculées à l’école. Pour cela, il fallait comprendre le milieu, le regarder sous tous les angles. Quelles sont les pratiques pédagogiques utilisées en classe ? Quelles sont les compé-tences des élèves ? Quelle est la mobilisation des parents ? Comment l’évaluons-nous ? Quelles sont nos attentes qui ne sont pas comblées ?

Troisième défi : définir nos priorités, mainte-nant qu’on sait ce qui se passe. On a décidé de travailler sur plusieurs éléments importants.

Ils ontdit... (*)

On peut toujours mettre en œuvre

de magnifiques outils, il restera quand

même la réflexion nécessaire sur ce

qu’il faut faire pour ceux qui sont socia-

lement les parents décrocheurs et avec

cette réflexion, la question : « Qu’est-ce

que l’on fait pour aller au devant des

plus exclus et en particulier des familles

les plus défavorisées ? » Aller au devant

des parents qui en ont le plus besoin,

ce n’est pas une question qui se traite

dans le périscolaire, le milieu sportif, les

centres sociaux…, en dehors du temps

scolaire ; cela concerne l’élément cen-

tral qui est l’école.

Georges Dupon-Lahitte, conseiller économique et social régional, ancien Président national de la FCPE

(*) Extraits d’interventions au cours des

débats avec la salle.

Notre premier défi était de se connaître, d’apprécier les compé-tences de chacun et de cerner le rôle que chacun pouvait jouer. C’est fou, mais les organisations se connais-sent peu entre elles. (Daniel Lafrance)

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 23

D’abord, pour l’élève, travailler sur ses compétences sociales, apprendre à gérer son comportement et ses compétences en lecture et en écriture. Ensuite, mobiliser la famille, développer les compétences parentales. Enfin, soutenir les activités para-scolaires. On sait par la recherche que les jeunes qui ont des activités parascolaires développent un sentiment d’efficacité plus grand qu’ils vont être capables de transposer à l’école. Et ainsi se sentir compétents. (…)

Depuis 7 ans, on a beaucoup travaillé. On a créé des choses qui n’existaient pas et en lesquelles on croit. Actuellement, on s’outille pour faire l’évaluation de nos actions. On a suffisamment mis nos ressources en commun pour avoir dans le quartier une personne dont le rôle est uniquement de devenir amie avec les parents et de les amener vers les ressources dont ils ont besoin. On a créé une fête de quartier pour favoriser la mobilisation, etc. Bref, on a fait plein de choses. Des défis restent à relever mais il y a de grandes réussites dont on est fier. On ne sait pas encore si les élèves réussissent mieux ou s’ils sont diplômés à la fin de leur parcours primaire, secondaire parce que la cohorte avec laquelle on travaille n’est pas encore arrivée en secondaire 5. Mais on sait que les discours négatifs des parents par rapport à l’école et de l’école par rapport aux parents s’atténuent. Ce sont des gains énormes parce que ce sont des éléments qui ont nuit et qui nui-sent encore malheureusement à la réussite des élèves.

Stéphane Dufour

Cristina Bertelli va maintenant nous présenter des pratiques ins-titutionnelles de réseaux qui permettent de lutter contre l’échec scolaire en Émilie-Romagne.

Cristina Bertelli

Le taux de l’abandon scolaire en Émilie-Romagne est très infé-rieur à la moyenne nationale. Pour autant, la région s’est enga-gée dans plusieurs voies afin d’assurer à tous ses élèves des opportunités de formation diversifiées ainsi que des mesures de « rattra-page » visant à lutter contre l’échec scolaire.

C’est dans ce contexte que s’insère la stratégie régionale de lutte contre l’échec. Deux types d’acteurs jouent un rôle fondamental : les bureaux des services sociaux des communes et les centres de services et de conseil aux écoles. Les premiers s’attardent sur les parcours des jeunes « problématiques ». Ils ont pour but, en collaboration avec l’école et en liaison avec les services sani-taires, d’aider les élèves présentant des progrès insuffisants et des situations personnelles difficiles en essayant de déterminer les causes et en intervenant avec les outils à leur disposition (subventions/allocations économiques, soutien psychologique, services aux familles, amélioration relationnelle, etc.).

Au sein des centres de services et de conseil aux écoles, on trouve des écoles, des communes, des associations privées. Ces centres spécialisés ou plurisectoriels exercent 4 fonctions essen-tielles : documentation, information, formation et recherche. Nombre d’entre eux sont très actifs dans la lutte contre l’échec. Leur action tend à compléter celle des collectivités locales, ainsi que celle des écoles, à travers la souscription de « pactes locaux pour l’école ».

L’action régionale de lutte contre l’abandon scolaire et, à l’in-verse, d’aide à la réussite de la formation, est axée sur deux lignes directrices. La première concerne les activités de préven-tion visant à diminuer le risque d’abandon, tout d’abord avec la diffusion d’informations correctes et complètes sur l’offre de for-mation disponible sur un territoire donné, afin que le choix des familles puisse être conscient et réfléchi.

La deuxième ligne directrice concerne les activités de rattrapage, visant à remotiver les élèves dont les progrès sont insuffisants et qui vivent des situations personnelles difficiles. Cela passe notamment par une aide pour pallier des déficits de formation, par des liaisons avec le monde du travail, par une large utilisation des technologies informatiques ou par la personnalisation des parcours de formation. (…)

Stéphane Dufour

Comment parler de ces politiques de « réseautage » sans traiter des nouvelles technologies. Nous allons les évoquer, côté qué-bécois, avec Yannick Fortier.

Yannick Fortier

La concertation est la mise en action d’un groupe d’acteurs pour développer un projet commun et pour influencer les prises de déci-sion. C’est dire que la concertation doit donner des résultats. Tout le monde doit y trouver son compte. Pour cela, il faut favoriser le processus créatif. J’insiste là-dessus parce qu’autour d’une table

à 10, 15, peut-être 20 acteurs, il faut que la rencontre reste productive, intéressante et créative. Comment, alors, s’appuyer sur des technologies internet ? Il y a des moyens simples à utiliser. Je vais prendre un exemple : en 2009, une concertation a réuni 300 partenaires. Pour étirer l’espace de discussion, de concertation, on a créé une plate-forme d’échanges. Vous pouvez la visiter sur perseverancecapitale.ning.com. L’idée

était de personnaliser l’échange et de trouver un lieu pour les documents. Il y a eu des dépôts d’études ; les informations ont été acheminées et des personnes inscrites sur le réseau l’ont alimenté de leurs propres réflexions. Cela a également permis d’allonger le temps d’échanges. Grâce à cette plate-forme, des participants ont continué à échanger après la concertation. D’autres ont écrit des textes et les ont déposés dans leur réseau. n

Au sein des centres de services et de conseil aux écoles, on trouve des écoles, des communes, des associations privées. Ils exercent 4 fonctions essentielles : documen-tation, information, formation et recherche. (Cristina Bertelli)

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201124

Emprise des diplômeset justice sociale

François DubetSociologue, Professeur à l’Université Victor Ségalen Bordeaux 2,Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS),Chercheur au Centre d’Analyse et d’Intervention Sociologiques (CADIS)

Je partirai de deux observations simples fournies par les comparaisons interna-tionales qui nous obligent à réfléchir de manière un peu différente sur nos sys-tèmes scolaires puisque nous parve-nons mieux à saisir leur singularité. Dans tous les pays, les inégalités sociales

se transforment en inégalités scolaires. C’est une sorte de loi épouvantable qui

fait que les enfants de professeurs travaillent mieux à l’école que les enfants de travailleurs

immigrés. C’est cruel, mais c’est comme cela.

Ce qui est intéressant, c’est que l’amplitude des inégalités scolaires n’est pas la même partout. Par exemple, le Canada – pays plus inégalitaire socialement que la France – a des inégalités sco-laires moins grandes que la France. Autrement dit, la France est scolairement plus inégalitaire qu’elle ne l’est socialement. Si vous classez les pays en fonction de leurs inégalités sociales, il y a les pays scandinaves, puis la France et l’Alle-magne, des pays plus libéraux, etc. Mais si vous faites un classement des inégalités scolaires, ce n’est pas exactement le même, sauf évidemment pour les pays scandinaves qui ont le défaut d’être vertueux à peu près dans tous les domaines.

Premier constat, la France est scolairement plus inégalitaire que ne le supposeraient ses inégali-tés sociales.

Deuxième observation, sur laquelle je voudrais réfléchir, nous avons des enquêtes diverses qui portent sur le vécu des élèves. Est-ce que les élèves sont heureux à l’école ? Est-ce qu’ils ont mal au ventre avant d’aller à l’école ? Est-ce que

quand ils ne comprennent pas, ils demandent au professeur ? Est-ce qu’ils ont confiance dans leurs camarades ? Est-ce qu’ils ont confiance dans l’école ? Là, on doit le dire, la France est très, très singulière : le climat scolaire est atroce. Presque dans tous les indicateurs, on n’est pas bon. Les élèves ont peur, ils ne se sentent pas bons, ils n’ont pas confiance en eux et dans les professeurs. La seule chose qui est agréable, c’est que les élèves s’aiment bien, mais un peu comme ce qu’on appelait dans la sociologie des années 60 une communauté délinquante qui se serre les coudes face à un monde hostile.

Pour vous donner un exemple très simple, quand on pose la question : « Est-ce que, quand tu ne comprends pas, tu demandes au professeur ? », le oui, dans la plupart des pays, oscille entre 60 et 80 %. En France, il est à 15 %. Il suffit d’avoir été élève en France pour comprendre immédia-tement que quand on vous a répondu « tu n’avais qu’à écouter », on n’a plus trop envie de poser de questions. Ce qui ne veut pas dire que le pro-fesseur est une brute. Simplement, il est dans un modèle culturel où il n’est pas chargé d’expliquer aux élèves. Il ne faut pas exagérer !

Sur ces deux registres – celui des inégalités scolaires et celui du sentiment de cohésion (confiance en soi, confiance dans les autres, qualité des relations) – la France est assez sin-gulière et je voudrais essayer d’expliquer cette singularité.

Elle ne s’explique pas du tout avec la part de PIB consacrée à l’Éducation. Tout se passe comme si, atteint un certain seuil – de l’ordre de 5 à 6 %

Conférence

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FORMATION, EMPLOI, TERRITOIRESAgir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 2011 25

de PIB – on avait des non-variations. Les plus beaux exemples sont ceux du Canada et des États-Unis. Le Canada a presque trois points de moins de PIB consacrés à l’Éducation que les États-Unis et des élèves nettement meilleurs. La question qui se pose est donc : que fait-on de l’argent que l’on met dans l’Édu-cation ?

Grosso modo, puisque les enquêtes dont je parle reposent sur le niveau « 16 ans », correspondant à la fin de l’école obligatoire dans à peu près tous les pays, on s’aperçoit qu’il y a trois modèles d’organisation de la scolarité élémentaire et secondaire. Le pre-mier, dit du early tracking, c’est-à-dire de la sélection précoce, était le vieux modèle français de l’examen d’entrée en 6ème à l’âge de 12 ans. Vous séparez le bon grain de l’ivraie ; vous envoyez le bon grain dans un lycée et vous envoyez l’ivraie sur le marché du travail ou dans la for-mation professionnelle. Ce modèle est très peu usité aujourd’hui. Le cas de l’Allemagne qui continue malgré tout à avoir ce système de sélection précoce est intéressant. La conséquence est claire : cela crée de très grandes iné-galités scolaires puisque vous mettez les bons au gymnasium – quand je dis « les bons », pensez toujours aux riches parce que c’est quand même plutôt les riches qui sont bons – et vous envoyez les moins bons, plutôt les moins riches, vers des formations professionnelles. Ce qui est très intéressant dans le cas de l’Allemagne – qui est d’ailleurs en train de mettre en cause ce modèle parce qu’il est vraiment trop inégalitaire – c’est que la qualité de la formation professionnelle compense l’inégalité. La différence avec la France, c’est que quand vous êtes envoyé dans un lycée professionnel en Allemagne, vous n’êtes pas tenu pour un imbécile. Au fond, l’inégalité scolaire est un peu compensée par ce qui se passe après l’école dans la formation professionnelle.

Le second modèle est le plus performant. C’est celui de l’indivi-dualisation des parcours. On garde tous les élèves ensemble, mais on les pousse au maximum de leurs possibilités en adap-tant à chacun les demandes, les exigences, les exercices. Cela donne les meilleurs résultats. C’est le modèle scandinave avec, évidemment, un très grand souci : définir ce qu’on appellerait chez nous « le socle commun » avec le souci d’élever le plus possible les plus faibles au plus haut niveau possible. Pourquoi est-ce très difficile ? Parce qu’évidemment, c’est une formidable transformation du métier d’enseignant tel qu’on le considère en France. Cela suppose, quand vous donnez un exercice de maths, de ne pas donner un exercice de maths à 25 élèves, mais 18 exercices de maths à 25 élèves puisque chaque élève doit progresser le plus possible. Beaucoup d’enseignants font cela en France. Cela s’appelle l’évaluation par les compétences. C’est vraiment très héroïque parce qu’on travaille beaucoup, mais cela donne d’assez bons résultats.

Et puis vous avez le troisième modèle : le modèle de la « distilla-

tion », qui est plutôt le modèle français. C’est-à-dire que vous avez une norme scolaire assez exigeante. Je rappelle que si le socle commun était acquis par tous les élèves en France, nos scores à PISA augmenteraient de 20 points et nous serions meilleurs que la Finlande. Ce serait pas mal. (…) Vous avez en France une gestion des inégalités scolaires par le redoublement. Vous savez qu’on est exceptionnellement bons en redoublement, puisque dans la plupart des pays, il tourne entre 5 et 10 %. En France, un élève sur deux a redoublé au moins une fois à 18 ans et un élève sur trois, au moins une fois à 15 ans. Et puis c’est tout simplement 150 000 gamins qui sortent de l’école chaque année sans rien. Ce modèle-là a un gros avantage, il produit de bonnes élites. Les 10 % des meilleurs élèves français sont meilleurs que

les 10 % des meilleurs élèves de la plu-part des pays. Donc, que nos élites se rassurent !

Ces trois modèles peuvent expliquer incontestablement des différences, en particulier le fait que les pays de la « distillation » et du early tracking sont scolairement plus inégalitaires. L’Alle-magne et la France sont plus inégali-

taires scolairement qu’elles ne le sont socialement. Heureusement, il y a un État providence qui réduit les inégalités sociales que l’école a creusées.

Dans le cas français, pour réduire cette difficulté, nous avons mille et une politiques de soutien. Mais mon sentiment est que leur portée est nécessairement faible parce que la machine à produire cette inégalité continue à tourner à plein régime et que nous ne parvenons pas véritablement à changer ce modèle.

J’ai travaillé sur ce sujet avec une collègue, Marie Duru-Bellat, et cela nous a amenés à nous poser une question : puisque le dif-férentiel d’inégalité ne s’explique ni par les simples effets des iné-galités sociales, ni par l’effet du mode d’organisation du système scolaire, ni par ce qui se passe avant et pendant l’école, est-ce qu’il ne s’expliquerait pas par ce qui se passe après l’école ? N’est-ce pas dans les mécanismes de sortie du système sco-laire que se jouerait le facteur expliquant ces deux phénomènes qui sont le creusement des inégalités scolaires et l’absence de confiance dans l’école ?

Pour mesurer cet effet, on a construit un indicateur d’emprise scolaire très simple : à savoir la part du revenu de l’adulte qui s’explique par son diplôme. Grosso modo, vous avez des socié-tés dans lesquelles les diplômes sont décisifs pour expliquer votre position sociale et des sociétés dans lesquelles ils sont moins décisifs. Autrement dit, il y a des sociétés qui croient au diplôme et d’autres qui y croient moins. Quand elles y croient, on dit qu’il y a une forte emprise scolaire. Cette croyance est fondée sur la croyance dans la capacité de l’école de dégager le juste mérite des élèves. Par exemple, en France, le monde de l’en-seignement est souvent scandalisé que des gens sans diplôme gagnent de l’argent. Vous avez, au contraire, des sociétés qui pensent qu’il est juste de gagner de l’argent parce qu’on a tra-

L’Allemagne et la France sont plus inégalitaires scolairement qu’elles ne le sont socialement. Heureusement, il y a un État providence qui réduit les inégalités sociales que l’école a creusées.

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201126

vaillé ou qu’on est imaginatif. Il y a en France une forte emprise scolaire parce que dans notre tradi-tion, l’école républicaine est la mieux en mesure de dégager votre véritable mérite, indépendam-ment de tous ces facteurs qui pervertissent la pureté de la compétition méritocratique.

Et puis il y a aussi une croyance dans l’efficience. On pense que les gens diplômés sont plus effi-caces que les gens non diplômés. C’est une croyance dont je signale qu’elle n’a jamais été fortement démontrée. Des gens qui savent lire sont plus efficaces que des gens qui ne savent pas lire, mais on n’a pas forcément la certitude que des enseignants qui seront recrutés à Bac+5 seront plus efficaces que des enseignants recru-tés à Bac+3.

Vous avez donc ces deux croyances : justice et efficience. Et ce qu’on mesure, c’est l’ampleur de la confiance que la société fait à l’école dans sa capacité de définir les compétences des indivi-dus. Au fond, une école qui a une forte emprise scolaire, c’est une école à laquelle la société dit : « On vous confie la capacité et le monopole de trier les individus ». Mais il y a d’autres manières de trier les individus. (…)

Alors, quelle est la conséquence de l’emprise des diplômes ? Plus cette emprise est forte, plus les inégalités scolaires sont fortes. C’est une loi. Pour accéder à l’emploi, tout le monde a intérêt à accentuer, à son propre niveau, les inégalités scolaires, car ce qui fait la valeur d’un diplôme, c’est évidemment sa rareté relative.

Si vous êtes convaincu que le destin de vos enfants se joue à partir du niveau scolaire qu’ils auront à 17 ans, vous pouvez être les plus républi-cains, les plus égalitaristes possibles, vous vous comporterez sur le marché scolaire comme une brute. Vous choisirez le meilleur établissement, la meilleure filière ; vous défendrez le niveau culturel de l’école comme étant sacré puisqu’il est une opportunité pour vos gosses. Un raison-nement économique élémentaire fait que vous comprenez parfaitement bien que plus l’école est décisive, plus sa fonction de tri est forte et plus elle est auto-produite par la demande scolaire et peut-être même par l’offre scolaire. C’est le pre-mier constat.

Deuxième constat, plus les inégalités scolaires sont fortes, plus la reproduction sociale est forte. On retrouve Bourdieu d’une certaine manière. Plus les inégalités scolaires sont tranchées, plus elles sont déterminées par l’origine sociale des gamins. Si la compétition est très dure, l’ori-

gine sociale joue plus fortement. En France, par exemple, 40 % du revenu d’un enfant s’explique par le revenu de son père. C’est 20 % en Australie où les inégalités sociales sont bien plus fortes. Si vous considérez que l’école est indispensable, vous durcissez les inégalités et plus vous êtes socialement bien placé, plus vous gagnez dans ce jeu. Donc, il y a une sorte de piège qui fait que plus l’école est juste et capable de définir les compétences des gens, plus en réalité elle produit d’inégalités et plus les inégalités qu’elle produit se reproduisent. C’est troublant.

Autre observation : plus l’emprise scolaire est forte, plus le niveau de cohésion, les sentiments de la cohésion, de confiance en soi, dans les autres, sont faibles. L’école est ramenée à une fonction de tri. Plus les élèves considèrent que le diplôme est absolument vital, plus vous avez une faiblesse des sentiments de cohésion scolaire. Plus le climat scolaire est tendu, moins les élèves ont confiance en eux. À ce sujet, je vous signale deux très beaux livres : celui de Cécile Van de Velde Devenir Adulte : Sociologie comparée de la jeunesse en Europe et celui, récent, d’Olivier Galland Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ? qui analyse toutes les enquêtes internatio-nales. Les étudiants français n’ont pas confiance en eux, n’ont pas confiance dans l’école, n’ont pas confiance dans leurs camarades, ils ont la trouille. Ils rentrent dans la vie en serrant les fesses parce qu’ils ont intériorisé l’idée que s’ils n’ont pas un parcours scolaire parfait, ils vont au-devant de grandes difficultés. Et, en même temps, ils ont une sorte d’attente magique dans le fait que le diplôme leur donnerait automatique-ment un niveau d’emploi. Or, plus on multiplie les diplômes, plus le lien entre le diplôme et l’emploi se détend. Aujourd’hui, un étudiant sur deux qui sort de l’université aura une activité profession-nelle sans lien avec sa formation.

Donc, plus l’emprise scolaire est forte, plus le moral est faible. Et si on considère que l’école n’est pas simplement une industrie du tri social et scolaire, mais qu’elle est aussi une institution

Il y a une sorte de piège qui fait que plus l’école est juste et capable de définir les compétences des gens, plus en réalité elle produit d’inégali-tés et plus les inégalités qu’elle pro-duit se reproduisent. C’est troublant.

Ils ontdit... (*)

Il ne faut pas oublier qu’en France,

l’école est un service public. Cette

notion de service public implique que

toutes les propositions qui pourraient

être faites en référence à d’autres pays

ne sont pas nécessairement transpo-

sables au modèle que nous connais-

sons en France.

Geneviève Koubi, professeur de droit public

Quand je constate que le niveau d’em-

prise des diplômes a des effets négatifs

en termes d’égalité scolaire et des effets

négatifs en retour en termes de climat

scolaire – c’est mon hypothèse –, je

crois que c’est la grandeur du service

public – pour dire la vérité – de se sai-

sir de ces données et de se demander

comment il pourrait être, pour une fois,

digne des principes qu’il annonce.

François Dubet, professeur de sociologie

(*) Extraits d’interventions au cours des

débats avec la salle.

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n° spécial / Janvier 2011 27

d’éducation, cela pose quand même un problème que l’éduca-tion d’une génération se fasse dans un mauvais climat. Peut-être qu’une société qui créerait un climat scolaire meilleur y gagnerait en termes de qualité de la vie politique, démocratique, etc. (…)

A mon avis, le vrai problème qui nous attend – et pas seule-ment en France – c’est probablement le décrochage scolaire. Le nombre d’élèves qui ne veulent plus y aller, qui n’y vont plus ou qui y vont sans y être, se développe considérablement. Je prends un exemple simple et personnel : dans les universités françaises de lettres et de sciences humaines, un étudiant sur deux en 1ère année n’est plus là en janvier. On accuse les univer-sitaires d’être ultra sélectifs. Simplement, sur 300 étudiants, il y en a 150 qui passent l’examen et 120 qui sont reçus. Ce n’est pas une sélection féroce. Mais eux se sont sélectionnés. Le taux d’absence dans les établissements scolaires se développe énor-mément. Si les élèves se disent « au fond, le sens des études, c’est uniquement le diplôme que je vais y acquérir pour m’en sortir », pourquoi est-ce qu’ils continueraient à venir dès qu’ils perçoivent qu’ils ne gagneront pas à ce jeu ?

Et puis on a un climat scolaire qui n’est pas terrible. Alors com-ment pourrions-nous sortir un peu de ce piège sachant qu’il n’est pas question de raisonner dans un monde parfait où l’école serait parfaite ? Comment peut-on faire en sorte, en tout cas du point de vue des Français, pour que cette espèce de retournement de notre croyance dans les vertus de l’école ne nous écrase pas ?

D’abord, je crois qu’il faut s’interroger très sérieusement sur le fait que nous accordions à l’école la capacité de définir la totalité du mérite des individus. Il faut créer des espaces de formation et des épreuves qui évaluent d’autres qualités, d’autres com-pétences que celles que mesure l’école. Si vous jouez dans une seule épreuve, soit vous gagnez, soit vous perdez. Si vous jouez dans plusieurs épreuves, vos chances de tout gagner ou de tout perdre sont beaucoup plus minces. Il faut multiplier les épreuves pour faire qu’aucune ne soit définitive. Le système sco-laire français fait que si vous avez gagné, vous avez tout gagné. Vous sortez d’une grande école, vous avez tout gagné. Tout. La puissance, l’argent, le pouvoir, l’héritage. Si vous avez échoué à l’école, vous avez tout perdu. Heureusement, il y a des gens qui ont tout raté à l’école et qui s’en sortent très bien !

Deuxièmement, on aurait intérêt à être moins sensible à l’égalité des chances qu’à l’égalité des places. Nous avons eu récem-ment un débat en France lorsque le Président de l’Association des directeurs des grandes écoles a déclaré que 30 % de bour-siers, cela ferait baisser le niveau. Mais personne n’a discuté de l’autre inégalité scolaire, bien plus fondamentale, qu’il y a entre la grande école et la position du lycée professionnel. Peut-être serait-il plus juste que tous les enfants d’ouvriers accèdent à une formation de qualité que de faire que 3 % d’entre eux puissent un jour devenir ministre.

Troisième chose à laquelle on pourrait penser, en s’inspirant notamment du Canada et de pays scandinaves, c’est qu’il y a dans la rigidité de notre calendrier scolaire des forces d’exclu-sion extraordinaires. Au nom de quoi la vie devrait s’organiser

entre le « tout école » et le « plus jamais école » ? Pourquoi obliger des gamins de 16 ans qui ne supportent plus l’école à y rester sous prétexte que s’ils la quittent, ils n’y reviendront jamais ? Quand je fais cours en première année à l’université de Bordeaux, pourquoi tous mes étudiants ont-ils entre 18 et 20 ans ? Ils pourraient très bien avoir 16 ans s’ils sont rapides. Ils pourraient avoir 35 ans s’ils veulent faire des études après avoir bossé. On sait aujourd’hui que l’entrée dans la vie active est un

processus – on peut le regretter – qui ne correspond plus au modèle « j’ai un diplôme, j’ai un emploi pour la vie ». Il faut amé-nager la compatibilité des études et de l’emploi.

Dernière remarque, un peu romantique je le concède : peut-être pourrions-nous être capables de redonner à l’école une sorte de vocation éducative. J’ai une anecdote pour bien expliquer cela. Il y a quelques années, lors d’une sortie des enquêtes PISA, on a constaté avec volupté que les élèves danois n’étaient pas si bons que cela. Nous l’avons fait remarquer aux Danois et ils nous ont répondu : « Ce n’est pas notre problème, car sur les questions : Aimez-vous aller à l’école ? Savez-vous travailler avec vos camarades ? Avez-vous confiance dans l’avenir ? Acceptez-vous les différences culturelles de vos camarades ?, on est très bons. Nous, on pense que si on fait des gens comme cela, notre société sera meilleure. Vous, vous avez 10 % des élèves qui sont “nobelisables”, mais vous êtes dans une société prétentieuse, tendue, agressive, méprisante et vous produisez tellement d’échecs que vous le payerez ».

Peut-être pourrions-nous être capables de nous demander ce que l’école fabrique au-delà de sa fonction de tri. Car plus l’école est réduite à sa fonction de tri, plus elle devient inca-pable de formuler même le type d’individus, de sujets, de citoyens qu’elle veut fabriquer. Si vous demandez à n’importe quel établissement scolaire français : « Quel est le projet édu-catif de l’établissement ? », on vous dit : « Le projet éducatif de l’établissement, c’est que les élèves soient suffisamment pai-sibles pour bien travailler en classe ». Je trouve que c’est excel-lent, mais franchement, on comprend que les gamins n’aient pas très envie d’y aller ! n

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Agir pour la persévérance et la réussite de tous les jeunes

n° spécial / Janvier 201128

Conférence

Persévérer à l’école, une question de motivation ?

Patrick RayouProfesseur en sciences de l’éducation à l’Université de Paris 8

De mon point de vue, la motivation est une vraie fausse réponse à la question de la persévérance. (…) Le problème n’est pas simplement celui de l’engagement dans la tâche. C’est aussi celui du

maintien dans la tâche qui se pose d’autant plus aujourd’hui que le cur-sus scolaire est totalement ouvert. Les élèves ont devant eux un parcours tellement ouvert qu’ils développent parfois les mytholo-gies selon lesquelles « personne n’a le droit de m’arrêter dans ce parcours et au bout de deux ans,

trois ans, on va forcément me don-ner le diplôme parce que j’ai fait acte

de présence et que je le mérite ».

Il me semble que cette façon de regarder les choses par le prisme de la motivation émarge à des choses que j’appelle des doxa et des vul-gates. La vulgate, ce sont des savoirs qu’ont les enseignants, dont ils ne savent pas toujours que ce sont des retombées de théories, d’ana-lyses scientifiques, qui ont été décalquées dans le monde de la formation. Les stades chez Pia-get, par exemple, ont fini par devenir des modes pédagogiques de traitement de la progressi-vité. Les doxa sont des choses répandues dans la société et qui considèrent qu’à un moment donné, un enfant c’est ceci et cela. Lorsque les deux s’agglutinent, cela donne des conceptions très fortes qu’il est extrêmement difficile d’ébran-ler. Par exemple, aujourd’hui, la mise en activité des élèves est une obsession de la part des jeunes stagiaires d’IUFM alors qu’elle est, selon moi, un indice relativement superficiel. Beau-coup d’élèves sont actifs, mais ne mobilisent pas nécessairement les capacités cognitives requises par les exercices. C’est beaucoup plus complexe

que de regarder simplement du côté des élèves qui trépignent sur leurs chaises, lèvent le doigt et disent « Madame, Madame ! ».

Un autre point de ces doxa et vulgates, c’est de considérer que l’autonomie est une capa-cité native. Or, il a fallu quelques siècles ou millénaires pour construire des individus qui se saisissent comme autonomes et qui soient suf-fisamment héritiers, suffisamment étayés par des supports, pour acquérir cette autonomie. Il y a donc ce que les didacticiens appellent des paradidactiques, c’est-à-dire tout ce qui est aujourd’hui nécessaire pour réussir à l’école et qui n’est pas nécessairement appris à l’école. Je crois que ces infragestes intellectuels, que les enfants d’enseignants apprennent chez eux lorsque les parents les aident à faire un devoir en situation, ne sont pas enseignés parce que les enseignants ont beaucoup de mal à imagi-ner qu’on ne comprenne pas, notamment parce

qu’ils ne voient jamais leurs élèves travailler. C’est, de mon point de vue, une des raisons fon-damentales des difficultés contemporaines. Un des aspects très importants de creusement des inégalités d’apprentissage se fait certes à l’école, mais pas forcément dans les lieux scolaires.Pour essayer de comprendre ces questions d’en-gagement et de persévérance, il faut s’intéresser

Un des aspects très importants de creusement des inégalités d’appren-tissage se fait certes à l’école, mais pas forcément dans les lieux sco-laires.

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n° spécial / Janvier 2011 29

à ce que signifie « travailler à l’école ». Pour un enseignant, cela va de soi. Il suffit de travailler et tout va marcher. Je crois que nous avons du mal à savoir ce qu’est le travail scolaire, ce qu’il exige, quel type d’activité particulière il représente. Nous avons là du pain sur la planche pour arriver à mieux comprendre et à mieux organiser les choses. (…)

C’est une notion sur laquelle Anne Barrère a attiré notre atten-tion. Elle nous dit : « On ne sait pas trop ce qu’est le travail sco-laire. Néanmoins, il y a une monnaie d’échange qui circule à l’école, partagée par les élèves, les parents et les enseignants, c’est que celui qui travaille doit réussir ». Tout cela est parfait parce qu’on joint à la fois des aspects moraux d’engagement, de fidélité, de loyauté au système, de réponses aux sacrifices que font les parents et, en même temps, des objectifs de per-formance puisque si vous travaillez, vous devez réussir. Anne Barrère a un peu douché nos enthousiasmes parce qu’elle nous dit que si cela marche bien sur les « bosseurs » qui sont payés pour leurs efforts et pour les « fumistes » qui sont payés pour ce qu’ils ne font pas, ont des mauvaises notes et ne passent pas à la fin de l’année, il y a néanmoins deux ombres au tableau. D’une part, les élèves qui travaillent beaucoup, souvent dans la douleur, et ne sont pas payés des efforts investis, d’autre part ceux qui apparemment passent en touristes, mais qui se tirent de manière très honorable d’épreuves pour lesquelles les forçats ont travaillé des jours et des jours et ont obtenu une note abso-lument minable. (…)

Du coup, persévérer peut devenir diabolique pour les élèves, il est difficile de persévérer quand vous jugez que vous n’êtes pas récompensé de vos efforts. J’ai oublié de parler de la justice mais François Dubet l’a évoquée tout à l’heure. Il y a ces espèces d’ententes de délinquants – évidemment qui ne sont pas des délinquants ici – qui supportent très mal que l’école établisse des hiérarchies, des classements trop importants qui vont frac-turer le groupe des pairs et c’est, je crois, une des explications très fortes au fait que les élèves refusent souvent de s’exposer. (…) Il y a une culture de réticence que développent beaucoup de lycéens en particulier. Les collégiens sont dans des attitudes plus frontales, plus opposantes. La réticence concerne davan-tage, je pense, les lycéens et les étudiants des premiers cycles.

L’approche que nous avons – je parle là au nom de l’équipe dans laquelle je travaille – de ce travail des élèves c’est de dire : « Il y a autour de cela beaucoup de malentendus ». Je vais être aussi assez caricatural là-dessus : le malentendu, ce n’est pas sim-plement les sous-entendus. Dans les années 60-70, Bourdieu et Passeron avaient analysé cette notion-là. Ils disaient que les enseignants du supérieur – mais je crois qu’ils avaient surtout à l’esprit les enseignants des classes préparatoires – font la messe. Tout vocabulaire qu’ils utilisent est un vocabulaire de la liturgie. Et disaient-ils : « Les enseignants s’ingénient à ne pas dire aux étudiants ce qu’ils attendent d’eux. Il faudrait qu’ils ven-dent la mèche. Autrement dit, qu’ils explicitent les sous-entendus de l’enseignement et tout irait mieux ». On a donc développé, à l’époque, ce qu’on appelait « des pédagogies de l’explicitation ».

On pensait que parce qu’on allait dire ce qui était attendu, tout allait s’arranger. Il y a un certain nombre d’objections majeures que l’on peut faire aux pédagogies d’explicitation. La première, c’est qu’on ne peut pas tout expliciter. Quand vous commencez à expliciter, il faut expliciter les termes avec lesquels vous expli-citez. Ensuite, je crois que si l’on va aujourd’hui dans les ZEP et ailleurs, on voit que beaucoup d’enseignants ne sont pas du tout dans ces postures mystificatrices et superbes par rapport aux élèves. Ils sont au contraire dans une explicitation maximale jusqu’à une utilisation de fiches taylorisées avec des tâches, des exercices à trous. Fiches avec lesquelles on est plutôt en train de tuer le sens des exercices globaux que de permettre la compré-hension de ce qu’il y a à faire. Là, je crois que la question n’est pas du sous-entendu, mais plutôt du malentendu quand des logiques glissent les unes sur les autres. Les enseignants croient que les élèves sont dans l’activité alors que les élèves peuvent n’être que dans la tâche. La différence est assez considérable.

Et puis il y a la question de l’institutionnalisation des savoirs. Très souvent dans les pédagogies actives, les enseignants s’efforcent de faire découvrir aux élèves un certain nombre de résultats et de savoirs. Tout cela est très bien. Une des difficultés est que sou-vent, ils n’institutionnalisent pas ces savoirs. C’est-à-dire que les élèves peuvent imaginer que fabriquer un circuit électrique avec une planchette et des clous est le but de l’exercice et que les circuits électriques et la schématisation qui est derrière peuvent être accessoires ou, en tout cas, au même niveau. Il y a énormé-ment d’élèves qui ont du mal à comprendre comment l’exercice préparatoire à la construction du savoir n’est pas le savoir lui-même. Et la traîtrise suprême, c’est : « Vous avez travaillé sur le Massif central, on va vous interroger sur les Alpes », je ne vous dis pas les qualificatifs que ces élèves des ZEP, généralement délurés, décernent à l’enseignant.

Autre type de malentendu : ce qu’on appelait à l’époque les devoirs à la maison. Nous, on l’appelle « le travail hors la classe » parce qu’aujourd’hui, cela ne se déroule plus seulement à la mai-son. Quand on interroge des enseignants : « Pourquoi donnez-

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n° spécial / Janvier 201130

vous des devoirs ? », souvent ils sont mal à l’aise. Ils disent : « On en donne parce qu’on en donne. On ne s’est jamais posé la question. À l’IUFM, on ne nous a jamais appris pourquoi on donnait des devoirs. On ne voit pas pourquoi on n’en donne-rait pas aux élèves » (…)

Mais, nous disent les enseignants : « Attention, quand je donne l’exercice numéro 8 page 54, l’élève devrait comprendre que les modalités intellectuelles qu’il va utiliser pour résoudre tel type d’équation, il doit pouvoir les utiliser sur d’autres types d’équation ». C’est un travail de transfert qu’on lui demande, qui n’est pas exac-tement de même niveau. Et si on pousse encore plus loin l’exigence, on va des tâches de plus en plus spécifiques vers des tâches de plus en plus génériques, qui sont le fond de la forme scolaire. On travaille pour le générique à partir du spécifique. « En fait, faire les devoirs du soir, c’est s’apprendre à être au travail » nous disent les enseignants. Alors là, on retrouve Hegel dans sa plus grande beauté sur la fonction anthropolo-gique du travail. « C’est apprendre à être au tra-vail, apprendre à être dans l’effort et apprendre que toute sa vie, on va être au travail et qu’on va être autonome dans ce travail à partir d’activités qu’on vous a données ». Inutile de vous dire que les élèves ne se situent pas de la même manière devant ces exigences du travail. (…)

La scolarisation – et notamment la période de massification que nous avons connue – a engendré beaucoup de paradoxes. Vous savez, comme moi, que la principale constatation de laquelle partait le débat sur l’avenir de l’école – en 2004 je crois – c’était ce plafond de verre qui fait que depuis 1995, la part d’une génération qui accède au baccalauréat ne monte pas. Cela fait maintenant 15 ans que nous sommes dans un état de stagnation préoccupant, après avoir connu des années d’enthousiasme lorsqu’on a ouvert le second degré pleinement et l’université aux élèves qui jusque-là n’y avaient pas droit. Ce surplace peut s’expliquer par toutes sortes de raisons. Pas simplement par des raisons à caractère quantitatif, mais par des raisons qui tiennent à la nature du travail et aussi peut-être à la formation des enseignants. Ce qui veut dire que les élèves surmotivés ne sont pas forcément

des élèves qui réussissent. Beaucoup d’élèves qui sont tout feu tout flamme lorsqu’ils arrivent en début d’année peuvent être très rapidement démotivés parce qu’ils ne tiennent pas le choc sur la durée et qu’ils ne maîtrisent pas la ques-tion de la temporalité, des apprentissages, de la modification des contrats didactiques. On a donc un deuxième paradoxe avec des élèves qui sont présents, mais qui ne travaillent pas au sens où les enseignants le demandent. C’est ce que cer-tains ont appelé le « décrochage de l’intérieur ».

Alors, puisque la notion de durabilité est à la mode, on pourrait imaginer que l’on s’oriente vers des scolarités durables. Je préférerais pour ma part que la notion de motivation, très indivi-dualisante, internalisante, soit remplacée par celle de mobilisation de ressources. Ce qui fait problème à des élèves, c’est bien évidemment d’être motivés. Les quelques recherches que j’ai pu produire montrent toujours que lorsqu’on regarde les catégories socioprofessionnelles, les élèves qui attendent le plus de l’école sont tou-jours les élèves des catégories populaires. Ceux qui disent : « L’école, je ne veux pas qu’elle me change » sont des élèves qui ont suffisamment de contrepoids à l’extérieur du monde scolaire pour ne pas avoir besoin d’être changés par l’école. On comprend bien les phénomènes de désamour et de retournement qui interviennent au niveau du collège contre l’institution qu’on a tellement « fétichisée » et qui ne vous renvoie pas l’ascenseur. Donc, la motivation et la surmotiva-tion peuvent être au contraire – et c’est ce qui est paradoxal – des éléments contre-productifs. En revanche, amener à mobiliser des ressources aussi bien intérieures qu’extérieures donnerait du grain à moudre aux équipes pédagogiques.

Deuxième point, je crois qu’il faudrait faire un effort pour enseigner ce qui est nécessaire aux apprentissages. (…) On est dans des conflits d’interprétation considérables, avec parfois des injonctions paradoxales, dont les élèves ont beaucoup de mal à se débrouiller. (…)

Le dernier point, c’est la question de la formation continue qui n’est, pour les enseignants, ni obli-gatoire, ni source d’avancement professionnel. Et cette formation continue est tellement saupou-drée qu’elle est en général une caricature. n

Ils ontdit... (*)

Je crois que l’école n’est pas un

espace où on a beaucoup de choix,

aussi bien en France, qu’en Roumanie

ou au Canada. Et de ce point de vue

encore, je crois que les enseignants

sont une clé de ce problème, parce que

les politiques d’éducation peuvent être

imposées mais que dans la salle de

classe, l’enseignant est la personne la

plus importante, celle qui peut avoir sa

propre interprétation ou résister à une

politique d’éducation.

Un intervenant non identifié de la salle

(*) Extraits d’interventions au cours des

débats avec la salle.

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n° spécial / Janvier 2011 31

Marc Rouzeau, le premier jour, a insisté sur le poids des mots, soulignant la différence entre le terme de « persévérance »

et celui de « réussite », mais dans les deux cas, il s’agit d’une

approche centrée sur le jeune. Aujourd’hui, on a enfin commencé à évo-

quer la question de l’école, du cadre, des inégalités. Hier, quand quelqu’un a dit : « Apprendre c’est l’affaire de l’individu », j’avais en tête ce que disait Vygotsky : « Tout apprentissage résulte d’interactions sociales et dépend de la culture dans laquelle un individu se développe ». Cette interaction liée au cadre a été rappelée à travers des dispositifs mettant en réseau différents acteurs, mais dans les différentes politiques qui ont été appré-hendées, on a le sentiment que ce dans quoi s’inscrit le sujet, ce qui fait l’arrière-plan de la société, est quelque chose qu’on ne peut pas toucher. On a évoqué aujourd’hui la question de l’école mais on n’a pas eu le temps de parler de son évolution dans une société qui évolue. Est-ce qu’enseigner en 2010 c’est la même chose que dans un monde où il n’y avait pas internet ? Aujourd’hui le cadre de l’école est beaucoup plus perméable à ce qui se passe à l’extérieur. Des élèves communiquent par SMS pendant qu’ils sont en cours ou bien, en même temps qu’ils font face à leur enseignant, vérifient ses propos sur Wikipédia... La classe qui pouvait apparaître comme un lieu sanctuarisé a désormais plein de portes « imma-térielles » ouvertes sur l’extérieur. Ces évolutions technologiques, qui génè-rent de nouveaux comportements des élèves, modifient le métier de professeur et l’institution scolaire. Il faudrait appréhender globalement le rapport de l’école avec le reste de la société.

Le décrochage est une manifestation d’un problème, souvent d’un mal-être. François Dubet a dit qu’il y a beaucoup de jeunes qui vont à l’école la trouille au ventre. La pression scolaire et la volonté de se conformer à ce qui est attendu d’eux génèrent par-fois une forme d’angoisse impossible à contenir. On va jusqu’à parler de situations phobiques vis-à-vis de l’école. Toutes ces dimensions méritent, au-delà de la question de la persévérance, de regarder comment est vécue l’école de manière globale.

Il y a aussi un autre effet de contexte : celui de la crise. Il y a eu un rappel de son étymologie avec l’idée que la crise, c’est le moment opportun pour choisir. Mais dans une société où elle

apparaît permanente, quel est le bon moment pour choisir, pour saisir sa chance ? Je souscris à l’idée de l’approche « orien-tante », de travailler l’éducation au choix très précocement. Mais dans un monde qui apparaît de plus en plus désorienté, il y a une certaine contradiction entre l’injonction faite à l’individu de s’orienter et le spectacle d’un monde déboussolé, à l’image des places boursières ces dernières semaines qui malgré cela continuent à « gouverner » l’Europe.

Pour Francis Danvers, qui vient de publier S’orienter, une valeur suprême, l’orientation procède de l’interrogation de chacun sur le sens de son existence. Or, celle-ci intervient dans un monde lui-même en difficulté pour faire sens et dans lequel les conflits de représentation sont forts. J’ai à l’esprit ce que disait Gilles Moreau, hier : « On parle de déficit de capital social, mais il y a peut-être aussi des conflits de représentations ». De même qu’il peut y avoir des conflits d’intérêts, il y a des conflits de repré-sentations. D’où la difficulté des jeunes à se repérer.

Car la crise n’est pas seulement financière, c’est aussi le chô-mage de masse. Il y a aujourd’hui des jeunes dont les parents et les grands-parents ont connu des situations récurrentes de sous-emploi, de précarité. Dans ce contexte, la notion de réussite sociale devient plus abstraite. A contrario, on apprend

que le salaire d’un joueur de foot peut atteindre huit cents mille euros par mois… quand dans le même temps le collectif « Sauvons la recherche » s’in-quiète de la précarité croissante des chercheurs. N’y a t-il pas là de nom-breux facteurs de « conflits de repré-sentation » entre la réussite scolaire et d’autres modèles de réussite ?

On a évoqué dans ces deux jours le rapport entre recherche et société. On a ressenti comme une difficulté à faire travailler ensemble le monde de la recherche et les enseignants. Mais d’une manière générale, je constate que le travail des chercheurs avec la société civile n’est pas valorisé. L’ouverture de la recherche universitaire à la société ne doit pas être réduite aux seules découvertes valorisables sur les marchés. Les contacts entre chercheurs et société civile sont à développer, au-delà des enseignants, avec les diverses asso-ciations (dont celles des parents d’élèves) qui s’impliquent dans les questions éducatives, avec les organisations syndicales, les organisations d’employeurs. C’était un message fort de nos amis québécois : « Quand on s’engage dans une expérience, il faut qu’on ait un socle de connaissances établies assez solide ».

Synthèse du colloque

Luc PabœufPrésident du Conseil Économique, Social et Environnemental Régional d’Aquitaine

On va jusqu’à parler de situations phobiques vis-à-vis de l’école. Toutes ces dimensions méritent, au-delà de la question de la persévérance, de regarder comment est vécue l’école de manière globale.

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n° spécial / Janvier 201132

Cependant, il ne faudrait pas qu’on crée l’il-lusion que face à la perte d’un certain nombre de repères, la science va nous donner des cer-titudes et régler les questions politiques. C’était peut-être l’inquiétude de Gilles Moreau. Il posait des problèmes d’épistémologie, de rapport au savoir. Quelle forme de certitude peut-on assi-gner à la science ? C’est intéressant parce que l’épistémologie a évolué sur cette question : on parle d’incertitude en physique, d’incomplétude en mathématiques. Mais on continue à avoir un usage politique des savoirs qui, pour affirmer une position d’autorité, se fonde sur « les experts » et le « scientifiquement prouvé ». Certes, plusieurs expertises scientifiques d’un problème donnent un éclairage utile, mais qui n’embrasse pas la totalité du problème. C’est pourquoi celui-ci reste avant tout un objet politique.

C’est peut-être là qu’on est en difficulté. On a beaucoup parlé de politiques au pluriel : poli-tique de la ville, politique de la réussite scolaire, politique de l’habitat, politique de l’emploi, etc. Mais on a du mal à concevoir globalement la poli-tique. Beaucoup ont dit : « Au départ, on ne savait pas ce que faisait l’autre, donc il a fallu qu’on se connaisse, qu’on apprenne à parler un même lan-gage, qu’on arrive à se faire une représentation commune ». L’enjeu du politique, c’est de réussir à se fixer un horizon commun, ici sur le déve-loppement de la personne, sur son intégration dans la société, sur la place qu’on accorde aux différents savoirs. Cet horizon n’est pas donné, il est à construire, à délibérer. On a parlé d’égalité des chances, puis d’égalité des possibles. Dans le mot possible, il y a pouvoir. Donc quand on parle d’égalité des possibles, il faut aussi qu’on se pose la question de l’inégalité des pouvoirs.

On est dans une société où les pouvoirs ne sont pas uniformément répartis. C’est une question politique : reconnaître à chacun le pouvoir de contribuer à l’élaboration d’un sens commun, partagé…

Tout cela interroge ce sur quoi est fondée la politique aujourd’hui. Si ce ne peut être sur des certitudes scientifiques qu’il suffirait de traduire dans les décisions politiques, comme en a eu l’il-lusion Auguste Comte, alors il faut la refonder sur quelque chose qui serait de l’ordre de la relation à l’autre. Michel Foucault annonçait, à la fin de Les mots et les choses, l’effacement de l’homme… Comme on peut le craindre avec l’usage de ces questionnaires dont il a été question, et dans toute approche qui réduirait la question de la réussite scolaire à un problème de capacités cognitives qu’on traiterait par des « techniques », sans attention pour la dimension vécue, affective, intime… Or, si la crise qui compromet la réus-site du jeune est à comprendre comme crise du sens, il convient d’en saisir toute la dimension sensible… On a parlé, ce matin, de déontologie, mais on peut aussi parler d’éthique : la place de l’individu, le respect de l’élève, des familles, la question du vivre ensemble, de la relation à l’autre. Cette approche fonde la nécessité du dia-logue pour construire un sens partagé. C’est le sens de la démocratie qui, si elle ne peut ignorer la qualité du vivre ensemble dans les processus d’apprentissage, ne peut non plus admettre que, parlant de réussite, la place des uns soit déter-minée par l’ambition des autres… Condorcet, rédacteur à la fois d’un projet de Constitution et de Cinq mémoires sur l’instruction publique constitue, à cet égard, un précurseur éclairé et toujours éclairant. n

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Avant-proposNous connaissons tous l’impor-tance que revêt, dans le déve-loppement de nos collectivités, la présence de jeunes instruits, compétents, capables d’innover et soucieux de s’impliquer dans leur milieu. Dans une économie qui privilégie le savoir, toutes les com-pétences, tous les talents et toute l’imagination des individus doivent

en effet être mis à contribution pour favoriser la création de richesse et garantir la qualité de vie des populations. Et cela commence bien évidemment avec les jeunes.Or, chaque année, un nombre encore trop grand d’élèves quitte les bancs d’école sans obtenir de diplôme. Cette « démission massive » d’une jeunesse qui constitue, à bien des égards, la clé de voute du dynamisme et de l’avenir de nos régions s’avère à n’en pas douter lourde de conséquences. Au-delà de l’impact que peut avoir le décrochage scolaire sur l’individu – et déjà, uniquement sur ce plan, la situation peut devenir drama-tique –, il faut bien sûr aussi prendre en considération les effets considérables que celui-ci peut exercer sur le développement de l’ensemble des communautés. D’où, dans une perspective de développement régional et de présence sur tout le territoire, la nécessité de faire de la réussite à l’école une priorité de tous les instants.De la même manière que nous avons compris qu’en matière de persévérance et de réussite scolaires le succès résidait dans la concertation et dans une mobilisation gé-nérale de tous les acteurs – qu’ils soient issus des réseaux de l’éducation ou de la santé et des services sociaux, du milieu municipal ou d’ailleurs –, il nous est rapidement apparu évident que nous aurions intérêt à nous inspirer des initiatives menées dans d’autres milieux confrontés aux mêmes défis que nous. Que les enseignements que nous pouvions tirer des expériences menées de part et d’autre de l’Atlantique pouvaient donner une impulsion nouvelle à nos actions. D’où l’idée de ces échanges entre les ré-gions d’Aquitaine et de la Capitale-Nationale, échanges dont ne sont certes pas exclus d’autres acteurs et qui sont, depuis maintenant cinq ans, toujours sources de connais-sance, d’inspiration et d’enrichissement collectif.Soucieux d’aider nos jeunes à se réaliser pleinement, nos milieux respectifs ont déployé au cours des dernières années beaucoup d’ingéniosité pour mettre en place des mesures novatrices susceptibles de prévenir le décrochage et de favoriser la persévérance à l’école. Bien que chaque communauté possède ses réalités propres et qu’il ne soit pas toujours évident de transposer dans un milieu ce qui se fait ailleurs, il nous faut garder à l’esprit que l’innovation stimule l’action et qu’une bonne idée peut s’adapter et se concrétiser de maintes façons. En Aquitaine, la mise en réseau de tous les acteurs (lycées, CIO, Missions locales, MFR, CFA…) sur trois territoires aux caractéristiques différentes : le blayais, le marmandais, les Hauts de Garonne répond à cet objectif d’inventer des solutions nouvelles adaptées aux jeunes. L’esprit d’innovation anime également la région de la Capitale-Nationale qui a mis en place six chantiers locaux issus de son approche territoriale intégrée.La réussite de nos jeunes demeure plus que jamais l’affaire de tout le monde. Nous avons tous le devoir de faire en sorte que chacun d’eux puisse acquérir son autonomie, nourrir ses ambitions et réaliser ses rêves de manière à développer son plein potentiel. Détenteur d’un diplôme qualifiant pour le marché du travail, il pourra s’intégrer pleine-ment dans sa communauté et y apporter sa contribution comme citoyen. L’avenir de nos régions en dépend.

Alain Rousset Yves GermainPrésident Président Conseil régional d’Aquitaine Conférence régionale des élus de la Capitale-Nationale

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Janvier 2011ISSN 2104-1709

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