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Nouvelles à lire seule (ou pas) Sophie Steurer-Buchaillard

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Nouvelles à lire seule (ou pas)

Sophie Steurer-Buchaillard

14.6 594260

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 186 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 15.02 ----------------------------------------------------------------------------

Nouvelles à lire seule (ou pas)

Sophie Steurer-Buchaillard

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L’épouse d’Hakhor

Ce jour, 15 juin 2002, nous l’avions découvert. Enfin ! Après vingt-sept longs mois de recherches acharnées, mes collègues et moi, l’avions déterré. Le temple d’Hakhor. Nombre de mystères planaient au-dessus de ce dieu, mi-homme, mi-taureau. Beaucoup d’Égyptiens de l’Antiquité se vantaient de l’avoir réellement rencontré. D’après les écrits que nous avions recueillis, il aurait vécu sur Terre, banni des Cieux par les autres dieux. Selon la légende, les premiers temps, il se contenta de cette situation. Mais, les humains ne le laissaient jamais en paix, allant jusqu’à l’enfermer « pour sa propre protection ». Devant une telle ignominie, il tenta de fléchir les autres dieux, qui refusèrent d’abolir leur décision. Désespéré par sa condition, Hakhor demanda aux humains d’ériger un temple en son honneur, où il choisit de vivre seul, s’enfermant pour l’Éternité. A partir du jour où on en scella l’entrée avec le Dieu à l’intérieur, nous n’avions plus de trace. Nous savions que le temple

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existait puisque nous avions retrouvé la liste des dépenses que la construction avait nécessité dans les archives du Pharaon. Malheureusement, hormis de vagues informations sur le lieu où le temple avait été construit, il n’y avait pas d’emplacement exact. Grâce aux détails que nous glanions et à force de patience, nous avions recréé un plan suffisamment précis. Le temple avait été retrouvé, perdu au milieu du désert, et enfoui sous plus de dix mètres de sable. Avec l’aide de plus de cinq cent ouvriers, de jour comme de nuit, nous avions évacué une incroyable quantité de sable. Il nous fallut plusieurs mois pour le sortir totalement de sa gangue de sable. Il était bien plus grand que tous les temples mis au jour à travers l’Égypte. Il était entièrement carré, d’un kilomètre de côté. Devant l’entrée, un petit auvent en pierre, soutenu par deux colonnes, d’environ deux mètres de longueur sur un mètre de largeur, se trouvait exactement au milieu de la façade. Sur les murs, aucune décoration, ni inscription, aucun indice sur le propriétaire des lieux. Curieusement, les pierres étaient aussi blanches que si elles venaient d’être taillées. Les jointures, entre chacune, étaient noires comme du charbon. Même après plusieurs dizaines de siècles sous le sable, l’édifice semblait avoir été construit la veille. Pas d’usure, pas de fissure, pas une pierre déplacée ou manquante, rien, il était absolument parfait. Comme neuf. Nous en fîmes le tour. Il n’y avait qu’une seule porte, celle sous l’auvent, et aucune aération, ce qui était anormal. Les

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temples étaient, au contraire, souvent très aérés, très ouverts. Et puis, devant la porte en question, nous ne trouvâmes aucun mécanisme d’ouverture. Mes collègues masculins, des brutes malgré leur amour de l’Histoire, voulaient enfoncer la porte avec un bélier, pour ne pas perdre plus de temps. Mais, c’était hors de question ! Après de longues négociations, qui mirent notre patience à tous, à rude épreuve, j’obtins leur accord pour l’étudier avant. Ainsi soit-il, ils me laissèrent vingt-quatre heures pour trouver un moyen de l’ouvrir sans la détruire. Je ne perdis pas une minute. Je l’observais sous tous les angles, je prenais des mesures et des dizaines de photos – dans l’éventualité où mes collègues décideraient de la détruire, il faudrait bien la reconstituer. Cela me prit déjà deux heures. Pendant ce temps, mes quatre amis, Christian, Georges, René et Henri, n’arrivaient pas à se concentrer sur quoi que ce soit, tant l’excitation était grande, et tournaient en rond. Les uns après les autres, ils venaient se planter derrière moi et me lançaient :

« Alors ? » Et, inlassablement, je répondais : « Alors, va voir ailleurs si j’y suis. Occupe-toi de la

façade ou des colonnes, mais laisse-moi travailler ! » Et ils partaient, pour mieux revenir, toujours

accueillis par cette même réplique. J’observais les contours de la porte et les murs alentours, lorsque quelque chose retint mon attention.

« René, Georges, Henri, Christian, venez. »

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Ils n’eurent même pas besoin d’accourir, tellement ils étaient près. Ils regardèrent l’un après l’autre ce que je montrais. Au début, ils ne virent rien du tout. A environ un mètre sur la gauche de la porte, dans le mur, une pierre parfaitement semblable aux autres, semblait s’enfoncer très légèrement dans le mur.

« Ça ressemble à un bouton poussoir, supposais-je. – Allez, Nénette, appuie, on verra bien. » Ah oui, voilà quelque chose qui mérite une

explication. Je m’appelle Anette et je suis bien plus jeune que mes collègues. Quelques années auparavant, ils travaillaient tous avec mon père et me faisaient sauter sur leurs genoux. Mon père était mort, lorsque j’étais encore très jeune. Ils m’aimaient tous comme leur propre fille et m’avaient prise sous leur protection. Alors, encouragée par leur soutien inconditionnel, j’avais repris le flambeau, manifestant la même passion que mon père pour les antiquités. En retour, ils m’avaient laissé ce charmant surnom de mon enfance. Un jour, Christian avait défini ce surnom autrement : « Tu as des airs d’ange, mais tu es une vraie démone. Ce surnom correspond bien à ce trait de caractère ; il donne une impression de gentille petite fille, mais ses sonorités disent le contraire. ». Bien entendu, grandissant avec eux, ils avaient assisté en amusés spectateurs, tant à mes frasques sentimentales que sexuelles. Voilà pourquoi ils ne gardaient pas de moi l’image sage d’une jeune fille en fleur, comme mon père le croyait. Moi-même, amusée de cette nouvelle

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définition de moi, je gardais ce surnom comme un second prénom.

La porte, par une forte pression sur le bouton s’ouvrit sans le moindre grincement. Elle semblait parfaitement entretenue, même mieux que celle de mon propre appartement ! Nous sortîmes notre jeu de cinq pailles. Depuis que nous travaillions ensemble, j’avais instauré le système de la courte paille pour savoir qui entrerait le premier. Plutôt que de se battre ou passer des heures à choisir qui était le plus méritant, nous laissions le sort décider. C’est celui qui avait la courte paille qui passait avant les autres. A ses risques et périls, d’ailleurs. Les Égyptiens plaçaient de nombreux pièges dans leur demeure d’éternité. Aujourd’hui, ce serait René. Après quelques révérences amusées, petit jeu complice installé de lui-même, il entra, suivi de Georges, Christian, Henri et moi. J’ai toujours aimé tout observer, c’est pourquoi dès que le sort décide que je ne serais pas la première, je préfère passer en dernière. Les autres peuvent avancer sans que je ne les ralentisse. Et moi, je peux traîner auprès des inscriptions ou des objets brisés sur le sol. Cependant, dès les premiers pas à l’intérieur, nous fûmes tous saisis de surprise. Tout au long du corridor, de plus de cent mètres de long, une vingtaine de flambeaux brûlaient de chaque côté. Ce temple, enfoui depuis trente siècles vivait encore ! Le plus étrange était encore qu’il n’y avait aucun dégagement de fumée, aucune odeur de renfermé ou

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de moisissure. Je profitais de cette bienheureuse lumière pour jeter un œil aux hiéroglyphes, que je ne pus m’empêcher de toucher. Le mur était chaud. Instinctivement, j’ôtais ma main. Incroyable ! On voyait la trace de mes doigts sur les dessins. Et sur mes doigts, de la peinture ! Elle n’était pas sèche. Je me retournais pour montrer ce prodige à mes collègues mais ils avaient déjà atteint le bout du couloir. Je courais pour les rejoindre. Arrivant dans la pièce où ils se trouvaient à toute vitesse, je me pris les pieds dans un tapis, et m’étalais de tout mon long sur le sol. Et la scène que je découvris m’empêcha de faire le moindre mouvement.

Toute la pièce était éclairée par des centaines de torches, d’âtres et de braseros qui dégageaient tous de grandes flammes, mais pas de fumée. D’ailleurs, l’odeur n’était pas étouffante. Les hiéroglyphes des murs brillaient de mille feux, grâce à la feuille d’or qui les recouvrait. La pièce devait mesurer dans les cent mètres carré et tous les cinq ou six mètres se trouvait une colonne de soutien, et au sommet de chacune, s’ouvrait une fleur de lotus. Celles-ci semblaient faites en émeraudes et turquoises. Quelles merveilles ! Mais le plus impressionnant restait la scène qui se déroulait devant nos yeux ébahis, digne des plus grands films d’Élisabeth Taylor. Un siège en or trônait en plein milieu de la pièce, face à nous. Les accoudoirs se terminaient en tête de lion et les pieds figuraient les pattes du même animal. Et sur le trône, un être

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hybride. Un corps d’homme, une tête de taureau. Il avait les yeux fermés et respirait très profondément, comme en pleine méditation. Il portait un pectoral très large autour du cou, et un pagne blanc couvrait ses jambes de la taille jusqu’au-dessous des genoux. A ses pieds, agenouillée et tête basse, dans une grande humilité, se tenait une jeune fille. Une très belle jeune fille. Elle présentait à l’Homme-Taureau un plateau rempli de fruits, pommes, ananas, dattes, raisins… Elle portait de longues nattes noires, retombant sur son dos. Elle était entièrement nue. Elle avait de belles fesses rondes, qui donnaient envie de les prendre dans ses mains. Sa peau était dorée comme le Soleil. Son visage, son corps, ses pieds. Et ses mains aussi. Elle tenait le plateau du bout des doigts, sans trembler. Ils paraissaient si agiles ! Et si soignés ! Sa cascade de cheveux, son corps ferme et bronzé, ses mains que j’avais envie de sentir courir sur mon corps… Cette femme enflammait mon désir ! Je n’avais jamais ressenti cette attirance pour une femme. L’Homme-Taureau ouvrit les yeux. Il me fixa sans ciller avec deux grands yeux noirs. C’est là que je me rendis compte que je ne m’étais même pas relevée après ma chute. L’homme tendit une main vers moi. Et puis, une voix s’insinua dans ma tête. J’en frissonnais de tout mon être.

« Viens, Anette. Viens me rejoindre. Nous t’attendions. »

Mes collègues se tournèrent vers moi, mais je les vis

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à peine. D’instinct, je me levais et avançais vers cet étrange couple, aidée par cette voix insidieuse qui continuait de m’appeler. La jeune femme n’avait pas bougé, ni ouvert les yeux. Je la regardais. J’admirais sa beauté, la douceur que je devinais en elle. Elle était si désirable. Je sentis un flot de cyprine envahir mes sous vêtements. Je n’entendais plus la voix. Je vins m’agenouiller à côté de la jeune fille, qui resta immobile. Je sentis son parfum de fleurs de printemps. Il ajoutait encore à sa perfection. Je lui enlevais son plateau des mains. Elle ne résista pas. Je me relevais et l’aidais à en faire autant. Le seul contact de sa peau me fit frissonner. Elle ouvrit les yeux. Elle aussi avait des yeux noirs, mais si intenses ! Je l’embrassais sur les lèvres, puis dans le cou, le long de la gorge. Je posais la main gauche sur sa hanche. Elle frissonna elle aussi, mais me laissa faire. Je promenais mon autre main sur sa chair, puis n’y tenant plus, je vins caresser l’intérieur de sa cuisse et remontais jusqu’à son sexe. Je frôlais les lèvres, le clitoris. J’intensifiais mes baisers, la mordis doucement dans le cou. Elle s’allongea sur le sol et, posant une main dans le creux de mes reins, m’invita à la suivre. Je pris son sein droit avec ma main droite. Il tenait tout juste dedans. Puis, en l’embrassant dans le cou, je descendis le long de sa gorge et saisis son deuxième sein entre mes lèvres. Je le suçotais. Il était déjà dur. De la main qui continuait de lui caresser le sexe, je pénétrais son ventre. Elle aussi était inondée de cyprine. Elle se courba, avec une grâce infinie. Je lâchais son sein et l’embrassais tout en

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descendant le long de son corps. J’atteignis son entrejambe et commençais à passer ma langue sur son sexe, tantôt les lèvres, tantôt le clitoris, je mis un doigt puis deux dans son anus et pelotais de l’autre main ses seins. Je baladais mes doigts entre son vagin et son anus. Deux, trois doigts ; tout ce qu’elle me laissait mettre en elle, je le mettais car j’avais envie de la posséder toute entière. Puis elle se mit à bouger, à se dandiner, tout en frissonnant. Je la sentis près de l’orgasme. J’activais ma langue sur son clitoris. Elle ne fit pas un bruit mais éclata de plaisir. Et moi, j’avalais tout le liquide qui déferlait d’elle comme un nectar divin. Mais à cet instant-là, une étrange impression me prit. Une vague de froid me traversa comme la lame d’un poignard. Non, je devais me tromper, cela ne pouvait pas être vrai. Je me levais pour vérifier. La jeune fille ne bougeait plus. Elle ne respirait plus non plus. Pourtant, elle affichait un sourire heureux. Elle était si belle. Je ne pus retenir mes larmes. Je levais des yeux remplis d’eau et de questions vers l’Homme-Taureau. Pourquoi devait-elle me quitter ? Pouvais-je la faire revenir ? Il n’avait pas bougé et gardait ses yeux fixés sur moi. Au bout d’un moment qui me parût une éternité, il commença son histoire : « Comme vous le savez, je me nomme Hakhor. Je vivais parmi mes frères et sœurs, les Dieux du Ciel. Je pris pour épouse, la très belle mortelle Ankshana, que voilà (il désigna la jeune fille morte). Saisis par mon amour pour elle, les autres dieux m’accordèrent de la faire vivre près de moi et de lui offrir l’immortalité. Normalement,

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en tant qu’épouse d’un Dieu, elle devait se conformer à des règles très strictes. Par exemple, elle n’avait pas le droit de descendre sur Terre. Mais, je le lui permis pour que, de temps en temps, elle puisse revoir les siens, la famille royale du Pharaon. Elle était sa fille. Cependant, après seulement quelques mois de mariage, elle finit par descendre de plus en plus souvent. Je devins jaloux. Un jour, je la suivis et la vis rejoindre un jeune homme de son âge que je ne connaissais pas. Ils se promenaient main dans la main. Rongé de jalousie, au détour d’un chemin ombragé, je tuais ce jeune homme et ramenais mon épouse dans les Cieux, sans même écouter les explications qu’elle me hurlait. Mes frères et sœurs m’avaient vu faire. Nous, les Dieux, étions tous les garants de la justice, alors ma femme et moi fûmes aussitôt convoqués devant le Tribunal Divin, où tous les Dieux se réunissaient. Je fus jugé coupable du meurtre d’un humain et par conséquent, d’avoir trahi tout ce que les Dieux représentaient aux yeux des Hommes. Ils me bannirent du Ciel, mais me laissèrent mes pouvoirs et mon immortalité. J’étais rongé par la culpabilité. Ma femme fût, elle, jugée coupable d’avoir provoqué ce drame. Elle fût aussi bannie et condamnée à ne pas s’éloigner de moi à plus de cinquante mètres, ou un serpent me la ramenait enserrée dans ses anneaux. Aussi, pour me punir et pour éviter de nouveaux drames, je fis construire un temple par Pharaon, près de la tombe du jeune homme que j’avais tué. J’appris que c’était un des nombreux frères de ma bien aimée, parti à

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la guerre très jeune et revenant seulement neuf ans plus tard, victorieux, pour mourir de mes mains. Personne ne sût jamais qui était son meurtrier. Mais moi, je connaissais enfin ma victime. Mes regrets en seront éternels. Lorsque le temple fût achevé, je m’y enfermais avec mon épouse, qui n’était plus que l’ombre d’elle-même, et déclenchais une tempête de sable pour qu’il soit enterré à jamais. Mes pouvoirs nous fournissaient tout ce dont nous avions besoin. Les Dieux m’avaient aussi condamné à ne plus pouvoir avoir de rapports charnels avec ma douce Ankhsana. En effet, nous ne pûmes plus en avoir. Et l’éternité, sans la toucher, cela ressemblait à l’Enfer. Quelques temps après notre « enterrement », une de mes sœurs vint me dire que nous serions libérés si mon épouse jouissait une dernière fois. Chose que je ne pouvais accomplir, bien sûr. C’était là, le summum de la punition.

« Tu nous as trahis par jalousie, tu te feras pardonner en la surpassant, me dit-elle. »

Mais il y avait une condition. Après l’orgasme, ma femme mourrait. C’était le seul moyen de la libérer car je ne pouvais plus revenir dans les Cieux avec elle. Depuis le drame que j’avais causé, les Dieux ne voulaient plus de mortels parmi eux. Ankhsana se rendrait au Paradis des belles âmes, rejoindre les siens. Je ne pus me résoudre à la perdre définitivement. Mais elle, elle ne désirait que cela. Alors, nous restâmes ici, tous les deux, en autarcie. Et puis, vous avez trouvé le temple et la suite vous la connaissez. Je vous ai vu arriver. J’ai permis à

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Ankhsana de se laisser aller entre vos mains, parce que j’ai senti que vous l’aimeriez plus que n’importe quel homme. Elle est très heureuse maintenant et je sais qu’elle vous est reconnaissante. Cependant, je vais vous laisser pour retrouver les miens, moi aussi. Mais avant de partir, je me dois de vous faire un cadeau pour celui que vous venez de nous faire à tous les deux. Je vais vous laisser ce temple pour assouvir votre passion de l’Histoire, plutôt que de le faire disparaître. Malheureusement, une fois privé de mes pouvoirs, il subira les affres du temps, qui ne l’ont jamais touché pendant trois mille ans. Et il s’effondrera sur lui-même. Alors ne traînez pas à l’intérieur. Adieu et merci, Anette. »

En effet, dans les secondes qui suivirent sa disparition, les murs commencèrent à trembler, les pierres à tomber et les reliefs à s’effacer. Nous courûmes, très vite, tous les cinq. Le corps d’Ankhsana avait disparu en même temps que celui de son époux dans un nuage blanc. Heureusement, l’issue n’était pas loin. Nous courûmes encore plus vite. Une fois sortis, nous regardâmes s’effondrer ce superbe monument, que nous n’avions même pas pu visiter entier. Lorsque le tremblement de terre cessa, il restait si peu de choses. Des pierres brisées, que nous ne pouvions plus assembler entre elles. Trois mille ans, cela faisait des dégâts. D’un seul mouvement, mes collègues et moi tournâmes le dos au drame qui venait de se jouer et partîmes sans un mot. Le lendemain,

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nous étudiâmes ce temple comme n’importe quel monument, sous les yeux inquisiteurs des ouvriers, sans jamais reparler de ce qui s’était passé. Cependant, quelques jours après cet étrange bond hors de la réalité, j’eus la surprise d’entendre Georges m’appeler Minette. Les autres pouffèrent, puis firent de même, visiblement sans accord préalable. Je compris le lien avec toute cette histoire, ce qui, finalement, lui donna un petit goût moins amer. L’incroyable tristesse qui ne me lâchait plus depuis la mort, prématurée, de ma belle maîtresse se leva. J’aurais tant voulu m’abreuver de son corps encore et encore… Grâce à mes amis, je retrouvais enfin le sourire. Du coup, nous l’adoptâmes tacitement, et la bonne humeur revint au sein du groupe, soudé, que nous formions. Et dorénavant, lorsque, chaque nuit, je rêvais d’Ankhsana, c’était pour la voir me sourire, entourée d’une famille que je supposais la sienne.

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Le contrôleur du train

Tous les matins, je pars à 7 h28 en train, de la gare de Belleville et j’arrive environ trente minutes plus tard à la gare de Lyon Part-Dieu. Arrivée là, je me promène une demi-heure dans le centre commercial vide et calme. Puis, au plus tard à 8 h30, je vais à pied, à travers les rues de Lyon pour retrouver mon fameux cabinet d’avocats A… et De B…, où je travaille d’arrache-pied pour un salaire de misère. Polyvalence et adaptation sont les maîtres-mots de ce poste. Je suis l’assistante personnelle de Me. De B…, qui me traite comme une moins que rien, au contraire de Me. A…, son associé, toujours très prévenant et agréable. Me De B… a 61 ans, un visage anguleux et une silhouette toute frêle, mais c’est un grand séducteur, ce dont il joue très bien, surtout auprès des jurés féminins. Et pour l’avoir vu à l’œuvre, je peux vous dire qu’on en reste bouche bée. Bien entendu, mon cynisme naturel devant ses tentatives de séduction à mon égard l’ont immédiatement refroidi. Et depuis, il me le fait

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chèrement payer. Mais, revenons à moi. A 25 ans, je mesure 1m75, et je pèse 55 kg. Toute en jambe, me répète-t-on à longueur de temps. Mais bon sang, je le sais ! Je me rappelle à quoi sert un miroir ! Et soyons sincères, pendant qu’on y est (pas de fausse modestie), j’allie jeunesse et beauté. C’est d’ailleurs pour cela que Me De B… m’a engagé. Je n’ai jamais obtenu mes diplômes de droit. Peu importe, je ne supportais plus l’école. J’en partis et deux mois plus tard, je trouvais ce poste. Me De B… m’avait très largement signifié que la jupe, courte de préférence était de rigueur, et pas le pantalon. Il m’avait également dit que mon rôle premier était « vitrine ». « Votre physique doit m’amener un maximum de rendez-vous. Pas votre cervelle ». Bon, eh bien, ça c’est dans mes cordes, au moins, songeais-je. Dans ma vie privée, je n’ai personne de « fixe ». Des amants par-ci, par-là, choisis par mes soins, certains devenus réguliers et d’autres que je ne souhaitais pas revoir. Depuis que j’ai quitté Strasbourg pour Belleville, choisie au hasard sur une carte de France, je ne vois plus ma famille. J’ai renoncé à tout contact. J’y ai également laissé un fiancé avec qui j’entretenais une relation depuis six ans, mais qui ne me convenait plus. Un jour, j’ai étalé une grande carte de France devant moi, j’ai fait trois tours sur moi-même, je me suis agenouillée en fermant les yeux. J’ai mis le doigt sur Belleville. Deux semaines plus tard, j’ai réuni toutes mes affaires et je suis partie définitivement et sans explication.

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Aujourd’hui, je vis donc ma vie entre Belleville et Lyon. Entre mon appartement insalubre et mon infect patron. Mais je ne regrette rien. Et ce matin-là, d’automne 200-, j’ai pris mon éternel train de 7 h28. C’était bien la première fois que je me trouvais seule sur le quai de gare. Et en montant dans le train, j’étais aussi seule dans mon compartiment. Quel plaisir ! Un trajet dans la douceur du silence ! Je m’installais. Les emplacements étaient divisés en quatre sièges, réunis en deux rangées autour d’une table. Je choisis le siège près de l’allée dans le sens de marche du train. J’étendis même mes jambes sur le siège en face. Un peu de culot, c’est sûr, mais cela ne se reproduirait pas tous les jours. Je savourais donc le moment lorsque le contrôleur vint à passer. C’était le même, tous les matins. Il était très séduisant, très sensuel, comme s’il dégageait un parfum de désir. Mais du premier regard, on sentait qu’il était en chasse gardée. J’avais beau essayer de le regarder droit dans les yeux pour qu’il me remarque, rien n’y faisait. Je l’aurais pourtant volontiers ajouté à la liste des amants « réguliers ».

« Votre billet, mademoiselle. » Je le lui tendis sans un mot, en le regardant. Il prit

le carton, fit deux trous dedans et me le rendit. Je le saisis du bout des doigts mais il me sembla sentir une résistance. Il ne le lâchait pas ! Nous nous regardions dans les yeux. Je sentis le désir monter en lui. Il y avait comme une odeur de sensualité qui flottait dans l’air. Il tira un peu mon billet vers lui. Suivant le mouvement