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Vingt-cinq ans après son assassinat, le portrait de Rabin varie du tout au tout selon les interlocuteurs : les uns vénèrent un guerrier inflexible, les autre un véritable homme de paix. L a scène se déroule au cœur de la Mouqata, le 4 novembre 1995. Yasser Arafat reçoit mon confrère René Backmann, alors au Nouvel Observateur. Soudain, un conseiller du président de l’Autorité palestinienne entre et chuchote à son oreille. Des larmes coulent sur les joues du raïs, qui bientôt lâche : « It’s over ! » (C’est fini). Il vient d’apprendre l’assassinat du Premier ministre Itzhak Rabin par un extrémiste religieux juif. Cet épisode en dit long sur le rôle décisif que jouait, aux yeux du numéro un palestinien, le numéro un israélien. Et pourtant, vingt-cinq ans après, le portrait de Rabin varie du tout au tout selon les interlocuteurs : les uns vénèrent en lui un guerrier inflexible, les autres un véritable homme de paix. Sans doute le chef de gouvernement assassiné sur cette place centrale de Tel-Aviv qui portera son nom était-il en fait l’un et l’autre. Puis il devint le second parce qu’il avait été le premier. Engagé à dix-huit ans, en 1940, dans la Haganah, l’armée clan- destine juive, Rabin devient sept ans plus tard le plus jeune colonel du Palmah, l’avant-garde, et s’illustre au cours de la guerre qui commence : dans la bataille pour Jérusalem, puis dans l’expulsion des 70 000 Palestiniens rassem- blés à Lydda et à Ramleh – pres- qu’un dixième de la Nakba en deux jours. nnn Suite en page 3 C ’est une trilogie que tous les enfants et adolescents d’Union soviétique ont dévorée et qui reste un succès dans la Russie d’aujourd’hui : La Route va au loin… (1956), À l’aube (1958) et Printemps (1961). L’écrivaine et dramaturge Alexandra Brushtein a com- mencé à écrire cette série à l’âge de 72 ans ; elle en avait 77 quand l’œuvre fut achevée. Elle était alors déjà sourde et presque aveu- gle. En URSS on s’interrogea sur ce « phénomène » : comment une trilogie qui raconte la vie d’une jeune fille juive dans la Vilna (Vilnius) d’avant la Révolution, pouvait- elle passionner à ce point des générations d’enfants, de jeunes gens et de jeunes filles ? nnn Suite en page 8 ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E. PNM n° 380 - Novembre 2020 - 39 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d’antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l’État d’Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. <<< (Suite de l’Hommage en p.8 ) C hez les Wlos [1], on parlait yidich, on avait une cul- ture ouvrière et on était communiste, donc inter- nationaliste, de père en fils. On s’était battu con- tre Franco, on se battra dans la Résistance en France. Le père faisait partie de cette com- posante historique de l’UJRE, de ces militants communistes qui, comme Sophie Szwarc et tant d’autres, apportèrent en émigrant en France leur expérience de la lutte et de la clan- destinité. Emprisonné en Pologne comme communiste, il avait émigré à Paris en 1931, bientôt rejoint par son épouse. Ils auront trois fils, tous trois communistes et résistants. Après la rafle du Vel’ d’Hiv, Roland, qui n’a alors que 4 ans et demi, est caché avec ses frères à Nesle, dans la Somme, dans la famille Grain, et sco- larisé sous le nom de Roland Grain. L’aîné, Jean, rejoindra les rangs de la Résistance en Dordogne où il se battra aux côtés de René Coustellier. alias Commandant Soleil. En 1953, âgé de 16 ans, Roland adhère à l’Union de la Jeunesse républicaine de France devenue, en 1956, Les Jeunesses communistes. Armé d’un CAP d’électromécanique, il entre dans la vie active et travaille comme testeur en téléphonie puis moniteur au centre de forma- tion CGT Suzanne Masson. En 1955, il adhère au Parti communiste. En 1960, avant de faire son service militaire, il épouse Josette, une col- lègue : ils auront trois enfants. En 1961, appelé sous les drapeaux en pleine guerre d’Algérie, il participe à l’action clan- destine des soldats du contingent contre l’OAS : dans les transmissions puis dans l’Algérois. De retour à la vie civile, il par- ticipera à la rédaction du journal Soldat de France [2] qui s’adresse aux appelés du con- tingent. Un Itzhak Rabin peut en cacher un autre par Dominique Vidal * La longue route d’Alexandra Brushtein par Bernard Frederick Itzkhak RABIN Alexandra Brushtein avec des artistes de théâtre Hommage Roland Wlos nous a quittés. Le «14» est en deuil ! Roland Wlos dans les années 80 © Maitron

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Page 1: nous a quittés . Le «14» est en deuil ! C...2020/12/24  · 5 Rue Guy Môquet ARGENTEUIL BULLETIN D’ABONNEMENT Je souhaite m’abonner à votre journal "pas comme les autres"

Vingt-cinq ans après son assassinat, le portrait de Rabin varie du tout au tout selon les interlocuteurs :les uns vénèrent un guerrier inflexible, les autre un véritable homme de paix.

La scène se déroule au cœur de la Mouqata, le 4 novembre 1995. Yasser Arafat reçoit mon confrèreRené Backmann, alors au Nouvel Observateur. Soudain, un conseiller du président de l’Autoritépalestinienne entre et chuchote à son oreille. Des larmes coulent sur les joues du raïs, qui bientôt

lâche : « It’s over ! » (C’est fini). Il vient d’apprendre l’assassinat du Premier ministre Itzhak Rabin parun extrémiste religieux juif. Cet épisode en dit long sur le rôle décisif que jouait, aux yeux du numéro unpalestinien, le numéro un israélien.

Et pourtant, vingt-cinq ans après, le portrait de Rabin varie du tout au tout selon les interlocuteurs : lesuns vénèrent en lui un guerrier inflexible, les autres un véritable homme de paix. Sans doute le chef degouvernement assassiné sur cette place centrale de Tel-Aviv qui portera son nom était-il en fait l’un et

l’autre. Puis il devint le secondparce qu’il avait été le premier.Engagé à dix-huit ans, en 1940,dans la Haganah, l’armée clan-destine juive, Rabin devient septans plus tard le plus jeune coloneldu Palmah, l’avant-garde, ets’illustre au cours de la guerre quicommence : dans la bataille pourJérusalem, puis dans l’expulsiondes 70 000 Palestiniens rassem-blés à Lydda et à Ramleh – pres-qu’un dixième de la Nakba endeux jours. nnn

Suite en page 3

C’est une trilogie que tousles enfants et adolescentsd’Union soviétique ont

dévorée et qui reste un succèsdans la Russie d’aujourd’hui : LaRoute va au loin… (1956), Àl’aube (1958) et Printemps (1961).L’écrivaine et dramaturgeAlexandra Brushtein a com-mencé à écrire cette série à l’âgede 72 ans ; elle en avait 77 quandl’œuvre fut achevée. Elle étaitalors déjà sourde et presque aveu-gle. En URSS on s’interrogea surce « phénomène » : comment unetrilogie qui raconte la vie d’unejeune fille juive dans la Vilna(Vilnius) d’avant la Révolution, pouvait- elle passionner à ce point des générations d’enfants, de jeunesgens et de jeunes filles ? nnn Suite en page 8

ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E.PNM n° 380 - Novembre 2020 - 39e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d’antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l’État d’Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

<<< (Suite de l’Hommage en p.8 )

Chez les Wlos [1],on parlait yidich,on avait une cul-

ture ouvrière et on étaitcommuniste, donc inter-nationaliste, de père enfils. On s’était battu con-tre Franco, on se battradans la Résistance enFrance. Le père faisaitpartie de cette com-posante historique de l’UJRE, de ces militantscommunistes qui, comme Sophie Szwarc ettant d’autres, apportèrent en émigrant enFrance leur expérience de la lutte et de la clan-destinité. Emprisonné en Pologne commecommuniste, il avait émigré à Paris en 1931,bientôt rejoint par son épouse. Ils auront troisfils, tous trois communistes et résistants. Aprèsla rafle du Vel’ d’Hiv, Roland, qui n’a alors que4 ans et demi, est caché avec ses frères à Nesle,dans la Somme, dans la famille Grain, et sco-larisé sous le nom de Roland Grain. L’aîné,Jean, rejoindra les rangs de la Résistance enDordogne où il se battra aux côtés de RenéCoustellier. alias Commandant Soleil.En 1953, âgé de 16 ans, Roland adhère àl’Union de la Jeunesse républicaine de Francedevenue, en 1956, Les Jeunesses communistes.Armé d’un CAP d’électromécanique, il entredans la vie active et travaille comme testeur entéléphonie puis moniteur au centre de forma-tion CGT Suzanne Masson. En 1955, il adhèreau Parti communiste. En 1960, avant de faireson service militaire, il épouse Josette, une col-lègue : ils auront trois enfants. En 1961, appelé sous les drapeaux en pleineguerre d’Algérie, il participe à l’action clan-destine des soldats du contingent contrel’OAS : dans les transmissions puis dansl’Algérois. De retour à la vie civile, il par-ticipera à la rédaction du journal Soldat deFrance [2] qui s’adresse aux appelés du con-tingent.

Un Itzhak Rabin peut en cacher un autrepar Dominique Vidal *

La longue route d’Alexandra Brushteinpar Bernard Frederick

Itzkhak RABIN

Alexandra Brushtein avec des artistes de théâtre

Hommage

Roland Wlos nous a quittés.

Le «14» est en deuil !

Roland Wlos dans les années 80

© Maitron

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L’Union des Juifs pour la Résistanceet l’Entraide (UJRE) a appris avec

effroi et indignation l’attentat dont a étévictime un professeur d’histoire-géo-graphie d’un collège de Conflans-Sainte-Honorine. Elle exprime son sou-tien à sa famille, ses proches, ses collè-gues et élèves.Samuel Paty a été décapité par un ter-roriste se réclamant de l’islam, pouravoir exercé son métier en dispensantun cours d’enseignement moral etcivique destiné à éveiller l’esprit cri-tique des élèves.On apprend que l’auteur du crime étaiten France depuis l’âge de six ans, mais l’Éducation nationale, malgré ses quali-tés et celles de ses enseignants, ne peutcombattre à elle seule l’influence de lasociété et celle de certaines familles.Tout le soutien nécessaire doit êtreapporté aux personnels du servicepublic d’éducation. Un trop grand nom-bre d’entre eux sont depuis longtempsvictimes de menaces. Les abandonner àleur sort comme c’est trop souvent le

2 Presse Nouvelle Magazine n° 380 - Novembre 2020

Léon Sapir nous aquittés le 23 août

2020. Né à Strasbourg en 1932, il a étéévacué avec sa famille en 1939. Durantla guerre, ils ont rejoint un groupe deRésistance dans le Tarn. Léon a toujoursété fidèle à son idéal communiste et àl’UJRE. Les équipes de l’UJRE et de laPNM adressent à Irène son épouse, à safamille et à ses proches leurs plus sincè-res condoléances. <

pour une paix juste et durable auProche-Orient, à Gaza en particulier,et contre les résurgences de l’antisé-mitisme et du communautarisme, ellesavait réagir parfois avec vigueur ànos articles (cf. courrier des lecteursde la PNM n° 229 d’octobre 2005).Nous transmettons à sa famille nosplus sincères condoléances. n

Les équipes UJRE/PNM.

Léon Sapir

L A PR E S S E N O U V E LL EMagazine Progressiste Juif fondé en 1934

Éditions :1934-1993 : quotidienne en yidich, Naïe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l’U.J.R.EN° de commission paritaire 062 4 G 89897

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Rédacteur en chefBernard Frederick

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Sauvegarder la liberté d’expressionaprès le crime de Conflans-Ste-Honorine

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cas est une lâcheté. La mission de trans-mission du savoir par les enseignantsdoit être protégée.C’est l’ensemble de la société françaisequi est endeuillé par cette atteinte à laliberté d’expression, de conscience, à lalaïcité, atteinte qu’aucun service de l’É-tat n’a su prévenir.L’UJRE, attachée aux principes deliberté d’expression, de conscience, à lalaïcité et à l’exercice du droit à la cri-tique rationnelle de l’ensemble des reli-gions, demande que l’État appliquepleinement ces principes et lutte effica-cement contre la diffusion de proposhaineux sur les réseaux sociaux.L’UJRE, consciente que l’islamisme*n’est pas l’islam, demande que soient prises des mesures concrètes combattantl’islamisme* ainsi que tous les fanatis-mes, religieux ou non. n 20/10/2020* Islamisme (selon Larousse) : C’est un projetpolitique et non une religion, tendant à instaurerun État musulman régi par des religieux en vued’instaurer la charia comme source unique dudroit et du fonctionnement de la société.

L’assassinat de Samuel Paty le16 octobre par un Tchétchènede 18 ans – réfugié politique

en France – suivi, le 29, de celui dedeux femmes et un homme à la basi-lique Notre-Dame-de-l’Assomptionà Nice a suscité une émotion et unecondamnation que nous partageonsici. Et si, face à de tels odieux atten-tats, on peut comprendre qu’on enappelle à « l’unité nationale », on nesaurait tolérer que ce soit le prétexteà des discours – et à des actes – anti-musulmans, à des amalgames aussiirresponsables qu’imbéciles.On commémore ce début novembrele pogrom géant des hitlériens contreles juifs d’Allemagne et d’Autriche(cf. page 5), dont le prétexte futl’exécution, par un jeune juif, d’unconseiller d’ambassade allemand àParis. Il faut que la France soit biensage pour ne pas succomber à l’hys-térie et à la dénonciation scanda-leuse d’un pseudo « islamo-gau-chisme » qui ne nous rappelle quetrop le « judéo-bolchevisme » deGoering et consorts, Pétain et Lavalcompris. Si la main qui décapite et poignardeest bien celle de celui qui tue, il fautquand même s’interroger : quelle estla source de ce fanatisme qui pré-tend tenir de Dieu ? Et qu’on nenous dise pas que c’est excuser descrimes que de chercher les causeslointaines et profondes de ce quel’on appelle « islamisme radical » etdans lequel il n’y a pas plus d’islamqu’il n’y a de socialisme dans lenational-socialisme. Il ne s’agit pas d’excuser, pas mêmede comprendre, il s’agit de voir, deregarder, de constater ce qui peutempoisonner la raison, intoxiquerdes peuples, les humilier au pointqu’une petite minorité parmi euxs’affranchisse de toute humanité.Se souvient-on de Laurent Fabiusrapportant que, en Syrie, « Les com-battants d’al-Nosra font du bonboulot » ? Al-Nosra n’est rien moinsqu’une succursale d’al-Qaïda.Protégée d’Ankara, elle contrôle lapoche d’Idlib à la frontière syro-turque. Armée par les occidentaux,elle est financée comme d’autresgroupes terroristes par l’ArabieSaoudite.Laquelle finançait aussi les rebellestchétchènes que la France a trans-formés en « réfugiés politiques »,russophobie oblige.Car c’est bien une stratégie réfléchieque d’armer le terrorisme dans lebut de nuire à l’ennemi désigné,

la Russie ou la Chine, comme hier l’Égypte de Nasser ou l’Algérie ou tout autre pays refusant les fersdu néocolonialisme.À la question du Nouvel Obser-vateur, en janvier 1998 : « Vous neregrettez pas non plus d’avoir favo-risé l’intégrisme islamiste, d’avoirdonné des armes, des conseils à defuturs terroristes ? » ZbigniewBrzezinski, ancien conseiller à lasécurité du président Carter répon-dait : « Qu’est-ce qui est le plusimportant au regard de l’histoire dumonde ? Les talibans ou la chute del’empire soviétique ? Quelques exci-tés islamistes ou la libération del’Europe centrale et la fin de laguerre froide ? ».Les États-Unis et leurs alliés ont, cesdernières années, bombardé laPalestine, le Liban, l’Afghanistan, lePakistan, la Somalie, le Soudan, leYémen, la Libye, la Syrie et le Mali,soit dix pays où vivent des musul-mans. Et pourtant, sauf une infimeminorité de ces croyants, l’ensemblede ces peuples semble partager cetteréflexion du chef du HezbollahHassan Nasrallah : « À travers leursactes immondes, violents et inhu-mains, ces groupes extrémistes takfi-ristes font plus de tort au prophèteque les caricatures occidentales et letort qu’ils ont causé à l’islam estsans précédent dans l’histoire ».Les amalgames nauséabonds quiimprègnent en ces temps troublés lespropos de personnages de l’Étatparmi les plus hauts placés font, eux,du tort à tous, du tort à la France, dutort à la Paix. n 31/10/2020

PS : La complexité de la situationévoquée ci-dessus et de son appré-ciation fournit sans doute matière àdébat. Nous lui ouvrirons nos colon-nes dans le numéro de décembre. Écrire à [email protected] (merci dene pas faire trop long pour laisser dela place à toutes et tous).

À la source par Bernard Frederick

nous a quittés le 28 octobre, danssa 91e année. Ses parents,

Szajna Sawickz et Izak Kleczewski,originaires tous deux de Lodz, s’ins-tallèrent à Paris dans les années 20.Son père s’engagea dans le 22e régi-ment de marche des volontairesétrangers. Alice, membre de l’UJREet abonnée depuis toujours à la PNM,la suivait avec beaucoup d’intérêt etde générosité. Impliquée dans la lutte

Alice Kleczewski-Deprez

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Israêl

3Presse Nouvelle Magazine n° 380 - Novembre 2020

Un Itzhak Rabin peut en cacher un autrepar Dominique Vidal *

le nationalisme palestinien aura entout cas convaincu le général, chassédu gouvernement en juin 1990, que« la question n’a pas de solution mili-taire ». Il verra dans la guerre duGolfe « une formidable occasion » derégler le conflit israélo-arabe – l’ef-fondrement de l’URSS, la réaffirma-tion du leader-ship américain et l’af-faiblissement de l’Organisation delibération de la Palestine (OLP) ontcréé des rapports de force plus favo-rables que jamais.Ne l’oublions pas : l’évolutiond’Itzhak Rabin tient aussi à l’in-fluence de sa femme Leah, à ses côtésdepuis 1940. Progressivement, cellequ’on surnommera la « lionned’Israël » prendra de l’avance sur lui,s’engageant pour une paix juste.Veuve, elle poursuivra ce combat,parcourant inlassablement le mondeau nom de son association, vouée à lamémoire de son mari et à la promo-tion de la coexistence entre Israélienset Palestiniens. La dent dure, elleaccusait ouvertement Netanyahou– qu’elle qualifiait prémonitoirementd’« individu corrompu et (de) men-teur belliqueux qui ruine tout ce qu’ily a de bien dans notre société » – d’ê-tre responsable de l’assassinat deRabin. Elle reprochait aussi à ShimonPeres de l’avoir trahi après sa mort.Leah n’a survécu à Itzhak que cinqans, presque jour pour jour, terrasséeà 72 ans par le cancer. Ce n’est pas undétail : Yasser Arafat voulut assister àses obsèques alors même que com-mençait la Seconde Intifada. Envain : Ehoud Barak refusa…Sorti vainqueur des élections de1992, Itzhak Rabin redevient Premierministre à soixante-dix ans. Durantune année, il tente encore, vainement,de contourner l’OLP en laissant lesnégociations commencées à Madrids’enliser à Washington. Pis : endécembre 1992, il expulse 450 mili-

tants du Hamasvers le Liban.Mais il donneson feu vert à unen é g o c i a t i o nsecrète avec lesPalestiniens àOslo. À la sur-prise générale, ycompris lasienne, les deuxdélégations semettent d’accordsur une formuled’autonomie…Le 13 septembre1993, c’est le« tournant » :après avoir pro-cédé par un

échange de lettres à la reconnaissancemutuelle d’Israël et de l’OLP, Rabinet Arafat signent les accords d’Oslo,en présence de Bill Clinton, sur lapelouse de la Maison Blanche.Durant les deux années qui suivent, lePremier ministre mènera la vie dure àson partenaire palestinien, retardantles échéances convenues et remettanten cause nombre d’engagementsisraéliens. Après le massacre de 29Palestiniens dans la mosquée deHébron début 1994, Rabin se refusemême, contre l’avis de la majorité deses ministres, à évacuer les colons dela ville et des environs.Et pourtant, après les accords d’Oslo Ien mai 1994, le Premier ministre signeceux d’Oslo II, en septembre 1995. Sicette double signature ne met pas fin àla colonisation de la Cisjordanie et deJérusalem-Est, elle consacre la miseen place de l’Autorité palestinienne,dont Yasser Arafat sera démocratique-ment élu président en 1996. Ce gou-vernement de fait n’est cependant

(théoriquement) en charge que de lazone A, partage avec Israël la respon-sabilité de la zone B, qui représentent40% de la Cisjordanie, mais est exclude la zone C. [1]C’en est pourtant trop pour la droiteet l’extrême droite qui, avec les partisreligieux et les colons, mènent contreRabin une campagne hystérique,allant jusqu’à le représenter en uni-forme SS ou la tête couverte d’un kef-fieh. Ces forces, Netanyahou en tête,ont armé idéologiquement la main del’assassin.Avant d’être abattu, il déclarait à lafoule rassemblée à Tel-Aviv pour lesoutenir : « J’ai combattu aussi long-temps qu’il n’y avait pas de chancede paix. » Il restera cependantl’homme de la paix avec YasserArafat. Et son enterrement marqueraaussi celui des accords d’Oslo, l’élec-tion de Benyamin Netanyahou en1996 constituant le dernier clouplanté dans ces deux cercueils. Le« processus de paix » ne sera plus,après, qu’une illusion.n 23/10/2020

* Co-directeur avec Bertrand Badie de L’État dumonde 2021. Le Moyen-Orient et le monde, éd.La Découverte, 2020.

[1] Ndlr La Cisjordanie a été répartie en 3 zonespar l’accord d’Oslo II de 1995. Conçu pour unepériode transitoire de 5 ans, la zone C devait àl’origine être progressivement convertie enzones A et B.

(Suite de la Une)

<<<Dans un texteexpurgé de sesM é m o i r e s ,

révélé le 23 octobre1979 par le New YorkTimes, Rabin raconte :« Nous marchionsdehors aux côtés deBen Gourion ; Allonrépéta la question :“Que devons-nousfaire de la popula-tion ?” Ben Gourionagita la main en ungeste qui signifiait :“Chassez-les !” Allonet moi avons tenuconseil. J’étais d’ac-cord avec lui qu’ilétait essentiel de leschasser. Nous les mîmes à pied sur laroute de Bet Horon [...]. La popula-tion de Lod ne partit pas volontaire-ment. Il n’y avait pas d’autre moyenque d’utiliser la force et les tirs d’a-vertissement pour contraindre leshabitants. »Parvenu en 1964 au poste suprême dechef de l’état-major général, Rabindirige ainsi, avec Moshe Dayan, alorsministre de la Défense, la guerre« préventive » de 1967. Malgré unedéfaillance qui lui sera longtempsreprochée, il tire de l’étourdissantevictoire des Six-Jours une popularitéqui lui servira de tremplin pour sacarrière politique. Après le désastrede la guerre d’octobre 1973, danslaquelle il ne porte aucune responsa-bilité, l’ambassadeur à Washingtonsuccède à Golda Meïr, démission-naire, comme chef du gouvernementen juin 1974. Brève et amère expé-rience : trente mois plus tard, un scan-dale – sa femme, Leah, a conservéillégalement un compte en banqueaux États-Unis – l’oblige à démis-sionner, et les travaillistes, pour lapremière fois, doivent céder le pou-voir à la droite conduite parMenahem Begin.« Cassez-leur les os ! » : cette for-mule marque son retour aux affaires.Nommé fin 1987 par Itzhak Shamirministre de la Défense, il se charge deréprimer la première Intifada. Sansscrupule. Présentée par ses amiscomme un pis-aller destiné à éviterles morts par balles, cette méthodes’y est en fait ajoutée : un an après ledébut du soulèvement, lesPalestiniens insurgés comptent400 morts et 25 000 blessés ; plusKhalil Al-Wazir, dit Abou Jihad, lebras droit d’Arafat, en charge del’Intifada, que Rabin fait assassiner àTunis le 14 avril 1988...Mais cette brutale confrontation avec

Tel-Aviv, 04-11-1995. Vibrant discours pour la paix de Yitzhak Rabin sur la place des Rois-d’Israel. Avec l’assistance, il vient de chanter l’hymne du mouvement pour la paix israelien

Shir LaShalom

Le saviez-vous ?• 29 novembre : la Journéeinternationale de soli-darité avec le peuplepalestinien, qui mar-que l'anniversaire duplan de partage de laPalestine (résolution 181 du29/11/1947) a été établie en 1977 parl’Organisation des Nations unies. n

• Pas en mon nom, documentaire deDaniel Kupferstein, révèle « la voixdes personnes d’origine juive contrela politique d’Israël ». L’UJRE quisoutient ce film devait animer débutnovembre l’une des projections-débat au cinémaSt André desArts, mais recon-finement oblige,ce programmeest interrompu.En attendant sareprise, diffusonssa bande annonce( https://vimeo.com/317131657 ) !

• Israël, le voyage interdit, ce docu-mentaire de Jean-Pierre Lledoretrace en quatre épisodes et unedouzaine d'heures l’itinéraire per-sonnel du réalisateur, juif, commu-niste, algérien, qui séparé de safamille partie en Israël en 1961,finit par quitter son pays peuplé d'a-rabes, de juifs, d’oliviers et d'oran-gers, l'Algérie,pour s’instal-ler en Israël,pays peuplé dejuifs, d’arabes,d'oliviers etd'orangers…

La PNM signale

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Le projet de loi de finances pour 2021Un plan de relance de 100 milliards pour le profit

par Tibor SarceyAlors que la période actuelle, qui nous offre une démonstration grandeur nature de l’inefficacité du capitalisme à réguler l’économie, aurait pu être effica-cement utilisée pour entreprendre des transformations de fond dans l’organisation de la production, le gouvernement fait le choix irresponsable de maintenircoûte que coûte le statu quo.

4 Presse Nouvelle Magazine n° 380 - Novembre 2020

Économie

« Pile je gagne, face tu perds »Notons pour commencer que ce plan est dérisoire auregard des enjeux économiques réels du moment : lesprévisions les moins alarmistes tablent sur un recul duPIB de plus de 200 milliards d’euros sur la seule année2020. Dérisoire, ce plan l’est également au regard desenjeux sanitaires : le montant consacré au Ségur de lasanté (6 milliards d’euros) ne représente que 6% de ceplan de « relance ». Mais surtout, ce plan vise à« socialiser » une partie des dépenses des entreprises.La pilule est d’autant plus difficile à faire avaler qu’enparallèle, les gains des entreprises (les profits) sont pri-vatisés, c’est-à-dire accaparés par des acteurs privés.Que la collectivité paie pour financer le chômage par-tiel de Sanofi, les baisses d’impôts de Carrefour ouencore la transition écologique de Total, voilà unesérieuse aberration.

Faut-il rappeler qu’en 2019 les entreprises non finan-cières françaises ont versé 201 milliards d’euros dedividendes à leurs actionnaires et 63 milliards d’eurosd’intérêts financiers aux banques (soit l’équivalent decinq fois ce qui est prévu par ce plan de relance pourla seule année 2021) ?Cette aberration est d’autant plus grande que ces aidespubliques ne sont accompagnées d’aucune contrepar-tie, notamment en matière d’emploi.

Un chèque en blanc pour les entreprisesL’absence de conditionnalité des aides publiques estle problème de fond de ce plan de relance. Ces aidesne sont accompagnées d’aucune contrepartie, ni enmatière d’emploi, ni d’une manière plus générale enmatière de gouvernance et de gestion des entrepri-ses. Ainsi, à l’image de ce qui se passe en cemoment même dans un grand nombre de groupes (àce jour, la DARESS dénombre 528 procédures delicenciement collectif validées par l’administrationdepuis début mars en France), les mêmes entreprisesqui profiteront de ces aides seront libres de suppri-mer autant d’emplois, autant de sites de productionet de délocaliser autant d’activités qu’elles le sou-haitent. Et elles ne s’en priveront pas, même avecdes aides publiques massives. C’est d’ailleurs ce quenous enseigne le retour d’expérience que nous avonsdu crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi(20 milliards d’euros d’aides publiques aux entrepri-ses par an depuis 2013), dont aucune étude ne par-vient à démontrer d’impact significatif sur l’em-ploi. n 22/10/2020

Le plan de relance profitera très majoritairement aux entreprises

Le gouvernement a dévoilé le 28 septembre 2020 sonprojet de loi de finances pour 2021. Ce dernier intègreun plan de relance d’un montant de 100 Mds € sur deuxans (période 2021-2022) – qui vient principalementsoutenir le profit des entreprises via des baisses d’im-pôts –, des « socialisations » d’une partie de leurscoûts – c’est-à-dire leur transfert au contribuable –, etun soutien à leurs investissements.En effet, un premier tiers de ce plan (34 Mds €) passeradirectement dans leurs poches sous forme de soutienaux profits, dont 20 milliards de baisse des impôts surla production. Ces derniers ne doivent pas être confon-dus avec les impôts sur les bénéfices, dont le gouver-nement maintient par ailleurs la baisse prévue à 25%en 2022 (contre 33% depuis 1993). Un autre tiers, présenté comme un moyen de financerla « cohésion » (sic), consiste en réalité à subvention-ner avec de l’argent public des mesures salarialesrégressives (chômage partiel longue durée, embauchede jeunes en alternance et en stage, etc.). Enfin, le dernier tiers est consacré en grande partie aufinancement d’un « capitalisme vert » (bel oxymore) :des milliards d’argent public sont consacrés aux inves-tissements dans les technologies vertes, la décarbona-tion de l’industrie, les secteurs aéronautique et auto-mobile avec en ligne de mire la volonté de favoriserleur transition écologique. Ne cherchez pas de mesu-res en faveur de l’emploi stable, il n’y en a pas, alorsmême qu’elles constitueraient le levier central pourune sortie de crise.

tion des armes nucléaires (TIAN),voté par 122 États membres de l’Onu,soit ratifié par lesdits États. La Francene l’a pas encore ratifié. Elle l’a pour-tant voté, 68% des Français y sontfavorables et 76% d’entre noussouhaitons que notre pays s’engagedans la voie du désarmement. Vœuxpieux si nous n’agissons pas. Agir, auniveau législatif, par exemple, maispour user intelligemment du droit devote, il faudrait que les électeurssoient correctement informés, notam-ment par une presse éclairée.Objectif irréaliste ? Partons battus etnous sommes certains d’être battus.Battons-nous plutôt et soyons résolu-ment pacifistes. Ne serait-ce que pourne pas faire de peine à Prévert lequelécrivait bien avant la guerre : « Quelle connerie, la guerre ! »L’Onu, ça peut servir à ça, à évitercette connerie, si nous le voulons,nous, « peuples du monde ».Défendre la cause de la paix, c'estaussi une affaire de civisme. n NM

Fondée au lendemain de la guerreavec pour objectif de « maintenir

la paix et la sécurité internationale »,l’Onu a 75 ans. Un anniversaire quipasse pratiquement inaperçu. Il est debon ton de critiquer l’Onu. Au motif,entre autres, qu’il y a toujours desguerres. Suivant cette logique, autant rejeter lecode pénal puisqu’il se commet tou-jours des crimes alors que le code lesinterdit formellement. La Charte desNations Unies est d’abord un instru-ment normatif. Elle dit le droit. C’estfondamental. Quant à l’applicationdu droit, c’est notre affaire à tous.L’Organisation des Nations Uniesn’est que la résultante de la volontéde l’ensemble de ses États membres.Il appartient aux peuples du mondede faire en sorte que ses objectifssoient atteints. C’est-à-dire à chacund’entre nous dans le cadre de nos lég-islations nationales. Ainsi nous appartient-il, par exemple,d’agir pour que le Traité d’interdic-

Paris, le 9/07/2020. Jean Castex et Geoffroy Roux de Bezieux,president du MEDEF.

L’Onu, à quoi ça sert ? Vendredi 2 octobre à Paris, des

individus ont saccagé un restau-rant casher, le couvrant de siglesnazis, volant 50€ et mêlant à leursinsultes antisémites un slogan pro-palestinien.Cet amalgame entre l’idéologie nazieet la pseudo-défense des droits desPalestiniens ne sert ni les droits deceux-ci, ni la lutte des juifs qui s’op-posent à la politique israélienne decolonisation, et dont nous sommes.L’Union des Juifs pour la Résistance

et l’Entraide (UJRE) demeure déter-minée à lutter contre l’antisémitisme.

L’UJRE milite pour que soientcréées les conditions politiques per-mettant à Israël et à la Palestine devivre dans des frontières sûres etreconnues.

L’UJRE exige qu’une enquête rigou-reuse permette l’identification rapideet la condamnation judiciaire descoupables de cet acte antisémite et devandalisme. n 04/10/2020

Aux lecteurs de la PNM : Nous avons besoin, pour com-pléter l'iconographie de notre musée virtuel, dédié à la mémoire des

résistants juifs de la M.O.I, de documents illustrant la vie quotidienne desjuifs immigrés de 1938 à 1945 : actions de résistants, faux papiers, tracts,photos d'enfants cachés… Si vous en disposez, vous serait-il possible denous adresser ces documents numérisés et légendés, ou de nous informer deceux que vous possédez et nous vous contacterons dès que la situation lepermettra. Un grand merci à vous. n

Claudie Bassi-Lederman, présidente de Mémoire des Résistants Juifs de la M.O.I

Contact : [email protected]

Odieux saccage antisémite

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PNM n°327 - Septembre 2015 11Presse Nouvelle Magazine n° 380 - Novembre 2020 5

Le 25 avril 1942, une explosion très violente seproduit au septième étage d’un immeuble de larue Geoffroy-Saint-Hilaire à Paris, en face du

Jardin des Plantes. Deux corps déchiquetés sont retirésdes décombres : • Hersch Zimmerman est né en 1910 à Stryï enGalicie alors polonaise. Il quitte la Pologne en 1932pour la Belgique, où il suit des études de chimie etmilite dans les milieux étudiants. Expulsé après sixmois de prison, il rejoint Paris. En 1936, il s’engagedans les Brigades internationales et y est blessé ;interné dans les camps de Saint-Cyprien, d’Argelès etde Gurs d’où il s’évade. • Saul (Salek) Bot*, est né à Lublin (Pologne) en avril1919. Il y milite dès l’âge de17 ans dans une organisa-tion de jeunes antifascistespuis gagne la France en1937 pour poursuivre sesétudes musicales. Son frèreaîné s’engage dans lesBrigades internationales ety trouve la mort en 1938.Dans Paris occupé, le jeunevioloniste, membre desJeunesses communistes jui-ves, est recruté en novembre 1941 par Chana KowalskaWinogura, artiste peintre et rédactrice de la Naïe Pressedans les années 1930, pour participer à la résistancearmée. Dans cette optique, il suit des cours de chimie auConservatoire national des arts et métiers.Hersch Zimmerman et Salek Bot sont tous deux char-gés de confectionner des explosifs pour des actions à

mener lors du 1er mai. Après une rapide enquête de voisi-nage, les policiers de la BrigadeSpéciale 2 arrêtent Masza Lew(25 ans), l’amie de Salek Bot. À sondomicile, ils trouvent des documentsqui fournissent les preuves de sa parti-cipation à la lutte antinazie. La souri-cière tendue par les policiers permet d’arrêter neuf aut-res personnes, deux femmes et sept hommes. Les conséquences de l’affaire sont catastrophiquespour la Résistance communiste juive, car c’est la toutepremière organisation juive des FTP-MOI, en voie deformation, qui est démantelée.

Parmi les personnes arrêtées,Raïssa Rapoport Kagan. Néeà Kharkov en 1910, elle s’ins-talle à Vilnius avec sa familleen 1917. En 1938, divorcée deYakov Kagan, dont elle gar-dera le nom, elle arrive à Parispour préparer un doctoratd’histoire. Si dans son livre ellese dit peu impliquée dans l’ac-tion clandestine, il n’en va pasde même de Masza Lew ni de

Stanislas Toporowski (Stakh) le plus âgé (39 ans), ni deces deux importants responsables de la section juive dela MOI : Joseph Bursztin (Juzek) jeune médecin de 29 ans et Mounié Nadler, 36 ans, rédacteur en chef dela Naïe Presse à la fin des années 1930 et responsabledes publications clandestines en yidich (que Rayaconnaît sous le pseudonyme de Paul).

L’explosion de la rue Geoffroy Saint-Hilaire 25 avril 1942 par Louis Poulhès

Un livre unique, celui de Raya Kagan, Des femmes dans le bureau de l’enfer, publié en hébreu en 1947 en Palestine où elle avait émigré, vient d’être récemment traduit enfrançais. Édité et présenté par Serge Klarsfeld*, c’est un témoignage stupéfiant sur la bureaucratie d’Auschwitz, dans laquelle elle a survécu durant trente-et-un-mois, etl’occasion de rappeler les suites de son arrestation à Paris en avril 1942.[*] Ndlr : Commande courrier à FFDJF, 32 rue La Boétie 75008 Paris, 404 p., 30 €, franco de port.

Les autres détenus sont moins prochesd’elle, comme Sonia Gutmann (29 ans),Zygmunt Brajlowski (20 ans),Bronislaw Lecki (nom d’emprunt deSalomon Warszawski, 32 ans, anciendes brigades internationales), NatanDyskin (chimiste de 30 ans) et TiborKallai (30 ans). L’affaire trouve un pro-

longement avec la chute de la section yougoslave de laMOI, par l’arrestation de son responsable Rudi Supek,compagnon de Sonia Gutmann, et de six autres deleurs camarades (dont une femme), tous internés auxTourelles le 3 mai 1942. Sonia Gutmann et Raya Kagan, contre qui aucunecharge n’a pu être relevée, sont internées aux Tourellesle 10 juin 1942. Elles sont directement transférées à lagare du Bourget le 22 juin 1942, d’où elles partent,avec le groupe des soixante-six femmes juives duconvoi n° 3 pour Auschwitz : les toutes premièresfemmes de France déportées. Masza Lew, interrogée plus longtemps par la police,est déportée à Auschwitz par le convoi n° 33 du 16septembre 1942. Les sept hommes sont tous fusillésau matin du 11 août 1942 au Mont-Valérien, parmiquatre-vingt-huit otages. Sonia Gutmann et MaszaLew ne reviennent pas de déportation ; Raya Kagan,rescapée avec quatre autres femmes de son convoi,témoigne au procès d’Eichmann en1961** et à celui de Francfort en 1964 ;elle décède en Israël en 1997. <* cf. David Diamant, Combattants, héros etmartyrs de la Résistance, p. 45.**www.youtube.com/watch?v=TtXJNcwT1cE

Histoire

Dans la nuit du 9 au 10 novem-bre 1938, sur tout le territoiredu Reich, les escadrons de la

SA et les formations de la SS, lesJeunesses hitlériennes qui sont désor-mais en plein développement sous lesordres de Himmler, déclenchent ungigantesque pogrom. Les boutiquesappartenant à des juifs, les synago-gues, sont incendiées et pillées. Lesorphelinats, les maisons de retraite,sont saccagés. Des milliers de per-sonnes, hommes ou femmes, sontmatraquées, voire assassinées, inju-riées, couvertes d’immondices. Vingtmille citoyens de tous âges sont arrê-tés et internés dans les camps deconcentration. La communauté juiveest condamnée à payer collective-ment une « amende » de plus de unmilliard de marks.Les nazis avaient pris prétexte de l’at-tentat dirigé début novembre contrele conseiller d’ambassade nazi Ernstvom Rath, à Paris, par le jeune juifHerschel Grynszpan dont les parentsavaient déjà été victimes des mesuresantisémites qui s’amplifiaient depuis

1937. En fait, lepogrom avait été pro-grammé bien avant.Sa date coïncidaitavec le quinzièmeanniversaire de l’é-chec du putsch orga-nisé par Hitler, le 9novembre 1923 àMunich. Il n’avaitrien de spontanécomme en témoigneun rapport d’une bri-gade S.A. de Darmstadt : « Le 10.11.1938, à 3 heures, je reçusl’ordre suivant : " Sur ordre du chefde groupe, il faut faire sauter ouincendier immédiatement dans la bri-gade 50 l’ensemble des synagoguesjuives. Les maisons voisines qui sonthabitées par une population aryennene doivent pas être endommagées.L’action doit être menée en civil. Lesmutineries et les pillages sont pro-scrits. La notification d’exécutiondoit parvenir pour 8 heures 30 auchef de brigade ou à ses services" »Il faut se rappeler que les Accords de

Munich datent du 30septembre 1938.Hitler a remporté unsuccès considérabledans le domaine de lapolitique extérieure. Ilse sent désormais lesmains presque librespour atteindre les butsdu « Drang nachOsten » (la pousséevers l’Est), objectiffondamental de l’im-

périalisme allemand. Encore faut-ilque les dernières résistances du peu-ple allemand soient brisées. À laveille de Munich, la crainte de laguerre a provoqué en Allemagne unevive inquiétude. Il y a eu des grèves àHambourg et dans la Ruhr. Malgré larépression féroce qui a frappé laclasse ouvrière depuis 1933 la partien’est pas encore entièrement gagnéepar Hitler sur le plan intérieur. Lapropagande nationaliste doit corrigerça. L’antisémitisme n’est plus seule-ment pour les nazis une arme dediversion sur le plan économique.

Les juifs, jusque-là boucs émissaireslorsque régnait le chômage, devien-nent des ennemis « extérieurs » qu’ilfaut pousser dehors. Goebbels, leministre de la propagande, invente àcette époque le terme de « judéo-bol-chevisme ». Comme l’écrit l’histo-rien Gilbert Badia* : « Les nazisavaient depuis longtemps éprouvél’efficacité du procédé consistant àpolariser sur un ennemi supposétoute l’hostilité de la population ».Baptisé cyniquement par les nazis « Nuit de cristal », le pogrom denovembre 1938 anticipe sur le géno-cide de millions d’êtres humains. Sonbut immédiat est de gagner l’opinionpublique sur la base des plus basinstincts, et de la terroriser par ledéchaînement des actes les plus bru-taux. C’était il y a 82 ans, autant dire :hier. <BF

* Gilbert Badia (sous la direction de),Histoire de l’Allemagne contemporaine,Messidor Les éditions sociales, 1987

Ndlr La PNM signale la parution du dernierlivre d'Hélène Cixous, Ruines bien rangées,Gallimard, 2020, 160 p., 15 €

9 et 10 novembre 1938 : un pogrom bien « utile »

Raya Kagan témoigne au procèsd’Eichmann en 1961**

Raya Kagan arrêtée

Berlin

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Akhelemer khokhem – א כעלעמער חכם – un Sage de Chelm, en yidich, unepersonne d’une bêtise proverbiale !

Et chacun de sourire déjà, savourant l’ironie basée sur l’antinomie, se souvenantdes délicieuses historiettes qui nous ont accompagnés, contes, chansons, poèmes.Ces habitants de Chelm (כעלעמ – Khelm ), benêts ou intelligents, selon notre .kukvinkl, notre point de vue ,קוקװינקלMais d’où vient donc cette expression, d’où provient ce trésor de notre folklore ?De Chelm, bien sûr, une ville de Pologne, près de Lublin. Mais encore ? Il nous faut remonter plus haut, vers le lieu d’origine de notre yidich, la Rhénanie. Au XVIe siècle apparaît un petit livre, publié à Strasbourg, le Lalebuch, qui contedes histoires sur les habitants d’une bourgade imaginaire, Laleburg, (lale renvoieà un verbe grec qui signifie parler, bavarder), bourgade située dans l’empireUtopia. Les hommes, très sages, y étaient si appréciés des monarques qu’ilsétaient réquisitionnés comme conseillers dans la capitale, avec de lourdes consé-quences : femmes délaissées, cultures et bétail abandonnés. Ils décidèrent un beaujour de se faire passer pour idiots et de rester, paysans, chez eux. Les fables, àleur sujet, fleurirent.Un peu plus tard, une autre ville imaginaire, pour les mêmes histoires : Schilda.Ce seront les récits des Schildbürger (habitants de Schilda)… La Schilda alle-mande et Chelm, la juive… des thèmes parfois si proches que la parenté sembleévidente.Mais Chelm représente quelque chose de plus profond, un humour d’autodéri-sion, intrinsèque à notre yidichkaït. Au fond, Chelm, celle de notre folklore, estune ville sans rapport avec la réalité. Les non-juifs en sont absents, comme s’ilavait existé quelque part dans le Yidichland une bourgade, avec une administra-

tion, un conseil, des habitants tous juifs, vivant selon les préceptes du judaïsme etne parlant tous que le… yidich !Les Khèlèmer ne sont pas des idiots, au contraire. Avides de savoir, ils mettent lasagesse, חכמה, khokhme, au-dessus de tout : la ville est dirigée par le Conseil desSages. Pour tout problème on convoque l’assemblée, une אסיפע – asifè : tout y estpesé, réfléchi. Les habitants, comme ceux des autres villes, y étudient les textessacrés, la Torah. Malgré toutes ces précautions qui devraient leur éviter des déboi-res, ils passent chaque fois à côté d’un élément essentiel, suivent une logiqueinterne, étroite pour aboutir à un résultat erroné, grotesque. Convaincus, pourtant,d’être des Sages, des khakhomim. Le Khelemer khokhem, notre Sage de Chelm, est entré dans notre littérature grâceà Aaron Zeitlin, Shlomo Simon, Yisroel Trunk, Mandelbaum, Myriam Ulinover,sans oublier notre prix Nobel de littérature, Isaac Bashevis Singer et d’autresencore… Que de trésors à revoir ou découvrir... Apprenez donc le yidich ! Nos chansons aussi, tchiribim, tchiribom…Me zogt az inem shtetl KhelemLebn nor naronimtsuOyb mir zaynen di kligeHobn mir a sheynem ponimunikh her zey lakhn tog un nakhtlehakhes di gazlonimzogt, ver zaynen di narishever zaynen di khakhomim ?Lomir zikh trefn in a khoydesh arum oyf undzer yidich vinkl.Retrouvons-nous dans un mois dans notre coin du yidichn

Regina Fiderer

Dos yidich vinkl דאס יידיש װינקל -

Le yidich et la sagesse

à mon sens) sur l’homosexualitélatente ou déclarée de ces ébau-ches d’histoire. Il est vrai que,dans un certain nombre d’entreelles, Proust aborde ce thèmesans détours ou alors en dissi-mulant assez peu son inclina-tion. Il va résoudre le problèmedès qu’il songera vraiment àpublier, comme c’est le cas avecLa Recherche : ses héros sechangent la plupart du temps ende belles et jeunes héroïnes, sesjeunes hommes en fleurs se dis-

simuleront derrière le masque des jeunes filles enfleurs grâce auxquelles son grand livre a beaucoup pluau public féminin et continue à le faire – grâce à cetteambiguïté fondamentale ! Quoi qu’il en soit, la mal-adie et la mort – et par conséquent la figure austère etquasiment religieuse du médecin – (souvenons-nousque le père de Proust était un médecin réputé dans lameilleure société, tout comme son frère) y ont uneplace conséquente. Bien sûr, on y trouve des figures demilitaires (dans cette nouvelle, mais aussi dans« Souvenir d’un capitaine ») : il y a là un aveu, qui neva pas sans une certaine ironie sur son propre compteet aussi le sens d’un fruit interdit auquel il ne parvientpas à résister.Marcel Proust fait des efforts notables pour parvenir àcerner la nature des sentiments que ses diverses créa-tures d’invention éprouvent. On sent à quel point il seconcentre pour poser l‘adjectif juste et surtout la sériede qualificatifs qui rendent sa pensée avec la plusgrande exactitude. À mon sens, c’est là l’enseigne-ment que l’on peut tirer de ces tentatives et, souvent, ils’arrête dès qu’il est parvenu à cette fin : poursuivre

6 Presse Nouvelle Magazine n° 380 - Novembre 2020

La chronique littéraire de G.G. Lemaire

l’histoire proprement dite ne l’intéresse pas particuliè-rement.Le seul regret que l’on a avec cette édition, c’est queLuc Fraisse se révèle trop bavard et, par-dessus tout,qu’il porte trop de jugements. Une longue préface, unelongue postface, des présentations un peu trop disertes– qui ne sont pas entièrement inintéressantesd’ailleurs – mais on le lit plus qu’on ne lit Proust. Oncomprend bien qu’il a voulu mettre un point final à l’é-dition, cette série de fragments, et lui donner unedimension universitaire qui fait un peu sourire. Mais lelecteur peut très facilement se faire une idée de ce qu’ildécouvre. D’autant qu’il ne s’agit pas à proprementparler d’œuvres de jeunesse, mais plutôt d’exercicesauxquels Proust se livre pour parvenir à trouver unmode d’expression qui lui soit propre et qui l’éloignedu roman contemporain. L’histoire n’est pas tout et deloin, c’est même pour lui le support d’une autre façonde concevoir la littérature, qui, dans un premier temps,ne sera ni bien reçue, ni comprise à sa juste valeur.Avec le réalisme et le naturalisme, Proust a profité dela lame de fond du symbolisme (il n’hésite pas uninstant à user de la féérie) pour imaginer unart romanesque qui n’existait pas encore. nLuc Fraisse, Marcel Proust, Le Mystérieux cor-respondant et autres nouvelles inédites,Éd. de Fallois, 176 p., 18,50 €.

Marcel Proust avant la recherche...

Des années avant d’entreprendrel’œuvre monumentale qu’est À larecherche du temps perdu, Marcel

Proust s’est essayé au journalisme culturel ;il a rédigé Les Plaisirs et les jours, publié en1896 avec une préface d’Anatole France,traduit et préfacé La Bible d’Amiens etSésame et les lys du grand historien et cri-tique d’art anglais John Ruskin puis a écritdes fragments de nouvelles. La seule œuvrede fiction qu’il ait écrite pendant cette phased’apprentissage est L’Indifférent commencéen 1893 et publié en 1896, perdu puis retro-uvé en 1978. Le seul ouvrage d’importanceest Jean Santeuil, prolégomène à La Recherche, surlequel il a travaillé de 1895 à 1900 et qui est demeuréinédit de son vivant. Il ne s’est lancé dans sa grandeaventure littéraire qu’en 1908.Ce recueil, intitulé LeMystérieux correspondant (c’estle titre du premier texte y figurant, le plus développéet le mieux élaboré de tous malgré ses lacunes), ras-semble tous les écrits en prose que le jeune auteur a puécrire à ses débuts. Presque aucun d’entre eux n’estachevé et, le plus souvent, il ne s’agit que d’ébauchesdemeurées sans suite. Mais outre leur intérêt docu-mentaire pour les historiens et les biographes deProust, ils permettent de comprendre de quelle façonse sont développés le style et surtout l’esprit de sonécriture. On n’a aucun mal à comprendre que Proustfait ses gammes et s’efforce alors de concentrer sapensée sur un sujet, personnage ou relation. Il se cher-che une identité littéraire.L’artisan de cette compilation, Luc Fraisse, qui aufond reprend le travail effectué pendant les années cin-quante par Bernard de Fallois, accumule les commen-taires sur ces pages et insiste beaucoup (beaucoup trop

* Ndlr Iminutif : Concept forgé par Neil Jacobs cf. Yiddish: A linguistic introduction.

Proust vu par David Levine.

On dit qu’à Chelmne vivent que des simplets.Mais si nous sommes les intelligents,nous avons bonne figure !On me dit qu’ils rient jour et nuitpour braver les brigands,dites-moi donc qui sont les benêtset qui sont les Sages ?

À lire• Le silence des Matriochkas, d’AnneBassi (Éd. Bérangel, 32 p., 5,25 €) : Unjoli petit roman, tiré de faits réels, unemanière d’enquête généalogique sur troisfemmes d’une même lignée. De 1885 àaujourd’hui, de Kiev à Paris en passantpar Berlin, trois destins et un …secret.

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Presse Nouvelle Magazine n° 380 - Novembre 2020 7

Le mimeMarceau

Il y a eu de grands artistesde la scène française dont

on ne parle pas, ou rarement. Parlons donc du plusgrand mime de tous les temps, le mime Marceau, dontCocteau disait : « Le personnage entre chez nous surdes pieds voleurs, avec le terrible sans-gêne du clairde lune ». Le mime Marceau est adoré en Chine où ilfut reçu avec amour, comme dans tous les pays duglobe. Les pantomimes de Bip, c’est l’hommeconfronté aux institutions, à la Justice, c’est le combatdans les ténèbres, c’est la lutte de Jacob avec l’ange.Bip est né le 22 mars 1947 au Théâtre de PocheMontparnasse, drôle de personnage, chapeau haut deforme surmonté d’une fleur écarlate, œil charbonneux,bouche déchirée d’un trait rouge. Bip se bat, vainqueurou vaincu, traverse de multiples aventures et situa-tions. Il refuse la violence, il se souvient du génocide,des Gavroches, de la guerre. « «Entouré de personna-ges imaginaires qui ne sont ni pires ni meilleurs quelui, Bip est un héros poétique et burlesque de notreépoque». Voilà ce que j’écrivis à la création du per-sonnage. Depuis, Bip a évolué mais sa profession defoi est restée »*. « Bip se souvient est destiné particu-lièrement aux jeunes qui n’ont pas connu l’époque dela Résistance. l’avènement du nazisme... », déclare lemime Marceau.* Il attribue la sensibilité due à sonjudaïsme à la souffrance venue du passé qui l’a pousséà être « le mime Marceau », mais l’humanisme estpour lui la solution idéale qu’il défend à travers sonart. « Il y a toutefois une souffrance juive particulière,on ne pourra jamais oublier le génocide et l’holo-causte ».*

Son père, Charles Mangel, juif polonais, n’est pasrevenu de déportation, son frère Alain Mangel, l’ac-compagnera dans ses voyages, administrant « Lesfilms Bip ». Marcel, fidèle élève d’Etienne Decroux,crée son style avec la Compagnie Marcel Marceau et,le 15 novembre 1978, s’ouvre l’École Internationalede Mimodrame de Paris Marcel Marceau sous l’égidede la Ville de Paris.Des films lui sont consacrés, des théâtres l’ontaccueilli, il a rencontré des artistes de toutes discipli-nes, il a souvent été honoré.Voir le mime Marceau sur scène est un voyageenchanteur où règnent la grâce, la perfection et la poé-sie du geste, la puissance d’un art qui a valu une recon-naissance planétaire à Bip, don Quichotte au visageenfariné. À l’instar des paroles de Saint-Exupéry« l’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bienqu’avec le cœur », le mime Marceau déclare « je voussalue la main sur mon cœur et de mon doigt silencieuxje salue Paris à travers son histoire ». n* Nda Interview qu’il m’avait accordée en 1982.

Véra KorèneVéra Korène naît Rebecca

Wiera Koretzki en juillet1901 dans l’empire russe, àBakhmut situé dans la futureUkraine, au sein d’une famille juiveaisée – le père était tailleur – quiémigre à Paris après la révolutionde 1917. Ses parents s’opposent à son entrée auconservatoire. Elle travaille chez un antiquaire et payeainsi ses trois années d’étude couronnées par les prixde tragédie et de comédie. Gémier l’engage à l’Odéon

Cinéma La chronique de Laura Laufer

et lui fait jouer les classiques (Shakespeare, Molière,etc.) ainsi que les modernes, exercice difficile pourune jeune comédienne débutante.Véra entre à la Comédie-Française en 1931 et devientsociétaire en 1936. La talentueuse actrice, belle, élé-gante, exprime toutes ses facettes en incarnant leshéroïnes tragiques, Roxane, Athalie... mais aussi lesfemmes piquantes et charmeuses telles Clotilde de LaParisienne de Henry Becque, elle joue aussi Musset,Marivaux et d’autres. Parallèlement, Véra Korènepoursuit une carrière au cinéma en tournant dans unedouzaine de films à succès où elle joue les espionnes,les vamps, des femmes mystérieuses, parfois redouta-bles. Elle y croise notamment Jean Servais, AiméClarion, Jules Berry, Victor Francen, Jean Murat…futurs grands de la scène. Elle excelle également dansles comédies de mœurs, Comtesse Lucie de Keradecdans Sept hommes une femme, La danseuse rouge ouencore Double crime sur la ligne Maginot. Sa carrière est interrompue par les lois de Vichy qui luisuppriment en tant que juive la nationalité française etlui interdisent de jouer. Elle s’exile au Canada etmonte sur les scènes d’Hollywood et du Brésil. En1945, elle retrouve la Comédie-Française où elle meten scène Les Sincères de Marivaux. Elle rêve du rôled’Hermione de Phèdre qu’elle obtient enfin en 1946.Elle quitte la vénérable institution en 1956 et prend ladirection du Théâtre de la Renaissance où elle donnelibre cours à ses nombreux talents et produit desauteurs contemporains dont Jean-Paul Sartre.Le parcours artistique extraordinaire de cette femmed’une beauté unique n’a d’égal que sa générosité et sagentillesse. Je l’ai connue. C’était à tous points de vueune très grande dame. n

Depuis 1969, Wiseman a filmé plusieurs servi-ces publics et autres institutions américaines,dessinant ainsi de

grands portraits del’Amérique. Dans City hall,il retourne à Boston où ilavait déjà filmé le servicede soins intensifs de l’hôpi-tal Beth Israël dans Neardeath (1989).Cette fois, il plonge sacaméra dans les servicesmunicipaux de la ville deBoston, sa ville natale. Ilavait bien demandé à tour-ner dans cinq autres villesmais seule Boston lui a répondu, l’autorisant à filmerlibrement. Le résultat du tournage, commencé en 2018,tient, après un important travail de montage, en 4h30passionnantes. Wiseman a expliqué ses motivations :« montrer en quoi un gouvernement est nécessaire à laréussite d’un mieux-vivre ensemble. City hall met enlumière une administration municipale offrant unegrande variété de services importants et nécessairesdans une grande ville américaine, dont la populationillustre l’histoire et la diversité de l’Amérique. Le gou-vernement de la ville de Boston est le contraire desÉtats-Unis que représente Trump. » Marty Walsh, maire démocrate de Boston, né dans unefamille ouvrière d’immigrés irlandais, a fait ses armesdans le syndicalisme ouvrier. Sa volonté politique pro-

pose une antidote efficace au cauchemar trumpien dedémolition des acquis démocratiques et d’encourage-

ment du suprématismeblanc. « Je sais queBoston ne résoudrapas les problème desÉtats-Unis. Mais ilsuffit d’une ville. » La caméra deWiseman suit desréunions municipalesd’une riche diversité,les élus travaillant pouret de concert avec lesadministrés : luttecontre la pauvreté, pré-

vention des catastrophes climatiques, soutien aux per-sonnes âgées, contrôle des expulsions locatives, aide auxsans-abri, réinsertion des toxicomanes, aide à la contes-tation d’amendes… La lutte contre le racisme et lesexisme sont ici des points forts : aide aux femmes bat-tues, reconnaissance des couples LGBT, commission surles écarts salariaux hommes et femmes, blancs, noirs etlatinos. Tout employeur désireux de venir à Boston sevoit ainsi proposer une charte lui recommandant derespecter des quotas de discrimination positive pourl’embauche de personnes de couleur, de femmes, d’han-dicapés, etc. On voit aussi Marty Walsh soutenir les infir-mières en grève. Elu depuis 1993, le résultat est là : reculdu chômage et une ville classée parmi les meilleursrésultats de dynamisme économique au monde.

Wiseman rythme le film en montrantl’architecture de Boston, diverse par lesâges et le style, autant de courts entractes venant aprèsles débats. « Où finissent toutes nos discussions ? »demande une habitante d’un quartier défavorisé aucours d’une réunion de consultation citoyenne.Réponse : « Elles remontent au maire ». « Oui, mais,dit-elle, c’est à nous habitants de bouger pour que noschoix soient entendus ». Marty Walsh lui aussi affirmeque la transformation sociale d’une ville n’est possiblequ’en combattant l’inertie des habitants. On se prend à regretter un peu le point de vue unilatéraldu film qui ne montre pas d’opposant ni d’habitant exté-rieur au cadre institutionnel. Wiseman n’a jamais aiméla rhétorique et sa vision est liée ici à son engagementdémocrate. Nul doute que le film soit conçu pour peserdans la campagne électorale et, devant l’action de MartyWalsh, on se prend à rêver que son action de simple jus-tice sociale soit un modèle qui conquière l'Amérique etau-delà. Un film stimulant qui donne des raisons d’espérerqu’un autre monde est possible, si la volonté politiquede le construire existe. n À voir

Théât r e par Karolina Wolfzahn

City hall, un documentaire de Fred Wiseman

Marty Walsh, maire de Boston, en soutien aux infirmières en grève

• Les héritiers, de Marie-Castille Mention-Schaar :Merci à France 2 d’avoir programmé, en hommageà Samuel Paty, cet admirable film disponible enVOD ! Motivée par un prof. d'histoire, une classedécouvre le génocide des enfants juifs et gagne leconcours national de la Résistance et de laDéportation. Et, oui, l’école peut donc vaincre lafatalité du déterminisme social

Page 8: nous a quittés . Le «14» est en deuil ! C...2020/12/24  · 5 Rue Guy Môquet ARGENTEUIL BULLETIN D’ABONNEMENT Je souhaite m’abonner à votre journal "pas comme les autres"

Mais la jeune fille étaitavant tout attirée par lemouvement révolution-naire, elle intégra la« Croix-Rouge politiquepour l’aide aux prison-niers politiques et auxrévolutionnaires exilés »de 1907 à 1916.Après 1917, AlexandraBrushtein, pleine d’en-thousiasme, s’engageadans la constructiond’une vie nouvelle. Rienqu’à Petrograd, elle ouvrit117 écoles et cercles pourl’élimination de l’anal-phabétisme. Elle participaà l’organisation et au tra-vail de troupes de théâtreenfantines à Léningrad età Moscou dans les années1920 et 1930 et à la créa-

tion d’un répertoire dramatique pour enfants. Ellecollabora à la mise en scène d’œuvres classiques :Don Quichotte, La Case de l’oncle Tom, Tristan etIsolde, Un monde cruel inspiré d’œuvres deCharles Dickens.Sacha se maria jeune, à 17 ans. Son mari, SergueïBrushtein, à 28 ans, était déjà un physiatre connu.Ils eurent deux enfants : Mikhail, qui deviendral’ingénieur en chef de l’usine Krasny Oktyabr, etNadiejda, qui créera le célèbre ensemble de dansefolklorique Beriozka.Mais un sort tragique attendait la famille. En 1941,après l’occupation de Vilnius, le père et la mère deSacha, Yakov et Elena Vygodsky, furent assassinéspar les Allemands. Mikhail travaillait à l’arrièredans des conditions très dures et fut atteint d’une

grave maladie car-diaque. Évacué àNovossibirsk avec sonépouse, SergueïBrushtein dirigea ledépartement dephysiothérapie ; ilsuccomba à une crisecardiaque deux ansaprès la Victoire.Dans son livre LaRoute va au loin...,Alexandra salue ainsila mémoire de sonpère : « Mon père !Cinquante ans après

ce soir […] les fascistes qui se sont emparés denotre ville vous ont exécuté, un homme âgé de 85ans […] Je ne sais pas où vous avez été enterré. Jen’ai nulle part où venir pour vous dire que je suishonnête, je n'humilie personne, je travaille et lesbraves gens me respectent. »Alexandra Yakovlevna Brushtein est décédée en1968. n

Eh bien, dites-moi,écrit la critiqueAnna Bok, qu’y a-t-

il de commun entre unécolier soviétique moyenet une fillette juive deneuf ans qui vivait àVilna, cette ville éton-nante aux trois cultures :polonaise, biélorusse etlituanienne ? Qu’est-cequi peut être intéressantdans les mésaventuresd’une petite juive accou-tumée aux accusationsinjustes et aux inégalités ?Quel est le secret de celivre léger et instructif,pourquoi des œuvresdramatiques peut-êtreencore plus fortes sont-elles restées inaperçues.Pourquoi La Route va auloin... est-elle devenue un livre culte pour toute unegénération d’enfants ? »

Dmitri Bykov, journa-liste et critique litté-raire a une réponse :« L’émotion domi-nante de ce livre estd’abord l’horreur,puis la colère joyeuseface à un mal terribleet stupide – auracisme, à l’antisémi-tisme, à la fanfaron-nade des riches, à unsystème étatiquerépressif... ». Et c’estde la propre vie

d’Alexandra Brushtein qu’il s’agit là. Sonhéroïne – Sachenka – c’est elle-même, Sachaest en russe le diminutif d’Alexandra. Sa trilo-gie, en fait, est le reflet de la société de la findu XIXe – début du XXe siècle, jusques et ycompris à l’affaire Dreyfus.Alexandra Brushtein est née le 11 août 1884dans la famille d’un médecin, personnalitépublique et écrivain yidich, Yakov EfimovichVygodsky et de son épouse Elena Yadlovkina,issue d’un milieu de juifs assimilés.Le père de Sacha était un médecin qui cher-chait principalement à aider ses patients, sanss’occuper de leur nationalité, de leur religion,de leurs opinions politiques ou de leur situationfinancière. Très connu à Vilna – Vilné pour les juifsde la ville –, soit près de la moitié de la populationde celle qu’on appelait la « Jérusalem de Lituanie »,Vygodsky intercédait auprès des autorités tsaristesen faveur de ses compatriotes juifs. Ainsi, sa filleput-elle, malgré le numerus clausus, suivre lescours supérieurs du lycée de filles Bestujev deSaint-Pétersbourg et en sortir diplômée.

Arts

La longue route d’Alexandra Brushteinpar Bernard Frederick

«

Debout Alexandra et Sergueï, assis Elena et Yakov Vigodsky et lepetit frère d’Alexandra

Dans la PNM d’octobre (page 8, dernières lignes dela première colonne), une phrase en yidich a ététotalement inversée. Il aurait fallu lire :-Der fark – דער פארקישופטער שנײדער"ishefter shnayder – Le tailleur ensorcelé– d’après Cholem Aleikhem". Merci devotre compréhension. n PNM

Erratum « Rue de Lancry »

Rendu à la viecivile, Roland

sera secrétaire de sec-tion du XIe puis duXIIe arrondissement deParis. Devenu perma-nent du Parti, il sera éluconseiller de Paris. Àpartir de 1979, membredu bureau puis du se-crétariat fédéral, il vit en première ligne lacrise interne qui oppose à la direction duparti quelques dirigeants de la fédération deParis menés par Henri Fiszbin.Roland écrira de cette crise qu’elle « s’in-scrivait dans les prémices d’une crise ducommunisme entraînant un recul his-torique des partis communistes et leurélimination dans certains pays. » Auxcôtés de Francis Wurtz, Roland assure lesecrétariat du Comité de défense des lib-ertés et des droits de l’Homme. En 1992, ilcontribue, entre autres, à lancer la campa-gne contre l’exécution de Mumia AbuJamal, une campagne dans laquelle s’ins-crit toujours la PNM.Roland Wlos appartient à la grande familledes juifs progressistes. Il est tôt membre del’UJRE et militera pour la création d’uneassociation pour la mémoire des résistantsjuifs de la moi (MRJ-MOI). Devenu, en1992, rédacteur puis rédacteur en chef de laPNM, il était toujours soucieux de rappelerle rôle des étrangers dans la Résistancefrançaise et celui de l'URSS dans le combatcontre Hitler.Au « 14 », Roland nous laisse à tous le sou-venir d’un homme affable, courtois,ouvert, curieux d’autrui autant que fermedans ses convictions et fidèle à ses engage-ments. Pour tout dire, il nous manque. n

Nicole Mokobodzki[1] cf. Maitron.[2] Journal clandestin du PCF qui s’oppose à l’envoi ducontingent, dénonce la colonisation, les méthodes de l’ar-mée française et appelle à l’ouverture de négociations.

Nous partageons la tristesse de son épouseJosette, de leurs enfants, et adressons àtoute la famille et à ses proches, nos frater-nelles condoléances. UJRE/PNM

(Suite de la Une)

(Suite de la Une)

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Journal du 3 avril 1927 dedie au 70e anniversaire du Dr. Vygodsky

Premiere edition de La route va au loin (1956)

Hommage

Roland Wlos nous a quittés.

Le «14» est en deuil !

Roland Wlos dans les années 80

© Maitron

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